Language of document : ECLI:EU:T:2021:404

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre élargie)

30 juin 2021 (*)

« REACH – Établissement d’une liste de substances identifiées en vue d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV du règlement (CE) no 1907/2006 – Inscription de l’octaméthylcyclotétrasiloxane (D4), du décaméthylcyclopentasiloxane (D5) et du dodécaméthylcyclohexasiloxane (D6) sur cette liste – Articles 57 et 59 du règlement no 1907/2006 – Annexe XIII du règlement no 1907/2006 – Détermination par force probante – Erreur manifeste d’appréciation – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑519/18,

Global Silicones Council, établie à Washington, DC (États-Unis), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe, représentées par Mes R. Cana et D. Abrahams, avocats,

parties requérantes,

soutenues par

American Chemistry Council, Inc. (ACC), établie à Washington, représentée par Mes K. Nordlander et C. Grobecker, avocats,

partie intervenante,

contre

Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par Mme M. Heikkilä, M. W. Broere et Mme A. Hautamäki, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. J. Möller, D. Klebs, Mmes S. Heimerl et S. Costanzo, en qualité d’agents,

et par

Commission européenne, représentée par Mme L. Haasbeek et M. R. Lindenthal, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation totale ou partielle de la décision de l’ECHA du 27 juin 2018 inscrivant l’octaméthylcyclotétrasiloxane (D4), le décaméthylcyclopentasiloxane (D5) et le dodécaméthylcyclohexasiloxane (D6) sur la liste des substances identifiées en vue d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1, rectificatif JO 2007, L 136, p. 3),

LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie),

composé de MM. S. Papasavvas, président, J. Svenningsen, R. Barents, Mme T. Pynnä et M. J. Laitenberger (rapporteur), juges,

greffier : M. B. Lefebvre, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 30 septembre 2020,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        Le 1er juin 2007 est entré en vigueur le règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1, rectificatif JO 2007, L 136, p. 3).

2        L’annexe XIII du règlement no 1907/2006 (ci-après l’« annexe XIII ») établit les critères d’identification des substances persistantes (ci‑après « P »), bioaccumulables (ci‑après « B ») et toxiques (ci‑après « T ») (ci-après, prises ensemble, « PBT ») et des substances très persistantes (ci-après « vP ») et très bioaccumulables (ci‑après « vB ») (ci‑après, prises ensemble, « vPvB »).

3        Le 15 mars 2011, la Commission européenne a adopté le règlement (UE) no 253/2011 modifiant le règlement no 1907/2006, en ce qui concerne l’annexe XIII (JO 2011, L 69, p. 7). Ce règlement a modifié l’ancienne annexe XIII, en tenant compte de l’expérience acquise au niveau international.

4        Le préambule de l’annexe XIII précise désormais :

« La présente annexe établit les critères d’identification des substances persistantes, bioaccumulables et toxiques (substances PBT) et des substances très persistantes et très bioaccumulables (substances vPvB), ainsi que les informations à prendre en considération aux fins de l’évaluation des propriétés P, B et T d’une substance.

Une détermination par force probante fondée sur l’avis d’experts est appliquée pour l’identification des substances PBT et vPvB, en comparant toutes les informations pertinentes et disponibles visées à la section 3.2 aux critères fixés à la section 1. Cette détermination est notamment appliquée lorsque les critères de la section 1 ne peuvent être appliqués directement aux informations disponibles.

La détermination par force probante des données signifie que toutes les informations disponibles ayant une incidence sur l’identification d’une substance PBT ou vPvB sont prises en considération conjointement, telles que des résultats de surveillance et de modélisation, des essais in vitro appropriés, des données pertinentes provenant d’essais sur des animaux, des informations provenant de l’application de l’approche par catégories (regroupement, références croisées), des résultats de R(Q)SA, des effets observés chez l’homme, par exemple des données provenant du suivi des travailleurs et de bases de données sur les accidents, des études épidémiologiques et cliniques, ainsi que des informations obtenues par des études de cas et des observations bien documentées. Il convient d’accorder à la qualité et à la cohérence des données une importance appropriée. Quelles que soient leurs conclusions respectives, les résultats disponibles sont rassemblés et l’ensemble est pris en considération pour déterminer la force probante des données.

Les informations utilisées aux fins de l’évaluation des propriétés PBT/vPvB se fondent sur des données obtenues dans des conditions pertinentes.

L’identification tient également compte des propriétés PBT/vPvB des constituants pertinents d’une substance et des produits de transformation et/ou de dégradation concernés.

La présente annexe s’applique à toutes les substances organiques, y compris organométalliques. »

5        L’annexe XIII dispose notamment :

« 1.1.2. Bioaccumulation

Une substance remplit le critère de bioaccumulation (B) lorsque le facteur de bioconcentration chez les espèces aquatiques est supérieur à 2 000.

[…]

1.2.2. Bioaccumulation

Une substance est considérée comme très bioaccumulable (vB) lorsque le facteur de bioconcentration chez les espèces aquatiques est supérieur à 5 000. »

6        L’annexe XIII précise également ce qui suit :

« 3.2. Informations pour l’évaluation

Les informations ci-après sont examinées pour l’évaluation des propriétés P, vP, B, vB et T, dans le cadre d’une approche fondée sur la force probante : 

[…]

3.2.2. Évaluation des propriétés B ou vB :

a)      résultats d’une étude sur la bioconcentration ou la bioaccumulation chez les espèces aquatiques ;

b)      autres informations sur le potentiel de bioaccumulation pour autant que leur caractère approprié et leur fiabilité puissent être raisonnablement démontrés, telles que :

–        les résultats d’une étude sur la bioaccumulation chez les espèces terrestres,

[…]

c)      informations sur la capacité de biomagnification de la substance dans la chaîne alimentaire, si possible exprimée par des facteurs de bioamplification ou des facteurs d’amplification trophique. »

 Antécédents du litige

7        La première requérante, Global Silicones Council, est une société sans capital-actions, établie aux États-Unis, représentant des sociétés qui fabriquent et vendent des silicones dans le monde entier. Les autres requérantes dont les noms figurent en annexe sont des sociétés qui fabriquent, vendent et fournissent les substances chimiques octaméthylcyclotétrasiloxane (ci-après le « D4 »), le décaméthylcyclopentasiloxane (ci-après le « D5 ») et le dodécaméthylcyclohexasiloxane (ci-après le « D6 ») telles quelles ou contenues dans un mélange.

8        Le 14 octobre 2014, le directeur exécutif de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a demandé au comité des États membres de l’ECHA (ci-après le « MSC ») de rendre un avis relatif à la persistance et à la bioaccumulation D4 et du D5 au regard des critères fixés par l’annexe XIII.

9        Le 17 avril 2015, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a présenté à l’ECHA un dossier fondé sur l’annexe XV du règlement no 1907/2006 (ci-après l’« annexe XV ») proposant une restriction visant à limiter l’usage du D4 et du D5 dans les produits cosmétiques qui étaient éliminés par rinçage dans des conditions normales d’utilisation. La proposition de restriction était fondée sur les présumées propriétés PBT et vPvB du D4 et sur les présumées propriétés vPvB du D5.

10      Le 22 avril 2015, le MSC a adopté un avis selon lequel tant le D4 que le D5 remplissaient les critères visés à l’annexe XIII en ce qui concerne l’identification des substances vP et vB.

11      Le 10 mars 2016, le comité d’évaluation des risques de l’ECHA (ci-après le « CER ») a adopté un avis sur la base d’un examen de la proposition de restriction du Royaume-Uni et de l’avis du MSC. Le CER, en faisant référence à l’avis du MSC du 22 avril 2015, a indiqué qu’il n’avait pas réévalué les propriétés vP et vB du D4 et du D5, mais qu’il avait examiné les propriétés T de ces substances. Le CER a conclu que le D4 remplissait les critères d’identification des substances PBT et vPvB énoncés à l’annexe XIII et que le D5 remplissait les critères d’identification des substances vPvB, mais que ce dernier, sur la base des éléments de preuve disponibles, ne remplissait pas les critères énoncés à l’annexe XIII concernant la toxicité.

12      Une restriction concernant le D4 et le D5 a été adoptée par la Commission le 10 janvier 2018 [règlement (UE) 2018/35, modifiant l’annexe XVII du règlement no 1907/2006, en ce qui concerne le D4 et le D5 (JO 2018, L 6, p. 45)]. Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 2 avril 2018, la plupart des requérantes dans la présente affaire ont introduit un recours tendant à l’annulation de cette restriction. L’ECHA est intervenue au soutien de la Commission dans cette dernière affaire.

13      Le 1er mars 2017, l’autorité compétente de la République fédérale d’Allemagne a, au titre de l’article 59, paragraphe 3, du règlement no 1907/2006, présenté des dossiers conformes à l’annexe XV, en proposant que le D4 et le D5 soient identifiés en tant que substances extrêmement préoccupantes en raison de leurs propriétés PBT et vPvB. Le 21 décembre 2017, la Commission a, conformément à l’article 59, paragraphe 2, de ce règlement, demandé à l’ECHA d’élaborer un dossier conforme à l’annexe XV en vue de l’identification du D6 en tant que substance extrêmement préoccupante. L’ECHA a conclu dans ce dossier que le D6 réunissait les critères PBT et vPvB.

14      Le 8 mars 2018, l’ECHA a publié les trois dossiers élaborés conformément à l’annexe XV relatifs respectivement au D4, au D5 et au D6 (ci-après les « dossiers élaborés conformément à l’annexe XV »). Le même jour, l’ECHA a invité toutes les parties intéressées à soumettre leurs observations sur ces dossiers, conformément à l’article 59, paragraphe 4, du règlement no 1907/2006. L’ECHA a reçu des observations dont, le 23 avril 2018, celles des requérantes.

15      Par la suite, l’autorité allemande compétente et l’ECHA ont préparé trois documents (ci‑après les « documents RCOM ») qui portent la date du 12 juin 2018 et qui contiennent les réponses de ces autorités à tous les commentaires reçus par l’ECHA lors de la consultation publique.

16      Des commentaires ayant été reçus concernant l’identification des trois substances en cause, l’ECHA a, conformément à l’article 59, paragraphe 7, du règlement no 1907/2006, transmis les dossiers au MSC. Conformément aux procédures de travail du MSC relatives à l’identification des substances extrêmement préoccupantes, le MSC a reçu un dossier élaboré conformément à l’annexe XV, un projet d’accord du MSC et un projet de document d’appui pour chacune des trois substances.

17      Lors de sa 60e réunion qui s’est tenue du 12 au 14 juin 2018, le MSC est parvenu à des accords unanimes sur l’identification du D4, du D5 et du D6 en tant que substances extrêmement préoccupantes, au motif que ces substances répondaient aux critères d’identification comme substances PBT et vPvB, conformément à l’article 57, sous d) et e), du règlement no 1907/2006. Les motifs de ces accords sont exposés dans les documents d’appui respectifs.

18      Les documents d’appui relatifs au D4 et au D5 renvoient à plusieurs reprises, y compris dans les résumés concernant la persistance et la bioaccumulation des deux substances, à l’avis du MSC du 22 avril 2015 sur le D4 et le D5 et, concernant la toxicité du D4, à l’avis du CER du 10 mars 2016. Les données sont complétées dans les documents d’appui relatifs au D4 et au D5 par des références à de nouvelles études publiées après ces avis. Le document d’appui relatif au D4 conclut aux propriétés PBT et vPvB du D4 conformément à l’annexe XIII. Celui relatif au D5 n’évalue pas de données concernant la toxicité de cette substance pour la santé humaine ou l’environnement. Ce document conclut que le D5 est une substance vPvB et que, lorsqu’il contient du D4 dans une concentration supérieure ou égale à 0,1 % (masse/masse), il est également PBT.

19      Le document d’appui relatif au D6 présente notamment des évaluations concernant la dégradation et la distribution de cette substance et fait référence à des données fournies dans les documents d’appui relatifs au D4 et au D5. Ce document n’évalue pas la toxicité du D6 pour l’environnement et la santé humaine. Il conclut que le D6 est une substance vPvB et constate qu’il répond également aux critères des substances PBT lorsqu’il contient du D4 dans une concentration supérieure ou égale à 0,1 % (masse/masse). En outre, étant donné que le D4 et le D5 ont été identifiés en tant qu’impuretés dans le D6, il est conclu, en faisant référence à l’avis du MSC du 22 avril 2015 et à l’avis du CER du 10 mars 2016, que le D6 répond également aux critères des substances vPvB lorsqu’il contient du D4 ou du D5 dans une concentration supérieure ou égale à 0,1 % (masse/masse).

20      Le 27 juin 2018, conformément à l’article 59, paragraphe 8, du règlement no 1907/2006, l’ECHA a adopté la décision ED/61/2018 relative à l’inscription du D4, du D5 et du D6 sur la liste des substances identifiées en vue de leur inclusion à terme dans l’annexe XIV du règlement no 1907/2006, telle que visée à l’article 59, paragraphe 1, dudit règlement (ci-après la « liste des substances candidates »), au motif qu’ils avaient été identifiés comme étant des substances PBT et vPvB, au sens de l’article 57, sous d) et e), du règlement no 1907/2006 (ci-après la « décision attaquée »), publiée le même jour sur le site Internet de l’ECHA.

21      Le même jour, la liste des substances candidates publiée sur le site Internet de l’ECHA, conformément à l’article 59, paragraphe 10, de ce règlement, a été mise à jour pour y inclure les entrées relatives au D4, au D5 et au D6. Les remarques relatives aux entrées respectives dans la liste des substances candidates indiquent que le D5 répond aux critères prévus à l’article 57, sous d), du règlement no 1907/2006 en tant que substance PBT lorsqu’il contient une quantité de D4 supérieure ou égale à 0,1 % (masse/masse). Pour le D6, il est indiqué que cette substance répond aux critères prévus l’article 57, sous d), du règlement no 1907/2006 en tant que substance PBT lorsqu’il contient une quantité de D4 supérieure ou égale à 0,1 % (masse/masse). Concernant le D6, il est, en outre, indiqué que, en plus de ses propriétés intrinsèques, cette substance répond également aux critères prévus à l’article 57, sous e), du règlement no 1907/2006 en tant que substance vPvB, lorsqu’il contient une quantité de D4 ou de D5 supérieure ou égale à 0,1 % (masse/masse).

 Procédure et conclusions des parties

22      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 septembre 2018, les requérantes ont introduit le présent recours.

23      Le 5 décembre 2018, l’ECHA a déposé un mémoire en défense au greffe du Tribunal.

24      Par actes déposés au greffe du Tribunal respectivement le 10 et le 19 décembre 2018, la République fédérale d’Allemagne et la Commission ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de l’ECHA.

25      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 27 décembre 2018, l’American Chemistry Council Inc. (ACC) a demandé à intervenir au soutien des conclusions des requérantes.

26      Par décision du 10 janvier 2019, le président de la cinquième chambre du Tribunal a fait droit à la demande d’intervention de la République fédérale d’Allemagne.

27      Le 14 janvier 2019, les requérantes ont, par acte séparé déposé au greffe du Tribunal, introduit une demande de traitement confidentiel de certaines informations du dossier à l’égard de la Commission.

28      Par ordonnance du 1er février 2019, le président de la cinquième chambre du Tribunal a fait droit à la demande d’intervention de la Commission. Il a également ordonné au greffe du Tribunal de transmettre à la Commission une version non confidentielle des mémoires et des pièces signifiées aux parties principales. Enfin, il a décidé, d’une part, qu’un délai devait être fixé pour que la Commission puisse faire part de ses observations au sujet de la demande de traitement confidentiel introduite par les requérantes à son égard et, d’autre part, qu’un délai devait être fixé pour que la Commission puisse soumettre son mémoire en intervention. Par décisions du 10 avril 2019, ces deux délais ont été fixés respectivement au 26 avril et au 22 mai 2019.

29      Le 28 février 2019, les requérantes ont déposé la réplique au greffe du Tribunal.

30      Par ordonnance du 8 avril 2019, le président de la cinquième chambre du Tribunal a fait droit à la demande d’intervention de l’ACC.

31      Le 25 avril 2019, l’ECHA a déposé la duplique au greffe du Tribunal.

32      Le 22 mai 2019, la République fédérale d’Allemagne, la Commission et l’ACC ont déposé au greffe du Tribunal leurs mémoires en intervention.

33      Par actes déposés au greffe du Tribunal respectivement le 30 et le 31 juillet 2019, les requérantes et l’ECHA ont présenté leurs observations sur les mémoires en intervention de la République fédérale d’Allemagne, de la Commission et de l’ACC.

34      Par courrier du 18 septembre 2019, corrigé par courrier du 24 septembre 2019, les requérantes ont sollicité la tenue d’une audience.

35      Par décision du 17 octobre 2019 et à la suite de la modification de la composition des chambres du Tribunal, l’affaire a été réattribuée à un nouveau juge rapporteur siégeant au sein de la huitième chambre.

36      À titre de mesure d’organisation de la procédure du 7 mai 2020, les parties principales ont été interrogées sur la question de savoir si, au regard des conditions sanitaires, liées à la COVID-19, elles maintenaient ou non leur demande visant à être entendues dans le cadre d’une audience de plaidoiries. Par courrier du 27 mai 2020, les requérantes ont indiqué qu’elles maintenaient cette demande.

37      Le 17 juin 2020, le Tribunal (huitième chambre), sur proposition du juge rapporteur et dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure du Tribunal, a posé aux parties principales et à la République fédérale d’Allemagne des questions écrites, en les invitant à y répondre par écrit. Ces parties ont déféré à cette demande dans le délai imparti.

38      Le 24 juin 2020, sur proposition de la huitième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

39      Le 7 août 2020, le Tribunal (huitième chambre élargie), sur proposition du juge rapporteur et dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a invité chacune des parties à présenter ses observations sur les réponses des autres parties aux questions écrites du Tribunal du 17 juin 2020. Les parties principales ont déféré à cette demande dans le délai imparti.

40      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (huitième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

41      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 30 septembre 2020.

42      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable et fondé ;

–        annuler la décision attaquée, dans la mesure où elle inclut le D4, le D5 et le D6 dans la liste des substances candidates en tant que substances extrêmement préoccupantes ;

–        à titre subsidiaire, si le Tribunal n’annule pas l’inscription des trois substances, annuler la décision attaquée pour ce qui concerne une ou plusieurs de ces inscriptions sur la liste des substances candidates ;

–        condamner l’ECHA aux dépens ;

–        ordonner toute autre mesure requise dans l’intérêt de la justice. 

43      L’ECHA conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours en annulation ;

–        condamner les requérantes aux dépens des deux parties.

44      La République fédérale d’Allemagne soutient les conclusions de l’ECHA tendant au rejet du recours et à la condamnation des requérantes aux dépens.

45      La Commission soutient quant à elle les conclusions de l’ECHA tendant au rejet du recours et à la condamnation des requérantes aux dépens des deux parties.

46      L’ACC conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de déclarer le recours en annulation fondé.

 En droit

47      À l’appui du recours, les requérantes invoquent deux moyens. Le premier moyen est tiré du fait que l’ECHA aurait commis une erreur manifeste d’appréciation dans l’évaluation des propriétés B du D4, du D5 et du D6, ainsi que dans l’évaluation des propriétés T du D5 et du D6, qu’elle aurait dépassé le cadre de ses compétences et qu’elle aurait violé l’article 59 du règlement no 1907/2006. Par le second moyen, les requérantes invoquent une violation du principe de proportionnalité.

