Language of document : ECLI:EU:C:2022:615

ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

1er août 2022 (*) 

« Pourvoi – Énergie – Règlement (UE) no 347/2013 – Infrastructures énergétiques transeuropéennes – Projets d’intérêt commun de l’Union européenne – Article 3, paragraphe 4, et article 16 – Délégation de pouvoir à la Commission européenne – Article 290 TFUE – Règlement délégué (UE) no 2020/389 – Modification de la liste des projets d’intérêt commun de l’Union – Acte adopté par la Commission – Droit d’objection du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne – Délai – Nature de l’acte avant l’expiration de ce délai »

Dans l’affaire C‑310/21 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 17 mai 2021,

Aquind Ltd, établie à Londres (Royaume-Uni),

Aquind Energy Sàrl, établie à Luxembourg (Luxembourg),

Aquind SAS, établie à Rouen (France),

représentées par M. C. Davis et Mme S. Goldberg, solicitors, ainsi que par Me E. White, avocat,

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par Mme O. Beynet et M. B. De Meester, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

Royaume d’Espagne, représenté par Mme M. J. Ruiz Sánchez, en qualité d’agent,

République fédérale d’Allemagne,

République française,

parties intervenantes en première instance,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. I. Jarukaitis, président de chambre, MM. M. Ilešič (rapporteur) et D. Gratsias, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur pourvoi, Aquind Ltd, Aquind Energy Sàrl et Aquind SAS (ci‑après, ensemble, « Aquind e.a. ») demandent l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 5 mars 2021, Aquind e.a./Commission (T‑885/19, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2021:118), par laquelle celui-ci a rejeté comme étant manifestement irrecevable leur recours tendant à l’annulation partielle de l’acte adopté par la Commission européenne le 31 octobre 2019, devenu le règlement délégué (UE) 2020/389 de la Commission, du 31 octobre 2019, modifiant le règlement (UE) no 347/2013 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la liste des projets d’intérêt commun de l’Union (JO 2020, L 74, p. 1, ci-après l’« acte litigieux »).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement (UE) no 347/2013

2        Le considérant 24 du règlement (UE) no 347/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2013, concernant des orientations pour les infrastructures énergétiques transeuropéennes, et abrogeant la décision no 1364/2006/CE et modifiant les règlements (CE) no 713/2009, (CE) no 714/2009 et (CE) no 715/2009 (JO 2013, L 115, p. 39), énonce :

« Une nouvelle liste de l’Union [européenne] devrait être dressée tous les deux ans. Les projets d’intérêt commun qui sont achevés ou qui ne remplissent plus les critères et exigences pertinents fixés par le présent règlement ne devraient pas figurer sur la nouvelle liste de l’Union. C’est la raison pour laquelle les projets d’intérêt commun existants qui doivent être inscrits sur la nouvelle liste de l’Union devraient être soumis à la même procédure de sélection que les projets proposés aux fins de l’établissement de listes régionales et de la liste de l’Union ; toutefois, il convient de veiller à limiter autant que possible la charge administrative qui en découle, par exemple en utilisant dans la mesure du possible les informations transmises précédemment, et en tenant compte des rapports annuels des promoteurs de projets. »

3        L’article 3 du règlement no 347/2013, intitulé « Liste des projets d’intérêt commun de l’Union », dispose, à ses paragraphes 3 et 4 :

« 3.      L’organe de décision de chaque groupe adopte une liste régionale de propositions de projets d’intérêt commun, dressée conformément à la procédure énoncée à l’annexe III, partie 2, en fonction de la contribution de chaque projet à la mise en œuvre des corridors et domaines prioritaires en matière d’infrastructures énergétiques et de leur conformité avec les critères énoncés à l’article 4.

Lorsqu’un groupe dresse sa liste régionale :

a)      chaque proposition individuelle de projet d’intérêt commun requiert l’approbation des États membres dont le territoire est concerné par le projet ; si un État membre refuse de donner son approbation, il présente les motifs de ce refus au groupe concerné ;

b)      il tient compte de l’avis de la Commission visant à disposer d’un nombre total de projets d’intérêt commun qui soit gérable.

4.      La Commission est habilitée à adopter des actes délégués en conformité avec l’article 16, qui fixe la liste des projets d’intérêt commun de l’Union (ci-après dénommée “liste de l’Union”), sous réserve de l’article 172, deuxième alinéa, [TFUE]. La liste de l’Union prend la forme d’une annexe au présent règlement.

