Language of document : ECLI:EU:T:2019:850

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

12 décembre 2019 (*)

« Accès aux documents – Règlement (CE) n o 1049/2001 – Rapport d’inspection ad hoc – Refus d’accès – Article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1049/2001 – Exception relative à la protection de la vie privée et de l’intégrité de l’individu – Règlement (CE) no 45/2001 – Article 8, sous b), du règlement no 45/2001 – Transfert de données à caractère personnel – Article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 – Exception relative à la protection des objectifs des activités d’enquête – Article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001 – Exception relative à la protection du processus décisionnel – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑692/18,

Marco Montanari, demeurant à Reggio d’Émilie (Italie), représenté par Mes A. Champetier et S. Rodrigues, avocats,

partie requérante,

contre

Service européen pour l’action extérieure (SEAE), représenté par MM. S. Marquardt, R. Spac et Mme E. Orgován, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision du SEAE du 24 octobre 2018 par laquelle celui-ci a refusé au requérant l’accès au rapport du 29 juillet 2017 établi par A,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de MM. R. da Silva Passos, président, V. Valančius et L. Truchot (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent 

Arrêt

 Faits à l’origine du litige 

1        Le requérant, M. Marco Montanari, a été détaché auprès du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) par le gouvernement italien en tant qu’expert du ministère des Affaires étrangères d’avril 2015 à avril 2018. Il a exercé les fonctions de conseiller politique de la mission de politique de sécurité et de défense commune (PSDC) EUCAP Sahel Niger de l’Union européenne.

2        S’estimant victime de faits de harcèlement de la part de sa hiérarchie, le requérant a saisi à plusieurs reprises le directeur de sa direction de rattachement, le commandant des opérations civiles à la direction de la planification civile et de la capacité de conduite. Il a demandé à cette autorité, dans un courrier du 17 juillet 2017, d’ouvrir une enquête pour harcèlement contre le chef de mission et son adjoint. Les 25 et 26 juillet 2017, une « inspection ad hoc » a été réalisée au sein de la mission, lors de laquelle la personne chargée de celle-ci a mené plusieurs entretiens, y compris avec le requérant. La personne désignée pour évaluer la situation sur place a rendu son rapport le 29 juillet suivant (ci-après le « rapport litigieux »).

3        Le requérant a réitéré sa demande d’ouverture d’enquête pour harcèlement les 28 juillet, 25 octobre et 23 novembre 2017.

4        N’obtenant pas satisfaction, le requérant a saisi la secrétaire générale du SEAE le 17 janvier 2018, laquelle a demandé au commandant des opérations civiles de répondre au requérant. Il ressort de sa réponse que cette autorité a estimé que les prétendus manquements que le requérant avait signalés relevaient de « questions de gestion de la mission » et « ne justifiaient pas l’ouverture d’une procédure disciplinaire ».

5        Par courrier du 31 juillet 2018, le requérant a sollicité, sur le fondement de la décision de la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité du 19 juillet 2011 relative aux dispositions sur l’accès aux document (JO 2011, C 243, p.16, ci-après la « décision du 19 juillet 2011 »), l’accès, d’une part, à la lettre « de mission ou le mandat établi par la Capacité civile de planification et de conduite (CCPC) du SEAE, confiant, en juin ou juillet 2017, une mission de médiation à [A], à la suite de [ses] nombreuses plaintes […] à l’encontre du management de la mission », et, d’autre part, au « rapport établi par [A] à l’issue de sa mission de médiation ».

6        Par décision du 10 septembre 2018, le SEAE, après avoir identifié le rapport litigieux comme étant le seul document correspondant à la demande du requérant, a estimé que la divulgation de ce document était impossible en raison des exceptions prévues à l’article 4, paragraphe 1, sous b) (protection de la vie privée et de l’intégrité de l’individu), de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret (protection des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit), et de l’article 4, paragraphe 3 (atteinte grave au processus décisionnel), du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43). Après avoir estimé qu’il n’existait aucun intérêt public supérieur susceptible de justifier la divulgation du rapport litigieux, le SEAE a conclu qu’il n’était pas en mesure « de divulguer le[dit]document […] au grand public à ce stade, ni dans son ensemble ni en partie ».

7        Par courrier du 13 septembre 2018, le requérant a introduit une demande confirmative, au sens de l’article 4 de la décision du 19 juillet 2011, laquelle a été rejetée par une décision du SEAE du 24 octobre 2018 (ci-après la « décision attaquée »). Par cette décision, le SEAE a confirmé les motifs de rejet invoqués dans la décision initiale de rejet de la demande d’accès.

 Procédure et conclusions des parties

8        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 novembre 2018, le requérant a introduit le présent recours.

9        Par décision du 16 octobre 2019, le président du Tribunal, en application de l’article 27, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, a réattribué l’affaire à un nouveau juge rapporteur, affecté à la septième chambre.

10      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner le SEAE aux dépens.

11      Le SEAE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

12      Le Tribunal a décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure, de statuer sans phase orale de la procédure.

