Language of document : ECLI:EU:C:2000:695

ARRÊT DE LA COUR

14 décembre 2000 (1)

«Agriculture - Restitutions à l'exportation - Produits immédiatement réimportés dans la Communauté - Abus de droit»

Dans l'affaire C-110/99,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le Bundesfinanzhof (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Emsland-Stärke GmbH

et

Hauptzollamt Hamburg-Jonas,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 10, paragraphe 1, et 20, paragraphes 2 à 6, du règlement (CEE) n° 2730/79 de la Commission, du 29 novembre 1979, portant modalités communes d'application du régime des restitutions à l'exportation pour les produits agricoles (JO L 317, p. 1), dans sa version résultant du règlement (CEE) n° 568/85 de la Commission, du 4 mars 1985 (JO L 65, p. 5),

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. Gulmann, A. La Pergola, M. Wathelet et V. Skouris, présidents de chambre, D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet, P. Jann, L. Sevón (rapporteur), R. Schintgen et Mme F. Macken, juges,

avocat général: M. S. Alber,


greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

considérant les observations écrites présentées:

-    pour Emsland-Stärke GmbH, par Me B. Festge, avocat à Hambourg,

-    pour la Commission des Communautés européennes, par M. K.-D. Borchardt, membre du service juridique, en qualité d'agent,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Emsland-Stärke GmbH et de la Commission à l'audience du 14 mars 2000,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 16 mai 2000,

rend le présent

Arrêt

1.
    Par ordonnance du 2 février 1999, parvenue à la Cour le 31 mars suivant, le Bundesfinanzhof a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 10, paragraphe 1, et 20, paragraphes 2 à 6, du règlement (CEE) n° 2730/79 de la Commission, du 29 novembre 1979, portant modalités communes d'application du régime des restitutions à l'exportation pour les produits agricoles (JO L 317, p. 1), dans sa version résultant du règlement (CEE) n° 568/85 de la Commission, du 4 mars 1985 (JO L 65, p. 5, ci-après le «règlement n° 2730/79»).

2.
    Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant la société Emsland-Stärke GmbH (ci-après «Emsland-Stärke») au Hauptzollamt Hamburg-Jonas (ci-après le «HZA») au sujet du droit d'Emsland-Stärke à des restitutions à l'exportation non différenciées pour l'exportation de produits à base de fécule de pomme de terre et d'amidon de blé vers la Suisse au cours des mois d'avril à juin 1987.

Le cadre juridique

3.
    À l'époque des faits au principal, les conditions requises pour l'octroi des restitutions à l'exportation étaient régies, pour l'ensemble des produits agricoles, par le règlement n° 2730/79.

4.
    L'article 9, paragraphe 1, premier alinéa, de ce règlement dispose:

«Sans préjudice des dispositions des articles 10, 20 et 26, le paiement de la restitution est subordonné à la production de la preuve que le produit pour lequel ont été accomplies les formalités douanières d'exportation a, au plus tard dans un délai de 60 jours à compter du jour d'accomplissement de ces formalités:

-    atteint, en l'état, sa destination dans les cas visés à l'article 5,

    ou

-    quitté, en l'état, le territoire géographique de la Communauté dans les autres cas.»

5.
    Selon l'article 10, paragraphe 1, du règlement n° 2730/79:

«Le paiement de la restitution différenciée ou non différenciée est subordonné, en sus de la condition que le produit ait quitté le territoire géographique de la Communauté, à la condition que le produit ait été, sauf s'il a péri en cours de transport par suite d'un cas de force majeure, importé dans un pays tiers et, le cas échéant, dans un pays tiers déterminé dans les délais visés à l'article 31:

a)    lorsque des doutes sérieux existent quant à la destination réelle du produit,

    ou

b)    lorsque le produit est susceptible d'être réintroduit dans la Communauté par suite de la différence entre le montant de la restitution applicable au produit exporté et le montant des droits à l'importation applicables à un produit identique le jour d'accomplissement des formalités douanières d'exportation.

Les dispositions de l'article 20 paragraphes 2 à 6 sont applicables dans les cas visés à l'alinéa précédent.

En outre, les services compétents des États membres peuvent exiger des modes de preuve supplémentaires de nature à démontrer à la satisfaction des autorités compétentes que le produit a été effectivement mis en l'état sur le marché du pays tiers d'importation.»