 Sur le premier moyen, tiré du fait que l’ECHA aurait commis une erreur manifeste d’appréciation dans l’évaluation des propriétés B du D4, du D5 et du D6, ainsi que dans l’évaluation des propriétés T du D5 et du D6, qu’elle aurait dépassé le cadre de ses compétences et qu’elle aurait violé l’article 59 du règlement no 1907/2006

48      Par le premier moyen, les requérantes, soutenues par l’ACC, avancent que l’ECHA a commis une erreur manifeste d’appréciation dans l’évaluation des propriétés B et T, qu’elle a dépassé le cadre de ses compétences et qu’elle a violé l’article 59 du règlement no 1907/2006 de plusieurs manières.

49      L’ECHA, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et la Commission, fait valoir que le premier moyen doit être rejeté comme non fondé.

50      À titre liminaire, il convient de relever que la décision attaquée a été adoptée sur le fondement de l’article 59 du règlement no 1907/2006. Ainsi qu’il ressort de l’article 1, paragraphe 1, dudit règlement, ce dernier vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, y compris la promotion de méthodes alternatives pour l’évaluation des dangers liés aux substances, ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation.

51      Selon la jurisprudence, dans un cadre technique complexe à caractère évolutif tel que celui de la présente affaire, les autorités compétentes de l’Union européenne disposent d’un large pouvoir d’appréciation, notamment quant à l’appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique hautement complexes, pour déterminer la nature et l’étendue des mesures qu’elles adoptent, tandis que le contrôle du juge de l’Union doit se limiter à examiner si l’exercice d’un tel pouvoir n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou encore si ces autorités n’ont pas manifestement dépassé les limites de leur pouvoir d’appréciation. Dans un tel contexte, le juge de l’Union ne peut, en effet, substituer son appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique à celle des autorités de l’Union, à qui, seules, le traité FUE a conféré cette tâche (voir arrêts du 21 juillet 2011, Etimine, C‑15/10, EU:C:2011:504, point 60, et du 30 avril 2015, Polynt et Sitre/ECHA, T‑134/13, non publié, EU:T:2015:254, point 52 et jurisprudence citée).

52      En outre, il convient de préciser que le large pouvoir d’appréciation des autorités de l’Union, impliquant un contrôle juridictionnel limité de leur exercice, ne s’applique pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais s’applique aussi, dans une certaine mesure, à la constatation des données de base. Toutefois, un tel contrôle juridictionnel, même s’il a une portée limitée, requiert que les autorités de l’Union, auteurs de l’acte en cause, soient en mesure d’établir devant le juge de l’Union que l’acte a été adopté moyennant un exercice effectif de leur pouvoir d’appréciation, lequel suppose la prise en considération de tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir (voir arrêts du 8 juillet 2010, Afton Chemical, C‑343/09, EU:C:2010:419, points 33 et 34, et du 30 avril 2015, Polynt et Sitre/ECHA, T‑134/13, non publié, EU:T:2015:254, point 53 et jurisprudence citée).

53      Il incombe donc au juge de l’Union, au regard des éléments invoqués par la partie requérante, le devoir de vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence ainsi que de contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir arrêts du 22 novembre 2007, Espagne/Lenzing, C‑525/04 P, EU:C:2007:698, point 57 ; du 6 novembre 2008, Pays-Bas/Commission, C‑405/07 P, EU:C:2008:613, point 55, et du 9 septembre 2011, France/Commission, T‑257/07, EU:T:2011:444, point 87 et jurisprudence citée).

54      En l’occurrence, les substances en cause ont été identifiées comme étant extrêmement préoccupantes au titre de l’article 57, sous d) et e), du règlement no 1907/2006, parce qu’il a été conclu qu’elles étaient des substances PBT et vPvB. Selon l’annexe XIII, une « détermination par force probante fondée sur l’avis d’experts est appliquée pour l’identification des substances PBT et vPvB, en comparant toutes les informations pertinentes et disponibles visées à la section 3.2 [de ladite annexe] aux critères fixés à la section 1 [de ladite annexe] » et « [l]a détermination par force probante des données signifie que toutes les informations disponibles ayant une incidence sur l’identification d’une substance PBT ou vPvB sont prises en considération conjointement ». D’après cette annexe, les autorités compétentes doivent accorder une importance appropriée à la qualité et à la cohérence des données, rassembler les résultats disponibles et prendre en considération l’ensemble pour déterminer la force probante des données. Il ressort ainsi du règlement no 1907/2006 que l’identification des substances au moyen de la détermination par force probante doit être faite sur la base de données complètes et qu’elle requiert le jugement d’experts, qui disposent d’un large pouvoir d’appréciation des éléments d’ordre scientifique et technique hautement complexes.

55      Dans le cadre du premier moyen, les requérantes soulèvent huit branches. Les première, deuxième et troisième branches concernent les trois substances en cause. Les quatrième et cinquième branches portent seulement sur le D4 et le D5. Les sixième et huitième branches concernent uniquement le D6 et la septième branche seulement le D5.

 Sur la première branche du premier moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation prétendument commise par l’ECHA en s’appuyant sur les avis du MSC et du CER sans procéder à sa propre évaluation des informations dont elle disposait et en « important » ainsi les erreurs qui entacheraient ces avis

56      Les requérantes font valoir que l’ECHA était tenue d’évaluer directement et de manière autonome les informations sur la bioaccumulation du D4, du D5 et du D6 dont elle disposait. L’ECHA aurait cependant, dans les documents d’appui relatifs au D4 et au D5, largement renvoyé à l’avis du MSC du 22 avril 2015, notamment en ce qui concerne la bioaccumulation de ces substances dans les organismes aquatiques et dans les organismes terrestres, les données du terrain ainsi que les conclusions relatives à la bioaccumulation en général. Le document d’appui relatif au D6 ferait de multiples références dans toute l’évaluation aux données relatives au D4 et au D5. L’ECHA n’aurait pas apprécié si ces conclusions, qui avaient été obtenues dans le cadre d’une procédure différente, étaient également valables pour la procédure ayant abouti à l’adoption de la décision attaquée. Les requérantes font valoir que le « législateur de l’Union n’a pas prévu de système de “couper‑coller” ou de recyclage de motivation [et que] les procédures ne doivent pas être troublées par l’importation systématique des résultats du travail réalisé pour une décision dans une autre décision ».

57      L’ECHA, soutenue par la République fédérale d’Allemagne, conteste ces arguments.

58      À titre liminaire, d’une part, il convient de constater qu’il ressort du dossier, et notamment des documents d’appui et du procès-verbal de la réunion du MSC qui s’est tenue du 12 au 14 juin 2018, que le MSC a procédé à une évaluation des propriétés vB des trois substances. Il ressort des documents d’appui relatifs au D4 et au D5 que, dans le cadre d’une détermination globale par force probante, le MSC a pris en compte les données présentées dans l’avis du MSC du 22 avril 2015, y compris dans ses annexes, l’appréciation de ces informations exposée par le MSC dans cet avis ainsi que les données tirées de nouvelles études publiées après cet avis. Le document d’appui relatif au D6 analyse de multiples données relatives spécifiquement à la bioaccumulation de cette substance et conclut que celle-ci répond aux critères d’identification des substances vB, prévus dans l’annexe XIII. Le seul fait que ce document d’appui contient des références à des données relatives au D4 et au D5 ne démontre pas en soi l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation commise par l’ECHA. Le procès-verbal de la réunion du MSC qui s’est déroulée du 12 au 14 juin 2018 indique notamment que, à la suite d’une présentation des résultats de la consultation publique, le MSC a discuté en réunion plénière de plusieurs questions en suspens concernant l’évaluation des propriétés P ainsi que des propriétés B et T des trois substances en cause, avant de décider d’identifier ces substances comme étant extrêmement préoccupantes.

59      D’autre part, il convient d’écarter l’argumentation des requérantes selon laquelle le MSC n’aurait pas dû renvoyer à l’avis du MSC du 22 avril 2015, parce que cet avis avait été obtenu dans le cadre d’une procédure différente prévue par le règlement no 1907/2006. Il est certes vrai que cet avis a été obtenu en vertu de l’article 77, paragraphe 3, sous c), du règlement no 1907/2006 et qu’il a été utilisé dans une procédure ayant abouti à l’adoption d’une restriction de mise sur le marché du D4 et du D5 prévue au titre VIII du règlement no 1907/2006. Cependant, cet avis du MSC du 22 avril 2015 portait sur les propriétés vP et vB du D4 et du D5 évaluées conformément à l’annexe XIII. Les mêmes règles et les mêmes principes d’évaluation que ceux exigés dans le cas d’espèce, en vertu de l’article 57, sous d) et e), du règlement no 1907/2006, ont donc été appliqués. Par conséquent, ni le fait que le MSC a confirmé son avis antérieur ni le fait qu’il a renvoyé à des informations et à des conclusions contenues dans celui-ci, parce qu’il a estimé que ces informations et ces conclusions étaient toujours valables et conformes à son avis, ne constituent une erreur manifeste d’appréciation.

60      Partant, il y a lieu de rejeter cette première branche du premier moyen comme non fondée.

 Sur la quatrième branche du premier moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation prétendument commise par l’ECHA en aboutissant à des conclusions sur la bioaccumulation du D4 et du D5 que les éléments de preuve invoqués seraient incapables d’étayer

61      Dans le cadre de la quatrième branche du premier moyen, les requérantes, soutenues par l’ACC, font valoir que les conclusions de l’ECHA sur les propriétés vB du D4 et du D5 dans l’avis du MSC du 22 avril 2015 ainsi que dans le document d’appui relatif au D4 résultent d’une appréciation manifestement erronée des données disponibles.

62      En premier lieu, les requérantes soutiennent qu’il ressort des informations disponibles que le D4 ne se bioamplifie pas pour atteindre des concentrations croissantes imprévisibles dans le réseau trophique et ne peut donc pas constituer une menace pour les principaux prédateurs ou pour l’homme par voie de bioamplification. Selon les requérantes, l’ECHA aurait dû prendre cela en considération lors d’une évaluation par force probante.

63      Les requérantes, soutenues par l’ACC, font valoir que l’ECHA a, au contraire, basé ses conclusions quant aux propriétés B sur le facteur de bioconcentration (ci-après le « FBC ») en écartant d’autres informations et que cette agence a ainsi dénaturé la relation entre la section 1 de l’annexe XIII et la section 3.2 de ladite annexe. En effet, le FBC visé à la section 1 de l’annexe XIII ne serait qu’un outil permettant de prévenir le risque découlant de la bioamplification à travers la chaîne alimentaire.

64      À l’appui de leur raisonnement, premièrement, les requérantes évoquent les conclusions de l’avis du MSC du 22 avril 2015 quant à la bioamplification du D4 et du D5 sur la base d’un essai par voie alimentaire, conformément à la ligne directrice 305 de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour les essais de produits chimiques (ci-après la « ligne directrice 305 de l’OCDE »). Le MSC y aurait indiqué que les résultats d’un tel essai ne pouvaient pas être comparés directement avec la bioamplification en conditions réelles et que, même si le facteur de bioamplification (ci-après le « FBA ») résultant d’un tel essai était inférieur à 1, le FBC pouvait néanmoins satisfaire aux critères des substances B ou vB. Le MSC aurait prétendu avoir étayé cette conclusion en fournissant des exemples concernant d’autres substances sans expliquer pourquoi ces exemples étaient pertinents pour le D4 et le D5.

65      Deuxièmement, les requérantes font valoir que l’ECHA a reconnu, dans le document RCOM relatif au D4, que la majorité des études de terrain ne montreraient pas de bioamplification. Cependant, ce document aurait indiqué que l’absence de bioamplification ne pouvait pas réfuter la préoccupation causée par la bioconcentration. De même, l’avis du MSC du 22 avril 2015 indiquerait que, conformément au chapitre R.11 sur l’évaluation des propriétés PBT de novembre 2014 du « Guide des exigences d’information et évaluation de la sécurité chimique » de l’ECHA (ci-après le « guide de l’ECHA »), l’absence d’une telle bioamplification ne devrait pas servir à conclure que les substances ne répondent pas aux critères des substances B ou vB. Les requérantes font remarquer à cet égard qu’un guide non contraignant de l’ECHA ne saurait revêtir une valeur égale à celle des critères obligatoires exposés à l’annexe XIII selon laquelle il conviendrait de prendre en compte toutes les informations pour la détermination par force probante.

66      Troisièmement, les requérantes font référence à l’étude Krogseth et al. (2017). Cette étude, notamment, indiquerait que les substances en cause ne présentent pas une amplification trophique. Le métabolisme et l’élimination du D4 par le biais de l’exhalation empêcheraient l’accumulation de D4 chez les organismes, terrestres et autres, qui respirent de l’air.

67      L’ECHA, soutenue par la République fédérale d’Allemagne, conteste ces arguments.

68      À titre liminaire, il convient de constater que la bioamplification et la bioconcentration sont des phénomènes différents, comme l’indique à juste titre l’ECHA, soutenue par la République fédérale d’Allemagne. Le législateur a choisi de fixer dans les sections 1.1.2 et 1.2.2 de l’annexe XIII les critères pour l’identification des substances B ou vB par rapport à leur FBC chez les espèces aquatiques. Selon le deuxième alinéa du préambule de l’annexe XIII, les informations énoncées dans la section 3.2, notamment les résultats d’une étude sur la bioconcentration ou la bioaccumulation d’une substance chez les espèces aquatiques, et les informations sur la capacité de biomagnification de cette substance dans la chaîne alimentaire, si possible exprimées par des facteurs de bioamplification ou des facteurs d’amplification trophique, sont à comparer aux critères fixés dans la section 1 de cette annexe sur la base d’une détermination par force probante fondée sur l’avis d’experts.

69      Selon le deuxième alinéa du préambule de l’annexe XIII, la détermination par force probante est notamment appliquée lorsque les critères de la section 1 ne peuvent être appliqués directement aux informations disponibles. Un FBC résultant d’une étude fiable sur la bioconcentration d’une substance chez les espèces aquatiques, comme celui de l’espèce, peut être directement, à savoir numériquement, comparé aux critères fixés dans les sections 1.1.2 et 1.2.2 de l’annexe XIII. Tout en reconnaissant que cela n’exclut pas l’application de la détermination par force probante dans des cas comme celui de l’espèce dans lesquels des données sur le FBC sont disponibles et pertinentes, force est de constater que les informations et les données visées à la section 3.2.2 de l’annexe XIII gagnent en importance notamment quand le critère défini par rapport au FBC ne peut pas être appliqué directement aux informations disponibles.

70      Contrairement à ce que laisse entendre l’ACC, il ne ressort pas des considérants 5 et 6 du règlement no 253/2011 que la détermination par force probante est particulièrement pertinente quand les données montrent qu’une substance ne se bioamplifie pas à des concentrations imprévisibles dans le réseau trophique. Le considérant 6 dudit règlement, tout comme le deuxième alinéa du préambule de l’annexe XIII, fait référence à l’impossibilité d’appliquer directement les critères de la section 1 aux informations disponibles. Or, lorsque des informations fiables sur le FBC sont disponibles, les critères établis par rapport au FBC peuvent être directement appliqués à ces informations.

71      Il résulte de ces dispositions que le législateur a choisi d’accorder une priorité aux résultats des études fiables sur le FBC d’une substance chez les espèces aquatiques ou à tout le moins, que le MSC a, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, considéré que les valeurs de FBC revêtaient une force probante plus importante que les autres données auxquelles les requérantes font référence.

72      Les requérantes ne démontrent pas que l’évaluation et la conclusion de l’ECHA sur les propriétés vB du D4 et du D5 en l’espèce ne sont pas conformes à ces dispositions ou qu’elles sont entachées d’erreurs manifestes d’appréciation. Leurs arguments concernant l’appréciation des informations relatives à la bioamplification et à l’amplification trophique ne tiennent pas compte de l’importance explicitement accordée par le législateur aux résultats des études fiables sur le FBC d’une substance chez les espèces aquatiques. Ils sont ainsi basés sur une interprétation erronée des dispositions pertinentes de l’annexe XIII.

73      Contrairement à ce que font valoir les requérantes, la considération de l’ECHA, telle qu’elle est reflétée dans le document RCOM relatif au D4, dans l’avis du MSC du 22 avril 2015 ainsi que dans le guide de l’ECHA, selon laquelle l’absence de bioamplification ne permettait pas de réfuter la préoccupation suscitée par la bioconcentration, est conforme au cadre juridique établi par l’annexe XIII.

74      Par ailleurs, il ressort du dossier, et plus spécifiquement des documents d’appui relatifs au D4 et au D5 et de l’avis du MSC du 22 avril 2015 auquel ces documents font référence, que notamment les données résultant des études de terrain indiquant qu’il n’existait pas d’amplification trophique dans certains réseaux alimentaires ont été prises en considération. Le MSC a toutefois constaté que ces données n’invalidaient pas les autres éléments de preuve étayant la conclusion sur la bioaccumulation. Cette position tient compte du fait que la bioamplification et la bioconcentration représentent deux voies différentes de la bioaccumulation. Même si une substance ne se bioaccumule pas par voie de bioamplification, elle peut toutefois se bioaccumuler par voie de bioconcentration. En outre, l’absence de bioamplification d’une substance dans une chaîne alimentaire ne prouve pas l’absence de bioamplification de cette substance dans d’autres chaînes alimentaires.

75      Pour les mêmes raisons, il y a lieu de constater que les requérantes n’ont pas non plus démontré que l’appréciation par l’ECHA de l’étude de Krogseth et al. (2017) ou des autres informations indiquant l’absence d’amplification trophique était manifestement erronée.

76      En ce qui concerne, plus particulièrement, les résultats de l’essai par voie alimentaire mentionné par les requérantes, le MSC a expliqué en détail les raisons pour lesquelles il n’a pas considéré que les FBA inférieurs à 1 résultant de certaines études démontraient l’absence de bioaccumulation. Selon le MSC, les résultats de cet essai ne pouvaient pas être directement comparés avec la bioamplification dans les conditions de terrain. Dans les essais par voie alimentaire, conformément à la ligne directrice 305 de l’OCDE, les poissons seraient censés être placés dans de l’eau claire, de sorte que l’absorption directement de l’eau serait absente ou négligeable, alors qu’un FBA obtenu sur le terrain inclurait implicitement aussi l’absorption d’une substance directement de l’eau. En outre, des résultats relatifs à d’autres substances montreraient que, même lorsque les FBA obtenus dans le cadre d’essais par voie alimentaire sont inférieurs à 1, les FBC pourraient toujours répondre au critère des substances B ou vB.

77      Cette explication apparaît plausible, particulièrement si l’on considère que la bioamplification et la bioconcentration représentent deux voies différentes de bioaccumulation, comme le fait valoir à juste titre l’ECHA. Contrairement à ce que font valoir les requérantes, l’ECHA n’était pas tenue d’expliquer les raisons pour lesquelles les conclusions relatives à d’autres substances étaient pertinentes en l’espèce. Le MSC n’a fait référence à d’autres substances que pour démontrer qu’il n’était pas inhabituel qu’une substance possédant un FBA inférieur à 1 résultant d’un essai par voie alimentaire possédait un FBC répondant au critère des substances B ou vB.

78      Par conséquent, il y a lieu de rejeter les arguments des requérantes relatifs à la nature du FBC et à son appréciation en relation avec les autres données, telles que les données concernant la bioamplification et l’amplification trophique.