 En droit 

 Observations liminaires

 Présentation des moyens soulevés par le requérant

13      Le requérant soulève trois moyens, tirés, le premier, de la violation du règlement no 1049/2001, du non-respect de l’obligation de transparence découlant de l’article 15, paragraphe 3, TFUE et de l’article 42 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), le deuxième, de la violation de l’obligation de motivation découlant de l’article 296 TFUE et de l’article 41 de la Charte, le troisième, à titre subsidiaire, de la violation du principe de proportionnalité.

14      À cet égard, il convient, tout d’abord, de constater que la branche du premier moyen, tirée du non-respect de l’obligation de transparence découlant de l’article 15, paragraphe 3, TFUE et de l’article 42 de la Charte, n’est assortie d’aucun exposé sommaire permettant d’en apprécier le bien-fondé, en méconnaissance des dispositions de l’article 76, sous d), du règlement de procédure. Le grief tiré d’une violation, en tant que telle, desdites dispositions est donc irrecevable (voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2018, BSCA/Commission, T‑818/14, EU:T:2018:33, points 94 et 95).

15      Il y a lieu, ensuite, d’observer que les trois moyens soulevés par le requérant concernent l’application au présent litige des exceptions au droit d’accès aux documents que le SEAE a opposées à la demande sur le fondement de l’article 4 du règlement no 1049/2001.

16      Il convient, en outre, de relever que l’argumentation développée au soutien de ces trois moyens se recoupe en grande partie. Elle consiste, pour l’essentiel, à reprocher au SEAE de ne pas avoir procédé à un examen concret et effectif de l’atteinte que porterait la divulgation du rapport litigieux aux intérêts protégés par lesdites exceptions. Le SEAE aurait ainsi entaché la décision attaquée, premièrement, d’erreurs de droit (premier moyen), pour ne pas avoir fait une application concrète des exceptions au droit d’accès prévues par l’article 4 du règlement no 1049/2001, deuxièmement, d’un défaut de motivation (deuxième moyen), dans la mesure où un tel examen ne ressortirait pas des motifs de la décision attaquée et, troisièmement, à titre subsidiaire, d’une violation du principe de proportionnalité (troisième moyen), dès lors que l’absence d’examen concret du rapport litigieux a conduit à ne pas examiner la possibilité d’un accès partiel.

17      Dans ces conditions, le Tribunal estime opportun d’examiner l’ensemble de l’argumentation, ainsi présentée au soutien du recours, à l’égard de chacune des exceptions que le SEAE a opposée à la demande d’accès en application de l’article 4 du règlement no 1049/2001.

 Rappel de jurisprudence 

18      En vertu de l’article 1er de la décision du 19 juillet 2011, tout citoyen de l’Union a un droit d’accès aux documents du SEAE, selon les principes, conditions et limites définis par le règlement no 1049/2001.

19      À cet égard, il y a tout d’abord lieu de rappeler que, conformément à son considérant 4 et à son article 1er, le règlement no 1049/2001 vise à conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions qui soit le plus large possible (arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 33, et du 21 juillet 2011, Suède/MyTravel et Commission, C‑506/08 P, EU:C:2011:496, point 73).

20      Ce droit est soumis à certaines limites fondées sur des raisons d’intérêt public ou privé. Conformément à son considérant 11, ledit règlement prévoit, à son article 4, un régime d’exceptions autorisant les institutions à refuser l’accès à un document dans le cas où la divulgation de ce dernier porterait atteinte à l’un des intérêts protégés par cet article (voir arrêt du 11 juin 2015, McCullough/Cedefop, T‑496/13, non publié, EU:T:2015:374, point 38 et jurisprudence citée).

21      Néanmoins, dès lors que de telles exceptions dérogent au principe d’accès le plus large possible du public aux documents, elles doivent être interprétées et appliquées strictement (arrêts du 1er février 2007, Sison/Conseil, C‑266/05 P, EU:C:2007:75, point 63 ; du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 36, et du 17 octobre 2013, Conseil/Access Info Europe, C‑280/11 P, EU:C:2013:671, point 30). En conséquence, la seule circonstance qu’un document concerne un intérêt protégé par une exception ne saurait suffire à justifier l’application de cette dernière (arrêts du 27 février 2014, Commission/EnBW, C‑365/12 P, EU:C:2014:112, point 64 ; du 13 avril 2005, Verein für Konsumenteninformation/Commission, T‑2/03, EU:T:2005:125, point 69, et du 7 février 2018, Access Info Europe/Commission, T‑852/16, EU:T:2018:71, point 36).

22      En effet, lorsque l’institution n’accorde pas l’accès au document sollicité, il lui incombe, en application de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 1049/2001, de communiquer au demandeur, dans une réponse écrite, les motifs de son refus total ou partiel. À ce titre, elle est tenue, en principe, de fournir des explications quant aux questions de savoir de quelle manière l’accès à ce document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par une exception prévue à l’article 4 du règlement no 1049/2001 que cette institution invoque et, dans les hypothèses visées à cet article, paragraphes 2 et 3, s’il n’existe pas un intérêt public supérieur justifiant néanmoins la divulgation du document concerné. En outre, le risque d’une telle atteinte doit être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique (arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 49, et du 3 juillet 2014, Conseil/in’t Veld, C‑350/12 P, EU:C:2014:2039, point 52).