Dans l’exercice de ses compétences, la Commission veille à ce que la liste de l’Union soit dressée tous les deux ans, sur la base des listes régionales adoptées par les organes de décision des groupes, comme l’indique l’annexe III, partie 1, point 2), conformément à la procédure énoncée au paragraphe 3 du présent article.

La première liste de l’Union est adoptée au plus tard le 30 septembre 2013. »

4        L’article 16 du règlement no 347/2013, intitulé « Exercice de la délégation », est ainsi libellé :

« 1.      Le pouvoir d’adopter des actes délégués conféré à la Commission est soumis aux conditions fixées au présent article.

2.      Le pouvoir d’adopter des actes délégués visé à l’article 3 est conféré à la Commission pour une période de quatre ans à compter du 15 mai 2013. La Commission élabore un rapport relatif à la délégation de pouvoir au plus tard neuf mois avant la fin de la période de quatre ans. La délégation de pouvoir est tacitement prorogée pour des périodes d’une durée identique, sauf si le Parlement européen ou le Conseil [de l’Union européenne] s’oppose à cette prorogation trois mois au plus tard avant la fin de chaque période.

3.      La délégation de pouvoir visée à l’article 3 peut être révoquée à tout moment par le Parlement européen ou le Conseil. La décision de révocation met fin à la délégation des pouvoirs qui y est précisée. La révocation prend effet le jour suivant celui de la publication de ladite décision au Journal officiel de l’Union européenne ou à une date ultérieure qui est précisée dans ladite décision. Elle ne porte pas atteinte à la validité des actes délégués déjà en vigueur.

4.      Aussitôt qu’elle adopte un acte délégué, la Commission le notifie au Parlement européen et au Conseil simultanément.

5.      Un acte délégué adopté en vertu de l’article 3 n’entre en vigueur que si le Parlement européen ou le Conseil n’a pas exprimé d’objections dans un délai de deux mois à compter de la notification de cet acte au Parlement européen et au Conseil ou si, avant l’expiration de ce délai, le Parlement européen et le Conseil ont tous deux informé la Commission de leur intention de ne pas exprimer d’objections. Ce délai est prolongé de deux mois à l’initiative du Parlement européen ou du Conseil. »

 Le règlement délégué 2020/389

5        Aux termes de l’article 1er du règlement délégué 2020/389 :

« L’annexe VII du règlement [...] no 347/2013 est modifiée conformément à l’annexe du présent règlement. »

6        L’article 2 de ce règlement délégué prévoit :

« Le présent règlement entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne. »

7        La partie C de l’annexe VII du règlement no 347/2013, telle qu’elle est insérée dans ce dernier par le règlement délégué 2020/389, est intitulée « Liste des “projets qui ne sont plus considérés comme des [projets d’intérêt commun]” et des “projets qui sont devenus partie intégrante d’autres [projets d’intérêt commun] figurant dans la deuxième et/ou troisième liste de [projets d’intérêt commun]” ». Elle contient un point 1, intitulé « Corridor prioritaire “Réseau énergétique des mers septentrionales” (“REMS”) », sous lequel est mentionné le numéro PIC des projets qui ne sont plus considérés comme des projets d’intérêt commun. Parmi ces numéros figure le numéro 1.7.4 qui, dans le règlement délégué (UE) 2018/540 de la Commission, du 23 novembre 2017, modifiant le règlement no 347/2013 en ce qui concerne la liste des projets d’intérêt commun de l’Union (JO 2018, L 90, p. 38), correspondait à l’« Interconnexion entre Le Havre [France] et Lovedean [Royaume-Uni] (actuellement dénommé “AQUIND”) ».

8        L’acte litigieux, adopté par la Commission le 31 octobre 2019, a été mis en ligne sur le site Internet de cette institution sous la référence C(2019) 7772, dans la partie intitulée « Registre de documents de la Commission », et inscrit au Registre interinstitutionnel des actes délégués. Il a été publié au Journal officiel de l’Union européenne du 11 mars 2020.

 Les antécédents du litige

9        Les antécédents du litige ont été exposés par le Tribunal aux points 1 à 3 de l’ordonnance attaquée et, pour les besoins de la présente procédure, peuvent être résumés de la manière suivante.