79      Ensuite, les requérantes font valoir que l’ECHA a commis une erreur manifeste d’appréciation en écartant le recours à l’approche de fugacité, telle qu’elle figure dans l’étude Mackay et al. (2015). Cette approche consisterait à « analyser les données de surveillance de réseaux trophiques représentatifs et à convertir les concentrations en fugacité ou en activités chimiques pour découvrir leur état d’équilibre relatif ». Les requérantes soutiennent que l’ECHA n’aurait pas dû écarter cette approche au motif qu’elle « n’a[vait] pas été acceptée pour le processus décisionnel réglementaire au niveau mondial et n’a[vait] pas été validée pour [le] D4 et [le] D5 ». En effet, la section 3.2.2, sous c), de l’annexe XIII reconnaîtrait la pertinence des études relatives à la bioaccumulation.

80      L’ECHA conteste ces arguments.

81      Il ressort du dossier et, notamment, des documents RCOM que l’approche de fugacité, telle qu’elle figure dans l’étude Mackay et al. (2015) et dans l’étude Gobas et al. (2015b) qui l’a appliquée au D5, a été considérée comme étant non pertinente pour l’évaluation de la bioaccumulation en substance pour deux raisons.

82      Premièrement, selon l’ECHA, cette approche n’était pas suffisamment validée et il n’y avait pas d’accord sur l’interprétation des ratios de fugacité. Ce constat n’est pas contesté par les requérantes qui soutiennent toutefois que cela n’aurait pas dû empêcher l’ECHA de prendre en considération ces informations dans le cadre d’une détermination par force probante. Cependant, l’ECHA n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en écartant une approche qui selon elle n’était pas suffisamment validée et dont l’interprétation était incertaine.

83      Deuxièmement, de l’avis de l’ECHA, le seuil de fugacité de 1 proposé n’était pas équivalent au critère de bioaccumulation prévu à l’annexe XIII et les résultats ne contredisaient pas les valeurs de FBC. Étant donné que l’approche de fugacité est une autre approche évaluant le potentiel de bioamplification et que l’étude Gobas et al. (2015b) indique une métabolisation du D5 qui pourrait empêcher le D5 de s’accumuler dans une chaîne alimentaire, il y a lieu de constater que, au regard du large pouvoir d’appréciation dont elle jouit, cette appréciation de l’ECHA peut être également considérée comme n’étant pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

84      En outre, les requérantes font valoir que l’ECHA s’est basée sur une interprétation erronée de l’annexe I du règlement no 1907/2006 (ci‑après l’« annexe I »), en ce qu’elle aurait affirmé ce qui suit dans les documents RCOM relatifs au D4, au D5 et au D6 :

« [Les] incertitudes et les choix politiques sont inhérents à toute évaluation quantitative des risques, mais dans le cas des substances PBT/vPvB, l’incertitude quant à l’évaluation de l’exposition et à l’évaluation de la toxicité est trop élevée. Par conséquent, la section 4.0.1 de l’annexe I du règlement [n° 1907/2006] précise qu’il ne saurait être procédé à une évaluation quantitative des risques d’une manière suffisamment fiable pour ce qui concerne les substances PBT/vPvB. »

85      À cet égard, les requérantes indiquent que, selon la section 4.2 de l’annexe I, relative à la caractérisation de l’exposition pour l’« évaluation PBT et vPvB », une « caractérisation des émissions, comprenant les éléments pertinents de l’évaluation de l’exposition, décrite à la section 5, est effectuée » et que « [c]ette caractérisation contient en particulier une estimation des quantités de la substance rejetées ».

86      Ainsi, contrairement à ce que l’ECHA aurait considéré, une évaluation de l’exposition pourrait être effectuée pour les substances PBT et vPvB. Par ailleurs, l’ECHA ne saurait, selon les requérantes, invoquer des règles applicables à des substances dont les propriétés PBT et vPvB ont été établies, pour évaluer des éléments de preuve en vue de décider si une substance est une substance PBT ou vPvB.

87      L’ECHA conteste ces arguments.

88      Il convient d’écarter ces arguments des requérantes au motif que les sections 4 et 6.5 de l’annexe I n’ont pas été utilisées comme critère d’évaluation dans les documents d’appui, comme l’ECHA le fait valoir à juste titre. Les extraits des documents RCOM cités par les requérantes sont des réponses à un commentaire relatif aux risques. Cependant, les critères énoncés à l’annexe XIII sont fondés sur l’évaluation des dangers issus des propriétés intrinsèques des substances et l’article 57 du règlement no 1907/2006 n’exige pas qu’il soit procédé, à l’égard des substances concernées, à une évaluation des risques résultant d’une utilisation de ces substances, analogue à celle requise, dans le cadre de la procédure d’évaluation, à la section 6 de l’annexe I de ce règlement (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2017, Polynt/ECHA, C‑323/15 P, EU:C:2017:207, points 24 et 25). Par conséquent, l’appréciation de l’exposition au titre de l’annexe I n’est pas pertinente en l’espèce.

89      Les requérantes méconnaissent le fait que l’identification des substances comme substances extrêmement préoccupantes relève d’une évaluation des dangers quand elles font valoir qu’il y a lieu de procéder à une évaluation des risques en examinant ce qui se passe réellement dans l’environnement lorsque le FBC est d’un niveau inquiétant. Selon les requérantes, cette évaluation des risques devrait examiner si les substances se trouvent ou se retrouvent dans l’eau. Si une substance n’était pas présente dans l’eau, elle ne ferait pas l’objet de bioconcentration et ne pourrait donc pas, de leur point de vue, être considérée comme étant bioaccumulable. Ainsi, selon les requérantes, l’exposition aiderait à déterminer quelles conditions devraient être considérées comme « pertinentes » au titre de l’annexe XIII.

90      Cet argument est, en outre, basé sur l’interprétation erronée de l’annexe XIII effectuée par les requérantes. Comme il est indiqué au point 68 ci-dessus, l’annexe XIII définit le critère d’identification de la bioaccumulation d’une substance par rapport à son FBC chez les espèces aquatiques. Rien dans cette annexe n’indique que le FBC n’est qu’un « outil » et qu’il conviendrait d’évaluer l’exposition et les risques dans le cadre d’une évaluation des substances PBT et vPvB.

91      En second lieu, les requérantes soutenues par l’ACC ajoutent qu’une détermination par force probante exige qu’un poids spécifique soit accordé à chaque élément d’information, ce que les sections R.4.4 et R.11.4.1 du guide de l’ECHA confirmeraient. Cependant, l’ECHA aurait omis d’accorder un poids spécifique, quantitatif ou qualitatif, à chaque élément de preuve ce qui constituerait une erreur de droit et rendrait impossible d’examiner la manière dont l’ECHA a exercé son pouvoir d’appréciation pour identifier les substances en cause comme étant des substances PBT ou vPvB.

92      L’ECHA conteste ces arguments.

93      Force est de constater que ni les deuxième et troisième alinéas du préambule de l’annexe XIII, ni aucune autre disposition de cette annexe, ni les considérants du règlement no 253/2011, ni le guide de l’ECHA ne prévoient ou n’indiquent une obligation d’attribuer des valeurs numériques aux diverses sources de données dans le contexte de la détermination par force probante.

94      Il ressort notamment du préambule de l’annexe XIII qu’une « importance appropriée » est accordée à la qualité et à la cohérence des données, que les résultats sont rassemblés et l’ensemble est pris en considération et qu’une comparaison des informations visées à la section 3.2.2 avec les critères mentionnés dans les sections 1.1.2 et 1.2.2 de ladite annexe est nécessaire. Pour qu’une « importance appropriée » soit accordée à la qualité et à la cohérence des données, il n’est pas indispensable qu’une valeur exacte et quantitative soit forcément accordée à chaque élément de preuve. Il résulte de l’utilisation des termes « en comparant » que les informations visées à la section 3.2.2 doivent être examinées au vu de leurs ressemblances et de leurs différences avec les critères. Cela n’implique pas nécessairement une approche purement quantitative. Ainsi, les règles prévues à l’annexe XIII permettent aux autorités compétentes de l’Union d’appliquer une détermination par force probante quantitative ou qualitative. Le choix des autorités compétentes parmi ces options dans un cas spécifique dépend des circonstances du cas d’espèce, notamment de la nature des informations disponibles et à comparer. Par exemple et comme la section R.11.4.1 du guide de l’ECHA l’indique, l’établissement d’une conclusion propriété par propriété demande le jugement d’experts, notamment lorsque les types d’informations disponibles sont très différents et que ces informations ne peuvent pas être comparées directement, c’est-à-dire de façon quantitative, aux critères.

95      Ce constat ressortant de l’annexe XIII et confirmé par le chapitre du guide pertinent pour l’évaluation des substances PBT et vPvB n’est pas remis en cause par l’argument de l’ACC et des requérantes tiré de la section R.4.4 de décembre 2011 du guide de l’ECHA intitulé « Évaluation et intégration de l’ensemble des informations disponibles, y compris l’approche fondée sur la force probante » selon lequel il convient d’attribuer une valeur à chaque élément d’information et selon lequel ces valeurs ou poids peuvent être attribués soit objectivement, en ayant recours à une procédure formalisée, soit en ayant recours à un avis d’experts. L’ECHA a indiqué que cette section du guide à laquelle l’ACC fait référence n’est pas destinée à être utilisée pour la détermination par force probante selon l’annexe XIII. En tout état de cause, elle est moins spécifique et ne décrit pas explicitement la situation prévue dans l’annexe XIII dans laquelle il peut s’avérer nécessaire de comparer des informations de types très différents.

96      De même, la référence des requérantes, dans le cadre de la cinquième branche du premier moyen qui porte également sur les exigences de la détermination par force probante, à la section 1.1.1.3 de l’annexe I du règlement (CE) no 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement no 1907/2006 (JO 2008, L 353, p. 1), n’est pas pertinente. Cette section est applicable à l’évaluation des dangers aux fins de la classification des substances et mélanges dangereux dans les classes de danger et rien n’indique que les règles qui y sont prévues devraient également être applicables, mutatis mutandis, à l’identification des substances PBT et vPvB selon l’annexe XIII. Les requérantes n’ont avancé aucun argument justifiant une telle application.

97      Par conséquent, contrairement à ce qu’avance l’ACC, la détermination par force probante fondée sur l’avis d’experts telle que prévue à l’annexe XIII ne nécessite pas qu’un poids quantitatif soit accordé à chaque élément de preuve.

98      Néanmoins, il découle du troisième alinéa du préambule de l’annexe XIII qu’une importance appropriée doit être accordée à la qualité et à la cohérence des données et que l’ensemble doit être pris en considération pour déterminer la force probante des données. En l’absence d’exemple concret fourni dans le cadre de la présente branche, pour lequel l’ECHA n’aurait pas respecté ces exigences dans le cas d’espèce, et compte tenu de ce qui a été relevé aux points 51 et suivants ci-dessus, il convient de constater que les arguments soulevés par les requérantes dans le cadre de la présente branche ne sont pas de nature à démontrer que l’ECHA a commis une erreur manifeste d’appréciation lors de l’évaluation du D4 et du D5 et en concluant que ces deux substances étaient des substances vB.

 Sur la deuxième branche du premier moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation prétendument commise par l’ECHA en concluant que le D4, le D5 et le D6 répondaient aux critères des substances PBT et vPvB énoncés à l’annexe XIII alors que la persistance (propriété P) et la bioaccumulation (propriété B) n’auraient pas été établies pour le même milieu

99      La deuxième branche du premier moyen comporte, en substance, trois griefs.

100    Dans le cadre du premier grief, les requérantes font valoir que l’ECHA a commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant que le D4, le D5 et le D6 répondaient aux critères des substances PBT et vPvB énoncés à l’annexe XIII alors que les propriétés P et B n’auraient pas été établies pour le même milieu. L’ECHA aurait conclu que ces trois substances étaient des substances vP dans les sédiments, mais pas dans l’eau, et qu’elles étaient des substances vB sur la base d’une bioconcentration provenant de l’eau chez le poisson, mais pas dans les sédiments.

101    Les critères énoncés à l’annexe XIII devraient, de l’avis des requérantes, être interprétés comme exigeant que les propriétés P et B se manifestent dans le même milieu. En effet, il ressortirait de l’annexe XIII que les « informations utilisées aux fins de l’évaluation des propriétés PBT/vPvB se fondent sur des données obtenues dans des conditions pertinentes » ce qui ferait référence au milieu pertinent. Le principe selon lequel les propriétés P et les propriétés B devraient se manifester dans le même milieu serait également établi dans la section 4.1 de l’annexe I du règlement no 1272/2008. Le Tribunal aurait déjà reconnu dans son arrêt du 7 mars 2013, Rütgers Germany e.a./ECHA (T‑96/10, EU:T:2013:109, point 110), que les principes établis au titre du règlement no 1272/2008 pourraient être pertinents pour les évaluations auxquelles il est procédé au titre du règlement no 1907/2006.

102    Dans le cadre du deuxième grief, premièrement, les requérantes font valoir que la présence dans l’environnement de D4, de D5 et de D6 est beaucoup plus courte que celle des « substances chimiques vP classiques » et que ces substances sont facilement réversibles en cas de cessation des émissions, comme l’étude Kim et al. (2018) l’indiquerait. À cause de leurs propriétés uniques principalement en raison de leur chaîne inorganique d’unités Si-O-Si, de leur coefficient de partage air-eau élevé et de leur coefficient de partage octanol (lipide) air relativement faible, le D4, le D5 et le D6 passeraient facilement des autres milieux à l’air où ils se dégraderaient, ce qui aurait des effets considérables sur les concentrations dans les sédiments dans l’environnement. L’ECHA n’aurait pas envisagé une modélisation dans plusieurs milieux qui aurait permis de réunir l’ensemble de ces facteurs pour comprendre la réversibilité des substances en cause.

103    Deuxièmement, en ce qui concerne le devenir environnemental des substances en cause, les requérantes font référence au modèle de fugacité de l’interaction quantitative eau-air-sédiments (ci-après le « modèle QWASI ») et à plusieurs modèles couvrant plusieurs milieux environnementaux utilisant la notion de fugacité comme critère pour évaluer un équilibre thermodynamique, qui fourniraient des avantages mathématiques pour décrire l’équilibre chimique, le partage et le déplacement de substances entre milieux environnementaux. Étant donné que cela serait une pratique scientifique courante et réaliste, l’ECHA aurait dû, selon les requérantes, tenir compte des informations relatives à la volatilité des substances en cause dans le cadre d’une approche par force probante, et non rejeter ces informations.

104    Troisièmement, le D4, le D5 et le D6 ne se trouveraient pas dans l’eau. L’étude Kozerski et Durham (2006) et l’étude Xu et Kropscott (2012) démontreraient que les substances en cause subiraient une hydrolyse ou se volatiliseraient depuis l’eau. L’étude Mackay et al. (2015) et l’étude Wang et al. (2013a) auraient démontré que le D4, le D5 et le D6 ne passeraient pas des sédiments à l’eau au-delà du niveau de solubilité. L’étude Krogseth et al. (2017) aurait établi que les concentrations de ces substances dans les eaux de lacs étaient inférieures aux limites de quantification, même lorsque les sédiments auraient été considérés comme étant fortement contaminés.

105    Dans le cadre du troisième grief, soulevé au stade de la réplique, les requérantes font valoir que l’ECHA a basé son identification du D4 comme possédant les propriétés T sur des effets observés dans des essais en laboratoires irréalistes, des données de surveillance démontrant que le D4 n’est pas détecté dans les eaux de surface.

106    L’ECHA, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et la Commission, conteste ces arguments.

107    En ce qui concerne le premier grief, premièrement, il y a lieu de constater que seuls les critères d’identification de la propriété P prévus dans les sections 1.1.1 et 1.2.1 de l’annexe XIII font expressément référence à des compartiments spécifiques et définissent des critères différents et alternatifs pour des compartiments différents. Les sections 1.1.2, 1.1.3 et 1.2.2 de l’annexe XIII qui définissent les critères d’identification des substances ayant des propriétés B ou T ne font aucune référence expresse à un compartiment spécifique et, surtout, n’établissent pas de lien entre un tel compartiment et le compartiment dans lequel la propriété P a été identifiée.

108    Deuxièmement, comme l’ECHA et la Commission le soulignent à juste titre, l’interprétation retenue par les requérantes ne tient pas compte du transfert entre les compartiments de sorte qu’une substance qui est persistante dans un compartiment, par exemple les sédiments, peut être transférée dans un autre compartiment, par exemple l’eau de mer, où elle peut se bioaccumuler ou avoir des effets toxiques.

109    Troisièmement, selon le deuxième alinéa du préambule de l’annexe XIII, la détermination par force probante fondée sur l’avis d’experts permet de comparer « toutes les informations pertinentes et disponibles visées à la section 3.2 [de ladite annexe] aux critères fixés à la section 1 ». Force est de constater que sont ainsi notamment visées des informations basées sur des données qui sont obtenues dans des compartiments différents ou qui concernent des animaux vivant dans des compartiments différents, par exemple les espèces aquatiques et les espèces terrestres. De même, la section 3 de l’annexe XIII fait référence à des facteurs qui en soi peuvent relever de plusieurs compartiments, tel que le facteur de bioamplification.

110    Par conséquent, il y a lieu de constater que l’annexe XIII n’exige pas que les critères soient tous réunis dans un seul et même compartiment.

111    Ce constat n’est pas remis en cause par l’argument des requérantes tiré de la section 4.1 de l’annexe I du règlement no 1272/2008.

112    D’une part, l’annexe XIII n’établit pas de lien direct avec la section 4.1 de l’annexe I de ce règlement en ce sens que ces dernières dispositions ou les prétendus principes qui ressortiraient de celles-ci seraient applicables à l’identification des substances PBT et vPvB selon l’annexe XIII.

113    D’autre part, comme la Commission l’avance à juste titre, cette section de l’annexe I du règlement no 1272/2008 traite des « dangers pour le milieu aquatique ». Aucun principe générale applicable à l’évaluation des substances PBT et vPvB en vertu de l’annexe XIII ne saurait être déduit de cette section très spécifique et consacrée aux dangers pour le milieu aquatique. Au contraire, cette annexe prévoit des règles qui ne sont pas limitées au milieu aquatique mais qui concernent également d’autres milieux.

114    Ainsi, les circonstances du cas d’espèce sont différentes de celles ayant donné lieu à l’arrêt du 7 mars 2013, Rütgers Germany e.a./ECHA (T‑96/10, EU:T:2013:109). Dans cette dernière affaire, le Tribunal a jugé qu’il ressortait de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1272/2008 que le législateur avait reconnu le principe selon lequel le fait qu’une substance ayant certaines propriétés soit présente dans une autre substance pouvait permettre de constater que cette dernière substance possédait ces mêmes propriétés. Le Tribunal a aussi considéré que l’applicabilité de ce principe à la procédure d’identification d’une substance comme extrêmement préoccupante était confirmée par plusieurs éléments ressortant du règlement no 1907/2006. Or, en l’espèce, les requérantes n’ont avancé aucun élément de cette nature. Bien au contraire, l’argumentation des requérantes, si elle était retenue, aurait pour effet de limiter la portée de l’analyse, ce qui n’est pas expressément prévu dans l’annexe XIII.

115    Partant, il convient de rejeter le premier grief de la deuxième branche du premier moyen comme étant non fondé.

116    En ce qui concerne le deuxième grief, force est de rappeler, de nouveau, qu’il ressort de la jurisprudence, et notamment de l’arrêt du 15 mars 2017, Polynt/ECHA, C‑323/15 P (EU:C:2017:207, points 24 et 25), que l’identification d’une substance comme substance extrêmement préoccupante au titre des articles 57 et 59 du règlement no 1907/2006 repose sur une évaluation des dangers en raison des propriétés intrinsèques de cette substance. Une évaluation des risques n’est donc pas nécessaire à cette fin. Ainsi, les arguments des requérantes selon lesquels les substances en cause ne se trouvent pas dans l’eau et ne passent pas des sédiments à l’eau au-delà du niveau de solubilité, sont inopérants afin de déterminer si une substance, en raison de ses propriétés intrinsèques, est une substance PBT ou vPvB conformément aux critères énoncés à l’annexe XIII.

