Language of document : ECLI:EU:T:2011:149

ORDONNANCE DU PRĖSIDENT DE LA PREMIÈRE CHAMBRE DU TRIBUNAL

8 avril 2011 (*)

« Demande d’intervention – Société ne justifiant pas d’un intérêt à la solution du litige »

Dans l’affaire T‑292/10,

Monty Program AB, établie à Tusby (Finlande), représentée par M. C. J. Pouncey, Solicitor et Me H. Anttilainen-Mochnacz, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. T. Christoforou, S. Noë et J. Bourke, puis par MM. Noë et Bourke, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Software Freedom Law Center, Inc., établie à New York (États-Unis), représentée par Me C. Piana, avocat,

et par

Oracle Corporation, établie à Delaware (États-Unis), représentée par M. T. Vinje, Solicitor, Mes D. Paemen et M. Petite, avocats,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision n° C(2010)142 finale de la Commission, du 21 janvier 2010, déclarant compatible avec le marché commun et avec le fonctionnement de l’accord EEE l’opération de concentration visant à l’acquisition du contrôle exclusif des actifs de la société Sun Microsystems par Oracle Corporation (affaire COMP/M.5529 – Oracle/Sun Microsystems),

LE PRÉSIDENT DE LA PREMIÈRE CHAMBRE DU TRIBUNAL,

rend la présente

Ordonnance

 Faits et procédure

1        Par décision n° C(2010)142 finale, du 21 janvier 2010, la Commission a déclaré compatible avec le marché commun et avec le fonctionnement de l’accord EEE l’opération de concentration visant à l’acquisition du contrôle exclusif des actifs de la société Sun Microsystems par Oracle Corporation (affaire COMP/M.5529 – Oracle/Sun Microsystems, ci-après la « décision attaquée »).

2        Oracle est un fournisseur de logiciels destinés aux entreprises, notamment d’intergiciels, c’est-à-dire des logiciels qui connectent des applications à base de composants logiciels, de logiciels de base de données, de logiciels d’application pour entreprises, ainsi que de services annexes. Sun Microsystems propose des solutions de réseautique, comportant notamment des systèmes informatiques, des logiciels, des solutions de stockage et des services. En 2008, Sun Microsystems a racheté la base de données ouverte MySQL.

3        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er juillet 2010, Monty Program AB, une société établie à Tusby (Finlande), a introduit un recours, enregistré sous la référence T‑292/10, visant à l’annulation de l’article 1er de la décision attaquée.

4        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 16 novembre 2010, Canonical Ltd, une société établie sur l’île de Man, a demandé à intervenir dans l’affaire T‑292/10 au soutien des conclusions de la Commission.

5        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 11 janvier 2011, la Commission a indiqué ne pas avoir d’observations sur la demande d’intervention de Canonical et ne pas demander le traitement confidentiel des pièces versées au dossier à ce stade.

6        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 12 janvier 2011, Monty Program a demandé le traitement confidentiel vis-à-vis de Canonical de certains éléments contenus dans la requête.

7        Par mémoire séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, Monty Program a conclu au rejet de la demande d’intervention de Canonical au motif que, d’une part, elle ne remplissait pas les conditions prévues à l’article 115, paragraphe 2, sous f), du règlement de procédure du Tribunal et, d’autre part, Canonical ne justifiait pas d’un intérêt direct et actuel à la solution du litige.

 Arguments des parties

8        Canonical affirme être active dans la production d’Ubuntu Linux (ci-après « Ubuntu »), un environnement informatique complet et cohérent combinant des logiciels issus de diverses sources, y compris le « noyau » Linux, le système d’exploitation global, l’ensemble de l’environnement utilisateur, des utilitaires, des services, et un magasin d’applications permettant l’installation facile d’une multitude d’applications sélectionnées et adaptées de manière à fonctionner avec Ubuntu. L’investissement important effectué par Canonical dans la production d’Ubuntu impliquerait, notamment, de lancer, tous les six mois, une version nouvelle, traduite dans plus de 25 langues, qui intègre une multitude d’éléments logiciels différents destinés à fonctionner ensemble de façon cohérente et à fournir à l’utilisateur une expérience significative et un environnement solide pour une variété d’utilisations. Canonical investirait également des ressources importantes pour promouvoir les logiciels libres et à source ouverte (Free et Open Source Software, ci-après « FOSS ») en tant qu’alternative viable aux services offerts par l’opérateur dominant sur le marché de l’ordinateur individuel, qui sont susceptibles d’interagir avec Ubuntu. Enfin, le fondateur et PDG de Canonical aurait participé à la procédure administrative ayant abouti à l’adoption de la décision attaquée en adressant à la Commission une lettre se prononçant en faveur d’une autorisation immédiate et inconditionnelle de la concentration en cause.

