Language of document : ECLI:EU:T:2014:558

ORDONNANCE DU TRIBUNAL

10 juin 2014 (*)

« Référé – Aides d’État – Promotion nationale de la production d’électricité d’origine renouvelable – Décision de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen en matière d’aides d’État – Demande de sursis à exécution – Urgence – Fumus boni juris »

Dans l’affaire T‑172/14 R,

Stahlwerk Bous GmbH, établie à Bous (Allemagne), représentée par Me H. Höfler, avocat, Me C. Kahle, avocat et Me V. Winkler, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. T. Maxian Rusche et M. R. Sauer, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet la suspension des effets juridiques de la décision par laquelle la Commission a ouvert une procédure formelle d’examen en matière d’aides d’État concernant la loi allemande sur les énergies renouvelables

LE TRIBUNAL,

composé de

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Faits et procédure

1        La présente affaire concerne la loi allemande sur la priorité aux énergies renouvelables (Gesetz fur den Vorrang Erneuerbarer Energien – Erneuerbare-Energien-Gesetz - EEG) du 25 octobre 2008 (BGB1. I, p. 2074), telle que modifiée par la loi portant nouvelle réglementation du cadre juridique de la promotion de l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables (Gesetz zur Neuregelung des Rechtsrahmens für die Förderung der Stromerzeugung aus erneuerbaren Energien) du 28 juillet 2011 (BGB1. I, p. 1634, ci-après l’« EEG de 2012 »). D’après l’EEG de 2012, les exploitants de réseaux d’électricité publics sont tenus d’accepter l’électricité fabriquée à base d’énergies renouvelables (ci-après l’« électricité de sources renouvelables ») et de la rémunérer. Les tarifs de la mise en réseau de l’électricité EEG sont fixés par la loi. Les coûts générés par la promotion de la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables sont répartis sur les consommateurs d’électricité par le biais d’un prélèvement (ci-après le « prélèvement EEG »). Les entreprises à haute intensité énergétique du secteur manufacturier, dont la requérante fait partie, sont partiellement exonérées du prélèvement EEG pour préserver leur compétitivité.

2        Le 18 décembre 2013, la Commission a décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen en matière d’aides d’État prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE et à l’article 4, paragraphe 4, du règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO L 83, p. 1) concernant l’EEG de 2012. La décision « Aide d’État SA. 33995 (2013/C) (ex 2013/NN) — Aide en faveur de l’électricité d’origine renouvelable et prélèvement EEG réduit pour les gros consommateurs d’énergie » C(2013) 4424 final (ci-après la « décision attaquée ») est publiée au journal officiel de l’Union européenne C 37 du 7 février 2014, à la page 73.

3        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 mars 2014, la requérante a demandé l’annulation de la décision attaquée. En outre, elle a présenté une demande de traitement accéléré de son recours en annulation au titre de l’article 76 bis du règlement de procédure.

4        Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 31 mars 2014, la requérante a introduit une demande en référé concluant, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal

-        suspendre les effets juridiques de la décision attaquée, à savoir l’interdiction de mise à exécution ;

-        interdire à la défenderesse de prononcer une décision négative dans la procédure en matière d’aides d’État au sens de l’article 7, paragraphe 5, du règlement n° 659/1999 tant qu’une décision n’aura pas été prise dans l’affaire au principal ;

-        faire droit à la demande tendant à ce qu’il soit statué inaudita altera parte conformément à l’article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal ;

-        réserver la décision sur les dépens de la procédure de référé jusqu’à ce que soit rendue la décision au fond.

5        Par décision du 7 avril 2014, le président du Tribunal a accueilli la demande en référé en application de l’article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure.

6        Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 25 avril 2014, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

-        rejeter la demande de sursis à exécution pour défaut de fondement ;

-        rejeter la demande d’interdiction pour irrecevabilité ;

-        réserver la décision sur les dépens jusqu’à l’arrêt au principal.

7        La requérante a répliqué aux observations de la Commission par mémoire du 14 mai 2014. La Commission a pris position sur celui-ci par mémoire du 2 juin 2014.

Motifs

 Considérations générales

8        Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

9        L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi le juge des référés peut-il ordonner le sursis à exécution et d’autres mesures provisoires s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient prononcés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal (ordonnance du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C-149/95 P(R), EU:C:1995:257, point 22). Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut (ordonnance du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C-268/96 P(R), EU:C:1996:381, point 30). Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnances du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C-445/00 R, EU:C:2001:123, point 73, et du 4 avril 2002, Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, T-198/01 R, EU:T:2002:90, point 50).

10      Au surplus, dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement (ordonnances Commission/Atlantic Container Line e.a., EU:C:1995:257, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C-459/06 P(R), EU:C:2007:209, point 25).

11      Enfin, il convient de noter que l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (voir ordonnances du Président de la Cour du 25 juillet 2002, Pays-Bas/Parlement et Conseil, C-377/98 R, EU:C:2000:415, point 44, et du Président du Tribunal du 17 décembre 2009, Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, T-396/09 R, EU:T:2009:526, point 42).

12      Les observations écrites des parties contenant tous les éléments nécessaires pour statuer sur la demande en référé, il n’est donc pas utile d’entendre les parties en leurs observations orales.

13      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

 Sur l’urgence

14      En substance, la requérante fait valoir qu’elle exploite une entreprise ayant une intensité énergétique particulièrement forte. En tant qu’entreprise à haute intensité énergétique, le prélèvement EEG à taux plein ne lui aurait pas été appliqué jusqu’à présent. Les frais réduits du prélèvement EEG représenteraient pour elle une charge financière déjà très importante. Si elle avait dû payer, en 2013, le prélèvement EEG à taux plein, elle aurait supporté un surcoût considérable.

15      Depuis l’adoption de la décision attaquée, l’interdiction de mise à exécution au sens de l’article 108, paragraphe 3, troisième phrase, TFUE, serait applicable, de sorte que la requérante ne pourrait plus obtenir de nouveau plafonnement du prélèvement EEG. C’est pourquoi les autorités allemandes ne lui accorderaient déjà plus de nouvelles décisions de plafonnement au titre de l’année 2015. Elles n’y seraient habilitées qu’en cas de levée de l’interdiction de mise à exécution. Étant donné que les demandes visant à obtenir des décisions de plafonnement pour 2015 doivent être présentées au plus tard en juin 2014, d’après l’EEG allemand, la requérante doit d’ores et déjà contester la décision attaquée afin d’écarter l’interdiction de mise à exécution et se ménager ainsi la possibilité d’obtenir une décision de plafonnement.

16      La décision attaquée et l’interdiction de mise à exécution mettraient en péril la pérennité économique de la requérante en raison de l’obligation de remboursement imminente faisant suite à des recours formés par des concurrents devant les juridictions allemandes, du risque que la Commission lui impose le remboursement au titre de l’article 11, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999, des réactions négatives suscitées par la procédure d’examen dans les milieux d’affaires, ainsi que de l’obligation probable de payer un prélèvement EEG majoré pour l’année 2015. Si les effets juridiques de la décision attaquée n’étaient pas suspendus, la requérante devraient supporter un surcoût considérable en 2015. En effet, elle devrait alors payer le prélèvement EEG à taux plein car les autorités devraient rejeter sa demande de plafonnement. La charge en résultant [confidentiel] (1).

17      En revanche, la Commission estime que la demande en référé ne revêt pas de caractère urgent. La requérante n’aurait pas établi que son existence était en péril. En particulier, la demande en référé ne contiendrait aucune information sur les associés de la requérante ni sur leurs ressources financières. Les documents produits avec la demande en référé montrent que la requérante a conclu avec la société Georgsmarienhütte Holding GmbH, la société dominante, un contrat de cession de bénéfices. Cette dernière est la société faîtière du groupe d’entreprises Georgsmarienhütte Holding (GMH), composé, selon son rapport annuel de 2012, de 43 sociétés dans divers pays d’Europe et du monde, et de plusieurs secteurs d’activité. En 2012, le groupe GMH a réalisé un chiffre d’affaires consolidé de 2,71milliards d’euros. L’associé unique du groupe GMH serait un homme d’affaires possédant, selon des sources publiques, un patrimoine privé estimé à [confidentiel].

