Language of document : ECLI:EU:T:2016:449

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

8 septembre 2016 (1)

« Concurrence – Ententes – Marché des médicaments antidépresseurs contenant l’ingrédient pharmaceutique actif citalopram – Notion de restriction de la concurrence par objet – Concurrence potentielle – Médicaments génériques – Barrières à l’entrée sur le marché résultant de l’existence de brevets – Accords conclus entre le titulaire de brevets et des entreprises de médicaments génériques – Article 101, paragraphes 1 et 3, TFUE – Erreurs de droit et d’appréciation – Obligation de motivation – Droits de la défense – Sécurité juridique – Amendes »

Dans l’affaire T‑472/13,

H. Lundbeck A/S, établie à Valby (Danemark),

Lundbeck Ltd, établie à Milton Keynes (Royaume-Uni),

représentées par M. R. Subiotto, QC, et Me T. Kuhn, avocat,

parties requérantes,

soutenues par

European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations (EFPIA), établie à Genève (Suisse), représentée par Mmes F. Carlin, barrister, et M. Healy, solicitors,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par M. J. Bourke, Mme F. Castilla Contreras, M. B. Mongin, Mme T. Vecchi et M. C. Vollrath, puis par Mme Castilla Contreras, M. Mongin, Mme Vecchi, MM. Vollrath et T. Christoforou,, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation partielle de la décision de la Commission C (2013) 3803 final, du 19 juin 2013, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT/39226 – Lundbeck), et une demande de réduction du montant de l’amende infligée aux requérantes par cette décision,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, O. Czúcz et A. Popescu, juges

greffier : M. L. Grzegorczyk, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 26 novembre 2015,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

I –  Sociétés en cause dans la présente affaire

1        H. Lundbeck A/S (ci-après « Lundbeck ») est une société de droit danois qui contrôle un groupe de sociétés, dont Lundbeck Ltd, implantée au Royaume-Uni, spécialisé dans la recherche, le développement, la production, le marketing, la vente et la distribution de produits pharmaceutiques pour le traitement de pathologies affectant le système nerveux central, dont la dépression.

2        Lundbeck est un laboratoire de princeps, à savoir une entreprise qui concentre son activité dans la recherche de nouveaux médicaments et dans la commercialisation de ceux-ci.

3        Merck KGaA est une société de droit allemand spécialisée dans le domaine pharmaceutique qui, au moment de la conclusion des accords concernés, détenait indirectement à 100 %, à travers le groupe Merck Generics Holding GmbH, sa filiale Generics UK Ltd (ci-après « GUK »), responsable du développement et de la commercialisation de produits pharmaceutiques génériques au Royaume-Uni.

4        Merck et GUK ont été considérées par la Commission européenne comme constituant une seule entreprise au sens du droit de la concurrence au moment des faits pertinents (ci-après « Merck (GUK) »).

5        Arrow Group A/S, rebaptisée Arrow Group ApS au mois d’août 2003 (ci-après, sans distinction, « Arrow Group »), est une société de droit danois à la tête d’un groupe de sociétés, présent dans plusieurs États membres et actif depuis 2001 dans le développement et la vente de médicaments génériques.

6        Arrow Generics Ltd est une société de droit du Royaume-Uni, filiale d’abord à 100 %, puis, à partir de février 2002, à 76 %, d’Arrow Group.

7        Resolution Chemicals Ltd est une société de droit du Royaume-Uni spécialisée dans la production d’ingrédients pharmaceutiques actifs (ci-après les « IPA ») pour des médicaments génériques. Jusqu’au mois de septembre 2009, elle était contrôlée par Arrow Group.

8        Arrow Group, Arrow Generics et Resolution Chemicals ont été considérées par la Commission comme constituant une seule entreprise (ci-après « Arrow ») au moment des faits pertinents.

9        Alpharma Inc. était une société de droit américain active à l’échelle mondiale dans le secteur pharmaceutique, notamment en ce qui concerne les médicaments génériques. Jusqu’en décembre 2008, elle était contrôlée par la société de droit norvégien, A.L. Industrier AS. Par la suite, elle a été achetée par une entreprise pharmaceutique du Royaume-Uni, qui, à son tour, a été achetée par une entreprise pharmaceutique des États-Unis. Dans le cadre de ces restructurations, Alpharma Inc. est devenue, d’abord, en avril 2010, Alpharma, LLC, puis, le 15 avril 2013, Zoetis Products LLC.

10      Alpharma ApS était une société de droit danois indirectement contrôlée à 100 % par Alpharma Inc. Elle disposait de plusieurs filiales dans l’Espace économique européen (EEE). À la suite de plusieurs restructurations, le 31 mars 2008, Alpharma ApS est devenue Axellia Pharmaceuticals ApS, rebaptisée en 2010 Xellia Pharmaceuticals ApS (ci-après « Xellia »).

11      Alpharma Inc., A.L. Industrier AS et Alpharma ApS ont été considérées par la Commission comme constituant une seule entreprise (ci-après « Alpharma ») au moment des faits pertinents.

12      Ranbaxy Laboratories Ltd est une société de droit indien spécialisée dans le développement et la production d’IPA ainsi que de médicaments génériques.

13      Ranbaxy (UK) Ltd est une société de droit anglais, filiale de Ranbaxy Laboratories, chargée de la vente des produits de cette dernière au Royaume-Uni.

14      Ranbaxy Laboratories et Ranbaxy (UK) ont été considérées par la Commission comme constituant une seule entreprise (ci-après « Ranbaxy ») au moment des faits pertinents.

II –  Produit concerné et brevets concernant celui-ci

15      Le produit concerné par la présente affaire est le médicament antidépresseur contenant l’IPA dénommé citalopram.

16      En 1977, Lundbeck a déposé au Danemark une demande de brevet sur l’IPA citalopram ainsi que sur les deux procédés d’alkylation et de cyanation utilisés pour produire ledit IPA. Des brevets couvrant cet IPA et ces deux procédés (ci-après les « brevets originaires ») ont été délivrés au Danemark et dans plusieurs pays de l’Europe occidentale entre 1977 et 1985.

17      En ce qui concerne l’EEE, la protection découlant des brevets originaires ainsi que, le cas échéant, des certificats complémentaires de protection (ci-après les « CCP »), prévus par le règlement (CEE) no 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO L 182, p. 1), a expiré entre 1994 (pour l’Allemagne) et 2003 (pour l’Autriche). En particulier, s’agissant du Royaume-Uni, les brevets originaires ont expiré en janvier 2002.

18      Au fil du temps, Lundbeck a développé d’autres procédés plus efficaces pour produire du citalopram, pour lesquels elle a demandé, et souvent obtenu, des brevets dans plusieurs pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et de l’Office européen des brevets (OEB) (ci-après les « nouveaux brevets de Lundbeck »).

19      En particulier, premièrement, en 1998 et en 1999, Lundbeck a introduit auprès de l’OEB deux demandes de brevets concernant la production du citalopram par des procédés utilisant respectivement de l’iode et de l’amide. L’OEB a délivré à Lundbeck un brevet protégeant le procédé utilisant l’amide (ci-après le « brevet sur l’amide ») le 19 septembre 2001 et un brevet protégeant le procédé utilisant l’iode (ci‑après le « brevet sur l’iode ») le 26 mars 2003.

20      Deuxièmement, le 13 mars 2000, Lundbeck a déposé une demande de brevet auprès des autorités danoises concernant un procédé de production du citalopram qui prévoyait une méthode de purification des sels utilisés par le biais d’une cristallisation. Des demandes analogues ont été introduites auprès d’autres pays de l’EEE ainsi qu’auprès de l’OMPI et de l’OEB. Lundbeck a obtenu des brevets protégeant le procédé utilisant la cristallisation dans plusieurs États membres au cours de la première moitié de l’année 2002, notamment le 30 janvier 2002 en ce qui concerne le Royaume-Uni (ci-après le « brevet sur la cristallisation »). L’OEB a délivré un brevet sur la cristallisation le 4 septembre 2002. Par ailleurs, aux Pays-Bas, Lundbeck avait déjà obtenu, le 6 novembre 2000, un modèle d’utilité concernant ce procédé (ci-après le « modèle d’utilité de Lundbeck »), soit un brevet valable six ans, concédé sans véritable examen préalable.

21      Troisièmement, le 12 mars 2001, Lundbeck a déposé une demande de brevet auprès des autorités du Royaume-Uni concernant un procédé de production du citalopram qui prévoyait une méthode de purification des sels utilisés par le biais d’une distillation en film. Les autorités du Royaume-Uni ont concédé à Lundbeck un brevet portant sur ladite méthode de distillation en film le 3 octobre 2001 (ci-après le « brevet sur la distillation en film »). Cependant, ce brevet a été révoqué pour défaut de nouveauté par rapport à un autre brevet de Lundbeck le 23 juin 2004. Lundbeck a obtenu un brevet analogue au Danemark le 29 juin 2002.

22      Enfin, Lundbeck envisageait de lancer un nouveau médicament antidépresseur, le Cipralex, fondé sur l’IPA dénommé escitalopram (ou S‑citalopram), pour la fin de l’année 2002 ou le début de l’année 2003. Ce nouveau médicament visait les mêmes patients que ceux susceptibles d’être soignés par le médicament breveté Cipramil de Lundbeck, fondé sur l’IPA citalopram. L’IPA escitalopram était protégé par des brevets valables jusqu’en 2012, à tout le moins.

III –  Accords litigieux

23      Au cours de l’année 2002, Lundbeck a conclu six accords concernant le citalopram (ci-après les « accords litigieux ») avec quatre entreprises actives dans la production ou dans la vente de médicaments génériques, à savoir Merck (GUK), Alpharma, Arrow et Ranbaxy (ci-après les « entreprises de génériques »).

A –  Accords avec Merck (GUK)

24      Lundbeck a conclu deux accords avec Merck (GUK).

25      Le premier accord a pris effet le 24 janvier 2002, initialement pour une durée d’un an, et couvrait uniquement le territoire du Royaume-Uni (ci-après l’« accord GUK pour le Royaume-Uni »). Il a été signé par la filiale au Royaume-Uni de Lundbeck, c’est-à-dire la société de droit du Royaume-Uni, Lundbeck Ltd. Cet accord a ensuite été prorogé pour une période de six mois se terminant le 31 juillet 2003. Ensuite, après une brève entrée de Merck (GUK) sur le marché entre le 1er et le 4 août, une deuxième prorogation de l’accord a été signée par les parties le 6 août 2003, pour une durée maximale de six mois, mais pouvant être écourtée en cas d’absence d’action en justice de Lundbeck contre d’autres entreprises de génériques qui tenteraient d’entrer sur le marché ou à l’issue du litige entre Lundbeck et Lagap Pharmaceuticals Ltd, une autre entreprise de génériques (ci-après le « litige Lagap »).

26      Aux termes de cet accord, il est prévu par les parties notamment que :

–        il y a un risque que certaines actions envisagées par GUK concernant la commercialisation, la distribution et la vente des « Produits » puissent constituer une infraction aux droits de propriété intellectuelle de Lundbeck et qu’elles puissent donner lieu à des revendications de la part de celle-ci (point 2.1 de l’accord GUK pour le Royaume-Uni), ces « Produits » étant définis au point 1.1 de l’accord GUK pour le Royaume-Uni comme étant les « produits de citalopram développés par GUK sous forme de matière première, en vrac ou sous forme de comprimés tels que spécifiés en Annexe et manufacturés en conformité avec la spécification de produits telle que fournie par GUK à la date de signature, jointe en Annexe 2 » ;

–        compte tenu de l’accord intervenu entre les parties, Lundbeck paiera à GUK un montant de 2 millions de livres sterling (GBP), en échange de la livraison des « Produits », dans les quantités prévues par l’accord, à la date du 31 janvier 2002 (point 2.2 de l’accord GUK pour le Royaume-Uni) ;

–        GUK s’engage en outre, en échange d’un paiement supplémentaire de 1 million de GBP, à livrer les « Produits » tels que spécifiés dans l’annexe à la date du 2 avril 2002 (point 2.3 de l’accord GUK pour le Royaume-Uni) ;

–        les paiements effectués et la livraison des « Produits » par GUK en application des points 2.2 et 2.3 de l’accord GUK pour le Royaume-Uni constitueront une résolution complète et finale de toute revendication que Lundbeck pourrait avoir contre GUK pour avoir enfreint ses droits de propriété intellectuelle en ce qui concerne les « Produits » livrés par GUK jusqu’à cette date (point 2.4 de l’accord GUK pour le Royaume‑Uni) ;

–        Lundbeck s’engage à vendre ses « Produits Finis » à GUK et GUK s’engage à acheter exclusivement ces « Produits Finis » auprès de Lundbeck en vue de leur revente par GUK et ses affiliés au Royaume-Uni pendant la durée et selon les termes de l’accord (point 3.2 de l’accord GUK pour le Royaume-Uni), ces « Produits Finis » étant définis au point 1.1 de l’accord comme étant « les produits contenant du citalopram sous forme de produits finis à fournir par [Lundbeck] à GUK conformément au présent accord » ;

–        Lundbeck s’engage à payer un montant de 5 millions de GBP de profits nets garantis à GUK, à condition que GUK lui commande le volume de « Produits Finis » convenu pendant la durée de l’accord (ou un montant moindre à calculer au prorata des commandes effectuées) (point 6.2 de l’accord GUK pour le Royaume‑Uni).

27      La première prorogation de l’accord prévoyait notamment le paiement d’un montant de 400 000 GBP par mois pour l’exécution par GUK du point 6.2 de l’accord GUK pour le Royaume-Uni et modifiait la définition de « profits nets ».

28      La seconde prorogation de l’accord GUK pour le Royaume-Uni prévoyait notamment le paiement d’un montant de 750 000 GBP par mois pour l’exécution par GUK de l’article 6.2 de cet accord.

29      L’accord GUK pour le Royaume-Uni a expiré le 1er novembre 2003, à la suite du règlement à l’amiable du litige Lagap. Au total, pendant toute la durée de l’accord, Lundbeck a transféré l’équivalent de 19,4 millions d’euros à GUK.

30      Un second accord a été conclu entre Lundbeck et GUK le 22 octobre 2002, couvrant l’EEE à l’exception du Royaume-Uni (ci-après l’« accord GUK pour l’EEE »). Cet accord prévoyait le paiement d’un montant de 12 millions d’euros, en échange duquel GUK s’engageait à ne pas vendre ou fournir de produits pharmaceutiques contenant du citalopram sur tout le territoire de l’EEE (à l’exception du Royaume-Uni) et à entreprendre tous les efforts raisonnables afin que Natco Pharma Ltd (ci-après « Natco »), le producteur de l’IPA citalopram utilisé par Merck (GUK) pour commercialiser sa version du citalopram générique (ci-après l’« IPA de Natco » ou le « citalopram de Natco »), cessât de fournir le citalopram ou des produits contenant du citalopram dans l’EEE pendant la durée de l’accord (points 1.1 et 1.2 de l’accord GUK pour l’EEE). Lundbeck s’engageait à ne pas intenter d’actions en justice contre GUK, à condition que celle-ci respectât ses obligations en vertu du point 1.1 de l’accord GUK pour l’EEE (point 1.3 de l’accord GUK pour l’EEE).

31      L’accord GUK pour l’EEE a expiré le 22 octobre 2003. Au total, Lundbeck a transféré l’équivalent de 12 millions d’euros à GUK en vertu de cet accord.

B –  Accords avec Arrow

32      Lundbeck a signé deux accords avec Arrow.

33      Le premier de ceux-ci, concernant le territoire du Royaume-Uni, a été conclu le 24 janvier 2002 entre Lundbeck, d’une part, et Arrow Generics et Resolution Chemicals (ci-après, prises ensembles, « Arrow UK »), d’autre part (ci-après l’« accord Arrow UK »).

34      L’accord Arrow UK avait initialement une durée allant jusqu’au 31 décembre 2002 ou, si elle avait été antérieure, jusqu’à la date à laquelle il y aurait eu une décision de justice devenue définitive sur l’action que Lundbeck avait l’intention d’introduire contre Arrow UK devant les juridictions du Royaume-Uni à l’égard de la prétendue contrefaçon commise par cette dernière sur ses brevets (ci-après l’« action en contrefaçon Arrow ») (point 4.1 de l’accord Arrow UK). Ensuite, cet accord a été prorogé, à deux reprises, par la signature d’addenda. La première prorogation couvrait la période comprise entre le 1er janvier et le 1er mars 2003 (point 3.1 du premier addendum à l’accord Arrow UK), alors que la seconde prévoyait que cet accord prît fin soit le 31 janvier 2004, soit sept jours après la signature de la décision de justice mettant fin au litige Lagap (point 4.1 du second addendum à l’accord Arrow UK). Ce litige ayant été réglé à l’amiable le 13 octobre 2003, l’accord Arrow UK a pris fin le 20 octobre suivant. Il s’ensuit que la durée globale de cet accord s’est étendue du 24 janvier 2002 au 20 octobre 2003 (ci-après la « durée de l’accord Arrow UK »).

35      En ce qui concerne le contenu de l’accord Arrow UK, il convient de relever que :

–        le premier considérant du préambule de cet accord (ci-après le « préambule Arrow UK ») se réfère notamment au fait que Lundbeck est titulaire des brevets sur la cristallisation et sur la distillation en film ;

–        le quatrième considérant du préambule Arrow UK précise qu’« Arrow [UK] a obtenu une licence auprès d’une tierce partie pour importer au Royaume-Uni du citalopram non fabriqué par Lundbeck ou avec l’autorisation de Lundbeck (“ledit Citalopram”, une telle définition incluant, pour éviter tout doute, seulement le Citalopram destiné au marketing et à la vente au Royaume-Uni et excluant celui destiné au marketing et à la vente dans d’autres pays) » ;

–        le sixième considérant du préambule Arrow UK indique que Lundbeck a soumis « ledit Citalopram » à des tests de laboratoire qui lui ont donné des raisons substantielles de croire que celui-ci contrefaisait notamment les brevets mentionnés au premier tiret ci-dessus ;

–        le septième considérant du préambule Arrow UK expose qu’Arrow UK n’admet pas avoir violé ces brevets, ni que ceux-ci soient valides, mais accepte que Lundbeck ait de telles convictions, qu’Arrow UK ne peut pas démentir par des preuves irréfutables ;

–        le huitième considérant du préambule Arrow UK rappelle que Lundbeck a menacé de demander l’adoption d’une injonction provisoire et qu’elle a l’intention d’introduire l’action en contrefaçon Arrow ;

–        le point 1.1 de cet accord prévoit qu’« Arrow [UK], en son propre nom et au nom de toutes les entités associées et liées, s’engage à ne pas, pendant la [durée de l’accord Arrow UK] et sur le territoire du Royaume-Uni, fabriquer, céder, proposer de céder, utiliser ou, après la seconde date de livraison, importer ou conserver pour cession ou autre finalité, (1) [“]ledit Citalopram[”] ou (2) tout autre citalopram qui, selon Lundbeck, enfreint ses droits de propriété [intellectuelle], et, pour permettre à Lundbeck de déterminer l’existence ou non d’une infraction, à fournir à celle-ci pendant la [durée de l’accord Arrow UK] suffisamment d’échantillons à des fins d’analyse, au moins un mois avant toute fabrication, importation, vente ou offre de vente qu’Arrow [UK] menacerait d’effectuer dans l’attente d’une décision finale non susceptible de recours dans [le cadre de l’action en contrefaçon Arrow…] » ;

–        le point 1.2 de cet accord fait état du consentement d’Arrow UK à ce que les engagements de sa part visés au point 1.1 de l’accord Arrow UK soient repris dans une ordonnance dont Lundbeck demandera l’adoption par la juridiction du Royaume-Uni compétente ;

–        le point 2.1 de cet accord rappelle que Lundbeck introduira l’action en contrefaçon Arrow dès que possible et en tout cas pas plus tard que le 31 mars 2002 ;

–        le point 2.2 de cet accord stipule que, compte tenu des engagements visés au point 1.1 de l’accord Arrow UK et du fait qu’Arrow UK ne demandera pas de « cross-undertaking in damages » (montant que, conformément au droit du anglais, Lundbeck aurait dû déposer devant la juridiction si elle avait demandé l’adoption d’une injonction dans le cadre de l’action en contrefaçon Arrow), Lundbeck verse à Arrow UK 5 millions de GBP, en quatre tranches, cette somme ayant été ensuite augmentée de 450 000 GBP, en vertu du point 2.1 du premier addendum à l’accord Arrow UK, et de 1,350 million de GBP, en application des points 2.1 et 3 du second addendum à cet accord ;

–        le point 2.3 de cet accord établit que, dans l’hypothèse où une décision finale dans le cadre de l’action en contrefaçon Arrow constaterait qu’Arrow UK n’avait pas enfreint les droits de propriété intellectuelle de Lundbeck, le montant prévu au point 2.2 de cet accord constituerait l’indemnisation complète qu’Arrow UK pourrait obtenir de Lundbeck pour les pertes qu’elle aurait subies en raison des obligations découlant du point 1.1 de l’accord Arrow UK ;

–        le point 3.4 de l’accord prévoit qu’Arrow UK livre à Lundbeck son stock « dudit citalopram » en deux étapes, dont la première, portant sur environ 3,975 millions de comprimés en boîte, doit avoir lieu au plus tard le 6 février 2002 et la seconde, portant sur environ 1,1 million de comprimés en vrac, au plus tard le 15 février 2002.

36      Par ailleurs, il convient de préciser que, le 6 février 2002, Lundbeck a obtenu l’ordonnance visée au point 1.2 de l’accord Arrow UK (ci-après l’« ordonnance par consentement Arrow »).

37      Le second accord, concernant le territoire du Danemark, a été conclu le 3 juin 2002 entre Lundbeck et Arrow Group (ci-après l’« accord Arrow danois »).

38      L’accord Arrow danois a été conçu avec une durée allant de la date de sa signature, le 3 juin 2002, jusqu’au 1er avril 2003 ou, si elle avait été inférieure, jusqu’à la date à laquelle il y aurait eu une décision de justice devenue définitive sur l’action en contrefaçon Arrow. Une telle décision n’étant pas intervenue, ledit accord a été en vigueur du 3 juin 2002 au 1er avril 2003 (ci-après la « durée de l’accord Arrow danois »).

39      En ce qui concerne le contenu de l’accord Arrow danois, il convient de relever que :

–        les premier, troisième et cinquième à neuvième considérants de son préambule correspondent, en substance, aux premier, quatrième et sixième à huitième considérants du préambule Arrow UK, étant précisé que le neuvième considérant du préambule Arrow danois se réfère à l’ordonnance par consentement Arrow ;

–        le point 1.1 de cet accord prévoit qu’« Arrow [Group] accepte d’annuler et de cesser toute importation, fabrication, production, vente ou autre commercialisation de produits contenant du citalopram enfreignant, selon Lundbeck, les droits de propriété intellectuelle de celle-ci sur le territoire [danois] pendant la durée [de l’accord Arrow danois] » ;

–        le point 2.1 de cet accord stipule que, en tant que compensation pour les engagements assumés par Arrow Group, Lundbeck verse à cette dernière la somme de 500 000 dollars des États-Unis (USD) ;

–        le point 2.2 de cet accord établit que, dans l’hypothèse où une décision finale dans le cadre de l’action en contrefaçon Arrow constaterait qu’Arrow Group n’avait pas enfreint les droits de propriété intellectuelle de Lundbeck, le montant prévu au point 2.1 de cet accord constituerait l’indemnisation complète qu’Arrow Group pourrait obtenir de Lundbeck pour les pertes qu’elle aurait subies en raison des obligations découlant du point 1.1 de l’accord Arrow danois ;

–        le point 3.1 de cet accord ajoute que Lundbeck achète au prix de 147 000 USD le stock de citalopram d’Arrow Group, consistant en environ 1 million de comprimés.

C –  Accord avec Alpharma

40      Lundbeck a signé un accord avec Alpharma le 22 février 2002 (ci-après l’« accord Alpharma »), pour la période allant de cette date au 30 juin 2003 (ci‑après la « durée de l’accord Alpharma »).

41      Avant la conclusion de cet accord, au mois de janvier 2002, Alpharma avait acheté auprès de Alfred E. Tiefenbacher GmbH & Co. (ci-après « Tiefenbacher ») un stock de comprimés de citalopram générique développé à partir de l’IPA citalopram, produits par la société indienne Cipla à l’aide de ses procédés (ci-après le « citalopram de Cipla » ou l’« IPA de Cipla »), et elle en avait commandé d’autres.

42      À propos du préambule de l’accord Alpharma, il convient de relever, notamment, que :

–        le premier considérant rappelle que « Lundbeck est titulaire de droits de propriété intellectuelle qui incluent, en particulier, des brevets concernant la production […] de l’IPA du “Citalopram” (écrit avec un “c” majuscule dans l’ensemble du texte de l’accord), qui incluent les brevets repris dans l’annexe A » de cet accord (ci-après l’« annexe A ») ;

–        le deuxième considérant indique que Lundbeck produit et vend des produits pharmaceutiques contenant du « Citalopram » dans tous les États membres ainsi qu’en Norvège et en Suisse, ces pays étant, dans leur ensemble, définis en tant que le « Territoire » ;

–        les troisième et quatrième considérants mentionnent le fait qu’Alpharma a produit ou acheté des produits pharmaceutiques contenant du « Citalopram » dans le « Territoire », et ce sans le consentement de Lundbeck ;

–        les cinquième et sixième considérants font état du fait que les produits d’Alpharma ont été soumis par Lundbeck à des tests de laboratoire dont les résultats ont donné à cette dernière des raisons substantielles de croire que les méthodes de production utilisées pour réaliser ces produits violaient ses droits de propriété intellectuelle ;

–        le septième considérant rappelle que, le 31 janvier 2002, Lundbeck a introduit une action auprès d’une juridiction du Royaume-Uni (ci-après l’« action en contrefaçon contre Alpharma ») afin d’obtenir une injonction « contre les ventes par Alpharma de produits contenant du Citalopram pour violation des droits de propriété intellectuelle de Lundbeck » ;

–        le huitième considérant indique qu’Alpharma reconnaît que les constatations de Lundbeck sont correctes et s’engage à ne pas mettre sur le marché « de tels produits » ;

–        les neuvième et dixième considérants précisent que Lundbeck :

–        « convient de verser à Alpharma une compensation afin de pouvoir éviter un litige en matière de brevets » dont l’issue ne pourrait pas être prévue avec une certitude absolue et qui serait coûteux et chronophage ;

–        « convient, afin de résoudre le litige, d’acheter à Alpharma son stock entier de produits contenant du Citalopram et de verser à celle-ci une compensation pour ces produits ».

43      En ce qui concerne le corps de l’accord Alpharma, il convient de relever, notamment, que :

–        le point 1.1 stipule qu’Alpharma et ses filiales « annulent, arrêtent et s’abstiennent de toute importation, […] production […] ou vente de produits pharmaceutiques contenant du Citalopram dans le Territoire […] pendant la [période pertinente] » et que Lundbeck retire l’action en contrefaçon contre Alpharma ;

–        ce même point précise qu’il ne s’applique pas à l’escitalopram ;

–        le point 1.2 prévoit que, « [e]n cas de toute violation de l’obligation établie au [point 1.1] ou à la demande de Lundbeck, Alpharma […] se soumettra volontairement à une injonction provisoire de la part de n’importe quelle juridiction compétente dans n’importe quel pays du Territoire » et que Lundbeck pourra obtenir une telle injonction sans fournir de dépôt de garantie ;

–        le point 1.3 précise que, à titre de compensation pour les obligations prévues dans cet accord et afin d’éviter les frais et la durée du contentieux, Lundbeck paie à Alpharma la somme de 12 millions d’USD, dont 11 millions pour les produits d’Alpharma contenant du « Citalopram », en trois tranches de 4 millions chacune, à verser respectivement le 31 mars 2002, le 31 décembre 2002 et le 30 juin 2003 ;

–        le point 2.2 établit que, au plus tard le 31 mars 2002, Alpharma livre à Lundbeck l’entièreté du stock de produits contenant du « Citalopram » dont elle disposerait à cette date, à savoir les 9,4 millions de comprimés déjà en sa possession lors de la conclusion de l’accord Alpharma et les 16 millions de comprimés qu’elle avait commandés.

44      L’annexe A contient une liste de 28 demandes de droits de propriété intellectuelle introduites par Lundbeck avant la signature de celui-ci, dont neuf avaient déjà abouti à ladite date. Ces droits de propriété intellectuelle concernaient les procédés pour produire l’IPA du citalopram visés par les brevets sur la cristallisation et sur la distillation en film.

45      Par ailleurs, il convient de préciser que, le 2 mai 2002, une juridiction du Royaume-Uni a rendu une ordonnance par consentement prévoyant que la procédure dans l’action en contrefaçon contre Alpharma fût suspendue en raison de la conclusion d’un accord entre Lundbeck et, notamment, Alpharma, selon lequel cette dernière et ses filiales « annul[ai]ent, arrêt[ai]ent et s’abst[enai]ent de toute importation, […] production […] ou vente, dans les [États membres], en Norvège et en Suisse (“les Territoires Pertinents”), de produits pharmaceutiques contenant du citalopram fabriqué par l’emploi des procédés revendiqués dans [les brevets sur la cristallisation et sur la distillation en film octroyés par les autorités du Royaume-Uni] ou dans tout autre brevet équivalent obtenu ou demandé dans les Territoires Pertinents jusqu’au 30 juin 2002 » (ci‑après l’« ordonnance par consentement Alpharma »).

D –  Accord avec Ranbaxy

46      Lundbeck a signé un accord avec Ranbaxy Laboratories le 16 juin 2002 (ci-après l’« accord Ranbaxy »), pour une durée de 360 jours. En vertu d’un addendum signé le 19 février 2003 (ci-après l’« addendum Ranbaxy »), cet accord a été prorogé jusqu’au 31 décembre 2003. La durée globale de celui-ci est dès lors comprise entre le 16 juin 2002 et le 31 décembre 2003 (ci-après « la durée de l’accord Ranbaxy »).

47      Aux termes du préambule de l’accord Ranbaxy (ci-après le « préambule Ranbaxy ») :

–        Ranbaxy Laboratories a demandé en Inde deux brevets de procédé concernant le citalopram et a produit des médicaments contenant du citalopram avec l’intention de les mettre sur le marché, notamment dans l’EEE (deuxième et troisième considérants du préambule Ranbaxy ainsi qu’annexe A de l’accord Ranbaxy) ;

–        Lundbeck a soumis à des tests de laboratoire ce citalopram et en a conclu que les procédés utilisés violaient le brevet sur l’amide et le brevet sur l’iode, ce dernier n’ayant pas encore été concédé (voir point 19 ci-dessus), alors que Ranbaxy Laboratories conteste l’existence de telles violations (cinquième à huitième considérants du préambule Ranbaxy) ;

–        Lundbeck et Ranbaxy Laboratories sont parvenues à un accord afin d’éviter un litige en matière de brevets qui serait coûteux et chronophage et dont l’issue ne pourrait pas être prévue avec une certitude absolue (neuvième considérant du préambule).

48      Aux termes de l’accord Ranbaxy, notamment, est indiqué ce qui suit :

–        « [s]ous réserve des conditions et des paiements de la part de Lundbeck prévus dans [cet accord], Ranbaxy Laboratories ne revendique aucun droit sur la [d]emande de [b]revet [visée dans le préambule de celui-ci] ou sur toute méthode de production utilisée par Ranbaxy Laboratories et annule, arrête et renonce à la fabrication ou à la vente de produits pharmaceutiques fondés sur celles-ci [notamment dans l’EEE] pendant la durée de cet accord » (point 1.1 de l’accord Ranbaxy et point 1.0 de l’addendum Ranbaxy) ;

–        « en cas de violation des obligations prévues au point 1.1 ou à la demande de Lundbeck », Ranbaxy Laboratories et Ranbaxy (UK) acceptent de se soumettre aux injonctions provisoires adoptées par les juridictions nationales compétentes sans que Lundbeck doive fournir aucun dépôt de garantie ou aucun engagement autre que ceux découlant de cet accord (point 1.2 de l’accord Ranbaxy) ;

–        compte tenu de l’accord intervenu entre les parties, Lundbeck paie à Ranbaxy Laboratories un montant de 9,5 millions d’USD, par tranches échelonnées pendant la période pertinente (point 1.3 de l’accord Ranbaxy et point 2.0 de l’addendum Ranbaxy) ;

–        Lundbeck vend à Ranbaxy Laboratories ou à Ranbaxy (UK) des comprimés de citalopram, avec une remise de 40 % sur le prix hors usine, afin que celles-ci les vendent sur le marché du Royaume-Uni (point 1.3 et annexe B de l’accord Ranbaxy) ;

–        Lundbeck et Ranbaxy Laboratories s’engagent à ne pas introduire d’actions en justice l’une contre l’autre fondées sur n’importe quel brevet visé plus haut dans l’accord lui-même (point 1.4 de l’accord Ranbaxy).

IV –  Démarches de la Commission dans le secteur pharmaceutique et procédure administrative

49      Au mois d’octobre 2003, la Commission a été informée par le Konkurrence- og Forbrugerstyrelsen (KFST, autorité de la concurrence et des consommateurs danoise) de l’existence des accords en cause.

50      Dès lors que la plupart de ceux-ci concernaient l’ensemble de l’EEE ou, en tout état de cause, d’autres États membres que le Royaume du Danemark, il a été convenu que la Commission examinerait leur compatibilité avec le droit de la concurrence tandis que le KFST ne poursuivrait pas l’étude de cette question.

51      Entre 2003 et 2006, la Commission a effectué des inspections au sens de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), auprès de Lundbeck et d’autres sociétés actives dans le secteur pharmaceutique. Elle a également envoyé à Lundbeck et à une autre société des demandes de renseignements au sens de l’article 18, paragraphe 2, dudit règlement.

52      Le 15 janvier 2008, la Commission a adopté la décision portant ouverture d’une enquête concernant le secteur pharmaceutique, conformément à l’article 17 du règlement no 1/2003 (affaire COMP/D2/39514). L’article unique de cette décision précisait que l’enquête à mener concernerait l’introduction sur le marché de médicaments innovants et génériques à usage humain.

53      Le 8 juillet 2009, la Commission a adopté une communication ayant pour objet la synthèse de son rapport d’enquête sur le secteur pharmaceutique. Cette communication comportait, dans une annexe technique, la version intégrale dudit rapport d’enquête, sous la forme d’un document de travail de la Commission, disponible uniquement en anglais.

54      Le 7 janvier 2010, la Commission a engagé la procédure formelle à l’égard de Lundbeck.

55      Au cours de l’année 2010 et du premier semestre de l’année 2011, la Commission a envoyé des demandes de renseignements à Lundbeck et aux autres sociétés qui étaient parties aux accords litigieux.

56      Le 24 juillet 2012, la Commission a engagé une procédure à l’égard des sociétés qui étaient parties aux accords litigieux et leur a envoyé une communication des griefs ainsi qu’à Lundbeck.

57      Tous les destinataires de cette communication qui en avaient fait la demande ont été entendus lors des auditions tenues les 14 et 15 mars 2013.

58      Le 12 avril 2013, la Commission a envoyé un exposé des faits aux destinataires de la communication des griefs.

59      Le conseiller auditeur a émis son rapport final le 17 juin 2013.

60      Le 19 juin 2013, la Commission a adopté la décision C (2013) 3803 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT/39226 – Lundbeck) (ci-après la « décision attaquée »).

V –  Décision attaquée

61      Par la décision attaquée, la Commission a considéré que les accords litigieux constituaient des restrictions de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE (article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée).

62      Les deux accords conclus entre Merck (GUK) et Lundbeck ont été considérés comme constituant une infraction unique et continue s’étendant du 24 janvier 2002 au 1er novembre 2003.

63      Ainsi que cela résulte du résumé figurant aux considérants 824 et 874 de la décision attaquée, la Commission s’est fondée, notamment, sur les éléments suivants, à cet égard :

–        au moment de la conclusion des accords, Lundbeck et Merck (GUK) étaient à tout le moins des concurrents potentiels au Royaume-Uni et dans l’EEE et des concurrents effectifs au Royaume-Uni avant la seconde prorogation de l’accord UK ;

–        Lundbeck a effectué un transfert de valeur important au profit de Merck (GUK) en vertu de ces accords ;

–        ce transfert de valeur était lié à l’acceptation par Merck (GUK) de limitations à l’entrée sur le marché contenues dans lesdits accords, en particulier à son engagement de ne pas vendre le citalopram de Natco ou tout autre citalopram générique au Royaume-Uni et dans l’EEE pendant la durée pertinente de ces accords ;

–        ce transfert de valeur correspondait environ aux profits que Merck (GUK) espérait réaliser si elle était entrée avec succès sur le marché ;

–        Lundbeck n’aurait pas pu obtenir de telles limitations en invoquant ses brevets de procédé, étant donné que les obligations pesant sur Merck (GUK) en vertu de ces accords allaient au-delà des droits conférés aux titulaires de brevets de procédé ;

–        ces accords ne prévoyaient aucun engagement de la part de Lundbeck de s’abstenir d’introduire des actions en contrefaçon contre Merck (GUK) dans l’hypothèse où cette dernière serait entrée sur le marché avec du citalopram générique après l’expiration de ceux‑ci.

64      Les deux accords conclus entre Arrow et Lundbeck ont été considérés comme constituant une infraction unique et continue s’étendant du 24 janvier 2002 au 20 octobre 2003.