6.
    L'article 20, paragraphes 2 à 6, du règlement n° 2730/79 dispose:

«2.    Le produit est considéré comme importé lorsque les formalités douanières de mise à la consommation dans le pays tiers ont été accomplies.

3.    La preuve de l'accomplissement de ces formalités est apportée:

a)    par la production du document douanier ou de sa copie ou photocopie certifiées conformes, soit par l'organisme qui a visé le document original, soit par les services officiels, du pays tiers concerné, soit par les services officiels d'un des États membres,

    ou

b)     par la production du 'certificat de dédouanement‘ établi sur un formulaire conforme au modèle figurant à l'annexe II, qui doit être rempli dans une ou plusieurs langues officielles de la Communauté et une langue en usage dans le pays tiers concerné,

    ou

c)     par la production de tout autre document visé par les services douaniers du pays tiers concerné, comportant l'identification des produits et démontrant que ceux-ci ont été mis à la consommation dans ce pays tiers.

4.    Toutefois, si aucun des documents visés au paragraphe 3 ne peut être produit par suite de circonstances indépendantes de la volonté de l'exportateur ou s'ils sont considérés comme insuffisants, la preuve de l'accomplissement des formalités douanières de mise à la consommation peut être considérée comme apportée par la production de l'un ou plusieurs des documents suivants:

[...]

5.    En outre, l'exportateur est tenu de présenter dans tous les cas d'application du présent article une copie ou photocopie du document de transport.

6.    La Commission, selon la procédure prévue à l'article 38 du règlement n° 136/66/CEE et aux articles correspondants des autres règlements portantorganisation commune des marchés, peut prévoir, dans certains cas spécifiques à déterminer, que la preuve de l'importation visée aux paragraphes 3 et 4 soit considérée comme apportée au moyen d'un document particulier ou de toute autre manière.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

7.
    Il ressort de l'ordonnance de renvoi que, entre avril et juin 1987, Emsland-Stärke a exporté vers la Suisse, en plusieurs envois, une marchandise dénommée «Emes E», à base de fécule de pomme de terre. Les destinataires indiqués étaient soit Fuga AG (ci-après «Fuga»), soit Lukowa AG (ci-après «Lukowa»), sociétés établies à Lucerne (Suisse) à la même adresse, gérées et représentées par les mêmes personnes. Le destinataire des factures était dans tous les cas Lukowa. Sur demande de Emsland-Stärke et au vu, notamment, de certificats de dédouanement suisses et de documents de transport, le HZA a octroyé à cette dernière une restitution à l'exportation.

8.
    Des vérifications ultérieures menées par le service des enquêtes douanières allemand ont révélé que les envois à l'exportation d'«Emes E» avaient été, immédiatement après leur mise à la consommation en Suisse, réexpédiés en l'état et avec les mêmes moyens de transport vers l'Allemagne, dans le cadre d'une nouvelle procédure de transit communautaire externe ouverte par Lukowa, et avaient été mis à la consommation dans cet État membre, moyennant la perception des droits et taxes à l'importation correspondants.

9.
    Par décision du 16 mai 1991, le HZA a retiré, pour ces envois, ses décisions d'octroi de restitution à l'exportation et a réclamé le remboursement de la restitution octroyée, s'élevant au total à 66 722,89 DEM.

10.
    Par ailleurs, en mai et juin 1987, la demanderesse a exporté vers la Suisse, en plusieurs envois, une marchandise dénommée «Emsize W 2», à base d'amidon de blé. Les destinataires en étaient également Fuga ou Lukowa. Le HZA a, là encore, octroyé une restitution à l'exportation.

11.
    Des vérifications ultérieures menées par le service des enquêtes douanières allemand ont révélé que les envois à l'exportation en question avaient été, immédiatement après leur mise à la consommation en Suisse, acheminés en l'état et avec les mêmes moyens de transport en Italie, dans le cadre d'une nouvelle procédure de transit communautaire externe ouverte par Fuga, et avaient été mis à la consommation dans cet État membre moyennant la perception des droits et taxes à l'importation correspondants. L'entreprise chargée du transport a délivré à Fuga des factures pour un transport direct des marchandises du lieu d'origine en Allemagne au lieu de destination en Italie.

12.
    Par décision du 22 juin 1992, le HZA a retiré, pour ces envois, ses décisions d'octroi de restitution à l'exportation et a réclamé le remboursement de la restitution octroyée, s'élevant au total à 253 456,69 DEM.

