Language of document : ECLI:EU:C:2023:234

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

23 mars 2023 (*)

« Renvoi préjudiciel – Droits d’accise – Directive 2008/118/CE – Article 16, paragraphe 1 – Autorisation d’agir en tant qu’entrepôt fiscal de produits soumis à accise – Mesures de suspension successives – Caractère pénal – Articles 48 et 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne –– Principe de la présomption d’innocence – Principe ne bis in idem – Proportionnalité »

Dans l’affaire C‑412/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunalul Satu Mare (tribunal de grande instance de Satu Mare, Roumanie), par décision du 9 juin 2021, parvenue à la Cour le 6 juillet 2021, dans la procédure

Dual Prod SRL

contre

Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Cluj-Napoca Comisia regională pentru autorizarea operatorilor de produse supuse accizelor armonizate,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos (rapporteur), président de chambre, Mme L. S. Rossi, MM. J.–C. Bonichot, S. Rodin et Mme O. Spineanu–Matei, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Dual Prod SRL, par Mes D. Pătrăuş, A. Şandru et T.D. Vidrean-Căpuşan, avocați,

–        pour le gouvernement roumain, par Mmes E. Gane et A. Wellman, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme G. Galluzzo, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par Mmes A. Armenia et J. Jokubauskaitė, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 octobre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/118/CE du Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE (JO 2009, L 9, p. 12), ainsi que de l’article 48, paragraphe 1, et de l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Dual Prod SRL à la Direcţia Generală Regională a Finanțelor Publice Cluj-Napoca – Comisia regională pentru autorizarea operatorilor de produse supuse accizelor armonizate (direction générale régionale des finances publiques de Cluj-Napoca – commission régionale pour l’autorisation des produits soumis à l’accise harmonisée, Roumanie) visant notamment l’annulation de la décision par laquelle cette dernière a suspendu l’autorisation d’agir en tant qu’entrepôt fiscal de produits soumis à accise, détenue par Dual Prod.

 Le cadre juridique

 Le droit de lUnion

3        Les considérants 15 et 16 de la directive 2008/118 énonçaient :

« (15)      Étant donné qu’il faut effectuer des contrôles dans les unités de production et de stockage afin d’assurer que la dette fiscale est perçue, il est nécessaire de conserver un système d’entrepôts, soumis à l’agrément des autorités compétentes, pour faciliter ces contrôles.

(16)      Il est également nécessaire de fixer les obligations auxquelles doivent se conformer les entrepositaires agréés ainsi que les opérateurs qui n’ont pas la qualité d’entrepositaire agréé. »

4        L’article 1er, paragraphe 1, de cette directive disposait :

« La présente directive établit le régime général des droits d’accise frappant directement ou indirectement la consommation des produits suivants, ci-après dénommés “produits soumis à accise” :

[...]

b)      l’alcool et les boissons alcoolisées relevant des directives 92/83/CEE [du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques (JO 1992, L 316, p. 21)] et 92/84/CEE [du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant le rapprochement des taux d’accises sur l’alcool et les boissons alcoolisées (JO 1992, L 316, p. 29)] ;

[...] »

5        L’article 4 de ladite directive prévoyait :

« Aux fins de la présente directive et de ses modalités d’application, on entend par :

1)      “entrepositaire agréé”, une personne physique ou morale autorisée par les autorités compétentes d’un État membre, dans l’exercice de sa profession, à produire, transformer, détenir, recevoir ou expédier des produits soumis à accise sous un régime de suspension de droits dans un entrepôt fiscal ;

[...]

7)       “régime de suspension de droits”, un régime fiscal applicable à la production, à la transformation, à la détention ou à la circulation de produits soumis à accise non couverts par une procédure douanière suspensive ou par un régime douanier suspensif, les droits d’accise étant suspendus ;

[...]

11)      “entrepôt fiscal”, un lieu où les produits soumis à accise sont produits, transformés, détenus, reçus ou expédiés sous un régime de suspension de droits par un entrepositaire agréé dans l’exercice de sa profession dans certaines conditions fixées par les autorités compétentes de l’État membre dans lequel se situe l’entrepôt fiscal. »

6        Aux termes de l’article 15 de la même directive :

« 1.      Chaque État membre détermine sa réglementation en matière de production, de transformation et de détention des produits soumis à accise, dans le respect de la présente directive.

2.      La production, la transformation et la détention de produits soumis à accise en suspension de droits d’accise se déroulent dans un entrepôt fiscal. »

7        L’article 16 de la directive 2008/118 était ainsi libellé :

« 1.      L’ouverture et l’exploitation d’un entrepôt fiscal par un entrepositaire agréé sont subordonnées à l’autorisation des autorités compétentes de l’État membre dans lequel l’entrepôt fiscal est situé.