65      Ainsi que cela résulte des résumés figurant aux considérants 962 et 1013 de la décision attaquée, relatifs respectivement à l’accord Arrow UK et à l’accord Arrow danois, la Commission s’est fondée, notamment, sur les éléments suivants :

–        au moment de la conclusion de ces accords, Lundbeck et Arrow étaient des concurrents à tout le moins potentiels au Royaume-Uni et au Danemark ;

–        Lundbeck a effectué un transfert de valeur important au profit d’Arrow en vertu de ces accords ;

–        ce transfert de valeur était lié à l’acceptation par Arrow des limitations à son entrée sur le marché du citalopram au Royaume-Uni et au Danemark contenues dans lesdits accords, en particulier à l’engagement d’Arrow de ne pas vendre de citalopram générique, que Lundbeck considérait comme contrefaisant ses brevets, et ce pendant les durées respectives de ces accords ;

–        ce transfert de valeur correspondait en substance aux profits qu’Arrow aurait pu obtenir si elle était entrée sur le marché avec succès ;

–        Lundbeck n’aurait pas pu obtenir de telles limitations grâce à l’application de ses nouveaux brevets, étant donné que les obligations pesant sur Arrow en vertu de ces accords allaient au-delà des droits conférés au titulaire de brevets de procédé ;

–        ces accords ne prévoyaient aucun engagement de la part de Lundbeck de s’abstenir d’introduire des actions en contrefaçon contre Arrow dans l’hypothèse où cette dernière, après l’expiration de l’un ou de l’autre de ces accords, serait entrée sur le marché du Royaume-Uni ou sur celui du Danemark avec du citalopram générique.

66      En ce qui concerne l’accord Alpharma, ainsi que cela résulte du résumé figurant au considérant 1087 de la décision attaquée, la Commission s’est fondée, notamment, sur les éléments suivants :

–        au moment de la conclusion de cet accord, Lundbeck et Alpharma étaient des concurrents à tout le moins potentiels dans plusieurs pays de l’EEE ;

–        Lundbeck a effectué un transfert de valeur important au profit d’Alpharma en vertu de cet accord ;

–        ce transfert de valeur était lié à l’acceptation par Alpharma des limitations apportées à son entrée sur le marché contenues dans ledit accord, en particulier à l’engagement d’Alpharma de ne vendre aucun citalopram générique dans l’EEE pendant la période pertinente ;

–        ce transfert de valeur correspondait en substance aux profits que Alpharma aurait pu obtenir si elle était entrée sur le marché avec succès ;

–        Lundbeck n’aurait pas pu obtenir de telles limitations grâce à l’application des brevets sur la cristallisation et sur la distillation en film, étant donné que les obligations pesant sur Alpharma en vertu de cet accord allaient au-delà des droits conférés au titulaire de brevets de procédé ;

–        l’accord ne prévoyait aucun engagement de la part de Lundbeck de s’abstenir d’introduire des actions en contrefaçon contre Alpharma dans l’hypothèse où cette dernière serait entrée sur le marché avec du citalopram générique après l’expiration de celui-ci.

67      En ce qui concerne l’accord Ranbaxy, ainsi que cela résulte du résumé figurant au considérant 1174 de la décision attaquée, la Commission s’est fondée, notamment, sur les éléments suivants :

–        au moment de la conclusion de cet accord, Lundbeck et Ranbaxy étaient des concurrents à tout le moins potentiels au sein de l’EEE ;

–        Lundbeck a effectué un transfert de valeur important au profit de Ranbaxy en vertu de cet accord ;

–        ce transfert de valeur était lié à l’acceptation par Ranbaxy des limitations à son entrée sur le marché contenues dans ledit accord, en particulier à l’engagement de Ranbaxy de ne pas produire et de ne pas vendre son citalopram dans l’EEE pendant la période pertinente, que ce fût au moyen de ses propres filiales ou par le biais de tiers ;

–        ce transfert de valeur dépassait considérablement les profits que Ranbaxy aurait pu obtenir par la vente du citalopram générique qu’elle avait produit jusqu’alors ;

–        Lundbeck n’aurait pas pu obtenir de telles limitations en invoquant ses brevets de procédé, étant donné que les obligations pesant sur Ranbaxy en vertu de cet accord allaient au-delà des droits conférés au titulaire de brevets de procédé ;

–        l’accord ne prévoyait aucun engagement de la part de Lundbeck de s’abstenir d’introduire des actions en contrefaçon contre Ranbaxy dans l’hypothèse où cette dernière serait entrée sur le marché avec son citalopram générique après l’expiration de l’accord litigieux.

68      La Commission a également imposé des amendes à toutes les parties aux accords litigieux. À cette fin, elle a utilisé les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices de 2006 »). À l’égard de Lundbeck, la Commission a suivi la méthodologie générale décrite dans les lignes directrices de 2006, fondée sur la valeur des ventes du produit concerné réalisées par chaque participant à une entente (considérants 1316 à 1358 de la décision attaquée). En revanche, s’agissant des autres parties aux accords litigieux, c’est-à-dire les entreprises de génériques, elle a eu recours à la possibilité, prévue au paragraphe 37 desdites lignes directrices, de s’écarter de cette méthodologie, au vu des particularités de l’affaire à l’égard de ces parties (considérant 1359 de la décision attaquée).

69      Ainsi, s’agissant des parties aux accords litigieux autres que Lundbeck, la Commission a considéré que, afin de déterminer le montant de base de l’amende et d’assurer un effet suffisamment dissuasif à celle-ci, il y avait lieu de tenir compte de la valeur des sommes que Lundbeck leur avait transférées en vertu de ces accords, et ce sans introduire de distinction entre les infractions selon la nature ou la portée géographique de celles-ci, ou en fonction des parts de marché des entreprises concernées, facteurs qui n’ont été abordés dans la décision attaquée que dans un souci d’exhaustivité (considérant 1361 de la décision attaquée).

70      À l’égard de Lundbeck, en revanche, la Commission a appliqué la méthode générale décrite dans les lignes directrices de 2006, en se fondant sur la valeur des ventes sur le marché concerné. Étant donné que les ventes de citalopram de Lundbeck avaient considérablement diminué pendant la durée des accords litigieux et que ceux-ci ne couvraient pas une année comptable complète, la Commission a calculé une valeur moyenne annuelle des ventes. À cette fin, elle a d’abord calculé la valeur moyenne mensuelle des ventes de citalopram par Lundbeck pendant la durée de chacun des accords litigieux, puis elle a multiplié cette valeur par douze (considérant 1326 et note en bas de page no 2215 de la décision attaquée).

71      La Commission a par ailleurs imposé quatre amendes séparées à Lundbeck, étant donné que les six accords litigieux ont été considérés comme donnant lieu à quatre infractions distinctes, dans la mesure où les deux accords entre Lundbeck et Merck (GUK) ont donné lieu à une infraction unique et continue, tout comme les deux accords entre Lundbeck et Arrow. Afin de ne pas aboutir à une amende disproportionnée, la Commission a néanmoins appliqué un facteur de correction à la baisse au vu des circonstances de l’espèce, fondé sur une méthode reflétant les chevauchements géographiques et temporels entre les différentes infractions (considérant 1329 de la décision attaquée). Cette méthode a abouti à une réduction de 15 % pour chaque infraction où des chevauchements ont été constatés (note en bas de page no 2218 de la décision attaquée).

72      Au vu de la gravité des infractions constatées, que la Commission a qualifiées de « graves », puisqu’ils comportaient une exclusion du marché, de la part de marché élevée de Lundbeck s’agissant des produits visés par ces infractions, de la portée géographique très large des accords litigieux et du fait que l’ensemble de ces accords avaient été mis en œuvre, la Commission a considéré que la proportion de la valeur des ventes à appliquer devait être fixée à 11 % pour les infractions dont la portée géographique était l’ensemble de l’EEE et à 10 % pour les autres (considérants 1331 et 1332 de la décision attaquée).

73      La Commission a appliqué un coefficient multiplicateur à ce montant afin de tenir compte de la durée des infractions (considérants 1334 à 1337 de la décision attaquée) et un montant supplémentaire de 10 % pour la première infraction commise, à savoir celle concernant les accords conclus avec Arrow, en application du paragraphe 25 des lignes directrices de 2006, afin de s’assurer que les amendes infligées aux requérantes aient un effet suffisamment dissuasif (considérant 1340 de la décision attaquée).

74      Compte tenu de la durée totale de l’enquête, la Commission a néanmoins accordé une réduction de 10 % du montant des amendes imposées à tous les destinataires de la décision attaquée (considérants 1349 et 1380 de la décision attaquée).

75      Sur la base de ces considérations, et compte tenu du fait que l’accord GUK pour le Royaume-Uni avait été signé par Lundbeck Ltd, la Commission a infligé une amende totale d’un montant de 93 766 000 euros à Lundbeck, dont 5 306 000 euros solidairement avec Lundbeck Ltd, qui se compose de la manière suivante (considérants 1238, 1358 et article 2 de la décision attaquée):

–        19 893 000 euros pour les accords conclus avec Merck (GUK), dont 5 306 000 euros solidairement avec Lundbeck Ltd ;

–        12 951 000 euros pour les accords conclus avec Arrow ;

–        31 968 000 euros pour l’accord conclu avec Alpharma ;

–        28 954 000 euros pour l’accord conclu avec Ranbaxy.

 Procédure et conclusions des parties

76      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 août 2013, les requérantes, Lundbeck et Lundbeck Ltd, ont introduit le présent recours.

77      Par ordonnance du président de la neuvième chambre du Tribunal du 20 mai 2014, l’European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations (ci-après l’« EFPIA » ou l’« intervenante ») a été admise à intervenir dans la présente procédure, au soutien des conclusions des requérantes.

78      Dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, les parties principales ont été invitées à se prononcer par écrit, dans le cadre de leurs observations sur le mémoire en intervention de l’EFPIA, sur les éventuelles conséquences sur la présente affaire de l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, Rec, EU:C:2014:2204).

79      Les parties principales ont fait parvenir leurs observations dans le délai imparti, par mémoires déposés au greffe du Tribunal le 15 janvier 2015.

80      La phase écrite de la procédure a été close le même jour.

81      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (neuvième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 de son règlement de procédure, a posé des questions aux parties pour réponse écrite.

82      Celles-ci ont répondu à ces questions dans le délai imparti, par mémoires déposés au greffe du Tribunal le 30 octobre 2015.

83      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 26 novembre 2015.

84      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        adopter une mesure d’instruction afin que la Commission produise des versions non expurgées de sa correspondance avec le KFST ;

–        annuler la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, supprimer le montant des amendes qui leur ont été imposées en application de cette décision ;

–        à titre éminemment subsidiaire, réduire substantiellement le montant desdites amendes ;

–        en tout état de cause, condamner la Commission aux dépens qu’elles ont exposés ;

–        adopter toute mesure qu’il jugera opportune.

85      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens, à l’exception de ceux exposés par l’intervenante ;

–        décider que l’intervenante supporte ses propres dépens.

86      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée dans la mesure où elle concerne les requérantes ;

–        condamner la Commission aux dépens exposés par l’intervenante.

87      S’agissant du chef de conclusion des requérantes visant à ce que le Tribunal adopte une mesure d’instruction afin que la Commission produise des versions non expurgées de sa correspondance avec le KFST, il convient de relever que, à la suite de la communication spontanée de ces documents dans le cadre du présent recours, les requérantes ont confirmé lors de l’audience ne pas vouloir maintenir celui-ci.

 En droit

88      Les requérantes soulèvent dix moyens à l’appui de leur recours. Il y a lieu d’examiner ceux-ci dans l’ordre dans lequel ils ont été présentés.

I –  Sur le premier moyen, tiré d’erreurs de droit et d’appréciation commises en ce que la décision attaquée considère que les entreprises de génériques et Lundbeck étaient au moins des concurrents potentiels au moment de conclure les accords litigieux

89      Les requérantes font valoir que la décision attaquée interprète de manière erronée la jurisprudence pertinente pour établir si un accord restreint la concurrence potentielle, qui présuppose l’existence de possibilités réelles et concrètes d’intégrer le marché en l’absence de l’accord, et estiment que la Commission a méconnu des faits essentiels à cet égard.

90      Avant d’examiner les arguments des requérantes, il convient d’effectuer un bref rappel de la jurisprudence pertinente ainsi que de l’approche retenue par la Commission dans la décision attaquée sur la concurrence potentielle entre Lundbeck et les entreprises de génériques.

A –  Analyse relative à la concurrence potentielle dans la décision attaquée

91      Aux considérants 615 à 620 de la décision attaquée, la Commission s’est penchée sur les caractéristiques particulières du secteur pharmaceutique et a distingué deux phases au cours desquelles la concurrence potentielle pouvait s’exprimer dans ce secteur.

92      La première phase peut commencer plusieurs années avant l’expiration du brevet sur un IPA, lorsque les producteurs de génériques qui souhaitent lancer une version générique du médicament concerné commencent à développer des procédés de production viables débouchant sur un produit qui répond aux exigences réglementaires. Ensuite, dans une seconde phase, afin de préparer son entrée effective sur le marché, il faut qu’une entreprise de génériques obtienne une autorisation de mise sur le marché (AMM) en application de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67), qu’elle se procure des comprimés auprès d’un ou de plusieurs producteurs de génériques ou les produise elle-même, qu’elle trouve des distributeurs ou mette en place son propre réseau de distribution, c’est-à-dire qu’elle fasse une série de démarches préliminaires, sans lesquelles il n’y aurait jamais de concurrence effective sur le marché.

93      L’expiration prochaine du brevet sur un IPA génère donc un processus concurrentiel dynamique, au cours duquel les différentes entreprises produisant des médicaments génériques rivalisent pour être les premières à entrer sur le marché. En effet, la première de ces entreprises qui parvient à entrer sur le marché peut générer des profits importants, avant que la concurrence ne s’intensifie et que les prix ne chutent drastiquement. C’est pourquoi ces entreprises sont prêtes à effectuer des investissements considérables et à prendre des risques importants afin d’être les premières à entrer sur le marché du produit concerné dès que le brevet sur l’IPA concerné arrive à expiration.

94      Dans le cadre de ces deux phases de concurrence potentielle, les entreprises qui produisent des médicaments génériques ou qui envisagent de vendre ceux-ci font souvent face à des questions de droit des brevets et de propriété intellectuelle. Néanmoins, elles trouvent en général un moyen pour éviter toute infraction à des brevets existants, tels que des brevets de procédé. Elles disposent en effet de plusieurs options à cet égard, telles que la possibilité de demander une déclaration de non-contrefaçon ou de « lever les obstacles » en informant le laboratoire de princeps de leur intention d’entrer sur le marché. Elles peuvent également lancer leurs produits « à risque », en se défendant contre de potentielles allégations de contrefaçon ou en présentant une demande reconventionnelle afin de mettre en cause la validité des brevets invoqués au soutien d’une action en contrefaçon. Enfin, elles peuvent aussi collaborer avec leur fournisseur d’IPA afin de modifier le procédé de production ou de réduire les risques de contrefaçon ou encore se tourner vers un autre producteur d’IPA afin d’éviter un tel risque.

95      Aux considérants 621 à 623 de la décision attaquée, la Commission a rappelé que, dans le cas d’espèce, les brevets originaires de Lundbeck avaient expiré en janvier 2002 dans la plupart des pays de l’EEE. Cela avait généré un processus concurrentiel dynamique, dans lequel plusieurs entreprises produisant ou vendant des médicaments génériques avaient accompli des démarches afin d’être les premières à entrer sur le marché. Lundbeck a perçu cette menace dès décembre 1999, lorsqu’elle a écrit dans son plan stratégique pour l’année 2000 que, « d’ici 2002, il [était] probable que les génériques aur[aie]nt capturé une part de marché substantielle des ventes de Cipramil ». De même, en décembre 2001, Lundbeck a écrit dans son plan stratégique pour l’année 2002 qu’elle s’attendait à ce que le marché du Royaume-Uni en particulier fût sévèrement frappé par la concurrence des génériques. Eu égard à ces éléments, la Commission a conclu que les entreprises de génériques exerçaient une pression concurrentielle sur Lundbeck au moment de conclure les accords litigieux.

96      En outre, aux considérants 624 à 633 de la décision attaquée, la Commission a relevé que le fait de contester des brevets était une expression de la concurrence potentielle dans le secteur pharmaceutique. Elle a rappelé, à cet égard, que, dans l’EEE, les entreprises souhaitant vendre des médicaments génériques n’étaient pas tenues de démontrer que leurs produits ne violaient aucun brevet pour pouvoir obtenir une AMM ou pour commencer à commercialiser ceux-ci. C’est au laboratoire de princeps qu’il appartient de prouver que ces produits violent, au moins à première vue, l’un de ses brevets, pour qu’une juridiction puisse enjoindre à l’entreprise concernée de ne plus vendre ses produits sur le marché. Or, en l’espèce, la Commission a considéré, en se fondant notamment sur les évaluations des parties aux accords litigieux, que le brevet sur la cristallisation, sur lequel Lundbeck se fondait essentiellement afin de bloquer l’entrée sur le marché des génériques au Royaume-Uni, avait jusqu’à 60 % de chances d’être invalidé par une juridiction et qu’il était perçu par les entreprises de génériques comme peu innovant. Dans de telles circonstances, la Commission a estimé que le fait pour les entreprises de génériques d’entrer « à risque » sur le marché et de devoir éventuellement faire face à des actions en contrefaçon de la part de Lundbeck constituait l’expression d’une concurrence potentielle. Dès lors, la Commission a conclu que les brevets de procédé de Lundbeck ne permettaient pas de bloquer toutes les possibilités ouvertes aux entreprises de génériques d’entrer sur le marché.

97      Au considérant 635 de la décision attaquée, la Commission a identifié en l’espèce huit voies d’accès possibles au marché :

–        premièrement, le fait de lancer le produit « à risque » en faisant face à d’éventuelles actions en contrefaçon de la part de Lundbeck ;

–        deuxièmement, le fait de faire des efforts pour « lever les obstacles » avec le laboratoire de princeps, avant d’entrer sur le marché, en particulier au Royaume-Uni ;

–        troisièmement, le fait de demander une déclaration de non-contrefaçon devant une juridiction nationale, avant d’entrer sur le marché ;

–        quatrièmement, le fait de faire valoir l’invalidité d’un brevet devant une juridiction nationale, dans le cadre d’une demande reconventionnelle faisant suite à une action en contrefaçon de la part du laboratoire de princeps ;

–        cinquièmement, le fait de contester un brevet devant les autorités nationales compétentes ou devant l’OEB, en demandant de révoquer ou de limiter ce brevet ;

–        sixièmement, le fait de collaborer avec le producteur d’IPA actuel ou son fournisseur afin de modifier le procédé du producteur d’IPA de façon à éliminer ou à réduire le risque de contrefaçon des brevets de procédé du laboratoire de princeps ;

–        septièmement, le fait de se tourner vers un autre producteur d’IPA dans le cadre d’un contrat d’approvisionnement existant ;

–        huitièmement, le fait de se tourner vers un autre producteur d’IPA, en dehors d’un contrat d’approvisionnement existant, soit parce que ledit contrat l’autorisait, soit, potentiellement, parce qu’un contrat d’approvisionnement exclusif pourrait être invalidé si l’IPA était déclaré comme contrefaisant les brevets de procédé de Lundbeck.

B –  Principes et jurisprudence applicables

1.     Sur la notion de concurrence potentielle

98      Il convient de relever, tout d’abord, que l’article 101, paragraphe 1, TFUE est uniquement applicable dans les secteurs ouverts à la concurrence, eu égard aux conditions énoncées par ce texte relatives à l’affectation des échanges entre les États membres et aux répercussions sur la concurrence (voir arrêt du 29 juin 2012, E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, T‑360/09, Rec, EU:T:2012:332, point 84 et jurisprudence citée).

99      Selon la jurisprudence, l’examen des conditions de concurrence sur un marché donné repose non seulement sur la concurrence actuelle que se font les entreprises déjà présentes sur le marché en cause, mais aussi sur la concurrence potentielle, afin de savoir si, compte tenu de la structure du marché et du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement, il existe des possibilités réelles et concrètes que les entreprises concernées se fassent concurrence entre elles, ou qu’un nouveau concurrent puisse entrer sur le marché en cause et concurrencer les entreprises établies (arrêts du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec, EU:T:1998:198, point 137 ; du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission, T‑461/07, Rec, EU:T:2011:181, point 68, et E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 98 supra, EU:T:2012:332, point 85).

100    Afin de vérifier si une entreprise constitue un concurrent potentiel sur un marché, la Commission se doit de vérifier si, en l’absence de conclusion de l’accord qu’elle examine, auraient existé des possibilités réelles et concrètes que celle-ci intégrât ledit marché et concurrençât les entreprises qui y étaient établies. Une telle démonstration ne doit pas reposer sur une simple hypothèse, mais doit être étayée par des éléments de fait ou une analyse des structures du marché pertinent. Ainsi, une entreprise ne saurait être qualifiée de concurrent potentiel si son entrée sur le marché ne correspond pas à une stratégie économique viable (voir arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 98 supra, EU:T:2012:332, point 86 et jurisprudence citée).

101    Il en découle nécessairement que, si l’intention d’une entreprise d’intégrer un marché est éventuellement pertinente aux fins de vérifier si elle peut être considérée comme un concurrent potentiel sur ledit marché, l’élément essentiel sur lequel doit reposer une telle qualification est cependant constitué par sa capacité à intégrer ledit marché (voir arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 98 supra, EU:T:2012:332, point 87 et jurisprudence citée).

102    Il convient, à cet égard, de rappeler qu’une restriction de la concurrence potentielle, que peut constituer la seule existence d’une entreprise extérieure au marché, ne saurait être conditionnée à la démonstration de l’intention de cette entreprise d’intégrer à brève échéance ledit marché. En effet, de par sa seule existence, celle-ci peut être à l’origine d’une pression concurrentielle sur les entreprises opérant alors sur ce marché, pression constituée par le risque de l’entrée d’un nouveau concurrent en cas d’évolution de l’attractivité du marché (arrêt Visa Europe et Visa International Service/Commission, point 99 supra, EU:T:2011:181, point 169).

103    Par ailleurs, la jurisprudence a également précisé que le fait même qu’une entreprise déjà présente sur un marché cherchât à conclure des accords ou à mettre en place des mécanismes d’échanges d’informations avec d’autres entreprises qui n’étaient pas présentes sur ce marché constituait un indice sérieux du fait que celui-ci n’était pas impénétrable (voir, en ce sens, arrêts du 12 juillet 2011, Hitachi e.a./Commission, T‑112/07, Rec, EU:T:2011:342, point 226, et du 21 mai 2014, Toshiba/Commission, T‑519/09, EU:T:2014:263, point 231).

104    S’il résulte de cette jurisprudence que la Commission peut se fonder notamment sur la perception de l’entreprise présente sur le marché afin d’apprécier si d’autres entreprises sont des concurrents potentiels de celle-ci, il n’en reste pas moins que la possibilité purement théorique d’une entrée sur le marché n’est pas suffisante pour démontrer l’existence d’une concurrence potentielle. La Commission doit donc démontrer, par des éléments de fait ou une analyse des structures du marché pertinent, que l’entrée sur le marché aurait pu s’effectuer suffisamment rapidement pour que la menace d’une entrée potentielle pesât sur le comportement des participants au marché moyennant des coûts qui auraient été économiquement supportables (voir, en ce sens, arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 98 supra, EU:T:2012:332, points 106 et 114).

2.     Sur la charge de la preuve

105    La jurisprudence prévoit, tout comme l’article 2 du règlement no 1/2003, que c’est à la partie ou à l’autorité qui allègue une violation des règles de la concurrence qu’il incombe d’en apporter la preuve. Ainsi, en cas de litige sur l’existence d’une infraction, il appartient à la Commission de rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction (voir arrêt du 12 avril 2013, CISAC/Commission, T‑442/08, Rec, EU:T:2013:188, point 91 et jurisprudence citée).

106    Dans ce contexte, l’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction. Le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question, notamment dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision infligeant une amende (voir arrêt CISAC/Commission, point 105 supra, EU:T:2013:188, point 92 et jurisprudence citée).

107    En effet, il est nécessaire de tenir compte de la présomption d’innocence, telle qu’elle résulte notamment de l’article 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui peuvent s’y rattacher, la présomption d’innocence s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à l’imposition d’amendes ou d’astreintes (voir, en ce sens, arrêt CISAC/Commission, point 105 supra, EU:T:2013:188, point 93 et jurisprudence citée).

108    En outre, il convient de tenir compte de l’atteinte non négligeable à la réputation que représente, pour une personne physique ou morale, la constatation qu’elle a été impliquée dans une infraction aux règles de concurrence (voir arrêt CISAC/Commission, point 105 supra, EU:T:2013:188, point 95 et jurisprudence citée).

109    Ainsi, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour établir l’existence de l’infraction et pour fonder la ferme conviction que les infractions alléguées constituent des restrictions de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir arrêt CISAC/Commission, point 105 supra, EU:T:2013:188, point 96 et jurisprudence citée).

110    Toutefois, il importe de souligner que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (voir arrêt CISAC/Commission, point 105 supra, EU:T:2013:188, point 97 et jurisprudence citée).

111    Enfin, il y a lieu de relever que, lorsque la Commission établit qu’une entreprise a participé à une mesure anticoncurrentielle, il incombe à cette entreprise de fournir, en recourant non seulement à des documents non divulgués, mais également à tous les moyens dont elle dispose, une explication différente de son comportement (voir, en ce sens, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec, EU:C:2004:6, points 79 et 132).

112    Néanmoins, lorsque la Commission dispose de preuves documentaires d’une pratique anticoncurrentielle, les entreprises concernées ne peuvent pas se limiter à faire valoir des circonstances donnant un éclairage différent aux faits établis par la Commission et permettant ainsi de substituer une autre explication des faits à celle retenue par celle-ci. En effet, en présence de preuves documentaires, il incombe auxdites entreprises non pas simplement de présenter une prétendue autre explication des faits constatés par la Commission, mais bien de contester l’existence de ces faits établis au vu des pièces produites par la Commission (voir, en ce sens, arrêt CISAC/Commission, point 105 supra, EU:T:2013:188, point 99 et jurisprudence citée).

3.     Sur la portée du contrôle exercé par le Tribunal

113    Il y a lieu de rappeler que l’article 263 TFUE implique que le juge de l’Union exerce un contrôle, tant en droit qu’en fait, des arguments invoqués par la partie requérante à l’encontre de la décision attaquée et qu’il ait le pouvoir d’apprécier les preuves et d’annuler ladite décision. Dès lors, si, dans les domaines donnant lieu à des appréciations économiques complexes, la Commission dispose d’une marge d’appréciation, cela n’implique pas que le juge de l’Union doive s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique. En effet, le juge de l’Union doit, notamment, non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, Rec, EU:C:2014:2062, points 53 et 54 et jurisprudence citée).

114    C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner les arguments des requérantes concernant l’absence de concurrence potentielle entre elles et les entreprises de génériques au moment de conclure les accords litigieux.

C –  Sur la première branche, tirée de ce que le lancement de médicaments violant les droits de propriété intellectuelle de tiers ne constitue pas l’expression d’une concurrence potentielle au titre de l’article 101 TFUE

115    Les requérantes soutiennent que la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit en ce qu’elle considère que le lancement de médicaments violant les droits de propriété intellectuelle de tiers est l’expression d’une concurrence potentielle au titre de l’article 101 TFUE. Le fait de fonder l’existence d’une concurrence potentielle sur l’hypothèse d’un lancement de médicaments génériques sur le marché, avec le risque de devoir faire face à une action en contrefaçon sur la base de leurs brevets, serait incompatible avec la protection accordée aux brevets et aux droits exclusifs qui en découlent. L’article 101 TFUE protégerait uniquement la concurrence licite et celle-ci ne saurait exister lorsqu’un droit exclusif, tel qu’un brevet, empêche, en droit ou en fait, l’entrée sur le marché.

116    La Commission conteste ces arguments.

117    Il convient de rappeler que l’objet spécifique de la propriété industrielle est notamment d’assurer au titulaire, afin de récompenser l’effort créateur de l’inventeur, le droit exclusif d’utiliser une invention en vue de la fabrication et de la première mise en circulation de produits industriels, soit directement soit par l’octroi de licences à des tiers, ainsi que le droit de s’opposer à toute contrefaçon (arrêt du 31 octobre 1974, Centrafarm et de Peijper, 15/74, Rec, EU:C:1974:114, point 9).

118    Cependant, la jurisprudence n’exclut nullement l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE aux accords à l’amiable qui peuvent être conclus en matière de brevets. Celle-ci prévoit au contraire que, si les droits reconnus par la législation d’un État membre en matière de propriété industrielle ne sont pas affectés dans leur existence par ledit article, les conditions de leur exercice peuvent cependant relever des interdictions édictées par celui-ci. Tel peut être le cas chaque fois que l’exercice d’un tel droit apparaît comme étant l’objet, le moyen ou la conséquence d’une entente (voir, en ce sens, arrêt Centrafarm et de Peijper, point 117 supra, EU:C:1974:114, points 39 et 40).

119    De même, selon la jurisprudence, s’il n’appartient pas à la Commission de définir la portée d’un brevet, celle-ci ne saurait s’abstenir de toute initiative lorsque la portée d’un brevet est pertinente pour l’appréciation d’une violation des articles 101 TFUE et 102 TFUE (arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission, 193/83, Rec, ci-après l’« arrêt Windsurfing », EU:C:1986:75, point 26). La Cour a également précisé que l’objet spécifique du brevet ne saurait être interprété comme garantissant une protection également contre les actions visant à contester la validité d’un brevet, compte tenu de ce qu’il est de l’intérêt public d’éliminer tout obstacle à l’activité économique, qui pourrait découler d’un brevet délivré à tort (arrêt Windsurfing, précité, EU:C:1986:75, point 92).

120    Or, en l’espèce, l’argument des requérantes repose sur la prémisse erronée selon laquelle, d’une part, les entreprises de génériques violaient sans aucun doute leurs brevets et, d’autre part, ces brevets auraient certainement résisté aux exceptions d’invalidité qui auraient été soulevées par celles-ci dans le cadre d’éventuelles actions en contrefaçon.

121    En effet, s’il est vrai que les brevets sont présumés valides jusqu’à ce qu’ils soient expressément révoqués ou invalidés par une autorité ou une juridiction compétente à cet effet, une telle présomption de validité ne saurait équivaloir à une présomption d’illégalité des produits génériques valablement mis sur le marché dont le détenteur d’un brevet estime qu’ils violent celui-ci.

122    Comme le fait valoir à juste titre la Commission et sans que cela ait été remis en cause par les requérantes, en l’espèce, il appartenait à celles-ci de démontrer devant les juridictions nationales, en cas d’entrée des génériques sur le marché, que ceux-ci enfreignaient l’un ou l’autre de leurs brevets de procédé, une entrée à risque n’étant pas illégale en elle-même. Par ailleurs, il eût été possible, en cas d’action en contrefaçon intentée par Lundbeck contre les entreprises de génériques, que ces dernières contestent la validité du brevet dont se prévalait Lundbeck, par le biais d’une action reconventionnelle. De telles actions sont en effet fréquentes en matière de brevet et aboutissent, dans de nombreux cas, à une déclaration d’invalidité du brevet de procédé dont le détenteur de brevet se prévaut (voir considérants 75 et 76 de la décision attaquée). Ainsi, il ressort des éléments de preuve figurant aux considérants 157 et 745 de la décision attaquée que Lundbeck estimait elle-même cette probabilité à hauteur de 50 à 60% en ce qui concerne le brevet sur la cristallisation.

123    En outre, il ressort clairement de la décision attaquée que, afin d’établir l’existence d’une concurrence potentielle en l’espèce, la Commission s’est fondée sur la jurisprudence dégagée par les arrêts European Night Services e.a./Commission, point 99 supra (EU:T:1998:198), et Visa Europe et Visa International Service/Commission, point 99 supra (EU:T:2011:181), selon laquelle il convient d’examiner si, compte tenu de la structure du marché et du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement, il existe des possibilités réelles et concrètes que les entreprises concernées se fassent concurrence entre elles ou qu’un nouveau concurrent puisse entrer sur le marché en cause et concurrencer les entreprises établies (considérants 610 et 611 de la décision attaquée).

124    À cet égard, au vu des éléments rappelés au point 122 ci-dessus, il y a lieu de constater que la Commission n’a pas commis d’erreur en estimant que les brevets de procédé de Lundbeck ne constituaient pas nécessairement des barrières insurmontables pour les entreprises de génériques (voir, en ce sens, arrêt Toshiba/Commission, point 103 supra, EU:T:2014:263, point 230), qui étaient désireuses d’entrer sur le marché du citalopram et prêtes à le faire, et qui avaient déjà effectué des investissements considérables à cette fin au moment de conclure les accords litigieux.

125    Certes, il est possible que, dans certains cas, les requérantes auraient pu obtenir gain de cause devant les juridictions compétentes en obtenant des injonctions ou des dommages-intérêts contre les entreprises de génériques. Cependant, il ressort des éléments de preuve figurant dans la décision attaquée pour chacune des entreprises de génériques qu’une telle possibilité n’était pas perçue à l’époque comme une menace suffisamment crédible pour celles-ci. Ainsi, Merck (GUK) avait estimé, par exemple, à la suite de la publication du brevet sur la cristallisation de Lundbeck, que le citalopram de Natco « n’était pas litigieux », qu’« aucune des demandes de brevet publiées […] ne posait problème » et que, vu les déclarations des experts, il n’y avait « aucun problème du tout en matière de brevet » (considérants 237, 248 et 334 de la décision attaquée).

126    En outre, il n’y avait aucune certitude quant au fait que les requérantes auraient effectivement entamé des actions en justice en cas d’entrée des génériques sur le marché. La décision attaquée reconnaît, certes, qu’elles avaient mis en place une stratégie générale consistant à formuler des menaces d’actions en contrefaçon ou à intenter de telles actions sur le fondement de leurs brevets de procédé. Néanmoins, toute décision d’agir en justice dépendait du point de vue des requérantes quant à la probabilité qu’un recours aboutît et qu’un produit générique commercialisé fût considéré comme contrefaisant l’un de leurs brevets. Or, elles savaient pertinemment que les « fabricants de génériques auraient pu produire le citalopram en appliquant le procédé décrit dans [leur] brevet original protégeant l’IPA […] ou qu’ils auraient pu investir dans la mise au point d’un procédé tout à fait neuf » (considérant 150 de la décision attaquée). Par ailleurs, face à d’éventuelles demandes reconventionnelles, Lundbeck savait que le brevet sur la cristallisation n’était « pas le plus solide des brevets » et qu’il était considéré par certains de ses rivaux comme de la « chimie d’école secondaire » (considérant 149 de la décision attaquée).

127    Enfin, il convient d’observer que, en l’espèce, les brevets originaires de Lundbeck avaient déjà expiré au moment de la conclusion des accords litigieux et que le brevet sur la cristallisation n’avait pas encore été définitivement octroyé au Royaume-Uni, au sens de l’article 25 de la UK Patents Act 1977 (loi du Royaume-Uni sur les brevets de 1977), au moment de la conclusion de l’accord GUK pour le Royaume-Uni et de l’accord Arrow UK. L’octroi de mesures provisoires en faveur de Lundbeck au Royaume-Uni contre Merck (GUK) et Arrow aurait donc été, sinon impossible, à tout le moins peu probable en cas d’entrée sur le marché au Royaume-Uni de ces entreprises avant la date d’octroi de ce brevet. Par conséquent, il est peu probable que Lundbeck eût pu obtenir des injonctions contre toutes les entreprises de génériques, même si elle avait systématiquement introduit des actions en justice contre celles-ci. De même, le brevet sur l’iode n’a été concédé que le 26 mars 2003.

128    Il y a lieu de constater, dès lors, à l’instar de la Commission au considérant 635 de la décision attaquée, qu’il existait, de manière générale, plusieurs voies constituant des possibilités concrètes et réalistes d’entrer sur le marché pour les entreprises de génériques au moment de la conclusion des accords litigieux (point 97 ci-dessus). Parmi celles-ci figure, notamment, le lancement du produit générique « à risque », avec la possibilité de devoir affronter Lundbeck dans le cadre d’éventuels litiges.

129    Une telle possibilité représente bien l’expression d’une concurrence potentielle, dans une situation, comme en l’espèce, où les brevets originaires de Lundbeck, portant à la fois sur l’IPA citalopram et sur les procédés de production d’alkylation et de cyanation, avaient expiré et où il existait d’autres procédés permettant de produire du citalopram générique dont il n’était pas établi qu’ils violaient d’autres brevets de Lundbeck, ce que les requérantes ont elles-mêmes admis dans leur réponse à la communication des griefs. En outre, les démarches et les investissements accomplis par les entreprises de génériques en vue d’entrer sur le marché du citalopram avant de conclure les accords litigieux, tels qu’exposés par la Commission pour chacune des entreprises de génériques dans la décision attaquée [voir considérants 738 à 743 et 827 à 832 pour Merck (GUK), considérants 877 à 883 et 965 à 969 pour Arrow, considérants 1016 à 1018 pour Alpharma et considérants 1090 à 1102 pour Ranbaxy] et dont l’existence-même n’a pas été contestée par les requérantes, démontrent qu’elles étaient prêtes à entrer sur le marché et à courir les risques qu’une telle entrée comportait.