18      Il importe, en la matière, de constater que la procédure d’urgence vise à garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union (ordonnance du 3 mai 1996, Allemagne/Commission, C-399/95 R, EU:C:1996:193, point 46). À cet égard, il y a lieu de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un dommage grave et irréparable soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire (voir, en ce sens, ordonnance du 18 novembre 1999, Pfizer Animal Health/Conseil, C-329/99 P(R), EU:C:1999:572, point 94). Le requérant doit prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un tel dommage (ordonnances du 29 juin 1993, Allemagne/Conseil, C-280/93 R, EU:C:1993:270, point 34, et du 17 juillet 2001, Commission/NALOO, C-180/01 P-R, EU:C:2001:423, point 53).

19      Dans la présente espèce, la requérante invoque un dommage de nature financière.

20      En vertu d’une jurisprudence constante, un préjudice d’ordre financier ne peut, en principe, être regardé comme irréparable, dès lors qu’il peut normalement faire l’objet d’une compensation financière ultérieure. Dans une telle hypothèse, l’adoption de la mesure provisoire demandée ne se justifie, exceptionnellement, que s’il apparaît que l’exécution immédiate de l’acte juridique attaqué avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure au fond mettrait en péril l’existence du requérant ou modifierait ses parts de marché de manière irrémédiable ou grave. L’examen de ces deux dérogations doit tenir compte de la capacité financière – en particulier au regard du chiffre d’affaires total – non seulement du requérant, mais également du groupe auquel il appartient directement ou indirectement (voir, en ce sens, ordonnances du 7 mars 2013, EDF/Commission, C-551/12 P(R), EU:C:2013:157, point 54 ; du 4 décembre 2007, Cheminova e.a./Commission, T-326/07 R, EU:T:2007:364, points 98 à 102, et du 21 juin 2011, MB System/Commission, T-209/11 R, EU:T:2011:297, points 29 et 30, et la jurisprudence citée).

21      Comme la Commission l’a souligné, il ressort des annexes jointes à la demande en référé que la requérante fait partie du groupe d’entreprises GMH. Le juge des référés doit donc examiner dans quelle mesure la capacité financière de ce groupe est pertinente pour apprécier la gravité et le caractère irréparable du préjudice financier invoqué par la requérante. En effet, l’appréciation de la situation financière précise de la requérante dépend de la question de savoir si elle dispose objectivement de moyens financiers supplémentaires, provenant notamment des ressources financières du groupe auquel elle appartient (concernant les détails de la jurisprudence relative aux groupes, voir ordonnance MB System/Commission, précitée, EU:T:2011:297, points 31 à 35). Les modalités d’appartenance de la requérante au groupe constituent donc des éléments essentiels aux fins de l’examen de l’urgence de la présente demande en référé.

22      Dans ce contexte, il convient de noter que, pour des raisons de sécurité juridique et de bonne administration de la justice, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels une demande en référé est fondée doivent ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte même de la demande afin de permettre à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer, le cas échéant, sans autre information à l’appui (ordonnance EDF/Commission, EU:C:2013:157, point 39, et ordonnance du 30 avril 2010, Ziegler/Commission, C-113/09 P(R), EU:C:2010:242, point 13). Si le requérant peut étayer et compléter différents points de ce texte en renvoyant à certains passages de pièces jointes, une référence générale à d’autres pièces ne saurait toutefois pallier l’absence des éléments essentiels dans la demande (ordonnance MB System/Commission, EU:T:2011:297, points 36).

23      C’est pourquoi une demande en référé ne saurait, en principe, être utilement complétée par un mémoire postérieur en vue de remédier à des déficiences contenues initialement dans la demande. Une telle possibilité de rectification serait en contradiction avec l’article 109 du règlement de procédure qui, en cas de rejet d’une demande relative à une mesure provisoire, autorise la partie qui l’avait introduite à présenter une autre demande à la condition que celle-ci soit fondée sur des « faits nouveaux ». Il est donc en principe interdit à un requérant d’introduire ultérieurement dans la procédure des éléments de fait et de droit dès lors qu’il aurait déjà pu s’en prévaloir dans sa demande en référé (voir, en ce sens, ordonnances du 16 décembre 2010, Almamet/Commission, C-373/10 P(R), EU:C:2010:792, point 21, et du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C-110/12 P(R), EU:C:2012:507, point 56).

24      Dans la présente espèce, la requérante n’a pas respecté les obligations précédemment décrites qui lui incombent : dans sa demande, elle n’évoque ni la capacité financière ni sur la structure du capital ou actionnariale du groupe auquel elle appartient.

25      Ce n’est que dans sa réplique à l’allégation de la Commission, selon laquelle la demande en référé ne tient pas compte de la jurisprudence relative aux groupes, que la requérante a abordé cette question et déclaré que l’approche consistant à englober tout le groupe d’entreprises méconnaît la réalité microéconomique, car elle aboutit finalement à faire peser sur d’autres entreprises du groupe GMH une obligation de prise en charge financière fondée exclusivement sur des liens de droit des sociétés. Cette approche juridique purement formelle passerait outre le fait que la décision concernant la capacité de survie économique et l’intérêt de garder l’entreprise en activité s’apprécient uniquement au regard de l’entreprise concernée et que [confidentiel]. La référence de la Commission au chiffre d’affaires total du groupe GMH, qui serait obsolète et ne donnerait aucune indication sur les éventuels moyens financiers que le groupe peut mettre à disposition pour sauver la requérante, devrait en particulier être rejetée. La référence au patrimoine privé de l’associé unique du groupe GMH, qui serait également investi et qui ne pourrait donc pas nécessairement permettre le sauvetage d’entreprises menacées, relèverait de la manipulation. Une telle absence de différenciation dans la prise en compte de la situation financière globale du groupe GMH pour évaluer le risque encouru par la requérante ne serait donc pas seulement contraire à des règles de décision entrepreneuriales et microéconomiques, mais ne tiendrait pas non plus compte des réalités du groupe GMH.

26      On ne saurait souscrire à cet argument. Indépendamment du fait qu’une rectification a posteriori des déficiences contenues dans la demande est en principe exclue et qu’apparemment, rien n’empêchait la requérante de présenter de manière détaillée, dans sa demande en référé, la structure du groupe GMH auquel elle appartient ainsi que la situation financière des sociétés du groupe (voir ci-dessus, points 22 et 23), elle aurait de toute façon dû tenir compte, dans sa réplique, de la jurisprudence (voir ci-dessus, points 20 et 21) selon laquelle il convient de tenir compte, dans le cadre de l’examen de l’urgence, de la capacité financière du groupe dont elle dépend directement ou indirectement (voir, à ce sujet également, ordonnance du 13 juillet 2006, Romana Tabacchi/Commission, T-11/06 R, EU:T:2006:217, point 111).

27      En vertu de cette jurisprudence, les intérêts objectifs de la requérante ne présentent pas un caractère autonome par rapport à ceux des personnes, physiques ou morales, qui la contrôlent ou sont membres du même groupe. Dès lors, le caractère grave et irréparable du dommage allégué par la requérante doit également être apprécié au regard de la situation financière de ces personnes. Cette confusion des intérêts justifie en particulier que l’intérêt de la requérante à survivre ne soit pas apprécié indépendamment de l’intérêt que les personnes précitées portent à sa pérennité (voir, en ce sens, ordonnances MB System/Commission, EU:T:2011:297, point 31, et Ziegler/Commission, EU:C:2010:242, point 46).