10      Aquind e.a. sont les promoteurs d’un projet d’interconnexion électrique reliant les réseaux de transport d’électricité du Royaume-Uni et de la France (ci-après le « projet d’interconnexion Aquind »).

11      Ce projet a été inscrit sur la liste des projets d’intérêt commun de l’Union par le règlement délégué 2018/540.

12      Cette liste des projets d’intérêt commun de l’Union devant faire l’objet d’une révision biennale, la liste établie par le règlement délégué 2018/540 a été remplacée par celle établie par le règlement délégué 2020/389, sur laquelle le projet d’interconnexion Aquind figure parmi les projets qui ne sont plus considérés comme étant des projets d’intérêt commun de l’Union.

 La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 décembre 2019, Aquind e.a. ont introduit un recours tendant, à titre principal, à l’annulation de l’acte litigieux pour autant que celui-ci retire le projet d’interconnexion Aquind de la liste des projets d’intérêt commun de l’Union et, à titre subsidiaire, à l’annulation de cet acte dans son intégralité.

14      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 10 janvier 2020, Aquind e.a. ont introduit une demande en référé tendant à obtenir le sursis à l’exécution de l’acte litigieux, dans la mesure où celui-ci retire le projet d’interconnexion Aquind de la liste des projets d’intérêt commun de l’Union.

15      Par l’ordonnance du 22 avril 2020, Aquind e.a./Commission (T‑885/19 R, non publiée, EU:T:2020:155), le président du Tribunal a rejeté cette demande en référé au motif que la condition relative à l’urgence n’était pas satisfaite.

16      Par ordonnances du 3 août 2020, le président de la deuxième chambre du Tribunal a admis l’intervention, respectivement, de la République fédérale d’Allemagne, du Royaume d’Espagne et de la République française au soutien des conclusions de la Commission.

17      Dans son mémoire en défense, la Commission, soutenue en ce sens par la République française, a, sans soulever formellement d’exception d’irrecevabilité, exprimé des réserves sur la recevabilité de ce recours, faisant valoir que, à la date du dépôt de la requête, l’acte litigieux n’était pas encore entré en vigueur, qu’il était soumis à la procédure d’objections prévue par le règlement no 347/2013 et que, partant, il ne constituait pas un acte définitif susceptible de recours.

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 mai 2020, Aquind e.a. ont introduit devant le Tribunal un nouveau recours, visant à l’annulation partielle du règlement délégué 2020/389, enregistré sous le numéro d’affaire T‑295/20. Par ordonnance du 19 janvier 2021, le Tribunal a, dans cette affaire, décidé de joindre au fond l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission.

19      Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a rejeté le recours comme étant manifestement irrecevable.

20      À cet égard, il a notamment relevé, aux points 23 à 26 de l’ordonnance attaquée, que l’acte litigieux avait été adopté par la Commission en application d’une délégation de pouvoir que le législateur lui a accordée, conformément à l’article 290 TFUE, par l’article 3, paragraphe 4, du règlement no 347/2013, et que la Commission avait exercée dans les conditions énoncées à l’article 16, paragraphes 4 et 5 de ce règlement, ce dernier paragraphe précisant que l’acte délégué adopté n’entre en vigueur que si le Parlement ou le Conseil n’a pas exprimé d’objections dans le délai prévu.

21      Le Tribunal ayant constaté, aux points 27 et 28 de l’ordonnance attaquée, que, en l’espèce, la phase au cours de laquelle le Parlement et le Conseil pouvaient formuler d’éventuelles objections à l’égard de l’acte litigieux n’était pas terminée à la date d’introduction du recours en annulation, à savoir le 25 décembre 2019, il en a déduit, au point 32 de cette ordonnance, que, à cette date, l’acte litigieux, adopté par la Commission le 31 octobre 2019, ne pouvait être considéré comme étant définitif ni comme étant un acte produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts d’Aquind e.a. Il a, en particulier, indiqué, au point 31 de ladite ordonnance, que le pouvoir de la Commission d’adopter, en application du règlement no 347/2013, un acte délégué produisant des effets juridiques obligatoires nécessitait l’accomplissement de la phase d’objections, prévue par ce règlement. Par suite, au point 33 de l’ordonnance attaquée, il a conclu que, à ladite date, l’acte litigieux ne constituait pas un acte susceptible de recours.