Cette autorisation est soumise aux conditions que les autorités sont en droit de fixer afin de prévenir toute forme éventuelle de fraude ou d’abus.

2.      L’entrepositaire agréé est tenu :

[...]

b)      de se conformer aux obligations prescrites par l’État membre sur le territoire duquel l’entrepôt fiscal est situé ;

[...]

d)      d’introduire dans son entrepôt fiscal et d’inscrire dans sa comptabilité, dès la fin du mouvement, tous les produits soumis à accise circulant sous un régime de suspension de droits, sauf lorsque l’article 17, paragraphe 2, s’applique ;

e)       de se prêter à tout contrôle et à toute vérification de ses stocks. 

[...] »

 Le droit roumain

8        L’article 364, paragraphe 1, sous d), de la Legea nr. 227/2015 privind Codul Fiscal (loi no 227/2015, portant code des impôts), du 8 septembre 2015 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 688 du 10 septembre 2015, ci-après le « code des impôts »), énonce :

« L’autorité compétente délivre l’autorisation d’entrepôt fiscal pour un établissement uniquement si les conditions suivantes sont remplies :

[...]

d)      dans le cas d’une personne physique qui exercera son activité en tant qu’entrepositaire agréé, qu’elle ne soit pas incapable, qu’elle n’ait pas fait l’objet d’une condamnation définitive ou sous condition pour les infractions pénales suivantes :

[...]

12.      les infractions pénales prévues par le présent code. »

9        L’article 369, paragraphe 3, de ce code dispose :

« Sur proposition des organes de contrôle, l’autorité compétente peut suspendre l’autorisation d’un entrepôt fiscal :

[...]

b)      pour une période d’un à douze mois, lorsqu’il est constaté que l’un des faits visés à l’article 452, paragraphe 1, sous b) à e), g) et i), a été commis ;

c)      jusqu’à ce que l’affaire pénale ait été définitivement jugée, lorsque l’action pénale a été engagée pour les infractions visées à l’article 364, paragraphe 1, sous d) ;

[...] »

10      L’article 452 dudit code prévoit :

« (1) Constituent des infractions pénales les faits suivants :

[...]

h)      la détention par toute personne en dehors de l’entrepôt fiscal ou la commercialisation sur le territoire roumain des produits soumis à accise et au marquage, conformément au présent titre, lorsque ces produits ne sont pas marqués ou sont marqués de manière inappropriée ou avec des marques fausses, au-delà de la limite de 10 000 cigarettes, 400 cigares de trois grammes, 200 cigares supérieurs à trois grammes, un kilogramme de tabac à fumer, 40 litres d’alcool éthylique, 200 litres de boissons spiritueuses, 300 litres de produits intermédiaires, 300 litres de boissons fermentées autres que la bière et les vins ;

i)      l’utilisation de conduites mobiles, de tuyaux élastiques ou d’autres conduites de ce type, l’utilisation de réservoirs non calibrés ainsi que la pose en amont des compteurs de canaux ou robinets par lesquels il est possible d’extraire des quantités d’alcool ou d’eaux-de-vie non couvertes par le système de comptage ;

[...]

(3)      Après avoir constaté les faits visés au paragraphe (1), sous b) à e), g) et i), l’autorité de contrôle compétente ordonne l’arrêt de l’activité, la mise sous scellés de l’installation conformément aux procédures technologiques de fermeture de l’installation et transmet l’acte de contrôle à l’autorité fiscale qui a délivré l’autorisation, avec la proposition de suspension de l’autorisation d’entrepôt fiscal. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

11      Dual Prod est une société de droit roumain bénéficiant d’une autorisation d’exercer dans le domaine de la production d’alcool et de boissons alcoolisées soumis à accise.

12      Le 1er août 2018, une perquisition a été réalisée dans les locaux de cette société.

13      À la suite de cette perquisition, une procédure pénale a été ouverte in rem en raison de soupçons d’infractions à l’article 452, paragraphe 1, sous h) et i), du code des impôts consistant, d’une part, dans l’évacuation et la détention, en dehors de l’entrepôt fiscal, d’une quantité supérieure à 40 litres d’alcool éthylique ayant un titre alcoométrique de minimum 96 % en volume et, d’autre part, dans le montage d’un tuyau sur l’installation de production.

14      Par une décision du 5 septembre 2018, l’autorité administrative compétente a suspendu l’autorisation de Dual Prod d’agir en tant qu’entrepôt fiscal de produits soumis à accise, pour une période de douze mois, sur le fondement de l’article 369, paragraphe 3, sous b), du code des impôts. Cette autorité a interprété cette disposition en ce sens que celle-ci permet d’infliger une telle suspension en raison de simples indices de la commission d’infractions pénales à la réglementation des produits soumis à accise.