13.
    Les réclamations formées à l'encontre de ces décisions n'ayant pas abouti, Emsland-Stärke a introduit un recours devant le Finanzgericht.

14.
    Emsland-Stärke a fait valoir devant cette juridiction que le remboursement de la restitution à l'exportation avait été réclamé à tort, au motif que la totalité des marchandises avait été mise à la consommation en Suisse. Elle a précisé que, pour trois envois, il était établi que les marchandises avaient été vendues en Suisse, avant leur réexportation, par Fuga à Lukowa. Elle a affirmé que les marchandises n'avaient pas été réintroduites dans la Communauté dans un but frauduleux et qu'elle ne savait pas ce que les acheteurs en Suisse feraient des marchandises.

15.
    Le Finanzgericht l'ayant déboutée, Emsland-Stärke a introduit un recours en «Revision» devant le Bundesfinanzhof et a invoqué devant cette juridiction la violation de l'article 10, paragraphe 1, du règlement n° 2730/79.

16.
    Le Bundesfinanzhof relève que, dans les cas prévus à cette disposition, il est nécessaire d'apporter la preuve que le produit a été importé dans le pays tiers. L'article 10, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement n° 2730/79 renvoie à cet égard aux règles de preuve qui figurent à l'article 20, paragraphes 2 à 6, du même règlement et qui sont également applicables dans le cas de restitution à des taux différenciés.

17.
    Le Bundesfinanzhof constate que, dans l'affaire au principal, la preuve de l'accomplissement des formalités douanières de mise à la consommation a été apportée par Emsland-Stärke par la production d'un certificat de dédouanement, document visé à l'article 20, paragraphe 2, du règlement n° 2730/79. Il ressort également des documents de transport produits par la demanderesse au principal, dont la présentation est prévue à l'article 20, paragraphe 5, que les produits ont été, dans chaque cas, physiquement acheminés dans le pays tiers concerné, en l'espèce la Suisse, pour en être cependant aussitôt réexpédiés.

18.
    La juridiction de renvoi indique que, pour le cas où ces documents ne devraient pas être reconnus comme preuve suffisante de l'importation du produit dans un cas comme celui en cause au principal, il y aurait lieu de décider quelles preuves supplémentaires peuvent être exigées. Si, par exemple, la preuve que la marchandise a atteint le marché du pays tiers pouvait être apportée en établissant qu'il y a eu revente de la marchandise dans ce pays, il y aurait lieu de préciser dans quelles conditions une telle revente doit être reconnue. Le Bundesfinanzhof relève que, dans l'affaire au principal, il est possible de se demander, pour les trois envois pour lesquels il y a eu revente dans le pays tiers, si les relations étroites de nature économique et personnelle entre les entreprises impliquées dans cette revente sont susceptibles d'exclure la reconnaissance d'une telle opération en tant que preuve de l'importation dans ce pays.

19.
    Eu égard à ces éléments, le Bundesfinanzhof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)    Les dispositions combinées de l'article 10, paragraphe 1, et de l'article 20, paragraphes 2 à 6, du règlement (CEE) n° 2730/79 doivent-elles être interprétées en ce sens que l'exportateur est déchu de son droit au paiement d'une restitution à l'exportation fixée à un taux uniforme pour tous les pays tiers lorsque le produit vendu à un acheteur établi dans un pays tiers, pour lequel la restitution à l'exportation a été payée, a été, immédiatement après sa mise à la consommation dans le pays tiers concerné, réintroduit dans la Communauté dans le cadre du régime du transit communautaire externe pour y être, sans qu'une infraction ait été constatée, mis à la consommation moyennant perception des droits et taxes à l'importation?

2)    Cette question appellerait-elle une réponse différente si, avant d'être réimporté dans la Communauté, le produit a été vendu, par l'acheteur établi dans le pays tiers concerné, à une entreprise également établie dans ce pays et qui a avec l'acheteur des liens de nature personnelle et économique?»

20.
    Il convient d'examiner ces questions ensemble.

Sur les questions préjudicielles

Arguments des parties

21.
    Emsland-Stärke propose de répondre à la première question que l'exportateur n'est pas déchu de son droit à une restitution à l'exportation dans les circonstances visées. Elle rappelle que, dans l'affaire au principal, il s'agit de restitutions à un taux non différencié selon la destination pour l'obtention desquelles, hormis les exceptions visées à l'article 10, paragraphe 1, premier alinéa, sous a) et b), du règlement n° 2730/79, il suffit de prouver que la marchandise a quitté le territoire géographique de la Communauté.