28      La critique formulée par la requérante tirée de l’« approche purement juridico-formelle » qui résulterait de la jurisprudence relative aux groupes doit être rejetée. Cette jurisprudence tient compte de l’intérêt public à l’exécution des décisions adoptées par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité (voir ci-dessus, point 11). La prise en considération de la capacité financière du groupe vise à empêcher ce dernier, en cas de rejet du recours en annulation formé par la société requérante du groupe, d’« organiser » l’insolvabilité de cette société, laquelle connaît des difficultés financières en raison de la décision contestée de l’Union en matière d’aides d’État. L’intérêt public précité doit l’emporter sur l’intérêt particulier des autres sociétés du groupe, qui pourraient préférer que le requérant entame une procédure de faillite, limitée au capital social, plutôt que de le soutenir financièrement pendant la durée de la procédure au principal en espérant que le recours en annulation soit accueilli (voir, en ce sens, ordonnance MB System/Commission, EU:T:2011:297, point 33, et la jurisprudence citée).

29      À cet égard, il importe également que les mesures provisoires ne soient prescrites qu’à titre exceptionnel (voir ci-dessus point 11). C’est pourquoi le juge des référés ne saurait, en principe, s’abstenir de tenir compte de la capacité financière effective du groupe auquel le requérant appartient, dès lors que ce dernier est incapable de faire face à ses difficultés financières. En effet, l’appréciation de la gravité et du caractère irréparable du préjudice allégué doit tenir compte de la situation individuelle concrète de chaque requérant ainsi que des éléments de fait et de droit caractérisant toute affaire, tels que l’appartenance du requérant à un groupe. Toutefois, l’appréciation de la situation financière précise du requérant dépend avant tout de la question de savoir s’il dispose objectivement de moyens financiers supplémentaires, provenant notamment des ressources financières du groupe auquel il appartient, et qui permettraient de réduire le préjudice allégué. Si tel est le cas, le juge des référés doit en tenir compte (voir, en ce sens, ordonnance MB System/Commission, EU:T:2011:297, point 34, et la jurisprudence citée).

30      En réponse à l’argument de la requérante, selon lequel le groupe GMH n’a aucun intérêt à lui mettre des liquidités à court terme à disposition, la Commission a relevé à juste titre que la jurisprudence relative aux groupes faisait référence non à un intérêt au financement considéré isolément mais aux intérêts commerciaux objectivement liés au sein d’un seul et même groupe. Dans ce contexte, le refus unilatéral opposé par un groupe à apporter son soutien financier à une société du groupe en particulier ne saurait suffire à exclure la prise en compte de la situation financière de l’ensemble du groupe. En effet, l’étendue du dommage allégué d’une société individuelle appartenant à un groupe ne saurait, lorsque ses intérêts ainsi que ceux de ses actionnaires ou d’autres sociétés du même groupe se recoupent objectivement, dépendre de la volonté unilatérale de ces derniers (voir, en ce sens, ordonnance Ziegler/Commission, EU:C:2010:242, point 46). À cet égard, la seule question qui se pose est celle de savoir si des obstacles d’ordre juridique, en particulier du droit de la faillite ou commercial, s’opposent à l’octroi du soutien financier en cause (ordonnances du 14 décembre 1999, DSR-Senator Lines/Commission, C-364/99 P(R), EU:C:1999:609, points 52 à 54 ; du 14 décembre 2011, Alcoa Trasformazioni/Commission, C-446/10 P(R), EU:C:2011:829, points 34 et 35,  ainsi que du 14 juin 2012, Qualitest FZE/Conseil, C-644/11, P(R), EU:C:2012:354, point 42).

31      En l’espèce, la requérante n’a pas évoqué une éventuelle interdiction juridique de soutien. Par ailleurs, elle n’a pas non plus expliqué que les intérêts commerciaux au sein de son groupe GMH divergeaient objectivement. En revanche, le fait qu’un contrat de cession de bénéfices et de pertes lie la société faîtière et la requérante plaide en faveur d’une concordance d’intérêts, même si ce contrat ne lui devait lui conférer aucun droit à une protection durable contre l’insolvabilité. Dès lors, la requérante ne peut pas valablement soutenir qu’il n’y aurait aucune concordance objective des intérêts commerciaux au sein de son groupe.

32      L’argument de la requérante selon lequel une référence indifférenciée à la situation financière d’ensemble du groupe GMH ne tient pas compte de ses caractéristiques réelles, puisque le patrimoine incarné par le groupe GMH est investi dans les différentes sociétés du groupe et qu’il y est utilisé, est trop vague et général pour remettre en cause la pertinence de la jurisprudence relative aux groupes. La requérante aurait dû exposer concrètement les caractéristiques réelles du groupe GMH et expliquer, à l’aide de données chiffrées, pourquoi ce groupe n’est pas en mesure de lui apporter un soutien financier important. En outre, elle aurait dû indiquer le chiffre d’affaires total actuel et préciser d’éventuels engagements financiers au lieu de se contenter de remarquer que la référence de la défenderesse au chiffre d’affaires total du groupe GMH est obsolète et ne donne aucune indication sur les moyens financiers que le groupe pourrait mettre à disposition pour sauver la requérante.

33      Même la référence au patrimoine privé de l’actionnaire unique ne relève en aucun cas de la manipulation. En effet, la jurisprudence relative aux groupes ne s’applique pas seulement aux personnes morales mais aussi aux personnes physiques faisant partie d’un groupe qui ne sont pas elles-mêmes des entreprises (voir, en ce sens, ordonnances MB System/Commission, EU:T:2011:297, point 32, et la jurisprudence citée, ainsi que du 7 décembre 2010, ArcelorMittal Wire France e.a./contre Commission, T-385/10 R, EU:T:2010:502, point 53). Dès lors, la requérante aurait dû fournir d’emblée des précisions sur le patrimoine de l’actionnaire concerné et expliquer concrètement dans quelle mesure ce patrimoine est investi et ne peut, le cas échéant, servir à la soutenir financièrement.

34      Au vu de l’ensemble de ces éléments, la requérante n’a pas démontré qu’une exécution immédiate de la décision attaquée mettrait en péril son existence. N’ayant pas apporté la preuve que le groupe GMH ne mettrait pas de fonds à sa disposition, elle ne saurait valablement soutenir que la décision attaquée fait douter de sa solvabilité. Par conséquent, la requérante n’a pas démontré l’urgence de la mesure provisoire demandée.

35      Bien que cette constatation suffise à justifier le rejet de la demande en référé (voir ci-dessus point 9), il convient également, compte tenu des particularités de la présente espèce, d’établir l’existence d’un fumus boni juris.

 Sur le fumus boni juris

36      Selon la jurisprudence, la condition relative au fumus boni juris est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie requérante à l’appui du recours principal apparaît, à première vue, pertinent et, en tout cas, non dépourvu de fondement. Il suffit pour cela que ce moyen révèle l’existence de questions complexes qui, à première vue, ne peuvent pas être écartées comme étant dénuées de pertinence, mais nécessitent un examen approfondi, lequel est réservé à la juridiction compétente pour statuer au fond, ou bien qu’il ressorte des arguments articulés par les parties qu’il existe, dans le cadre de la procédure au fond, une controverse juridique significative, dont la solution ne s’impose pas d’emblée (ordonnances du 13 avril 2011, Westfälische Drahtindustrie GmbH e.a./Commission, T-393/10 R, EU:T:2011:178, point 54, et du 19 septembre 2012, Grèce/Commission, T-52/19 R, EU:T:2012:447, point 13, et la jurisprudence citée ; voir également ordonnance du 10 septembre 2013, Commission/Pilkington Group, C-278/13 P(R), EU:C:2013:558, points 67 et 70).