23      Le régime d’exceptions prévu à l’article 4 du règlement no 1049/2001 est ainsi fondé sur une mise en balance des intérêts qui s’opposent dans une situation donnée, à savoir, d’une part, les intérêts qui seraient favorisés par la divulgation des documents concernés et, d’autre part, ceux qui seraient menacés par cette divulgation. La décision prise sur une demande d’accès à des documents dépend donc de la question de savoir quel est l’intérêt qui doit prévaloir dans le cas d’espèce (voir arrêt du 27 novembre 2018, VG/Commission, T‑314/16 et T‑435/16, EU:T:2018:841, point 60 et jurisprudence citée).

24      Ainsi, l’ensemble de l’examen requis pour le traitement d’une demande d’accès à des documents doit, en principe, non seulement revêtir un caractère concret et individuel et porter sur le contenu de chaque document, mais également ressortir des motifs de la décision refusant l’accès aux documents demandés (voir arrêts du 22 mai 2012, Internationaler Hilfsfonds/Commission, T‑300/10, EU:T:2012:247, point 91 et jurisprudence citée, et du 25 septembre 2018, Psara e.a/Parlement, T‑639/15 à T‑666/15 et T‑94/16, EU:T:2018:602, points 103 et 104 et jurisprudence citée). Une telle motivation doit concerner toutes les exceptions mentionnées à l’article 4, paragraphes 1 à 3, du règlement no 1049/2001, sur lesquelles la décision de refus d’accès est fondée (voir arrêt du 19 novembre 2014, Ntouvas/ECDC, T‑223/12, non publié, EU:T:2014:975, point 32 et jurisprudence citée).

25      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner l’argumentation du requérant.

 Sur le bien-fondé des conclusions en annulation

 Sur l’application de l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1049/2001 

26      Le requérant soutient, pour l’essentiel, que le SEAE n’a pas démontré, ni fait ressortir des motifs de la décision attaquée, en quoi la divulgation du rapport litigieux aurait porté concrètement et effectivement atteinte au respect de la vie privée et à l’intégrité des personnes qui y seraient identifiables.

27      Le SEAE conclut au rejet des griefs. Il soutient, en substance, que le requérant tant en sa qualité d’auteur de la plainte qu’en celle de personnel hautement qualifié ne pouvait ignorer que le rapport litigieux contenait des données à caractère personnel sensibles, qui ne se limitaient pas aux noms des personnes interrogées. Dans ces conditions, le SEAE estime que la motivation de la décision attaquée, qui doit s’apprécier en fonction du contexte dans lequel elle a été prise, est suffisante.

28      En outre, le SEAE fait valoir que, faute pour le requérant d’avoir, conformément à la jurisprudence, justifié la nécessité d’avoir accès à de telles données à caractère personnel, il n’était pas en mesure de mettre en balance les différents intérêts des parties en cause, ni, en conséquence, d’examiner si un transfert de ces données était susceptible de porter atteinte aux intérêts légitimes des personnes concernées.

29      L’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1049/2001 prévoit que « [l]es institutions refusent l’accès à un document dans le cas où la divulgation porterait atteinte à la protection […] de la vie privée et de l’intégrité de l’individu, notamment en conformité avec la législation [de l’Union] relative à la protection des données à caractère personnel ».

30      Il convient de relever que, selon une jurisprudence constante, l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1049/2001 est une disposition indivisible qui exige que l’atteinte éventuelle à la vie privée et à l’intégrité de l’individu soit toujours examinée et appréciée en conformité avec la législation de l’Union relative à la protection des données à caractère personnel, et ce, notamment, avec le règlement (CE) no 45/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2000, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions et organes communautaires et à la libre circulation de ces données (JO 2001, L 8, p. 1). Cette disposition établit ainsi un régime spécifique et renforcé de protection d’une personne dont les données à caractère personnel pourraient, le cas échéant, être communiquées au public (arrêts du 29 juin 2010, Commission/Bavarian Lager, C‑28/08 P, EU:C:2010:378, points 59 et 60, et du 11 juin 2015, McCullough/Cedefop, T‑496/13, non publié, EU:T:2015:374, point 43).

31      Il s’ensuit que, lorsqu’une demande fondée sur le règlement no 1049/2001 vise à obtenir l’accès à des documents comprenant des données à caractère personnel, les dispositions du règlement no 45/2001 deviennent intégralement applicables (arrêts du 29 juin 2010, Commission/Bavarian Lager, C‑28/08 P, EU:C:2010:378, point 63 ; du 2 octobre 2014, Strack/Commission, C‑127/13 P, EU:C:2014:2250, point 101, et du 25 septembre 2018, Psara e.a/Parlement, T‑639/15 à T‑666/15 et T‑94/16, EU:T:2018:602, point 66), en ce compris son article 8, lequel impose au destinataire du transfert de données à caractère personnel l’obligation de démontrer la nécessité de la divulgation de celles-ci (arrêt du 29 juin 2010, Commission/Bavarian Lager, C‑28/08 P, EU:C:2010:378, point 45). 