22.
    Elle fait observer également que, selon l'article 20, paragraphe 2, du règlement n° 2730/79, un produit est considéré comme importé dans un pays tiers «lorsque les formalités douanières de mise à la consommation dans le pays tiers ont été accomplies». Le critère objectivement vérifiable de la mise à la consommation de la marchandise devrait être considéré comme suffisant, puisque, dans le cas contraire, il s'ensuivrait une grave insécurité juridique pour le bénéficiaire de la restitution. Elle souligne à cet égard que, si les produits ne sont pas restés définitivement dans le pays tiers, c'est en raison d'une décision adoptée par l'acheteur établi dans ce pays, sur la base de considérations commerciales.

23.
    S'agissant de la seconde question, et plus particulièrement des lots revendus par Fuga à Lukowa, Emsland-Stärke estime que, par le prix pratiqué et la quantité vendue, la marchandise a influencé le marché suisse de l'amidon modifié. Elle relève qu'il est indifférent que l'acheteuse ait été une société soeur de la venderesse, puisque ni lecontrat de vente ni le prix n'étaient fictifs. Si la société soeur suisse de l'importatrice n'avait pas acheté la marchandise auprès de celle-ci, elle aurait acheté la même quantité ailleurs en Suisse, puisque, au moment de l'achat, elle avait besoin précisément de cette quantité d'amidon modifié.

24.
    En réponse aux observations de la Commission relatives à l'abus de droit, Emsland-Stärke, se fondant sur l'arrêt du 25 septembre 1984, Könecke (117/83, Rec. p. 3291, point 11), a exposé à l'audience qu'exiger le remboursement de la restitution à l'exportation ou retirer ultérieurement l'avantage obtenu violerait le principe de légalité, car le principe général de l'abus de droit ne constituerait pas une base légale claire et non ambiguë permettant d'adopter une telle mesure.

25.
    Même si ce principe général permettait d'exiger le remboursement de l'avantage obtenu, la requérante au principal ne pourrait pas être pour autant le destinataire de la demande de remboursement, car ce n'est pas elle qui a réimporté la marchandise mais son acheteur suisse.

26.
    Le HZA, qui n'a pas déposé d'observations devant la Cour mais dont la position est synthétisée par la juridiction de renvoi, soutient que le législateur communautaire n'a pas prévu, dans les dispositions combinées des articles 10 et 20 du règlement n° 2730/79, de conditions différentes pour l'octroi de restitutions non différenciées ou de restitutions différenciées. Selon lui, même en cas de restitution non différenciée, l'octroi de la restitution ne saurait être envisagé que si la marchandise joue un rôle sur le marché concerné du pays tiers et est soumise aux lois de ce marché. La production d'un document douanier établissant la mise à la consommation dans ce pays ne serait qu'une présomption pouvant être réfutée.

27.
    La Commission expose que, à l'époque des faits au principal, il existait dans le secteur des amidons une différence importante entre le montant de la restitution à l'exportation et celui de la restitution à la production, le premier étant à peu près deux fois plus élevé que le second. Des droits à l'importation particulièrement bas constituaient le troisième élément rendant un commerce triangulaire profitable, la marchandise étant d'abord exportée vers un pays tiers avant d'être réimportée dans la Communauté par le même moyen de transport.

28.
    Elle émet des doutes quant à l'applicabilité de l'article 10 du règlement n° 2730/79 dans un cas tel que celui au principal.

29.
    Elle rappelle qu'il y a trois conditions différentes pour l'acquisition d'un droit à une restitution à l'exportation non différenciée.

30.
    La première, qui est la condition générale visée à l'article 9, paragraphe 1, du règlement n° 2730/79, serait que le produit ait quitté, en l'état, le territoire géographique de la Communauté. Cette condition serait satisfaite en ce qui concerne les produits en cause dans l'affaire au principal.