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties au pourvoi

22      Par leur pourvoi, Aquind e.a. demandent à la Cour :

–        d’annuler l’ordonnance attaquée ;

–        de juger fondée la requête en première instance et d’annuler l’acte litigieux, en tant qu’il concerne Aquind e.a., et

–        de condamner la Commission aux dépens exposés dans le cadre du pourvoi et de la procédure devant le Tribunal.

23      La Commission demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi et

–        de condamner Aquind e.a. aux dépens.

24      Le Royaume d’Espagne demande à la Cour, dans l’hypothèse où celle‑ci annulerait l’ordonnance attaquée et déciderait d’évoquer le litige :

–        de rejeter le pourvoi comme étant non fondé et

–        de condamner Aquind e.a. aux dépens.

 Sur le pourvoi

25      À l’appui de leur pourvoi, Aquind e.a. soulèvent un moyen unique, par lequel elles font valoir, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant qu’un recours en annulation fondé sur l’article 263, quatrième alinéa, TFUE ne pouvait être formé contre un acte que si celui-ci produit des effets juridiques obligatoires à la date de l’introduction de ce recours et en considérant que tel n’est le cas que lorsque cet acte est entré en vigueur.

 Argumentation des parties

26      Aquind e.a. soutiennent, en premier lieu, que la position du Tribunal selon laquelle un recours en annulation ne peut être introduit que contre un acte qui est déjà entré en vigueur à la date de l’introduction de ce recours, au motif que ce n’est qu’après cette entrée en vigueur qu’il produirait des effets juridiques obligatoires, ne trouve aucun fondement dans l’article 263 TFUE ni dans la jurisprudence, laquelle se réfère non pas à la circonstance que l’acte en cause produise des effets juridiques obligatoires immédiatement ou à une date ultérieure, mais au fait qu’il constitue l’expression définitive de la position de l’institution concernée, par opposition à un acte préparatoire.

27      À cet égard, elles relèvent que, en application de l’article 297, paragraphe 1, TFUE, un acte juridique peut entrer en vigueur à une date significativement postérieure à sa publication au Journal officiel de l’Union européenne, de sorte que retenir la position du Tribunal aurait pour conséquence d’exclure toute possibilité d’introduire un tel recours lorsque la date d’entrée en vigueur de l’acte contesté intervient à l’issue d’un délai qui excède le délai de recours prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE. Un acte juridique existerait dès son adoption par l’institution concernée, même si son entrée en vigueur intervient à une date ultérieure et si, comme cela est le cas s’agissant de l’acte litigieux, elle est soumise à certaines conditions.

28      En second lieu, ce serait à tort que le Tribunal, aux points 31 et 32 de l’ordonnance attaqué, a étayé sa position en faisant valoir que la Commission n’avait pas le pouvoir d’adopter le règlement délégué 2020/389 avant l’expiration du délai dont disposaient le Parlement et le Conseil pour formuler des objections et, au point 35 de celle-ci, en qualifiant l’acte litigieux d’« acte initial », suggérant ainsi l’intervention d’un acte ultérieur, tout en affirmant que l’absence de modification de celui-ci n’a pas changé sa nature. En effet, si cela était exact, et dès lors qu’aucun acte de la Commission n’est intervenu à l’issue de ce délai, le Tribunal aurait dû considérer que le projet d’interconnexion Aquind n’a jamais été retiré de la liste de projets d’intérêt commun de l’Union figurant au règlement no 347/2013 et, par suite, il aurait dû rejeter le recours porté devant lui comme étant sans objet.

29      L’ordonnance attaquée serait ainsi entachée d’une motivation incohérente, en ce que le Tribunal aurait considéré que l’acte litigieux a été valablement adopté tout en jugeant que la Commission n’avait pas le pouvoir d’adopter un tel acte avant l’issue de la phase d’objections.

30      Selon Aquind e.a., l’acte litigieux était un acte juridique définitif dès le jour de son adoption. Certes, il aurait pu être abrogé et remplacé, mais il ne s’agirait pas d’un projet d’acte soumis à modification, le Parlement et le Conseil ayant le pouvoir non pas de le modifier, mais seulement de s’opposer à son entrée en vigueur.