37      La requérante relève tout d’abord que la décision attaquée est illégale car la Commission ne motive pas suffisamment sa décision d’ouvrir une procédure formelle d’examen au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Cela serait particulièrement vrai de la condition relative à l’« avantage » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. À cet égard, la Commission se bornerait à constater que le plafonnement du prélèvement EEG libère les entreprises à forte intensité énergétique d’une charge qui devrait normalement leur incomber.

38      Cet argument n’est pas de nature à caractériser l’existence d’un fumus boni juris. En effet, il ressort des points 23 à 25, 77 et 78 de la décision attaquée que, pour établir l’existence d’un « avantage » en faveur des entreprises à forte intensité énergétique, la Commission a tout d’abord renvoyé au contenu des articles 40 et 41 de l’EEG et indiqué que les autorités allemandes compétentes plafonnent, sur demande, le prélèvement EEG que les fournisseurs d’électricité répercutent sur les consommateurs finaux lorsqu’il s’agit d’entreprises à haute intensité énergétique ayant une forte consommation d’électricité. Dans ce contexte, la Commission a fait expressément référence à des estimations réalisées par les autorités allemandes, selon lesquelles les entreprises à haute intensité énergétique concernées ne payaient, grâce à ce plafonnement, que 0,3% du prélèvement EEG, alors qu’elles consommaient 18% de l’électricité du réseau et que l’avantage correspondant, pour ces entreprises, était estimé à 2,5 milliards d’euros au total pour l’année 2011.

39      Cette argumentation respecte a priori l’exigence de motivation de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE. En particulier, elle est adaptée à la nature de la décision attaquée par laquelle la Commission a décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen. Conformément à l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999, une telle décision doit simplement récapituler les éléments pertinents de fait et de droit, inclure une évaluation préliminaire, par la Commission, de la mesure proposée visant à déterminer si elle présente le caractère d’une aide, et exposer les raisons qui incitent à douter de sa compatibilité avec le marché intérieur. La décision doit mettre l’État membre concerné et les autres parties intéressées en mesure de participer de manière efficace à la procédure formelle d’examen. À cette fin, il suffit qu’elles connaissent le raisonnement qui a amené la Commission à considérer provisoirement que la mesure en cause pouvait constituer une aide nouvelle incompatible avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêts du 21 juillet 2011, Alcoa Trasformazioni/Commission, C-194/09 P, EU:C:2011:497, point 102, et du 30 avril 2002, Government of Gibraltar/Commission, T-195/01 et T-207/01, EU:T:2002:111, point 138). Cet objectif d’information a également été atteint concernant la requérante, comme cela ressort clairement des moyens formulés concernant l’absence d’avantage sélectif résultant de la mesure litigieuse (voir ci-dessous, point 55).

40       La requérante ajoute que le plafonnement du prélèvement EEG ne constitue pas une aide interdite, ne serait-ce qu’au regard de l’arrêt de la Cour du 13 mars 2001, PreussenElektra (C-379/88, EU:C:2001:160, ci-après l’« arrêt PreussenElektra »). Dans cet arrêt, la Cour aurait relevé, en substance, qu’une réglementation obligeant des entreprises privées d’approvisionnement en électricité à acheter l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables à des prix minimaux ne peut être considérée comme une mesure financée au moyen de ressources étatiques, puisqu’elle n’entraîne aucun transfert de ressources d’État aux entreprises productrices d’électricité. Le système de rémunération et le mécanisme de compensation de l’EEG – en cause dans la procédure d’examen litigieuse – n’auraient pas été modifiés depuis l’arrêt PreussenElektra. C’est pourquoi il conviendrait de s’en tenir à l’appréciation de la Cour, selon laquelle il n’y aurait pas d’aide dans un tel cas.

41      Selon la requérante, le plafonnement du prélèvement EEG ne remplit aucune des conditions constitutives d’une aide visées à l’article 107 TFUE : l’EEG ne la favoriserait pas. En tout état de cause, le plafonnement du prélèvement EEG en faveur des entreprises à haute intensité énergétique ne saurait être qualifié d’avantage sélectif ni d’aide accordée par l’État ou au moyen de ressources d’État faute de contrôle étatique en la matière. Enfin, il n’y aurait ni distorsion de concurrence ni perturbation des échanges entre États membres.

42      Concernant le critère de contrôle relatif à ces moyens, la requérante fait valoir que son argument soulève des questions juridiques complexes dont la réponse détaillée reste réservée à la décision dans le recours au principal. Un examen sommaire ferait ressortir que ses griefs ne sont de toute façon pas manifestement dénués de fondement. Le critère de contrôle pertinent dans le cadre de la procédure au principal ne saurait en aucun cas être transposé à la procédure en référé.

43      En revanche, la Commission est d’avis que rien n’indique que les griefs que la requérante a avancés contre la décision d’ouverture contiennent des éléments de nature à susciter, à première vue, des doutes particulièrement sérieux quant à sa légalité. Dans la procédure en référé aussi, le contrôle du juge de l’Union est limité à la vérification du point de savoir si la Commission n’a pas commis d’erreurs manifestes d’appréciation dans son évaluation préliminaire du caractère d’aide de la mesure. En tout état de cause, la décision attaquée ne contiendrait aucune erreur de ce genre.

44      Dans ce contexte, il convient de rappeler que l’article 108 TFUE et le règlement n° 659/1999 prévoient une procédure particulière pour le contrôle des aides d’État par la Commission. À cet égard, il convient de distinguer, d’une part, la phase préliminaire d’examen des aides instituée par l’article 108, paragraphe 3, TFUE et par les articles 4 et 5 du règlement n° 659/1999, qui est destinée à permettre à la Commission de se former une première opinion sur le caractère d’aide de la mesure étatique en cause, et, d’autre part, la procédure formelle d’examen visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE et régie par les articles 6 et 7 dudit règlement, qui vise à permettre à la Commission de réaliser un examen approfondi de toutes les questions de fait et de droit soulevées par la mesure litigieuse, et protéger les droits des tiers potentiellement intéressés (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 15 mars 2001, Prayon-Rupel/Commission, T-73/98, EU:T:2001:94, points 40 et 41 ; du 23 octobre 2002, Diputación Foral de Álava/Commission, T-346/99 à T-348/99, EU:T:2002:259, point 41, et arrêt de la Cour du 21 juillet 2011, Alcoa Trasformazioni/Commission, C-194/09 P, EU:C:2011:497, point 57).

45      La Commission est tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen si elle éprouve des difficultés sérieuses, dans le cadre d’un premier examen, pour déterminer si la mesure étatique examinée constitue une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. C’est pourquoi l’article 6 du règlement n° 659/1999 énonce que la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen « inclut une évaluation préliminaire, par la Commission, de la mesure proposée visant à déterminer si elle présente le caractère d’une aide ». Il s’ensuit que, dans une décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen, la qualification de la mesure d’aide d’État ne revêt pas un caractère définitif. L’ouverture de cette procédure vise précisément à permettre à la Commission de s’entourer de tous les avis nécessaires pour qu’elle soit à même de prendre une décision définitive sur ce point (voir, en ce sens, arrêts Prayon-Rupel/Commission, EU:T:2001:94, point 42, et Diputación Foral de Álava/Commission, EU:T:2002:259, points 41 à 43).

46      L’article 108 TFUE circonscrit donc le pouvoir de la Commission d’adopter une décision en application des règles sur les aides d’État sans introduire la procédure formelle d’examen aux seules mesures ne soulevant pas de difficultés sérieuses. La Commission ne saurait refuser d’ouvrir la procédure formelle d’examen en se prévalant de l’intérêt de tiers, de considérations d’économie de procédure ou tout autre motif de convenance administrative. Toutefois, la Commission jouit d’une certaine marge d’appréciation dans la recherche et l’examen des circonstances de l’espèce afin de déterminer si celles-ci soulèvent des difficultés sérieuses (voir, en ce sens, arrêt Prayon-Rupel/Commission, EU:T:2001:94, points 44 et 45).