31.
    L'article 10, paragraphe 1, premier et deuxième alinéas, du règlement n° 2730/79 prévoirait par ailleurs que, lorsque des doutes sérieux existent quant à la destination réelle du produit ou lorsque le produit est susceptible d'être réintroduit dans la Communauté par suite de la différence entre le montant de la restitution à l'exportation et le montant des droits à l'importation, une deuxième condition doit être remplie pour l'acquisition du droit à restitution, à savoir que le produit ait été importé dans un pays tiers. Selon la Commission, il résulterait tant du libellé que de l'économie de la réglementation que les circonstances dans lesquelles cette deuxième condition est exigée doivent exister dès le début, c'est-à-dire avant l'octroi de la restitution. Cette interprétation serait d'ailleurs confirmée par la jurisprudence de la Cour dans l'arrêt du 9 août 1994, Boterlux (C-347/93, Rec. p. I-3933).

32.
    La Commission relève à cet égard que, dans l'affaire au principal, ce n'est qu'après l'octroi de la restitution et après les investigations du service des enquêtes douanières allemand que le HZA a eu connaissance du fait que les marchandises avaient été réexpédiées dans la Communauté et a exigé des preuves supplémentaires.

33.
    Elle souligne en outre que, même si les circonstances de l'affaire au principal justifiaient sans doute qu'il soit satisfait à la deuxième condition, en ce qu'il existait une importante différence entre le montant de la restitution à l'exportation et celui des droits à l'importation, la preuve que cette condition était remplie avait été apportée conformément à la réglementation.

34.
    La troisième condition, prévue à l'article 10, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement n° 2730/79, serait requise dans certains cas exceptionnels, dans lesquels les services compétents des États membres peuvent exiger des modes de preuve supplémentaires de nature à démontrer que le produit a été effectivement mis sur le marché du pays tiers d'importation. La Commission précise que, par «cas exceptionnels», elle entend, par exemple, un embargo, à l'occasion duquel des dispositions particulières sont adoptées afin d'éviter qu'il ne soit pas respecté, ce qui pourrait advenir en cas de détour de la marchandise par un autre pays tiers.

35.
    S'agissant de cette dernière condition, la Commission considère que la règle l'instaurant ne peut pas être utilisée pour lutter contre un abus de droit découvert dans le cadre de contrôles a posteriori, c'est-à-dire après le paiement de la restitution à l'exportation. Comme pour la deuxième condition d'acquisition du droit, il s'agirait d'une disposition qui, sur la base de critères objectifs, tiendrait compte de certains faits dont l'existence nécessite un renforcement des conditions mises au paiement d'une restitution à l'exportation. Dans un cas comme celui en cause au principal, cette disposition ne constituerait pas un fondement suffisant pour exiger le remboursement des restitutions à l'exportation accordées.

36.
    Si le règlement n° 2730/79 ne constitue pas, selon elle, un fondement juridique permettant d'exiger le remboursement des restitutions à l'exportation, la Commissionestime cependant que, eu égard aux circonstances de l'affaire au principal, la question devrait être examinée sous l'angle de l'abus de droit.

37.
    Elle cite à cet égard l'article 4, paragraphe 3, du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO L 312, p. 1), selon lequel «les actes pour lesquels il est établi qu'ils ont pour but d'obtenir un avantage contraire aux objectifs du droit communautaire applicable en l'espèce, en créant artificiellement les conditions requises pour l'obtention de cet avantage, ont pour conséquence, selon le cas, soit la non-obtention de l'avantage, soit son retrait».

38.
    Ce règlement n'était certes pas applicable à l'époque des faits au principal, mais la Commission estime toutefois que la disposition citée n'est que l'expression d'un principe général de droit déjà en vigueur dans l'ordre juridique communautaire. Elle relève que ce principe juridique général de l'abus de droit existe dans la quasi-totalité des États membres et qu'il a déjà été appliqué dans la jurisprudence de la Cour, bien que la Cour ne l'ait pas reconnu expressément comme un principe général du droit communautaire. La Commission cite à cet égard les arrêts du 11 octobre 1977, Cremer (125/76, Rec. p. 1593), du 27 octobre 1981, Töpfer e.a. (250/80, Rec. p. 2465), et du 3 mars 1993, General Milk Products (C-8/92, Rec. p. I-779), ainsi que les conclusions de l'avocat général Tesauro dans l'affaire Pafitis e.a. (arrêt du 12 mars 1996, C-441/93, Rec. p. I-1347).