130    Enfin, il y a lieu également de rejeter l’argument des requérantes selon lequel une entrée à risque des entreprises de génériques aurait été illégale, de sorte qu’elle ne saurait être considérée comme l’exercice légitime d’une concurrence réelle ou potentielle.

131    En effet, la jurisprudence exige uniquement que soit démontré le fait que les entreprises de génériques disposaient de possibilités réelles et concrètes et de la capacité d’entrer sur le marché, ce qui est certainement le cas lorsque celles-ci avaient effectué des investissements importants afin d’entrer sur le marché et qu’elles avaient déjà obtenu des AMM ou fait les démarches nécessaires afin d’en obtenir une dans un délai raisonnable. À cet égard, il convient de rappeler que certaines d’entre elles sont même parvenues à entrer, à leurs propres risques, sur le marché avant ou après la conclusion des accords litigieux. Ainsi, NM Pharma, le distributeur de Merck (GUK) en Suède, avait effectué des ventes « très encourageantes » pendant près de cinq mois sur le marché suédois, avant la conclusion de l’accord pour l’EEE, sans être inquiétée par Lundbeck (considérant 837 de la décision attaquée). Merck (GUK) avait également pu vendre des comprimés de citalopram générique pour une valeur de 3,3 millions de GBP au Royaume-Uni en août 2003, avant d’obtenir une seconde prorogation plus lucrative de l’accord GUK pour le Royaume-Uni. Accepter la thèse des requérantes reviendrait à admettre que même une telle entrée effective sur le marché ne constitue pas l’expression d’une concurrence potentielle, simplement parce qu’elles étaient convaincues du caractère illégal de celle-ci et qu’elles auraient éventuellement pu tenter de s’y opposer en invoquant leurs brevets de procédé dans le cadre d’actions en contrefaçon. Or, pour les motifs exposés aux points 120 à 122 ci-dessus, une telle argumentation ne peut qu’être rejetée.

132    Partant, c’est à tort que les requérantes considèrent que la Commission a méconnu la présomption de validité de leurs brevets et les droits de propriété attachés à ceux-ci, en qualifiant l’entrée « à risque » des entreprises de génériques sur le marché comme l’expression d’une concurrence potentielle entre Lundbeck et ces dernières en l’espèce.

133    La première branche doit donc être rejetée.

D –  Sur la deuxième branche, tirée de ce que la Commission se serait fondée sur des évaluations subjectives pour conclure que les entreprises de génériques étaient des concurrents réels ou potentiels de Lundbeck

134    Les requérantes estiment que la décision attaquée se fourvoie en se fondant sur l’évaluation subjective effectuée par les parties aux accords litigieux et portant sur la validité d’un brevet et sur le caractère contrefaisant ou non d’un produit pour déterminer si ces parties constituaient des concurrents potentiels.

135    En premier lieu, elles considèrent que la décision attaquée ne prouve pas à suffisance que l’appréciation subjective des entreprises de génériques était qu’elles estimaient qu’il existait une chance réelle qu’une juridiction jugeât les brevets de Lundbeck nuls ou non contrefaits. Or, en vertu de l’article 2 du règlement no 1/2003, ce serait à la Commission qu’il incomberait de prouver qu’une entrée non infractionnelle était possible au cours des périodes couvertes par les accords litigieux. Une telle appréciation se fonderait en outre sur des informations insuffisantes et qui ne seraient pas restées constantes, de sorte qu’elles ne sauraient être utilisées pour démontrer l’existence d’une concurrence potentielle entre les parties aux accords litigieux.

136    En deuxième lieu, la décision attaquée serait erronée et ne tiendrait pas compte des éléments objectifs qui confirmeraient la difficulté qu’éprouvaient les entreprises de génériques à entrer sur le marché, tels que les éléments scientifiques fournis par Lundbeck prouvant l’existence d’une contrefaçon, la confirmation, tant par la chambre de recours de l’OEB que par l’office des brevets des Pays-Bas, de la validité du brevet sur la cristallisation sur tous les aspects pertinents, ou encore le fait que Lundbeck s’était vu accorder des injonctions préliminaires ou d’autres formes de mesures provisoires dans plus de 50 % des procédures qu’elle avait engagées au cours des années 2002-2003. La décision attaquée n’établirait donc pas suffisamment la capacité des entreprises de génériques à entrer sur le marché et ne trancherait pas la question de savoir si les brevets de Lundbeck étaient valides et avaient été violés au moment de la conclusion des accords litigieux, ce qui serait une question objective.

137    La Commission conteste ces arguments.

138    À titre liminaire, il y a lieu de confirmer l’approche de la Commission, telle qu’elle ressort de l’ensemble de la décision attaquée, qui consiste à tenir compte principalement des éléments de preuve antérieurs ou contemporains à la date à laquelle les accords litigieux ont été conclus (voir, par analogie, arrêt du 11 juillet 2014, Esso e.a./Commission, T‑540/08, Rec, EU:T:2014:630, point 75 et jurisprudence citée).

139    En effet, d’une part, la Commission ne peut pas reconstituer le passé en imaginant les événements qui se seraient produits et qui ne se sont précisément pas produits en raison de ces accords. D’autre part, les parties à ces accords ont désormais tout intérêt à faire valoir des arguments tendant à démontrer qu’elles n’avaient aucune perspective réaliste d’entrer sur le marché ou qu’elles pensaient que leurs produits violaient l’un ou l’autre brevet de Lundbeck. C’est néanmoins uniquement sur la base des informations dont elles disposaient à l’époque et de leur perception du marché à ce moment-là qu’elles ont décidé d’adopter une ligne de conduite et de conclure les accords litigieux.

140    Par ailleurs, une telle approche est conforme aux enseignements de l’arrêt Windsurfing, point 119 supra (EU:C:1986:75, point 26), où la Cour a considéré qu’il n’appartenait pas à la Commission de définir la portée d’un brevet, mais qu’elle ne saurait s’abstenir de toute initiative lorsque la portée d’un brevet était pertinente pour l’appréciation d’une violation des articles 101 TFUE et 102 TFUE.

141    C’est sans commettre d’erreur, dès lors, que la Commission s’est fondée sur des documents objectifs reflétant la perception qu’avaient les parties aux accords litigieux de la force des brevets de procédé de Lundbeck au moment de conclure ceux-ci (voir notamment considérant 669 de la décision attaquée) afin d’évaluer la situation concurrentielle entre ces parties, étant précisé que des éléments de preuve postérieurs peuvent également être pris en compte pour autant qu’ils permettent de mieux établir quelle était leur position à l’époque, de confirmer ou d’infirmer leurs thèses à cet égard ainsi que de mieux comprendre le fonctionnement du marché concerné. En tout état de cause, ces éléments ne sauraient être décisifs aux fins de l’examen de l’existence d’une concurrence potentielle entre les parties aux accords litigieux.

142    En outre, c’est à tort que les requérantes prétendent que la Commission s’est fondée « presque exclusivement » sur de telles évaluations subjectives afin d’établir l’existence d’une concurrence potentielle entre elles et les entreprises de génériques dans la décision attaquée. La Commission a en effet procédé à un examen minutieux, pour chacune des entreprises de génériques concernée, des possibilités réelles et concrètes qu’elles avaient d’entrer sur le marché, en se fondant sur des éléments objectifs tels que les investissements déjà réalisés, les démarches effectuées afin d’obtenir une AMM et les contrats d’approvisionnement conclus avec leurs fournisseurs d’IPA notamment. Ces différents éléments ont d’ailleurs été explicitement contestés par les requérantes, s’agissant de chaque entreprise de génériques, et seront examinés sous les sixième à neuvième branches ci-après.

143    De même, c’est en vain que les requérantes font valoir que la Commission n’aurait pas suffisamment tenu compte des éléments de preuve fournis par elles, qui démontreraient l’existence d’une contrefaçon de leurs brevets par les entreprises de génériques ou la validité du brevet sur la cristallisation, qui aurait été confirmé notamment par l’OEB en tous ses éléments pertinents en 2009.

144    D’une part, si d’autres déclarations contemporaines à la conclusion des accords litigieux pourraient laisser penser que les entreprises de génériques avaient un doute quant au caractère non contrefaisant de leurs produits, ou que Lundbeck était convaincue de la validité de ses brevets, celles-ci ne suffisent pas à remettre en cause la conclusion selon laquelle les entreprises de génériques étaient perçues comme une menace potentielle pour Lundbeck et étaient susceptibles, de par leur simple existence, d’exercer une pression concurrentielle sur elle et sur les entreprises opérant sur le même marché (voir, en ce sens, arrêt Visa Europe et Visa International Service/Commission, point 99 supra, EU:T:2011:181, point 169). L’élément le plus probant à cet égard réside dans le fait même que Lundbeck ait conclu des accords avec les entreprises de génériques afin de retarder leur entrée sur le marché (voir, en ce sens, arrêt Toshiba/Commission, point 103 supra, EU:T:2014:263, point 231).

145    D’autre part, les éléments de preuve invoqués par les requérantes, qui sont postérieurs à la conclusion des accords litigieux, ne sauraient être déterminants afin d’évaluer l’existence d’une concurrence potentielle au moment de la conclusion desdits accords. En effet, à supposer même que l’OEB ait confirmé le brevet sur la cristallisation dans tous ses aspects pertinents en 2009 (voir considérant 166 de la décision attaquée), il n’en reste pas moins que, au moment de conclure les accords litigieux, les entreprises de génériques ainsi que Lundbeck elle-même doutaient de la validité de ce brevet et qu’il n’était pas exclu qu’une juridiction nationale pût le déclarer invalide, comme ce fut d’ailleurs le cas devant l’OEB dans un premier temps (considérants 151 et 166 de la décision attaquée).

146    En outre, comme le fait valoir la Commission à juste titre, au moment de conclure les accords litigieux, aucune mesure provisoire n’avait été obtenue par Lundbeck, que ce soit contre des entreprises de génériques, telles que Merck (GUK), utilisant le citalopram de Natco, contre des entreprises de génériques, telles que Arrow et Alpharma, utilisant le citalopram de Cipla ou le citalopram générique développé à partir de l’IPA citalopram produit par la société indienne Matrix (ci-après le « citalopram de Matrix » ou l’« IPA de Matrix »), ou encore contre des entreprises de génériques utilisant le citalopram générique développé à partir de l’IPA citalopram produit par Ranbaxy (ci-après le « citalopram de Ranbaxy » ou l’« IPA de Ranbaxy »), et aucune juridiction de l’EEE n’avait constaté de contrefaçon des brevets sur la cristallisation, sur l’amide ou sur l’iode.

147    C’est donc à tort que les requérantes font valoir que la Commission se serait essentiellement fondée sur des évaluations subjectives afin de constater que Lundbeck et les entreprises de génériques étaient des concurrents potentiels au moment de conclure les accords litigieux.

148    Partant, la deuxième branche doit également être rejetée.

E –  Sur la troisième branche, tirée de ce que la contestation d’un brevet valide ne constitue pas une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché

149    Les requérantes font valoir que la Commission a commis une erreur de droit en considérant que la contestation d’un brevet valide constitue une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché. Elles contestent en particulier le fait que la sollicitation d’une déclaration de non-contrefaçon, l’invocation de la nullité d’un brevet ou l’opposition à un brevet devant les instances nationales en matière de brevet ou devant l’OEB puissent constituer des voies aptes à permettre aux entreprises de génériques d’intégrer le marché, nonobstant les brevets de procédé de Lundbeck.

150    En premier lieu, elles considèrent que la décision attaquée fait un amalgame entre une entrée sur le marché et les investissements permettant une telle entrée et qu’elle repousse à outrance les frontières de la concurrence potentielle. La jurisprudence exigerait que des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché soient établies et que cette entrée se fasse suffisamment rapidement pour que la menace d’une entrée potentielle pèse sur le comportement des participants au marché. Or, l’établissement de possibilités réelles et concrètes de réaliser des investissements qui, en cas de succès, permettraient d’entrer sur le marché ne satisferait pas ce critère.

151    En deuxième lieu, la présomption de validité attachée aux brevets empêcherait de considérer que la possibilité de contester la validité de ce brevet constitue une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché. L’approche adoptée par la Commission à cet égard serait contraire à l’arrêt European Night Services e.a./Commission, point 99 supra (EU:T:1998:198, point 139).

152    En troisième lieu, à supposer que les contestations de brevets aient pu constituer une possibilité réelle et concrète pour les entreprises de génériques d’entrer sur le marché, ces contestations n’auraient pas permis d’intégrer le marché suffisamment rapidement. En effet, aux dires de la Commission dans son enquête sur le secteur pharmaceutique, la contestation d’un brevet prendrait en moyenne près de trois ans, ce qui n’aurait pas permis aux entreprises de génériques d’entrer suffisamment rapidement. La décision attaquée resterait vague à ce sujet, alors que, si les entreprises de génériques ne pouvaient pas entrer sur le marché de manière licite pendant la durée des accords litigieux, ceux-ci n’auraient pu avoir aucune incidence sur la concurrence.

153    En quatrième lieu, les requérantes estiment que, même si l’on admettait la thèse de la Commission, la décision attaquée aurait à tout le moins dû démontrer que, sans les accords litigieux, les entreprises de génériques auraient esté en justice et probablement eu gain de cause devant les juridictions nationales ou, à tout le moins, qu’elles avaient des chances de l’emporter en cas de contestation des brevets.

154    Enfin, les requérantes font valoir que la thèse de la Commission repose sur un préjugé injustifié à l’encontre des brevets de procédé par rapport aux brevets portant sur des molécules.

155    L’intervenante fait valoir également que, dans la décision attaquée, la Commission se fourvoie en considérant que Lundbeck et les entreprises de génériques étaient des concurrents potentiels. Une telle conclusion ne tiendrait pas suffisamment compte de la présomption de validité des brevets de Lundbeck et du fait que des mesures provisoires auraient constitué un obstacle insurmontable pour les entreprises de génériques en cas de tentative d’entrer sur le marché. Elle s’oppose par ailleurs à la thèse selon laquelle la contestation de la validité des brevets ferait partie intégrante du processus concurrentiel.

156    La Commission conteste ces arguments.

157    Il convient de constater, contrairement à ce que font valoir les requérantes, que la Commission n’a pas considéré, dans la décision attaquée, que la simple possibilité de contester la validité d’un brevet en justice ou devant les autorités compétentes suffisait pour établir l’existence d’une concurrence potentielle. En effet, afin d’établir l’existence d’une concurrence potentielle entre les entreprises de génériques et Lundbeck en l’espèce, la Commission a pris plusieurs éléments en considération, tels que les investissements et les efforts importants déjà accomplis par les entreprises de génériques afin de préparer leur entrée sur le marché, le fait qu’elles avaient déjà obtenu des AMM ou fait les démarches nécessaires afin d’en obtenir une dans un délai raisonnable, que les requérantes avaient reconnu qu’il existait un certain nombre de procédés disponibles pour produire du citalopram sans violer leurs brevets, qu’aucune juridiction n’avait constaté le caractère contrefaisant des produits génériques au moment de conclure les accords litigieux et qu’il y avait un risque non négligeable que certains brevets de procédé de Lundbeck puissent être déclarés invalides. En outre, une entreprise de génériques, à savoir Merck (GUK), était même parvenue à entrer sur le marché avant et pendant la durée des accords litigieux. Enfin, le fait que les requérantes aient décidé de payer des sommes importantes aux entreprises de génériques pour les maintenir hors du marché pendant la durée des accords litigieux démontre aussi que ces dernières étaient des concurrents potentiels, puisqu’elles étaient perçues par elles comme une menace exerçant une pression concurrentielle sur leur position sur le marché (points 103 et 144 ci‑dessus).

158    Aucun des arguments avancés par les requérantes n’est de nature à remettre en cause cette conclusion.

159    En effet, s’agissant, premièrement, des investissements réalisés par les entreprises de génériques afin de préparer leur entrée sur le marché, il suffit de constater que la Commission n’a jamais considéré que de tels investissements suffisaient à eux seuls pour démontrer l’existence d’une concurrence potentielle entre celles-ci et les requérantes. La Commission s’est, au contraire, fondée sur un ensemble d’éléments pertinents, pour chaque entreprise de génériques, à cet égard (voir point 157 ci-dessus). En outre, comme le fait valoir la Commission à juste titre, l’existence d’une concurrence potentielle n’exige pas de démontrer que les entreprises de génériques seraient entrées avec certitude sur le marché et qu’une telle entrée aurait immanquablement été couronnée de succès, mais uniquement qu’elles disposaient de possibilités réelles et concrètes à cet effet. Affirmer le contraire reviendrait à nier toute distinction entre concurrence réelle et concurrence potentielle.

160    Certes, la jurisprudence précise que la possibilité purement théorique d’une entrée sur le marché n’est pas suffisante pour démontrer l’existence d’une concurrence potentielle et que la Commission doit démontrer, par des éléments de fait ou une analyse des structures du marché pertinent, que l’entrée sur le marché aurait pu s’effectuer suffisamment rapidement pour que la menace d’une entrée potentielle pèse sur le comportement des participants au marché moyennant des coûts qui auraient été économiquement supportables (point 104 ci‑dessus).

161    Il n’apparaît pas, cependant, que la Commission ait méconnu cette jurisprudence en l’espèce, dans la mesure où l’analyse du secteur pharmaceutique effectuée par la Commission dans la décision attaquée ainsi que la situation particulière de chaque entreprise de génériques au moment de conclure les accords litigieux (point 129 ci-dessus) démontrent à suffisance que l’entrée de celles-ci sur le marché du citalopram n’était pas une simple possibilité théorique, mais qu’elles disposaient de possibilités réelles et concrètes à cet égard, ainsi que cela ressort de l’examen des sixième à neuvième branches ci-après. Il serait d’ailleurs surprenant qu’une entreprise expérimentée comme Lundbeck ait accepté de verser plusieurs millions d’euros aux entreprises de génériques en échange de leur engagement de ne pas entrer sur le marché pendant un certain temps, si la possibilité pour celles-ci d’entrer sur le marché avait été purement théorique.

162    Deuxièmement, l’arrêt European Night Services e.a./Commission, point 99 supra (EU:T:1998:198, point 139), invoqué par les requérantes, ne s’oppose pas à l’approche suivie par la Commission en l’espèce. En effet, si, dans cet arrêt, le Tribunal a mentionné l’existence de droits exclusifs empêchant, en droit ou en fait, dans la majorité des États membres, la prestation de services de transport internationaux de passagers ainsi que l’accès à l’infrastructure, avant l’adoption de la directive 91/440/CEE du Conseil, du 29 juillet 1991, relative au développement de chemins de fer communautaires (JO L 237, p. 25), une telle situation n’est pas transposable en l’espèce, puisque les brevets de procédé de Lundbeck ne sont en aucun cas comparables aux droits exclusifs dont jouissaient les entreprises ferroviaires avant l’adoption de cette directive et que les marchés concernés présentent des différences substantielles. En outre, comme l’observe à juste titre la Commission, dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, le Tribunal avait reproché à la Commission de ne pas avoir procédé à une analyse détaillée du marché afin d’établir l’existence d’une concurrence potentielle et de s’être fondée sur des hypothèses qui n’étaient étayées par aucun élément de fait ou par une analyse des structures du marché pertinent. En l’espèce, en revanche, les requérantes ne sauraient valablement affirmer que l’ensemble des circonstances pertinentes, résumées au point 157 ci-dessus et développées en détail dans la décision attaquée, pour chaque entreprise de générique, relèvent de spéculations purement théoriques non étayées par une analyse détaillée des caractéristiques du marché pertinent.

163    Troisièmement, il convient de rappeler que la jurisprudence requiert uniquement, afin de démontrer l’existence d’une concurrence potentielle, que l’entrée sur le marché ait lieu dans un délai raisonnable, sans avoir fixé de limite précise à cet égard. Il n’est pas nécessaire, dès lors, que la Commission démontre que l’entrée des entreprises de génériques sur le marché aurait eu lieu avec certitude avant l’expiration des accords litigieux pour pouvoir établir l’existence d’une concurrence potentielle en l’espèce, ce d’autant plus que, comme la Cour l’a déjà constaté, dans le secteur pharmaceutique en particulier, la concurrence potentielle peut s’exercer bien avant l’expiration d’un brevet (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission, C‑457/10 P, Rec, EU:C:2012:770, point 108).

164    À cet égard, il convient d’observer que la remarque de la Cour concernant le fait que la concurrence potentielle puisse s’exercer avant l’expiration d’un brevet est indépendante du fait que les CCP dont il s’agissait avaient été obtenus de manière frauduleuse ou irrégulière. En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt AstraZeneca/Commission, point 163 supra (EU:C:2012:770, point 108), il s’agissait notamment d’un abus de position dominante commis par une entreprise qui avait soumis des déclarations trompeuses afin de se faire octroyer, par les autorités nationales compétentes, des CCP lui permettant, même après l’expiration future des brevets protégeant son médicament, de s’opposer à l’entrée sur le marché de versions génériques de ce médicament. Dans ce contexte, la Cour a, en substance, considéré que le caractère anticoncurrentiel desdites déclarations n’était pas remis en cause par le fait que ces CCP avaient été demandés entre cinq et six ans avant leur entrée en vigueur et que, jusqu’à ce moment, les droits des parties requérantes étaient protégés par des brevets réguliers. Selon la Cour, non seulement de tels CCP irréguliers entraînaient un effet d’exclusion important après l’expiration des brevets de base, mais ils étaient également susceptibles d’altérer la structure du marché en portant atteinte à la concurrence potentielle même avant cette expiration. Dès lors, cette jurisprudence confirme que la concurrence potentielle existe déjà avant l’expiration des brevets protégeant un médicament et que les démarches accomplies avant cette expiration sont pertinentes afin d’apprécier si cette concurrence a été restreinte.

165    Quatrièmement, c’est à tort que les requérantes soutiennent que la Commission aurait dû démontrer que les entreprises de génériques entameraient des actions en justice et qu’elles obtiendraient gain de cause devant les juridictions nationales compétentes. En effet, il ressort des considérants 624 et suivants de la décision attaquée que les entreprises de génériques n’étaient pas tenues de démontrer que leurs produits génériques ne contrefaisaient aucun brevet pour pouvoir obtenir une AMM et commercialiser ces produits sur le marché, ce qui n’est d’ailleurs pas remis en cause par les requérantes. Ainsi, Merck (GUK) a pu entrer sur le marché par le biais de son distributeur, NM Pharma, en Suède, en mai 2002, sans avoir dû obtenir une déclaration de non-contrefaçon et sans avoir fait l’objet d’actions en justice de la part de Lundbeck. C’est au laboratoire de princeps, c’est-à-dire, en l’occurrence, à Lundbeck, qu’il appartenait de démontrer que ces produits violaient l’un de ses brevets, ce qui, selon ses propres estimations, était particulièrement difficile à établir, s’agissant de brevets de procédé (voir considérant 629 de la décision attaquée). En outre, comme le fait valoir la Commission, il n’est pas certain que Lundbeck aurait nécessairement entamé des actions en justice contre les entreprises de génériques en cas d’entrée sur le marché de celles-ci (voir point 126 ci-dessus). Il est encore moins certain que Lundbeck aurait obtenu gain de cause si elle avait décidé d’entamer de telles actions (voir point 122 ci-dessus et considérants 75 et 76 de la décision attaquée).

166    Enfin, il y a lieu de rappeler que la Commission n’a pas méconnu la présomption de validité attachée aux brevets de procédé de Lundbeck (points 121 à 132 ci-dessus). Les requérantes ne sauraient prétendre, dès lors, que la décision attaquée est fondée sur un biais négatif à l’encontre de tels brevets. En effet, la Commission a tenu compte de l’existence de ces brevets, mais a estimé, sans commettre d’erreur d’appréciation à cet égard, que ceux-ci ne permettaient pas de bloquer toute entrée des entreprises de génériques sur le marché au moment où les accords litigieux avaient été conclus.

167    La troisième branche doit, dès lors, être rejetée.

F –  Sur la quatrième branche, tirée de ce que l’absence d’AMM empêche l’existence d’une concurrence réelle ou potentielle

168    Les requérantes considèrent que c’est à tort que la Commission a conclu à l’existence d’une concurrence potentielle, en dépit de l’absence d’AMM pour certaines entreprises de génériques, au simple motif que celles-ci s’étaient efforcées de les obtenir avant de conclure les accords litigieux (considérant 620 de la décision attaquée). Cette conclusion serait en contradiction avec certains passages de la décision attaquée (au considérant 85 notamment) ainsi qu’avec les conclusions de l’enquête sur le secteur pharmaceutique et les observations individuelles des parties concernées au sujet du délai nécessaire pour obtenir une AMM, qui serait de quatorze mois au minimum et qui pourrait prendre jusqu’à vingt-cinq mois dans certains pays de l’EEE. Il eût mieux valu, selon elles, que la décision attaquée évaluât in concreto si chaque entreprise de génériques disposait de possibilités réelles et concrètes d’obtenir une AMM pendant la durée des accords litigieux, et ce dans chaque pays concerné, étant donné que chaque pays constituait un marché géographique distinct et que certains accords couvraient des pays individuels. En tout état de cause, les AMM ne permettraient pas d’intégrer immédiatement le marché, des phases préparatoires supplémentaires étant nécessaires à cette fin.

169    La Commission conteste ces arguments.

170    À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, contrairement à ce que font valoir les requérantes, que la Commission a évalué, pour chaque entreprise de génériques, si celle-ci disposait d’une AMM au moment de conclure les accords litigieux ou si elle avait pu disposer d’une AMM dans un avenir suffisamment proche.

171    Il convient d’observer en outre que la concurrence potentielle inclut notamment les activités des entreprises de génériques visant à obtenir les AMM nécessaires ainsi qu’à l’accomplissement de toutes les démarches administratives et commerciales indispensables pour préparer l’entrée sur le marché (voir points 91 à 94 ci-dessus). Cette concurrence potentielle est protégée par l’article 101 TFUE. En effet, dans l’hypothèse où il serait possible, sans violer le droit de la concurrence, de payer les entreprises qui sont en train d’accomplir les démarches indispensables pour préparer le lancement d’un médicament générique, dont l’obtention d’une AMM, et qui ont consenti d’importants investissements à cette fin, pour qu’elles arrêtent ou simplement ralentissent ce processus, la concurrence effective n’aurait jamais lieu ou subirait des retards significatifs, et ce aux frais des consommateurs, c’est-à-dire des patients ou des caisses nationales de maladie en l’espèce.

172    Ainsi, s’agissant de Merck (GUK), la Commission a constaté que celle-ci avait obtenu une AMM au Royaume-Uni le 9 janvier 2002, et que son distributeur NM Pharma disposait également d’une AMM en Suède depuis mai 2002. Merck (GUK) et NM Pharma prévoyaient d’utiliser la procédure de reconnaissance mutuelle de 90 jours visée à l’article 18 de la directive 2001/83 pour obtenir des AMM dans les autres pays de l’EEE (considérant 326 de la décision attaquée).

173    En ce qui concerne la position d’Arrow au Royaume-Uni, aux considérants 878 à 881 de la décision attaquée, la Commission a relevé que cette entreprise avait conclu un accord avec Tiefenbacher, afin de pouvoir utiliser l’AMM que cette dernière avait demandée au Royaume-Uni, sur la base de l’AMM dont celle-ci disposait déjà aux Pays-Bas. La Commission a également précisé que, dans la phase précédant immédiatement la signature de l’accord Arrow UK, il était attendu que les autorités du Royaume-Uni délivrent cette AMM très rapidement et que le retard qui s’était produit par la suite était dû à la contestation par les requérantes de l’AMM néerlandaise.

174    S’agissant de la position d’Arrow au Danemark, aux considérants 967 et 968 de la décision attaquée, la Commission a mis en évidence le fait que le préambule de l’accord Arrow danois mentionnait que cette entreprise était sur le point d’obtenir une « licence » d’un tiers et qu’une copie de l’AMM de ce tiers était jointe en annexe. Ainsi que le fait observer à juste titre la Commission, le fait qu’Arrow n’ait finalement pas acheté cette AMM ne signifie pas qu’elle ne disposait pas d’une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché au moment de la conclusion dudit accord.

175    En ce qui concerne Alpharma, il résulte notamment des considérants 476, 485, 520 et 530 de la décision attaquée que cette entreprise pouvait utiliser les AMM accordées à Tiefenbacher, en vertu de son contrat d’approvisionnement avec cette dernière, au moins pour les Pays-Bas et l’Allemagne, et pouvait soit demander elle-même une AMM pour les autres États membres de l’EEE, soit demander à Tiefenbacher d’étendre la procédure de reconnaissance mutuelle à ces autres pays.

176    En outre, en octobre 2001, Alpharma comptait obtenir des AMM et procéder au lancement du citalopram générique, à diverses dates en 2002, en Autriche, au Danemark, en Finlande, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Norvège, en Suède et au Royaume-Uni. De même, au moment où l’accord Alpharma a été signé, quatre AMM avaient été accordées (au Danemark, en Finlande, aux Pays-Bas et en Suède), alors que l’AMM pour le Royaume-Uni était attendue de façon imminente (voir point 281 ci-après). Par ailleurs, pendant la durée de cet accord, Alpharma a reçu des AMM pour quatre autres pays de l’EEE (la Norvège, l’Allemagne, l’Autriche et le Royaume‑Uni).

177    S’agissant de Ranbaxy, au considérant 1094 de la décision attaquée, la Commission a relevé en substance que cette entreprise avait déposé la fiche maîtresse du médicament (Drug Master File, ci-après le « DMF ») concernant son IPA du citalopram auprès de l’autorité du Royaume-Uni compétente en juin 2002. Cette démarche, bien qu’elle ne fût pas indispensable pour obtenir une AMM, facilitait la procédure permettant à une entreprise de génériques disposant déjà d’une AMM portant sur des comprimés de citalopram générique produits à partir d’un autre IPA que celui de Ranbaxy de demander une modification de son AMM afin que celle-ci inclût également le citalopram de Ranbaxy. En effet, le dépôt d’un DMF auprès des autorités compétentes permet au fabriquant d’IPA de ne pas dévoiler d’informations confidentielles aux entreprises de génériques qui achètent son IPA et souhaitent introduire une demande d’AMM pour les médicaments qu’elles produisent à partir de cet IPA.

178    De plus, au considérant 1095 de la décision attaquée, la Commission s’est fondée sur le fait que, lors d’une réunion qui s’était tenue en avril 2002, Ranbaxy avait informé Lundbeck qu’elle pourrait obtenir une AMM dans un délai de huit mois et qu’elle était en train de discuter avec un acheteur potentiel de son citalopram, acheteur qui aurait pu entrer sur le marché avec celui-ci dans un délai de trois à quatre mois, à la suite d’une modification de l’AMM dont il disposait déjà. La thèse des requérantes selon laquelle de telles déclarations ne constituaient qu’un « coup de bluff » sera examinée plus en détail dans le cadre de la neuvième branche du présent moyen ci-après.

179    Ces éléments démontrent que les entreprises de génériques concernées avaient soit déjà obtenu une AMM au moment de conclure les accords litigieux, soit étaient en train d’accomplir les démarches nécessaires pour en obtenir une à court ou à moyen terme, soit pouvaient faire en sorte que leurs produits puissent être couverts par d’autres AMM. Si, dans certains cas, l’obtention d’une AMM a finalement pu prendre plus de temps que prévu, il n’en reste pas moins que, au moment de conclure les accords litigieux, les entreprises de génériques disposaient de possibilités réelles et concrètes d’obtenir ces AMM dans un délai suffisamment court et de pouvoir entrer sur le marché du citalopram dans plusieurs pays de l’EEE, en se prévalant de la procédure de reconnaissance mutuelle prévue par l’article 18 de la directive 2001/83, exerçant, de ce fait, une pression concurrentielle sur Lundbeck. En outre, il convient de rappeler que, en l’espèce, les entreprises de génériques avaient commencé leurs préparatifs en vue d’entrer sur le marché du citalopram entre un et trois ans avant l’expiration des brevets originaires de Lundbeck (voir considérants 219, 373, 476 et 549 de la décision attaquée) et qu’elles se livraient une course intense afin d’être les premières à entrer sur le marché dès l’expiration de ces brevets (voir considérant 622 de la décision attaquée).

180    C’est donc sans commettre d’erreur que la Commission a constaté, au considérant 620 de la décision attaquée, que l’absence d’AMM n’empêchait pas que les médicaments génériques eussent pu entrer sur le marché dans un futur proche tant que les entreprises de génériques continuaient à effectuer les démarches pour obtenir les autorisations nécessaires à cet égard avant de conclure les accords litigieux avec Lundbeck.

181    Il convient de rappeler, par ailleurs, que, même s’il s’agit d’un élément important à cet égard, la Commission ne s’est pas uniquement fondée sur la possibilité pour les entreprises de génériques d’obtenir une AMM afin d’établir l’existence d’une concurrence potentielle entre celles-ci et Lundbeck dans la décision attaquée, mais sur un ensemble de facteurs tenant compte de la situation spécifique de chaque entreprise de génériques au moment de conclure les accords litigieux ainsi que des spécificités du secteur pharmaceutique (voir points 91 à 96 et 157 ci-dessus). En outre, il convient de rappeler que le fait même que Lundbeck ait décidé de conclure des accords avec les entreprises de génériques constitue un indice important de ce qu’elle percevait ces entreprises comme une menace potentielle au moment de conclure les accords litigieux (voir, en ce sens, arrêt Toshiba/Commission, point 103 supra, EU:T:2014:263, point 231).

182    La quatrième branche doit donc également être rejetée.

G –  Sur la cinquième branche, tirée de ce que les entreprises de génériques n’auraient pas pu se tourner vers d’autres procédés ou d’autres producteurs d’IPA pendant la durée des accords litigieux

183    Les requérantes contestent la conclusion de la décision attaquée selon laquelle, parmi les voies d’accès possibles au marché (considérant 635 de la décision attaquée), figuraient notamment une collaboration de l’entreprise de génériques avec son producteur d’IPA afin de modifier le procédé de ce producteur ou le basculement vers un autre producteur d’IPA. Il s’agirait de solutions de remplacement théoriques, car, d’une part, il n’existait aucune autre méthode commercialement viable pour produire du citalopram permettant d’entrer légalement sur le marché dans l’EEE en 2002 et en 2003 et, d’autre part, les entreprises de génériques n’auraient pas disposé d’un temps suffisant pour changer de producteur d’IPA avant l’expiration des accords litigieux.

184    Premièrement, il n’existerait aucun indice sérieux permettant de réfuter les éléments de preuve fournis par Lundbeck, selon lesquels aucun procédé commercialement viable et non contrefaisant n’aurait permis d’intégrer le marché en 2002 et en 2003. Aucun des éléments invoqués dans la décision attaquée concernant Merck (GUK), Alpharma, Arrow et Ranbaxy ne serait suffisant afin d’établir le contraire.

185    Par ailleurs, la décision attaquée se fonderait à tort sur des déclarations de Lundbeck pour démontrer qu’il existait d’autres procédés non contrefaisants à l’époque de la conclusion des accords litigieux (considérant 634 de la décision attaquée). La Commission aurait présumé à tort que tous les procédés énumérés par Lundbeck dans une de ses déclarations étaient non contrefaisants et commercialement efficaces et respectueux des exigences réglementaires de l’EEE, alors qu’aucun de ceux-ci n’aurait permis d’intégrer le marché en 2002-2003 avec des médicament fiables et non contrefaisants. Selon les requérantes, la décision attaquée ignore les nombreux éléments de preuve qui montrent que les procédés originaires de cyanation et d’alkylation ne pouvaient pas être utilisés pour produire du citalopram de manière viable.

186    Deuxièmement, en tout état de cause, selon les requérantes, quand bien même un citalopram générique produit à partir d’un procédé non contrefaisant et commercialement viable aurait été disponible pendant la durée des accords litigieux (ce qui n’était pas le cas), les entreprises de génériques n’auraient pas pu se tourner vers celui-ci au cours des mois couverts par les accords litigieux ou, à tout le moins, pas « suffisamment rapidement » pour que la menace d’une entrée potentielle exerçât une pression concurrentielle effective pendant la durée de ceux-ci.

187    En effet, un tel changement aurait comporté le fait que soit demandée une modification majeure, dite de type II, au sens de l’article 3 du règlement (CE) no 541/95 de la Commission, du 10 mars 1995, concernant l’examen des modifications des termes d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament délivrée par l’autorité compétente d’un État membre (JO L 55, p. 7, ci-après la « modification de type II »), qui est la procédure utilisée pour la modification d’une AMM existante, en raison d’un changement de producteur d’IPA. Or une modification de type II serait la plus ardue à obtenir, par une procédure équivalant à celle concernant l’introduction d’une nouvelle demande d’AMM. La durée totale de cette procédure pourrait s’étendre jusqu’à dix-neuf mois. Par ailleurs, à la période nécessaire pour obtenir une telle modification devrait être ajoutée celle nécessaire pour rechercher et développer le nouveau procédé, pour inscrire le médicament en vue d’un remboursement, pour obtenir l’approbation de ce remboursement et pour produire et commencer à vendre le médicament.

188    La Commission conteste ces arguments.

189    En premier lieu, c’est à tort que les requérantes considèrent qu’aucun procédé commercialement viable et non contrefaisant n’aurait permis d’intégrer le marché pendant la durée des accords litigieux.