15      Le 13 décembre 2019, la Curtea de Apel Oradea (cour d’appel d’Oradea, Roumanie), saisie par Dual Prod d’un recours contre la décision du 5 septembre 2018, a réduit la durée de cette suspension à huit mois, après avoir considéré que le fait d’imposer la durée de suspension maximale prévue à l’article 369, paragraphe 3, sous b), du code des impôts était manifestement disproportionné. Ladite suspension a été intégralement exécutée.

16      Après que Dual Prod a acquis, le 21 octobre 2020, le statut de prévenu dans le cadre de la procédure pénale, entamée à la suite de la perquisition du 1er août 2018, l’autorité administrative compétente a suspendu, une nouvelle fois, en vertu de l’article 369, paragraphe 3, sous c), du code des impôts, l’autorisation de Dual Prod d’agir en tant qu’entrepôt fiscal de produits soumis à accise, jusqu’à l’issue définitive de la procédure pénale. Dual Prod a contesté cette décision devant le Tribunalul Satu Mare (tribunal de grande instance de Satu Mare, Roumanie).

17      Cette juridiction observe que la directive 2008/118 contient des dispositions générales relatives à l’autorisation des entrepôts fiscaux. Elle en déduit que les principes de la présomption d’innocence et ne bis in idem, tels qu’ils sont consacrés à l’article 48, paragraphe 1, et à l’article 50 de la Charte, peuvent être pertinents en l’occurrence.

18      À cet égard, ladite juridiction se demande, en premier lieu, si le principe de la présomption d’innocence s’oppose à ce qu’une autorité administrative suspende, pour une durée indéfinie, l’autorisation d’agir en tant qu’entrepôt fiscal de produits soumis à accise, détenue par une personne morale, au seul motif qu’il existe des indices que cette dernière aurait commis une infraction, et avant même qu’une juridiction ait définitivement statué sur la culpabilité de cette personne.

19      Ladite juridiction souligne que la suspension de l’autorisation octroyée à Dual Prod semble indiquer que cette société est considérée comme étant coupable et que la procédure pénale est pendante depuis, désormais, plus de trois ans.

20      S’agissant, en second lieu, du principe ne bis in idem, la juridiction de renvoi se demande si le fait d’infliger à une personne morale, pour les mêmes faits, deux sanctions de même nature dans le cadre d’une procédure fiscale, au seul motif qu’une procédure pénale parallèle est parvenue à un certain stade, est compatible avec l’article 50 de la Charte.

21      Dans ces conditions, le Tribunalul Satu Mare (tribunal de grande instance de Satu Mare) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Les dispositions de l’article 48, paragraphe 1, de la Charte relatives au principe de la présomption d’innocence, lues en combinaison avec les dispositions de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/118, peuvent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une situation juridique, telle que celle de l’espèce, dans laquelle une mesure administrative de suspension d’une autorisation d’exploitation en tant que producteur d’alcool peut être ordonnée sur le fondement de simples présomptions faisant l’objet d’une enquête pénale en cours, sans qu’il y ait de décision de justice définitive de condamnation pénale ?

2)      Les dispositions de l’article 50 de la Charte relatives au principe ne bis in idem, lues en combinaison avec les dispositions de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/118, peuvent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une situation juridique, telle que celle de l’espèce, qui implique que deux sanctions de même nature (la suspension de l’autorisation d’exploitation en tant que producteur d’alcool) sont infligées à la même personne pour les mêmes faits, la seule différence étant la durée des sanctions ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Observations liminaires

22      En premier lieu, il convient de rappeler que le champ d’application de la Charte, pour ce qui est de l’action des États membres, est défini à l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, aux termes duquel les dispositions de la Charte s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, cette disposition confirmant la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais pas en-dehors de celles-ci [arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 78 ainsi que jurisprudence citée]. 

23      En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que, parallèlement à l’ouverture d’une procédure pénale in rem à la suite d’une perquisition dans les locaux de Dual Prod, l’autorité administrative compétente a suspendu, en vertu de l’article 369, paragraphe 3, sous b), du code des impôts, pour une durée de douze mois, l’autorisation d’agir en tant qu’entrepôt fiscal de produits soumis à accise, accordée à cette société. Cette suspension a été ramenée à huit mois, à la suite d’un recours introduit par Dual Prod. Au terme de cette suspension, cette autorité administrative a suspendu à nouveau, en vertu de l’article 369, paragraphe 3, sous c), du code des impôts, la même autorisation, pour une durée indéterminée, au motif que Dual Prod avait acquis le statut de prévenu dans le cadre des poursuites pénales engagées contre lui à la suite d’une perquisition dans ses locaux.