39.
    La Commission soutient que l'hypothèse d'un abus de droit nécessite la réunion de trois éléments:

-    un élément objectif, à savoir la preuve que les conditions d'octroi d'une prestation ont été créées artificiellement, c'est-à-dire que l'opération commerciale n'a pas été réalisée dans un but économique, mais exclusivement pour obtenir du budget communautaire les aides financières qui accompagnent cette opération. Cela nécessiterait une analyse, à effectuer au cas par cas, tant du sens et de l'objectif de la réglementation communautaire en cause que du comportement d'un opérateur économique prudent qui gère ses affaires en respectant les règles de droit applicables et conformément aux usages commerciaux et économiques en vigueur dans le secteur en cause;

-    un élément subjectif, à savoir le fait que l'opération commerciale en cause a été réalisée essentiellement pour obtenir un avantage financier incompatible avec l'objectif de la réglementation communautaire;

-    un élément de droit procédural relatif à la charge de la preuve. Celle-ci incomberait à l'administration nationale compétente. Toutefois, dans les cas d'abus les plus graves, même un commencement de preuve, conduisant éventuellement à un renversement de la charge de la preuve, serait recevable.

40.
    La vérification de la réunion de ces différents éléments incomberait à la juridiction nationale.

41.
    La Commission relève cependant que, dans l'affaire au principal, s'agissant de l'élément objectif, le gain financier était important, compte tenu de la différence entre le montant de la restitution à l'exportation et celui des droits à l'importation, le délai entre l'exportation et le retour des produits dans la Communauté était très bref et les mêmes moyens de transport ont été utilisés.

42.
    S'agissant de l'élément subjectif, la Commission a d'abord fait valoir que les éléments communiqués par la juridiction de renvoi ne permettaient pas de se prononcer définitivement et que, pour vérifier si un «carrousel» avait été mis en place, il convenait de clarifier les relations existant entre Emsland-Stärke et les acheteurs finals en Allemagne et en Italie. À l'audience, elle a toutefois modifié sa position et précisé que c'est au niveau des relations entre la requérante au principal et les acheteuses suisses qu'il conviendrait d'établir la complicité, le fait que le destinataire final ait eu connaissance ou non du carrousel n'étant pas déterminant.

43.
    La Commission suggère dès lors d'ajouter à la réponse à la première question que, «en vertu du principe juridique de l'abus de droit en vigueur dans le droit communautaire, des avantages financiers ne sont pas accordés ou, le cas échéant, sont retirés rétroactivement s'il est prouvé que les opérations commerciales en cause ont pour but d'obtenir un avantage qui est incompatible avec les objectifs des règles communautaires applicables, en ce sens que les conditions d'obtention de cet avantage ont été créées artificiellement».

44.
    S'agissant de la seconde question, la Commission considère qu'il est superflu d'y répondre, compte tenu de la réponse à la première question.

45.
    Elle précise cependant qu'il existe une différence en ce qui concerne la preuve à fournir au titre des deuxième et troisième conditions d'acquisition du droit à restitution. Pour justifier qu'il est satisfait à la deuxième condition, il conviendrait de produire des documents de dédouanement alors que, pour la troisième, il faudrait produire en plus des documents commerciaux. À cet égard, des contrats de revente des produits en cause devraient être considérés comme des documents commerciaux. La valeur de preuve de ces documents serait cependant considérablement réduite si, avant d'être réimportés dans la Communauté, les produits en question étaient revendus par l'acheteur établi dans le pays tiers en cause à une entreprise également établie dans ce pays tiers avec laquelle il a des liens personnels et économiques.

Appréciation de la Cour

46.
    Il convient au préalable de constater que, pour les opérations en cause au principal, toutes les conditions formelles d'octroi des restitutions à l'exportation non différenciées prévues par le règlement n° 2730/79 étaient remplies.

47.
    En effet, les marchandises remplissaient la condition d'avoir quitté le territoire géographique de la Communauté, visée à l'article 9, paragraphe 1.

48.
    Quant aux autres conditions, visées à l'article 10, paragraphe 1, du règlement n° 2730/79, elles n'auraient pu être imposées que préalablement à l'octroi de la restitution. Cela résulte à suffisance du libellé de cette disposition, selon lequel le paiement est «subordonné [...] à la condition que le produit ait été [...] importé dans un pays tiers», ainsi que du neuvième considérant du règlement n° 2730/79, formulé dans les mêmes termes.