117    En tout état de cause, l’affirmation des requérantes selon laquelle le D4, le D5 et le D6 ne se trouvent pas dans l’eau est contredite par les éléments du dossier. En effet, les documents d’appui contiennent de multiples données sur les concentrations de D4, de D5 et de D6 dans des organismes sur le terrain, notamment des organismes du milieu aquatique. Les requérantes n’explicitent pas comment ces substances peuvent être présentes dans ces organismes si, comme elles l’affirment, ces substances ne devraient pas être considérées comme présentes dans l’eau. Par ailleurs, les requérantes n’ont pas fourni d’éléments concrets suggérant que les données mesurées sur la présence de D4 et de D5 dans l’environnement, telles qu’elles ressortent du dossier proposant la restriction de ces deux substances, étaient erronées.

118    En outre, même s’il était vrai que les substances en cause ne passeraient pas des sédiments à l’eau au-delà du niveau de la solubilité, comme le font valoir les requérantes, cela n’exclurait pas qu’il puisse y avoir une biaccumulation, étant donné que la bioaccumulation pourrait également se produire directement des sédiments à travers des organismes vivant dans des sédiments, comme l’ECHA l’indique à juste titre. De même, une faible hydrosolubilité ne signifie ni qu’une substance n’est pas du tout présente dans l’eau, ni qu’il n’y a pas de bioconcentration dans les espèces aquatiques.

119    Par conséquent, il convient de rejeter les arguments des requérantes selon lesquels toute bioconcentration serait exclue du fait que les substances en cause ne se trouveraient pas dans l’eau, ainsi que leur argument selon lequel, pour ces raisons, aucun « danger ne saurait être démontré “dans des conditions pertinentes” ».

120    De plus, il ressort du dossier, et notamment des dossiers élaborés conformément à l’annexe XV et des documents d’appui, que l’ECHA a pris en compte, lors de l’identification du D4, du D5 et du D6 comme substances extrêmement préoccupantes, la volatilité de ces trois substances et l’étude Kim et al. (2018).

121    En ce qui concerne notamment cette dernière étude, il ressort des documents d’appui que l’ECHA a reconnu que des études de modélisation démontraient une réduction initiale rapide des concentrations en cas de cessation d’émission causée par la dégradation de siloxanes aériens. Toutefois, ces modèles démontreraient également que les concentrations dans les sédiments persistaient et que les demi-vies de dégradation dans des sédiments étaient plus élevées que ce qui est prévu par les critères fixés dans l’annexe XIII. Les requérantes se bornent à affirmer que l’étude Kim et al. (2018) démontre que la réversibilité des substances en cause serait plus facile que celle des substances PBT et vPvB. Toutefois, elles ne contestent pas que les demi-vies de dégradation dans des sédiments constatées étaient plus élevées que ce qui est prévu par les critères fixés dans l’annexe XIII.

122    À cet égard, il y a également lieu de noter que l’annexe XIII établit les critères pour les propriétés P et vP par rapport à la demi-vie de dégradation, et cela dans un milieu spécifique. En outre, cette annexe n’exige ni une détermination globale de la « réversibilité difficile ou impossible en cas de cessation d’émission » ni que la persistance ou la bioaccumulation d’une substance soit évaluée en prenant en compte son comportement dans plusieurs milieux. Elle ne prévoit pas non plus de règles spécifiques pour les substances volatiles.

123    Les requérantes n’ont pas non plus démontré dans le cadre de leur argument relatif aux modèles de fugacité et de QWASI que l’ECHA aurait dû apprécier la volatilité des substances d’une manière différente ni qu’elle aurait dû utiliser un tel modèle. Comme l’ECHA l’a fait valoir à juste titre, il ressort de la section 4.0.1 de l’annexe I que l’estimation de l’exposition à long terme des humains et de l’environnement n’est pas assez fiable en ce qui concerne les substances PBT et vPvB. Ainsi, les modélisations quantitatives du devenir, dans le cadre de l’estimation de l’exposition, ne fournissent pas de résultats suffisamment fiables pour les substances PBT et vPvB. L’ECHA indique également que de tels modèles n’ont pas été acceptés à des fins réglementaires pour la prévision de propriétés intrinsèques telles que le potentiel de bioaccumulation. Les requérantes n’ont pas avancé un seul argument susceptible de dissiper ces préoccupations de fiabilité.

124    En tout état de cause, dans leurs réponses aux questions du Tribunal, les requérantes ont précisé que le modèle QWASI aurait démontré que les substances en cause seraient présentes dans les sédiments, mais non dans l’eau et, par conséquent, ne seraient pas disponibles dans l’eau pour une bioconcentration. Or, ainsi qu’il a déjà été constaté aux points 117 et suivants, premièrement, cet argument est contredit par de multiples éléments du dossier et, deuxièmement, est sans pertinence en raison du fait qu’une bioaccumulation peut également se faire directement des sédiments à travers des organismes vivant dans des sédiments.

125    Il résulte de ce qui précède et de ce qu’il a été relevé ci-dessus aux points 51 et suivants, que l’argumentation des requérantes n’est pas de nature à démontrer l’existence d’une erreur manifeste dans l’appréciation de ces données par l’ECHA.

126    L’allégation des requérantes, selon laquelle, si les substances étaient absorbées par les poissons, elles seraient métabolisées et dès lors ne se bioaccumuleraient pas, n’est pas non plus susceptible, en l’absence de preuve suffisamment concrète et tangible, de démontrer une erreur manifeste d’appréciation par l’ECHA. Tel est également le cas de leur argument selon lequel l’étude Selck et al. (2018) indiquerait que des organismes vivant dans les sédiments métaboliseraient les substances sans montrer aucune toxicité. Contrairement aux essais figurant dans l’étude Selck et al. (2018), les essais généralement réalisés dans des laboratoires sur des échantillons de sédiments n’impliqueraient pas ces organismes.

127     Premièrement, l’ECHA souligne à juste titre que, si les substances en cause étaient métabolisées par le poisson, comme l’affirment les requérantes sans l’étayer davantage, les valeurs de FBC seraient faibles, ce qui n’est pas le cas. Même si une telle métabolisation se produisait, elle ne serait pas suffisamment forte pour exclure toute bioaccumulation par bioconcentration.

128    Deuxièmement, il ressort du dossier que l’étude Selck et al. (2018) a été prise en compte lors de la procédure ayant abouti à l’adoption de la décision attaquée. Les documents RCOM indiquent par exemple que les résultats disponibles des essais de dégradation prenaient en compte les effets potentiels du métabolisme par les organismes vivant dans des sédiments pertinents pour la demi-vie de dégradation et que l’étude Selck et al. (2018) ne fournissait pas de preuve que le métabolisme avait un effet significatif sur la demi-vie de dégradation dans des sédiments. En outre, l’ECHA fait observer que le MSC a, lors de sa réunion qui s’est tenue du 12 au 14 juin 2018, examiné l’étude Selck et al. (2018), ce qui n’est pas contesté par les requérantes. Le MSC aurait considéré que cette étude confirmait l’absorption potentielle des substances en cause par les sédiments à travers lesquels elles entreraient dans la chaîne alimentaire.

129    Les requérantes n’ont pas démontré en quoi ni dans quelle mesure cette appréciation par l’ECHA serait manifestement erronée. Elles n’ont notamment pas fait valoir que le métabolisme a un impact tel sur la demi-vie de dégradation des substances dans des sédiments que le D4, le D5 et le D6 ne remplissaient plus le critère des propriétés vP prévu à l’annexe XIII. Les requérantes se bornent à répéter qu’il y a métabolisme par les organismes vivant dans les sédiments. Dans leurs réponses aux questions du Tribunal, elles indiquent que l’étude Selck et al. (2018) démontrait l’absence de risque de bioaccumulation dans les sédiments et l’absence de bioaccumulation au premier niveau de la chaîne alimentaire. À supposer même que tel était le cas pour les organismes examinés dans le cadre de l’étude Selck et al. (2018), cet argument n’est pas susceptible de dissiper les préoccupations liées à la bioconcentration telles qu’elles résultent des valeurs de FBC élevées. La bioconcentration qui se fait directement de l’eau ne nécessite pas que les substances se trouvent dans les organismes vivant dans les sédiments.

130    Troisièmement, comme cela est décrit aux points 73 et suivants ci-dessus, c’est sans commettre d’erreur manifeste que l’ECHA a considéré que l’absence de bioamplification dans une chaîne alimentaire ne contredisait pas les valeurs de FBC élevées. De même, la considération de l’ECHA figurant dans le document d’appui relatif au D5, selon laquelle une forte bioaccumulation seulement dans une partie de la chaîne alimentaire est préoccupante, n’est pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Cette préoccupation n’est pas écartée par l’existence d’un métabolisme dans certains organismes, à la supposer établie.

131    Par conséquent, il convient de rejeter ce deuxième grief de la deuxième branche du premier moyen comme étant non fondé.

132    Enfin, sans qu’il soit nécessaire de déterminer si le troisième grief soulevé seulement au stade de la réplique est tardif et, par conséquent, irrecevable au titre de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure, il convient également de rejeter celui-ci étant donné que les requérantes se bornent à affirmer que l’identification du D4 en tant que substance T a été basée sur des essais laboratoires irréalistes, le D4 n’étant pas détecté dans les eaux de surfaces. En effet, comme il a été établi au point 117 ci-dessus, cette affirmation est contredite par les éléments du dossier.

133    En tout état de cause, et comme il a déjà été relevé aux points 116 et suivants ci-dessus, cet argument des requérantes n’est pas pertinent afin de déterminer si une substance, en raison de ses propriétés intrinsèques, est une substance PBT ou vPvB conformément aux critères énoncés à l’annexe XIII, étant donné que l’identification d’une substance comme substance extrêmement préoccupante au titre des articles 57 et 59 du règlement no 1907/2006 repose sur une évaluation des dangers en raison de ses propriétés intrinsèques et qu’une évaluation des risques n’est pas nécessaire à cette fin.

134    Partant, il convient de rejeter la deuxième branche du premier moyen dans son ensemble.

 Sur la troisième branche du premier moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation prétendument commise par l’ECHA en ne tenant pas compte de la nature spécifique (hybride) du D4, du D5 et du D6

135    Dans le cadre de la troisième branche du premier moyen, les requérantes font valoir que l’ECHA a commis une erreur manifeste d’appréciation en ne tenant pas compte de la nature hybride du D4, du D5 et du D6. Premièrement, ces substances disposeraient d’une chaîne inorganique d’atomes de silicium et d’oxygène et les siloxanes ne seraient pas des substances organiques ou organométalliques. Les requérantes relèvent que le Compendium de terminologie chimique (Compendium of Chemical Terminology – The Gold Book) (ci-après le « Gold Book ») de l’Union internationale de chimie pure et appliquée (UICPA) définit un « polymère inorganique » comme étant un polymère ou un réseau de polymères présentant une structure de squelette qui ne comporte pas d’atome de carbone et considère les polysiloxanes et les polysilanes comme étant des exemples de polymères inorganiques.

136    L’ECHA aurait rejeté toute discussion relative à cette question alors que la nature hybride du D4, du D5 et du D6 aurait été une information pertinente à prendre en considération pour la « manière dont il convient d’appliquer les critères énoncés à l’annexe XIII », étant donné que cette annexe XIII, selon son préambule, « s’applique à toutes les substances organiques, y compris organométalliques ». 

137    Deuxièmement, les siloxanes tels que le D4, le D5 et le D6 seraient différents des substances organiques en ce qui concerne leurs propriétés de solubilité et de partage qui influenceraient leur distribution et leur devenir dans l’environnement. Selon les requérantes, lorsque les substances en cause sont rejetées dans l’air, elles y restent et se détériorent sans passer dans d’autres milieux. Lorsque ces substances sont rejetées dans d’autres milieux, elles se volatilisent vers l’air où elles se détériorent. Grâce à leurs coefficients d’adsorption normalisée basés sur une teneur en carbone organique appréciable, les substances en cause se lieraient au carbone organique et s’hydrolyseraient dans l’eau. Par conséquent, les D4, D5 et D6 ne se trouveraient pas dans l’eau. Par ailleurs, en raison des coefficients de partage octanol‑eau élevés de ces substances, l’exposition par voie alimentaire à travers la chaîne alimentaire aurait dû être prise en compte pour évaluer le potentiel de bioaccumulation de ces substances.

138    Troisièmement, le D4, le D5 et le D6 se dilueraient biologiquement et subiraient un métabolisme dans certaines espèces benthiques, pélagiques et terrestres. Par conséquent, ils ne créeraient pas de réseaux trophiques et ne feraient pas l’objet d’une bioamplification.

139    L’ECHA, soutenue par la République fédérale d’Allemagne, conteste ces arguments. Elle aurait pris en compte toutes les propriétés pertinentes du D4, du D5 et du D6. Leur nature « hybride » ne serait pas un facteur pertinent au titre de l’annexe XIII.

140    À cet égard, il convient de rappeler que le sixième alinéa du préambule de l’annexe XIII indique que cette « annexe s’applique à toutes les substances organiques, y compris organométalliques ». Contrairement à sa version antérieure, la version de l’annexe XIII applicable en l’espèce ne contient plus de mention explicite concernant sa non-application aux substances inorganiques.

141    Par conséquent, même une substance possédant une structure « hybride », à savoir « ni pleinement inorganique ni pleinement organique », ce qui d’après les requérantes serait le cas du D4, du D5 et du D6, ne serait pas nécessairement exclue du champ d’application de cette annexe.

142    En outre, il convient de constater que les requérantes ne contestent pas l’argument de l’ECHA selon lequel les siloxanes, tels que le D4, le D5 et le D6, figurent dans le volume publié par l’UICPA sur les substances organiques (le « Blue Book ») et non dans le volume sur les substances inorganiques (le « Red Book »). Par ailleurs, elles ne contestent pas non plus l’argument de l’ECHA selon lequel, à l’exception de quelques exceptions spécifiquement définies, tous les composés chimiques qui contiennent du carbone, ce qui est le cas du D4, du D5 et du D6, constituent des « produits chimiques organiques ».

143    Par conséquent et considérant que le Blue Book et le Red Book constituent la référence standard en chimie et que la tâche de l’UICPA est notamment d’établir une nomenclature et une terminologie globalement reconnues, il y a lieu de constater que la classification du D4, du D5 et du D6 comme étant des substances organiques est conforme à la terminologie reconnue sur le plan international.

144    L’ensemble des arguments soulevés par les requérantes n’est pas susceptible de démontrer que l’application de l’annexe XIII à ces substances est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation malgré cette conformité avec la terminologie reconnue sur le plan international.

145    Premièrement, il convient d’examiner les arguments des requérantes tirés du fait que le Gold Book considérerait les polysiloxanes et les polysilanes comme étant des exemples de polymères inorganiques. Les requérantes, dans leurs observations sur le mémoire en intervention présenté par la République fédérale d’Allemagne, ajoutent, en faisant référence au Gold Book, que les siloxanes ont été considérés dans la nomenclature de l’UICPA comme des substances organiques dans les années 90, mais que, à partir de 2007, l’UICPA a identifié les polysiloxanes comme étant des exemples de polymères inorganiques.

146    Comme le fait valoir la République fédérale d’Allemagne dans ses réponses aux questions du Tribunal, le D4, le D5 et le D6 ne sont pas des polymères selon la définition figurant à l’article 3, paragraphe 5, du règlement no 1907/2006, ni selon la nomenclature de l’UICPA. En outre, ces substances seraient enregistrées par les déclarants en tant que monomères. Les requérantes, dans leurs observations sur les réponses de la République fédérale d’Allemagne, ont reconnu que les substances en cause ne sont pas des polymères.

147    Par conséquent, il y a lieu de constater que, selon cette nomenclature, les substances en cause ne sont pas des polysiloxanes. De même, le fait que les polysiloxanes constituent des polymères inorganiques n’implique pas que le D4, le D5 et le D6 auraient dû être considérés comme étant des substances hybrides, voire inorganiques.

148    Ce constat n’est pas remis en cause par l’argument des requérantes, dans leurs observations sur les réponses de la République fédérale d’Allemagne, selon lequel les substances en cause sont des siloxanes et selon lequel, parce qu’elles disposeraient de « plus d’une union Si-O » et parce que « poly » signifierait « plus d’un », elles constitueraient, par conséquent, des polysiloxanes. Cette affirmation n’est étayée par aucun élément de preuve, notamment par aucune source reconnue sur le plan international, et est en contradiction avec l’entrée dans le Gold Book relative aux polymères inorganiques.

149    Par conséquent, il convient de rejeter l’argument des requérantes relatif aux polysiloxanes comme étant non pertinent.

150    Étant donné, ainsi qu’il a été constaté précédemment, que c’est sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que l’ECHA a considéré le D4, le D5 et le D6 comme étant des substances organiques, force est de constater que l’annexe XIII était, par conséquent, effectivement applicable en l’espèce ainsi que le prévoit le sixième alinéa du préambule de ladite annexe. Or, cette annexe ne prévoit pas d’exception ou de règles spécifiques pour les substances possédant des propriétés telles que celles évoquées par les requérantes.

151    Néanmoins, selon le deuxième alinéa du préambule de l’annexe XIII, « toutes les informations pertinentes et disponibles visées à la section 3.2 » sont comparées aux critères fixés à la section 1 de ladite annexe. Selon le troisième alinéa de ce préambule, « toutes les informations disponibles ayant une incidence sur l’identification d’une substance PBT ou vPvB sont prises en considération conjointement » lors de la détermination par force probante. Certaines propriétés spécifiques d’une substance peuvent, en principe, constituer de telles informations. Cependant, en l’espèce, les requérantes n’avancent aucun élément de preuve susceptible de démontrer que l’ECHA a omis de prendre en compte de telles informations et qu’une telle prétendue omission aurait eu une incidence sur l’identification du D4, du D5 et du D6 comme étant des substances vB.

152    Deuxièmement, en ce qui concerne les arguments des requérantes selon lesquels le D4, le D5 et le D6 ne se trouvent pas dans l’environnement et leurs arguments relatifs au comportement de ces substances dans l’environnement et notamment entre différents milieux, force est de constater que ceux-ci ont déjà été examinés et rejetés dans le cadre de la deuxième branche de ce premier moyen à laquelle il est donc renvoyé.

153    Troisièmement, en ce qui concerne l’affirmation des requérantes relative au fait que les substances en cause subiraient un métabolisme dans les espèces benthiques, pélagiques et terrestres, il convient de noter que cette affirmation, dans la mesure où elle se réfère au métabolisme dans les poissons et dans des organismes vivant dans des sédiments, a également été examinée et rejetée dans le cadre de la deuxième branche de ce premier moyen à laquelle il est donc renvoyé.

154    Dans la mesure où cette affirmation des requérantes concerne le métabolisme des substances en cause dans d’autres organismes, force est de constater que celle‑ci est générale et n’est en rien étayée. À cet égard, l’ECHA fait valoir qu’il n’est pas possible d’avancer une telle affirmation sur la base des données disponibles. Dans cette situation, il convient de conclure que les requérantes n’ont pas démontré que l’appréciation de l’ECHA à cet égard était manifestement erronée.