32      Dans ces conditions, lorsque, comme en l’espèce, l’exception tirée de la protection de la vie privée et de l’intégrité de l’individu est fondée sur l’existence de données à caractère personnel figurant dans le document sollicité, et que, dès lors, l’article 8, sous b), du règlement no 45/2001 trouve à s’appliquer à la demande d’accès, l’examen du caractère concret et effectif de l’atteinte à l’intérêt protégé par l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1049/2001, tel qu’il est exigé par la jurisprudence, se confond avec l’appréciation du risque d’atteinte aux intérêts légitimes de la personne concernée par le transfert des données à caractère personnel. Il en est ainsi en raison du fait que les intérêts légitimes visés à l’article 8, sous b), du règlement no 45/2001 recoupent la vie privée et l’intégrité de l’individu, visées par cette dernière disposition, auxquelles le transfert de telles données est susceptible de porter atteinte en révélant au public certains de leurs aspects (arrêt du 15 juillet 2015, Dennekamp/Parlement, T‑115/13, EU:T:2015:497, point 135).

33      Dans ce cas, lorsqu’une institution refuse l’accès à un document au motif que sa divulgation porte atteinte à l’intérêt protégé par l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1049/2001, cette institution doit être en mesure d’expliquer en quoi l’accès aux données à caractère personnel que celui-ci contient est susceptible de porter concrètement et effectivement atteinte aux intérêts légitimes des personnes concernées et relatifs à la vie privée et à l’intégrité de ces mêmes personnes. Une telle explication ne saurait donc consister en une simple affirmation selon laquelle l’accès au document porterait atteinte à la vie privée ou à l’intégrité de l’individu au sens de ladite disposition (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2012, Egan et Hackett/Parlement, T‑190/10, non publié, EU:T:2012:165, points 90 et 91).

34      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner l’argumentation du requérant développée au soutien du moyen tiré du défaut de motivation pris de l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1049/2001.

35      En l’espèce, la décision attaquée, concernant l’application de l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1049/2001, précise ce qui suit :

« [L]e rapport [litigieux] constitue le résultat d’une inspection ad hoc menée dans le but de préparer une décision en matière disciplinaire (à savoir une décision d’ouverture d’une enquête préliminaire en vertu du code de conduite pour les missions civiles). Il contient une évaluation de la situation concernant des personnes identifiables. Il relève donc principalement de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1049/2001 sur l’accès public aux documents des institutions de l’[Union]. Étant donné que le rapport contient les constatations effectuées par [A], la divulgation publique des documents porterait atteinte à la protection des données à caractère personnel des personnes concernées. Cette raison à elle seule justifierait le refus d’accorder l’accès à ce document au public, comme vous l’aviez demandé en faisant référence au règlement no 1049/2001. »

36      À cet égard, l’article 2, sous a), du règlement no 45/2001 définit la notion de « données à caractère personnel » comme « toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable ». Est réputée identifiable une personne qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments spécifiques, propres à son identité physique, physiologique, psychique, économique, culturelle ou sociale (arrêt du 21 septembre 2016, Secolux/Commission, T‑363/14, EU:T:2016:521, point 28). En outre, la notion de « données à caractère personnel » ne se limite pas aux données nominatives, mais est susceptible de couvrir toute information, tant objective que subjective, sous la forme d’un avis ou d’une appréciation, pour autant qu’elle concerne la personne en cause (voir, par analogie, arrêt du 20 décembre 2017, Nowak, C‑434/16, EU:C:2017:994, point 34).

37      Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution ou de l’organe, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et au juge de l’Union d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 19 novembre 2014, Ntouvas/ECDC, T‑223/12, non publié, EU:T:2014:975, point 20 et jurisprudence citée).

38      En l’espèce, dans la décision attaquée, le SEAE se borne à indiquer que le rapport litigieux « constitue le résultat d’une inspection ad hoc menée dans le but de préparer une décision en matière disciplinaire (à savoir une décision d’ouverture d’une enquête préliminaire en vertu du code de conduite pour les missions civiles) », qu’il contient « une évaluation de la situation concernant des personnes identifiables » et qu’il « relève donc principalement de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, [sous] b), du règlement no 1049/2001 ». Le SEAE ajoute certes que, ledit rapport « cont[enant] les constatations effectuées par [A], la divulgation publique des documents porterait atteinte à la protection des données à caractère personnel des personnes concernées ». Il limite cependant la motivation de son appréciation à la reprise de la définition des données à caractère personnel et ne précise pas, même de manière succincte, les catégories de données à caractère personnel pour la protection desquelles il a opposé l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1049/2001. Le SEAE procède à un simple renvoi à la législation de l’Union applicable en la matière, sans préciser en quoi le refus opposé en application d’une telle législation aurait été apprécié en l’espèce en conformité avec cette législation. Une telle motivation ne permet pas de constater que le SEAE a procédé à l’examen concret et effectif qu’exige la jurisprudence.

39      Lorsqu’une réponse confirme, comme en l’espèce, le rejet d’une demande sur le fondement des mêmes motifs que ceux sur lesquels repose la décision initiale de rejet, il convient d’examiner le caractère suffisant de la motivation à la lumière des échanges entre l’institution et le demandeur, en tenant compte des informations que le demandeur avait à sa disposition quant à la nature et au contenu des documents sollicités (voir, en ce sens, arrêt du 6 avril 2000, Kuijer/Conseil, T‑188/98, EU:T:2000:101, point 44).