24      Il s’ensuit que les mesures de suspension en cause au principal sont liées à des manquements supposés aux obligations qui sont imposées, par la réglementation roumaine, aux titulaires d’une autorisation d’agir en tant qu’entrepôt fiscal de produits soumis à accise, afin de prévenir toute forme de fraude ou d’abus.

25      À cet égard, il convient de rappeler que, dans le champ d’application de la directive 2008/118, qui a pour objet d’établir un régime général harmonisé des droits d’accise, la prévention de la fraude et des abus constitue un objectif commun tant du droit de l’Union que des droits des États membres. En effet, d’une part, ces derniers ont un intérêt légitime à prendre les mesures appropriées pour protéger leurs intérêts financiers et, d’autre part, la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif poursuivi par cette directive, comme les considérants 15 et 16 et l’article 16 de celle-ci le confirment (voir, en ce sens, arrêt du 13 janvier 2022, MONO, C‑326/20, EU:C:2022:7, points 28 et 32 ainsi que jurisprudence citée).

26      Partant, lorsqu’un État membre suspend l’autorisation requise pour exploiter un entrepôt fiscal, au sens de la directive 2008/118, en raison d’indices de la commission d’infractions pénales à la réglementation des produits soumis à accise, il met en œuvre cette directive et, donc, le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte et doit, partant, respecter les dispositions de la Charte.

27      En deuxième lieu, s’il revient, en définitive, à la juridiction de renvoi d’apprécier si les deux mesures de suspension en cause au principal sont susceptibles d’être qualifiées de « sanctions de nature pénale », aux fins de l’application de l’article 48, paragraphe 1, et de l’article 50 de la Charte, il importe, toutefois, de rappeler que trois critères sont pertinents à cet égard. Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le deuxième la nature même de l’infraction et le troisième le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé (voir, en ce sens, arrêts du 5 juin 2012, Bonda, C‑489/10, EU:C:2012:319, point 37, et du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 25).

28      S’agissant du premier critère, il n’apparaît pas que les mesures de suspension en cause au principal soient qualifiées de « pénales » par le droit roumain.

29      Cela étant, il convient de souligner, premièrement, que l’application des dispositions de la Charte protégeant les personnes accusées pénalement ne se limite pas aux seules poursuites et sanctions qui sont qualifiées de « pénales » par le droit national, mais s’étend – indépendamment d’une telle qualification en droit interne – à des poursuites et à des sanctions qui doivent être considérées comme présentant une nature pénale sur le fondement des deux autres critères visés au point 27 du présent arrêt (arrêt du 20 mars 2018, Menci, C‑524/15, EU:C:2018:197, point 30).

30      S’agissant, deuxièmement, du critère relatif à la nature même de l’infraction, il implique de vérifier si la mesure en cause poursuit, notamment, une finalité répressive, sans que la seule circonstance qu’elle poursuit également une finalité préventive soit de nature à lui ôter sa qualification de sanction pénale. En effet, il est dans la nature même des sanctions pénales qu’elles tendent tant à la répression qu’à la prévention de comportements illicites. En revanche, une mesure qui se limite à réparer le préjudice causé par l’infraction concernée ne présente pas une nature pénale [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité), C‑439/19, EU:C:2021:504, point 89].

31      En l’occurrence, il apparaît que les mesures de suspension ont été imposées à Dual Prod en parallèle avec une procédure pénale et qu’elles n’ont pas vocation à réparer le préjudice causé par l’infraction.

32      Cela étant, il importe également de relever que ces mesures de suspension relèvent du régime de circulation des produits soumis à accise et placés sous un régime suspensif, instauré par la directive 2008/118, dans lequel les entrepositaires fiscaux jouent un rôle central (voir, à cet égard, arrêt du 2 juin 2016, Kapnoviomichania Karelia, C‑81/15, EU:C:2016:398, point 31). En effet, il ressort de la décision de renvoi que lesdites mesures n’ont vocation à s’appliquer qu’aux opérateurs économiques qui sont titulaires d’une autorisation d’agir en tant qu’entrepôt fiscal de produits soumis à accise, au sens des articles 15 et 16 de cette directive, en les privant temporairement des bénéfices découlant d’une telle autorisation.

33      Dès lors, des mesures de suspension telles que celles en cause au principal visent non pas le public en général, mais une catégorie particulière de destinataires qui, parce qu’ils exercent une activité spécifiquement réglementée par le droit de l’Union, sont tenus de satisfaire aux conditions requises pour bénéficier d’une autorisation, délivrée par les États membres et leur conférant des prérogatives déterminées. Il revient donc à la juridiction de renvoi d’examiner si les mesures en cause au principal consistent à suspendre l’exercice de ces prérogatives au motif que l’autorité administrative compétente a estimé que les conditions d’attribution de cette autorisation ne sont plus ou risquent de ne plus être satisfaites, ce qui militerait en faveur de la constatation que de telles mesures ne poursuivent pas une finalité répressive.