155    En tout état de cause, même si les substances en cause étaient intégralement métabolisées dans certains organismes, excluant ainsi, selon les requérantes, toute bioamplification et toute amplification trophique dans certaines chaînes alimentaires ou dans certaines parties de certaines chaînes, cela ne remettrait pas en cause la conclusion de l’ECHA concernant les propriétés vB du D4, du D5 et du D6 basée sur les valeurs de FBC élevées et étayée par de multiples sources de données sur la bioamplification tirées d’études alimentaires. Les arguments soulevés par les requérantes à cet égard semblent être basés sur leur interprétation erronée de l’annexe XIII et notamment de la relation entre, d’une part, le critère fixé aux sections 1.1.2 et 1.2.2 de cette annexe par rapport au FBC et, d’autre part, les données sur la bioamplification et l’amplification trophique auxquelles la section 3.2.2 fait notamment référence. À cet égard, il est renvoyé aux considérations figurant dans le cadre de la quatrième branche de ce premier moyen.

156    En ce qui concerne par ailleurs l’argumentation des requérantes selon laquelle l’exposition par voie alimentaire à travers la chaîne alimentaire aurait dû être prise en compte pour évaluer le potentiel de bioaccumulation des substances en cause en raison de leurs coefficients de partage octanol‑eau élevés, force est de constater qu’il ressort du dossier, et notamment des documents d’appui, que l’ECHA a bien pris en compte l’exposition par voie alimentaire à travers la chaîne alimentaire. En ce qui concerne l’appréciation de ces données et la comparaison entre ces données et les données relatives à la bioconcentration effectuées par l’ECHA et le fait que les requérantes n’ont pas démontré l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation à cet égard, il est de nouveau renvoyé aux considérations figurant dans le cadre de la quatrième branche de ce premier moyen.

157    Partant, la troisième branche du premier moyen doit également être rejetée comme étant non fondée.

 Sur la cinquième branche du premier moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation prétendument commise par l’ECHA en omettant d’évaluer les nouveaux éléments de preuve relatifs à la bioaccumulation (propriétés B et vB) pour le D4 et le D5 dont l’ECHA aurait disposé postérieurement aux avis du MSC et du CER

158    Dans le cadre de la cinquième branche du premier moyen, les requérantes, soutenues par l’ACC, font valoir que l’ECHA a omis d’inclure des nouvelles données dans une évaluation globale de la force probante des données comme cela serait requis à l’annexe XIII et à la section 1.1.1.3 de l’annexe I du règlement no 1272/2008.

159    L’ECHA aurait présenté dans les documents d’appui relatifs au D4 et au D5 plusieurs études comme étant nouvelles ou comme ayant été publiées après que l’avis du MSC avait été accepté.

160    Concernant le D4, il s’agirait des études suivantes : Domoradzki et al. (2017) ; Bridges et Solomon (2016) ; Jia et al. (2015) ; Gobas et al. (2015) ; Powell et al. (2017) ; Powell et al. (2018) ; Woodburn K. (2017) ; Ruus et al. (2016) ; Ruus et al. (2017) ; Krogseth (2014) ; Krogseth et al. (2017a) ; Krogseth et al. (2017b) ; Sanchis et al. (2015b) ; Wang et al. (2017) ; McGoldrick et al. (2014) ; Sanchis et al. (2016) ; Huber et al. (2015) ; Lu et al. (2017) ; Lucia et al. (2016), et Fjeld et al. (2016).

161    Concernant le D5, il s’agirait des études suivantes : Domoradzki et al. (2017) ; Bridges et Solomon (2016) ; Jia et al. (2015) ; Gobas et al. (2015a) ; Gobas et al. (2015b) ; Powell et al. (2017) ; Powell et al. (2018) ; Woodburn K. (2017) ; Ruus et al. (2016) ; Ruus et al. (2017) ; Krogseth (2014) ; Krogseth et al. (2017a) ; Krogseth et al. (2017b) ; Sanchis et al. (2015b) ; Wang et al. (2017) ; McGoldrick et al. (2014) ; Sanchis et al. (2016) ; Huber et al. (2015) ; Lu et al. (2017) ; Lucia et al. (2016), et Fjeld et al. (2016).

162    Parmi ces études figureraient en outre certaines études qui, selon l’ECHA, avaient déjà été évaluées dans le cadre de l’avis rendu par le MSC, le 22 avril 2015. Les requérantes font valoir que les conclusions de l’étude Bridges et Solomon (2016) n’ont pas été évaluées et que l’étude Jia et al. (2015) a été mentionnée, mais non évaluée. 

163    Les requérantes font également valoir que l’ECHA a uniquement renvoyé à ces nouvelles études sans les évaluer dans le cadre d’une détermination par force probante, alors même que l’annexe XIII l’aurait exigé.

164    L’ACC ajoute qu’une détermination par force probante exige qu’un poids spécifique soit accordé à chaque élément d’information, ce que les sections R.4.4 et R.11.4.1 du guide de l’ECHA confirmeraient. Cependant, l’ECHA aurait omis d’accorder un poids spécifique, quantitatif ou qualitatif, à chaque élément de preuve ce qui constituerait une erreur de droit et empêcherait d’examiner la manière dont l’ECHA a exercé son pouvoir d’appréciation pour identifier les substances en cause comme étant des substances PBT ou vPvB.

165    L’ECHA, soutenue par la République fédérale d’Allemagne, conteste ces arguments.

166    À titre liminaire, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été relevé dans le cadre de la quatrième branche du premier moyen, la détermination par force probante des données fondée sur l’avis d’experts selon l’annexe XIII ne nécessite pas qu’un poids quantitatif soit accordé à chaque élément de preuve.

167    Néanmoins, il découle du troisième alinéa du préambule de l’annexe XIII qu’une importance appropriée doit être accordée à la qualité et à la cohérence des données et que l’ensemble est pris en considération pour déterminer la force probante des données.

168    Par conséquent, il convient d’examiner, au regard de l’argumentation soulevée par les requérantes dans le cadre de la présente branche, si l’ECHA au vu de ces exigences a dans le cadre de son appréciation, notamment dans la pondération des nouvelles études, commis une erreur manifeste.

169    Il convient de constater à cet égard qu’il ressort du dossier, et notamment des documents d’appui relatifs au D4 et au D5, que toutes les études pertinentes auxquelles les requérantes font référence ont été prises en considération. Ces documents d’appui indiquent les informations qui ont eu une incidence sur la conclusion globale relative à la bioaccumulation et l’impact qu’elles ont eu. Il ressort également du dossier, et notamment des documents d’appui relatifs au D4 et au D5 ainsi que des documents RCOM, que l’ECHA a bien expliqué les raisons pour lesquelles certaines informations n’avaient pas été jugées pertinentes ou devaient être appréciées avec prudence.

170    Les études suivantes sont notamment traitées dans le document d’appui relatif au D4 : Domoradzki et al. (2017) (p. 17) ; Bridges et Solomon (2016) (p. 17) ; Jia et al. (2015) (p. 18) ; Gobas et al. (2015) (p. 18) ; Powell et al. (2017) (p. 18) ; Powell et al. (2018) (p. 18) ; Woodburn K. (2017) (p. 18 et 19) ; Ruus et al. (2016) (p. 19) ; Ruus et al. (2017) (p. 19) ; Krogseth (2014) (p. 19) ; Krogseth et al. (2017a) (p. 19) ; Krogseth et al. (2017b) (p. 19) ; Sanchis et al. (2015b) (p. 19) ; Wang et al. (2017) (p. 20) ; McGoldrick et al. (2014) (p. 20) ; Sanchis et al. (2016) (p. 20) ; Huber et al. (2015) (p. 20) ; Lu et al. (2017) (p. 20) ; Lucia et al. (2016) (p. 20), et Fjeld et al. (2016) (p. 20).

171    Les études suivantes sont notamment traitées dans le document d’appui relatif au D5 : Domoradzki et al. (2017) (p. 17) ; Gobas et al. (2015a) (p. 17, 18 et 19) ; Bridges et Solomon (2016) (p. 17 et 18) ; Gobas et al. (2015b) (p. 18) ; Jia et al. (2015) (p. 18 et 19) ; Powell et al. (2017) (p. 19) ; Powell et al. (2018) (p. 19) ; Woodburn K. (2017) (p. 19) ; Ruus et al. (2016) (p. 19) ; Ruus et al. (2017) (p. 19) ; Krogseth (2014) (p. 19 et 20) ; Krogseth et al. (2017a) (p. 19 et 20) ; Krogseth et al. (2017b) (p. 19 et 20) ; Sanchis et al. (2015b) (p. 20) ; Fjeld et al. (2016) (p. 20) ; Wang et al. (2017) (p. 20) ; McGoldrick et al. (2014) (p. 20) ; Sanchis et al. (2016) (p. 20) ; Huber et al. (2015) (p. 21) ; Lu et al. (2017) (p. 21), et Lucia et al. (2016) (p. 21).

172    De plus, les documents RCOM relatifs au D4 et au D5 traitent, par exemple, de l’approche suivie dans l’étude Bridges et Solomon (réponse au commentaire no 5119 relatif au D4 et réponse au commentaire no 5122 relatif au D5) ainsi que des études Gobas et al. (2015a) (réponse au commentaire no 5119 relatif au D4 et réponse au commentaire no 5122 relatif au D5), Gobas et al. (2015b) (réponse au commentaire no 5119 relatif au D4 et réponse au commentaire no 5122 relatif au D5), Powell et al. (2017) (p. 16 de chaque document RCOM), Powell et al. (2018) (p. 16 de chaque document RCOM) et Krogseth et al. (2017) (p. 16 de chaque document RCOM).

173    Par conséquent, l’affirmation générale des requérantes, soutenues à cet égard par l’ACC, selon laquelle le poids quantitatif ou qualitatif qui a été accordé à chaque étude n’est pas clair, ne saurait être accueillie.

174    Ce constat n’est pas remis en cause par l’argument des requérantes, soutenu par l’ACC, dans la réplique, selon lequel la simple citation des études ne suffit pas afin de démontrer que l’ECHA a tenu compte de nouvelles informations. Selon les requérantes, une procédure d’évaluation des avantages et des inconvénients de chaque élément d’information ainsi qu’une procédure d’évaluation de l’ensemble des informations auraient dû être effectuées dans le cadre d’une approche par force probante. L’approche globale adoptée par l’ECHA empêcherait presque totalement de déterminer si un élément a été réellement soumis à l’évaluation de la force probante. En évaluant uniquement si les nouvelles données s’écartaient des informations antérieures, l’ECHA aurait omis d’examiner avec un œil critique si le poids des nouvelles informations conduisait à une pondération globale différente des éléments de preuve disponibles.

175    Il a déjà été relevé dans le cadre de la première branche que le seul fait que l’ECHA a fait usage de résultats de travail antérieurement obtenus, par exemple en renvoyant à ou en citant l’avis du MSC de 2015, ne signifie pas que la décision attaquée soit entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Les requérantes semblent déduire l’existence d’erreurs manifestes d’appréciation de la forme choisie pour présenter les données de l’évaluation dans la procédure ayant abouti à l’adoption de la décision attaquée. Or, l’annexe XIII n’établit pas d’exigences spécifiques relatives à la présentation telles que préconisées par les requérantes.

176    Les requérantes n’indiquent pas en quoi, ni pour quelle raison, la conclusion sur les propriétés vB et, en conséquence, la décision sur l’identification du D4 et du D5 comme substances extrêmement préoccupantes auraient été différentes si l’évaluation avait été présentée d’une façon différente.

177    De même, la manière dont ont été présentées les données et l’évaluation dans le cas d’espèce n’est pas susceptible en tant que telle de démontrer que les nouvelles données et leur impact sur la conclusion n’ont pas été examinés avec un « œil critique ».

178    En outre, les requérantes ne mentionnent aucun exemple concret de donnée pour laquelle il leur serait impossible ou bien « presque impossible » de savoir comment elle a été appréciée ni dans quelle mesure une telle donnée a eu un impact sur la conclusion relative aux propriétés vB du D4 et du D5.

179    Il convient également d’examiner si les autres arguments soulevés par les requérantes démontrent l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation commise par l’ECHA dans l’appréciation des études en cause.

180    En premier lieu, les requérantes fournissent plusieurs exemples qui démontreraient que l’ECHA n’a pas examiné soigneusement de nouvelles informations relatives à certaines études de terrain sur l’amplification trophique et sur la biodilution, par exemple le projet de recherche de Krogseth et de ses collaborateurs sur le devenir des méthylsiloxanes volatiles cycliques dans le lac Storvannet à Hammerfest (Norvège) et les publications de Powell et al. (2017) et de Powell et al. (2018) relatives respectivement à la baie de Tokyo et au fjord d’Oslo. L’ECHA aurait rejeté ces études sur une base générique ou les aurait examinées superficiellement. Les requérantes ajoutent que l’ECHA n’a pas mentionné que l’étude relative au lac Storvannet étayait la biodilution des trois substances en cause.

181    En outre, l’affirmation de l’ECHA, selon laquelle cette dernière avait déjà examiné ces deux dernières études dans le cadre de l’avis du MSC qui date de 2015, serait peu compréhensible. L’évaluation des avant-projets de ces études, qui seuls auraient été disponibles à l’époque et qui n’auraient pas été examinés par des pairs, ne serait pas équivalente à une évaluation de ces études.

182    De plus, l’ECHA n’aurait pas non plus démontré qu’elle a apprécié les raisons pour lesquelles certaines études indiquant un facteur d’amplification trophique (ci-après le « FAT ») d’une valeur supérieure à 1 auraient été suivies par plusieurs nouvelles études examinées par des pairs qui auraient abouti à une valeur de FAT inférieure à 1. L’ECHA aurait également commis une erreur manifeste d’appréciation en n’accordant pas une plus grande importance aux études examinant les avantages et les inconvénients des conceptions d’études antérieures. De même, elle aurait exclu que plus de poids pouvait être accordé aux nouvelles données.

183    Enfin, les requérantes réitèrent certains arguments soulevés dans le cadre de la quatrième branche de ce moyen. L’affirmation du MSC dans son avis du 22 avril 2015, selon laquelle l’absence de bioamplification ne devrait pas servir à conclure qu’une substance ne répond pas au critère des propriétés vB, ne serait pas conforme à l’annexe XIII qui reconnaîtrait dans la section 3.2.2, sous c), l’importance de telles données. Le fait pour l’ECHA d’avoir basé sa conclusion relative aux propriétés B ou vB des substances en cause sur les valeurs de FBC élevées de celles-ci « étayées par de multiples faisceaux de preuves relatifs à la bioamplification dans des études par voie alimentaire » constituerait une sélection arbitraire des données par l’ECHA.

184    L’ECHA conteste ces arguments.

185    À cet égard, il y a lieu de constater qu’il ressort des documents d’appui relatifs au D4 et au D5 que l’ECHA a bien examiné l’étude Krogseth (2014), l’étude Krogseth et al. (2017a) et l’étude Krogseth et al. (2017b). Il ressort également des documents d’appui que l’ECHA a examiné les résultats des deux études Powell et al. (2017 et 2018), qui ont été soumis avant la publication et dont l’autorité compétente du Royaume-Uni disposait, par conséquent, déjà avant que le MSC rende son avis le 22 avril 2015 et qui sont décrites dans les annexes de celui-ci. L’étude Krogseth (2014) figure également dans les documents RCOM.

186    Il ressort également des documents d’appui quelles informations relevant de ces études ont été prises en compte, comment ces informations relatives à l’amplification trophique ont été considérées par rapport aux données existantes et la manière dont elles ont été prises en compte pour aboutir à la conclusion relative à la bioaccumulation. En effet, les documents d’appui relatifs au D4 et au D5 indiquent que l’ensemble des données nouvelles sur l’amplification trophique ne s’écarte pas des données diverses qui étaient disponibles avant l’avis du MSC.

187    Les requérantes n’ont présenté aucun élément suggérant que les données des études en cause ont été interprétées d’une façon manifestement erronée, ni que cette conclusion relative à l’amplification trophique était manifestement erronée. Plus particulièrement, leur argument, selon lequel les documents d’appui n’indiquent pas que les études Krogseth et al. étayaient l’existence d’une biodilution, doit être écarté. En effet, une biodilution est le phénomène contraire d’une amplification trophique et les documents d’appui relatifs au D4 et au D5 indiquent que ces études ne démontrent pas une telle amplification trophique.

188    Doit également être écarté l’argument selon lequel l’ECHA aurait dû apprécier, dans le cadre de sa pondération des études, le fait que certaines études avaient été revues par des pairs. Les requérantes n’ont notamment pas démontré que la revue par des pairs des avant-projets des études, tels que ceux de Powell et al., entre l’avis du MSC du 22 avril 2015 et l’identification des substances en cause comme substances PBT et vPvB, a apporté des modifications pertinentes à ces études, ni que l’ECHA n’a pas pris en compte de telles modifications, ou les a prises en compte de manière erronée. Le seul fait qu’une étude soit revue par des pairs n’est pas un aspect décisif pour une détermination par force probante des données fondée sur l’avis d’experts.

189    De même, il convient d’écarter les arguments des requérantes selon lesquels l’ECHA aurait dû accorder une plus grande importance aux nouvelles études examinant les avantages et les inconvénients des conceptions d’études antérieures et selon lesquels elle aurait exclu qu’une nouvelle étude puisse se voir accorder plus de poids qu’une étude antérieure.

190    L’ECHA a, à juste titre, fait valoir qu’une nouvelle étude ne se voit pas accorder plus de poids qu’une étude antérieure en raison du seul fait qu’elle a été publiée postérieurement. De nouveau, les requérantes se contentent d’une affirmation générale sans indiquer en quoi des nouvelles études auraient indiqué des éléments nouveaux que l’ECHA aurait appréciés de façon manifestement erronée.

191    En tout état de cause, l’argument des requérantes est dénué de pertinence. Les requérantes n’ont pas indiqué, par exemple, la manière dont une nouvelle étude indiquant l’existence d’une biodilution dans certains réseaux alimentaires aurait pu remettre en cause la conclusion relative à la bioaccumulation des substances en cause du seul fait que cette étude est plus récente ou a, entre-temps, été revue par des pairs. En effet, les données résultant des études de terrain indiquant l’absence d’amplification trophique dans certains réseaux alimentaires ont déjà été prises en considération. La seule circonstance qu’une autre étude a été publiée postérieurement aux autres études ou qu’elle a entre-temps été revue par des pairs ne change pas le constat général sur l’existence de données indiquant l’absence d’amplification trophique dans certains réseaux alimentaires. Tel est également le cas de la conclusion du MSC selon laquelle ces données n’invalidaient pas les autres éléments de preuve étayant la conclusion relative à la bioaccumulation et notamment pas les données relatives au FBC.

192    En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que l’ECHA a erronément écarté l’étude Gobas et al. (2015a) et l’étude Bridges et Solomon (2016) selon lesquelles le D4, le D5 et le D6 ne seraient pas bioaccumulables, « en raison des différences dans l’approche sous-tendant l’évaluation de la bioaccumulation », sans expliquer les raisons pour lesquelles ces études n’étaient pas pertinentes.

193    L’explication selon laquelle l’étude Gobas et al. (2015a) aurait été écartée parce qu’elle était basée sur le processus d’évaluation canadien dont les critères de bioaccumulation différaient de ceux du règlement no 1907/2006 serait erronée. Les critères seraient équivalents. Le processus d’évaluation canadien regarderait plus loin que le FBC ce que la section 3.2 de l’annexe XIII imposerait également de manière expresse.