190    En effet, Lundbeck elle-même estimait, dans un premier temps, en réponse aux demandes d’informations de la Commission précédant la communication des griefs, relatée au considérant 150 de la décision attaquée, que les entreprises de génériques auraient pu produire du citalopram générique en utilisant les procédés décrits dans ses brevets originaires (c’est-à-dire les procédés de cyanation et d’alkylation) ou en inventant un autre type de procédé, de sorte que ses brevets n’étaient pas de nature à empêcher toute concurrence de la part des entreprises de génériques.

191    En outre, Lundbeck a elle-même confirmé que ses nouveaux brevets de procédé n’étaient pas capables de bloquer toutes les possibilités d’entrer sur le marché, même si le procédé fondé sur la cristallisation semblait être le plus efficace. Ainsi, à titre d’exemple, la Commission relève, au considérant 163 de la décision attaquée, que Niche Generics Ltd est entrée sur le marché en obtenant une déclaration de non-contrefaçon pour le citalopram générique de Sekhsaria, un autre producteur indien d’IPA. Il ressort par ailleurs des éléments de preuve mentionnés au considérant 634 de la décision attaquée que, en mars 2002, les experts en matière de brevet de Lundbeck ont déclaré qu’« il était possible de produire un IPA qui ne requ[érai]t probablement pas la cristallisation de la base libre », c’est-à-dire qui n’était pas fondé sur le brevet sur la cristallisation de Lundbeck. Le vice-président de Lundbeck a également déclaré dans un communiqué de presse du 9 novembre 2002 qu’« il [aurait été] naïf de penser qu’il n’[était] pas possible pour des producteurs de génériques de produire du Cipramil sans enfreindre [leur] brevet » (considérant 634 de la décision attaquée).

192    Les requérantes font valoir néanmoins qu’elles n’ont jamais reconnu que d’autres procédés auraient pu être utilisés pour entrer sur le marché du citalopram sans enfreindre leurs brevets, d’une part, ou avec des médicaments fiables, produits à une échelle industrielle, d’autre part.

193    Premièrement, il y a lieu de rappeler pourtant que, au moment de conclure les accords litigieux, aucune juridiction de l’EEE ne s’était prononcée sur le caractère contrefaisant des produits développés par les entreprises de génériques (voir point 146 ci-dessus). Les requérantes ne sauraient valablement faire valoir, dès lors, que les médicaments génériques développés par les entreprises de génériques violaient ses brevets de procédé, alors qu’ils étaient, tout au plus, potentiellement contrefaisants au moment où les accords litigieux avaient été conclus.

194    Deuxièmement, comme le fait valoir la Commission, l’affirmation selon laquelle il n’existait aucune version non contrefaisante du citalopram générique pouvant être développée à une échelle industrielle n’est pas corroborée par les faits. D’une part, il convient de rappeler que tout producteur d’IPA aurait pu se fonder sur les procédés originaires de cyanation et d’alkylation tels que publiés avec le brevet sur l’IPA citalopram de Lundbeck, qui avait expiré (point 16 ci-dessus). Ainsi, il ressort du considérant 158 de la décision attaquée que, dans le cadre du litige Lagap, qui portait sur le citalopram de Matrix, un conseiller de Lundbeck a reconnu qu’il était possible que les procédés contenus dans ses brevets originaires puissent être développés économiquement, sans préciser le moindre délai à cet égard, que tout dépendait de la manière dont on effectuait la cyanation et que Matrix « faisait la cyanation de manière plus efficace que ce qu’ils avaient pensé jusqu’alors », ce qui démontre qu’il était possible de produire du citalopram générique à une échelle industrielle en se fondant sur les brevets originaires de Lundbeck.

195    En tout état de cause, la décision attaquée établit à suffisance que chaque entreprise de génériques disposait, ou aurait pu disposer dans un délai suffisamment court, d’une version générique du citalopram fondée sur des procédés dont il n’était pas établi qu’ils violaient un quelconque brevet de Lundbeck au moment de conclure les accords litigieux.

196    Ainsi, s’agissant du citalopram de Natco, utilisé par Merck (GUK), celui-ci était fondé sur des procédés couverts par les brevets originaires de Lundbeck, arrivés à expiration, ou sur d’autres procédés dont les brevets expiraient également (considérants 228 et 281 de la décision attaquée). Le contrat d’approvisionnement conclu entre Merck (GUK) et Schweizerhall prévoyait explicitement que l’IPA de Natco était, à leur connaissance, non contrefaisant (considérant 235 de la décision attaquée). En outre, il convient de souligner que, au moment de la conclusion de l’accord GUK pour le Royaume-Uni, le 24 janvier 2002, le brevet sur la cristallisation n’avait pas encore été octroyé, ni au Royaume-Uni ni dans l’ensemble de l’EEE (voir point 20 ci-dessus). La question de savoir si le procédé de Natco violait potentiellement le brevet sur la cristallisation n’était donc qu’une question hypothétique au moment de conclure cet accord. Lors de la conclusion de l’accord GUK pour l’EEE, le brevet sur la cristallisation de Lundbeck avait, certes, déjà été octroyé par l’OEB, mais il n’y avait aucune certitude quant au caractère contrefaisant de l’IPA de Natco, ni quant au fait que la validité de ce brevet aurait été confirmée en cas de litige (voir point 122 ci‑dessus).

197    Par ailleurs, même si Merck (GUK) avait fait l’objet d’actions en contrefaçon de la part de Lundbeck et que ses produits s’étaient révélés contrefaisants, elle aurait sans doute pu, malgré tout, se procurer du citalopram provenant d’autres sources, dont le caractère contrefaisant n’était pas établi, dans un délai raisonnable. En effet, même si Merck (GUK) avait conclu un accord d’approvisionnement avec Schweizerhall pour une période de huit ans, cet accord se fondait sur l’hypothèse de l’absence de contrefaçon du produit de Natco (considérant 235 de la décision attaquée), de sorte que Merck (GUK) aurait sans doute pu résilier cet accord en cas de contrefaçon, que ce soit sur la base des dispositions expresses de cet accord ou en vertu du droit allemand, qui était le droit applicable à ce contrat. Or, il ressort notamment des considérants 248 et 351 de la décision attaquée qu’il existait d’autres sources de citalopram générique sur le marché, dont Merck (GUK) avait connaissance, par le biais notamment de Merck dura GmbH, la filiale de Merck en Allemagne. En tout état de cause, à supposer même que Merck (GUK) eût été tenue, en vertu de l’accord Schweizerhall, de s’approvisionner exclusivement auprès de Natco et que le citalopram générique produit par ce dernier contrefît le brevet sur la cristallisation, il n’est pas exclu que Natco eût pu produire l’IPA citalopram en se fondant sur d’autres procédés non contrefaisants, comme l’a relevé à juste titre la Commission au considérant 746 de la décision attaquée.

198    S’agissant du citalopram générique fourni par Tiefenbacher à Arrow et à Alpharma, il convient de relever que, bien que celui-ci fût initialement produit à partir du procédé initial de Cipla (ci-après le « procédé Cipla I »), pour lequel il existait un risque de contrefaçon, Tiefenbacher aurait pu passer aisément au citalopram de Matrix, produit d’abord selon le procédé initial de Matrix (ci-après le « procédé Matrix I »), puis selon le nouveau procédé utilisé par Matrix (ci-après le « procédé Matrix II »). Or, il convient de rappeler que le caractère contrefaisant des procédés Cipla I et Matrix I n’avait été établi par aucune juridiction de l’EEE au moment où les accords litigieux avaient été conclus (point 146 ci-dessus).

199    En ce qui concerne le procédé Matrix II, qui était utilisé pour produire le citalopram générique auquel Arrow et Alpharma pouvaient également avoir accès par le biais de Tiefenbacher, il résulte des considérants 154, 155, 421 et 674 ainsi que de la note en bas de page no 1828 de la décision attaquée que ce procédé avait été développé déjà au mois de mai 2002, afin de réduire ultérieurement le risque que le citalopram de Matrix violât le brevet sur la cristallisation. Dans le cadre du litige Lagap, à la suite d’une inspection dans les locaux de Matrix en Inde, Lundbeck a admis que le procédé Matrix II ne contrefaisait pas ses brevets. Dès lors, ainsi que le fait remarquer à juste titre la Commission, il importe peu que, avant ladite admission, quelques juridictions nationales aient fait droit aux demandes de mesures provisoires de Lundbeck concernant ce procédé. De même, aucune conclusion ne peut être tirée de la circonstance selon laquelle, pour faire en sorte que son AMM couvre également le procédé Matrix II, Tiefenbacher a pu se limiter à introduire une demande de modification d’importance mineure, dite de type I, au sens de l’article 3 du règlement no 541/95 (ci-après la « modification de type I »), qui est la procédure utilisée notamment pour la modification d’une AMM existante en raison d’une modification du procédé utilisé par le même producteur d’IPA. En effet, cette circonstance ne remet pas en cause l’admission de la part de Lundbeck, dans le cadre du litige Lagap, du caractère non infractionnel de ce procédé qui, du reste, a été utilisé par la suite par plusieurs entreprises de génériques sans que Lundbeck réagisse.

200    Des remarques analogues peuvent être formulées à l’égard du nouveau procédé utilisé par Cipla pour produire le citalopram générique (ci-après le « procédé Cipla II »), qui était également en principe accessible par le biais de Tiefenbacher. En effet, la Commission a mis en évidence, notamment au considérant 898 de la décision attaquée, le fait que ce procédé, développé pendant la période couverte par les accords litigieux, était potentiellement non contrefaisant et avait fait l’objet d’une demande de modification de type I d’une AMM en septembre 2002. Ainsi, Arrow et Alpharma auraient pu chercher à vendre du citalopram produit en utilisant ce procédé, à l’instar de ce qu’a fait Neolab, sans que Lundbeck pût utilement s’y opposer, comme la Commission l’a indiqué dans la note en bas de page no 1671 de la décision attaquée.

201    S’agissant, enfin, du procédé utilisé par Ranbaxy, il convient de noter que Lundbeck, même après avoir examiné les plans de réaction de cette entreprise, a souhaité conclure un accord avec elle prévoyant des paiements inversés, au lieu de s’adresser à des juridictions nationales pour en obtenir des injonctions. Il s’ensuit que Lundbeck n’avait pas de certitude quant au caractère contrefaisant de l’IPA produit selon ledit procédé, ainsi que cela résulte des considérants 564 et 1109 de la décision attaquée. De plus, Ranbaxy a soutenu, tant à l’égard de Lundbeck que d’entreprises de génériques potentiellement intéressées à l’achat de son IPA, que ce dernier n’était pas contrefaisant, ainsi que la Commission l’a mis en avant notamment au considérant 1105 de la décision attaquée.

202    En outre, il convient de rappeler que, à supposer que les produits commercialisés par les entreprises de génériques aient enfreint l’un ou l’autre brevet de Lundbeck, ce qui n’était pas établi au moment de la conclusion des accords litigieux en l’espèce, les entreprises de génériques auraient également pu contester la validité de ces brevets devant les juridictions compétentes (voir point 122 ci‑dessus).

203    En deuxième lieu, il convient de rejeter l’argument des requérantes selon lequel la Commission aurait dû démontrer que le basculement vers un autre procédé ou vers un autre producteur d’IPA aurait eu lieu pendant la durée des accords litigieux. En effet, afin d’établir l’existence d’une concurrence potentielle entre les entreprises de génériques et Lundbeck, la Commission était uniquement tenue de démontrer que celles-ci disposaient de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché dans un délai suffisamment court pour exercer une pression concurrentielle effective sur Lundbeck au moment de conclure les accords litigieux. La Commission n’était pas tenue de démontrer que les entreprises de génériques auraient pu, sans aucun doute, se procurer un procédé commercialement viable et non contrefaisant pendant la durée des accords litigieux, mais uniquement qu’elles disposaient de possibilités réelles et concrètes à cet égard, au moment de conclure ces accords, sans que ces possibilités soient purement théoriques.

204    Or, les requérantes ne nient pas qu’il était possible, pour les entreprises de génériques, de modifier une AMM existante ou de se tourner vers un autre producteur d’IPA en cas de risque accru de contrefaçon, mais font valoir que cela aurait pu prendre plusieurs mois, voire même plus longtemps que la durée des accords litigieux. Elles ne sauraient cependant exiger de la Commission qu’elle démontre ce qui se serait produit en l’absence des accords litigieux, dans un contexte où de nombreuses options étaient ouvertes aux entreprises de génériques afin d’entrer sur le marché, au moment de conclure ceux-ci. La possibilité de modifier une AMM existante ou de se procurer l’IPA d’un autre fournisseur n’était pas une possibilité purement théorique, comme le démontrent les éléments de preuve figurant dans la décision attaquée, pour chaque entreprise de génériques, à cet égard (voir les sixième à neuvième branches ci-après). Les requérantes ont elles-mêmes admis, par exemple, que Tiefenbacher, agissant comme intermédiaire pour Arrow et Alpharma, avait pu obtenir une modification de type I de son AMM obtenue pour le citalopram de Matrix en seulement deux mois et demi aux Pays-Bas (considérant 418 de la décision attaquée).

205    En tout état de cause, une telle possibilité n’était sans doute même pas nécessaire pour la plupart des entreprises de génériques, pour pouvoir entrer sur le marché, et encore moins pour exercer une pression concurrentielle sur Lundbeck, puisqu’elles étaient en train d’effectuer les démarches nécessaires et avaient même, dans certains cas, déjà obtenu une AMM afin d’entrer sur le marché avec le citalopram générique de leur fournisseur (ou leur propre citalopram générique dans le cas de Ranbaxy), et que celui-ci n’avait été déclaré contrefaisant par aucune juridiction au moment de conclure les accords litigieux. En outre, ainsi qu’il a déjà été constaté au point 181 ci-dessus, le fait même que Lundbeck ait conclu les accords litigieux avec les entreprises de génériques constitue un indice important de ce qu’elle percevait celles-ci comme une menace potentielle exerçant une pression concurrentielle sur sa position sur le marché.

206    Il y a lieu, dès lors, de rejeter la cinquième branche également.

H –  Sur la sixième branche, tirée de l’absence de concurrence potentielle entre Lundbeck et Merck (GUK) au moment de conclure les accords litigieux

207    Les requérantes font valoir que la décision attaquée a conclu à tort que Merck (GUK) constituait un concurrent potentiel de Lundbeck au Royaume-Uni et, mutatis mutandis, dans l’EEE, à l’époque de l’infraction alléguée.

208    Selon elles, s’il peut être pertinent de savoir que Merck (GUK) avait l’intention d’intégrer le marché, le critère essentiel reste de déterminer si elle en avait la capacité. Or, la décision attaquée occulterait le fait que Merck (GUK) n’avait accès qu’au citalopram de Natco, qui violait le brevet sur la cristallisation de Lundbeck, ce qui impliquerait qu’elle n’avait pas la capacité d’entrer légalement sur le marché.

209    En outre, ce serait à tort que la décision attaquée aurait conclu, au considérant 754, en se fondant sur des documents contemporains des faits, que Merck (GUK) était très sûre de sa position en matière de brevets. Les requérantes estiment que la Commission a cité ces documents de manière sélective et les a isolés de leur contexte.

210    Du reste, selon les requérantes, Merck (GUK) n’était pas un concurrent potentiel de Lundbeck, puisqu’elle n’aurait pas pu se tourner vers d’autres IPA produits selon des procédés non contrefaisants pendant la durée des accords litigieux. En effet, en 2003, aucun autre produit générique commercialement viable et non contrefaisant n’aurait existé. En tout état de cause, à supposer que Merck (GUK) eût pu se tourner vers d’autres producteurs d’IPA non contrefaisants, une acquisition de citalopram par Merck (GUK) auprès de tiers aurait enfreint l’article 1.3 de l’accord conclu entre celle-ci et Schweizerhall, qui stipulait que Merck (GUK) couvrirait 100 % de sa demande annuelle d’IPA citalopram auprès de Schweizerhall (considérant 235 de la décision attaquée).

211    Enfin, les requérantes estiment que la décision attaquée ne motive pas sa conclusion selon laquelle Merck (GUK) était un concurrent potentiel de Lundbeck dans l’EEE (Royaume-Uni non compris) à l’époque de l’infraction alléguée. Étant donné que, dans la décision attaquée, la Commission a calculé le montant de l’amende infligée à Lundbeck en se fondant sur la valeur des ventes de citalopram dans l’ensemble de l’EEE, ce seul élément serait suffisant pour invalider la décision attaquée.

212    En ce qui concerne les ventes de citalopram en Suède par l’intermédiaire de NM Pharma (considérants 836 à 838 de la décision attaquée), qui ont amené la Commission à conclure que Merck (GUK) était un concurrent potentiel sérieux, y compris sur d’autres marchés de l’EEE (considérant 840), les requérantes font valoir que le fait qu’elles aient choisi d’ester en justice de manière sélective en Suède, sans que cela concerne NM Pharma, ne prouve pas que Merck (GUK) avait la capacité ou des possibilités réelles et concrètes d’intégrer d’autres marchés de l’EEE. La décision attaquée ne démontrerait pas suffisamment que Merck (GUK) constituait un concurrent réel ou potentiel de Lundbeck dans l’ensemble des pays de l’EEE, puisqu’elle ne disposait d’une AMM qu’en Suède avant la conclusion de l’accord GUK pour l’EEE. En Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas et en Espagne, Merck (GUK) n’aurait obtenu une AMM qu’après l’expiration de l’accord GUK pour l’EEE et, ailleurs, pendant la durée de cet accord.

213    La Commission conteste ces arguments.

214    Il y a lieu, avant d’examiner les arguments des requérantes, de procéder à un bref rappel de l’examen de la concurrence potentielle entre Merck (GUK) et Lundbeck effectué par la Commission dans la décision attaquée. La Commission a distingué, à cet égard, la situation prévalant au Royaume-Uni et la situation prévalant dans l’EEE au moment de la conclusion de l’accord GUK pour le Royaume-Uni, d’une part, et de l’accord GUK pour l’EEE, d’autre part.

1.     Situation au Royaume-Uni

215    S’agissant, tout d’abord, de la situation concurrentielle au Royaume-Uni, la Commission a considéré que, pendant la période précédant le 24 janvier 2002, date de signature de l’accord GUK pour le Royaume-Uni, Lundbeck était la seule entreprise vendant du citalopram au Royaume-Uni. Le 5 janvier 2002, les brevets originaires de Lundbeck arrivaient à expiration au Royaume-Uni. À partir de cette date, le marché du citalopram au Royaume-Uni était donc en principe ouvert aux produits génériques, à condition que ceux-ci respectent les obligations légales en matière de qualité, de sécurité et d’efficacité, telles que confirmées par une AMM. Dès lors, les entreprises fabriquant ou ayant l’intention de vendre des produits génériques contenant du citalopram au Royaume-Uni, ayant des perspectives réalistes de se voir fournir du citalopram générique et d’obtenir une AMM dans un futur proche pouvaient être considérées comme des concurrents potentiels de Lundbeck. L’entrée sur le marché des génériques, en particulier en cas d’entrée de plusieurs entreprises de génériques simultanément, aurait plus que probablement généré un processus intense de concurrence sur les prix qui aurait réduit le prix du citalopram de manière rapide et profonde (considérant 738 de la décision attaquée).

216    Merck (GUK), après avoir informé Lundbeck de son intention d’entrer sur le marché du citalopram, était la première entreprise de génériques à obtenir une AMM pour le marché du Royaume-Uni, le 9 janvier 2002. Durant cette période, Merck (GUK) avait accumulé un stock de 8 millions de tablettes de citalopram, fondées sur l’IPA de Natco, prêtes à être vendues au Royaume-Uni (considérant 741 de la décision attaquée).

217    À la suite de l’accord GUK pour le Royaume-Uni, signé avec Lundbeck le 24 janvier 2002, Merck (GUK) s’est abstenue de lancer le citalopram générique sur le marché, jusqu’à la fin de la durée de l’accord, initialement prévue pour juillet 2003. Néanmoins, entre le 1er et le 4 août 2003, avant que l’accord ne soit prorogé une seconde fois le 6 août 2003, Merck (GUK) a effectivement vendu son citalopram générique au Royaume-Uni pour une valeur de 3,3 millions de GBP (considérant 742 de la décision attaquée).

218    La Commission a conclu, au considérant 743 de la décision attaquée, que ces faits démontraient de manière suffisante que Merck (GUK) avait des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché du citalopram au Royaume-Uni au moment de signer l’accord GUK pour le Royaume-Uni. De plus, le fait que Merck (GUK) soit effectivement entrée brièvement sur le marché en août 2003 démontrerait suffisamment que Merck (GUK) et Lundbeck étaient des concurrents potentiels au moment de signer les accords litigieux en janvier 2002. Par ailleurs, le fait même que Lundbeck ait consenti à effectuer un transfert de valeur important vers Merck (GUK) en vertu de ces accords démontrerait suffisamment que Lundbeck percevait Merck (GUK) comme un concurrent potentiel, dont l’entrée sur le marché était plausible et qui constituait une menace envers sa position sur le marché au moment de la signature des accords litigieux.

219    Les requérantes contestent, néanmoins, le fait que ces éléments suffisaient pour établir l’existence d’une concurrence potentielle entre elles et Merck (GUK) et estiment que la Commission aurait dû démontrer, avant tout, la capacité de celle-ci d’entrer sur le marché au lieu de tenir compte de ses intentions à cet égard. Elles remettent également en cause différentes déclarations utilisées par la Commission dans la décision attaquée qui auraient, selon elles, été citées hors de leur contexte et qui ne permettraient pas d’établir que l’IPA de Natco ne violait aucun brevet de Lundbeck et, en particulier, le brevet sur la cristallisation.

220    Il suffit de constater pourtant que la Commission ne s’est pas fondée uniquement sur les appréciations subjectives de Merck (GUK) et de Lundbeck afin d’établir l’existence d’une concurrence potentielle entre elles, mais sur des éléments objectifs, tels que le fait que Merck (GUK) avait, au moment de conclure l’accord GUK pour le Royaume-Uni, conclu un contrat d’approvisionnement avec Schweizerhall, visant à se procurer le citalopram de Natco, qu’elle avait déjà constitué un large stock de citalopram générique et qu’elle avait obtenu une AMM au Royaume-Uni le 9 janvier 2002.

221    En premier lieu, les requérantes prétendent néanmoins que Merck (GUK) n’aurait pas pu lancer ses produits génériques sur le marché sans violer leurs brevets. Il s’agit, à nouveau, toutefois, de leur appréciation subjective, puisque, au moment de conclure l’accord GUK pour le Royaume-Uni, aucune juridiction de l’EEE n’avait déclaré que l’IPA de Natco, utilisé par Merck (GUK) pour produire son citalopram générique, violait un quelconque brevet de Lundbeck. En outre, au moment de conclure cet accord, le brevet sur la cristallisation de Lundbeck n’avait même pas encore été octroyé au Royaume-Uni. Enfin, il y a lieu de rappeler que Merck (GUK) n’avait pas à prouver le caractère non contrefaisant de ses produits pour pouvoir les commercialiser au Royaume-Uni (voir point 122 ci-dessus). Elle risquait, tout au plus, de devoir faire face à des demandes d’injonction ou d’actions en contrefaçon de la part de Lundbeck, sans aucune garantie toutefois que celle-ci obtînt gain de cause, puisque, selon les propres estimations de Lundbeck, l’existence d’une contrefaçon était particulièrement difficile à établir, s’agissant de brevets de procédé (considérant 629 de la décision attaquée). De plus, elle aurait pu, en cas de litige, soulever la question de la validité des brevets de Lundbeck, par le biais d’une demande reconventionnelle (voir point 122 ci-dessus).

222    Contrairement à ce qu’estiment les requérantes, la Commission n’était pas tenue d’établir avec certitude que Merck (GUK) serait entrée sur le marché, pendant la durée des accords, au moyen d’un IPA qui ne violait aucun brevet de Lundbeck. Celle-ci devait uniquement démontrer que Merck (GUK) disposait de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché, au moment de conclure les accords litigieux, et que ces perspectives ne constituaient pas des possibilités purement théoriques, mais témoignaient d’une capacité réelle d’entrée sur le marché dans un délai suffisamment court pour constituer une pression concurrentielle sur Lundbeck.

223    Or, au vu des éléments figurant aux considérants 738 et suivants tels que résumés aux points 215 à 218 ci-dessus, les requérantes ne sauraient valablement prétendre que la Commission ne s’est pas acquittée de cette tâche. En effet, la circonstance que Merck (GUK) ait pu entrer brièvement sur le marché avec ses génériques, en août 2003, lorsqu’elle estimait que les conditions de son accord avec Lundbeck n’étaient plus assez bonnes (considérant 755 de la décision attaquée), témoigne de manière frappante du fait que Merck (GUK) était à tout le moins un concurrent potentiel de Lundbeck au moment de conclure l’accord GUK pour le Royaume-Uni. Si la thèse des requérantes était acceptée, cela signifierait que, même à ce moment, Merck (GUK) ne pouvait pas être considérée comme un concurrent potentiel de Lundbeck, dès lors qu’il n’avait pas été établi que ses produits ne violaient aucun brevet de Lundbeck, alors même qu’elle avait vendu des comprimés pour une valeur de 3,3 millions de GBP au Royaume-Uni. Une telle position ne saurait, de toute évidence, être retenue. Enfin, la circonstance que Lundbeck ait préféré conclure un accord avec Merck (GUK) afin de retarder son entrée sur le marché témoigne également de ce qu’elle considérait celle-ci comme une menace capable d’exercer une pression concurrentielle sur le marché du citalopram, au moment de conclure cet accord (voir point 103 ci‑dessus).

224    En second lieu, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel Merck (GUK) n’aurait pas eu la possibilité de se tourner vers un autre producteur d’IPA pendant la durée des accords litigieux, il y a lieu de constater qu’un tel argument est inopérant, au vu de ce qui précède, puisque la Commission n’était pas tenue d’établir avec certitude que Merck (GUK) serait entrée sur le marché au moyen d’un IPA non contrefaisant pour pouvoir considérer celle-ci comme un concurrent potentiel de Lundbeck au moment de conclure ces accords. En tout état de cause, comme le relève à juste titre la Commission, le contrat d’approvisionnement que Merck (GUK) avait conclu avec Schweizerhall se fondait sur l’hypothèse que l’IPA de Natco ne violait aucun brevet de Lundbeck après l’expiration de ses brevets originaires. Dans l’hypothèse où les produits de Merck (GUK), fondés sur l’IPA de Natco, auraient été jugés contrefaisants, il est très probable, dès lors, que Merck (GUK) eût pu soit résilier ce contrat et chercher à s’approvisionner en citalopram générique auprès d’un autre fournisseur que Schweizerhall, soit collaborer avec Schweizerhall afin que celui-ci lui fournît un citalopram générique obtenu à partir de procédés non contrefaisants (point 197 ci‑dessus).

225    Partant, c’est sans commettre d’erreur que la Commission a conclu dans la décision attaquée que Merck (GUK) avait des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché du citalopram au Royaume-Uni au moment de signer l’accord GUK pour le Royaume-Uni et qu’elle était, par conséquent, à tout le moins un concurrent potentiel de Lundbeck à ce moment.

2.     Situation dans l’EEE

226    En ce qui concerne, ensuite, la situation concurrentielle dans l’EEE, la Commission a exposé, aux considérants 827 et suivants, les raisons pour lesquelles elle avait estimé que Merck (GUK) pouvait être considérée comme un concurrent potentiel de Lundbeck dans la plupart des États de l’EEE. Au moment de la signature des accords, Merck (GUK) avait conclu un accord de distribution exclusive portant sur l’IPA de Natco avec Schweizerhall. Cet accord faisait de Schweizerhall le distributeur privilégié de Natco pour une série d’États de l’EEE (à savoir la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie, les Pays-Bas, la Finlande, la Suède et la Norvège) et de Merck (GUK) son « client privilégié » en ce sens que ses besoins en citalopram seraient traités prioritairement (considérant 235 de la décision attaquée).

227    En mai 2002, NM Pharma, le distributeur de Merck (GUK) pour la Suède, a obtenu une AMM et est entrée sur le marché suédois. NM Pharma disposait également d’un important réseau de distribution en Norvège et comptait utiliser son AMM suédoise pour obtenir des AMM en Belgique, au Danemark, en Espagne, aux Pays-Bas, en Finlande et en Norvège par le biais de la procédure de reconnaissance mutuelle prévue par la directive 2001/83. Merck (GUK) entendait, de son côté, obtenir des AMM analogues pour l’Allemagne, l’Irlande, la Grèce, la France, l’Italie, l’Autriche et le Portugal en utilisant son AMM obtenue au Royaume-Uni (considérants 829 et 830 de la décision attaquée). En outre, le point D du préambule de l’accord GUK pour l’EEE reconnaîtrait le rôle de concurrent potentiel de Merck (GUK) sur le territoire de l’EEE (considérant 831 de la décision attaquée).

228    Ces éléments ont permis à la Commission de conclure que Merck (GUK) et Lundbeck étaient à tout le moins des concurrents potentiels au moment de signer l’accord GUK pour l’EEE en octobre 2002. Merck (GUK) aurait même été un concurrent effectif de Lundbeck en Suède pendant les quelques mois précédant la signature de l’accord, par le biais de son distributeur, NM Pharma. Par ailleurs, le fait même que Lundbeck ait consenti à effectuer un transfert de valeur important vers Merck (GUK) en vertu de cet accord démontrerait suffisamment que Lundbeck percevait Merck (GUK) comme un concurrent potentiel, dont l’entrée sur le marché était plausible et qui constituait une menace envers sa position sur le marché du citalopram au moment de la signature de l’accord GUK pour l’EEE (considérant 832 de la décision attaquée).

229    Les requérantes font valoir, cependant, que les marchés de produit pour la fourniture de produits pharmaceutiques tels que le citalopram ont une portée nationale, de sorte que la Commission aurait dû évaluer si Merck (GUK) et Lundbeck étaient des concurrents potentiels dans chaque État membre de l’EEE au lieu de procéder à une appréciation unique pour l’ensemble de l’EEE.

230    Il y a lieu de relever, toutefois, que l’analyse effectuée par la Commission aux considérants 827 à 840 de la décision attaquée (voir points 226 à 228 ci-dessus) démontre de manière suffisamment convaincante que Merck (GUK) et Lundbeck pouvaient être considérées comme des concurrents potentiels sur l’ensemble du territoire de l’EEE au moment de conclure l’accord GUK pour l’EEE. Le fait que Merck (GUK) n’avait pas obtenu d’AMM dans tous les États de l’EEE au moment de la conclusion de l’accord GUK pour l’EEE, ni même pendant la durée de celui-ci, ne signifie pas qu’elle ne disposait pas de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur les marchés des différents États de l’EEE, au moment de conclure cet accord.

231    En effet, comme la Commission l’a démontré aux considérants 827 et suivants de la décision attaquée, Merck (GUK) avait l’intention d’utiliser la procédure de reconnaissance mutuelle prévue par la directive 2001/83 afin d’obtenir des AMM dans d’autres États membres en se fondant sur son AMM déjà obtenue au Royaume-Uni ainsi que sur l’AMM de son distributeur, NM Pharma, en Suède (voir point 227 ci‑dessus).

232    Par ailleurs, le fait que l’accord GUK pour l’EEE couvre l’ensemble du territoire de l’EEE (à l’exclusion du Royaume-Uni) démontre suffisamment que Lundbeck percevait Merck (GUK) comme une menace potentielle sur l’ensemble de ce territoire et que celle-ci disposait de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché du citalopram sinon dans tous les États de l’EEE, mais au moins dans une grande majorité d’entre eux (voir considérants 827 et suivants de la décision attaquée). Comme l’indique la Commission dans la note en bas de page no 1540 de la décision attaquée, celle-ci n’était pas tenue de démontrer que, en l’absence de l’accord GUK pour l’EEE, Merck (GUK) serait entrée avec certitude dans chaque État membre de l’EEE pendant la durée de cet accord. En effet, il n’est pas possible de reconstituer, a posteriori, la date d’entrée dans chaque État membre de l’EEE alors que l’accord GUK pour l’EEE avait précisément pour objectif et pour effet d’interrompre les efforts entrepris par Merck (GUK) à cet égard.

233    En outre, un tel argument méconnaît à nouveau la distinction existant entre concurrence réelle et potentielle, cette dernière n’exigeant pas la démonstration d’une entrée certaine sur le marché, mais uniquement l’existence de possibilités réelles et concrètes à cet égard. Or, il ressort des considérants 328 et 347 de la décision attaquée notamment que Merck (GUK) avait l’intention et la capacité de commercialiser le citalopram dans l’EEE dans un délai suffisamment court pour pouvoir exercer une pression concurrentielle sur Lundbeck, au moment de conclure l’accord GUK pour l’EEE.

234    En tout état de cause, il ressort de la décision attaquée que la Commission a pris en compte les différences existant entre les États de l’EEE lorsque celles-ci se révélaient pertinentes aux fins d’examiner l’existence d’une concurrence potentielle sur ce territoire. Ainsi, la Commission a mentionné, au considérant 827 de la décision attaquée notamment, que le brevet sur l’IPA de Lundbeck n’expirait qu’en avril 2003 en Autriche, à la différence des autres États membres. Elle a également examiné la situation en ce qui concerne les AMM dans différents États de l’EEE aux considérants 326, 347 et 827 à 830 de la décision attaquée.

235    Quant à l’argument des requérantes selon lequel NM Pharma se serait inévitablement heurtée à des actions en justice intentées par elles, il suffit de constater qu’une telle affirmation est démentie par les faits, puisque NM Pharma est effectivement entrée sur le marché suédois pendant près de cinq mois, en y effectuant des ventes « très encourageantes » (considérant 325 de la décision attaquée), sans faire l’objet d’aucune action en justice de la part de Lundbeck.

236    Il convient, dès lors, de conclure au rejet de la sixième branche.

I –  Sur la septième branche, tirée de l’absence de concurrence potentielle entre Lundbeck et Arrow au moment de conclure les accords litigieux

237    Les requérantes soutiennent que, lors de la conclusion des accords Arrow UK et Arrow danois, Arrow ne se trouvait pas dans une situation de concurrence potentielle avec elles.

238    En effet, s’agissant du Royaume-Uni, premièrement, Arrow n’aurait disposé d’une AMM qu’en juillet 2002, celle-ci portant de surcroît sur les IPA de Cipla et de Matrix obtenus à l’aide des procédés de production initiaux de ceux-ci, les procédés Cipla I et Matrix I, qui, selon les requérantes, contrefaisaient le brevet sur la cristallisation. Rien ne prouverait qu’Arrow avait des chances raisonnables de faire invalider ce brevet. Par ailleurs, elle n’aurait pas pu compter sur la coopération de Cipla pour démontrer l’absence de contrefaçon.

239    Deuxièmement, Arrow n’aurait pas disposé non plus de possibilités réelles et concrètes de passer aux IPA produits selon les procédés Cipla II et Matrix II, qui, en tout état de cause, auraient été eux aussi contrefaisants, ou au citalopram de Ranbaxy, qui, en plus de violer les brevets sur l’amide et l’iode, n’aurait été couvert par aucune AMM.

240    Troisièmement, les requérantes invoquent l’arrêt de la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancellerie] du 23 octobre 2001, Smithkline Beecham Plc v. Generics (UK) Ltd [(2002) 25(1) I.P.D. 25005, ci-après l’« arrêt Paroxetine »], dont il découlerait qu’une entreprise de génériques ne peut pas entrer sur le marché avant d’avoir prouvé que son produit ne comporte aucune contrefaçon, ce qu’Arrow n’aurait pas été en mesure de faire.

241    Quatrièmement, le fait que les requérantes aient accepté de conclure des accords avec Arrow prévoyant des paiements à leur charge signifierait non pas qu’elles la percevaient comme un concurrent potentiel, mais qu’elles craignaient une infraction à leurs brevets.

242    S’agissant du Danemark, les requérantes renvoient à la plupart des arguments concernant le Royaume-Uni, tout en ajoutant qu’Arrow n’est entrée sur le marché danois qu’en 2005 et que, pendant la durée de l’accord Arrow danois, plusieurs entreprises de génériques se sont vu adresser des injonctions lors de leurs tentatives de vente de citalopram générique dans cet État membre.

243    La Commission conteste l’ensemble de ces arguments.

1.     Situation au Royaume-Uni

244    Il convient d’examiner, en premier lieu, les arguments des requérantes concernant la prétendue absence de concurrence potentielle entre elles et Arrow lors de la conclusion de l’accord Arrow UK.

245    S’agissant des arguments des requérantes relatifs à la prétendue impossibilité pour Arrow d’entrer sur le marché avec le citalopram de Cipla ou de Matrix, il y a lieu de relever ce qui suit.

246    Premièrement, aux considérants 375 et 878 de la décision attaquée, la Commission a constaté que, le 22 mai 2001, Arrow avait conclu un accord avec Tiefenbacher afin d’acheter, d’une part, les AMM que celle-ci avait demandées dans plusieurs pays de l’EEE concernant le citalopram générique ainsi que, d’autre part, des comprimés de ce médicament produits à partir de l’IPA de Cipla ou de Matrix.