34      Un tel indice paraît également résulter du fait que l’article 369, paragraphe 3, sous b) et c), du code des impôts ne semble pas imposer à l’autorité administrative compétente de prononcer les mesures de suspension en cause au principal, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

35      S’agissant, plus particulièrement, de la première mesure de suspension imposée à Dual Prod, il revient également à la juridiction de renvoi d’examiner la raison pour laquelle l’autorité administrative compétente a décidé de suspendre l’autorisation de cette société pour une durée de douze mois, à savoir la durée maximale autorisée à l’article 369, paragraphe 3, sous b), du code des impôts, tout comme la raison pour laquelle une telle durée a été réduite à huit mois par la juridiction ayant statué sur le recours introduit par Dual Prod, afin de déterminer si les motifs ayant justifié de telles décisions font apparaître une finalité préventive ou répressive.

36      En ce qui concerne la seconde mesure de suspension imposée à Dual Prod, sur le fondement de l’article 369, paragraphe 3, sous c), du code des impôts, il importe de noter que cette dernière cesse non pas à un moment prédéterminé, mais seulement à l’issue de la procédure pénale en cours, ce qui paraît davantage caractéristique d’une mesure à finalité préventive ou conservatoire que répressive.

37      S’agissant, troisièmement, du critère relatif à la sévérité de la sanction encourue, il importe de relever que, si chacune des deux mesures de suspension, en cause au principal, est susceptible d’emporter des conséquences économiques négatives pour Dual Prod, celles-ci sont toutefois inhérentes à la nature préventive ou conservatoire que paraissent avoir de telles mesures et n’atteignent, en principe, pas le degré de sévérité requis pour qu’elles soient qualifiées comme étant de nature pénale dès lors, notamment, qu’elles n’empêchent pas cette société de continuer à exercer, au cours de ces périodes de suspension, des activités économiques ne requérant pas une autorisation d’agir en tant qu’entrepôt fiscal de produits soumis à accise.

 Sur la première question

38      Ainsi qu’il ressort du point 16 du présent arrêt, la juridiction de renvoi est saisie d’un recours visant à contester la légalité de la seconde mesure de suspension prononcée à l’égard de Dual Prod, en vertu de l’article 369, paragraphe 3, sous c), du code des impôts.

39      Il s’ensuit que, par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 48, paragraphe 1, de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une autorisation d’agir en tant qu’entrepôt fiscal de produits soumis à accise puisse être suspendue administrativement, jusqu’à l’issue d’une procédure pénale, au seul motif que le titulaire de cette autorisation a acquis le statut de prévenu dans le cadre de cette procédure pénale.

40      L’article 48, paragraphe 1, de la Charte vise à garantir à toute personne qu’elle ne sera pas désignée ni traitée comme étant coupable d’une infraction avant que sa culpabilité n’ait été établie (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2009, Rubach, C‑344/08, EU:C:2009:482, point 31).

41      Si cette disposition ne s’oppose pas, par principe, à ce qu’une sanction de nature pénale soit imposée par une autorité administrative (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Schindler Holding e.a./Commission, C‑501/11 P, EU:C:2013:522, point 35), ladite disposition se trouve, en revanche, violée lorsqu’une autorité administrative adopte une sanction de nature pénale sans avoir constaté, au préalable, la violation d’une règle de droit préétablie et avoir offert à la personne concernée la possibilité de se disculper, le doute devant profiter à cette personne (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, NKT Verwaltung et NKT/Commission, C‑607/18 P, non publié, EU:C:2020:385, points 234, 235 et 237 ainsi que jurisprudence citée).

42      En outre, l’article 47 de la Charte requiert que tout destinataire d’une sanction administrative à caractère pénal dispose d’une voie de recours lui permettant de faire contrôler cette sanction par un juge disposant d’une compétence de pleine juridiction (arrêt du 18 juillet 2013, Schindler Holding e.a./Commission, C‑501/11 P, EU:C:2013:522, points 32 à 35), cette voie de recours permettant, notamment, que soit vérifié que l’autorité administrative n’a pas méconnu le principe de la présomption d’innocence.

43      Il s’ensuit que, si la juridiction de renvoi estimait qu’une mesure de suspension, telle que celle visée au point 39 du présent arrêt, constitue une sanction pénale, aux fins de l’application de l’article 48, paragraphe 1, de la Charte, le principe de la présomption d’innocence, consacré à cette disposition, s’opposerait à ce qu’une telle mesure soit adoptée, alors même qu’il n’a pas encore été statué sur la culpabilité pénale de la personne ainsi sanctionnée.