47      Il s’ensuit que, dans une procédure ayant pour objet la légalité d’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, le juge de l’Union doit tenir compte des compétences de la Commission et éviter de se prononcer définitivement sur des questions qui n’ont fait l’objet que d’une appréciation provisoire de la Commission. Si, dans le cadre d’une telle procédure juridictionnelle, l’appréciation de la Commission quant à la qualification de la mesure litigieuse d’aide d’État est contestée, le contrôle du juge communautaire est limité à la vérification du point de savoir si la Commission n’a pas commis d’erreurs manifestes d’appréciation en considérant qu’elle ne pouvait pas surmonter toutes les difficultés sur ce point au cours d’un premier examen de la mesure concernée (arrêts Diputación Foral de Álava/Commission, EU:T:2002:259, points 44 et 45, et Alcoa Trasformazioni/Commission, EU:C:2011:497, point 61).

48      Ce critère de contrôle, qui a un caractère déterminant pour la procédure principale relative au droit des aides, doit également être pris en compte pour statuer sur la demande en référé, laquelle tend à obtenir une protection juridictionnelle provisoire contre les décisions d’ouverture de la procédure formelle d’examen.

49      En effet, si la condition relative au fumus boni juris est généralement remplie lorsque le moyen invoqué par la partie requérante soulève des questions juridiques complexes qui, à première vue, ne peuvent pas être écartées comme étant dénuées de pertinence, mais nécessitent un examen approfondi, lequel est réservé à la juridiction compétente pour statuer au fond, ce sont précisément ces questions relatives au droit des aides, de nature à soulever des difficultés sérieuses, qui doivent inciter la Commission à ne pas se contenter de la phase préliminaire d’examen, mais à ouvrir la procédure formelle d’examen. En d’autres termes, si la condition tirée du fumus boni juris est généralement remplie lorsqu’il existe, à première vue, des « doutes sérieux » quant à la légalité de l’acte juridique attaqué (ordonnance du 21 décembre 1994, Laakmann Karton/Commission, T-301/94 R, EU:T:1994:316, point 30), la Commission n’agit légalement, dans le cadre de son examen au regard du droit des aides, que si elle ouvre la procédure formelle d’examen en cas de « difficultés sérieuses » concernant la qualification de cette mesure en tant qu’aide d’État.

50      Dans la procédure de référé contre une décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen en matière d’aides d’État, la condition relative au fumus boni juris n’est dès lors remplie que lorsque le requérant peut démontrer que les difficultés sérieuses invoquées par la Commission n’existent pas objectivement, et que la situation de fait et de droit est, au contraire, si claire et évidente que l’ouverture de cette procédure d’examen équivaut à un détournement de procédure de la part de Commission. Cela signifie qu’en cas de fumus boni juris, le juge des référés doit se contenter d’examiner si l’argumentation du requérant fait ressortir que la Commission a, dès lors, commis une erreur manifeste d’appréciation en ouvrant la procédure formelle d’examen, au motif que cette dernière n’aurait raisonnablement pas dû avoir de doute sérieux quant à l’absence d’aide d’État ou quant à sa compatibilité avec le marché intérieur.

51      S’agissant du postulat énoncé en l’espèce par la requérante, selon lequel l’illégalité de la décision attaquée résulte déjà de l’arrêt PreussenElektra, dont le rejet du caractère d’aide d’État par la Cour doit être maintenu, puisque le système de rémunération et le mécanisme de compensation de l’EEG sont restés inchangés depuis cet arrêt, il suffit de souligner que le Gesetz über die Einspeisung von Strom aus erneuerbaren Energien in das öffentliche Netz, du 7 décembre 1990 (loi relative à l’arrivée de courant provenant d’énergies renouvelables dans le réseau de service public, BGBl. 1990 I, p. 2633, ci-après le «Stromeinspeisungsgesetz»), dans sa version résultant de l’article 3, paragraphe 2, du Gesetz zur Neuregelung des Energiewirtschaftsrechts, du 24 avril 1998 (loi portant réglementation nouvelle du droit de l’énergie, BGBl. 1998 I, p. 730), en cause dans cet arrêt, n’était constitué que de six paragraphes et se limitait à obliger les entreprises d’approvisionnement en électricité à acheter le courant produit dans leur zone d’approvisionnement à partir d’énergies renouvelables, à un prix fixé par la loi, ainsi qu’à régir la répartition de la charge financière résultant de cette obligation entre lesdites entreprises d’approvisionnement en électricité et les gestionnaires privés des réseaux d’électricité situés en amont, étant précisé que les surcoûts générés restaient, en principe, à la charge de ces entreprises, car il n’existait pas, à l’exception d’une clause pour les cas de rigueur applicable aux gestionnaires de réseau, de mécanisme de compensation pesant notamment sur les consommateurs finaux.

52      En revanche, l’EEG de 2012, en cause dans la décision attaquée, est constitué de plus de 80 paragraphes et de plusieurs annexes. L’EEG de 2012 prévoit notamment, aux articles 34 à 44, un mécanisme de compensation spécial, le prélèvement EEG, dont le calcul est régi par un règlement sur le mécanisme de compensation (Ausgleichsmechanismusverordnung) et un règlement d’exécution sur le mécanisme de compensation (Ausgleichsmechanismus-Ausführungsverordnung). Aux termes de ces règlements, les entreprises d’approvisionnement en électricité, qui sont obligées d’acheter le courant produit à partir d’énergies renouvelables à un prix fixe, sont remboursées des surcoûts qui en résultent par les exploitants de réseau situés en amont. Ces derniers se répartissent les surcoûts équitablement et perçoivent, pour se faire rembourser leurs propres surcoûts, le prélèvement EEG auprès des entreprises d’approvisionnement en électricité. Ces entreprises sont habilitées à répercuter à leur tour le prélèvement EEG sur les consommateurs finaux. Il est fait exception à cette possibilité lorsque le consommateur final est une entreprise à haute intensité énergétique et qu’un plafonnement du prélèvement EEG lui est accordé par l’autorité compétente.

53      Dans ces conditions, on ne saurait, a priori, reprocher à la Commission d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que l’EEG de 2012 se distingue du Stromeinspeisungsgesetz en des points essentiels, de sorte qu’elle ne pouvait pas se contenter d’apprécier l’EEG de 2012 au regard du droit des aides à l’appui des seuls critères énoncés dans l’arrêt PreussenElektra, dans la phase préliminaire d’examen, sans ouvrir la procédure formelle d’examen.

54      La requérante ajoute que le plafonnement du prélèvement EEG en faveur des entreprises à haute intensité énergétique ne remplit aucune des conditions constitutives d’une aide visées à l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

55      Elle soutient que l’EEG de 2012 ne lui confère aucun avantage qu’elle n’aurait pas obtenu dans des conditions normales. Pour apprécier l’existence d’un avantage, il n’y a pas lieu, selon elle, de comparer avec les consommateurs finaux qui acquittent le prélèvement EEG à taux plein. Les « conditions normales de marché » avant l’adoption de la mesure litigieuse correspondraient, selon l’arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission (173/73, EU:C:1974:71, points 36/40), à la situation qui prévaudrait si l’EEG de 2012 dans son ensemble n’était pas applicable. Dans cette configuration de marché, les entreprises à forte intensité énergétique ne profiteraient certes plus d’un plafonnement du prélèvement EEG, mais elles ne supporteraient plus la charge liée aux coûts en énergie élevés que représente le prélèvement EEG. Un plafonnement du prélèvement EEG ne serait pas nécessaire, car, sans l’EEG de 2012, les coûts de l’électricité ne seraient pas majorés sous la forme du prélèvement EEG. En tout état de cause, il n’y aurait pas de sélectivité, car l’avantage accordé aux entreprises à forte intensité énergétique par le plafonnement du prélèvement EEG serait inhérent au système. Le fait que le plafonnement vise à renforcer la compétitivité des entreprises ne s’y opposerait pas. En effet, le législateur aurait voulu créer ainsi un mécanisme de réglementation équilibré, sans lequel la promotion des énergies renouvelables serait impossible. Sans une compensation des désavantages excessifs imposés à certains consommateurs finaux, cette promotion serait tant inconcevable au plan économique que contraire aux droits fondamentaux au regard du principe d’équité des charges. Le renforcement de la compétitivité des entreprises à forte intensité énergétique serait donc un moyen nécessaire pour atteindre l’objectif inhérent à l’EEG de 2012, à savoir permettre un développement durable de l’approvisionnement en énergie dans l’intérêt de la protection de l’environnement et du climat.