247    Deuxièmement, aux considérants 379 et 878 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, le 10 septembre 2001, Arrow avait commandé auprès de Tiefenbacher des comprimés de citalopram générique pour une valeur égale à 2,8 millions de marks allemands (DEM), qu’elle avait reçus en partie au mois de novembre 2001 et en partie pendant la deuxième semaine du mois de janvier 2002. Ces comprimés avaient été développés à partir de l’IPA de Cipla, produit selon le procédé Cipla I.

248    Troisièmement, il résulte du considérant 382 de la décision attaquée que, le 14 décembre 2001, une réunion s’est tenue entre Arrow et Tiefenbacher. Selon les notes portant sur cette réunion, que les requérantes ont produites devant le Tribunal, Tiefenbacher considérait que le citalopram produit selon le procédé Cipla I aurait pu violer le brevet sur la cristallisation, si celui-ci était concédé au Royaume-Uni, bien que Cipla soutînt que son procédé correspondait à l’un de ceux visés par les brevets originaires. Lesdites notes font également état du fait que Arrow voulait préparer une stratégie de défense à l’égard des demandes d’injonction que Lundbeck allait introduire devant les juridictions compétentes afin de s’opposer à son entrée sur le marché du Royaume-Uni. De plus, le courriel par lequel ces notes ont été transmises mentionne le fait qu’un collaborateur d’Arrow avait examiné les procédés Cipla I et Matrix I et en avait conclu que ceux-ci ne semblaient pas contrefaire le brevet sur la cristallisation.

249    Quatrièmement, selon le considérant 383 de la décision attaquée, le 21 décembre 2001, Arrow a acheté à Tiefenbacher la demande d’AMM que celle-ci avait précédemment déposée auprès des autorités compétentes au Royaume-Uni. Cette demande, qui était fondée, selon la procédure de reconnaissance mutuelle visée à l’article 18 de la directive 2001/83, sur l’AMM que Tiefenbacher avait obtenue aux Pays-Bas auparavant, a abouti au mois de juillet 2002, après l’échec de l’action que Lundbeck avait introduite aux Pays-Bas contre cette dernière AMM. À cet égard, il convient de noter que, ainsi que l’a mis en avant la Commission au considérant 882 de la décision attaquée, la concurrence potentielle démarre avant la concession d’une AMM (points 92 à 94 ci-dessus) et que, en tout état de cause, cette dernière a été concédée pendant la durée de l’accord Arrow UK.

250    Cinquièmement, au considérant 387 de la décision attaquée, la Commission a mis en avant le fait que, dans un courriel envoyé à Arrow le 15 janvier 2002, Cipla s’était dite prête à soutenir celle-ci dans le cadre d’un éventuel contentieux avec Lundbeck, bien qu’elle voulût fournir les informations nécessaires concernant son procédé directement aux autorités compétentes, et non d’abord à Arrow ou à Tiefenbacher. Ainsi, il importe peu que, selon un courriel du 11 janvier 2002, mentionné au considérant 385 de la décision attaquée, Cipla n’ait pas voulu donner davantage d’informations sur son procédé.

251    Sixièmement, il résulte du considérant 389 de la décision attaquée que, dans un courriel du 22 janvier 2002, en réponse à l’avertissement que les requérantes lui avaient envoyé la veille, Arrow a informé celles-ci du fait qu’elle ne pensait pas violer leurs nouveaux brevets.

252    Septièmement, dans un courriel du 23 janvier 2002, cité aux considérants 390, 880 et 887 de la décision attaquée et adressé à un autre producteur de l’IPA citalopram, une filiale d’Arrow, Resolution Chemicals, a affirmé qu’elle « [lançait son produit] au Royaume-Uni la semaine [suivante] ». Dans ce courriel, Resolution Chemicals manifestait également un intérêt pour l’IPA de ce fournisseur, en tant que deuxième source d’IPA.

253    Huitièmement, il convient de rappeler que, au septième considérant du préambule Arrow UK, Arrow n’a pas admis avoir violé les nouveaux brevets de Lundbeck, mais s’est limitée à faire observer qu’elle ne pouvait pas démentir cette accusation par des preuves irréfutables.

254    Neuvièmement, il résulte notamment des considérants 157, 627, 669 et 745 ainsi que de la note en bas de page no 322 de la décision attaquée que d’autres entreprises de génériques et Lundbeck elle-même avaient des doutes sur la validité du brevet sur la cristallisation. En particulier, cette dernière a estimé que la probabilité que ce brevet fût invalidé se situait entre 50 et 60 %. Certes, les preuves concernant cette estimation datent de la période postérieure à la conclusion des accords litigieux. Cependant, les requérantes n’ont fourni aucun élément permettant d’expliquer en quoi, auparavant, leur appréciation de cette question aurait été différente. Par ailleurs, il doit être tenu compte également des considérations exposées au point 122 ci-dessus quant à l’invalidation des brevets de procédé. En effet, si le brevet sur la cristallisation avait été déclaré invalide, l’éventuelle violation de celui-ci par Arrow aurait été sans conséquence.

255    Ces éléments de preuve sont suffisants pour considérer que, lors de la conclusion de l’accord Arrow UK, Arrow était dans une relation de concurrence potentielle avec Lundbeck en raison des possibilités réelles et concrètes qu’elle avait d’entrer sur le marché avec le citalopram de Cipla, produit selon le procédé Cipla I.

256    S’agissant de la possibilité qu’Arrow changeât de producteur d’IPA et passât à l’IPA de Matrix, produit selon le procédé Matrix I, que Tiefenbacher aurait pu lui fournir, il doit être observé, que, selon le courriel d’accompagnement des notes sur la réunion du 14 décembre 2001 (voir point 248 ci-dessus), Arrow estimait que le procédé utilisé par Matrix pour produire cet IPA ne violait probablement pas le brevet sur la cristallisation. Ces notes mentionnent également la possibilité qu’Arrow passe à l’IPA de Matrix, tout en présumant qu’il ne soit pas possible d’effectuer un tel changement au stade où elle se trouvait à l’époque. À cet égard, il convient de noter, comme l’a relevé à juste titre la Commission aux considérants 885, 886, 889, 895 et dans la note en bas de page no 1636 de la décision attaquée, que l’accord d’Arrow avec Tiefenbacher permettait un tel passage, si bien que le fait qu’une telle option puisse avoir été une solution moins avantageuse pour Arrow que celle consistant à conclure un accord avec Lundbeck n’empêche pas de considérer qu’elle disposait d’une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché avec du citalopram produit à partir de cet IPA.

257    En ce qui concerne les arguments des requérantes portant sur les procédés Matrix II et Cipla II, il y a lieu de renvoyer aux points 198 à 200 ci‑dessus.

258    S’agissant de l’argument des requérantes tiré de l’arrêt Paroxetine, mentionné au point 240 ci-dessus, il convient de rappeler qu’une question relative à l’interprétation du droit national d’un État membre est une question de fait (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 21 décembre 2011, A2A/Commission, C‑318/09 P, EU:C:2011:856, point 125 et jurisprudence citée, et du 16 juillet 2014, Zweckverband Tierkörperbeseitigung/Commission, T‑309/12, EU:T:2014:676, point 222 et jurisprudence citée) sur laquelle le Tribunal est tenu, en principe, d’exercer un contrôle entier (point 113 ci‑dessus).

259    Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Paroxetine, mentionné au point 240 ci‑dessus, la juridiction concernée a appliqué les principes régissant la délivrance d’injonctions provisoires en droit anglais et a estimé que la mise en balance des intérêts penchait en faveur du laboratoire de princeps au vu des circonstances particulières de l’affaire et notamment du fait que l’entreprise de génériques dont il s’agissait n’avait pas « levé les obstacles » en informant ledit laboratoire de sa ferme intention de lancer son produit générique sur le marché, alors qu’elle s’était préparée à une telle entrée pendant quatre ans et en dépit du fait qu’elle savait que celui-ci détenait des brevets lui permettant d’intenter une action en contrefaçon à son égard.

260    Néanmoins, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’interprétation et la portée exactes à donner à l’arrêt Paroxetine, mentionné au point 240 ci-dessus, il convient de relever qu’il existe plusieurs différences entre le cas d’espèce et celui ayant donné lieu audit arrêt.

261    En effet, d’une part, il résulte du considérant 374 de la décision attaquée que, déjà le 15 décembre 2000, les requérantes et Arrow avaient pris contact afin de discuter de la question du citalopram générique. En outre, au considérant 389 de la décision attaquée, la Commission a constaté que, au mois de janvier 2002, Arrow avait confirmé aux requérantes qu’elle se préparait à entrer sur le marché du Royaume‑Uni.

262    D’autre part, alors que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Paroxetine, mentionné au point 240 ci-dessus, le brevet potentiellement violé par l’entreprise de génériques dont il s’agissait existait déjà pendant toute la période au cours de laquelle celle-ci s’était préparée à entrer sur le marché, en l’espèce, la demande de brevet sur la cristallisation au Royaume-Uni n’a été déposée par Lundbeck que le 12 mars 2001 et n’a été publiée que le 4 juillet 2001, le brevet lui-même n’ayant été définitivement octroyé, au sens de l’article 25 du UK Patents Act, que le 30 janvier 2002, soit après la conclusion de l’accord Arrow UK.

263    Par ailleurs, les requérantes n’ont donné aucune explication, hormis le caractère imparfait du système de protection des brevets en Europe et l’asymétrie des risques qui en découle, des raisons pour lesquelles l’entreprise constituée par elles, qui est une entreprise expérimentée et conseillée par des avocats spécialisés, a préféré conclure un accord onéreux tel que l’accord Arrow UK, lui ayant permis d’obtenir un simple report de l’entrée d’Arrow sur le marché du Royaume-Uni. En effet, si leur interprétation de l’arrêt Paroxetine, mentionné au point 240 ci-dessus, était correcte, tout comme leur conviction de pouvoir bloquer l’entrée des génériques à l’aide de leurs brevets, des mesures provisoires auraient assurément été octroyées contre Arrow au Royaume-Uni en cas de tentative d’entrée de celle-ci sur ce marché avec ses médicaments génériques, leur permettant ainsi de bloquer cette entrée en l’attente d’un jugement favorable sur le fond.

264    Pour autant que les requérantes invoquent, en substance, l’asymétrie des risques entre elles et Arrow, il y a lieu de relever qu’un tel argument n’est pas susceptible, en soi, de remettre en cause la conclusion selon laquelle elles percevaient Arrow comme une menace sur le marché du citalopram, au moment de conclure l’accord Arrow UK.

265    En ce qui concerne les arguments des requérantes ayant trait au fait qu’elles percevaient Arrow non pas comme un concurrent potentiel, mais comme une entreprise pouvant violer leurs brevets, il y a lieu d’observer que le fait même qu’elles aient conclu un accord avec Arrow est un très fort indice de la perception de cette dernière comme étant un concurrent potentiel (voir point 181 ci-dessus). En outre, il convient de rappeler que la conviction de Lundbeck quant au fait que ses brevets auraient été enfreints n’était pas partagée par Arrow (voir septième considérant du préambule Arrow UK et point 35 ci-dessus) et n’avait été confirmée par aucune juridiction au moment de conclure l’accord Arrow UK.

266    Partant, il y a lieu de conclure que la Commission n’a commis aucune erreur d’appréciation en considérant Arrow comme un concurrent potentiel de Lundbeck au Royaume-Uni dans la décision attaquée.

2.     Sur la situation au Danemark

267    En deuxième lieu, en ce qui concerne la concurrence potentielle au Danemark, il convient premièrement de rejeter l’argument des requérantes portant sur le fait qu’Arrow n’est pas entrée sur le marché dès l’expiration de l’accord Arrow danois, en avril 2003, mais seulement en 2005. À cet égard, il doit être relevé, tout d’abord, qu’il s’agit d’une preuve ex post et qu’elle a trait à la concurrence effective, et non à la concurrence potentielle. Par ailleurs, il importe de noter que la situation qui existait après l’expiration de cet accord n’était pas comparable avec celle qui le précédait, les conditions sur ce marché ayant été modifiées entre‑temps.

268    Deuxièmement, quant au fait que les requérantes ont obtenu plusieurs injonctions au Danemark, il doit être relevé que celles-ci sont postérieures à la date de conclusion de l’accord Arrow danois, si bien que la Commission n’était pas tenue de se fonder sur celles-ci pour évaluer si les possibilités qu’Arrow entrât sur le marché étaient réelles et concrètes au moment de la conclusion de cet accord. À supposer que ces injonctions puissent être prises en compte, il devrait en aller de même des décisions en appel qui ont retiré plusieurs injonctions obtenues en première instance, ainsi que l’a observé la Commission au considérant 185 de la décision attaquée.

269    Troisièmement, s’il est vrai que, lors de la conclusion de l’accord Arrow danois, Arrow savait que le procédé Cipla I était probablement contrefaisant, il n’est reste pas moins, d’une part, qu’elle aurait pu chercher à obtenir l’invalidité du brevet sur la cristallisation et, d’autre part, qu’elle aurait pu chercher à se procurer d’abord le citalopram de Matrix, produit selon le procédé Matrix I, puis le citalopram produit selon les procédés Cipla II ou Matrix II ou encore celui de Ranbaxy (voir points 198 à 201 et 256 ci-dessus). À cet égard, il doit être noté que Arrow, même après que Lundbeck avait obtenu le brevet sur la cristallisation au Danemark, poursuivait ses démarches visant à pouvoir disposer d’une AMM dans un délai raisonnable, pour pouvoir vendre sur le marché danois le citalopram générique fourni par Tiefenbacher, produit à partir des IPA de Cipla ou de Matrix (voir considérants 450, 454, 967 et 968 de la décision attaquée ainsi que le troisième considérant du préambule de l’accord Arrow danois).

270    Il s’ensuit que la Commission a considéré à bon droit qu’Arrow était un concurrent potentiel de Lundbeck également au Danemark.

271    Par conséquent, la septième branche doit être rejetée.

J –  Sur la huitième branche, tirée de l’absence de concurrence potentielle entre Lundbeck et Alpharma au moment de conclure les accords litigieux

272    Les requérantes soutiennent que, lors de la conclusion de l’accord Alpharma, celle‑ci ne se trouvait pas dans une situation de concurrence potentielle avec elles.

273    En effet, premièrement, Alpharma n’aurait eu accès à aucun citalopram ne violant pas leurs brevets, dans la mesure où elle était obligée d’acheter ses produits auprès de Tiefenbacher. Or, cette dernière aurait fourni à Alpharma du citalopram générique obtenu selon le procédé Cipla I, qui aurait été clairement contrefaisant, et n’aurait pu lui fournir que d’autres produits contrefaisants, obtenus suivant le procédé Matrix I ou, plus tard, suivant les procédés Cipla II et Matrix II. Par ailleurs, les doutes d’Alpharma sur la validité du brevet sur la cristallisation ne signifieraient pas qu’elle fût un concurrent potentiel, compte tenu notamment du fait que ces doutes se fondaient sur des appréciations subjectives.

274    Deuxièmement, les requérantes font observer qu’Alpharma ne disposait d’une AMM que pour huit pays de l’EEE, dont celle pour le Royaume-Uni, qui n’a été octroyée qu’en juillet 2002.

275    La Commission conteste ces arguments.

276    À cet égard, il convient de rappeler que, au considérant 1035 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, selon un courriel du 19 février 2002 du directeur général d’Alpharma chargé du dossier pertinent, au lieu de conclure l’accord Alpharma, le groupe Alpharma aurait pu entrer sur le marché avec les comprimés de citalopram qu’elle avait déjà reçus ou commandés, produits selon le procédé Cipla I, et aurait pu invoquer l’invalidité du brevet sur la cristallisation, que ce procédé contrefaisait, selon les informations dont le groupe Alpharma et Lundbeck disposaient à l’époque.

277    En premier lieu, il convient d’observer que le fait qu’Alpharma n’avait nullement exclu d’entrer sur le marché avec les comprimés qu’elle avait déjà reçus ou commandés résulte également du courriel interne du 14 février 2002, du même directeur général, cité au considérant 516 de la décision attaquée. En effet, l’auteur de ce courriel a expliqué à une de ses collègues que, à ce moment-là, Alpharma jouait une stratégie double, comme en témoigne l’expression « we are riding two horses » (nous courons deux lièvres à la fois), consistant, d’une part, à préparer le lancement du citalopram dans plusieurs pays de l’EEE et, d’autre part, à négocier avec Lundbeck, et que, la semaine suivante, il serait probablement nécessaire de prendre une décision. À ce propos, il précisait que, pour prendre la meilleure décision possible, il avait besoin de recevoir une description de la situation du point de vue juridique dans lesdits pays et des risques auxquels Alpharma était exposée.

278    Il résulte donc des courriels des 14 et 19 février 2002 qu’Alpharma, tout en ayant connaissance des risques que l’entrée sur le marché pouvait comporter, n’aurait pas abandonné ses plans si elle n’avait pas pu conclure avec Lundbeck un accord suffisamment avantageux. Dans la mesure où il s’agit de courriels internes, il n’est pas crédible que les positions qui y étaient exprimées visaient à jouer « un coup de bluff » à Lundbeck. Au demeurant, celle-ci était une entreprise expérimentée qui avait suivi depuis longtemps les démarches d’Alpharma, ainsi que le démontrent les lettres mentionnées aux considérants 477 et 496 de la décision attaquée notamment. Ces lettres se référaient notamment au modèle d’utilité de Lundbeck ainsi qu’au brevet sur la cristallisation, si bien qu’il ne saurait être considéré que lesdits courriels présentaient des positions exprimées sans connaissance des risques portant sur ces droits de propriété intellectuelle.

279    Par ailleurs, il convient de rappeler les considérations formulées aux points 122 et 254 ci‑dessus quant à l’éventuelle invalidité du brevet sur la cristallisation.

280    Les déclarations contenues dans les courriels susmentionnés doivent être lues à la lumière des démarches qu’Alpharma avait accomplies jusqu’alors pour préparer son entrée sur le marché.

281    À cet égard, il résulte notamment des considérants 476, 486, 490, 516 et 1017 de la décision attaquée que, au moment de la conclusion de l’accord Alpharma, celle‑ci :

–        avait déjà conclu avec Tiefenbacher un contrat, daté du 25 juin 2001, de fourniture de citalopram générique produit à partir de l’IPA de Cipla ou de Matrix ;

–        pouvait, en vertu de ce contrat et d’un contrat précédent entre les mêmes parties, du 31 juillet 2000, obtenir une AMM aux Pays-Bas, sur la base de celle que Tiefenbacher avait reçue le 31 août 2001 des autorités de cet État membre, et pouvait, en application de la procédure de reconnaissance mutuelle prévue par la directive 2001/83, obtenir des AMM dans d’autres pays de l’EEE ;

–        avait déjà en stock 9,4 millions de comprimés de citalopram et en avait commandé 16 millions de plus ;

–        avait déjà obtenu des AMM aux Pays-Bas, en Finlande, au Danemark et en Suède et avait reçu, le 9 janvier 2002, des assurances quant au fait qu’elle en obtiendrait une au Royaume-Uni dans un futur très proche ;

–        avait déjà publié une liste des prix pour son citalopram au Royaume-Uni.

282    En second lieu, il doit être observé, à l’instar de la Commission au considérant 1035 de la décision attaquée, que, selon le courriel du 19 février 2002, au lieu de conclure l’accord Alpharma, Alpharma aurait pu également reporter son entrée sur le marché jusqu’au printemps ou à l’été de la même année en passant au citalopram de Matrix, qui était considéré comme n’étant pas problématique au regard du brevet sur la cristallisation.

283    Il est certes vrai que, selon le courriel du 19 février 2002, le passage au citalopram de Matrix présentait de sérieux inconvénients. Cependant, il convient de noter, premièrement, que le contrat conclu entre Tiefenbacher et Alpharma permettait à cette dernière d’obtenir tant le citalopram de Cipla que celui de Matrix (voir considérant 480 de la décision attaquée).

284    Deuxièmement, si le courriel du 19 février 2002 précise que le passage à l’IPA de Matrix aurait entraîné un report de l’entrée sur le marché, ce qui aurait réduit les bénéfices escomptés, ce désavantage doit être mis en balance avec l’avantage constitué par le fait de réduire le risque de contrefaçon du brevet sur la cristallisation. En tout état de cause, ledit courriel n’infirme aucunement que, malgré ledit report et ses conséquences, le passage à l’IPA de Matrix constituait une option économiquement viable. Il s’agissait simplement d’un facteur rendant financièrement préférable de conclure un accord avantageux avec Lundbeck. Or, cette question est dépourvue de pertinence pour apprécier s’il existait des possibilités réelles et concrètes qu’Alpharma entrât sur le marché.

285    Troisièmement, la circonstance que, à une date postérieure à celle de la conclusion de l’accord Alpharma, Matrix a modifié le procédé qu’elle utilisait pour produire l’IPA citalopram, ainsi que cela ressort de la note en bas de page no 155 de la décision attaquée, ne démontre pas que le procédé disponible auparavant violait le brevet sur la cristallisation, mais témoigne seulement des efforts de Matrix de se mettre ultérieurement à l’abri de tout risque de contrefaçon. Par ailleurs, cette modification a eu lieu pendant la durée de cet accord, si bien qu’Alpharma aurait pu utiliser le nouvel IPA de Matrix, produit selon le procédé Matrix II, si elle n’avait pas été payée pour rester en dehors du marché. En tout état de cause, le 19 février 2002, le groupe Alpharma estimait que l’IPA de Matrix, fondé sur le procédé Matrix I que celle-ci utilisait à l’époque, pouvait lui permettre d’entrer sur le marché sans contrefaire le brevet sur la cristallisation.

286    Il s’ensuit que, lors de la conclusion de l’accord Alpharma, cette entreprise disposait de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché avec du citalopram générique produit selon les procédés Cipla I ou Matrix I. Par ailleurs, ainsi que cela a été examiné aux points 198 et 200 ci-dessus, pendant la durée de cet accord, le citalopram générique produit selon les procédés Matrix II et Cipla II est également devenu disponible.

287    La constatation qu’Alpharma était un concurrent potentiel des requérantes n’est pas remise en cause par la référence que celles-ci font à une déclaration d’Alpharma à la presse le 28 février 2002. Par cette déclaration, Alpharma a annoncé, en substance, qu’elle reportait les ventes du citalopram à tout le moins jusqu’à la fin de la période des congés d’été et qu’elle pourrait, le cas échéant, abandonner le projet concernant ces ventes, au motif que son stock posait problème au regard des brevets des requérantes. Elle a ajouté qu’elle devait chercher un autre producteur d’IPA et obtenir les autorisations nécessaires.

288    À ce propos, il convient d’observer que, ainsi que l’a relevé la Commission au considérant 1055 de la décision attaquée, cette déclaration fait apparaître la modification des plans d’Alpharma comme étant la conséquence d’une décision unilatérale de sa part. En effet, elle ne contient pas la moindre référence à l’accord Alpharma, ce qui est conforme au caractère secret de celui-ci, tel qu’inscrit au point 3.1 dudit accord. En outre, il y a lieu de tenir compte du fait que ladite déclaration visait à donner des explications aux clients potentiels d’Alpharma.

289    Dès lors, cette déclaration n’infirme pas la thèse de la Commission, fondée notamment sur les courriels des 14 et 19 février 2002 et sur les démarches qu’Alpharma avait accomplies jusqu’alors, selon laquelle, à défaut de conclure l’accord Alpharma, cette entreprise disposait d’une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché.

290    En ce qui concerne l’argument des requérantes relatif au fait qu’Alpharma ne disposait pas d’une AMM dans tous les pays de l’EEE, il suffit de noter qu’elle pouvait déjà compter sur plusieurs AMM et qu’elle avait des possibilités réelles et concrètes d’en obtenir d’autres en application de la procédure de reconnaissance mutuelle visée à l’article 18 de la directive 2001/83. En outre, en vertu des considérations exposées aux points 163 et 171 ci-dessus, de telles possibilités relèvent bien de la concurrence potentielle.

291    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la huitième branche.

K –  Sur la neuvième branche, tirée de l’absence de concurrence potentielle entre Lundbeck et Ranbaxy au moment de conclure les accords litigieux

292    Les requérantes soutiennent que, lors de la conclusion de l’accord Ranbaxy, Ranbaxy ne se trouvait pas dans une situation de concurrence potentielle avec elles.

293    Premièrement, les requérantes avancent que, si Ranbaxy les a certes informé, lors d’une réunion s’étant tenue le 17 avril 2002, qu’elle disposait d’un procédé qui ne violait pas de brevet, qu’elle envisageait d’obtenir une AMM dans un délai de huit mois et qu’elle était sur le point de conclure un accord avec une autre entreprise de génériques qui pourrait acheter son IPA et entrer sur le marché avec du citalopram générique produit à partir de cet IPA dans un délai de quatre mois au maximum, il se serait cependant agi d’un « coup de bluff », effectué pour les persuader de conclure un accord favorable à Ranbaxy. Le fait que cette dernière ait fait des déclarations allant dans le même sens à d’autres entreprises de génériques qui étaient des acheteurs potentiels de son IPA ne serait pas non plus probant. En particulier, sa déclaration à Alpharma serait antérieure à l’examen de la part de Lundbeck des schémas de réaction de Ranbaxy, qui aurait permis d’établir que le procédé de cette dernière violait ses brevets sur l’amide et sur l’iode.

294    Deuxièmement, les requérantes font observer que Ranbaxy n’avait pas de possibilité réelle et concrète d’obtenir une AMM pendant la durée de l’accord Ranbaxy. Au cours de la procédure administrative, celle-ci aurait admis toutes les difficultés liées à la procédure de reconnaissance mutuelle visée à l’article 18 de la directive 2001/83.

295    Troisièmement, les requérantes soulignent que, en octobre 2002, Ranbaxy a déclaré ne pas avoir vendu de citalopram après juin 2002, et ce non seulement en Europe, mais dans le monde entier, ce qui prouverait qu’elle ne pouvait pas le faire, indépendamment de l’accord Ranbaxy, qui ne visait que l’EEE.

296    Quatrièmement, les requérantes font remarquer que Ranbaxy, après l’expiration de l’accord la concernant, leur a demandé une licence sur le brevet sur l’iode, au lieu d’utiliser tout simplement son procédé, ce qui confirmerait que celui-ci violait ledit brevet.

297    Cinquièmement, la décision attaquée ne présenterait aucune preuve du fait que les requérantes ou Ranbaxy avaient des doutes sur la validité des brevets sur l’amide et sur l’iode, les déclarations mentionnées ne concernant que le brevet sur la cristallisation.

298    La Commission conteste ces arguments.

299    En premier lieu, s’agissant des arguments des requérantes concernant le prétendu « coup de bluff » effectué par Ranbaxy, il convient de rappeler que, ainsi que la Commission l’a mis en évidence notamment aux considérants 1095 et 1096 de la décision attaquée, il résulte du compte rendu de la réunion du 17 avril 2002 entre elles et Ranbaxy que, à cette occasion, cette dernière avait soutenu ce qui suit :

–        elle utilisait un procédé qui ne violait pas les brevets de Lundbeck ;

–        Lundbeck avait connaissance de ce procédé ;

–        elle avait l’intention d’introduire des demandes d’AMM pour le Royaume-Uni et l’Allemagne, où elle avait ses propres filiales, et s’attendait à recevoir ses AMM dans un délai de huit mois ;

–        elle s’approchait de la conclusion d’un accord avec une autre entreprise de génériques, qu’elle n’a pas identifiée, mais que Lundbeck croyait être Tiefenbacher ou une société du groupe Merck, par le biais duquel elle comptait faire en sorte que son IPA fût sur le marché de l’Europe septentrionale dans un délais de trois à quatre mois ;

–        sa capacité de production était de 4,5 tonnes d’IPA par an dans le monde entier ;

–        elle était prête à conclure un accord avec Lundbeck.

300    De même, il doit être relevé que, selon ce compte rendu, Lundbeck savait qu’un tel accord pouvait être onéreux et difficile, notamment du point de vue du droit de la concurrence (voir considérants 188 et 1095 de la décision attaquée).

301    Pourtant, Lundbeck a décidé de conclure l’accord Ranbaxy, ce qui démontre qu’elle a pris au sérieux la menace que cette entreprise constituait.

302    Dans ce contexte, il convient de relever que, conformément à la jurisprudence (voir points 101 et 104 ci-dessus), la perception que Lundbeck avait de Ranbaxy est un élément qui peut être pris en considération, bien qu’il ne suffise pas, à lui seul, pour démontrer l’existence d’une concurrence potentielle.

303    En ce qui concerne la possibilité que la perception des requérantes ait été affectée par la réussite d’un « coup de bluff » de la part de Ranbaxy, il convient de relever, tout d’abord, que celles-ci constituaient une entreprise expérimentée, qui avait suivi depuis longtemps les démarches des entreprises de génériques concernant le citalopram (voir, notamment, considérants 172 à 183 de la décision attaquée).

304    À l’égard de Ranbaxy en particulier, le suivi de la part des requérantes avait été particulièrement attentif, dès lors que, entre janvier et juillet 2001, elles avaient eu des contacts fréquents, dans le but affiché d’explorer la possibilité d’utiliser le citalopram de Ranbaxy, alors qu’il s’agissait en réalité d’une stratégie dilatoire de leur part (voir considérants 549 à 552 de la décision attaquée). De plus, au mois de mai 2002, les requérantes ont appris que Ranbaxy avait introduit en Inde deux demandes de brevet et, après avoir analysé les schémas de réaction de Ranbaxy, elles ont considéré que ces demandes pouvaient être en conflit avec les brevets sur l’amide et sur l’iode (voir considérants 560 à 564 de la décision attaquée).

305    Même à la suite de la signature de l’accord Ranbaxy, les requérantes ne se sont jamais plaintes d’avoir été victimes d’une ruse, mais, comme cela résulte du considérant 206 de la décision attaquée, se sont réjouies, au mois de décembre 2002, d’avoir obtenu le report du lancement du citalopram générique, attendu pour le premier trimestre de 2002, ce qui créait des conditions positives pour le développement des ventes de leur nouveau médicament, le Cipralex (voir point 22 ci-dessus). Elles ont même voulu proroger cet accord jusqu’au 31 décembre 2003 par la signature d’un addendum, le 19 février 2003. Or, en l’absence de toute preuve à cette fin, il n’est pas crédible que Ranbaxy ait pu leurrer Lundbeck à deux reprises, pendant une aussi longue période.

306    Par ailleurs, ainsi que cela résulte notamment du considérant 1105 de la décision attaquée, avant et après la conclusion de l’accord Ranbaxy, cette entreprise a soutenu auprès de tiers que ses procédés ne violaient pas les nouveaux brevets de Lundbeck. En particulier, aux considérants 554, 557 et 1093 de la décision attaquée, la Commission a constaté que Ranbaxy avait eu des contacts avec Arrow, d’abord en janvier, puis en avril 2002, qui se sont terminés par une offre concrète en faveur de cette dernière, portant sur la vente de 500 à 1 000 kg d’IPA. Or, il n’est pas crédible que Ranbaxy ait délibérément donné de fausses informations à ses clients potentiels dans le but de les convaincre d’acheter son IPA. En effet, un tel comportement l’aurait exposée à des actions en dommages-intérêts de la part de ces clients. De plus, un de ceux-ci avait reçu de la part de Ranbaxy toute la documentation nécessaire pour étayer le fait que ses procédés n’étaient pas infractionnels.

307    Le fait que Ranbaxy n’était pas en train de jouer un « coup de bluff » aux requérantes est également confirmé par d’autres éléments de preuve que la Commission a mis en avant dans la décision attaquée.

308    Ainsi, premièrement, il convient de rappeler que, ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 1091 de la décision attaquée, Ranbaxy avait déjà commencé à développer un procédé pour produire du citalopram en janvier 2001. Il résulte du document cité aux considérants 552 et 1091 de la décision attaquée que, lorsque, en juillet 2001, Lundbeck a informé Ranbaxy qu’elle ne souhaitait pas acheter les 400 kg d’IPA que cette dernière lui avait proposés, elle en était particulièrement déçue au motif que, pendant toute la période précédente, au cours de laquelle Lundbeck lui avait fait croire avoir un intérêt pour son IPA, elle avait délibérément renoncé à d’autres possibilités qui se présentaient.

309    Deuxièmement, aux considérants 566 et 1092 de la décision attaquée, la Commission a retenu, tout d’abord, que Ranbaxy avait fourni des données techniques concernant son IPA à un client potentiel en Italie au mois de décembre 2001, suivies, au premier semestre de 2002, par l’envoi de 16 kg d’IPA. Ensuite, en janvier 2002, un client potentiel en France avait également reçu des données techniques. Ensuite, en 2002, Ranbaxy avait envoyé une petite quantité d’IPA à un client potentiel suédois.

310    Troisièmement, il doit être observé que, comme la Commission l’a mis en avant au considérant 584 de la décision attaquée, en juillet 2002, Ranbaxy a vendu une petite quantité de son IPA au client italien avec lequel elle avait été en contact quelques mois plus tôt. Or, si Ranbaxy était en mesure de vendre une petite quantité d’IPA juste après la conclusion de l’accord Ranbaxy, force est de constater qu’elle disposait à tout le moins de possibilités réelles et concrètes de le faire auparavant.

311    Enfin, il y a lieu de noter que, même après que les requérantes avaient examiné ses schémas de réaction, Ranbaxy a décidé de déposer son DMF auprès des autorités du Royaume-Uni compétentes et a ensuite demandé une AMM. Or, de telles démarches n’auraient pas été entreprises si, à la suite dudit examen, il avait été conclu que le procédé utilisé par Ranbaxy pour produire son IPA violait les brevets sur l’amide et sur l’iode.

312    En deuxième lieu, s’agissant de l’argument des requérantes relatif au délai nécessaire pour obtenir une AMM, il y a lieu de rappeler les considérations exposées aux points 171, 177 et 178 ci-dessus ainsi que les éléments relatifs aux délais annoncés par Ranbaxy lors de la réunion du 17 avril 2002 (voir point 299, troisième et quatrième tirets, ci‑dessus).

313    En effet, dès lors que, d’une part, les démarches qu’une entreprise de génériques telle que Ranbaxy accomplit pour préparer son entrée sur le marché avec du citalopram générique, y compris en ce qui concerne le processus nécessaire pour obtenir des AMM, sont pertinentes aux fins de l’appréciation de la concurrence potentielle et, d’autre part, ces démarches ont été prises au sérieux par Lundbeck, il importe peu de savoir si les procédures nécessaires pour que ces AMM soient concédées pouvaient aboutir dans les délais envisagés par Ranbaxy ou plus tard.

314    Il convient de préciser que, si l’aboutissement de la procédure pour obtenir une AMM est indispensable pour que de la concurrence effective puisse exister, le cheminement pour y parvenir, lorsqu’il est entamé par une entreprise étant depuis longtemps en train de préparer sérieusement son entrée sur le marché, relève de la concurrence potentielle, bien qu’il puisse en réalité requérir une période plus étendue que celle envisagée par les intéressés.

315    À cet égard, à supposer même que Ranbaxy ait sous-estimé la durée de la période nécessaire pour obtenir une AMM, premièrement, il convient de noter que Lundbeck a néanmoins ressenti une pression concurrentielle, au point qu’elle a cru être dans son intérêt de payer celle-ci pour limiter, voire exclure, son accès au marché pendant la durée de l’accord Ranbaxy.

316    Deuxièmement, ce paiement a forcément rendu moins pressant le besoin pour Ranbaxy d’accélérer au maximum la procédure pour la délivrance d’une AMM, dès lors que, par la conclusion de l’accord Ranbaxy, elle s’était garanti des bénéfices importants à son échelle, en contrepartie de cette limitation ou exclusion. Le fait que, en raison d’un « reformatage » du dossier, elle ait déposé sa demande d’AMM en août 2002, alors que, selon les constatations de la Commission figurant dans la note en bas de page no 1887 de la décision attaquée, tous les résultats des tests pertinents avaient été transmis depuis l’Inde en juin, confirme qu’elle n’était plus particulièrement pressée d’obtenir une AMM, après la conclusion de l’accord conclu avec Lundbeck.

317    En tout état de cause, il convient de relever tout d’abord que, selon l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2001/83, les États membres prennent toutes les dispositions utiles pour que la durée de la procédure pour l’octroi d’une AMM n’excède pas un délai de 210 jours à compter de la présentation d’une demande valide. Ainsi, dans l’hypothèse où Ranbaxy aurait présenté une demande contenant toutes les précisions nécessaires, les autorités compétentes auraient dû la traiter dans un délai même plus bref que celui de huit mois mentionné dans le compte rendu de la réunion du 17 avril 2002.

318    Certes, le délai de 210 jours prévu par l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2001/83 est suspendu lorsque l’autorité compétente considère qu’une demande n’est pas valable et invite l’entreprise concernée à lui soumettre des informations complémentaires.

319    Cependant, lorsqu’elle a rédigé le compte rendu de la réunion du 17 avril 2002, Lundbeck n’a pas inséré de remarque pour indiquer que le délai de huit mois envisagé par Ranbaxy n’était pas réaliste, mais a uniquement noté qu’un accord pourrait coûter de l’ordre de 10 à 20 millions de USD, voire plus (considérant 1095 de la décision attaquée).

320    Il s’ensuit que Ranbaxy disposait d’une possibilité réelle et concrète d’obtenir une AMM pendant la durée de l’accord Ranbaxy, ce qui suffisait, dans les circonstances de l’espèce, pour exercer une pression concurrentielle sur Lundbeck.