40      Or, la décision de refus initiale ne précise pas davantage les catégories de données à caractère personnel en cause, indiquant seulement, après s’être référée aux « éléments visés dans la plainte » déposée par le requérant et à « une série d’entretiens réalisés au cours de la mission par [A] », que, « [e]n outre, le rapport [litigieux] contient des données à caractère personnel, et nous estimons que l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement [no 1049/2001] ne permet pas au SEAE de rendre les informations ou documents concernés accessibles au public ».

41      Le SEAE fait valoir que le requérant avait une parfaite connaissance « des circonstances et des données sensibles qui doivent figurer dans le rapport [litigieux] » dans la mesure où ce rapport a été établi à la suite de la plainte déposée par le requérant et du fait que ce dernier a lui-même eu des entretiens avec A.

42      Il n’est certes pas exclu, conformément à la jurisprudence citée au point 37 ci-dessus, qu’une institution ou un organe de l’Union tienne compte dans la motivation d’un acte donné des informations pertinentes qui sont déjà connues par ses destinataires, ou qui devraient raisonnablement l’être, ce qui incombe à l’institution ou à l’organe de démontrer le cas échéant. Cette prise en compte ne saurait toutefois justifier une absence totale ou presque totale de motivation. En effet, la motivation exigée doit permettre non seulement aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise, mais également au juge de l’Union d’exercer son contrôle (arrêt du 19 novembre 2014, Ntouvas/ECDC, T‑223/12, non publié, EU:T:2014:975, points 49 et 50).

43      Le rapport litigieux ayant été rédigé dans le but de préparer une décision en matière disciplinaire à la suite de la plainte du requérant, ce dernier ne pouvait en effet ignorer que ledit rapport était susceptible de contenir des informations relatives aux personnes interrogées à la suite de cette plainte et notamment celles contre lesquelles celle-ci avait été dirigée, en particulier les noms de ces personnes.

44      Toutefois, la décision attaquée se réfère à l’existence de données à caractère personnel sans fournir de précisions quant aux catégories de données à caractère personnel figurant dans le rapport, en particulier, sans faire mention de données « nominatives ». Au demeurant, le SEAE indique, dans son mémoire en défense, n’avoir « jamais voulu invoquer [cette] exception dans le seul but de ne pas divulguer les noms des personnes interrogées », ni n’avoir « à aucun endroit [dit] que [cette] exception […] avait pour but la non-divulgation du nom des personnes interrogées, ni que les données à caractère personnel que l’institution voulait protéger se limi[taient] aux noms des[dites] personnes ». Il précise même que « le risque de divulgation des noms des personnes n’était pas la raison pour invoquer l’exception tirée de la protection des données personnelles ».

45      La circonstance que le requérant est l’auteur de la plainte à l’origine du rapport litigieux et qu’il a été entendu par A dans le cadre de sa mission ne permet pas d’établir que le requérant connaissait, d’une part, les catégories de données susceptibles d’être qualifiées de données à caractère personnel qui pouvaient figurer dans le rapport et être retenues par le SEAE au soutien de sa décision ni, d’autre part, les raisons pour lesquelles de telles données justifiaient, à l’égard de ce service, le refus opposé à la demande d’accès. Le SEAE ne saurait ainsi faire valoir que le requérant était parfaitement au courant du fait que le rapport litigieux contenait des données à caractère personnel relatives au comportement dans le service, le rendement, les perceptions subjectives des différentes actions et attitudes des personnes interrogées, l’attribution des potentielles irrégularités et erreurs dans la gestion des conflits et l’évaluation des comportements des différents acteurs, dès lors que ni la décision attaquée ni la décision initiale de rejet de la demande d’accès ne comportent une référence à ces données.

46      Pour les mêmes motifs et à supposer que le requérant, en sa qualité de conseiller politique, compte tenu de son niveau de responsabilité et de son grade, ainsi que de sa formation et de son expérience professionnelle, fût informé des principes généraux relatifs à la protection des données à caractère personnel ou des procédures administratives applicables aux missions PSDC ou en matière disciplinaire, ces seuls éléments ne lui permettaient pas davantage de connaître les données auxquelles le SEAE avait entendu précisément se référer pour justifier sa décision de lui refuser l’accès au rapport litigieux.

47      Par ailleurs, le SEAE ne saurait reprocher au requérant de ne pas avoir démontré la nécessité du transfert des données à caractère personnel à la divulgation desquelles il entendait s’opposer.

48      Ainsi que le rappelle le SEAE, le demandeur est certes tenu de démontrer, conformément à l’article 8, sous b), du règlement no 45/2001, en fournissant une justification expresse et légitime, la nécessité du transfert des données à caractère personnel contenues dans les documents auxquels il demande à accéder (voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2010, Commission/Bavarian Lager, C‑28/08 P, EU:C:2010:378, point 78). Si cette démonstration est apportée, il appartient alors à l’institution concernée de vérifier s’il n’existe aucune raison de penser que le transfert en cause pourrait porter atteinte aux intérêts légitimes de la personne concernée (arrêt du 25 septembre 2018, Psara e.a/Parlement, T‑639/15 à T‑666/15 et T‑94/16, EU:T:2018:602, point 88).