31      Par conséquent, Aquind e.a. contestent l’appréciation du Tribunal, figurant au point 36 de l’ordonnance attaquée, selon laquelle la Commission aurait adopté un acte conditionnel dont l’existence dépendait de la survenance, ou non, d’un événement futur. En effet, ce serait non pas l’existence de l’acte qui pourrait être soumise à condition, mais son entrée en vigueur. Il ressortirait d’ailleurs de l’article 288, deuxième et quatrième alinéas, TFUE que la Commission ne peut pas adopter des règlements ou des décisions non contraignants.

32      La Commission fait valoir que le pourvoi n’est pas fondé, le Tribunal ayant à bon droit conclu que l’acte litigieux n’était pas un acte définitif produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts d’Aquind e.a.

33      À cet égard, elle soutient, en substance, que le Tribunal a constaté à bon droit que la procédure d’adoption du règlement délégué 2020/389 comportait plusieurs étapes successives et que la dernière étape de cette procédure était l’absence d’objection de la part du Parlement et du Conseil, conformément à l’article 16 du règlement no 347/2013 et à l’article 290 TFUE. Elle en déduit que, lorsque les requérantes ont introduit leur recours, l’acte litigieux n’était pas encore juridiquement contraignant, la procédure d’adoption du règlement délégué 2020/389 n’étant alors pas encore arrivée à son terme.

34      Le Royaume d’Espagne se limite à présenter des arguments portant sur le fond du recours de première instance, pour l’hypothèse où la Cour accueillerait le pourvoi et évoquerait le litige.

 Appréciation de la Cour

35      En premier lieu, en tant que, par leur moyen unique, Aquind e.a. font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que seul un acte déjà entré en vigueur peut constituer un acte attaquable, au sens de l’article 263 TFUE, au motif que ce n’est qu’après cette entrée en vigueur qu’il produit des effets juridiques obligatoires, il convient de relever que, en vertu d’une jurisprudence constante, rappelée par le Tribunal au point 18 de l’ordonnance attaquée, constituent des actes ou des décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation, au sens de l’article 263 TFUE, les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de manière caractérisée la situation juridique de celle-ci (arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, points 9 et 10).

36      À cet égard, le Tribunal a également rappelé, au point 20 de cette ordonnance, que, dans le cadre d’un recours en annulation exercé au titre de l’article 263 TFUE, la recevabilité du recours doit être appréciée en se référant à la situation existant à la date à laquelle la requête a été déposée (arrêt du 24 octobre 2013, Deutsche Post/Commission, C‑77/12 P, non publié, EU:C:2013:695, point 65).

37      Dans ce contexte, le Tribunal a précisé, au point 21 de l’ordonnance attaquée, que la publication d’un acte ne constituait pas une condition d’ouverture du droit d’exercer un recours contre cet acte, en s’appuyant à cet égard sur les points 35 à 39 de l’arrêt du 26 septembre 2013, PPG et SNF/ECHA (C‑626/11 P, EU:C:2013:595), tout en soulignant, à la dernière phrase de ce point 21, que la possibilité d’introduire un tel recours avant la publication de l’acte contesté ne pouvait s’envisager qu’à la condition que l’acte en question produise des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante.

38      Au point 22 de cette ordonnance, le Tribunal a indiqué que c’est à la lumière de cette jurisprudence qu’il convenait d’examiner si l’acte litigieux constituait un acte attaquable. À cet égard, il a constaté, aux points 23 à 31 de celle-ci, que cet acte avait été adopté par la Commission dans l’exercice d’un pouvoir que le législateur de l’Union lui avait délégué, en application de l’article 290 TFUE et en recourant à la faculté prévue au paragraphe 2, sous b) de celui-ci, par l’article 16 du règlement no 347/2013, que, dans le cadre de la procédure énoncée aux paragraphes 4 et 5 de cet article 16, était prévue une phase au cours de laquelle le Parlement ou le Conseil pouvaient formuler des objections à l’égard de l’acte litigieux, et que cette phase d’objection n’était pas encore terminée à la date à laquelle Aquind e.a. ont introduit leur recours tendant à l’annulation dudit acte.