44      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’article 48, paragraphe 1, de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une autorisation d’agir en tant qu’entrepôt fiscal de produits soumis à accise puisse être suspendue administrativement, jusqu’à l’issue d’une procédure pénale, au seul motif que le titulaire de cette autorisation a acquis le statut de prévenu dans le cadre de cette procédure pénale, si cette suspension constitue une sanction de nature pénale.

 Sur la seconde question

 Sur la recevabilité

45      Dans la mesure où le gouvernement italien semble soutenir que la seconde question est irrecevable au motif que la juridiction de renvoi n’a pas suffisamment fait apparaître en quoi les faits ayant donné lieu aux deux mesures de suspension, en cause au principal, sont identiques, il y a lieu de rejeter cet argument.

46      En effet, il suffit de relever qu’il ressort clairement de la motivation de la décision de renvoi ainsi que du libellé de la seconde question que, selon cette juridiction, les deux mesures de suspension en cause au principal ont été adoptées en raison des mêmes faits constatés à l’occasion de la perquisition dans les locaux de Dual Prod, ceux-ci ayant amené à soupçonner cette société d’avoir commis des infractions pénales prévues par la législation concernant les produits soumis à accise.

47      La question de savoir si une telle appréciation est conforme aux exigences découlant de l’article 50 de la Charte relève, quant à elle, de l’examen, au fond, de la seconde question préjudicielle.

 Sur le fond

48      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 50 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une sanction soit infligée à une personne morale qui a déjà fait l’objet, pour les mêmes faits, d’une sanction de même nature, mais d’une durée différente.

49      Il convient de relever, d’emblée, que le principe ne bis in idem, consacré à l’article 50 de la Charte, interdit un cumul tant de poursuites que de sanctions présentant une nature pénale, au sens de cet article, pour les mêmes faits et contre une même personne (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 24 et jurisprudence citée).

50      Partant, la seconde question n’est utile à la solution du litige au principal que pour autant que chacune des deux mesures de suspension, en cause au principal, présente une nature pénale, au sens de cet article, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, eu égard aux critères développés aux points 27 à 37 du présent arrêt.

51      Sous réserve de cette précision, il convient de rappeler, en premier lieu, que l’application du principe ne bis in idem est soumise à une double condition, à savoir, d’une part, qu’il y ait une décision antérieure définitive (condition « bis ») et, d’autre part, que les mêmes faits soient visés par la décision antérieure et par les poursuites ou les décisions postérieures (condition « idem ») (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 28).

52      S’agissant, premièrement, de la condition « idem », celle-ci requiert que les faits matériels soient identiques, et pas seulement similaires. L’identité des faits matériels s’entend comme un ensemble de circonstances concrètes découlant d’événements qui sont, en substance, les mêmes, en ce qu’ils impliquent le même auteur et sont indissociablement liés entre eux dans le temps et dans l’espace (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, points 36 et 37).

53      En l’occurrence, il apparaît, comme la juridiction de renvoi l’a elle-même relevé, que les deux mesures de suspension infligées à Dual Prod sont liées à des faits matériels identiques, à savoir ceux qui ont été constatés à l’occasion de la perquisition dans les locaux de cette société.

54      La circonstance que la seconde mesure de suspension, en cause au principal, a été ordonnée au motif que Dual Prod a acquis le statut de prévenu dans le cadre d’une procédure pénale n’est pas de nature à modifier un tel constat dès lors qu’il ressort du dossier soumis à la Cour que cette procédure pénale vise précisément à sanctionner les mêmes faits ayant été constatés lors de cette perquisition.

55      S’agissant, deuxièmement, de la condition « bis », il convient de rappeler que, pour qu’une décision puisse être regardée comme ayant définitivement statué sur les faits soumis à une seconde procédure, il est nécessaire, non seulement que cette décision soit devenue définitive, mais également qu’elle ait été rendue à la suite d’une appréciation portant sur le fond de l’affaire (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 29).

56      En l’occurrence, s’agissant, d’une part, du caractère définitif de la décision ayant imposé la première mesure de suspension à Dual Prod, la juridiction de renvoi devra s’assurer, plus particulièrement, que la décision juridictionnelle ayant réduit à huit mois la durée d’une telle mesure de suspension était, en tout cas, passée en force de chose jugée à la date à laquelle la seconde mesure de suspension à l’égard de Dual Prod a été prononcée.

57      En ce qui concerne, d’autre part, la condition relative à l’appréciation au fond de l’affaire, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative au respect du principe ne bis in idem que, lorsqu’une sanction a été prononcée par l’autorité compétente comme conséquence du comportement imputé à l’intéressé, il peut raisonnablement être considéré que l’autorité compétente avait, au préalable, porté une appréciation sur les circonstances de l’affaire et sur le caractère illicite du comportement de l’intéressé (voir, en ce sens, Cour EDH, 8 juillet 2019, Mihalache c. Roumanie, CE:ECHR:2019:0708JUD005401210, § 98).