321    Ensuite, il doit être rappelé que, selon le compte rendu du 17 avril 2002, Ranbaxy avait la possibilité d’acheter une AMM existante ou de vendre son IPA à une entreprise de génériques disposant déjà d’une AMM, ces deux options nécessitant cependant que ces AMM soient soumises à une modification de type II.

322    Il y a lieu de constater que, ainsi que cela a été relevé aux points 306 et 309 ci‑dessus, avant de conclure l’accord avec Lundbeck, Ranbaxy avait effectué plusieurs démarches pour vendre son IPA, et non pour vendre des produits finis réalisés à partir de celui-ci. Le fait que la vente de produits finis puisse avoir été plus rentable n’empêche pas de considérer que la vente de son IPA était une possibilité réelle et concrète pour Ranbaxy de concurrencer Lundbeck, ainsi que cela avait été mentionné dans le compte rendu de la réunion du 17 avril 2002.

323    Enfin, ainsi que la Commission l’a mis en avant dans la note en bas de page no 1885 de la décision attaquée, le délai de trois à quatre mois mentionné dans le compte rendu du 17 avril 2002 est compatible avec les statistiques de l’autorité du Royaume-Uni compétente concernant la durée des procédures ayant trait à des modifications de type II, que la Commission a produites devant le Tribunal, dont il découle que, entre mars 2001 et février 2002, la plupart de ces procédures étaient menées à bien dans une période de 90 jours.

324    À cet égard, il est certes vrai que, comme cela résulte des explications introductives de ces statistiques, ladite période a été calculée à partir du dépôt d’une demande complète, sans tenir compte des suspensions dues à des demandes d’informations supplémentaires. Toutefois, ainsi que la Commission l’a mis en évidence en réponse à une question du Tribunal, l’autorité du Royaume-Uni compétente a confirmé que, pendant la période visée par les statistiques en cause, 50 % des demandes de modifications de type II soumises avaient été traitées dans un délai maximal de 90 jours. En effet, dans 40 % des cas, aucune demande d’informations supplémentaires n’avait été émise et, dans 10 % des cas, l’envoi d’une telle demande n’a pas rallongé la procédure au-delà dudit délai.

325    Ces statistiques confirment donc qu’il existait une possibilité réelle et concrète de modifier une AMM existante afin qu’elle visât le citalopram produit selon les procédés de Ranbaxy dans un délai de l’ordre de celui mentionné dans le compte rendu de la réunion du 17 avril 2002, dès lors que la demande de modification pouvait rentrer dans l’une des hypothèses visées au point 324 ci‑dessus.

326    Par ailleurs, il doit être noté que, si les explications fournies par l’autorité du Royaume-Uni compétente datent d’après la signature de l’accord Ranbaxy et même d’après l’adoption de la décision attaquée, étant donné qu’elles ont été établies aux fins de la procédure devant le Tribunal, elles se réfèrent à la situation qui prévalait à l’époque des négociations menées en vue de la conclusion de l’accord Ranbaxy et apportent des précisions en ce qui concerne l’interprétation d’éléments figurant dans la décision attaquée. Ainsi, ces explications peuvent être prises en considération aux conditions visées aux points 138 à 141 ci‑dessus.

327    En troisième lieu, s’agissant du fait que Ranbaxy a déclaré que, pendant la durée de l’accord Ranbaxy, elle n’avait pas vendu de citalopram ni en Europe, ni dans le monde entier après juin 2002 (voir considérant 577 de la décision attaquée), il y a lieu de relever qu’il ne s’agit pas d’une circonstance pertinente pour évaluer la concurrence potentielle dans l’EEE au moment de la conclusion dudit accord. En effet, l’absence de ventes effectuées par Ranbaxy également en dehors de l’EEE démontre tout au plus que cette entreprise n’était pas un concurrent effectif de Lundbeck en dehors de l’EEE, mais n’a aucune incidence sur l’existence d’une relation de concurrence potentielle, que ce soit dans l’EEE ou en dehors de ce territoire. Par ailleurs, il doit être relevé que la Commission n’était aucunement tenue d’examiner la concurrence potentielle en dehors de l’EEE.

328    En quatrième lieu, en ce qui concerne l’argument des requérantes relatif au fait que, en janvier 2004, Ranbaxy leur a demandé une licence portant sur le brevet sur l’iode, concédé le 23 mars 2003, il convient de relever que cette circonstance ne signifie pas qu’elle ne disposait pas de possibilités réelles et concrètes d’intégrer le marché avec ses produits avant 2004. En effet, une demande de licence peut être motivée par plusieurs raisons distinctes, telles que celles d’éviter toute action en contrefaçon. Ranbaxy pouvait estimer que les requérantes auraient accepté de lui concéder une licence à un prix réduit, ce qui lui aurait permis de se prémunir, à faible coût, de tout risque de violation potentielle du brevet sur l’iode. Dès lors, l’accord de licence invoqué par les requérantes n’est pas déterminant pour la question de savoir si elles étaient des concurrents potentiels de Ranbaxy lors de la conclusion de l’accord Ranbaxy.

329    En cinquième lieu, il y a lieu de relever, à l’instar des requérantes, que la décision attaquée ne semble contenir aucune référence à l’existence de doutes quant à la validité des brevets sur l’amide et sur l’iode. Cependant, mis à part le fait que le brevet sur l’iode n’avait pas encore été concédé lors de la conclusion de l’accord Ranbaxy, si bien qu’il ne pouvait pas être utilisé comme fondement d’une action en contrefaçon, il convient de noter que l’évaluation de la concurrence potentielle entre Lundbeck et Ranbaxy effectuée dans la décision attaquée se fonde davantage sur les preuves démontrant que Ranbaxy se préparait à entrer sur le marché au motif qu’elle considérait que son procédé n’était pas infractionnel, plutôt que sur la possibilité d’obtenir l’annulation des brevets de Lundbeck susceptibles d’être contrefaits.

330    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la neuvième branche, ainsi que le premier moyen dans son ensemble.

II –  Sur les deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième moyens, tirés, en substance, d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE

331    Avant d’examiner les arguments des requérantes relatifs au contenu, à la finalité et au contexte des accords litigieux, il convient d’effectuer un bref rappel de l’approche suivie par la Commission dans la décision attaquée pour qualifier en l’espèce les accords litigieux de restriction de la concurrence par objet ainsi que de la jurisprudence pertinente.

A –  Analyse relative à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet dans la décision attaquée

332    La Commission a considéré, dans la décision attaquée, que les accords litigieux constituaient une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en se fondant, à cet égard, sur un ensemble de facteurs relatifs au contenu, au contexte et à la finalité desdits accords (points 61 à 67 ci‑dessus).

333    Elle a estimé, ainsi, qu’un élément important du contexte économique et juridique dans lequel les accords litigieux avaient été conclus résidait dans le fait que les brevets originaires de Lundbeck avaient expiré avant la conclusion des accords litigieux, mais que celle-ci avait obtenu – ou était sur le point d’obtenir – plusieurs brevets de procédé au moment où ces accords avaient été conclus, dont le brevet sur la cristallisation. La Commission a considéré, cependant, qu’un brevet n’octroyait pas le droit de limiter l’autonomie commerciale des parties en allant au-delà des droits qui étaient conférés par celui-ci (considérant 638 de la décision attaquée).

334    Elle a considéré, dès lors, que, si tous les accords à l’amiable en matière de brevets n’étaient pas nécessairement problématiques au regard du droit de la concurrence, tel était le cas lorsque de tels accords prévoyaient une exclusion du marché d’une des parties, qui était à tout le moins un concurrent potentiel de l’autre partie, pendant une durée déterminée, et lorsqu’ils étaient accompagnés d’un transfert de valeur du titulaire du brevet en faveur de l’entreprise de génériques susceptible de violer ce brevet (ci-après le « paiement inversé ») (considérants 639 et 640 de la décision attaquée).

335    Il ressort également de la décision attaquée que, même si les restrictions prévues par les accords litigieux entraient dans le champ d’application des brevets de Lundbeck, c’est-à-dire que ces accords empêchaient uniquement l’entrée sur le marché d’un citalopram générique jugé par les parties aux accords comme contrefaisant potentiellement ces brevets et non celle de tout type de citalopram générique, ceux-ci seraient malgré tout restrictifs de la concurrence par objet, dans la mesure notamment où ils avaient empêché ou rendu inutile tout type de contestation des brevets de Lundbeck devant les juridictions nationales, alors même que, selon la Commission, ce type de contestation faisait partie du jeu normal de la concurrence en matière de brevets (considérants 603 à 605, 625, 641 et 674 de la décision attaquée).

336    En d’autres termes, selon la Commission, les accords litigieux auraient transformé l’incertitude quant à l’issue de telles actions contentieuses en certitude que les génériques n’entreraient pas sur le marché, ce qui pouvait également constituer une restriction de la concurrence par objet lorsque de telles limitations ne résultaient pas d’une analyse, par les parties, des mérites du droit exclusif en cause, mais plutôt de l’importance du paiement inversé qui, dans un tel cas, éclipsait cette évaluation et incitait l’entreprise de génériques à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché (considérant 641 de la décision attaquée).

337    C’est à l’aune de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner les arguments des requérantes visant à remettre en cause l’existence d’une restriction par objet en l’espèce.

B –  Principes et jurisprudence applicables

338    Il convient de rappeler que l’article 101, paragraphe 1, TFUE prévoit que « [s]ont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées […] qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur […] et notamment ceux qui consistent à :

a)      fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction,

b)      limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,

c)      répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement,

d)      appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

e)      subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats. »

339    À cet égard, il ressort de la jurisprudence que certains types de coordination entre entreprises révèlent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (arrêt CB/Commission, point 78 supra, EU:C:2014:2204, point 49 ; voir également, en ce sens, arrêts du 30 juin 1966, LTM, 56/65, Rec, EU:C:1966:38, p. 359 et 360, et du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, Rec, EU:C:2013:160, point 34).

340    Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (arrêt CB/Commission, point 78 supra, EU:C:2014:2204, point 50 ; voir également, en ce sens, arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a., point 339 supra, EU:C:2013:160, point 35 et jurisprudence citée).

341    Ainsi, il est acquis que certains comportements collusoires, tels que ceux conduisant à la fixation horizontale des prix par des cartels ou consistant à exclure certains concurrents du marché, peuvent être considérés comme étant tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services qu’il peut être considéré comme inutile, aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de démontrer qu’ils ont des effets concrets sur le marché. En effet, l’expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs (voir arrêt CB/Commission, point 78 supra, EU:C:2014:2204, point 51 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C‑209/07, Rec, ci-après l’« arrêt BIDS », EU:C:2008:643, points 33 et 34).

342    Dans l’hypothèse où l’analyse d’un type de coordination entre entreprises ne présenterait pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, il conviendrait, en revanche, d’en examiner les effets et, pour l’interdire, d’exiger la réunion des éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint, soit faussé de façon sensible (arrêts Allianz Hungária Biztosító e.a., point 339 supra, EU:C:2013:160, point 34, et CB/Commission, point 78 supra, EU:C:2014:2204, point 52).

343    Pour établir le caractère anticoncurrentiel d’un accord et apprécier si celui-ci présente un degré suffisant de nocivité pour être considéré comme une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il convient de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Dans le cadre de l’appréciation dudit contexte, il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (arrêts Allianz Hungária Biztosító e.a., point 339 supra, EU:C:2013:160, point 36, et CB/Commission, point 78 supra, EU:C:2014:2204, point 53).

344    En outre, bien que l’intention des parties ne constitue pas un élément nécessaire pour déterminer le caractère restrictif d’un accord entre entreprises, rien n’interdit aux autorités de la concurrence ou aux juridictions nationales et de l’Union d’en tenir compte (arrêts Allianz Hungária Biztosító e.a., point 339 supra, EU:C:2013:160, point 37, et CB/Commission, point 78 supra, EU:C:2014:2204, point 54).

C –  Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur de droit et de fait et d’un défaut de motivation commis lors de l’évaluation du rôle des transferts de valeur dans les accords litigieux

345    Selon les requérantes, la décision se fourvoie lorsqu’elle considère que le fait de prévoir dans les accords litigieux des paiements de la part de Lundbeck signifie que ces accords avaient un objet anticoncurrentiel, au motif que ces paiements témoignaient du fait que les restrictions contenues dans chacun desdits accords ne correspondaient pas aux appréciations des parties concernant la force des brevets pertinents et la violation de ceux-ci (première branche). En outre, la décision se méprendrait en ce qu’elle conclut que les restrictions contenues dans les accords litigieux réduisaient ou supprimaient les incitations des entreprises de génériques à poursuivre leurs efforts de manière indépendante pour intégrer le marché, même si ces restrictions n’excédaient pas celles qui étaient inhérentes à l’existence des brevets de Lundbeck. La décision n’établirait pas que les paiements effectués par Lundbeck avaient eu cet effet, ni que les restrictions en cause ne concordaient pas avec l’appréciation des parties (deuxième branche). La thèse retenue par la Commission dans la décision attaquée à cet égard serait incohérente et irréaliste et appliquerait un critère juridique impraticable (troisième branche).

1.     Sur la première branche

346    Les requérantes considèrent que la décision se méprend en droit comme en fait lorsqu’elle conclut que les accords litigieux ne reflétaient pas l’appréciation de la force des brevets par les parties.

347    Elles font observer que la décision attaquée constate qu’un accord de règlement amiable est probablement légal lorsqu’il « a été conclu sur la base d’une appréciation contradictoire par chaque partie de l’état des brevets » (considérant 604), mais que les restrictions prévues dans le cadre d’un règlement amiable « sont susceptibles de violer l’article 101 [TFUE] lorsque ces limitations sont injustifiables et ne découlent pas de l’appréciation par les parties des qualités du droit exclusif proprement dit » (considérant 641). Or, la constatation par la décision attaquée selon laquelle les accords litigieux ne reflétaient pas l’appréciation de la force des brevets par les parties, d’une part, ne serait étayée par aucune preuve écrite témoignant de la défiance des parties à l’égard de la force des brevets en cause et, d’autre part, reposerait sur la présomption arbitraire selon laquelle les transferts de valeur impliquaient que les restrictions contenues dans ces accords ne concordaient pas avec l’idée que se faisaient les parties de la force desdits brevets.

348    La Commission conteste ces arguments.

349    Il convient de rappeler que la Commission a considéré, dans la décision attaquée, que le fait que les restrictions contenues dans les accords litigieux avaient été obtenues au moyen de paiements inversés importants constituait un élément décisif pour l’appréciation juridique de ces accords (considérant 660 de la décision attaquée).

350    La décision attaquée reconnaît néanmoins que l’existence d’un paiement inversé dans le cadre d’un règlement à l’amiable en matière de brevets n’est pas toujours problématique, notamment lorsque ce paiement est lié à la force du brevet, telle que perçue par chacune des parties, qu’il est nécessaire pour trouver une solution acceptable et légitime aux yeux des deux parties et qu’il n’est pas accompagné de restrictions visant à retarder l’entrée des génériques sur le marché (considérants 638 et 639 de la décision attaquée). Elle a ainsi pris l’exemple de Neolab, avec laquelle Lundbeck avait également conclu un accord à l’amiable, qui n’avait pas été considéré comme problématique, alors même qu’il avait impliqué un paiement inversé, dès lors que ce paiement au profit de Neolab avait eu lieu en échange d’un engagement de la part de celle-ci de ne pas demander de dommages-intérêts devant les juridictions compétentes et que Lundbeck avait renoncé à faire valoir toute revendication en matière de brevets pendant une certaine période (considérants 164 et 639 de la décision attaquée). Dans un tel cas, toutefois, le paiement inversé avait effectivement eu pour objet de régler un litige entre les parties, sans pour autant retarder l’entrée des génériques sur le marché.

351    S’il est vrai, comme le font valoir les requérantes, que, dans le cas de Neolab, il y avait également eu un premier règlement amiable entre les parties prévoyant de retarder l’entrée de Neolab sur le marché, en attendant l’issue du litige Lagap, un tel règlement n’était pas lui-même accompagné d’un transfert de valeur et était conditionné à ce que Lundbeck versât des dommages-intérêts à Neolab en cas de jugement défavorable dans le cadre de ce litige. Après que Lundbeck eut finalement décidé de régler son litige avec Lagap à l’amiable, Neolab avait toujours conservé un intérêt à recevoir des dommages-intérêts en obtenant l’invalidité du brevet de Lundbeck. C’est dans ce contexte que Lundbeck a préféré régler son litige avec Neolab à l’amiable également, en acceptant de lui payer les dommages-intérêts encourus pour l’année où elle s’était retirée du marché et en s’engageant à ne pas faire valoir de revendications en matière de brevets en cas d’entrée sur le marché de celle-ci (considérant 164 de la décision attaquée). Ce dernier engagement est donc crucial, puisque, contrairement aux accords litigieux en l’espèce, le paiement inversé effectué par Lunbeck ne constituait pas la contrepartie d’une exclusion du marché, mais s’accompagnait au contraire d’une acceptation de non-contrefaçon et d’un engagement de ne pas entraver l’entrée sur le marché de Neolab avec ses génériques.

352    En revanche, lorsqu’un paiement inversé est combiné à une exclusion du marché de concurrents ou à une limitation des éléments incitatifs à ce qu’une telle entrée se produise, la Commission a estimé à juste titre qu’il était possible de considérer qu’une telle limitation ne découlait pas exclusivement de l’appréciation de la force des brevets par les parties, mais qu’elle était obtenue par le biais d’un tel paiement (considérant 604 de la décision attaquée), s’apparentant, de ce fait, à un rachat de concurrence.

353    En effet, l’importance d’un paiement inversé peut constituer une indication de la force ou de la faiblesse d’un brevet, telle que perçue par les parties aux accords au moment de conclure ceux-ci et du fait que le laboratoire de princeps n’était pas intimement convaincu de ses chances de succès en cas de litige. Dans le même sens, la Supreme Court of the United States (Cour suprême des États-Unis) a également considéré que la présence d’un paiement inversé important dans un accord de règlement amiable en matière de brevets pouvait constituer un substitut praticable pour la faiblesse d’un brevet, sans qu’une juridiction doive procéder elle-même à un examen approfondi de la validité de ce brevet [arrêt de la Supreme Court of the United States du 17 juin 2013, Federal Trade Commission v. Actavis, 570 U.S. (2013), ci-après l’« arrêt Actavis »]. Les requérantes, citant le considérant 640 de la décision attaquée dans leurs plaidoiries écrites, semblent reconnaître d’ailleurs que, plus le laboratoire de princeps estime que ses chances d’avoir un brevet révoqué ou non enfreint sont élevées et plus le dommage résultant d’une entrée des génériques sur le marché est élevé, plus ce laboratoire sera enclin à verser des sommes importantes aux entreprises de génériques afin d’éviter ce risque.

354    Il convient de souligner, à cet égard, que la Commission n’a pas établi, dans la décision attaquée, que tous les règlements amiables en matière de brevets contenant des paiements inversés étaient contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, mais uniquement que le caractère disproportionné de tels paiements, combiné à plusieurs autres facteurs, tels que le fait que les montants de ces paiements semblaient correspondre au moins aux profits escomptés par les entreprises de génériques en cas d’entrée sur le marché, l’absence de clauses permettant aux entreprises de génériques de lancer leurs produits sur le marché à l’expiration des accords sans avoir à craindre des actions en contrefaçon de la part de Lundbeck, ou encore la présence, dans ces accords, de restrictions allant au-delà de la portée des brevets de Lundbeck, permettait de conclure que les accords litigieux avaient pour objet de restreindre la concurrence par objet, au sens de cette disposition, en l’espèce (voir considérants 661 et 662 de la décision attaquée).

355    Il y a lieu de constater, dès lors, que c’est sans commettre d’erreur que la Commission a considéré, dans la décision attaquée, que l’existence-même de paiements inversés et le caractère disproportionné de ceux-ci étaient des éléments pertinents afin d’établir que les accords litigieux constituaient des infractions de la concurrence « par objet » au sens de l’article 101 TFUE en ce que, par ces paiements, le laboratoire de princeps a incité les entreprises de génériques à ne plus poursuivre leurs effort indépendants pour entrer sur le marché.

356    Aucun des arguments des requérantes n’est de nature à remettre en cause cette conclusion.

357    Les requérantes font valoir, en premier lieu, que la décision attaquée n’établit pas que les accords litigieux ne reflétaient pas l’appréciation de la force des brevets des parties. La décision attaquée renverrait à une lecture littérale des clauses spécifiques des accords litigieux et à des déclarations isolées de Lundbeck et des entreprises de génériques au sujet de l’éventuelle nullité ou de l’éventuelle non-violation du brevet sur la cristallisation, et en conclurait que les parties n’étaient pas parvenues à un accord en se fondant sur la force des brevets. Or, ces clauses et ces déclarations, qui seraient les seuls indices écrits figurant dans la décision, ne permettraient pas de démontrer que les parties doutaient de la force des brevets de Lundbeck.

358    Les requérantes ne contestent pas cependant que les paiements prévus dans les accords litigieux ont représenté une « contrepartie » et étaient « liés aux » engagements pris par les entreprises de génériques de s’abstenir de lancer du citalopram violant les brevets de Lundbeck. Elles ne nient pas non plus que les paiements aient pu représenter une incitation supplémentaire pour les entreprises de génériques à trouver un accord. Néanmoins, selon elles, une simple contrepartie ou un simple lien ne prouve pas que les paiements ont « éclipsé » l’appréciation de la valeur des brevets par les parties aux accords litigieux d’une façon telle que « le résultat de l’exclusion du marché [a été] obtenu, non pas par la force du brevet, mais par le montant du transfert de valeur » (considérants 604 et 641 de la décision attaquée).

359    Il suffit de constater qu’un tel argument est inopérant dans la mesure où il repose sur une lecture erronée de la décision attaquée.

360    En effet, la Commission n’a pas considéré, dans la décision attaquée, que seuls les règlements amiables reposant « exclusivement » sur l’appréciation de la force des brevets par les parties échappaient à l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Elle a estimé, en revanche, en tenant compte d’une série de facteurs à cet égard (voir point 354 ci-dessus), que, lorsque de tels accords contenaient des paiements inversés importants, qui réduisaient ou éliminaient toute incitation pour les entreprises de génériques à entrer sur le marché pendant une certaine période, sans pour autant résoudre le litige sous-jacent en matière de brevets, de tels accords tombaient dans le champ d’application de cette disposition (considérant 604 de la décision attaquée). En effet, dans un tel cas, le transfert de valeur se substitue à l’appréciation autonome, par les parties, de la force des brevets du laboratoire de princeps et à l’évaluation de leurs chances d’obtenir gain de cause en cas de litige éventuel fondé sur ces brevets ou portant sur la validité de ceux-ci (voir point 353 ci‑dessus).

361    Or, premièrement, en l’espèce, il convient de rappeler, à l’instar de la Commission, que les parties aux accords litigieux étaient en désaccord sur la question de savoir si les brevets de Lundbeck étaient suffisamment solides pour exclure une entrée du citalopram générique sur le marché, de sorte que ces brevets ne sauraient avoir été décisifs pour que les entreprises de génériques s’engagent à ne pas entrer sur le marché. Les paiements ont ainsi servi d’élément déclencheur pour parvenir à un accord (dealclincher) et ont été déterminants pour convaincre les entreprises de génériques de cesser leurs efforts pour entrer sur le marché.

362    Deuxièmement, les requérantes ne contestent pas que les montants qu’elles ont versés aux entreprises de génériques aient pu être calculés en prenant comme base les profits ou le chiffre d’affaires que ces dernières espéraient obtenir pendant la durée des accords litigieux si elles étaient entrées sur le marché, ce qui constitue un indice important à cet égard. Lors de l’audience, les requérantes ont fait valoir qu’un tel calcul avait uniquement pu être effectué par les entreprises de génériques et non par elles-mêmes, ce qui ne change rien à ce constat.

363    Troisièmement, les éléments de preuve concernant la période précédant la conclusion des accords litigieux démontrent que les entreprises de génériques avaient réalisé des efforts considérables pour préparer leur entrée sur le marché et qu’elles n’avaient pas l’intention de renoncer à ces efforts en raison des brevets de Lundbeck. Certes, il existait une incertitude sur la question de savoir si leurs produits seraient éventuellement déclarés contrefaisants par une juridiction compétente. La décision attaquée démontre, toutefois, que les entreprises de génériques disposaient de chances réelles d’obtenir gain de cause en cas de litige (voir point 122 ci-dessus et considérants 75 et 76 de la décision attaquée). Dès lors, en concluant les accords litigieux, les requérantes ont échangé cette incertitude par la certitude que les entreprises de génériques n’entreraient pas sur le marché, moyennant des paiements inversés importants (considérant 604 de la décision attaquée), éliminant de ce fait toute concurrence, même potentielle, sur le marché, pendant la durée de ceux‑ci.

364    En deuxième lieu, les requérantes estiment que la décision attaquée ne montre pas en quoi l’existence d’un transfert de valeur indique que les restrictions ne concordaient pas avec l’appréciation par les parties de la force des brevets en cause. Selon elles, la décision attaquée se fonde sur l’existence de paiements de leur part au profit des entreprises de génériques pour présumer l’existence de doutes quant à la validité des brevets pertinents ou à la violation de ceux-ci. Il serait erroné d’affirmer que « plus l’entreprise de princeps estime que son brevet est probablement nul ou non violé […], plus la somme qu’elle est disposée à verser au fabricant de génériques afin d’éluder un tel risque est importante » (considérant 640 de la décision attaquée). Partant, la décision attaquée violerait les règles applicables en matière de preuve, qui imposent à la Commission de réfuter toutes les explications pour les transferts de valeur autres que la concertation anticoncurrentielle.

365    Les requérantes font valoir qu’une présomption économique, comme celle dont se prévaudrait la Commission dans la décision attaquée, ne peut être admise que si elle repose sur des fondements empiriques et théoriques robustes et que la Commission ne peut exciper d’une présomption insuffisamment claire que si elle a prouvé qu’il s’agissait de la seule explication plausible. Cette norme devrait s’appliquer par analogie à l’inférence selon laquelle un paiement inversé figurant dans un règlement amiable implique que les parties doutaient de la force du brevet pertinent.

366    Force est de constater à cet égard que, conformément à la jurisprudence mentionnée aux points 105 à 112 ci-dessus, en l’espèce, la Commission s’est fondée sur un ensemble d’éléments de preuve dans la décision attaquée tendant à démontrer que c’est principalement l’importance des paiements inversés en faveur des entreprises de génériques qui avait incité celles-ci à accepter les limitations régissant leur conduite et non l’existence des brevets de procédé de Lundbeck ou encore la volonté d’éviter les frais liés à un éventuel litige (voir notamment considérants 255 et 748 de la décision attaquée et points 354 et 363 ci-dessus). S’agissant de Merck (GUK), par exemple, la décision attaquée démontre que ces montants correspondaient aux bénéfices qu’elle comptait réaliser en entrant sur le marché, sans qu’elle ait à poursuivre ses efforts et à assumer les risques d’une telle entrée (considérants 350, 809 et 862 de la décision attaquée). Des considérations analogues figurent aux considérants 398, 460, 1071 et 1157 de la décision attaquée en ce qui concerne Arrow, Alpharma et Ranbaxy.

367    En outre, dans leurs plaidoires, les requérantes elles-mêmes citent le considérant 640 de la décision attaquée (point 353 ci-dessus), où la Commission a constaté que l’importance d’un paiement inversé est souvent liée au risque, tel que perçu par le laboratoire de princeps, d’obtenir un jugement constatant l’invalidité de son brevet ou le caractère non contrefaisant des produits génériques ainsi que du dommage résultant pour lui d’une entrée de ces produits sur le marché. Les requérantes ne contestent pas non plus que les paiements inversés représentaient une contrepartie aux engagements pris par les entreprises de génériques de s’abstenir d’entrer sur le marché avec du citalopram générique dont elles estimaient qu’il enfreignait leurs brevets, ni que ces paiements aient pu représenter une incitation supplémentaire pour les entreprises de génériques à conclure les accords litigieux.

368    Du reste, les preuves contemporaines aux accords litigieux montrent que les requérantes avaient l’intention d’utiliser « une grosse pile de [USD] » pour exclure les génériques du marché (considérant 131 de la décision attaquée) alors qu’elles doutaient de la validité de leurs brevets et de leurs chances de l’emporter en cas de litige devant une juridiction (considérant 149 de la décision attaquée et point 126 ci‑dessus).

369    En tout état de cause, la Commission n’était pas tenue de démontrer, de manière irréfutable, que les requérantes doutaient de la validité de leurs brevets afin d’établir l’existence d’une infraction par objet en l’espèce, puisque les éléments de preuves figurant dans la décision attaquée démontrent que les entreprises de génériques étaient confiantes, quant à elles, de leurs chances de pouvoir entrer sur le marché dans un délai suffisamment court, soit en résistant aux allégations de contrefaçon émanant des requérantes, soit en contestant la validité de leurs brevets, en cas de litige (voir le premier moyen ci-dessus). Ce qui importe donc est qu’il existait une incertitude, au moment de conclure les accords litigieux, quant à la possibilité, pour les entreprises de génériques, d’entrer sur le marché sans faire l’objet d’injonctions ou d’actions en contrefaçon ou de contester avec succès la validité des brevets des requérantes, et que ces accords avaient subsitué à cette incertitude, moyennant des paiements inversés importants, la certitude que les entreprises de génériques n’entreraient pas sur le marché pendant la durée des accords litigieux (points 336 et 363 ci‑dessus).

370    En troisième lieu, les requérantes considèrent que la décision attaquée ne réfute pas les autres explications des transferts de valeur et rappellent que, dans leur réponse à la communication des griefs, elles ont fait valoir que les paiements en cause témoignaient de la pression qu’elles subissaient de la part des entreprises de génériques en raison de l’asymétrie entre les risques supportés par elles et par ces entreprises. En effet, les requérantes auraient risqué de subir un préjudice considérable et irréversible du fait de la contrefaçon commise par les entreprises de génériques, alors que ces dernières se seraient exposées à un risque faible, voire inexistant. Cette asymétrie expliquerait pourquoi les requérantes ont accepté de prévoir des paiements inversés à leur charge dans les accords litigieux. Ce problème de « chantage » transparaîtrait dans chacun des accords identifiés dans la communication des griefs.

371    La décision attaquée, notamment au considérant 644, reconnaîtrait l’existence de cette asymétrie des risques, en affirmant que le profit que retirerait une entreprise de génériques en entrant sur le marché serait inférieur, voire très inférieur, aux pertes que le laboratoire de princeps subirait probablement dans l’hypothèse d’une entrée des médicaments génériques sur le marché. En outre, les dommages-intérêts auxquels pourraient être condamnées les entreprises de génériques seraient eux aussi très inférieurs aux dommages-intérêts potentiels probables et ne représenteraient qu’une fraction du préjudice causé au laboratoire de princeps par l’entrée illicite des entreprises de génériques. En effet, dans certains cas, les entreprises de génériques n’auraient à réparer aucun des préjudices irréversibles causés par leur entrée illicite. Du reste, les niveaux des prix ou des remboursements, fixés par les pouvoirs publics, pourraient être abaissés automatiquement à compter de l’entrée de versions génériques sur le marché, indépendamment du point de savoir si ceux-ci violent ou non des brevets valides. Le montant des frais liés aux multiples litiges en matière de brevets serait également extrêmement élevé.

372    Ce serait donc cette asymétrie des risques que les entreprises de génériques auraient exploitée en faisant accroire qu’elles s’apprêtaient à vendre leurs produits contrefaisants et qui leur avait donné la puissance nécessaire pour extorquer à Lundbeck des paiements. Tant la littérature économique que la décision attaquée, au considérant 640 notamment, reconnaîtraient également que plus le laboratoire de princeps estimait que le préjudice causé par une entrée des entreprises de génériques sur le marché était élevé, plus la somme qu’il était disposé à verser à ces entreprises afin d’éluder un tel risque était importante.

373    Dès lors, selon les requérantes, dans la décision attaquée, la Commission se méprend lorsqu’elle présume que seule l’appréciation de la force d’un brevet par une entreprise de génériques détermine sa motivation à lancer un médicament, alors qu’une telle appréciation ne représente qu’un critère parmi d’autres critères pertinents pour la décision de procéder au lancement et peut ne pas se révéler pertinente lorsque les entreprises de génériques espèrent pouvoir tirer profit d’une contrefaçon.

374    Par conséquent, à défaut de lien entre les versements et la perception subjective qu’avaient les parties aux accords litigieux de leurs revendications respectives en matière de brevets, la décision attaquée ne serait pas en mesure d’étayer la considération suivant laquelle le paiement avait conduit les entreprises de génériques à accepter des restrictions qu’elles n’auraient pas admises sur la simple base de leur appréciation de la force des brevets, de sorte que le premier lien de causalité sur lequel la décision attaquée fondait sa théorie s’écroulerait et que la conclusion selon laquelle les accords litigieux enfreignaient l’article 101, paragraphe 1, TFUE serait dénuée de fondement.

375    L’intervenante estime également que la Commission aurait dû démontrer qu’il n’existait pas d’autre explication légitime pour le transfert de valeur, en tenant compte, premièrement, du risque de préjudice irréparable pour le titulaire de brevets en cas d’entrée illégale des génériques sur le marché, deuxièmement, de la probabilité de pouvoir obtenir une indemnisation adéquate par voie de dommages-intérêts ou de pouvoir obtenir des mesures provisoires et, troisièmement, des coûts liés au fait de saisir différentes juridictions de demandes multiples, y compris le risque de parvenir à des résultats différents devant des juridictions différentes. La Commission serait tenue de démontrer, dès lors, pourquoi l’existence d’un transfert de valeur transforme un règlement amiable légal en un accord horizontal anticoncurrentiel.

376    Il y a lieu de relever que, contrairement à ce qu’avancent les requérantes, la Commission a réfuté, dans la décision attaquée, les autres explications avancées par les requérantes concernant l’existence de paiements inversés dans les accords litigieux, en particulier celles relatives à la « théorie du bluff » et à l’asymétrie des risques.

377    La Commission a ainsi reconnu, dans la décision attaquée, qu’il pouvait être intéressant, d’un point de vue commercial, pour le laboratoire de princeps, de payer les entreprises de génériques afin d’éviter leur entrée sur le marché, au vu des montants qu’il pourrait perdre dans l’hypothèse d’une telle entrée. En outre, ces montants excéderaient probablement les bénéfices que les entreprises de génériques auraient réalisés dans l’hypothèse d’une telle entrée, à supposer que leurs produits n’aient pas été considérés contrefaisants ou qu’elles soient parvenues à obtenir l’invalidité des brevets concernés. Dans un tel cas, toutefois, la Commission a estimé que les consommateurs seraient perdants, puisqu’ils seraient privés de la possibilité de payer des prix plus bas dus à l’entrée des génériques sur le marché (considérant 640 de la décision attaquée).

378    Les requérantes font valoir à cet égard que, dans certains cas, les risques relatifs à une entrée sur le marché seraient très faibles, voire inexistants pour les entreprises de génériques, qui pourraient éviter de se voir adresser des injonctions leur interdisant cette entrée ou de se voir condamner à payer des dommages-intérêts en cas d’entrée illégale, notamment par le biais de montages artificiels tels que le transfert de profits entre des entités juridiques distinctes. La décision attaquée reconnaîtrait, en outre, que les dommages-intérêts auxquels elles pourraient être condamnées seraient souvent largement inférieurs aux dommages subis par le laboratoire de princeps en cas d’entrée illégale sur le marché, du fait de la spirale négative sur les prix induite par une telle entrée (considérants 93 et 645 de la décision attaquée).

379    Certes, l’asymétrie des risques encourus par les entreprises de génériques et le laboratoire de princeps permet en partie d’expliquer les raisons pour lesquelles ce dernier peut être conduit à octroyer des paiements inversés importants afin d’éviter tout risque, même minime, que les génériques puissent entrer sur le marché. Cela est particulièrement le cas lorsque le médicament breveté, comme le Cipramil en l’espèce, constitue le produit phare du laboratoire de princeps, représentant l’essentiel de son chiffre d’affaires (considérants 26 et 120 de la décision attaquée).

380    Il y a lieu de rappeler, cependant, que le fait que l’adoption d’un comportement anticoncurrentiel puisse se révéler être la solution la plus rentable ou la moins risquée pour une entreprise n’exclut aucunement l’application de l’article 101 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 8 juillet 2004, Corus UK/Commission, T‑48/00, Rec, EU:T:2004:219, point 73, et Dalmine/Commission, T‑50/00, Rec, EU:T:2004:220, point 211), en particulier lorsqu’il s’agit de payer des concurrents réels ou potentiels pour qu’ils se tiennent à l’écart du marché et de partager avec ceux-ci les bénéfices résultant de l’absence de médicaments génériques sur ce marché, au détriment des consommateurs, comme en l’espèce.

381    Selon les requérantes, l’asymétrie des risques aurait permis aux entreprises de génériques de procéder à un chantage (ou à un « coup de bluff ») leur permettant d’obtenir des sommes d’argent importantes, en faisant croire qu’elles s’apprêtaient à entrer sur le marché au moyen de produits non contrefaisants.

382    Toutefois, cela ne fait que confirmer la thèse de la Commission selon laquelle il existait une incertitude importante, au moment de conclure les accords litigieux, quant à l’issue de contentieux éventuels en matière de brevets, et que cette incertitude avait été éliminée par le fait que lui avait été substituée la certitude que les entreprises de génériques n’entreraient pas sur le marché pendant la durée de ces accords.