39      Le Tribunal en a déduit, au point 32 de l’ordonnance attaquée, qu’il ne pouvait pas être considéré que, à ladite date, l’acte litigieux était définitif et qu’il produisait des effets juridiques obligatoires de nature à affecter leurs intérêts. Par suite, il a conclu, au point 33 de cette ordonnance, que, à la même date, l’acte litigieux ne constituait pas un acte susceptible de recours. Enfin, au point 35 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a ajouté que le fait que l’acte litigieux n’ait finalement pas été modifié au cours de la phase d’objections ne changeait pas la nature de celui-ci et ne permettait donc pas de considérer qu’il s’agissait « de l’acte définitif adopté et entré en vigueur au terme du processus législatif établi, en application de l’article 290 TFUE, à l’article 16, paragraphe 5, du règlement no 347/2013 ».

40      Il ressort ainsi des considérations exposées par le Tribunal dans l’ordonnance attaquée que ce dernier a considéré que l’acte litigieux n’était, à la date à laquelle Aquind e.a. ont introduit leur recours visant à son annulation, pas susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation non pas au motif que, à cette date, le règlement délégué 2020/389 n’était pas encore entré en vigueur, mais au motif que, à ladite date, la procédure régissant l’adoption dudit règlement délégué, telle que prévue à l’article 16 du règlement no 347/2013, n’était pas encore arrivée à son terme.

41      L’argumentation d’Aquind e.a., exposée aux points 26 et 27 du présent arrêt, repose donc sur une lecture erronée de l’ordonnance attaquée et, partant, doit être rejetée comme étant non fondée.

42      En second lieu, Aquind e.a. font grief au Tribunal d’avoir considéré que la Commission ne pouvait pas adopter le règlement délégué 2020/389 avant que la phase d’objections ne soit expirée et d’avoir, par conséquent, commis une erreur de droit en considérant que, de ce fait, ce règlement délégué n’était pas définitif lorsqu’elles ont introduit leur recours en annulation devant le Tribunal, de sorte qu’il ne pouvait faire l’objet d’un tel recours. À cet égard, il convient de relever que, au point 30 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a considéré que le pouvoir de la Commission d’adopter, en application du règlement no 347/2013, un acte délégué produisant des effets juridiques obligatoires nécessitait l’accomplissement de l’ensemble de la procédure garantissant la bonne mise en œuvre de la délégation de pouvoir, y compris, partant, la réalisation de la condition de l’accomplissement de la phase d’objections prévue par ce règlement.

43      Le Tribunal en a déduit, au point 31 de cette ordonnance, que la Commission n’était en mesure d’adopter un acte délégué faisant partie de l’ordonnancement juridique et produisant ainsi des effets juridiques obligatoires qu’en remplissant cette condition et en soumettant ainsi l’acte adopté à cette phase d’objections.

44      En outre, le Tribunal a rappelé, au point 32 de l’ordonnance attaquée, que la condition prévue à l’article 16, paragraphe 5, du règlement no 347/2013 n’était pas remplie à la date de l’introduction du recours en annulation et, comme cela a déjà été relevé au point 39 du présent arrêt, il en a déduit que l’acte litigieux ne pouvait être considéré comme étant définitif à cette date et qu’il ne pouvait être considéré comme un acte produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts d’Aquind e.a. à cette même date. Il a rappelé cette absence de caractère définitif au point 35 de cette ordonnance.

45      Selon une jurisprudence constante de la Cour, lorsqu’il s’agit d’actes dont l’élaboration s’effectue en plusieurs phases, notamment au terme d’une procédure interne, constituent en principe des actes attaquables les mesures qui fixent définitivement la position de l’institution concernée au terme de cette procédure et qui visent à produire des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, à l’exclusion des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale et qui n’ont pas de tels effets (voir, en ce sens, arrêts du 22 juin 2000, Pays-Bas/Commission, C‑147/96, EU:C:2000:335, point 26 et jurisprudence citée, ainsi que du 6 mai 2021, ABLV Bank e.a./BCE, C‑551/19 P et C‑552/19 P, EU:C:2021:369, point 39 ainsi que jurisprudence citée).

46      Par ailleurs, aux termes de l’article 290, paragraphe 1, premier alinéa, TFUE, un acte législatif peut déléguer à la Commission le pouvoir d’adopter des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l’acte législatif. Le paragraphe 2 de cet article impose que les actes législatifs fixent explicitement les conditions auxquelles la délégation est soumise et précise, au point b), que peut être prévue la condition selon laquelle l’acte délégué ne peut entrer en vigueur que si, dans le délai fixé par l’acte législatif, le Parlement ou le Conseil n’exprime pas d’objections.