58      Si, au terme d’un examen des conditions rappelées aux points 49 à 57 du présent arrêt, la juridiction de renvoi estimait que l’article 50 de la Charte s’applique au litige au principal, le cumul des deux mesures de suspension, en cause au principal, serait constitutif d’une limitation du droit fondamental garanti à cet article 50.

59      Cela étant, pareille limitation pourrait encore être justifiée sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 40).

60      Dans un tel cas de figure, il appartiendrait, en second lieu, à la juridiction de renvoi d’examiner si l’ensemble des conditions dans lesquelles l’article 52, paragraphe 1, de la Charte permet aux États membres de limiter le droit fondamental, garanti à l’article 50 de celle-ci, sont respectées en l’occurrence.

61      À cet égard, il importe de rappeler que, conformément à l’article 52, paragraphe 1, première phrase, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel de ces droits et de ces libertés. Selon la deuxième phrase de ce paragraphe 1, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées auxdits droits et auxdites libertés que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

62      S’agissant, premièrement, des conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, première phrase, de la Charte, il convient de relever, d’une part, que la possibilité de cumuler les deux mesures de suspension, en cause au principal, paraît bien être prévue par la loi, à savoir à l’article 369, paragraphe 3, sous b) et c), du code roumain des impôts.

63      D’autre part, une telle possibilité de cumuler les poursuites et les sanctions ne respecte le contenu essentiel de l’article 50 de la Charte qu’à la condition que la réglementation nationale ne permette pas de poursuivre et de sanctionner les mêmes faits au titre de la même infraction ou afin de poursuivre le même objectif, mais prévoie uniquement la possibilité d’un cumul des poursuites et des sanctions au titre de réglementations différentes (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 43). Il ressort du dossier soumis à la Cour que cette condition ne paraît pas remplie en l’occurrence.

64      En ce qui concerne, deuxièmement, des conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, deuxième phrase, de la Charte, qui ne sont examinées par la Cour que pour le cas où la juridiction de renvoi estimerait que les conditions requises par la première phrase de cette disposition sont, en l’occurrence, remplies, il ressort, tout d’abord, du dossier soumis à la Cour que la réglementation nationale, en cause au principal, vise, de manière générale, à garantir la correcte perception des droits d’accise et à lutter contre la fraude et les abus.

65      Eu égard à l’importance de cet objectif d’intérêt général, un cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale peut se justifier à condition que ces poursuites et ces sanctions visent, en vue de la réalisation d’un tel objectif, des buts complémentaires ayant pour objet, le cas échéant, des aspects différents du même comportement infractionnel concerné (arrêt du 22 mars 2022, Nordzucker e.a., C‑151/20, EU:C:2022:203, point 52).

66      S’agissant du principe de proportionnalité, ce dernier exige que le cumul de poursuites et de sanctions prévu par la réglementation nationale ne dépasse pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par cette réglementation, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés par celle-ci ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 48).

67      Concernant le caractère strictement nécessaire d’un tel cumul de poursuites et de sanctions, il convient d’apprécier, plus particulièrement, s’il existe des règles claires et précises permettant de prévoir quels actes et omissions sont susceptibles de faire l’objet d’un cumul de poursuites et de sanctions ainsi que la coordination entre les différentes autorités, si les deux procédures ont été menées de manière suffisamment coordonnée et rapprochée dans le temps et si la sanction, le cas échéant infligée à l’occasion de la première procédure sur le plan chronologique, a été prise en compte lors de l’évaluation de la seconde sanction, de telle sorte que les charges résultant, pour les personnes concernées, d’un tel cumul sont limitées au strict nécessaire et que l’ensemble des sanctions imposées corresponde à la gravité des infractions commises (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 51 et jurisprudence citée).

68      En l’occurrence, il convient de relever, notamment, que le dossier soumis à la Cour ne fait pas apparaître que, lors de l’évaluation de la seconde mesure de suspension imposée à Dual Prod, l’autorité administrative compétente ait tenu compte de la gravité de la première mesure de suspension qui avait déjà été infligée à cette société, ce qui est de nature à affecter la proportionnalité de cette seconde mesure de suspension, au sens de l’article 52 de la Charte.

69      Il découle des considérations qui précèdent que, si les deux mesures de suspension en cause au principal doivent être considérées comme étant des sanctions de nature pénale, l’article 50 de la Charte est susceptible de s’opposer à ce que Dual Prod fasse l’objet de la seconde mesure de suspension, dont la légalité est contestée devant la juridiction de renvoi, ce qu’il appartient à cette dernière de vérifier.