49.
    Cette analyse est confirmée par l'arrêt Boterlux, précité, au point 30 duquel la Cour, interprétant une disposition réglementaire comparable à l'article 10, paragraphe 1, du règlement n° 2730/79, a déclaré que les États membres peuvent également exiger la preuve de la mise en libre pratique dans un pays tiers avant l'octroi d'une restitution non différenciée, lorsqu'il est soupçonné ou établi que des abus ont été commis.

50.
    Cependant, eu égard aux circonstances concrètes de l'opération en cause au principal, qui pourraient laisser supposer une pratique abusive, c'est-à-dire une sortie du territoire communautaire purement formelle réalisée dans le seul but de bénéficier des restitutions à l'exportation, il convient d'examiner si le règlement n° 2730/79 s'oppose à une obligation de remboursement d'une restitution déjà octroyée.

51.
    Il résulte à cet égard de la jurisprudence de la Cour que l'application des règlements communautaires ne saurait être étendue jusqu'à couvrir des pratiques abusives d'opérateurs économiques (arrêt Cremer, précité, point 21). La Cour a également jugé que le fait que des opérations d'importation et d'exportation ne sont pas réalisées dans le cadre de transactions commerciales normales, mais seulement pour bénéficier abusivement de l'octroi de montants compensatoires monétaires, peut faire obstacle à l'application de tels montants compensatoires monétaires positifs (arrêt General Milk Products, précité, point 21).

52.
    La constatation qu'il s'agit d'une pratique abusive nécessite, d'une part, un ensemble de circonstances objectives d'où il résulte que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation communautaire, l'objectif poursuivi par cette réglementation n'a pas été atteint.

53.
    Elle requiert, d'autre part, un élément subjectif consistant en la volonté d'obtenir un avantage résultant de la réglementation communautaire en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention. L'existence d'un tel élément subjectif peut être établie, notamment, par la preuve d'une collusion entre l'exportateur communautaire, bénéficiaire des restitutions, et l'importateur de la marchandise dans le pays tiers.

54.
    C'est à la juridiction nationale qu'il incombe d'établir l'existence de ces deux éléments, dont la preuve doit être rapportée conformément aux règles du droit national, pour autant qu'il ne soit pas porté atteinte à l'efficacité du droit communautaire (voir, en ce sens, notamment, arrêts du 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor e.a., 205/82 à215/82, Rec. p. 2633, points 17 à 25 et 35 à 39; du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, points 17 à 21; du 8 février 1996, FMC e.a., C-212/94, Rec. p. I-389, points 49 à 51, et du 15 juin 2000, ARCO Chemie Nederland e.a., C-418/97 et C-419/97, non encore publié au Recueil, point 41).

55.
    Le Bundesfinanzhof considère que les circonstances de fait décrites dans la première question préjudicielle établissent que l'objectif de la réglementation communautaire n'a pas été atteint. Il lui appartient dès lors d'établir, en outre, l'existence d'une volonté, dans le chef de l'exportateur communautaire, de bénéficier d'un avantage résultant de l'application de la réglementation communautaire en réalisant une opération artificielle.

56.
    Contrairement à ce qu'affirme Emsland-Stärke, l'obligation de rembourser les restitutions perçues dans une hypothèse où l'existence des deux éléments constitutifs d'une pratique abusive serait établie ne violerait pas le principe de légalité. En effet, l'obligation de remboursement ne serait pas une sanction, pour laquelle une base légale claire et non ambiguë serait nécessaire, mais la simple conséquence de la constatation que les conditions requises pour l'obtention de l'avantage résultant de la réglementation communautaire ont été artificiellement créées, rendant indues les restitutions octroyées et justifiant, dès lors, l'obligation de les restituer.

57.
    Par ailleurs, l'argument selon lequel l'exportateur communautaire ne pourrait pas être le destinataire de la demande de remboursement au motif que ce n'est pas lui qui a réimporté la marchandise ne peut être retenu non plus. En effet, la réimportation de la marchandise n'est qu'une des circonstances de fait permettant d'établir que l'objectif poursuivi par la réglementation n'a pas été atteint. En outre, c'est l'exportateur qui bénéficie de l'avantage indu consistant en l'octroi des restitutions à l'exportation lorsqu'il réalise une opération artificielle afin de bénéficier de cet avantage.