56      À cet égard, il convient de noter qu’aux points 23 à 25, 77 et 78 de la décision attaquée, la Commission a considéré que les entreprises à haute intensité énergétique du secteur manufacturier sont avantagées de manière sélective en ce qu’elles sont exonérées d’une charge qu’elles devraient normalement supporter : elles ont bénéficié, sur demande, d’un plafonnement du prélèvement EEG, que les fournisseurs d’électricité pourraient répercuter sur les consommateurs finaux (voir ci-dessus, point 38).

57      Cette appréciation provisoire de la Commission ne recèle, a priori, aucune erreur manifeste d’appréciation, d’autant plus que la requérante a elle-même souligné que le plafonnement du prélèvement EEG visait précisément à renforcer la compétitivité des entreprises à haute intensité énergétique. Le renvoi de la requérante à l’arrêt Italie/Commission (EU:C:1974:71) est erroné dans la mesure où cet arrêt portait sur une disposition légale qui accordait une réduction de charges sociales à toutes les entreprises du secteur textile italien. L’allégation figurant aux points 36 à 40 de cet arrêt, selon laquelle l’examen au regard du droit des aides implique nécessairement de partir de la situation concurrentielle existante sur le marché intérieur « avant que la mesure litigieuse soit prise », fait référence à la situation du secteur textile européen avant l’introduction de la « mesure litigieuse », c’est-à-dire de la disposition avantageant les entreprises italiennes du textile. Si l’on transpose cette analyse à la présente espèce, cela signifie que ce n’est pas l’EEG de 2012 dans son ensemble, mais uniquement le plafonnement du prélèvement de l’EEG qu’il prévoit en faveur des entreprises à haute intensité énergétique, qui doit être considéré comme une « mesure litigieuse ». Il ressort également des mémoires de la requérante que son intérêt consiste essentiellement à continuer à bénéficier de décisions de plafonnement. Son argument, selon lequel un plafonnement du prélèvement EEG est nécessaire puisqu’il n’y aurait pas, sans l’EEG de 2012, d’augmentation des coûts de l’électricité sous la forme de ce prélèvement, n’est donc pas pertinent au regard de la question de l’avantage sélectif.

58      En soutenant que le législateur voulait, dans l’EEG de 2012, établir un mécanisme de réglementation équilibré et compenser des charges inacceptables pour les entreprises à haute intensité énergétique, au motif que l’objectif inhérent à l’EEG de 2012 – la combinaison de la protection du climat et de l’environnement et d’un développement durable de l’approvisionnement en énergie – ne peut pas être atteint sans renforcement de leur compétitivité, la requérante semble vouloir dire que le plafonnement du prélèvement EEG est censé compenser leur baisse structurelle de compétitivité par rapport aux concurrents étrangers.

59      En effet, dans ses arrêts du 16 mars 2004, Danske Busvognmænd/Commission (T-157/01, EU:T:2004:76, point 57), et du 28 novembre 2008, Hotel Cipriani e.a./Commisison (T-254/00, T-270/00 et T-277/00, EU:T:2008:537, points 185 à 188), le Tribunal a admis qu’une mesure étatique visant à compenser des désavantages structurels pouvait être dépourvue du caractère d’aide sous certaines conditions bien spécifiques. Cependant, l’arrêt de la Cour du 9 juin 2011, Comitato «Venezia vuole vivere» e.a./Commission (C-71/09 P, C-73/09 P, et C-76/09 P, EU:C:2011:368, points 92 et 94 à 96), ainsi que l’arrêt du Tribunal du 16 septembre 2013, British Telecommunications/Commission (T-226/09 et T-230/09, EU:T:2013:466, point 71), en particulier, sont contraires à ces décisions et peuvent être résumés comme suit : une intervention étatique ne constitue une aide que si elle doit être considérée comme une compensation (contrepartie) des prestations effectuées par les entreprises chargées d’un service d’intérêt général économique pour exécuter des obligations de service public, ce qui n’est pas le cas des entreprises à haute intensité énergétique concernées par l’EEG de 2012. Au reste, la qualification d’aide d’une intervention étatique au titre de la réglementation applicable dépend de ses effets et non de ses causes ou de ses objectifs. Ainsi, la circonstance selon laquelle un État membre cherche à rapprocher, par des mesures unilatérales, les conditions de concurrence existant dans un certain secteur économique de celles prévalant dans d’autres États membres ne saurait enlever à ces mesures le caractère d’aide.

60      Dans la décision attaquée, la Commission n’a pas évoqué la question de la compensation des désavantages structurels dans le cadre de son examen au titre de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Cela ne peut lui être reproché comme une erreur manifeste d’appréciation puisque le caractère non pertinent d’une telle compensation au regard du droit des aides dans le cas du plafonnement du prélèvement EEG en faveur des entreprises à haute intensité énergétique est dans la droite ligne des arrêts Comitato «Venezia vuole vivere» e.a./Commission (EU:C:2011:368) et British Telecommunications/Commission (EU:T:2013:466). En tout état de cause, la Commission aurait rencontré de sérieuses difficultés qui l’auraient amenée à ouvrir la procédure formelle d’examen si elle avait entendu « faire prévaloir » les décisions Danske Busvognmænd/Commission (EU:T:2004:76) et Hotel Cipriani e.a./Commission (EU:T:2008:537) sur ces arrêts ou uniformiser les deux approches jurisprudentielles différentes. Dans ces conditions, on ne saurait reprocher à la Commission d’avoir examiné, aux points 201 à 244 de la décision attaquée, la nécessité de favoriser les entreprises à haute intensité énergétique implantées en Allemagne au regard de l’article 107, paragraphe 3, sous b), et sous c), TFUE, et d’avoir jugé utile d’obtenir des éclaircissements supplémentaires sur ce point dans le cadre de la procédure formelle d’examen.

61      La requérante fait ensuite valoir que le plafonnement du prélèvement EEG ne conduit ni à fausser la concurrence ni à entraver les échanges entre États membres. Celui-ci viserait au contraire à préserver la concurrence en tendant à alléger les charges pesant sur les entreprises nationales du fait du prélèvement EEG et, partant, à maintenir les conditions de concurrence actuelles. Le plafonnement du prélèvement EEG viserait à dissuader les entreprises à haute intensité énergétique de transférer leur production à l’étranger. Ce serait le seul moyen d’obtenir qu’elles continuent de contribuer à la promotion des énergies renouvelables en Allemagne ainsi qu’à la protection du climat et de l’environnement.

62      À cet égard, il convient de noter que la Commission a relevé, au point 80 de la décision attaquée, que les entreprises potentiellement favorisées par le plafonnement du prélèvement EEG étaient des producteurs de produits nécessitant beaucoup d’énergie (par exemple les producteurs de métaux ferreux et non ferreux, l’industrie du papier, l’industrie chimique, les producteurs de ciment) et qu’elles opéraient dans des secteurs donnant lieux à des échanges entre États membres. La mesure litigieuse serait donc de nature à fausser la concurrence et à entraver les échanges.