49      Il convient toutefois de rappeler qu’une motivation doit être, en principe, communiquée à l’intéressé en même temps que l’acte qui fait grief, son absence ne pouvant être régularisée par la communication à l’intéressé des motifs de l’acte au cours de la procédure devant le juge de l’Union [voir arrêt du 26 avril 2016, Strack/Commission, T‑221/08, EU:T:2016:242, point 101 (non publié) et jurisprudence citée]. Or, le SEAE n’a pas invoqué l’article 8, sous b), du règlement no 45/2001 au soutien de la décision attaquée, mais s’en est prévalu au stade de son mémoire en défense.

50      En tout état de cause, cette règle ne s’applique que dans l’hypothèse où l’acte en cause contiendrait des données à caractère personnel. Dans la mesure cependant où la motivation de la décision attaquée ne permet pas de vérifier, ainsi qu’il a été constaté au point 38 ci-dessus, si une telle condition est remplie en l’espèce, l’argument du SEAE est, pour ce motif, inopérant. 

51      En conséquence, le SEAE, en refusant l’accès au rapport litigieux sur le fondement de l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1049/2001 sans faire ressortir des motifs de la décision attaquée une description des données à caractère personnel qui pouvaient figurer dans ledit rapport et les raisons pour lesquelles il a estimé que le transfert de ces données aurait porté effectivement et concrètement atteinte aux intérêts légitimes des personnes concernées, a entaché cette décision d’une insuffisance de motivation.

52      Compte tenu de ce qui précède, le moyen tiré du défaut de motivation du motif pris de l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1049/2001 doit être accueilli.

53      Chacun des deux autres motifs de refus d’accès retenus par le SEAE étant susceptible de fonder la décision attaquée, il convient d’examiner les autres moyens du requérant.

 Sur l’application de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 

54      Le requérant soutient que le SEAE n’a pas démontré en quoi l’accès au rapport litigieux, en tout ou en partie, aurait effectivement et concrètement porté atteinte à la protection de l’objectif de l’inspection ad hoc confiée à A alors que celle-ci avait été close par la remise dudit rapport. Il soutient, en outre, qu’il ne ressort pas des motifs de la décision attaquée que le SEAE a procédé à un examen concret du risque d’atteinte à la protection des objectifs des activités d’enquête avant de faire application de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001.

55      Le SEAE conclut au rejet du moyen. Il fait valoir que la divulgation du rapport litigieux, qui ne constitue pas le résultat de l’enquête au sens du code de conduite applicable aux missions PSDC, aurait compromis les « objectifs de l’inspection », car elle aurait pu avoir pour conséquence la destruction des indices et des preuves nécessaires à l’enquête. Il ajoute que la protection des objectifs de l’enquête se justifiait aussi par la nécessité de prévenir tout risque d’influence a posteriori des témoins par les personnes incriminées.

56      Selon le SEAE, il est d’autant plus nécessaire de ne pas divulguer un rapport d’inspection ad hoc lorsque celui-ci contient, comme en l’espèce, des données à caractère personnel sensibles, dont la divulgation compromettrait la méthode même de travail suivie par une mission PSDC et ferait ainsi obstacle à ce que le commandant des opérations civiles prenne connaissance des faits de la cause, dans des environnements parfois hostiles.

57      Enfin, le SEAE estime que, dans la mesure où le requérant avait une bonne connaissance des procédures administratives suivies dans les missions PSDC, la motivation de la décision attaquée devait être compréhensible pour lui sur ce point.

58      L’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 dispose que « [l]es institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection […] des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit […] à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé ».

59      Cette disposition qui, comme toute exception au droit d’accès aux documents, doit être interprétée et appliquée strictement, ne vise pas à protéger les activités d’enquête en tant que telles, mais les objectifs poursuivis par ces activités (arrêt du 5 avril 2017, France/Commission, T‑344/15, EU:T:2017:250, point 83). L’exception n’est donc applicable que si la divulgation des documents en cause risque de mettre en péril l’achèvement de telles activités (voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 2006, Franchet et Byk/Commission, T‑391/03 et T‑70/04, EU:T:2006:190, point 109).

60      Cette exception est également applicable à un rapport d’enquête ou d’inspection dont la divulgation mettrait en péril des activités d’inspection ou d’enquête qui se poursuivraient, dans un délai raisonnable, sur la base de son contenu (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2011, Toland/Parlement, T‑471/08, EU:T:2011:252, point 47), même si l’enquête ou l’inspection ayant donné lieu audit rapport, auquel l’accès est demandé, est close (voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 2006, Franchet et Byk/Commission, T‑391/03 et T‑70/04, EU:T:2006:190, point 110). Dans cette hypothèse, il convient alors de vérifier si, à la date de la décision refusant l’accès aux documents sollicités, étaient encore en cours des activités d’inspection ou d’enquête qui auraient pu être mises en péril par la divulgation de tels documents, et si ces activités se sont poursuivies dans un délai raisonnable (voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 2006, Franchet et Byk/Commission, T‑391/03 et T‑70/04, EU:T:2006:190, point 113). 