194    L’explication selon laquelle l’étude Bridges et Solomon (2016) aurait été écartée parce qu’elle avait fondé sa conclusion concernant la bioaccumulation uniquement sur la bioamplification et avait entièrement négligé la bioconcentration serait également erronée. Les auteurs de cette étude auraient négligé le FBC parce qu’il ne serait pas déterminant pour évaluer les dangers liés aux substances en cause pour l’environnement.

195    L’ECHA conteste ces arguments.

196    À cet égard, le Tribunal constate que les arguments des requérantes sont contradictoires. D’une part, elles affirment que l’ECHA n’a pas fourni les raisons pour lesquelles elle a rejeté ces études. D’autre part, elles affirment que les raisons fournies par l’ECHA sont erronées.

197    En outre, il convient de constater qu’il ressort des éléments du dossier que l’ECHA a expliqué les raisons pour lesquelles ces deux études n’ont pas été prises en considération. Le document d’appui relatif au D5 indique que l’étude Gobas et al. (2015a) est basée sur un processus d’évaluation de la bioaccumulation canadien qui serait différent du système du règlement no 1907/2006, notamment en ce qu’un poids significatif serait accordé à la biotransformation.

198    Les documents d’appui relatifs au D4 et au D5 indiquent que l’étude Bridges et Solomon (2016) jugeait les valeurs de FBC fiables, mais peu pertinentes, et que la conclusion sur la bioaccumulation négligeait entièrement la bioconcentration. Les documents RCOM relatifs au D4 et au D5 indiquent que cette approche n’était ainsi pas conforme à l’annexe XIII.

199    Cette explication fournie par l’ECHA est cohérente avec l’annexe XIII dans laquelle les critères d’identification des substances B et vB sont établis par rapport au FBC chez les espèces aquatiques. En revanche, les arguments soulevés par les requérantes remettant en cause cette explication de l’ECHA sont basés sur leur interprétation erronée de l’annexe XIII déjà avancée et rejetée dans le cadre de la quatrième branche.

200    Lors de l’audience, les requérantes ont soutenu que, dans le cadre de cette branche relative au D4 et au D5, elles ont également fait valoir de « manière indirecte », en faisant référence à l’étude Gobas et al. (2015) au point 114 de la requête et au point 59 de la réplique, que les valeurs de FBC du D4 et du D5 avaient été soumises à une correction de croissance erronée, ainsi qu’elles l’avaient fait valoir pour le D6 dans le cadre de la sixième branche du premier moyen. À cet égard, il est vrai que lesdits points font référence à l’étude Gobas et al. (2015a) et que le point 59 de la réplique fait également référence à l’étude Gobas et al. (2015). Néanmoins, ces points ne mentionnent ni qu’une correction de croissance a été effectuée, ni que celle-ci constitue une erreur manifeste d’appréciation, ni même les valeurs de FBC rapportées pour ces deux substances. Ainsi, il ne ressort ni de la requête ni de la réplique que les requérantes entendaient contester, dans le cadre de la cinquième branche relative au D4 et au D5, une prétendue correction de croissance des valeurs de FBC relatives à ces substances. Cet argument est donc tardif et, par conséquent, irrecevable.

201    Est également sans incidence à cet égard l’argument des requérantes, soulevé au point 67 de la réplique dans le cadre de la sixième branche du premier moyen relative au D6, selon lequel l’ECHA « n’a pas procédé à l’évaluation des D4, D5 et D6 en utilisant le FBC tel que défini à l’annexe XIII, c’est‑à‑dire comme constituant l’outil permettant d’établir s’il est satisfait au critère vB » et selon lequel « [e]lle a[urait], au contraire, fait référence à un FBC corrigé en fonction de la croissance et à des FBC normalisés à concurrence de 5 % par rapport aux lipides, comme paramètres de bioaccumulation à prendre en considération dans l’évaluation ». Premièrement, cet argument se trouve sous le titre « En omettant de tenir compte de toutes les informations pertinentes pour conclure quant à la bioaccumulation (vB) du D 6 » et il semble apporter des précisions concernant les arguments de la requête relatifs à la bioaccumulation du D6. Deuxièmement, cet argument n’a été soulevé que tardivement au stade de la réplique et n’apporte pas de précision concernant l’argument relatif à l’évaluation de la bioaccumulation du D4 ou du D5 figurant dans la requête. Troisièmement, les requérantes ne mentionnent aucun détail relatif aux valeurs de FBC du D4 et du D5 avant ou après la prétendue correction. Quatrièmement, le renvoi global des requérantes dans la note de bas de page no 107 de la réplique aux dossiers élaborés conformément à l’annexe XV relatifs à ces trois substances ne saurait se substituer à une argumentation développée par les requérantes à cet égard. En effet, il n’appartient pas au Tribunal de rechercher et d’identifier, dans les annexes, les moyens et les arguments qu’il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale (arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T‑201/04, EU:T:2007:289, point 94).

202    Par conséquent, il y a lieu de rejeter l’argument des requérantes relatif à une prétendue correction de croissance du D4 et du D5, soulevé lors de l’audience, comme étant tardif et, en tout état de cause, comme étant non étayé.

203    L’argumentation des requérantes relative à l’étude Gobas et al. (2015a) et à l’étude Bridges et Solomon (2016) doit donc être écartée.

204    En troisième lieu, les requérantes font valoir que l’ECHA a affirmé que de nouvelles études indiquaient l’existence d’une contamination de fond sans évaluer la fiabilité et la précision de ces études. Cependant, la présence des substances en cause dans l’environnement ne constituerait pas nécessairement un indice d’une bioaccumulation. Cela indiquerait que l’ECHA a sélectionné des études pour soutenir ses allégations sur la bioaccumulation.

205    Les requérantes soutiennent que plusieurs experts avaient signalé que les analyses des siloxanes et certaines constatations environnementales avaient été manifestement influencées par des sources ponctuelles. Par conséquent, il aurait été nécessaire d’évaluer pour chaque étude si les échantillons avaient éventuellement été contaminés ou si des problèmes s’étaient posés lors de leur traitement et de leur analyse.

206    L’ECHA conteste ces arguments.

207    En ce qui concerne l’argument des requérantes selon lequel la présence d’une substance dans l’environnement n’est pas nécessairement un indice d’une bioaccumulation, il convient de noter, comme l’ECHA le fait valoir à juste titre, que les études en cause sont présentées dans les documents d’appui en tant qu’informations disponibles. La conclusion tirée de ces études dans les documents d’appui est qu’elles indiquent l’existence d’une contamination de fond. Les requérantes n’ont pas démontré que cette conclusion était erronée. Il ne ressort pas des documents d’appui que ces études ont été considérées comme indiquant l’existence d’une bioaccumulation.

208    En ce qui concerne la contamination potentielle des échantillons, il y a lieu de constater que les requérantes n’établissent pas de lien suffisant entre, d’une part, les analyses des siloxanes et certaines constatations environnementales et, d’autre part, la prétendue obligation pour l’ECHA d’évaluer pour chaque étude si les échantillons ont éventuellement été contaminés ou si des problèmes se sont posés lors de leur traitement et de leur analyse. Une telle obligation générale ne pèse pas sur l’ECHA étant donné que les procédures de laboratoires et les normes d’essai appliquées par les scientifiques sont conçues afin d’éviter autant que possible les problèmes auxquels les requérantes font référence. D’ailleurs, les requérantes n’ont pas démontré que ces règles et ces normes n’auraient pas été respectées ni que des résultats devraient être considérés comme ayant été faussés pour de telles raisons. En outre, il ressort des documents d’appui relatifs au D4 et au D5 que l’ECHA a reconnu et pris en considération le fait que certains résultats étaient influencés par des sources ponctuelles.

209    Ainsi, il convient de rejeter l’argument des requérantes relatif aux études qui indiquent, selon les documents d’appui, l’existence d’une contamination de fond.

210    En quatrième lieu, les requérantes font valoir que l’ECHA a omis de prendre en compte certaines données qui lui auraient été fournies lors de la consultation publique relative à l’analyse de la meilleure option de gestion de risques (risk management option analysis) dont il ressortirait que le D4 est fortement métabolisé par les organismes benthiques, ce qui empêcherait toute bioaccumulation dans ces biotes et toute toxicité pour ces biotes.

211    Le Tribunal n’estime pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si l’ECHA était obligée ou non de prendre en considération de telles informations comme le font valoir les requérantes, bien que ces informations n’aient pas été soumises dans le cadre de la procédure ayant abouti à l’adoption de la décision attaquée, mais dans une procédure différente et, d’ailleurs, volontaire. En tout état de cause, il a déjà été relevé dans le cadre de la quatrième branche de ce moyen que des informations relatives au métabolisme par les organismes benthiques ont été prises en considération lors de la procédure ayant abouti à l’adoption de la décision attaquée. Les requérantes n’ont pas démontré, dans ce cadre, que l’appréciation de ces observations relatives au métabolisme figurant dans le document RCOM était manifestement erronée, ni indiqué en quoi les données soumises lors de la consultation publique relatives à l’analyse de la meilleure option de gestion de risques concernant le même sujet étaient différentes de ces informations prises en considération.

212    Par conséquent, il y a lieu de constater que l’ensemble des arguments soulevés par les requérantes n’est pas susceptible de démontrer que l’ECHA a commis une erreur manifeste dans l’appréciation des nouvelles études.

213    Partant, il y a lieu de rejeter la cinquième branche du premier moyen comme étant non fondée.

 Sur la sixième branche du premier moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation prétendument commise par l’ECHA en omettant de tenir compte de toutes les informations pertinentes pour conclure quant à la bioaccumulation du D6

214    Les arguments des requérantes soulevés dans le cadre de la présente branche peuvent être divisés en quatre griefs.

215    Par le premier grief, tout d’abord, les requérantes soutiennent que le document d’appui relatif au D6 n’explique pas les raisons pour lesquelles les informations disponibles sur le FBA et le FAT n’invalidaient pas les autres faisceaux d’éléments de preuve, ni pourquoi certains essais de bioaccumulation en laboratoire cités comme une base pour le FBC étaient « plus fiables ». Par ces simples affirmations, l’ECHA n’aurait pas appliqué une détermination par force probante telle que celle prévue par l’annexe XIII et par la section 1.1.1.3 de l’annexe I du règlement no 1272/2008.

216    Ensuite, les requérantes, soutenues par l’ACC, font valoir que l’ECHA a uniquement cité les nouveaux éléments de preuve sans indiquer quel poids, quantitativement ou qualitativement, avait été accordé à ceux-ci, ni comment ceux-ci avaient été appréciés par rapport aux données évaluées antérieurement.

217    Enfin, l’ECHA aurait accordé une importance disproportionnée aux études de terrain montrant une bioamplification et aux valeurs les plus élevées, telles qu’une valeur de FBC de 5 000 ou plus, afin d’étayer la conclusion que le D6 était une substance vB.

218    Par le deuxième grief, les requérantes soutiennent que l’étude CERI (2010) démontre une valeur de FBC chez la carpe commune (Cyprinus carpio) situé en deçà d’une valeur de 5 000 qui serait pourtant requise pour satisfaire au seuil de la propriété vB. L’ECHA aurait fait référence à une valeur de FBC corrigée en fonction de la croissance et à des valeurs de FBC normalisées à concurrence de 5 % par rapport aux lipides. Cette pratique, comme l’étude Gobas et al. (2015) l’aurait relevé, serait sujette à des erreurs scientifiques et à des erreurs réglementaires.

219    Les requérantes ne s’opposent pas à la normalisation des valeurs de FBC, mais font valoir que la normalisation, en l’espèce, est entachée d’erreurs, de sorte que seule la croissance (le dénominateur) aurait été normalisée, alors que la consommation d’air et d’aliments (le numérateur) aurait selon elles aussi dû être normalisée. Ainsi, la seule approche que l’ECHA aurait dû suivre, aurait été d’appliquer le seuil de 5 000 pour le FBC sans procéder à une normalisation. De même, l’ECHA n’aurait pas non plus tenu compte du fait que l’étude CERI (2010) avait appliqué la méthodologie initialement destinée au calcul du FBC, sans appliquer de normalisation.

220    Les requérantes ajoutent dans leur réplique que « Gobas [a relevé] que “[les dossiers élaborés conformément à l’annexe XV] n’inclu[aien]t pas d’analyse appropriée des erreurs ni un critère statistique pour établir si le FBC dont il [était] rendu compte [était] supérieur à la valeur-critère de 5 000” ».

221    Par le troisième grief, les requérantes soutiennent que l’ECHA a importé les erreurs commises dans le cadre de l’évaluation du D4 et du D5 dans l’évaluation du D6. Étant donné que l’identification du D4 comme étant une substance PBT ainsi que l’identification du D5 comme étant une substance vPvB seraient erronées, l’identification du D6 comme étant une substance PBT et vPvB parce qu’il contient du D4 ou du D 5 serait également erronée. L’ECHA aurait également omis d’évaluer indépendamment les propriétés PBT et vPvB alléguées du D6 et se serait bornée à renvoyer à plusieurs reprises aux avis antérieurs du MSC et du CER sur le D4 et le D5.

222    Par le quatrième grief, les requérantes affirment que l’ECHA n’a pas pris en compte toutes les informations disponibles et n’a pas évalué les éléments de preuve « de manière significative ».

223    L’ECHA conteste ces arguments.

224    À titre liminaire, il convient de souligner que les arguments soulevés par les requérantes dans le cadre du premier et du troisième grief de cette sixième branche sont étroitement liés aux arguments soulevés dans le cadre de la première et de la quatrième branche de ce premier moyen.

225    En ce qui concerne le premier grief de la sixième branche du premier moyen, il convient de rappeler que l’argument des requérantes relatif au règlement no 1272/2008 a déjà été écarté dans le cadre de la quatrième branche de ce premier moyen. Étant donné que la section 1.1.1.3 de l’annexe I du règlement no 1272/2008 s’applique à la classification des substances et des mélanges dangereux dans les classes de danger selon cette annexe et que rien n’indique que les règles qui y sont prévues devraient également s’appliquer à l’identification des substances PBT et vPvB selon l’annexe XIII, il convient d’écarter cet argument également dans le cadre de cette sixième branche.

226    En outre, force est de constater que, contrairement à ce qu’affirment les requérantes, le document d’appui relatif au D6 indique bien les raisons pour lesquelles les données établissant qu’il pouvait y avoir une biodilution dans certaines chaînes alimentaires ou dans certaines parties de telles chaînes n’invalidaient pas les autres éléments de preuve. Ce document d’appui liste notamment les résultats variés quant aux données relatives au FAT constatées sur le terrain et note que certaines études qui avaient établi une valeur médiane de FAT inférieure à 1 avaient relevé des valeurs de FBA supérieures à 1 dans certaines relations prédateur-proie. En outre, ce document d’appui constate que les critères prévus à l’annexe XIII ne contiennent pas de seuil limite pour les valeurs de FAT ou de FBA, mais que des valeurs supérieures à 1 pourraient être une preuve solide que la substance répond au critère de la propriété B de l’annexe XIII. Les requérantes n’ont pas démontré l’existence d’erreurs manifestes commises dans ce raisonnement ou en ce qui concerne l’importance accordée aux valeurs de FBC plus élevées. Le raisonnement figurant dans le document d’appui relatif au D6 est d’ailleurs cohérent avec l’annexe XIII conformément aux considérations déjà développées dans le cadre de la quatrième branche du premier moyen.

227    L’argument des requérantes relatif aux essais de bioaccumulation en laboratoire cités comme base pour le FBC, lesquels étaient considérés comme étant « plus fiables », est lié aux arguments soulevés dans le cadre du deuxième grief de la sixième branche relatifs à l’interprétation des résultats de l’étude CERI (2010) auquel il est donc renvoyé.

228    Par conséquent, il y a lieu de rejeter le premier grief.

229    Ensuite, il convient de rejeter le troisième grief dès lors que les requérantes n’ont pas démontré l’existence d’erreurs commises dans l’évaluation du D4 et du D5 ayant conduit à leur identification comme étant des substances PBT et vPvB, de sorte que l’identification du D6 comme étant une telle substance lorsqu’elle contient du D4 ou du D5 n’est pas entachée d’une telle erreur qui aurait été transposée.

230    En outre, il ressort du dossier, et notamment du document d’appui relatif au D6, que le MSC a évalué de manière détaillée et dans environ 70 pages les informations relatives à la bioaccumulation du D6. Comme il est indiqué dans le cadre de la première branche du premier moyen, le fait que l’ECHA a effectué des renvois ponctuels à des résultats obtenus dans le cadre d’autres procédures ne signifie pas que cette agence n’a pas procédé à une évaluation indépendante et ne constitue pas une erreur manifeste d’appréciation. De même, les comparaisons effectuées entre des résultats relatifs au D6, d’une part, et des résultats relatifs au D4 et au D5 qui sont des substances possédant des similitudes, d’autre part, ne constituent pas, en soi, une telle erreur. Les requérantes n’ont pas démontré qu’un renvoi spécifique ou qu’une comparaison concrète effectués dans le document d’appui relatif au D6 constituaient une erreur manifeste d’appréciation de la part de l’ECHA.

231    En ce qui concerne le deuxième grief de la sixième branche, relatif à l’application de la normalisation de la teneur en lipides et de la correction de croissance aux résultats de l’étude CERI (2010), il y a lieu de constater que l’argument des requérantes, soulevé uniquement au stade de l’audience, selon lequel une normalisation de la teneur en lipides aurait dû être effectuée, est tardif et doit, par conséquent, être rejeté comme irrecevable.

232    En tout état de cause, comme l’ECHA l’a indiqué lors de l’audience et ainsi qu’il ressort du document d’appui relatif au D6, aucune normalisation de la teneur en lipides n’a été appliquée aux valeurs de FBC résultant de l’étude CERI (2010), car la déviation de la teneur standard, qui était de 5 %, a été jugée négligeable. Plus spécifiquement, il ressort du document d’appui relatif au D6 que l’application d’une normalisation de la teneur en lipides aurait mené, en l’espèce, à des valeurs de FBC de 94 % de ces valeurs. Les requérantes n’ont pas fait valoir que l’appréciation selon laquelle la déviation était négligeable était manifestement erronée. Elles n’ont pas fait valoir non plus que l’application de la normalisation aurait eu un impact décisif sur les valeurs de FBC en ce sens que les valeurs non normalisées ont dépassé le seuil du critère relatif à la propriété vB établi à la section 1.2.2 de l’annexe XIII alors que la normalisation aurait conduit à des valeurs qui auraient été inférieures à cette valeur seuil.

233    Par conséquent, cet argument des requérantes doit, en tout état de cause, être écarté comme étant inopérant.

234    En ce qui concerne la correction de la croissance, il y a lieu de constater que l’ECHA fait valoir que les résultats du FBC cinétique provenant de l’étude CERI (2010) ont été normalisés conformément à la ligne directrice 305 de l’OCDE, au document d’orientation no 264 de l’OCDE et au chapitre R.11 du guide de l’ECHA, tels que mis à jour en 2017. Cela n’est pas contesté par les requérantes qui mettent plutôt en cause cette méthodologie reconnue par l’ECHA et par l’OCDE, car la formule utilisée serait selon elles irréaliste en ce que le dénominateur (la dépuration) serait adapté pour correspondre à un poisson qui ne grandit pas alors que le numérateur (la consommation) ne serait pas adapté et correspondrait à un poisson qui grandit. Dans leurs réponses aux questions du Tribunal, elles précisent qu’une critique spécifique relative au calcul des données en cause, telle que celle exprimée par l’étude Gobas et al. (2015), aurait dû primer une ligne directrice générale.