70      Enfin, il importe d’ajouter que, à supposer que la juridiction de renvoi considère qu’au moins une des deux mesures de suspension en cause au principal ne constitue pas une sanction pénale, aux fins de l’application de l’article 50 de la Charte, et que, partant, cet article ne peut, en aucun cas, s’opposer au cumul de ces deux sanctions, il n’en demeurerait pas moins que, comme la Commission l’a relevé, le prononcé de la seconde mesure de suspension devrait respecter le principe de proportionnalité, en tant que principe général de droit de l’Union.

71      Ce principe impose aux États membres d’avoir recours à des moyens qui, tout en permettant d’atteindre efficacement l’objectif poursuivi par le droit interne, ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire et portent le moins atteinte aux autres objectifs et aux principes posés par la législation de l’Union en cause. La jurisprudence de la Cour précise, à cet égard, que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêts du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C‑331/88, EU:C:1990:391, point 13, ainsi que du 13 janvier 2022, MONO, C‑326/20, EU:C:2022:7, point 35 et jurisprudence citée).

72      À cet égard, la circonstance qu’une mesure de suspension d’une autorisation d’agir en tant qu’entrepôt fiscal de produits soumis à accise, imposée à une personne morale soupçonnée d’avoir méconnu les règles assurant la correcte perception des droits d’accise, continue à produire ses effets durant toute la procédure pénale diligentée contre cette personne morale, même lorsque cette procédure a déjà dépassé une durée raisonnable, est susceptible d’indiquer une atteinte démesurée au droit légitime de ladite personne morale à exercer son activité entrepreneuriale.

73      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’article 50 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une sanction de nature pénale, en raison d’infractions à la réglementation sur les produits soumis à accise, soit infligée à une personne morale qui a déjà fait l’objet, pour les mêmes faits, d’une sanction de nature pénale devenue définitive à condition que :

–        la possibilité de cumuler ces deux sanctions soit prévue par la loi ;

–        la réglementation nationale ne permette pas de poursuivre et de sanctionner les mêmes faits au titre de la même infraction ou afin de poursuivre le même objectif, mais prévoie uniquement la possibilité d’un cumul des poursuites et des sanctions au titre de réglementations différentes ;

–        ces poursuites et ces sanctions visent des buts complémentaires ayant pour objet, le cas échéant, des aspects différents du même comportement infractionnel concerné ;

–        il existe des règles claires et précises permettant de prévoir quels actes et omissions sont susceptibles de faire l’objet d’un cumul de poursuites et de sanctions ainsi que la coordination entre les différentes autorités, que les deux procédures aient été menées de manière suffisamment coordonnée et rapprochée dans le temps et que la sanction, le cas échéant infligée à l’occasion de la première procédure sur le plan chronologique, ait été prise en compte lors de l’évaluation de la seconde sanction, de telle sorte que les charges résultant, pour les personnes concernées, d’un tel cumul sont limitées au strict nécessaire et que l’ensemble des sanctions imposées corresponde à la gravité des infractions commises.

 Sur les dépens

74      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 48, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une autorisation d’agir en tant qu’entrepôt fiscal de produits soumis à accise puisse être suspendue administrativement, jusqu’à l’issue d’une procédure pénale, au seul motif que le titulaire de cette autorisation a acquis le statut de prévenu dans le cadre de cette procédure pénale, si cette suspension constitue une sanction de nature pénale.

2)      L’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une sanction de nature pénale, en raison d’infractions à la réglementation sur les produits soumis à accise, soit infligée à une personne morale qui a déjà fait l’objet, pour les mêmes faits, d’une sanction de nature pénale devenue définitive à condition que :

–        la possibilité de cumuler ces deux sanctions soit prévue par la loi ;

–        la réglementation nationale ne permette pas de poursuivre et de sanctionner les mêmes faits au titre de la même infraction ou afin de poursuivre le même objectif, mais prévoie uniquement la possibilité d’un cumul des poursuites et des sanctions au titre de réglementations différentes ;

–        ces poursuites et ces sanctions visent des buts complémentaires ayant pour objet, le cas échéant, des aspects différents du même comportement infractionnel concerné ;

–        il existe des règles claires et précises permettant de prévoir quels actes et omissions sont susceptibles de faire l’objet d’un cumul de poursuites et de sanctions ainsi que la coordination entre les différentes autorités, que les deux procédures aient été menées de manière suffisamment coordonnée et rapprochée dans le temps et que la sanction, le cas échéant infligée à l’occasion de la première procédure sur le plan chronologique, ait été prise en compte lors de l’évaluation de la seconde sanction, de telle sorte que les charges résultant, pour les personnes concernées, d’un tel cumul sont limitées au strict nécessaire et que l’ensemble des sanctions imposées corresponde à la gravité des infractions commises.

Signatures


*      Langue de procédure : le roumain.