63      Cette appréciation provisoire de la Commission ne révèle pas non plus, a priori, d’erreur manifeste d’appréciation. La requérante ne conteste pas que ni elle ni les autres entreprises à haute intensité énergétique favorisées par le plafonnement du prélèvement EEG soient exposées à une concurrence transfrontalière. Au contraire, elle a elle-même déclaré que le plafonnement du prélèvement EEG devait renforcer la compétitivité des entreprises à haute intensité énergétique. En faisant référence aux disparités existant dans la situation de départ des entreprises implantées dans les différents États membres, la requérante semble reprendre l’argument tiré de la nécessaire compensation des désavantages structurels, déjà invoqué dans le cadre de l’avantage sélectif. Toutefois, cet argument ne permet pas d’exclure une présomption de distorsion de la concurrence et de perturbation des échanges, qui relèverait d’une appréciation provisoire. Il suffit pour cela que la mesure litigieuse soit susceptible d’avoir une incidence sur les échanges intracommunautaires et un effet de distorsion de la concurrence existant dans ceux-ci, ce qui est le cas, en particulier, lorsque cette mesure est de nature à renforcer la position d’une entreprise par rapport à d’autres entreprises concurrentes dans ces échanges (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2005, Italie/Commission, C-66/02, EU:C:2005:768, points 114 et 115).

64      Par son argument principal, la requérante soutient enfin que le plafonnement du prélèvement EEG ne constitue pas une aide d’État ou accordée au moyen de ressources d’État puisqu’il n’est pas soumis au contrôle de l’État. Ce dernier n’aurait aucune influence sur le montant du prélèvement EEG ni sur celui de son plafonnement. Il appartiendrait en définitive aux gestionnaires de réseau et aux entreprises d’approvisionnement en électricité de décider, en tant qu’acteurs privés du système d’approvisionnement en énergie, de la répercussion éventuelle du prélèvement EEG sur les consommateurs finaux. C’est pourquoi le plafonnement du prélèvement EEG dépendrait également du point de savoir si les acteurs privés perçoivent ce prélèvement.

65      Le fait que les entreprises à haute intensité énergétique demandent le plafonnement du prélèvement EEG lorsque l’entreprise d’approvisionnement en électricité leur en a réclamé le versement ne signifierait pas que l’utilisation des ressources correspondantes est contrôlée par l’État. La répercussion du prélèvement EEG dépendrait de la seule décision des gestionnaires de réseau et échapperait donc totalement au contrôle de l’État, puisque ce dernier n’aurait pas le pouvoir de disposer des fonds. Les gestionnaires de réseau n’interviendraient pas non plus en qualité d’organismes mandatés par l’État, auxquels il incomberait de gérer les flux financiers liés au prélèvement EEG. En effet, cela supposerait que l’État mette directement ou indirectement les ressources nécessaires à la gestion de l’aide à la disposition de l’organisme privé qu’il désigne. Cela ne serait le cas ni du prélèvement EEG ni de son plafonnement. Il s’agirait exclusivement de ressources privées qui ne quitteraient jamais le secteur privé et qui n’auraient donc pas d’impact financier sur l’État.

66      Selon la requérante, aux fins de son appréciation juridique du rôle de l’État concernant le prélèvement EEG, la Commission se fonde sur une conception erronée de la responsabilité étatique de garantie. Cette notion trouve son origine dans le concept d’État garant et désigne l’action menée par l’État pour que des missions répondant à une volonté politique soient prises en charge par des particuliers dans l’intérêt de tous. Cela n’impliquerait justement pas que ce soit nécessairement l’État qui assure cette mission, des particuliers pouvant s’en charger. La responsabilité de garantie serait donc caractérisée par l’objectif consistant à utiliser l’autonomie et l’initiative économique des particuliers pour promouvoir des objectifs à caractère public. La notion de responsabilité de garantie ne signifierait donc nullement que l’État contrôle, dirige ou exerce une influence sur la gestion des ressources tirées du prélèvement EEG. Au contraire, les dispositions de l’EEG de 2012 seraient aménagées de façon à ne régir que les relations de droit privé entre les gestionnaires de réseau, au statut de droit privé, les entreprises d’approvisionnement en électricité et les consommateurs finaux, qui échapperaient au contrôle étatique.

67       À cet égard, il convient de constater qu’aux points 81 à 148 de la décision attaquée, la Commission a procédé à une appréciation approfondie, bien que provisoire, de la question de savoir si les avantages pour les producteurs d’électricité de sources renouvelables, le plafonnement du prélèvement EEG en faveur des entreprises à haute intensité énergétique ainsi que la rémunération de la mise en réseau étaient imputables à l’État et accordés au moyen de ressources d’État. Dans le cadre de cette appréciation, la Commission a analysé les arrêts suivants de la Cour et du Tribunal : arrêts du 2 juillet 1974, Italie/Commission (EU:C:1974:71), du 22 mars 1977, Steinike & Weinlig (78/76, EU:C:1977:52), du 11 novembre 1987, France/Commission (259/85, EU:C:1987:478), du 12 décembre 1996, Air France/Commission (T-358/94, EU:T:1996:194), du 13 mars 2001, PreussenElektra (EU:C:2001:160), du 16 mai 2002, France/Commission (C-482/99, EU:C:2002:294), du 15 juillet 2004, Pearle e.a. (C-345/02, EU:C:2004:448), du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a. (C-206/06, EU:C:2008:413), du 19 juillet 2012, International Bingo Technology (C-377/11, EU:C:2012:503), du 27 septembre 2012, France/Commission (T-139/09, EU:T:2012:496), du 7 novembre 2012, CBI/Commission (T-137/10, EU:T:2012:584), et du 19 mars 2013, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission (affaires jointes C-399/10 P et C-401/10 P, EU:C:2013:175).

68      Au point 81 de la décision attaquée, la Commission a imputé à l’État l’octroi des avantages pour les producteurs d’électricité de sources renouvelables, le plafonnement du prélèvement EEG en faveur des entreprises à haute intensité énergétique ainsi que la rémunération de la mise en réseau, au motif que ceux-ci avaient été institués légalement, par l’EEG de 2012 ainsi que par des règlements d’exécution. En outre, les autorités allemandes (Bundesamt für Wirtschaft und Ausfuhrkontrolle : Office fédéral de l’économie et du contrôle des exportations, ci-après le «BAFA») auraient accordé les droits au plafonnement du prélèvement EEG pour les entreprises à haute intensité énergétique.

69      Aux points 82 à 138 de la décision attaquée, la Commission a examiné en détail la jurisprudence relative aux ressources d’État (voir ci-dessus, point 67) et exposé la situation juridique en vigueur en Allemagne ainsi que la conception juridique du gouvernement fédéral. À cet égard, elle a considéré que la notion d’aide incluait aussi les avantages accordés par un organisme privé désigné par l’État et ce, en dépit d’une origine tout d’abord privée des fonds utilisés. L’élément déterminant résiderait dans l’importance de la participation des entités publiques dans la fixation des mesures concernées et de leurs modalités de financement. Le prélèvement EEG prévu par l’EEG de 2012 serait institué par l’État et non par les gestionnaires de réseau. Ces derniers calculeraient certes le montant du prélèvement, mais celui-ci résulterait automatiquement de la méthode de calcul fixée de manière détaillée dans l’EEG de 2012 et dans ses dispositions d’exécution. En outre, les autorités allemandes (Agence fédérale des réseaux) contrôleraient à la fois le respect de cette méthode et l’utilisation du prélèvement EEG pour le financement de la promotion de l’électricité de sources renouvelables. Il conviendrait néanmoins de considérer que, compte tenu du nombre de missions que leur confère l’EEG de 2012, les gestionnaires de réseau seraient mandatés par l’État pour gérer le prélèvement EEG, en étant toutefois sous la surveillance étroite de l’Agence fédérale des réseaux. Les fournisseurs d’électricité ne seraient certes pas obligés de répercuter le prélèvement EEG sur les consommateurs finaux, mais les paiements optionnels pourraient quand même représenter aussi des ressources publiques. Au reste, le prélèvement aurait été conçu par l’État de manière à être nécessairement répercuté sur les consommateurs finaux. De nombreux indices plaideraient en faveur de cette analyse, en particulier le fait que l’État ait jugé nécessaire d’opérer un plafonnement du prélèvement EEG en faveur de certains consommateurs finaux, les entreprises à haute intensité énergétique.