9        S’agissant de son intérêt à la solution du litige, Canonical fait valoir qu’elle est une des plus importantes sociétés de FOSS dans le monde. Les produits MySQL, Java et Openoffice.org seraient des composantes d’Ubuntu que Canonical distribue et soutient. Une décision affectant la société gestionnaire de ces produits affecterait également les produits eux-mêmes, en créant une situation d’incertitude, ce qui exercerait des conséquences négatives sur la valeur globale d’Ubuntu et influerait directement sur la capacité de Canonical à commercialiser des services liés à MySQL auprès de ses clients utilisateurs d’Ubuntu. Il s’ensuivrait que, dans l’hypothèse du rejet des conclusions soutenues par Canonical, l’appréciation globale d’une solution en matière de FOSS contenant les produits concernés serait mise en cause de manière plus significative que dans un environnement propriétaire, du fait de l’interaction complexe et de la symbiose qu’entretient nécessairement un produit tel que Ubuntu avec les fournisseurs en amont de ses diverses composantes. Canonical justifierait également d’un intérêt direct et spécifique à empêcher « que la communauté entrepreneuriale commence à croire qu’héberger un projet de FOSS comme Ubuntu ou MySQL pourrait peser sur une société commerciale et présenter un risque en cas de fusion d’une société de FOSS avec une société ayant une part de marché importante en Europe ».

10      Monty Program allègue que la demande d’intervention ne satisfait pas les conditions prévues à l’article 115, paragraphe 2, du règlement de procédure et conteste que Canonical justifie d’un intérêt direct et actuel à la solution du litige.

 Appréciation du président

11      Conformément à l’article 40 du statut de la Cour, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, de ce même statut, le droit d’intervenir dans un litige soumis au Tribunal appartient à toute personne justifiant d’un intérêt à la solution du litige.

12      Ainsi qu’il a été reconnu par une jurisprudence établie, l’intérêt à la solution d’un litige doit se définir au regard de l’objet même du litige et comme un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes que la partie intervenante entend soutenir, et non comme un intérêt par rapport aux moyens ou aux arguments soulevés. En effet, par « solution » du litige, il faut entendre la décision finale demandée au juge saisi, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt mettant fin à l’instance. À cet égard, il convient notamment de vérifier si la partie intervenante est touchée directement par l’acte attaqué et que son intérêt à l’issue du litige est certain (voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 6 mars 2003, Ramondín et Ramondín Cápsulas/Commission, C‑186/02 P, Rec. p. I‑2415, point 7, du 6 avril 2006, An Post/Deutsche Post e.a., C‑130/06 P(I), non publiée au Recueil, et du 25 janvier 2008, Provincia di Ascoli Piceno et Comune di Monte Urano/Apache Footwear e.a., C‑464/07 P(I), non publiée au Recueil, point 5 ; ordonnance du président de la grande chambre du Tribunal du 28 novembre 2005, Microsoft/Commission, T‑201/04, non publiée au Recueil, point 44).

13      En l’espèce, sans qu’il soit besoin d’apprécier si la présente demande d’intervention remplit les conditions prévues à l’article 115, paragraphe 2, sous f), du règlement de procédure, force est de constater que les arguments avancés par Canonical au soutien de cette demande ne sont pas de nature à justifier son intérêt à la solution du litige au sens de la jurisprudence précitée.

14      D’une part, il n’est pas avéré que l’issue du présent litige, en particulier une potentielle annulation par le Tribunal de la décision attaquée – et donc le rejet des conclusions de la Commission que Canonical entend soutenir – soit susceptible de porter atteinte à l’activité commerciale de Canonical liée à la production et à la distribution d’Ubuntu. En effet, Canonical n’a ni avancé ni établi que cette activité ait été exposée à des interférences avant, durant et après la procédure administrative ayant abouti à l’adoption de la décision attaquée. Dès lors, il n’apparaît pas plausible qu’une éventuelle annulation de la décision attaquée puisse affecter davantage cette activité, même à supposer que, à la suite d’un nouvel examen, la Commission soit amenée à interdire la concentration en cause pour ainsi rétablir le statut quo ex ante.

15      D’autre part, les arguments vagues et difficilement compréhensibles de Canonical, tirés d’une prétendue incertitude régnant sur le marché quant à, notamment, la propriété des FOSS ne sont pas non plus susceptibles de fonder son intérêt direct, actuel et certain à la solution du litige. À cet égard, il suffit de relever que Canonical n’a pas prétendu que, dans le passé, la commercialisation d’Ubuntu et de ses composantes, telles que MySQL, Java et Openoffice.org ou d’autres FOSS, ait subi des modifications perceptibles dues à l’opération de concentration autorisée par la décision attaquée ou à d’autres événements pouvant influer sur la propriété desdits FOSS. Il en résulte que l’intérêt invoqué par Canonical n’est qu’indirect et abstrait et ne dépend pas spécifiquement de la solution du présent litige.

16      Dès lors, conformément aux conclusions de Monty Program, il y a lieu de rejeter la demande d’intervention présentée par Canonical.

 Sur les dépens

17      En vertu de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance. La présente ordonnance mettant fin à l’instance à l’égard de Canonical, il convient de statuer sur les dépens afférents à sa demande d’intervention.

18      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En l’espèce, à défaut de conclusions sur les dépens, il y a lieu d’ordonner que, d’une part, Canonical supportera ses propres dépens et, d’autre part, la Commission et Monty Program supporteront également leurs propres dépens occasionnés par la demande d’intervention de Canonical.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DE LA PREMIÈRE CHAMBRE DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande d’intervention de Canonical Ltd est rejetée.

2)      Canonical Ltd, la Commission européenne et Monty Program AB supporteront leurs propres dépens afférents à la demande d’intervention.

Fait à Luxembourg, le 8 avril 2011.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       J. Azizi


* Langue de procédure : l’anglais.