235    À cet égard, il convient de rejeter l’argument soulevé par les requérantes dans leurs réponses aux questions du Tribunal selon lequel une opinion scientifique divergente devrait primer une ligne directrice générale. Si tel était le cas, l’utilité de telles lignes directrices reconnues par l’ECHA serait mise en cause, de même que le large pouvoir d’appréciation de l’ECHA, étant entendu qu’un désaccord sur une certaine question dans la communauté scientifique n’est pas inhabituel. Ainsi, la seule existence d’une opinion divergente, même si elle concerne spécifiquement la substance en cause, ne saurait obliger l’ECHA à ne plus suivre une ligne directrice qu’elle a reconnue comme étant appropriée.

236    En outre, force est de constater qu’il ressort du dossier que la critique spécifique à laquelle les requérantes font référence, à savoir celle exprimée dans l’étude Gobas et al. (2015), a été abordée lors de la procédure administrative, comme le fait valoir l’ECHA, par le MSC lors de sa 60e réunion ainsi que dans la réponse au commentaire no 5058 figurant dans le document RCOM relatif au D6 (ci-après la « réponse au commentaire no 5058 »).

237    En ce qui concerne la critique de l’étude Gobas et al. (2015) relative à la correction de croissance, la réponse au commentaire no 5058 indique les raisons pour lesquelles les valeurs ont été corrigées en fonction de la croissance, notamment afin d’éviter que la croissance rapide du poisson crée la fausse impression d’une dépuration rapide. Tout en reconnaissant certaines incertitudes relatives à la correction de croissance, cette réponse indique que l’alternative à cette correction aurait été de rejeter les études dans lesquelles une croissance excessive du poisson avait été constatée et de demander la réalisation d’essais supplémentaires sur des vertébrés, ce qui ne serait pas cohérent avec les objectifs du règlement no 1907/2006.

238    Les requérantes n’ont pas démontré que cette réponse au commentaire no 5058 établirait l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation. À cet égard, il convient de souligner que la correction de croissance prévue dans la ligne directrice 305 de l’OCDE et dans le guide de l’ECHA, tous deux mis à jour en 2017, vise à réduire la distorsion scientifique comme l’ECHA le fait valoir. Le choix de l’ECHA d’appliquer cette méthode reconnue et qui vise à réduire la distorsion, même s’il subsistait certaines incertitudes concernant cette méthode, au lieu de demander la réalisation d’essais supplémentaires sur des vertébrés ou d’utiliser des résultats non normalisés, ne constitue pas une erreur d’une telle nature.

239    Enfin, l’argument des requérantes selon lequel l’étude CERI (2010) a initialement suivi une autre méthodologie n’est pas pertinent, en particulier parce que les données de cette étude étaient suffisamment détaillées pour pouvoir appliquer les mises à jour de 2017, comme le fait valoir l’ECHA sans être contredite par les requérantes sur ce point.

240    En ce qui concerne les autres critiques soulevées dans l’étude Gobas et al. (2015) auxquelles les requérantes font référence, à savoir celles tenant à l’absence d’analyse des erreurs et de critère statistique, force est de constater que les requérantes n’ont pas non plus démontré que notamment la réponse détaillée au commentaire no 5058, qui traite également de ces critiques, révèle une erreur manifeste d’appréciation à cet égard.

241    Premièrement, contrairement à ce que les requérantes laissent entendre dans leurs observations sur les réponses de l’ECHA aux questions du Tribunal, la réponse au commentaire no 5058 ne contient pas une simple référence à la critique, mais plutôt une réponse détaillée sur plusieurs pages à cette critique. Deuxièmement, dans cette réponse il est à juste titre indiqué que ni l’annexe XIII ni le guide de l’ECHA n’exigent une analyse statistique ou une analyse d’erreurs, telles que proposées dans ce commentaire. Troisièmement, cette réponse indique qu’une analyse statistique des données relatives au FBC devrait être effectuée seulement s’il existait plusieurs valeurs de FBC résultant de différents essais réalisés dans les mêmes conditions chez la même espèce. Les requérantes, dans leurs réponses aux questions du Tribunal, se sont bornées à affirmer que des « études supplémentaires démontrant des résultats différents opposés à l’étude FBC sur laquelle [l’ECHA] s’est basée exclusivement » étaient disponibles. Les requérantes n’ont pas précisé si ces prétendues études répondaient aux critères mentionnés dans la réponse au commentaire no 5058, notamment si elles ont été effectuées dans les mêmes conditions et avec les mêmes espèces. Elles n’avancent pas non plus d’argument mettant en cause ces critères appliqués par l’ECHA. Cette dernière, dans ses observations sur les réponses des requérantes, conteste l’existence de telles études. Il y a lieu de constater que rien dans le dossier n’indique l’existence de telles études.

242    Par conséquent, il y a lieu de rejeter le deuxième grief de la sixième branche.

243    Enfin, il convient de rejeter également le quatrième grief, au motif que les requérantes ne fournissent aucun exemple concret d’une information pertinente qui n’aurait pas été prise en compte lors de l’évaluation de la bioaccumulation du D6.

244    Partant, il y a lieu de rejeter la sixième branche du premier moyen dans son ensemble.

 Sur la septième et la huitième branche du premier moyen, tirées d’une erreur manifeste d’appréciation prétendument commise par l’ECHA en omettant de prendre en considération les informations relatives à la toxicité respectivement du D5 et du D6 en tant que tels, en identifiant respectivement le D5 et le D6 comme étant des substances PBT en raison de la présence de D4 en tant qu’impureté et sans tenir compte des limites spécifiques relatives à la quantité de D4 définies par le MSC

245    La septième et la huitième branche du premier moyen se divisent chacune en deux griefs.

246    Dans le cadre du premier grief des septième et huitième branches du premier moyen, les requérantes, soutenues par l’ACC, font valoir que l’ECHA a commis une erreur manifeste dans le cadre de son évaluation en ne tenant pas compte des informations relatives à la toxicité du D5 et du D6 en tant que tels afin d’établir si ces deux substances répondaient au critère des substances T énoncé à l’annexe XIII et en invoquant, au contraire, seulement les propriétés du D4 en tant qu’impureté du D5 et du D6.

247    En premier lieu, le cinquième alinéa du préambule de l’annexe XIII disposerait que l’identification « tien[drait] également compte » des propriétés PBT et vPvB des constituants pertinents d’une substance. En outre, le quatrième alinéa du préambule de l’annexe XIII, selon lequel les informations utilisées aux fins de l’évaluation des propriétés PBT et vPvB se fonderaient sur des « données obtenues dans des conditions pertinentes », exigerait que les données soient obtenues sur « la substance elle-même ».

248    Les requérantes soutiennent que le CER a, dans son avis du 10 mars 2016, affirmé que le « D 5 ne réuni[ssai]t pas les critères pour la toxicité prévus à l’annexe XIII du règlement REACH, sur la base des éléments de preuve disponibles ». Cette conclusion serait basée sur des données obtenues à la suite d’essais réalisés avec du D5 contenant du D4 en tant qu’impureté.

249    Par ailleurs, le D5 et le D6 seraient des substances composées d’un seul constituant principal, à savoir respectivement le D5 et le D6. Il existerait des essais visant à identifier si le D5 peut être identifié comme « toxique ».

250    Le document d’appui relatif au D6 indiquerait que les propriétés de toxicité pour la santé humaine et d’écotoxicité n’ont pas été évaluées. Étant donné que des informations sur les essais de toxicité pour la santé humaine ou pour l’environnement du D6, notamment ses impuretés, auraient été disponibles et présentées à l’ECHA, cette dernière aurait été tenue de classer le D6 sur la base de ces essais ou au moins de tenir compte de ces informations.

251    Ainsi, le cas d’espèce serait différent de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 7 mars 2013, Rütgers Germany e.a./ECHA (T‑96/10, EU:T:2013:109). Au point 114 dudit arrêt, le Tribunal aurait évalué si l’« étude d’une substance [de composition inconnue ou variable, produit de réactions complexes ou matières biologiques] dans son ensemble » était possible et aurait établi que « [l]a plupart des méthodes d’essai disponibles pour déterminer les propriétés intrinsèques de ces substances ne [convenaient] que pour l’étude de substances composées d’un seul constituant principal ». Par conséquent, l’ECHA aurait été tenue d’identifier le D5 et le D6 sur la base des essais réalisés avec le D5 et le D6 eux-mêmes ou, à tout le moins, de prendre en considération les informations relatives à la toxicité du D5 et du D6.

252    En second lieu, les requérantes, soutenues par l’ACC, font référence à une jurisprudence constante des juridictions de l’Union, et plus précisément au point 29 de l’arrêt du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767), selon lequel « il ne saurait être considéré que, du seul fait qu’un constituant d’une substance possède un certain nombre de propriétés, la substance les possède également, mais il faut considérer le pourcentage et les effets chimiques de la présence d’un tel constituant ». L’ECHA n’aurait pas tenu compte des effets chimiques de la présence du D4 en tant qu’impureté dans le D5 et dans le D6.

253    Dans le cadre du second grief de la septième branche et de la huitième branche, les requérantes relèvent que la décision attaquée inclut respectivement le D5 et le D6 en tant que tels dans la liste des substances candidates. De l’avis des requérantes, cette décision ne spécifierait pas que ces substances ne répondent aux critères prévus à l’article 57, sous d), du règlement no 1907/2006 que lorsqu’elles contiennent du D4 en quantités égales ou supérieures à 0,1 % (masse/masse). Ainsi, la décision attaquée ne serait ni conforme à l’accord du MSC ni étayée par les éléments de preuve.

254    L’ECHA, soutenue par la Commission, conteste ces arguments.

255    En ce qui concerne le premier grief des septième et huitième branches du présent moyen, en premier lieu, il convient de rappeler que l’annexe XIII, dans sa version applicable en l’espèce, prévoit explicitement au cinquième alinéa de son préambule que l’« identification tient également compte des propriétés PBT/vPvB des constituants pertinents d’une substance ».

256    Premièrement, contrairement à ce que les requérantes et l’ACC avancent, le mot « également » n’indique pas que l’ECHA aurait dû évaluer la toxicité du D5 et du D6 en tant que telle alors qu’elle savait que les données n’étaient pas complètes à cet égard ou que la toxicité de ces deux substances résultait déjà d’autres données disponibles, notamment celles relatives au D4 présent en tant qu’impureté dans le D5 et le D6. Une telle évaluation aurait été sans utilité et sans incidence sur la conclusion.

257    D’ailleurs, une telle interprétation ne serait pas compatible avec l’un des objectifs du règlement no 1907/2006, à savoir celui d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, tel qu’établi à l’article 1er, premier alinéa, dudit règlement. Il est conforme audit objectif que, même dans des situations dans lesquelles l’évaluation d’une ou de plusieurs des propriétés PBT et vPvB d’une substance n’est ni possible ni utile, les propriétés des constituants de ladite substance soient pris en compte.

258    Deuxièmement, il convient d’examiner si les impuretés d’une substance telle que le D4 contenues dans le D5 et le D6 dans le cas d’espèce, relèvent de la notion de « constituant ».

259    Cette notion n’est pas définie dans le règlement no 1907/2006. Selon le guide de l’ECHA, ce terme désigne les principaux constituants, impuretés et additifs de substances dont la composition est bien définie, ainsi que les constituants de substances de composition inconnue ou variable, produits de réactions complexes ou matières biologiques (ci-après les « substances UVCB » ).

260    La pertinence de la prise en compte des impuretés pour la caractérisation d’une substance est confirmée par d’autres dispositions du règlement no 1907/2006. Par exemple, l’évaluation de la sécurité chimique couvre selon la section 0.3 de l’annexe I l’« utilisation de la substance telle quelle (y compris, le cas échéant, les impuretés et les additifs importants) ». De même, selon la section 3 de l’annexe II du règlement no 1907/2006, la rubrique 3 des fiches de données de sécurité décrit l’« identité chimique du ou des composants de la substance ou du mélange, y compris les impuretés ».

261    Par ailleurs, une telle interprétation qui permet de tenir compte des propriétés des impuretés lors de l’évaluation des propriétés PBT ou vPvB d’une substance est conforme à l’objectif d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, tel qu’établi à l’article 1er, premier alinéa, du règlement no 1907/2006. Il ne serait pas convaincant de faire une distinction entre les différents composants d’une substance en ce sens que les constituants d’une substance UVCB seraient considérés pertinents pour l’identification des substances PBT ou vPvB alors que les impuretés ne le seraient pas quelle que soit leur concentration dans cette substance et quels que soient leurs effets.

262    Troisièmement, il convient d’écarter l’argumentation des requérantes relative à l’arrêt du 7 mars 2013, Rütgers Germany e.a./ECHA (T‑96/10, EU:T:2013:109, point 114).

263    D’une part, le cadre juridique applicable en l’espèce est différent de celui applicable dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 7 mars 2013, Rütgers Germany e.a./ECHA (T‑96/10, EU:T:2013:109). Le cinquième alinéa du préambule de l’annexe XIII n’était notamment pas applicable lorsque cet arrêt a été rendu. Par conséquent, ledit alinéa n’a pas pu faire l’objet d’une interprétation dans le cadre de celui-ci.

264    D’autre part, l’arrêt du 7 mars 2013, Rütgers Germany e.a./ECHA (T‑96/10, EU:T:2013:109), concernait les substances UVCB. Or, rien dans ledit arrêt n’indique que des constituants d’autres substances, notamment des impuretés, ne devraient pas être pris en compte dans le cadre d’une évaluation des propriétés PBT ou vPvB.

265    En second lieu, il convient de rappeler que le Tribunal a, dans une affaire concernant une classification en vertu du règlement no 1272/2008, jugé qu’il ne saurait être considéré que, du seul fait qu’un constituant d’une substance possédait un certain nombre de propriétés, la substance les possédait également et qu’il fallait considérer le pourcentage et les effets chimiques de la présence d’un tel constituant (arrêt du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission, T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767, point 29).

266    D’ailleurs, le Tribunal a considéré dans l’arrêt du 7 mars 2013, Rütgers Germany e.a./ECHA (T‑96/10, EU:T:2013:109, points 113 et suivants), que le raisonnement de l’ECHA selon lequel il était « important d’évaluer une substance UVCB sur la base de ses constituants parce que, une fois libérés dans l’environnement, les constituants individuels d’une telle substance se comporteraient comme des substances autonomes » et selon lequel les « substances en cause libéreraient plusieurs [hydrocarbures aromatiques polycycliques] différents ayant des propriétés PBT ou vPvB lors de leur utilisation, par exemple, par chauffage durant le traitement ou par lixiviation au contact de l’eau » n’était pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

267    En l’espèce, il ressort du document RCOM relatif au D5, et notamment de la réponse au commentaire no 5122, ainsi que de celui relatif au D6, et notamment de la réponse au commentaire no 5123, que l’ECHA a considéré que le D4 présent en tant qu’impureté dans le D5 et dans le D6 pourrait dans une période plus ou moins longue être rejeté dans l’environnement et s’y comporter comme une substance PBT.

268    Par conséquent, force est de constater que l’ECHA a considéré le comportement du D4 contenu en tant qu’impureté dans les substances en cause.

269    L’argument des requérantes tiré du fait que, lors des essais de toxicité, le D5 et le D6 contenant du D4 en tant qu’impureté n’ont pas révélé de toxicité n’est pas susceptible de démontrer que cette considération est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. En réponse aux questions du Tribunal, l’ECHA a indiqué comme explication à cette observation que la concentration de D4 contenu dans le D5 ou le D6 lors des essais ou les effets toxiques pourraient avoir été trop faibles. L’ECHA a également précisé que, si le D5 et le D6 étaient soumis à des essais à la limite de leur solubilité dans l’eau (à savoir environ 17 μg/l et 5 μg/l), la concentration résultant d’une impureté de 1 % de D4 dans les systèmes d’essai serait encore bien inférieure à la concentration sans effet observé pour la toxicité aquatique du D4, qui serait établie entre 4 et 8 μg/l.

270    Contrairement à ce que les requérantes laissent entendre dans leurs observations sur les réponses de l’ECHA, il n’incombait pas à l’ECHA de prouver pourquoi les essais en cause n’avaient pas révélé de toxicité. Sans qu’il soit nécessaire de déterminer si une telle preuve aurait pu être apportée, force est de constater que la question pertinente est de savoir si l’ECHA, en ne tenant pas compte des données relatives à la toxicité résultant des essais réalisés avec le D5 et le D6 en tant que tels, a commis une erreur manifeste d’appréciation. À cet égard, il y a lieu de constater que les explications fournies par l’ECHA selon lesquelles, d’une part, elle a conclu que le D5 et le D6 étaient toxiques en raison de la présence du D4 dans ces substances en tant qu’impureté et, d’autre part, cette conclusion n’aurait pas été remise en cause par les résultats des essais effectués avec le D5 et le D6 en tant que tels sont plausibles.

271    De même, l’argument soulevé par les requérantes dans leurs observations sur les réponses de l’ECHA selon lequel la concentration de D4 dans l’eau n’atteindrait jamais un niveau toxique en raison de la faible hydrosolubilité des substances en cause et de la faible concentration de D4 dans le D5 et dans le D6 ne saurait convaincre et ne permet pas de dissiper la préoccupation exprimée par l’ECHA. Cette préoccupation était que le D4 contenu dans le D5 et le D6 pourrait se libérer et, par la suite, se comporter, en raison de ses propriétés intrinsèques, comme une substance PBT. Or, une fois libéré, la concentration initiale de D4 dans le D5 ou dans le D6 n’est plus décisive. Le D4 se retrouvera dans l’environnement où il pourra s’accumuler et pourra finir par avoir des effets toxiques.

272    En outre, et contrairement aux parties requérantes dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767), les requérantes n’avancent en l’espèce aucun élément de preuve substantiel qui démontrerait que les motifs invoqués par l’ECHA étaient erronés et notamment que le D4 présent en tant qu’impureté dans le D5 et dans le D6 ne se libérerait pas dans l’environnement.

273    Enfin, en ce qui concerne le seuil de 0,1 % de D4 dans le D5 et le D6 fixé dans la décision attaquée en tant que facteur entraînant l’identification du D5 et du D6 comme substances extrêmement préoccupantes, force est de constater que les requérantes n’ont pas avancé d’argument concret mettant en cause ce choix. Par conséquent, il suffit de constater, à cet égard, qu’il ressort de la jurisprudence que le choix d’un seuil de 0,1 % en tant que facteur entraînant l’identification d’une substance sur la base de ses constituants ne constitue pas en soi une erreur manifeste (voir, en ce sens, arrêts du 7 mars 2013, Bilbaína de Alquitranes e.a./ECHA, T‑93/10, EU:T:2013:106, points 96 et suivants ; du 7 mars 2013, Rütgers Germany e.a./ECHA, T‑94/10, EU:T:2013:107, points 117 et suivants, et du 7 mars 2013, Cindu Chemicals e.a./ECHA, T‑95/10, EU:T:2013:108, points 124 et suivants). Ce constat s’applique non seulement aux constituants d’une substance UVCB telle que celle en cause dans les affaires ayant donné lieu auxdits arrêts, mais également aux impuretés présentes dans une substance, telles que le D4 qui se trouve dans le D5 et le D 6.

274    Il ressort de tout ce qui précède que les requérantes, dans le cadre du premier grief des septième et huitième branches du premier moyen, n’ont pas démontré que l’ECHA a commis une erreur manifeste d’appréciation en ne prenant pas en considération les informations relatives à la toxicité du D5 et à celle du D6 en tant que tels, et en identifiant ces deux substances comme étant des substances PBT en raison de la présence de D4 en tant qu’impureté dans celles-ci.