61      Il convient, en outre, de préciser qu’une activité d’enquête, au sens de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, constitue une procédure structurée et formalisée dont l’objectif est la collecte et l’analyse d’informations afin que l’institution concernée puisse adopter une position dans le cadre de l’exercice de ses fonctions prévues par les traités UE et FUE. Cette procédure ne doit pas nécessairement viser à détecter ou à poursuivre une infraction ou une irrégularité. La notion d’enquête, au sens de ladite disposition, est susceptible de couvrir également une activité visant à constater des faits afin d’évaluer une situation donnée (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2017, France/Schlyter, C‑331/15 P, EU:C:2017:639, points 46 et 47).

62      En l’espèce, la décision attaquée, s’agissant de la mise en œuvre de l’exception tirée de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, énonce ce qui suit :

« [L]e rapport [litigieux] ne fait pas partie d’une procédure disciplinaire officielle, mais il a été établi afin de faciliter la compréhension de la situation et des circonstances problématiques au sein de la mission EUCAP SAHEL comme cela a été signalé au commandant des opérations civiles. Ce rapport s’inscrit plutôt dans le cadre de l’évaluation préliminaire et constitue de ce fait un outil de gestion qui permet de faciliter la décision des autorités compétentes. En tant que tel, il est considéré comme une mesure générale de gestion au sein de la structure hiérarchique avant l’adoption de toute décision ayant une incidence sur la situation de la personne faisant l’objet de l’inspection. Par conséquent, la divulgation publique du rapport [litigieux] compromettrait gravement le processus de prise de décision de l’institution ainsi que l’objectif de l’enquête et relève de l’exception visée à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, et à l’article 4, paragraphe 3, du règlement [no 1049/2001]. »

63      La décision initiale de rejet de la demande d’accès précisait quant à elle ce qui suit :

« Après avoir examiné le [rapport litigieux], la division responsable est arrivée à la conclusion qu’il contient une évaluation des éléments visés dans la plainte [du requérant], datée du 17 juillet et complétée le 28 juillet 2017, et dirigée contre le chef de mission et le chef de mission adjoint de la mission PSDC de l’Union européenne au Niger (EUCAP Sahel Niger). Ce rapport se fonde sur une série d’entretiens réalisés au cours de la mission conduite par [A] les 25 et 26 juillet 2017. L’objectif de ce rapport était de fournir au commandant adjoint des opérations civiles une évaluation lui permettant de prendre une décision quant à l’ouverture d’une enquête préliminaire en vertu du code de conduite pour les missions civiles. Le rapport, destiné à un usage interne, fait partie de délibérations et de consultations préliminaires au sein de l’administration et il constitue le résultat d’une inspection ad hoc menée en vue de préparer une décision en matière disciplinaire (à savoir une décision d’ouvrir une enquête préliminaire en vertu du code de conduite pour les missions civiles). Par conséquent, sa divulgation est rendue impossible par les exceptions prévues à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, et à l’article 4, paragraphe 3, du règlement [no 1049/2001]. »

64      La décision initiale précisait également que le SEAE « [avait] examiné s’il existait un intérêt public supérieur justifiant la divulgation d[u rapport litigieux] mais [n’avait] pas été en mesure d’en trouver un ».

65      Il ressort de la décision attaquée que le SEAE a opposé l’exception tirée de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 en fondant principalement son appréciation sur la nature du document demandé, le qualifiant de « mesure générale de gestion », d’« outil de gestion », ou encore de « rapport destiné à un usage interne », faisant partie « de délibérations et de consultations préliminaires ». Or il lui appartenait de fonder sa décision sur les éléments d’information contenus dans le rapport en question dès lors que le principe d’accès aux documents ne s’applique pas aux documents eux-mêmes, mais aux éléments d’information qu’ils contiennent (voir, en ce sens, arrêts du 6 décembre 2001, Conseil/Hautala, C‑353/99 P, EU:C:2001:661, point 31, et du 6 juillet 2006, Franchet et Byk/Commission, T‑391/03 et T‑70/04, EU:T:2006:190, point 130). Or, la décision attaquée ne se réfère pas à de tels éléments, sinon de manière vague, le SEAE se bornant à faire référence aux « éléments visés dans la plainte » du requérant et à une « série d’entretiens réalisés au cours de la mission conduite par [A] ».

66      Le SEAE a ainsi affirmé in abstracto que la divulgation du rapport litigieux aurait « compromis » l’objectif de l’enquête, sans démontrer que l’exception invoquée s’appliquait à l’ensemble des informations contenues dans ledit rapport. Il n’a pas précisé de quelle enquête il entendait se prévaloir, notamment s’il se référait à l’inspection ad hoc menée par A ou à l’enquête préliminaire que le commandant adjoint des opérations civiles était susceptible d’ouvrir sur la base dudit rapport.

67      Le SEAE a indiqué, devant le Tribunal, que la divulgation aurait compromis les objectifs de l’inspection au motif, d’une part, qu’elle aurait été susceptible de conduire à la destruction d’indices, d’autre part, que le refus de divulguer permettait de protéger les témoins. Il ne saurait, toutefois, conformément à la jurisprudence citée au point 49 ci-dessus, régulariser devant le juge de l’Union la motivation de la décision attaquée.