58.
    S'agissant de la seconde question posée par la juridiction de renvoi, il convient de constater que la circonstance que, avant d'être réimporté dans la Communauté, le produit a été revendu par l'acheteur établi dans le pays tiers concerné à une entreprise également établie dans ce pays avec laquelle il a des liens de nature personnelle et économique n'exclut pas que l'exportation en cause vers le pays tiers soit constitutive d'une pratique abusive imputable à l'exportateur communautaire. Au contraire, elle fait partie des éléments de fait pouvant être pris en considération par la juridiction nationale pour établir le caractère artificiel de l'opération concernée.

59.
    Eu égard à ces éléments, il y a lieu de répondre aux questions posées que les articles 9, paragraphe 1, 10, paragraphe 1, et 20, paragraphes 2 à 6, du règlement n° 2730/79 doivent être interprétés en ce sens qu'un exportateur communautaire peut être déchu de son droit au paiement d'une restitution à l'exportation non différenciée lorsque le produit vendu à un acheteur établi dans un pays tiers, pour lequel la restitution à l'exportation a été payée, a été, immédiatement après sa mise à la consommation dans le pays tiers concerné, réintroduit dans la Communauté dans le cadre du régime du transit communautaire externe pour y être, sans qu'un manquement aux dispositionsréglementaires ait été constaté, mis à la consommation moyennant perception des droits et taxes à l'importation, et que cette opération est constitutive d'une pratique abusive dans le chef de cet exportateur communautaire.

La constatation qu'il s'agit d'une pratique abusive suppose l'existence d'une volonté, dans le chef de cet exportateur communautaire, de bénéficier d'un avantage résultant de l'application de la réglementation communautaire en créant artificiellement les conditions pour son obtention. La preuve doit en être rapportée devant la juridiction nationale conformément aux règles du droit national, par exemple en établissant une collusion entre cet exportateur et l'importateur de la marchandise dans le pays tiers.

Le fait que, avant d'être réimporté dans la Communauté, le produit a été vendu par l'acheteur établi dans le pays tiers concerné à une entreprise également établie dans ce pays avec laquelle il a des liens de nature personnelle et économique est l'un des éléments de fait pouvant être pris en considération par la juridiction nationale pour vérifier si les conditions de l'existence d'une obligation de remboursement des restitutions sont remplies.

Sur les dépens

60.
    Les frais exposés par la Commission, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesfinanzhof, par ordonnance du 2 février 1999, dit pour droit:

Les articles 9, paragraphe 1, 10, paragraphe 1, et 20, paragraphes 2 à 6, du règlement (CEE) n° 2730/79 de la Commission, du 29 novembre 1979, portant modalités communes d'application du régime des restitutions à l'exportation pour les produits agricoles, dans sa version résultant du règlement (CEE) n° 568/85 de la Commission, du 4 mars 1985, doivent être interprétés en ce sens qu'un exportateur communautaire peut être déchu de son droit au paiement d'une restitution à l'exportation non différenciée lorsque le produit vendu à un acheteur établi dans un pays tiers, pour lequel la restitution à l'exportation a été payée, a été, immédiatement après sa mise à la consommation dans le pays tiers concerné, réintroduit dans la Communauté dans le cadre du régime du transit communautaire externe pour y être, sans qu'un manquement aux dispositions réglementaires ait été constaté, mis à la consommation moyennant perception desdroits et taxes à l'importation, et que cette opération est constitutive d'une pratique abusive dans le chef de cet exportateur communautaire.

La constatation qu'il s'agit d'une pratique abusive suppose l'existence d'une volonté, dans le chef de cet exportateur communautaire, de bénéficier d'un avantage résultant de l'application de la réglementation communautaire en créant artificiellement les conditions pour son obtention. La preuve doit en être rapportée devant la juridiction nationale conformément aux règles du droit national, par exemple en établissant une collusion entre cet exportateur et l'importateur de la marchandise dans le pays tiers.

Le fait que, avant d'être réimporté dans la Communauté, le produit a été vendu par l'acheteur établi dans le pays tiers concerné à une entreprise également établie dans ce pays avec laquelle il a des liens de nature personnelle et économique est l'un des éléments de fait pouvant être pris en considération par la juridiction nationale pour vérifier si les conditions de l'existence d'une obligation de remboursement des restitutions sont remplies.

Rodríguez Iglesias

Gulmann
La Pergola

Wathelet

Skouris
Edward

Puissochet

Jann
Sevón

Schintgen

Macken

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 décembre 2000.

Le greffier

Le président

R. Grass

G. C. Rodríguez Iglesias


1: Langue de procédure: l'allemand.