275    Par conséquent, il y a lieu de rejeter ces griefs comme étant non fondés.

276    En ce qui concerne le second grief des septième et huitième branches, il convient tout d’abord d’en clarifier l’objet. Il découle, en effet, de l’argumentation exposée par les requérantes dans le cadre de ces griefs qu’elles estiment pouvoir attaquer de manière isolée la décision ED/61/2018 du directeur exécutif de l’ECHA selon laquelle le D4, le D5 et le D6 sont inscrits sur la liste des substances candidates. Or, un tel raisonnement ignore les précisions contenues dans l’avis du MSC, telles que détaillées dans les documents d’appui relatifs au D5 et au D6, ainsi que dans les entrées relatives à ces deux substances dans la liste de substances candidates publiée sur le site Internet de l’ECHA.

277    À cet égard, il convient de noter qu’il ressort d’une jurisprudence bien établie que c’est l’acte d’identification d’une substance résultant de la procédure visée à l’article 59 du règlement no 1907/2006 qui est destiné à produire des effets juridiques obligatoires à l’égard des tiers au sens de l’article 263, premier alinéa, deuxième phrase, TFUE (arrêts du 7 mars 2013, Bilbaína de Alquitranes e.a./ECHA, T‑93/10, EU:T:2013:106, point 32 ; du 7 mars 2013, Rütgers Germany e.a./ECHA, T‑94/10, EU:T:2013:107, point 33, et du 7 mars 2013, Cindu Chemicals e.a./ECHA, T‑95/10, EU:T:2013:108, point 40).

278    Le Tribunal a ainsi jugé dans des affaires ayant également pour objet l’identification d’une substance comme extrêmement préoccupante, que l’objet du litige avait été identifié par les parties requérantes en se référant à l’accord du MSC sur l’identification des substances (en vertu de l’article 59, paragraphe 8, du règlement no 1907/2006), à la décision du directeur exécutif ordonnant l’inclusion de la substance dans la liste des substances candidates (en vertu de la même disposition) et à la publication et à la mise à jour de la liste des substances candidates sur le site Internet de l’ECHA (en vertu de l’article 59, paragraphe 10, dudit règlement) (arrêts du 7 mars 2013, Bilbaína de Alquitranes e.a./ECHA, T‑93/10, EU:T:2013:106, point 31 ; du 7 mars 2013, Rütgers Germany e.a./ECHA, T‑94/10, EU:T:2013:107, point 32, et du 7 mars 2013, Cindu Chemicals e.a./ECHA, T‑95/10, EU:T:2013:108, point 39).

279    En l’espèce, il ressort de la requête que les requérantes visent l’annulation de la décision attaquée dans la mesure où cet acte est destiné à produire des effets juridiques obligatoires. Plus particulièrement, les conclusions des requérantes visent la décision de l’ECHA dans la mesure où elle inclut les trois substances en cause dans la liste des substances candidates « en tant que substances extrêmement préoccupantes ». Ainsi, il n’est pas convaincant que les requérantes, uniquement dans le cadre des présents griefs, ne tiennent pas compte des autres éléments de l’acte d’identification du D4, du D5 et du D6 en tant que substances extrêmement préoccupantes.

280    D’ailleurs, la décision ED/61/2018 fait explicitement référence à l’accord unanime auquel est parvenu le MSC lors de sa 60e réunion et ordonne la publication et la mise à jour de la liste des substances candidates. Cette décision se borne, certes, à indiquer les noms des substances, leurs numéros EC et CAS et leurs propriétés intrinsèques, telles que celles prévues à l’article 57, sous d) et e), du règlement no 1907/2006. Néanmoins, force est de constater que rien dans la décision ED/61/2018, et notamment pas l’omission de certains détails dans le texte de cette décision lui-même n’indique que l’inclusion du D5 et du D6 dans la liste de substances candidates sur le site Internet de l’ECHA devrait dévier de l’accord du MSC, tel que motivé dans les documents d’appui relatifs au D5 et au D6.

281    Ces derniers documents, d’ailleurs également publiés sur le site Internet de l’ECHA, ainsi que l’entrée relative au D5 et celle relative au D6 dans la liste des substances candidates contiennent chacun de manière cohérente une précision indiquant que respectivement le D5 et le D6 répondent aux critères d’une substance PBT lorsqu’ils contiennent 0,1 % ou plus de D4. Il en ressort sans équivoque que l’ECHA a identifié tant le D5 que le D6 comme étant des substances PBT lorsqu’ils contiennent 0,1 % ou plus de D4.

282    Il résulte de ce qui précède que le seul fait que la décision ED/61/2018 ne mentionne pas explicitement que le D5 et le D6 répondent uniquement aux critères PBT lorsqu’ils contiennent 0,1 % ou plus de D4 ne signifie pas que le D5 et le D6 ont été identifiés comme étant PBT lorsqu’ils contiennent du D4 dans des concentrations inférieures, ni que cette décision n’est pas conforme à l’accord unanime du MSC.

283    Par conséquent, il convient de rejeter le second grief des septième et huitième branches du premier moyen et, partant, ces deux branches ainsi que le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le second moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité

284    Les requérantes, soutenues par l’ACC, font valoir que la décision attaquée viole le principe de proportionnalité.

285    En premier lieu, elles font valoir que l’identification du D4, du D5 et du D6 en tant que substances extrêmement préoccupantes n’était ni appropriée ni nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis.

286    En effet, les conclusions de l’ECHA auraient été fondées sur plusieurs incertitudes, comme l’ECHA elle-même l’aurait reconnu. Par conséquent, l’ECHA aurait été tenue de demander des informations complémentaires par le biais de la procédure d’évaluation avant d’identifier les substances en cause comme étant des substances extrêmement préoccupantes. De plus, il aurait été disproportionné d’écarter toutes les informations incertaines seulement lorsqu’elles menaient à la conclusion que le D6 n’était pas une substance vB.

287    Par ailleurs, la décision attaquée dépasserait les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de l’objectif poursuivi. En effet, elle identifierait le D5 et le D6 comme étant des substances extrêmement préoccupantes en raison de leurs propriétés PBT même s’ils contiennent du D4 en quantités inférieures à 0,1 %. Cependant, il ressortirait des documents d’appui relatifs au D5 et au D6 que lesdites substances répondent seulement aux critères PBT lorsqu’elles contiennent du D4 en quantités égales ou supérieures à 0,1 %.

288    En second lieu, les requérantes soutiennent que l’identification du D4, du D5 et du D6 en tant que substances extrêmement préoccupantes ne constituait pas la mesure la moins contraignante à laquelle l’ECHA aurait pu recourir. Selon elles, l’ECHA aurait dû recourir à la procédure d’évaluation des substances afin de recueillir les informations complémentaires nécessaires pour pouvoir conclure quant aux propriétés PBT alléguées des substances. Dans ce cas, les requérantes auraient dû supporter seulement une partie des coûts des études requises.

289    L’identification des substances en cause comme extrêmement préoccupantes causerait des pertes directes pour les fournisseurs de ces substances. En outre, cette identification « déclenche[rait] une attention défavorable significative sur le marché de la part des organisations [de défense de l’environnement] ».

290    Par ailleurs, une identification du D5 et du D6 seulement lorsqu’ils contiennent du D4 en quantités égales ou supérieures à 0,1 % aurait, selon les requérantes, été une mesure moins contraignante.

291    L’ECHA, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et la Commission, fait valoir que ce second moyen doit être rejeté comme non fondé.

292    Il y a lieu d’écarter l’argumentation des requérantes selon laquelle la décision attaquée dépasse les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de l’objectif poursuivi et n’est pas la mesure la moins contraignante au motif que l’ECHA aurait prétendument omis de spécifier que le D5 et le D6 ne répondaient aux critères PBT que lorsqu’ils contenaient du D4 en quantités égales ou supérieures à 0,1 %. Ces arguments ont été soulevés et rejetés dans le cadre du second grief des septième et huitième branches comme étant basés sur une interprétation incorrecte des faits. Par conséquent, il y a également lieu d’écarter ces arguments dans le cadre de ce second moyen.

293    En outre, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêts du 21 juillet 2011, Etimine, C‑15/10, EU:C:2011:504, point 124 et jurisprudence citée, et  du 30 avril 2015, Polynt et Sitre/ECHA, T‑134/13, non publié, EU:T:2015:254, point 104).

294    En ce qui concerne le contrôle juridictionnel des conditions mentionnées au point précédent, il y a lieu de reconnaître à l’ECHA un large pouvoir d’appréciation dans un domaine qui implique de sa part des choix de nature politique, économique et sociale et dans lequel elle est appelée à effectuer des appréciations complexes. Seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l’objectif que le législateur entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir, en ce sens, arrêts du 21 juillet 2011, Etimine, C‑15/10, EU:C:2011:504, point 125 et jurisprudence citée, et du 30 avril 2015, Polynt et Sitre/ECHA, T‑134/13, non publié, EU:T:2015:254, point 105 et jurisprudence citée).

295    Il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1907/2006 que ce règlement vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, y compris la promotion de méthodes alternatives pour l’évaluation des dangers liés aux substances, ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation. À cette fin, ce règlement instaure un système intégré de contrôle des substances chimiques incluant leur enregistrement, leur évaluation ainsi que leur autorisation et d’éventuelles restrictions à leur emploi (voir arrêt du 13 juillet 2017, VECCO e.a./Commission, C‑651/15 P, EU:C:2017:543, point 27 et jurisprudence citée).

296    Eu égard au considérant 16 de ce règlement, il convient de constater que le législateur a fixé comme objectif principal le premier de ces trois objectifs, à savoir celui d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement (voir arrêt du 30 avril 2015, Polynt et Sitre/ECHA, T‑134/13, non publié, EU:T:2015:254, point 106 et jurisprudence citée).

297    Pour ce qui est plus spécifiquement du but de la procédure d’autorisation dont relève la procédure d’identification visée à l’article 59 du règlement no 1907/2006, l’article 55 dudit règlement prévoit qu’elle vise à assurer le bon fonctionnement du marché intérieur tout en garantissant que les risques résultant de substances extrêmement préoccupantes seront valablement maîtrisés et que ces substances seront progressivement remplacées par d’autres substances ou technologies appropriées, lorsque celles-ci sont économiquement et techniquement viables (voir arrêts du 13 juillet 2017, VECCO e.a./Commission, C‑651/15 P, EU:C:2017:543, point 28 et jurisprudence citée, et du 30 avril 2015, Polynt et Sitre/ECHA, T‑134/13, non publié, EU:T:2015:254, point 106 et jurisprudence citée).

298    S’agissant de l’objectif de protection de la santé humaine et de l’environnement, il convient d’emblée de constater que l’identification d’une substance comme extrêmement préoccupante sert à améliorer l’information du public et des professionnels sur les risques et les dangers encourus, et que, par suite, cette identification doit être considérée comme un instrument d’amélioration d’une telle protection (voir arrêt du 30 avril 2015, Polynt et Sitre/ECHA, T‑134/13, non publié, EU:T:2015:254, point 108 et jurisprudence citée).

299    Pour ce qui est de l’argumentation des requérantes relative aux incertitudes concernant certaines données relevées lors de l’évaluation des substances en cause, force est de constater que la reconnaissance de quelques incertitudes relatives à certaines données ne rendait pas, en tant que telle, inappropriée l’identification du D4, du D5 et du D6 comme substances extrêmement préoccupantes. La reconnaissance et l’appréciation d’incertitudes scientifiques, lorsqu’elles existent, est essentielle dans le cadre d’une détermination par force probante, comme le fait valoir l’ECHA à juste titre. En effet, l’annexe XIII prévoit qu’une importance appropriée doit être accordée à la qualité et à la cohérence des données. En l’espèce, l’ECHA a, tout en reconnaissant certaines incertitudes relatives à certaines données, considéré l’ensemble des données comme étant concluant. Il a déjà été constaté dans le cadre du premier moyen que les requérantes n’ont pas démontré que l’ECHA a sélectionné certaines études afin d’étayer sa conclusion, ni qu’elle a commis une autre erreur manifeste dans l’appréciation des données et dans sa conclusion.

300    Par conséquent, l’argumentation des requérantes relative au prétendu caractère inapproprié de la décision attaquée doit être rejetée.

301    Au vu de l’argumentation avancée par les requérantes selon laquelle l’ECHA aurait dû procéder à une évaluation ce qui aurait constitué une mesure moins contraignante, il convient de rappeler que d’éventuelles mesures moins contraignantes par rapport à la mesure adoptée par l’institution de l’Union ne peuvent être prises en considération dans le cadre du contrôle de proportionnalité que si elles sont tout aussi aptes à réaliser l’objectif poursuivi par l’acte litigieux arrêté par l’institution de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 14 décembre 2004, Arnold André, C‑434/02, EU:C:2004:800, point 55 ; du 14 décembre 2004, Swedish Match, C‑210/03, EU:C:2004:802, point 56, et du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, EU:C:2016:325, point 180).

302    Or, une évaluation n’aurait pas été tout aussi apte à réaliser l’objectif poursuivi par l’identification des substances en cause comme substances extrêmement préoccupantes tel que décrit aux points 295 et suivants ci-dessus. Il est certes vrai que la procédure d’évaluation qui est conçue comme un suivi de l’enregistrement, selon le considérant 20 du règlement no 1907/2006, sert également à améliorer l’information du public et des professionnels sur les dangers et les risques d’une substance, ainsi qu’il ressort des considérants 19 et 21 de ce règlement. Toutefois, alors que les substances enregistrées devraient pouvoir circuler sur le marché intérieur, ainsi qu’il ressort du considérant 19 du règlement no 1907/2006, l’objectif de la procédure d’autorisation, dont relève la procédure d’identification visée à l’article 59 dudit règlement, est notamment de remplacer progressivement les substances extrêmement préoccupantes par d’autres substances ou technologies appropriées, lorsque celles-ci sont économiquement et techniquement viables (voir point 297 ci-dessus) (arrêt du 30 avril 2015, Polynt et Sitre/ECHA, T‑134/13, non publié, EU:T:2015:254, point 114).

303    D’ailleurs, il ne ressort aucunement du règlement no 1907/2006 que le législateur a envisagé de subordonner la procédure d’identification menée conformément à l’article 59 dudit règlement, qui fait partie de la procédure d’autorisation d’une substance visée au titre VII de ce règlement, à la procédure d’évaluation visée aux articles 44 à 48 du même règlement (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2015, Polynt et Sitre/ECHA, T‑134/13, non publié, EU:T:2015:254, point 114).

304    Par conséquent, l’argumentation des requérantes selon laquelle une évaluation aurait constitué une mesure moins contraignante doit également être rejetée.

305    Enfin, il convient d’examiner si l’identification du D4, du D5 et du D6 a causé des inconvénients démesurés par rapport aux buts visés, comme le font valoir les requérantes, au motif que les fournisseurs subiraient des effets commerciaux et feraient l’objet d’une attention défavorable sur le marché de la part des organisations de défense de l’environnement.

306    Les requérantes n’indiquent pas clairement en quoi ces effets commerciaux et cette attention défavorable consistent. Ainsi, il n’est pas possible d’apprécier l’ampleur de ces prétendus inconvénients et, partant, de conclure à l’existence d’inconvénients démesurés par rapport aux buts visés.

307    En tout état de cause, il a déjà été établi que l’identification d’une substance comme substance extrêmement préoccupante sert à améliorer l’information du public et des professionnels sur les risques et les dangers encourus (point 298 ci-dessus). En outre, il ressort du considérant 69 du règlement no 1907/2006 que le législateur entendait accorder une attention particulière aux substances extrêmement préoccupantes.

308    Il est évident que le public et les professionnels peuvent adapter leurs décisions et leurs actions lorsqu’ils obtiennent de meilleures informations à la suite de l’identification d’une substance comme substance extrêmement préoccupante. Ainsi, les dispositions de l’article 57 à 59 du règlement no 1907/2006 seraient privées d’effet utile si leur application devait être considérée comme disproportionnée au seul motif que le public et les professionnels pourraient prendre en compte, pour leurs actions et décisions futures, cette information. Par conséquent, et étant donné que les requérantes n’ont pas fait valoir l’existence d’inconvénients plus concrets qui vont au-delà des inconvénients mentionnés ci-dessus, il ne saurait être conclu que la décision attaquée cause des inconvénients démesurés par rapport aux buts visés.

309    Par conséquent, il y a lieu de rejeter ce second moyen comme étant non fondé et, partant, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

310    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par l’ECHA, conformément aux conclusions de cette dernière.

311    Selon l’article 138, paragraphe 1, du même règlement, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La République fédérale d’Allemagne et la Commission supporteront donc leurs propres dépens.

312    Aux termes de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut décider qu’un intervenant autre que ceux mentionnés aux paragraphes 1 et 2 de cet article supportera ses propres dépens. Dans les circonstances du présent litige, il y a lieu de décider que l’ACC supportera ses propres dépens dans le cadre de la procédure devant le Tribunal.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté. 

2)      Global Silicones Council et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA).

3)      La République fédérale d’Allemagne, la Commission européenne et l’American Chemistry Council, Inc. (ACC) supporteront chacune leurs propres dépens.

Papasavvas

Svenningsen

Barents

Pynnä

 

      Laitenberger

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 juin 2021.

Signatures


Table des matières


Cadre juridique

Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur le premier moyen, tiré du fait que l’ECHA aurait commis une erreur manifeste d’appréciation dans l’évaluation des propriétés B du D4, du D5 et du D6, ainsi que dans l’évaluation des propriétés T du D5 et du D6, qu’elle aurait dépassé le cadre de ses compétences et qu’elle aurait violé l’article 59 du règlement n o 1907/2006

Sur la première branche du premier moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation prétendument commise par l’ECHA en s’appuyant sur les avis du MSC et du CER sans procéder à sa propre évaluation des informations dont elle disposait et en « important » ainsi les erreurs qui entacheraient ces avis

Sur la quatrième branche du premier moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation prétendument commise par l’ECHA en aboutissant à des conclusions sur la bioaccumulation du D4 et du D5 que les éléments de preuve invoqués seraient incapables d’étayer

Sur la deuxième branche du premier moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation prétendument commise par l’ECHA en concluant que le D4, le D5 et le D6 répondaient aux critères des substances PBT et vPvB énoncés à l’annexe XIII alors que la persistance (propriété P) et la bioaccumulation (propriété B) n’auraient pas été établies pour le même milieu

Sur la troisième branche du premier moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation prétendument commise par l’ECHA en ne tenant pas compte de la nature spécifique (hybride) du D4, du D5 et du D6

Sur la cinquième branche du premier moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation prétendument commise par l’ECHA en omettant d’évaluer les nouveaux éléments de preuve relatifs à la bioaccumulation (propriétés B et vB) pour le D4 et le D5 dont l’ECHA aurait disposé postérieurement aux avis du MSC et du CER

Sur la sixième branche du premier moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation prétendument commise par l’ECHA en omettant de tenir compte de toutes les informations pertinentes pour conclure quant à la bioaccumulation du D6

Sur la septième et la huitième branche du premier moyen, tirées d’une erreur manifeste d’appréciation prétendument commise par l’ECHA en omettant de prendre en considération les informations relatives à la toxicité respectivement du D5 et du D6 en tant que tels, en identifiant respectivement le D5 et le D6 comme étant des substances PBT en raison de la présence de D4 en tant qu’impureté et sans tenir compte des limites spécifiques relatives à la quantité de D4 définies par le MSC

Sur le second moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité

Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’anglais.