70      C’est pourquoi la Commission est parvenue à la conclusion provisoire que l’État peut contrôler, diriger et influencer la gestion des ressources consacrées à la promotion de l’électricité de sources renouvelables. Celui-ci interviendrait tant au niveau de l’avantage (rémunération de la mise en réseau) qu’au niveau de son financement (mécanisme du prélèvement EEG). L’État n’aurait pas seulement défini le cercle des bénéficiaires, les critères d’éligibilité et le montant du soutien, mais aurait également mis à disposition les moyens financiers destinés à couvrir les coûts de la promotion de l’électricité de sources renouvelables. Le prélèvement EEG ne résulterait pas de l’initiative privée des gestionnaires de réseau mais proviendrait de l’État, lequel aurait défini l’objet et la finalité – financement d’une politique de soutien élaborée par l’État – du prélèvement. Les gestionnaires de réseau ne pourraient pas fixer librement le prélèvement EEG, et seraient au contraire contrôlés dans le cadre de son calcul, de sa perception et de sa gestion. La commercialisation de l’électricité de sources renouvelables serait également contrôlée par l’État. Les dispositions relatives à la détermination du prélèvement EEG garantiraient que suffisamment de fonds soient mis à disposition pour la promotion de l’électricité de sources renouvelables et pour le financement des coûts de gestion du système. Les gestionnaires de réseau ne pourraient pas utiliser le prélèvement EEG pour financer d’autres activités. Compte tenu de tous ces éléments, les revenus tirés du prélèvement EEG constitueraient des ressources d’État.

71      Selon la Commission, il s’ensuit qu’un plafonnement du prélèvement EEG en faveur des entreprises à haute intensité énergétique constitue un renoncement à des ressources d’État. Au reste, l’État allemand resterait également partie prenante au niveau du plafonnement, car le bénéficiaire potentiel présenterait une demande de plafonnement auprès du BAFA, lequel examinerait la demande et accorderait le plafonnement aux entreprises à haute intensité énergétique. Cette décision serait alors opposable aux fournisseurs d’électricité, qui ne pourraient plus facturer le prélèvement EEG à taux plein aux entreprises à haute intensité énergétique, mais uniquement le prélèvement plafonné. La décision pourrait également être opposée aux gestionnaires de réseau, de sorte que le prélèvement, que ces derniers pourraient facturer aux fournisseurs d’électricité, serait également plafonné en fonction de la décision du BAFA. Concernant le transfert de ressources, le plafonnement accordé aux entreprises à haute intensité énergétique pourrait aboutir à ce que les gestionnaires de réseau ne puissent percevoir, au titre du prélèvement EEG, qu’un montant réduit en conséquence.

72      Cette analyse provisoire de la Commission, qui repose sur une analyse des questions de fait et de droit pertinentes, ne recèle, a priori, aucune erreur manifeste d’appréciation. Les passages concernés de la décision attaquée montrent en particulier que la problématique liée à la nature publique ou privée des fonds utilisés dans le cadre du prélèvement EEG soulève de nombreuses questions juridiques complexes justifiant une analyse approfondie dans le cadre de la procédure formelle d’examen.

73      La requérante oppose en substance à cette analyse que le prélèvement est exclusivement constitué de ressources privées qui ne quittent jamais le secteur privé et qui n’ont aucune impact financier sur l’État. Les dispositions de l’EEG de 2012 relatives au mécanisme de compensation seraient aménagées de façon à ne régir que les relations de droit privé entre les gestionnaires de réseau, au statut de droit privé, les entreprises d’approvisionnement en électricité et les consommateurs finaux, qui échapperaient au contrôle étatique (voir ci-dessus points 65 et 66).

74      La problématique soulevée par cette argumentation devrait certes être analysée de manière approfondie par la Commission dans le cadre de la procédure formelle d’examen, mais l’analyse provisoire exposée dans la décision attaquée à ce sujet ne semble pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, comme la Commission l’a relevé à juste titre, il ressort de l’arrêt de la Cour du 17 mars 1993, Sloman Neptun (C-72/91 et C-73/91, EU:C:1993:97, points 19 et 21), que, lorsqu’une entreprise privée est chargée de la mise en œuvre d’un régime d’aide, tout dépend de la question de savoir si cela constitue une charge pour le budget de l’entreprise privée mandatée, et non du point de savoir si cela constitue une charge pour le budget de l’État ou d’un organisme public.

75      En réponse à l’allégation de la requérante, selon laquelle les gestionnaires de réseau n’interviendraient pas en qualité d’organismes mandatés par l’État, auxquels il incomberait de gérer les flux financiers liés au prélèvement EEG, l’État ne leur mettant pas à disposition, directement ou indirectement, les ressources nécessaires pour cela, la Commission a relevé que la question du contrôle étatique dépendait du point de savoir si l’État donnait à l’entreprise privée des directives précises concernant l’utilisation des fonds nécessaires à la mise en œuvre du régime d’aide. Selon la Commission, ces directives sont en l’espèce matérialisées par la création d’obligations légales, dans l’EEG de 2012, qui imposeraient aux gestionnaires de réseau de percevoir le prélèvement EEG auprès des fournisseurs d’électricité et d’acheter l’intégralité de l’électricité de sources renouvelables à un prix légalement fixé. La Commission a ajouté que l’État instituait, par la loi, un droit des gestionnaires de réseau de percevoir le prélèvement EEG, qu’il en réglementait la gestion par ces derniers de manière détaillée et la contrôlait (Agence fédérale des réseaux), qu’il prévoyait les possibilités d’exonération en faveur des entreprises à haute intensité énergétique et qu’il statuait lui-même (BAFA) sur l’exonération au cas par cas.

76      Cette argumentation ne recèle pas non plus d’erreur manifeste d’appréciation de la Commission, dans la mesure où celle-ci a considéré, à titre provisoire, que les gestionnaires de réseau ont été chargés de la mise en œuvre du prélèvement EEG sous le contrôle de l’État. Toutefois, la problématique soulevée par la requérante devrait être analysée de manière approfondie dans le cadre de la procédure formelle d’examen.

77      Enfin, la notion évoquée par la requérante relative à la responsabilité étatique de garantie, qui tendrait à utiliser l’autonomie et l’initiative économique des particuliers pour la promotion d’objectifs à caractère public afin que des missions répondant à une volonté politique soient prises en charge par des particuliers dans l’intérêt de tous, est trop théorique et vague pour démontrer l’illégalité de la décision attaquée.

78      Il convient donc de constater que la requérante n’a pas, a priori, démontré la nécessité d’adopter des mesures provisoires (fumus boni juris) sans préjudice de l’examen qui devra être effectué par le juge saisi du fond.

79      À la lumière des considérations qui précèdent, la demande en référé doit être rejetée. Dans ces conditions, il n’y pas lieu de procéder à la mise en balance des intérêts en présence. Il n’y a pas non plus lieu d’examiner les exceptions d’irrecevabilité soulevées par la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (Président)

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      La décision du 7 avril 2014, Stahlwerk Bous/Commission (T-172/14 R) est annulée.

3)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 10 juin 2014.

Le greffier

 

       Le président

E.  Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l'allemand.


1 Données confidentielles occultées.