47      En outre, en vertu de l’article 3, paragraphe 4, du règlement no 347/2013, au visa duquel l’acte litigieux a été adopté, la Commission est habilitée à adopter des actes délégués en conformité avec l’article 16 de celui-ci. À cet égard, l’article 16, paragraphe 4, du règlement no 347/2013 prévoit que, « [a]ussitôt qu’elle adopte un acte délégué, la Commission le notifie au Parlement [...] et au Conseil [...] ». En vertu du paragraphe 5 de cet article, « [u]n acte délégué adopté en vertu de l’article 3 n’entre en vigueur que si le Parlement [...] ou le Conseil n’a pas exprimé d’objections [...] ». Cette dernière disposition reflète donc la condition à laquelle une délégation peut être soumise, telle qu’elle est énoncée à l’article 290, paragraphe 2, sous b), TFUE.

48      Il ressort du libellé de ces dispositions qu’un acte délégué doit être considéré comme ayant été « adopté » dès son adoption par la Commission, le Parlement et le Conseil ayant le pouvoir d’empêcher non pas l’« adoption » de l’acte, mais son « entrée en vigueur ». Par conséquent, c’est à bon droit qu’Aquind e.a. soutiennent que la phase d’objections suspend non pas l’adoption d’un acte délégué, mais son entrée en vigueur. Toutefois, si l’adoption d’un acte tel que l’acte litigieux fixe définitivement la position de la Commission et si cet acte ne saurait être considéré comme constituant une mesure intermédiaire dont l’objectif serait de préparer une décision finale, au sens de la jurisprudence rappelée au point 45 du présent arrêt, cette adoption ne clôture pas pour autant la procédure prévue à l’article 290, paragraphe 2, sous b), TFUE ainsi que, en l’occurrence, à l’article 3, paragraphe 4, et à l’article 16 du règlement no 347/2013, celle-ci n’étant clôturée qu’au terme du délai imparti au Parlement et au Conseil pour formuler des objections.

49      Or, ainsi qu’il ressort des points 30 à 32 de l’ordonnance attaquée et qu’il a été relevé aux points 38 à 40 du présent arrêt, le Tribunal a conclu que l’acte litigieux ne pouvait être considéré comme étant définitif et, par conséquent, comme produisant des effets juridiques obligatoires dans la mesure où, à la date à laquelle Aquind e.a. ont introduit leur recours en annulation, la procédure d’adoption du règlement délégué 2020/389, telle qu’elle est prévue à ces dispositions, n’était pas encore terminée.

50      Compte tenu des particularités de la procédure en vertu de laquelle le règlement délégué 2020/389 a été adopté, rappelées aux points 46 et 47 du présent arrêt, c’est sans commettre d’erreur que le Tribunal a pu effectuer un tel constat. En effet, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, pour déterminer si un acte attaqué produit des effets de droit obligatoires, il y a lieu de s’attacher à la substance de celui-ci et d’apprécier ses effets à l’aune de critères objectifs, tels que le contenu de l’acte en cause, en tenant compte, le cas échéant, du contexte dans lequel celui-ci a été adopté ainsi que des pouvoirs de l’institution, de l’organe ou de l’organisme de l’Union qui en est l’auteur (voir, en ce sens, arrêts du 20 février 2018, Belgique/Commission, C‑16/16 P, EU:C:2018:79, point 32, ainsi que du 6 mai 2021, ABLV Bank e.a./BCE, C‑551/19 P et C‑552/19 P, EU:C:2021:369, point 41 ainsi que jurisprudence citée).

51      Il s’ensuit que l’argumentation d’Aquind e.a., exposée aux points 28 à 31 du présent arrêt, doit être rejetée comme étant non fondée.

52      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son intégralité.

 Sur les dépens

53      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

54      La Commission ayant conclu à la condamnation d’Aquind e.a. aux dépens et ces dernières ayant succombé en leur moyen unique, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission.

55      L’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, également rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, prévoit que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Aquind Ltd, Aquind Energy Sàrl et Aquind SAS sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

3)      Le Royaume d’Espagne supporte ses propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.