383    Par ailleurs, le fait qu’un paiement inversé puisse constituer le seul moyen de parvenir à un accord en « comblant le fossé » entre les parties à cet accord ne signifie pas qu’un tel paiement constitue un moyen légitime de parvenir à un tel accord ou que cet accord soit soustrait à l’application du droit de la concurrence, en particulier dans des circonstances où le montant de ce paiement semble être lié aux profits escomptés par les entreprises de génériques en cas d’entrée sur le marché, où l’accord ne permet pas de régler le litige sous-jacent en matière de brevets entre les parties et où celui-ci contient des restrictions allant au-delà du champ d’application des brevets du laboratoire de princeps (voir point 354 ci‑dessus et considérants 661 et 662 de la décision attaquée).

384    En outre, si les requérantes étaient tellement convaincues de la validité de leurs brevets et du fait que les produits que les entreprises de génériques avaient l’intention de commercialiser enfreignaient ceux-ci, il leur était possible d’obtenir des injonctions afin d’empêcher une telle entrée devant les juridictions nationales compétentes ou, en cas d’entrée illégale des entreprises de génériques, d’obtenir des dommages-intérêts de la part de celles-ci. Il leur était possible également, comme dans le cas de Neolab (point 350 ci-dessus), de conclure un règlement amiable ayant pour objectif réel de régler leur litige sous-jacent en matière de brevets, sans que les limitations à l’autonomie commerciale des entreprises de génériques éventuellement obtenues dans le cadre d’un tel accord soient motivées par un paiement inversé.

385    S’il est possible, comme la Commission l’admet, qu’un dommage irréparable ait pu survenir, pour le laboratoire de princeps, en cas d’entrée illégale des entreprises de génériques sur le marché, en raison des baisses de prix irréversibles qu’une telle entrée aurait suscitées, la réduction des prix réglementaires consécutive à l’expiration d’un brevet sur l’IPA est une caractéristique des marchés pharmaceutiques connue des requérantes et constitue donc un risque commercial normal qui ne saurait justifier la conclusion d’accords anticoncurrentiels. Par ailleurs, de telles baisses de prix résultant d’une intervention réglementaire, dans un contexte où le brevet sur l’IPA a déjà expiré, illustrent l’équilibre établi par les États membres entre la protection accordée au brevet du laboratoire de princeps, d’une part, et les économies pour les budgets des États et pour les consommateurs réalisées par l’entrée des génériques sur le marché et par le jeu de la concurrence, d’autre part.

386    Dès lors, accepter la thèse des requérantes relative à l’asymétrie des risques reviendrait, en définitive, à considérer que celles-ci pouvaient, en concluant des accords tels que les accords litigieux avec les entreprises de génériques, se prémunir contre une baisse irréversible des prix qui, selon leurs propres affirmations, n’aurait pas pu être évitée même si elles avaient obtenu gain de cause dans le cadre d’actions en contrefaçon devant les juridictions nationales. Elles pourraient, dès lors, en concluant de tels accords, maintenir des prix plus élevés pour leurs produits, au détriment des consommateurs et des budgets des soins de santé des États, alors même qu’un tel résultat n’aurait pas pu être obtenu si les juridictions nationales avaient confirmé la validité de leurs brevets et que les produits des entreprises de génériques avaient été jugés contrefaisants. Un tel résultat serait manifestement contraire aux objectifs des dispositions du traité sur la concurrence, qui visent notamment à protéger les consommateurs face à des augmentations de prix injustifiées résultant d’une collusion entre concurrents (voir, en ce sens, arrêts du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, Rec, EU:C:2015:184, point 115 et jurisprudence citée, et du 9 juillet 2015, InnoLux/Commission, C‑231/14 P, Rec, EU:C:2015:451, point 61). Il n’y a aucune raison d’admettre qu’une telle collusion serait licite en l’espèce, sous prétexte que des brevets de procédé étaient en cause, alors même que la défense de ces brevets devant les juridictions nationales n’aurait, même dans le scénario le plus favorable pour les requérantes, pas pu conduire aux mêmes résultats négatifs pour la concurrence et, en particulier, pour les consommateurs.

387    Il convient de rappeler, en effet, qu’il ne saurait être accepté que des entreprises essaient de pallier les effets de règles juridiques qu’elles considèrent comme excessivement défavorables par la conclusion d’ententes ayant pour objet de corriger ces désavantages sous prétexte que ces règles créent un déséquilibre à leur détriment (voir arrêt du 27 juillet 2005, Brasserie nationale e.a./Commission, T‑49/02 à T‑51/02, Rec, EU:T:2005:298, point 81 et jurisprudence citée).

388    Enfin, dans la mesure où les requérantes, soutenues par l’intervenante, avancent que les accords litigieux auraient permis d’éviter les coûts considérables liés aux contentieux dans différents États membres, ainsi que le risque de décisions divergentes résultant de tels contentieux devant de multiples juridictions, il convient de relever, premièrement, que la plupart des accords litigieux ne contenaient aucune référence précise aux frais de contentieux qui auraient été évités, ni la moindre estimation de ceux-ci. En outre, les requérantes n’ont fourni aucune explication quant à la manière dont les montants des paiements inversés avaient été calculés, sinon qu’ils résultaient de leurs négociations avec les entreprises de génériques, alors que la décision attaquée contient de nombreux éléments de preuve démontrant que ces montants correspondaient, peu ou prou, aux bénéfices escomptés par les entreprises de génériques en cas d’entrée sur le marché ou aux dommages-intérêts qu’elles auraient pu obtenir si elles avaient obtenu gain de cause contre Lundbeck au contentieux (voir, notamment, considérants 398, 460, 809, 862, 1071 et 1157 de la décision attaquée).

389    En tout état de cause, contrairement à ce que font valoir les requérantes, il est peu probable que le montant des coûts relatifs à des contentieux éventuels dans les différents pays de l’EEE aurait été supérieur au montant des paiements obtenus par les entreprises de génériques en vertu des accords litigieux en l’espèce, qui correspondait à plusieurs millions d’euros. En effet, il est peu fréquent que les entreprises pharmaceutiques entament des litiges dans tous les États membres simultanément. En général, comme le démontre le cas de Lagap au Royaume-Uni (considérant 63 de la décision attaquée), elles décident de se concentrer sur quelques litiges tests, plutôt que de multiplier les litiges devant différentes juridictions lorsque les mêmes questions sont en jeu. Dans le cas de Lagap, toutefois, les requérantes ont finalement préféré transiger afin d’éviter une défaite qui serait utilisée contre elles dans d’autres juridictions (considérant 160 de la décision attaquée).

390    La décision attaquée reconnaît, par ailleurs, qu’il existe d’autres modalités de régler un litige à l’amiable, acceptables au regard du droit de la concurrence, que celles consistant à retarder l’entrée sur le marché de concurrents potentiels au moyen de paiements inversés, comme en l’espèce (point 354 ci-dessus). Selon la jurisprudence, l’objet spécifique du brevet ne saurait être interprété comme garantissant une protection également contre les actions visant à contester la validité d’un brevet, compte tenu de ce qu’il est de l’intérêt public d’éliminer tout obstacle à l’activité économique, qui pourrait découler d’un brevet délivré à tort (voir, en ce sens, arrêt Windsurfing, point 119 supra, EU:C:1986:75, point 92). Si les requérantes étaient en droit de conclure des accords à l’amiable avec les entreprises de génériques afin d’éviter des frais de contentieux éventuels, elles ne pouvaient pas, par ce biais, substituer leur propre appréciation concernant la validité de leurs brevets et le caractère contrefaisant ou non des produits des entreprises de génériques à celle d’un juge indépendant tout en payant les entreprises de génériques pour qu’elles se conforment à cette appréciation et restent à l’écart du marché pendant un certain temps.

391    Dès lors, c’est à juste titre que la décision attaquée a conclu que les paiements inversés avaient incité les entreprises de génériques à accepter les limitations à leur autonomie commerciale prévues par les accords litigieux, sans que les autres explications avancées par les requérantes pour justifier de tels paiements permettent de remettre en cause cette conclusion.

392    La première branche doit donc être rejetée.

2.     Sur la deuxième branche

393    Les requérantes estiment que la décision attaquée affirme à tort que les restrictions contractuelles découlant des accords litigieux auraient supprimé les autres incitations à intégrer le marché.

394    Elles avancent, en premier lieu, que les limitations relevant du champ d’application des brevets n’atténuent ni n’éliminent les incitations à maintenir des efforts indépendants pour intégrer le marché. Ainsi, les entreprises de génériques qui consentiraient à s’abstenir d’intégrer le marché avec des médicaments contrefaisants en échange d’un transfert de valeur pourraient continuer à vouloir obtenir un jugement constatant que leurs médicaments ne sont pas contrefaisants ou que le brevet prétendument violé est nul. De plus, rien n’autoriserait à conclure qu’un paiement rémunérant une abstention de lancer des médicaments contrefaisants réduirait l’incitation d’une entreprise de génériques à maintenir ses efforts pour intégrer le marché à l’aide de médicaments non contrefaisants. Le fait qu’une entreprise de génériques se satisfasse de la valeur transférée par le laboratoire de princeps et ne cherche pas à contester le brevet pertinent, en dépit de l’absence de toute clause de non-contestation, suggérerait uniquement que cette entreprise doute de ses chances d’obtenir une annulation du brevet.

395    Les requérantes estiment, dès lors, qu’une présomption légale, en vertu de laquelle une exclusion du marché moyennant un paiement restreint la concurrence par objet en réduisant ou en éliminant l’incitation des entreprises de génériques à maintenir des efforts indépendants pour intégrer le marché, ne peut surgir que lorsque les restrictions contractuelles ne relèvent pas du champ d’application du brevet pertinent.

396    En second lieu, les requérantes considèrent que la décision attaquée ne motive pas suffisamment sa conclusion selon laquelle les transferts de valeur réduisent incontestablement les incitations des entreprises de génériques à ester en justice. La décision attaquée admettrait que la perspective de conclure, quelque temps après l’introduction d’une action en justice contre le laboratoire de princeps, un règlement amiable stipulant un paiement inversé, est de nature à inciter les entreprises de génériques à introduire une telle action (considérant 711). Cette admission serait en contradiction avec l’argumentation de la décision attaquée selon laquelle les paiements inversés n’aboutiraient probablement qu’à dissuader les entreprises de génériques d’agir en justice (considérant 966). Cette incohérence intrinsèque révélerait que la décision attaquée ne repose pas sur un socle économique rigoureux et saperait sa conclusion selon laquelle des paiements inversés « considérables » se feraient nécessairement au détriment des consommateurs (considérant 646).

397    La Commission conteste ces arguments.

398    S’agissant de l’argument des requérantes selon lequel les accords litigieux ne contenaient aucune clause empêchant les entreprises de génériques de contester la validité de leurs brevets, de sorte que ces accords n’avaient pas supprimé toute incitation à entrer sur le marché pour celles-ci, il y a lieu de constater, tout d’abord, qu’un tel argument est inopérant, puisque la décision attaquée établit uniquement que les paiements inversés prévus par les accords litigieux ont encouragé ou incité les entreprises de génériques à accepter des limitations à leur autonomie commerciale qu’elles n’auraient pas accepté en l’absence de ceux-ci et non qu’ils ont supprimé toute incitation à cet égard (considérants 604 et 659 à 661 de la décision attaquée).

399    En tout état de cause, même si les accords litigieux ne contenaient aucune clause de non-contestation, les entreprises de génériques n’avaient aucun intérêt à contester les brevets de Lundbeck après avoir conclu les accords litigieux, puisque les paiements inversés correspondaient environ aux profits qu’elles comptaient réaliser en cas d’entrée sur le marché ou aux dommages-intérêts qu’elles auraient pu obtenir si elles avaient obtenu gain de cause contre Lundbeck au contentieux (voir point 388 ci-dessus). À supposer même que ces paiements aient été inférieurs aux bénéfices escomptés, il s’agissait malgré tout d’un bénéfice certain et immédiat, sans qu’elles aient à courir les risques qu’une entrée sur le marché aurait comportés. Les faits tels qu’ils se sont effectivement déroulés en l’espèce confortent d’ailleurs cette interprétation, puisqu’aucune entreprise de génériques n’a contesté les brevets de Lundbeck ou n’est entrée sur le marché pendant la durée des accords litigieux. Si Merck (GUK) est effectivement entrée sur le marché du citalopram pendant quelques jours au Royaume-Uni, après l’expiration de l’accord GUK pour le Royaume-Uni, c’est parce qu’elle estimait que les conditions proposées par Lundbeck afin de proroger cet accord n’étaient pas assez bonnes et qu’elle souhaitait une compensation plus lucrative en échange d’une seconde prorogation de cet accord (considérant 299 de la décision attaquée).

400    Ensuite, dans la mesure où les requérantes font valoir que les entreprises de génériques auraient pu entrer sur le marché au moyen de produits génériques non contrefaisants, il y a lieu de renvoyer à l’examen du sixième moyen ci-après, relatif à l’examen du contenu et de la portée des accords litigieux.

401    En tout état de cause, même si les restrictions contenues dans les accords litigieux entraient potentiellement dans le champ d’application des brevets de Lundbeck, en ce sens qu’elles auraient pu également être obtenues dans le cadre d’actions en justice, la décision attaquée constate, à juste titre, qu’il ne s’agissait que d’une potentialité, au moment où les accords litigieux ont été conclus. Or, le fait d’avoir remplacé cette incertitude relative au caractère contrefaisant ou non des produits des entreprises de génériques et à la validité des brevets des requérantes par la certitude que les entreprises de génériques n’entreraient pas sur le marché pendant la durée des accords litigieux constitue, en tant que tel, une restriction de la concurrence par objet en l’espèce, puisqu’un tel résultat a été obtenu par le biais d’un paiement inversé (voir points 336 et 363 ci‑dessus).

402    Enfin, c’est en vain que les requérantes font valoir que la décision attaquée ne serait pas suffisamment motivée à cet égard. En effet, les nombreux passages de la décision attaquée consacrés aux paiements inversés, mentionnés par les requérantes elles-mêmes, démontrent que celles-ci ont compris la thèse de la Commission à cet égard, même si elles ne la partagent pas. Du reste, il n’y a aucune contradiction, dans la décision attaquée, du fait qu’elle reconnaît, d’une part, que la perspective de pouvoir obtenir des paiements inversés de la part du laboratoire de princeps peut encourager les entreprises de génériques à introduire des actions en justice, tandis que, d’autre part, les paiements inversés obtenus en vertu des accords litigieux auraient dissuadé les entreprises de génériques d’introduire de telles actions en l’espèce. En effet, comme la Commission l’indique en substance aux considérants 639 et 660 de la décision attaquée, notamment, les règlements amiables contenant des paiements – même inversés – ne sont pas toujours problématiques au regard du droit de la concurrence, notamment lorsqu’ils ne sont accompagnés d’aucune restriction à l’entrée des génériques sur le marché et qu’ils visent, au contraire, à offrir une compensation aux entreprises de génériques pour leur manque à gagner, une fois que le laboratoire de princeps reconnaît que leurs produits génériques n’enfreignent aucun brevet.

403    Par conséquent, il y a lieu de conclure que la Commission n’a commis aucune erreur d’appréciation en constatant, dans la décision attaquée, que les restrictions contenues dans les accords litigieux, obtenues en échange de paiements inversés importants, avaient réduit les incitations des entreprises de génériques à intégrer le marché.

404    Partant, la deuxième branche doit également être rejetée.

3.     Sur la troisième branche

405    Les requérantes estiment que la norme appliquée par la décision, selon laquelle les accords amiables en matière de brevet induits par un transfert de valeur ont un objet restrictif de la concurrence, est impraticable.

406    Premièrement, elles font valoir que cette norme est intrinsèquement incohérente et a un effet dissuasif sur la conclusion d’accords prévoyant une entrée rapide sur le marché, qui bénéficient aux consommateurs, dans la mesure où elle aboutit à des résultats différents selon que le transfert de valeur prend la forme d’un versement au comptant ou d’une entrée rapide sur le marché.

407    Deuxièmement, elles estiment qu’un accord ne saurait être fondé « uniquement » sur l’appréciation de la force du brevet par les parties et que la norme appliquée par la Commission interdit en pratique tout paiement inversé. Aucun règlement amiable ne pourrait être fondé « uniquement » sur l’appréciation par les parties de la force du brevet, pour la simple raison que la « force » d’un brevet ne serait pas une notion précise. S’il était exigé que les règlements amiables soient fondés « uniquement » sur l’appréciation par les parties de la force du brevet, cela reviendrait à imposer aux parties d’agir en justice. La décision ne laisserait aucune marge de manœuvre aux parties pour utiliser un paiement inversé afin de dissuader une entreprise de génériques de violer les brevets d’un laboratoire de princeps.

408    Troisièmement, les requérantes considèrent que le critère juridique fondé sur le montant de la somme versée est impraticable, puisque la décision attaquée n’établit aucun seuil clair permettant de déterminer si un paiement est acceptable ou anticoncurrentiel.

409    La Commission conteste ces arguments.

410    Premièrement, l’argument des requérantes selon lequel la décision attaquée aurait un effet dissuasif sur la conclusion d’accords amiables prévoyant une entrée rapide des génériques sur le marché est manifestement non fondé, puisque la Commission a, au contraire, considéré que les accords litigieux étaient problématiques au regard du droit de la concurrence, parce qu’ils avaient pour objectif de retarder l’entrée des génériques sur le marché et non de faciliter une telle entrée. Il convient de rappeler, par ailleurs, que la Commission a également tenu compte du fait que les accords litigieux ne contenaient aucun engagement de la part de Lundbeck de s’abstenir d’introduire des actions en contrefaçon contre les entreprises de génériques dans l’hypothèse où celles-ci seraient entrées sur le marché avec du citalopram générique après l’expiration de ceux-ci (considérant 662 de la décision attaquée).

411    En outre, la décision reconnaît que, dans certains cas, des règlements amiables ne sont pas problématiques, même lorsqu’ils contiennent des paiements inversés, s’ils prévoient, par ailleurs, une entrée immédiate des génériques sur le marché (voir l’exemple de Neolab, cité au point 350 ci-dessus). Le fait que la Commission ait traité différemment les accords s’accompagnant d’un paiement inversé de ceux qui ne prévoient pas un tel paiement est tout à fait justifiable, au vu de l’effet incitatif qu’un tel paiement exerce sur les entreprises de génériques en vue d’accepter des restrictions qu’elles n’auraient pas acceptées en l’absence de celui-ci (voir points 349 et suivants ci-dessus). Du reste, un accord permettant une entrée plus rapide sur le marché n’est évidemment pas problématique au regard du droit de la concurrence, de sorte qu’une telle contrepartie à d’autres engagements contenus dans un accord amiable ne saurait être comparée à un paiement inversé visant à retarder une telle entrée.

412    Deuxièmement, il convient de rappeler que la décision attaquée n’établit pas qu’un accord doive être fondé exclusivement sur l’appréciation de la force d’un brevet par les parties à cet accord pour échapper à l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (point 360 ci-dessus). C’est donc à tort que les requérantes font valoir que la décision attaquée a pour effet de réduire toute incitation à conclure des règlements amiables en matière de brevets, conduisant ainsi à une avalanche de litiges dans tout l’EEE. En effet, la Commission a uniquement condamné les accords conclus sous la forme de règlements amiables, comme en l’espèce, qui n’ont pas réellement pour objet de régler le litige sous-jacent en matière de brevets entre les parties à cet accord et qui prévoient des paiements inversés en contrepartie de l’engagement des entreprises de génériques de se tenir à l’écart du marché. De plus, s’il est vrai que la Commission a considéré que de tels accords étaient anticoncurrentiels, il n’y a aucune obligation, pour le laboratoire de princeps, d’engager des litiges dans toutes les juridictions de l’EEE afin de protéger ses brevets, puisqu’il est toujours possible, par exemple, de conclure des règlements amiables ne contenant aucun paiement inversé ou de conclure des règlements amiables qui, bien qu’ils prévoient de tels paiements, ne s’accompagnent d’aucune restriction à l’entrée des génériques sur le marché (voir l’exemple de Neolab, cité au point 350 ci‑dessus).

413    Enfin, l’argument des requérantes selon lequel la décision attaquée ne leur laisse aucune marge pour utiliser des paiements inversés afin de dissuader les entreprises de génériques de violer leurs brevets repose à nouveau sur la prémisse erronée selon laquelle les produits des entreprises de génériques violaient leurs brevets, alors que cela n’avait pas été établi au moment de conclure les accords litigieux.

414    Troisièmement, la Commission a expliqué, dans la décision attaquée, que les paiements inversés étaient particulièrement problématiques, en l’espèce, dès lors que les montants prévus par les accords litigieux correspondaient, peu ou prou, aux bénéfices escomptés par les entreprises de génériques en cas d’entrée sur le marché ou aux dommages-intérêts qu’elles auraient pu obtenir si elles avaient eu gain de cause contre Lundbeck au contentieux (point 388 ci-dessus). En effet, dans un tel cas, toute incitation pour les entreprises de génériques à entrer sur le marché est considérablement réduite, voire éliminée. Ce qui importe donc c’est que, en l’espèce, les montants des paiements inversés prévus dans chacun des accords litigieux aient été suffisamment élevés pour permettre aux entreprises de génériques d’accepter les limitations à leur autonomie et pour réduire les incitations qu’elles avaient à entrer sur le marché avec leurs produits génériques (voir notamment considérant 644 de la décision attaquée).

415    Certes, la Commission s’est fondée sur un ensemble de facteurs afin d’établir l’existence d’une restriction par objet en l’espèce (voir point 354 ci-dessus et considérants 661 et 662 de la décision attaquée). Les requérantes ne sauraient, toutefois, reprocher à la Commission de ne pas avoir suffisamment clarifié, dans la décision attaquée, l’importance qu’elle attachait au fait que les paiements inversés correspondaient aux profits escomptés des entreprises de génériques. En tout état de cause, il convient de souligner, à l’instar de la Commission, que celle-ci n’est pas tenue, dans ses décisions, de fixer des normes juridiques généralement applicables, mais uniquement de déterminer, dans chaque cas d’espèce, si les accords qu’elle examine sont compatibles avec les dispositions du traité sur la concurrence, en motivant celles-ci de façon suffisamment claire et convaincante à cet égard. Or, au vu des éléments qui précèdent, il y a lieu de constater que la Commission a satisfait à ces exigences en l’espèce.

416    Partant, il y a lieu de rejeter la troisième branche, ainsi que le deuxième moyen dans son ensemble.

D –  Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur de droit commise dans l’application des principes relatifs à l’objet restrictif de la concurrence

417    Les requérantes estiment que la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit dès lors qu’elle conclut que les accords litigieux ont un objet restrictif de la concurrence en application des principes constants d’interprétation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. En particulier, la décision attaquée se méprendrait, premièrement, en assimilant ces accords à ceux qui étaient en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS, point 341 supra (EU:C:2008:643), ainsi que dans d’autres affaires classiques concernant des répartitions de marché qui ne portaient pas sur la mise en œuvre de brevets, deuxièmement, en considérant qu’un transfert de valeur pouvait, à lui seul, rendre un accord amiable en matière de brevets restrictif par objet, troisièmement, en ne reconnaissant pas que l’objectif poursuivi par les accords litigieux, à savoir faire respecter les brevets de Lundbeck, s’opposait à la constatation d’une restriction de la concurrence par objet et, quatrièmement, en ne percevant pas que la situation qui aurait prévalu en l’absence des accords litigieux (ci-après le « scénario contrefactuel ») excluait l’existence de toute restriction de la concurrence par objet en l’espèce.

1.     Sur la première branche

418    Les requérantes estiment que la Commission, dans la décision attaquée, se fourvoie lorsqu’elle assimile les accords litigieux à des accords de répartition des marchés tels que ceux en cause dans l’arrêt BIDS, point 341 supra (EU:C:2008:643).

419    À cet égard, premièrement, les requérantes font valoir que, contrairement à ce qui prévaut en l’espèce, les accords en cause dans l’arrêt BIDS, point 341 supra (EU:C:2008:643), ne visaient pas à préserver un brevet conférant à son titulaire le droit d’empêcher l’entrée sur le marché de produits contrefaisants et le préjudice irréparable qui aurait découlé d’une telle entrée.

420    Deuxièmement, contrairement à ce qui prévaut en l’espèce, les entreprises sortant du marché pertinent en vertu des accords en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS, point 341 supra (EU:C:2008:643), auraient certainement concurrencé les entreprises restant sur ce marché si ces accords n’avaient pas été conclus.

421    Troisièmement, contrairement à l’argumentation retenue dans la présente espèce, les accords en cause dans l’arrêt BIDS, point 341 supra (EU:C:2008:643), auraient été présumés restrictifs de la concurrence, y compris en l’absence de paiement. Le fait que, dans ladite affaire, des versements compensatoires étaient en jeu n’aurait pas été crucial pour considérer que ces accords avaient pour objet de restreindre la concurrence.

422    La Commission conteste ces arguments.

423    Premièrement, il convient de relever que l’analogie effectuée par la Commission, aux considérants 657 et 658 de la décision attaquée, entre les accords dont il s’agissait dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS, point 341 supra (EU:C:2008:643), et les accords litigieux n’est entachée d’aucune erreur de droit.

424    En effet, ainsi que cela résulte notamment du point 8 dudit arrêt, dans cette affaire, les entreprises actives sur le marché de la transformation de la viande bovine en Irlande avaient créé un mécanisme en vertu duquel certaines entreprises s’engageaient à rester en dehors dudit marché pendant deux ans en contrepartie de paiements de la part des entreprises qui restaient sur ce marché. Une dynamique analogue s’est produite en l’espèce par la conclusion des accords litigieux, en vertu desquels Lundbeck, qui était la principale, voire la seule entreprise présente sur le marché dans les pays concernés par ces accords, a payé les entreprises de génériques, qui étaient des concurrents potentiels, afin que celles-ci restent en dehors du marché pendant une période donnée.

425    Il s’ensuit que, tant dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS, point 341 supra (EU:C:2008:643), que dans la présente affaire, il s’agissait d’accords qui avaient limité la faculté d’opérateurs économiques concurrents de déterminer de manière autonome la politique qu’ils entendaient poursuivre sur le marché, en empêchant le processus normal de la concurrence de suivre son cours (voir, en ce sens, arrêt BIDS, point 341 supra, EU:C:2008:643, points 33 à 35).

426    S’agissant de l’argument des requérantes selon lequel, à la différence de ce qui était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS, point 341 supra (EU:C:2008:643), les accords litigieux en l’espèce ont été conclus dans un contexte où elles possédaient des brevets permettant d’empêcher l’entrée sur le marché des produits contrefaisants, il y a lieu, tout d’abord, de rappeler que, en l’espèce, l’existence des nouveaux brevets de procédé de Lundbeck ne s’opposait pas à ce que les entreprises de génériques puissent être considérées comme des concurrents potentiels de celle-ci, ainsi que cela résulte de l’examen du premier moyen. Or, l’article 101 TFUE protège la concurrence potentielle tout comme la concurrence actuelle (voir point 99 ci‑dessus).

427    En outre, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, un accord n’est pas immunisé contre le droit de la concurrence du simple fait qu’il porte sur un brevet ou qu’il vise à résoudre à l’amiable un litige en matière de brevets (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 1988, Bayer et Maschinenfabrik Hennecke, 65/86, Rec, EU:C:1988:448, point 15). Par ailleurs, un accord peut être considéré comme ayant un objet restrictif même s’il n’a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence, mais poursuit également d’autres objectifs légitimes (voir arrêt BIDS, point 341 supra, EU:C:2008:643, point 21 et jurisprudence citée).

428    Deuxièmement, s’il est vrai que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS, point 341 supra (EU:C:2008:643), les entreprises en cause étaient des concurrents actuels, dans la mesure où il s’agissait de faire sortir du marché concerné des entreprises qui y étaient déjà présentes, alors que, en l’espèce, Lundbeck et les entreprises de génériques n’étaient que des concurrents potentiels, il n’en reste pas moins que la Cour n’a pas exigé de la Commission dans cet arrêt qu’elle démontrât que, en l’absence des accords, les entreprises seraient restées sur le marché. En effet, s’agissant d’une restriction de la concurrence par objet, l’analyse des effets des accords est superflue (voir point 341 ci-dessus). La Cour s’est donc limitée à constater, dans cette affaire, que les accords en cause avaient pour but de mettre en œuvre une politique commune ayant pour objet de favoriser la sortie du marché de certaines entreprises et de réduire, par voie de conséquence, les surcapacités qui affectaient leur rentabilité en les empêchant de réaliser des économies d’échelle. Elle a constaté, dès lors, que ce type d’accords se heurtait de manière patente à la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence, selon laquelle chaque opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché, en rappelant que l’article 101, paragraphe 1, TFUE vise à interdire toute forme de coordination qui substitue sciemment une coopération pratique entre entreprises aux risques de la concurrence (arrêt BIDS, point 341 supra, EU:C:2008:643, points 33 et 34).

429    Or, en l’espèce, les parties aux accords litigieux ont préféré substituer aux risques inhérents au déroulement normal du jeu de la concurrence et à l’état d’incertitude qui entourait la validité des brevets de procédé de Lundbeck ainsi que la question de savoir si les produits que les entreprises de génériques avaient l’intention de commercialiser violaient ces brevets ou non la certitude qu’elles n’entreraient pas sur le marché pendant la durée de ces accords, moyennant des paiements inversés importants qui correspondaient environ aux bénéfices qu’elles auraient réalisés si elles étaient entrées sur le marché. Il importe peu, dès lors, de savoir si les entreprises seraient entrées avec certitude sur le marché pendant la durée des accords litigieux, puisque ces accords ont précisément éliminé cette possibilité en la remplaçant par la certitude qu’elles n’y entreraient pas avec leurs produits durant cette période. Or, en agissant de la sorte, les parties aux accords litigieux ont pu se partager une partie des bénéfices dont Lundbeck a continué à bénéficier, au détriment des consommateurs qui ont continué à payer des prix plus élevés que ceux qu’ils auraient payés en cas d’entrée des génériques sur le marché (voir considérants 644 à 646 de la décision attaquée).

430    Troisièmement, il convient de rejeter également l’argument des requérantes selon lequel, à la différence des accords litigieux, les accords en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS, point 341 supra (EU:C:2008:643) auraient été anticoncurrentiels même en l’absence des paiements versés en vertu de ces accords. En effet, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que, dans ces deux affaires, les paiements ont joué un rôle déterminant en ce qu’ils ont incité les entreprises à se retirer du marché. Ainsi, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BIDS, point 341 supra (EU:C:2008:643), il est peu probable que les entreprises sortantes auraient accepté de se retirer du marché en l’absence des paiements effectués par les entreprises restantes. De même, en l’espèce, il ressort des éléments du dossier que les entreprises de génériques n’auraient pas accepté de se tenir à l’écart du marché unilatéralement, après avoir effectué des démarches et des investissements importants, en l’absence de paiements inversés.

431    Certes, la Commission a reconnu que, dans certains cas, la conclusion d’un règlement amiable en matière de brevets n’était pas anticoncurrentielle, notamment lorsque celui-ci reposait sur l’appréciation de la force des brevets par chacune des parties à l’accord, ou lorsqu’il prévoyait un paiement inversé sans pour autant retarder l’entrée des génériques sur le marché (considérants 638 et 639 de la décision attaquée). En l’espèce, cependant, la Commission a considéré, à juste titre, que les paiements inversés avaient joué un rôle déterminant, en ce qu’ils avaient permis à Lundbeck d’obtenir des engagements de la part des entreprises des génériques qu’elle n’aurait pas pu obtenir en l’absence de ces paiements et en retardant, de ce fait, leur entrée sur le marché.

432    En réponse à une question du Tribunal relative aux implications de l’arrêt CB/Commission, point 78 supra (EU:C:2014:2204), les requérantes ont fait valoir que cet arrêt confortait leur point de vue selon lequel la Commission avait erronément qualifié de restriction par objet les accords litigieux. En effet, premièrement, la Cour aurait rappelé que la notion de restriction par objet devait être interprétée de manière restrictive. Deuxièmement, l’existence d’une restriction par objet ne pourrait être constatée que si l’accord présentait, en lui-même, un degré suffisant de nocivité. Pourtant, selon la décision attaquée, la question de savoir si un règlement amiable peut être jugé conforme ou non au droit de la concurrence nécessiterait une analyse approfondie de l’accord individuel en tenant compte du contexte factuel, économique et juridique. Il ressortirait également d’une note interne du KFST que la Commission n’avait pas considéré que l’ampleur des paiements dans le cas de Lundbeck constituât un exemple clair d’une entreprise qui paie ses concurrents pour qu’ils restent en dehors du marché. Elles estiment, dès lors, que, par son approche, la Commission cherche en réalité à échapper à l’analyse factuelle et à la charge de la preuve qui lui incombe s’agissant d’établir l’existence d’une restriction de la concurrence fondée sur les effets produits par un accord. Troisièmement, le contexte dans lequel les accords litigieux ont été conclus, à savoir notamment l’existence de brevets de procédé valides, la durée limitée des accords, le cadre réglementaire spécifique dans l’EEE et l’absence de produits non contrefaisants disponibles dans un délai suffisamment court, ne pourrait être ignoré. Quatrièmement, l’expérience acquise serait importante pour établir si un comportement a pour objet de restreindre la concurrence. Cette expérience devrait être comprise comme ce qui ressort traditionnellement de l’analyse économique, telle qu’elle a été entérinée par les autorités de la concurrence, confortée, le cas échéant, par la jurisprudence. Or, aucune expérience de ce genre n’existerait en l’espèce.

433    La Commission a expliqué, quant à elle, avoir appliqué la jurisprudence constante en la matière, telle que rappelée par la Cour dans son arrêt CB/Commission, point 78 supra (EU:C:2014:2204).

434    Il convient de relever, en effet, que, par l’arrêt CB/Commission, point 78 supra (EU:C:2014:2204), la Cour n’a pas remis en cause les principes de base concernant la notion de restriction par objet tels qu’ils résultent de la jurisprudence antérieure. Certes, dans son arrêt, la Cour a rejeté l’analyse formulée par le Tribunal dans l’arrêt du 29 novembre 2012, CB/Commission (T‑491/07, EU:T:2012:633), qui avait considéré que la notion de restriction de la concurrence par objet ne devait pas être interprétée de manière restrictive. Elle a rappelé que, sous peine de dispenser la Commission de l’obligation de prouver les effets concrets sur le marché d’accords dont il n’était en rien établi qu’ils étaient, par leur nature même, nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence, la notion de restriction de la concurrence par objet ne pouvait être appliquée qu’à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il pût être considéré que l’examen de leurs effets n’était pas nécessaire (arrêt CB/Commission, point 78 supra, EU:C:2014:2204, point 58).

435    Or, il ressort de l’économie d’ensemble de la décision attaquée, et notamment de ses considérants 802 et 1338, que les accords litigieux étaient comparables à des accords d’exclusion du marché, qui figurent parmi les restrictions les plus graves de la concurrence. En effet, l’exclusion de concurrents du marché constitue une forme extrême de répartition de marché et de limitation de la production. Les requérantes ne sauraient reprocher à la Commission de ne pas avoir tenu compte de l’existence de leurs brevets de procédé ou du cadre réglementaire spécifique à l’EEE en l’espèce en tant qu’éléments de contexte pertinents à cet égard. En effet, il ressort des considérants 666 à 671 de la décision attaquée que la Commission a tenu compte des brevets de procédé des requérantes, mais a considéré que ceux-ci, mêmes s’ils étaient présumés valides, ne permettaient pas d’exclure toute concurrence relative à l’IPA citalopram. En outre, la Commission a également tenu compte du fait qu’il existait une incertitude, au moment de conclure les accords litigieux, sur la question de la validité des brevets des requérantes, en particulier du brevet sur la cristallisation, et qu’aucune juridiction de l’EEE ne s’était prononcée sur cette question au moment de conclure les accords litigieux.

436    Partant, il y a lieu de considérer que la Commission a correctement appliqué la jurisprudence telle que rappelée aux points 338 à 344 ci-dessus, qui consiste à déterminer si un accord peut, par sa nature même, être considéré comme restreignant la concurrence de manière suffisamment grave pour pouvoir être qualifié de restriction par objet en l’espèce (voir notamment considérant 651 de la décision attaquée).

437    Dès lors, la Commission n’était pas tenue, en outre, d’examiner les effets concrets des accords litigieux sur la concurrence, et notamment la question de savoir si, en l’absence de ces accords, les entreprises de génériques seraient entrées sur le marché sans enfreindre l’un ou l’autre brevet de Lundbeck, pour pouvoir établir l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, dès lors qu’elles disposaient de possibilités réelles et concrètes à cet égard et étaient des concurrents potentiels de Lundbeck au moment de conclure les accords litigieux (voir premier moyen ci‑dessus).