68      Le SEAE ne peut davantage soutenir que la décision attaquée est suffisamment motivée en raison du niveau de connaissance que le requérant est supposé avoir des circonstances de l’espèce, et notamment des procédures administratives suivies dans les missions PSDC. À supposer que le requérant ait eu une telle connaissance de ces procédures administratives, cette information ne lui permettait pas de connaître les raisons pour lesquelles le SEAE estimait que la divulgation du rapport litigieux portait atteinte à la protection des objectifs des activités d’enquête qu’il entendait protéger.

69      En conséquence, le requérant est fondé à soutenir qu’il ne ressort pas des motifs de la décision attaquée que le SEAE a concrètement et effectivement apprécié les raisons pour lesquelles la divulgation du rapport litigieux était susceptible de porter atteinte à l’intérêt protégé par l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2201.

70      Compte tenu de ce qui précède, le moyen tiré du défaut de motivation du motif pris de l’application de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 doit également être accueilli.

 Sur l’application de l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001

71      Le requérant soutient qu’il ne ressort pas de la décision attaquée que le SEAE a procédé à un examen des circonstances de l’espèce susceptible de démontrer que la divulgation du rapport litigieux risquait de porter concrètement et effectivement atteinte au processus décisionnel que le service entendait protéger. Il souligne que la motivation sur ce point ne précise pas à laquelle des deux hypothèses visées à l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001 le SEAE a entendu se référer pour refuser l’accès au rapport litigieux. Le SEAE n’aurait pas justifié non plus que le besoin de protection du processus décisionnel était réel.

72      Le SEAE conclut au rejet du moyen en se prévalant des mêmes arguments que ceux avancés au soutien de la réfutation du moyen tiré d’une violation de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, et tels que présentés aux points 55 à 57 ci-dessus.

73      L’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001 dispose ce qui suit :

« L’accès à un document établi par une institution pour son usage interne ou reçu par une institution et qui a trait à une question sur laquelle celle-ci n’a pas encore pris de décision est refusé dans le cas où sa divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel de cette institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

L’accès à un document contenant des avis destinés à l’utilisation interne dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires au sein de l’institution concernée est refusé même après que la décision a été prise, dans le cas où la divulgation du document porterait gravement atteinte au processus décisionnel de l’institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé. »

74      Cette disposition opère une distinction claire en fonction, précisément, de la circonstance qu’une procédure est close ou non. Le législateur de l’Union considère que, une fois la décision adoptée, les exigences de protection du processus décisionnel présentent une acuité moindre, de sorte que la divulgation de tout document autre que ceux mentionnés à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001 ne peut jamais porter atteinte audit processus et que le refus de divulgation d’un tel document ne saurait être autorisé, alors même que la divulgation de celui-ci aurait porté gravement atteinte à ce processus si elle avait eu lieu avant l’adoption de la décision en cause (voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2011, Suède/MyTravel et Commission, C‑506/08 P, EU:C:2011:496, points 78 à 80).

75      En l’espèce, pour justifier de l’application de l’exception tirée de l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001, le SEAE s’est fondé sur les mêmes considérations que celles avancées au soutien de l’exception tirée de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du même règlement, telles que rappelées aux points 55 à 57 ci-dessus.

76      À cet égard, il convient d’observer que, dans la décision attaquée, le SEAE n’a pas précisé s’il entendait fonder son refus d’accès sur l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 ou sur le second alinéa de ce texte.

77      En outre, la décision attaquée ne comporte aucun élément permettant de conclure que le risque d’atteinte au processus décisionnel que le SEAE entendait protéger était raisonnablement prévisible et non purement hypothétique. La décision attaquée ne précise pas en quoi l’accès au rapport litigieux était de nature à porter gravement atteinte au processus décisionnel en cause. En particulier, le SEAE ne formule aucun motif dont il résulterait, par exemple, qu’un tel accès aurait affecté de manière grave la prise de décision du commandant adjoint des opérations civiles quant à l’ouverture d’une enquête préliminaire en matière disciplinaire.

78      En se bornant à renvoyer de manière générale aux dispositions de la législation qu’il entendait appliquer, se référant seulement à la nature du rapport litigieux, sans procéder à un examen circonstancié justifiant que l’accès au rapport litigieux aurait effectivement et concrètement porté une atteinte grave au processus décisionnel qu’il entendait protéger, le SEAE n’a pas motivé sa décision.

79      Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré du défaut de motivation du motif pris de l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001 doit tout autant être accueilli.

80      Aucune des trois exceptions opposées par le SEAE n’étant motivée de manière suffisante dans la décision attaquée, celle-ci doit être annulée dans son intégralité, sans qu’il soit besoin d’examiner le grief tiré du défaut de motivation du refus de donner un accès partiel au rapport litigieux, ni le moyen, soulevé à titre subsidiaire, tiré de la violation du principe de proportionnalité.

  Sur les dépens

81      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le SEAE ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du 24 octobre 2018 par laquelle le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) a rejeté la demande confirmative d’accès aux documents de M. Marco Montanari du 13 septembre 2018 est annulée.

2)      Le SEAE est condamné aux dépens.

da Silva Passos

Valančius

Truchot

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 décembre 2019.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

R. da Silva Passos



*      Langue de procédure : le français.