438    Par ailleurs, contrairement à ce que font valoir les requérantes, il n’est pas requis que le même type d’accords ait déjà été condamné par la Commission pour que ceux-ci puisse être considéré comme une restriction de la concurrence par objet. Le rôle de l’expérience, mentionné par la Cour au point 51 de l’arrêt CB/Commission, point 78 supra (EU:C:2014:2204), ne concerne pas la catégorie spécifique d’un accord dans un secteur particulier, mais renvoie au fait qu’il est établi que certaines formes de collusion sont, en général et au vu de l’expérience acquise, tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur la concurrence qu’il n’est pas nécessaire de démontrer qu’elles ont des effets dans le cas particulier en cause. Le fait que la Commission n’ait pas, dans le passé, estimé qu’un accord d’un type donné était, de par son objet même, restrictif de la concurrence n’est donc pas de nature, en lui-même, à l’empêcher de le faire à l’avenir à la suite d’un examen individuel et circonstancié des mesures litigieuses au regard de leur contenu, de leur finalité et de leur contexte (voir, en ce sens, arrêt CB/Commission, point 78 supra, EU:C:2014:2204, point 51 ; conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire CB/Commission, C‑67/13 P, Rec, EU:C:2014:1958, point 142, et de l’avocat général Wathelet dans l’affaire Toshiba Corporation/Commission, C‑373/14 P, Rec, EU:C:2015:427, point 74).

439    C’est donc à tort que les requérantes font valoir que la Commission n’a pas suffisamment établi que les accords litigieux pouvaient être considérés, de par leur contenu et leurs objectifs, pris dans leur contexte économique et juridique, comme étant suffisamment nocifs pour la concurrence (voir point 343 ci‑dessus).

440    La première branche doit, dès lors, être rejetée.

2.     Sur la deuxième branche

441    Les requérantes considèrent que la Commission commet une erreur de droit lorsqu’elle conclut dans la décision attaquée qu’un transfert de valeur suffit en soi à rendre restrictif par objet un accord amiable en matière de brevets.

442    Elles font observer que la décision attaquée constate que les « moyens utilisés par les titulaires de brevet pour défendre leurs droits entrent en ligne de compte » (considérant 641), ce qui signifierait que les « moyens » peuvent, à eux seuls, rendre un accord anticoncurrentiel par objet. Or, aucune affaire antérieure n’indiquerait qu’une mesure d’incitation extérieure, que ce soit sous la forme d’avantages économiques ou d’une pression physique ou psychologique, est capable, à elle seule, de rendre anticoncurrentiel un accord sinon licite. En outre, si l’existence d’une incitation extérieure ne saurait justifier un accord par ailleurs anticoncurrentiel, elle ne saurait pas non plus rendre anticoncurrentiel un accord par ailleurs licite. Enfin, la jurisprudence de la Cour confirmerait que l’objet anticoncurrentiel d’un accord doit s’établir indépendamment de toute considération sur les incitations financières des parties. La décision attaquée se méprendrait donc en ce qu’elle attache une importance décisive au paiement, alors que celui-ci serait neutre en droit de la concurrence.

443    La Commission conteste ces arguments.

444    Dans la mesure où, par cette branche, les requérantes remettent en cause l’appréciation effectuée par la Commission des paiements inversés dans la décision attaquée, il y a lieu de renvoyer, à cet égard, aux développements consacrés à cette question dans le cadre du deuxième moyen (voir points 345 à 416 ci‑dessus).

445    En outre, il y a lieu d’ajouter que la jurisprudence invoquée par les requérantes, selon laquelle il est indifférent, en ce qui concerne l’existence de l’infraction, que la conclusion d’un accord ait été ou non dans l’intérêt commercial des parties concluant cet accord (voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C‑403/04 P et C‑405/04 P, Rec, EU:C:2007:52, points 44 et 45 et jurisprudence citée), signifie uniquement que les parties à un accord ne sauraient faire valoir que cet accord constituait la solution la plus rentable pour échapper à l’interdiction énoncée à l’article 101 TFUE (voir point 380 ci-dessus). Elle ne s’oppose pas, en revanche, à ce que la Commission tienne compte du contenu d’un accord ainsi que de sa finalité et du contexte dans lequel celui-ci a été conclu, telle, en l’espèce, la présence de paiements inversés importants, afin d’établir l’existence d’une restriction par objet.

446    Partant, la deuxième branche doit être rejetée également.

3.     Sur la troisième branche

447    Les requérantes avancent que la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit, premièrement, en ce qu’elle omet de reconnaître que les accords litigieux étaient nécessaires pour réaliser un objectif légitime, à savoir la sauvegarde et la mise en œuvre d’un brevet, et deuxièmement, en ce qu’elle applique de manière erronée au cas d’espèce la jurisprudence sur les « autres objectifs légitimes ».

448    Les requérantes invoquent une jurisprudence constante des juridictions de l’Union selon laquelle une restriction de la liberté d’agir des parties ne restreint pas systématiquement la concurrence, particulièrement lorsque cette restriction est nécessaire à la poursuite d’un objectif principal qui est neutre sur le plan de la concurrence ou la favorise. Or, la protection de l’investissement réalisé par le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle pourrait, selon elles, constituer un tel objectif légitime.

449    En l’espèce, les accords litigieux auraient poursuivi l’objectif légitime de protéger et de faire respecter les brevets de procédé de Lundbeck et de sauvegarder ainsi l’investissement de Lundbeck en empêchant le préjudice irréparable qui aurait été causé par le lancement de médicaments génériques. Ils auraient par ailleurs donné aux entreprises de génériques le temps nécessaire pour déterminer si les brevets de Lundbeck étaient violés, sans avoir à exposer de frais ou d’autres charges ou à subir les délais afférents à un litige. En outre, la portée et la durée des accords litigieux seraient proportionnées, dans la mesure où ces derniers avaient pour seule vocation d’empêcher les entreprises de génériques de commercialiser du citalopram violant les brevets de Lundbeck et dans la mesure où leur durée aurait en définitive été liée à l’issue du litige Lagap au Royaume-Uni, qui devait permettre d’aborder les contentieux sous-jacents et d’établir si Lundbeck resterait motivée pour mettre en œuvre ses brevets de procédé.

450    La Commission conteste ces arguments.

451    Il convient de rappeler à cet égard que, selon la jurisprudence, si une opération ou une activité déterminée ne relève pas du principe d’interdiction prévu à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en raison de sa neutralité ou de son effet positif sur le plan de la concurrence, une restriction de l’autonomie commerciale d’un ou de plusieurs des participants à cette opération ou à cette activité ne relève pas non plus dudit principe d’interdiction si cette restriction est objectivement nécessaire à la mise en œuvre de ladite opération ou de ladite activité et proportionnée aux objectifs de l’une ou de l’autre (voir arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, Rec, EU:C:2014:2201, point 89 et jurisprudence citée).

452    En effet, lorsqu’il n’est pas possible de dissocier une telle restriction de l’opération ou de l’activité principale sans en compromettre l’existence et les objets, il y a lieu d’examiner la compatibilité avec l’article 101 TFUE de cette restriction conjointement avec la compatibilité de l’opération ou de l’activité principale dont elle constitue l’accessoire, et cela bien que, prise isolément, pareille restriction puisse paraître, à première vue, relever du principe d’interdiction de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt MasterCard e.a./Commission, point 450 supra, EU:C:2014:2201, point 90).

453    Lorsqu’il s’agit de déterminer si une restriction anticoncurrentielle peut échapper à la prohibition prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE au motif qu’elle constitue l’accessoire d’une opération principale dépourvue d’un tel caractère anticoncurrentiel, il convient de rechercher si la réalisation de cette opération serait impossible en l’absence de la restriction en question. Le fait que ladite opération soit simplement rendue plus difficilement réalisable, voire moins profitable en l’absence de la restriction en cause, ne saurait être considéré comme conférant à cette restriction le caractère « objectivement nécessaire » requis afin de pouvoir être qualifiée d’accessoire. En effet, une telle interprétation reviendrait à étendre cette notion à des restrictions qui ne sont pas strictement indispensables à la réalisation de l’opération principale. Un tel résultat porterait atteinte à l’effet utile de la prohibition prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt MasterCard e.a./Commission, point 450 supra, EU:C:2014:2201, point 91).

454    La condition relative au caractère nécessaire d’une restriction implique donc un double examen. En effet, il convient de rechercher, d’une part, si la restriction est objectivement nécessaire à la réalisation de l’opération principale et, d’autre part, si elle est proportionnée par rapport à celle-ci (voir arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 98 supra, EU:T:2012:332, point 64 et jurisprudence citée).

455    Il convient de souligner par ailleurs que, dans la mesure où l’existence d’une règle de raison dans le droit de l’Union de la concurrence ne saurait être admise, il serait erroné d’interpréter, dans le cadre de la qualification des restrictions accessoires, la condition de la nécessité objective comme impliquant une mise en balance des effets pro et anticoncurrentiels d’un accord (voir, en ce sens, arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 98 supra, EU:T:2012:332, point 65 et jurisprudence citée).

456    En l’espèce, les requérantes avancent que les restrictions à l’autonomie commerciale des entreprises de génériques seraient accessoires à la réalisation d’un objectif principal, qui consiste en la protection de leurs droits de propriété intellectuelle.

457    Un tel argument ne saurait être accueilli.

458    Premièrement, en effet, les requérantes n’ont pas démontré que les restrictions convenues en vertu des accords litigieux étaient objectivement nécessaires pour protéger leurs droits de propriété intellectuelle, au sens de la jurisprudence précitée. D’une part, elles auraient pu protéger ces droits en intentant des actions devant les juridictions nationales compétentes en cas d’infraction à leurs brevets. D’autre part, ainsi que la Commission l’a indiqué aux considérants 638 et suivants de la décision attaquée, il existait de nombreuses façons de régler à l’amiable un litige en matière de brevets, sans convenir de restrictions relatives à l’entrée des génériques sur le marché, moyennant des paiements inversés correspondant environ aux profits escomptés par celles-ci en cas d’entrée sur le marché (voir points 334 et 411 ci-dessus). Les requérantes n’établissent pas, dès lors, que ces restrictions étaient objectivement nécessaires à la réalisation de l’objectif allégué, consistant à faire respecter leurs droits de propriété intellectuelle.

459    Deuxièmement, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, un accord n’est pas immunisé contre le droit de la concurrence du simple fait qu’il porte sur un brevet ou qu’il vise à résoudre à l’amiable un litige en matière de brevets et qu’il peut être considéré comme ayant un objet restrictif même s’il n’a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence, mais poursuit également d’autres objectifs légitimes (voir point 427 ci-dessus et jurisprudence citée). Le fait qu’il ait pu s’agir de la solution la plus rentable ou la moins risquée d’un point de vue commercial n’exclut nullement l’application de l’article 101 TFUE (point 380 ci‑dessus).

460    Troisièmement, en tout état de cause, à supposer que les restrictions convenues en vertu des accords litigieux puissent être considérées comme étant objectivement nécessaires à l’objectif principal allégué par les requérantes, consistant à faire respecter leurs droits de propriété intellectuelle, il n’en reste pas moins qu’elles sont disproportionnées par rapport à la réalisation de cet objectif. En effet, contrairement à ce que font valoir les requérantes, les accords litigieux n’ont réglé aucun litige en matière de brevets, puisqu’ils prévoyaient uniquement que les entreprises de génériques resteraient en dehors du marché du citalopram pendant une certaine période, contre paiement, sans même prévoir que, à l’issue de cette période, elles pourraient entrer sur ce marché sans devoir faire face à des actions en contrefaçon de la part de Lundbeck. En outre, la portée des restrictions contenues dans ces accords allait souvent au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck (voir le sixième moyen ci-après). Enfin, c’est à tort que les requérantes prétendent que l’affaire Lagap au Royaume-Uni aurait servi d’affaire clé permettant de régler les contentieux avec les entreprises de génériques, puisque, comme l’a fait valoir la Commission aux considérants 683 et suivants de la décision attaquée, les accords GUK pour le Royaume-Uni, Arrow UK, Arrow danois, Alpharma et Ranbaxy ont tous été conclus avant que Lundbeck n’intente une action en contrefaçon contre Lagap au Royaume-Uni, le 14 octobre 2002. En ce qui concerne le seul accord conclu postérieurement, à savoir l’accord GUK pour l’EEE, le litige avec Lagap n’était pas réellement pertinent, puisque l’IPA en cause dans le procès Lagap, fondé sur le procédé Matrix II, était différent de l’IPA de Natco, à partir duquel le citalopram générique que Merck (GUK) envisageait de commercialiser était produit (considérant 687 de la décision attaquée).

461    C’est donc à tort que les requérantes affirment que les restrictions convenues dans les accords litigieux étaient objectivement nécessaires et proportionnées pour protéger leurs droits de propriété intellectuelle.

462    En second lieu, les requérantes considèrent que, dans la décision attaquée, la Commission applique de façon erronée la jurisprudence sur les autres objectifs légitimes en l’espèce. En effet, dans celle-ci, elle déclarerait que le fait qu’un accord puisse poursuivre par ailleurs d’autres objectifs parfaitement légitimes ne fait pas obstacle à la possibilité de constater l’existence d’une restriction par objet. Les affaires citées par la Commission au soutien de cette affirmation concerneraient néanmoins des situations où l’objectif légitime aurait pu être réalisé sans restreindre la concurrence, alors qu’en l’espèce les accords litigieux étaient nécessaires pour assurer le respect des brevets de Lundbeck.

463    L’intervenante soutient les arguments des requérantes et considère également que la Commission a erronément utilisé le critère juridique relatif à l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Selon elle, la jurisprudence de la Cour serait fondée sur un critère de « nécessité objective » pour établir si l’article 101 TFUE trouve ou non à s’appliquer. Partant, la Commission aurait dû examiner si un règlement amiable avait été conclu de bonne foi pour résoudre un litige réel en matière de brevet et si les restrictions convenues étaient nécessaires et proportionnées à cet objectif légitime.

464    Il convient de relever à cet égard que, contrairement à ce qu’avancent les requérantes ainsi que l’intervenante, c’est sans commettre d’erreur de droit que la Commission a appliqué la jurisprudence sur les autres objectifs légitimes en l’espèce (voir point 427 ci-dessus et jurisprudence citée) et qu’elle a rejeté les arguments des requérantes à cet égard, au considérant 653 de la décision attaquée, dans la mesure où ces arguments reposent également sur la prémisse erronée selon laquelle l’objectif légitime allégué par les requérantes, consistant à protéger leurs droits de propriété intellectuelle, n’aurait pas pu être réalisé sans restreindre la concurrence (voir points 458 à 461 ci‑dessus).

465    Partant, la troisième branche doit être rejetée.

4.     Sur la quatrième branche

466    Les requérantes estiment que la décision est entachée d’une erreur de droit en ce qu’elle n’admet pas que le scénario contrefactuel en l’espèce exclut la possibilité de constater une restriction de la concurrence par objet.

467    Elles avancent que la décision attaquée méconnaît le fait que, même sans les accords litigieux, les entreprises de génériques n’auraient pas vendu de citalopram non contrefaisant. Or, il découlerait d’une jurisprudence constante que le critère général pour apprécier si un accord a pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence consiste à examiner quel aurait été le jeu de la concurrence dans le cadre du marché considéré en l’absence de l’accord en question. Le moindre doute quant au fait qu’une concurrence aurait existé en l’absence d’accord suffirait donc à exclure toute infraction à l’article 101 TFUE. En outre, la suppression d’une incertitude serait inhérente à tout règlement amiable et la décision attaquée admettrait que les règlements amiables retardant une entrée sur le marché puissent, dans certains cas, ne pas violer l’article 101 TFUE.

468    Les perspectives réalistes d’intégrer un ou plusieurs marchés de l’EEE dont ferait état la décision attaquée pendant la période couverte par les accords litigieux seraient sans fondement et ne seraient, en tout état de cause, que des perspectives, ce qui implique à tout le moins qu’il n’était pas certain que, en l’absence de ces accords, les entreprises de génériques auraient vendu du citalopram non contrefaisant. En effet, selon les requérantes, les entreprises de génériques ne disposaient d’aucune AMM et, à supposer qu’elles aient pu lancer leurs produits génériques contrefaisants, elles auraient fait l’objet d’injonctions demandées par leurs soins. En outre, ces entreprises auraient pu choisir de se tenir à l’écart du marché ou d’en sortir afin d’échapper à un contentieux avec Lundbeck. Du reste, plusieurs entreprises de génériques auraient activement continué à préparer leur entrée sur le marché, notamment en poursuivant leurs recherches de citalopram non contrefaisant, et les accords litigieux ne les auraient pas non plus empêchées de contester la validité des brevets de Lundbeck.

469    La Commission conteste ces arguments.

470    Premièrement, dans la mesure où, par leurs arguments, les requérantes semblent vouloir remettre en cause la conclusion selon laquelle les entreprises de génériques étaient des concurrents potentiels de Lundbeck au moment de conclure les accords litigieux et où ces arguments ont déjà été réfutés dans le cadre du premier moyen ci-dessus, il y a lieu de renvoyer aux développements présentés à cet égard.

471    En outre, il importe de rappeler que l’article 101 TFUE vise à protéger la concurrence potentielle au même titre que la concurrence actuelle que se font les entreprises sur le marché (voir point 99 ci-dessus). C’est donc en vain que les requérantes prétendent à nouveau qu’il n’existait aucune certitude quant au fait que les entreprises seraient effectivement entrées sur le marché pendant la durée des accords litigieux, étant donné qu’une telle argumentation méconnaît la distinction entre concurrence actuelle et concurrence potentielle.

472    Deuxièmement, dans la mesure où les requérantes font valoir que la Commission aurait dû examiner le scénario contrefactuel en l’espèce, il convient de rappeler que, s’agissant de restrictions de la concurrence par objet, la Commission était uniquement tenue de démontrer que les accords litigieux présentaient un degré suffisant de nocivité pour la concurrence, compte tenu de la teneur de leurs dispositions, des objectifs qu’ils visaient à atteindre ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel ils s’inséraient, sans être tenue, pour autant, d’en examiner les effets (point 341 ci‑dessus).

473    L’examen d’un hypothétique scénario contrefactuel, outre qu’il serait difficilement praticable en ce qu’il imposerait à la Commission de reconstruire les événements qui se seraient produits en l’absence des accords litigieux, alors que ceux-ci ont précisément eu pour objet de retarder l’entrée des entreprises de génériques sur le marché (voir points 138 et 139 ci-dessus), s’apparenterait davantage à un examen des effets des accords litigieux sur le marché qu’à un examen objectif du caractère suffisamment nocif de ceux-ci sur la concurrence. Or, un tel examen des effets n’est pas requis dans le cadre d’une analyse fondée sur l’existence d’une restriction de la concurrence par objet (point 341 ci‑dessus).

474    Dès lors, à supposer même que certaines entreprises de génériques ne soient pas entrées sur le marché pendant la durée des accords litigieux, en raison d’actions en contrefaçon intentées par Lundbeck ou en raison de l’impossibilité d’obtenir une AMM dans un délai suffisamment court, ce qui importe est que ces entreprises disposaient de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché au moment de conclure les accords litigieux avec Lundbeck, de sorte qu’elles exerçaient une pression concurrentielle sur celle-ci. Or, cette pression concurrentielle a été éliminée pendant la durée des accords litigieux, ce qui constitue, en soi, une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

475    S’il est vrai que les règlements amiables ont souvent pour objectif de réduire les incertitudes inhérentes à la poursuite d’un contentieux, de tels règlements ne sont pas immunisés contre l’application du droit de la concurrence (voir point 427 ci-dessus). De plus, comme l’a constaté la Commission dans la décision attaquée, ils sont particulièrement problématiques lorsqu’ils visent à payer des concurrents potentiels pour qu’ils restent à l’écart du marché pendant une période déterminée, sans pour autant régler le moindre litige sous-jacent en matière de brevets, comme en l’espèce.

476    Dès lors, c’est à bon droit que la Commission a considéré que les accords litigieux s’apparentaient à des accords d’exclusion du marché entre concurrents et qu’ils étaient susceptibles d’avoir des effets négatifs sur la concurrence, sans qu’il fût nécessaire, aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de démontrer qu’ils avaient eu de tels effets.

477    Partant, la quatrième branche doit également être rejetée, tout comme le troisième moyen dans son entièreté.

E –  Sur le quatrième moyen, tiré d’une erreur de droit et d’un défaut de motivation commis lors du rejet du critère du champ d’application du brevet comme norme essentielle d’évaluation des accords de règlement amiable en matière de brevets dans le cadre de l’article 101, paragraphe 1, TFUE

478    Les requérantes considèrent que la Commission refuse à tort d’admettre que les accords comportant des restrictions qui correspondent à celles inhérentes à l’exercice des droits qu’un brevet confère à son titulaire ne relèvent pas de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et suggère à tort que les accords prévoyant des restrictions qui dépassent le champ d’application de ce brevet relèvent vraisemblablement de cette disposition. Selon elles, premièrement, la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit en ce qu’elle écarte le critère du champ d’application du brevet comme norme de contrôle pertinente pour évaluer les accords de règlement amiable en matière de brevets dans le cadre de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et, deuxièmement, l’argumentation retenue par la Commission dans la décision attaquée pour rejeter ce critère est absconse, absurde et contredite par l’argumentation clé sous-tendant le reste de la décision attaquée.

1.     Sur la première branche

479    En premier lieu, les requérantes font valoir que les restrictions contractuelles relevant du champ temporel, territorial et matériel des droits du titulaire du brevet ne violent pas le droit de la concurrence, car ces restrictions sont analogues à celles inhérentes au brevet sous-jacent, indépendamment du point de savoir si le règlement amiable implique ou non par ailleurs un transfert de valeur du laboratoire de princeps au bénéfice du fabricant de génériques.

480    Une telle condition serait conforme au principe selon lequel les brevets sont présumés valides jusqu’à la déclaration expresse de leur nullité. Dans l’arrêt Windsurfing, point 119 supra (EU:C:1986:75), la Cour aurait reconnu que toute clause qui concernait les produits couverts par un brevet trouvait une justification dans la protection d’un droit de propriété intellectuelle. La portée du brevet serait donc pertinente pour l’appréciation d’une violation de l’article 101 TFUE.

481    En deuxième lieu, les requérantes estiment que tout règlement amiable doit être lié à un contentieux « de bonne foi » entre les parties à l’accord, portant sur la validité ou la violation d’un brevet. De tels accords présenteraient intrinsèquement une légalité et utilité et n’auraient à craindre un contrôle « antitrust » que si le contentieux sous-jacent était fictif.

482    Or, en matière de règlements amiables concernant des brevets et des médicaments génériques, un contentieux devrait être qualifié d’authentique lorsque, d’une part, il n’est pas établi que le titulaire d’un brevet savait ou était intimement persuadé que celui-ci était nul et, d’autre part, ce titulaire disposait d’éléments de preuve suffisants pour soutenir que les médicaments génériques violaient son brevet. Si le titulaire d’un brevet nourrit de simples doutes quant à la validité de celui-ci, ces doutes, qui traduisent l’incertitude inhérente à l’issue de tout litige, ne seraient pas suffisants pour affecter la nature authentique de celui-ci et pour rendre illégal un accord de règlement amiable. Dès lors, des déclarations telles que celle qui est citée à plusieurs reprises par la décision attaquée, faite plus d’un an et demi après la conclusion des accords litigieux, et suggérant qu’un salarié de Lundbeck avait estimé à 60 % le risque que le brevet sur la cristallisation fût annulé par les juridictions du Royaume-Uni, ne sauraient en aucun cas être retenues pour établir que Lundbeck croyait que le brevet sur la cristallisation était nul ou qu’elle n’avait aucune chance d’en obtenir la mise en œuvre devant une juridiction.

483    En troisième lieu, les requérantes considèrent, dès lors, que le critère du champ d’application du brevet constitue la seule norme appropriée. Tout d’abord, un tel critère permettrait d’établir un équilibre raisonnable entre le droit de la concurrence et le droit des brevets. Ensuite, il répondrait aux préoccupations de la Commission concernant les règlements amiables en matière de brevets, puisqu’une entreprise de génériques concluant un tel accord peut notamment intégrer le marché d’une manière qui ne viole pas l’étendue matérielle, temporelle ou territoriale du brevet en cause. Enfin, il ne serait pas entaché des défauts viciant le critère retenu par la décision attaquée.

484    En quatrième lieu, selon les requérantes, aucun des accords litigieux ne viole l’article 101 TFUE, car tous satisfont, d’une part, à la condition du maintien dans le champ d’application du brevet, puisque les restrictions contractuelles étaient limitées aux médicaments contrefaisants et n’excédaient pas l’étendue territoriale et temporelle des brevets de procédé de Lundbeck et, d’autre part, à la condition du contentieux authentique, puisqu’aucun élément de preuve ne suggère que Lundbeck considérait que ses brevets étaient nuls et que, de surcroît, elle disposait d’éléments scientifiques démontrant que les entreprises de génériques violaient ses brevets de procédé.

485    La Commission conteste ces arguments.

486    Il convient tout d’abord de rappeler que, selon la jurisprudence, l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne fait aucune distinction entre les accords qui ont pour objet de mettre fin à un litige et ceux qui poursuivent d’autres buts (arrêt Bayer et Maschinenfabrik Hennecke, point 427 supra, EU:C:1988:448, point 15). Si les droits reconnus par la législation d’un État membre en matière de propriété industrielle ne sont pas affectés dans leur existence par l’article 101 TFUE, les conditions de leur exercice peuvent cependant relever des interdictions édictées par cet article. Tel peut être le cas chaque fois que l’exercice d’un tel droit apparaît comme étant l’objet, le moyen ou la conséquence d’une entente (arrêt Centrafarm et de Peijper, point 117 supra, EU:C:1974:114, points 39 et 40).

487    Dès lors, s’il est vrai que l’objet spécifique de la propriété industrielle est notamment d’assurer au titulaire, afin de récompenser l’effort créateur de l’inventeur, le droit exclusif d’utiliser une invention en vue de la fabrication et de la première mise en circulation de produits industriels, soit directement, soit par l’octroi de licences à des tiers, ainsi que le droit de s’opposer à toute contrefaçon (arrêt Centrafarm et de Peijper, point 117 supra, EU:C:1974:115, point 9), celui-ci ne saurait être interprété comme garantissant une protection également contre les actions visant à contester la validité d’un brevet, compte tenu de ce qu’il est de l’intérêt public d’éliminer tout obstacle à l’activité économique, qui pourrait découler d’un brevet délivré à tort (arrêt Windsurfing, point 119 supra, EU:C:1986:75, point 92).

488    Il y a lieu de noter, à cet égard, contrairement à ce que font valoir les requérantes, que les considérations exprimées au point 92 de l’arrêt Windsurfing, point 119 supra (EU:C:1986:75), ne sauraient valoir uniquement pour les clauses qui échappent manifestement au champ d’application du brevet. En effet, au point 46 du même arrêt, la Cour a considéré que, même à supposer que le brevet allemand ait couvert toute la planche à voile, et donc également le flotteur, ce qui aurait impliqué que la clause dont il était question fût entrée dans le champ d’application du brevet, cela ne signifiait pas qu’une telle clause était compatible avec l’article 101 TFUE.

489    En outre, selon la jurisprudence, même si la Commission ne saurait s’abstenir de toute initiative lorsque la portée d’un brevet est pertinente pour l’appréciation d’une violation des articles 101 TFUE et 102 TFUE, il ne lui appartient pas de définir la portée d’un brevet (arrêt Windsurfing, point 119 supra, EU:C:1986:75, point 26).

490    Au regard de cette jurisprudence, ainsi que des objectifs inhérents à l’article 101 TFUE, qui exigent, notamment, que chaque opérateur économique détermine de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché (voir, en ce sens, arrêt BIDS, point 341 supra, EU:C:2008:643, points 33 et 34) afin de protéger les consommateurs face à des augmentations de prix injustifiées résultant d’une collusion entre concurrents (voir point 386 ci-dessus), c’est à bon droit que la Commission a rejeté en l’espèce l’application du critère du champ d’application du brevet afin d’évaluer les accords litigieux sous l’angle de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

491    En effet, comme l’a fait valoir la Commission au considérant 698 de la décision attaquée, ce critère est problématique du point de vue du droit de la concurrence à plusieurs égards. Premièrement, il conduit à présumer qu’un médicament générique enfreint le brevet du laboratoire de princeps et permet ainsi d’exclure le médicament générique sur cette base, alors que le caractère infractionnel ou non du médicament générique est une question non résolue. Deuxièmement, il se fonde sur la présomption selon laquelle tout brevet invoqué dans le cadre d’un règlement amiable serait considéré comme valide en cas de contestation de sa validité, alors qu’il n’existe pas de fondement à cet effet en droit ou dans la pratique (point 122 ci-dessus). Le critère du champ d’application du brevet repose donc sur l’appréciation subjective, par les requérantes, du champ d’application de leurs brevets et de la validité de ceux-ci, alors qu’une juridiction nationale ou une autorité compétente aurait pu avoir un point de vue différent.

492    La Supreme Court of the United States, mettant fin à un débat intense sur ce sujet, a d’ailleurs suivi la même approche en rejetant le critère du champ d’application du brevet appliqué par certaines juridictions inférieures par son arrêt Actavis, mentionné au point 353 ci-dessus, où elle a considéré que le fait qu’un accord relevât du champ d’application d’un brevet n’immunisait pas cet accord contre une action « antitrust ».

493    En effet, la question de savoir si une restriction relève ou non du champ d’application d’un brevet est une conclusion qui découle d’un examen relatif à la portée et à la validité de celui-ci et non, comme le suggèrent les requérantes, le point de départ d’un tel examen (voir point 353 ci-dessus à propos de l’arrêt Actavis).

494    Ainsi, lorsque les requérantes tentent de faire valoir que les produits que les entreprises de génériques avaient l’intention de commercialiser enfreignaient leurs brevets ou entraient dans le champ d’application matériel, temporel et territorial de ceux-ci, il ne s’agit en réalité que de spéculations reposant sur leurs propres appréciations subjectives, puisqu’elles ne contestent pas le fait que, au moment de conclure les accords litigieux, aucune juridiction nationale ou autorité compétente n’avait établi que ces produits enfreignaient l’un ou l’autre de leurs brevets de procédé (point 145 ci-dessus). En outre, comme le souligne la Commission, le brevet sur la cristallisation n’avait même pas encore été délivré au moment où la plupart des accords litigieux avaient été conclus (point 127 ci-dessus), de sorte que le champ d’application des brevets des requérantes était incertain, tout comme la portée des restrictions contenues dans ces accords.

495    Par ailleurs, le fait que certaines restrictions contenues dans les accords litigieux aient été considérées par la Commission comme se situant potentiellement dans le champ d’application des brevets de Lundbeck signifie uniquement que les requérantes auraient pu obtenir des restrictions comparables au moyen de décisions judiciaires prises pour la mise en œuvre de leurs brevets, à supposer qu’elles aient obtenu gain de cause devant les juridictions nationales compétentes. En ce sens, même si les accords litigieux contenaient également des restrictions relevant potentiellement du champ d’application des brevets des requérantes, ces accords allaient au-delà de l’objet spécifique de leurs droits de propriété intellectuelle, qui incluaient, certes, le droit de s’opposer à des contrefaçons, mais pas celui de conclure des accords par lesquels des concurrents réels ou potentiels du marché étaient payés pour ne pas entrer sur le marché (voir point 487 ci-dessus et considérant 698 de la décision attaquée).

496    Les requérantes font valoir néanmoins qu’il existait des litiges réels en matière de brevets entre les parties aux accords litigieux en l’espèce, de sorte qu’elles pouvaient résoudre de tels litiges à l’amiable sans enfreindre l’article 101 TFUE.

497    Il est douteux, toutefois, que les accords litigieux aient permis de réellement mettre un terme aux litiges sous-jacents en matière de brevets entre les requérantes et les entreprises de génériques, puisque ces accords ne prévoyaient aucune entrée immédiate des génériques sur le marché à l’expiration de ceux-ci, accompagnée d’une renonciation, de la part des requérantes, à leurs revendications en matière de brevets (voir point 354 ci-dessus et considérant 662 de la décision attaquée).

498    Par ailleurs, à supposer même que les accords litigieux aient permis de résoudre un litige à l’amiable entre les parties, il suffit de rappeler que l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne fait aucune distinction entre les accords qui ont pour objet de mettre fin à un litige et ceux qui poursuivent d’autres buts (voir, en ce sens, arrêt Bayer et Maschinenfabrik Hennecke, point 427 supra, EU:C:1988:448, point 15). Or, l’objet anticoncurrentiel de ces accords étant suffisamment établi, s’agissant d’accords excluant des concurrents potentiels du marché contre paiement, à supposer qu’ils aient également pu bénéficier à la concurrence et aux consommateurs, des tels effets devraient être démontrés par les requérantes et être examinés sous l’angle de l’article 101, paragraphe 3, TFUE (voir l’examen du septième moyen ci-après) et non être évalués par la Commission dans le cadre du paragraphe 1 du même article (voir, en ce sens, arrêt Brasserie nationale e.a./Commission, point 387 supra, EU:T:2005:298, point 85).

499    Dès lors, c’est à tort que les requérantes font valoir que le critère juridique appliqué par la Commission n’aurait pas de fondement dans la jurisprudence ou que l’exercice de droits de propriété intellectuelle ne pourrait relever de l’interdiction prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE que dans des circonstances exceptionnelles. La Commission n’a commis aucune erreur de droit en rejetant le critère du champ d’application du brevet comme critère pertinent aux fins d’examiner les accords litigieux sous l’angle de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Comme le fait valoir la Commission, le critère pertinent en l’espèce était la notion de restriction par objet, telle que développée par la jurisprudence des juridictions de l’Union (points 338 à 344 ci‑dessus).

500    Par conséquent, la Commission était en droit, en l’espèce, de se fonder sur un ensemble de facteurs, en tant qu’éléments de contexte, tels que l’existence d’un paiement inversé, l’importance de ce paiement et le fait qu’il semblait correspondre aux bénéfices escomptés par les entreprises de génériques en cas d’entrée sur le marché, de même que l’absence de clause permettant de faciliter l’entrée des génériques sur le marché à l’expiration des accords litigieux et la présence de restrictions allant au-delà du champ d’application des brevets des requérantes, pour constater que ces accords avaient pour objet de restreindre la concurrence au sens de l’article 101 TFUE (voir considérants 661 et 662 de la décision attaquée).

501    Partant, la première branche doit être rejetée.

2.     Sur la deuxième branche

502    Les requérantes font valoir, en premier lieu, que la motivation du rejet du critère du champ d’application du brevet ne figure qu’au seul considérant 698 de la décision attaquée, qui est, de surcroît, entaché d’un raisonnement absurde, puisque, selon elles, ce critère n’incite pas les entreprises de génériques à abandonner tous leurs efforts pour intégrer les marchés, mais uniquement pour vendre des produits contrefaisants.

503    En outre, le droit de s’opposer à des contrefaçons impliquerait aussi que le titulaire de brevets pût s’opposer à des contrefaçons en résolvant un litige à l’amiable. Un tel droit découlerait également de l’objet spécifique d’un brevet, contrairement à ce qu’insinue la décision attaquée. L’arrêt Windsurfing, point 119 supra (EU:C:1986:75), cité dans la décision attaquée, ne pourrait être invoqué que pour soutenir que Lundbeck n’est pas habilitée à trancher un conflit entre les produits de deux fabricants tiers, ce qui ne correspondrait pas au cas d’espèce. Par ailleurs, l’argument soulevé par la décision attaquée, selon lequel les règlements amiables sont autorisés seulement s’ils sont fondés sur l’appréciation subjective des parties concernant la force du brevet contredirait l’allégation selon laquelle les titulaires d’un brevet ne devraient pas être capables d’apprécier eux-mêmes si les médicaments génériques contrefont leur brevet. La décision attaquée n’expliquerait pas non plus en quoi ce critère du champ d’application du brevet, qui existerait dans le droit des États-Unis d’Amérique, ne serait pas transposable dans le droit de l’Union.

504    Les requérantes estiment, en second lieu, que le rejet par la Commission du critère du champ d’application du brevet n’est pas cohérent avec le raisonnement clé de la décision attaquée sur lequel la Commission a axé son évaluation des accords litigieux. En effet, la Commission aurait fondé sa conclusion selon laquelle ces accords avaient pour objet de restreindre la concurrence sur l’assertion selon laquelle ils contenaient des restrictions allant au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck, puisqu’ils visaient à empêcher l’entrée de tout citalopram générique sur le marché, indépendamment du point de savoir si celui-ci était ou non contrefaisant. Or, à d’autres endroits, la Commission aurait déclaré que les paiements inversés en tant que tels indiqueraient que les accords litigieux avaient pour objet d’astreindre les entreprises de génériques à se tenir à l’écart du marché du citalopram générique pendant toute la durée de ceux-ci, indépendamment du point de savoir si les médicaments que ces entreprises auraient pu vendre étaient ou non contrefaisants.

505    Cela démontrerait que le critère du champ d’application du brevet a joué un rôle capital dans l’analyse de la Commission, ce qui irait à l’encontre de son allégation selon laquelle la question de savoir si les accords litigieux demeuraient dans le champ d’application des brevets de Lundbeck n’aurait pas changé fondamentalement l’analyse juridique de ces restrictions par la Commission.

506    La Commission conteste ces arguments.

507    Premièrement, il convient de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir arrêt du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, Rec, EU:C:2011:620, point 147 et jurisprudence citée).

508    Ainsi, dans le cadre des décisions individuelles, il ressort d’une jurisprudence constante que l’obligation de motiver une telle décision a pour but, outre de permettre un contrôle judiciaire, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est éventuellement entachée d’un vice permettant d’en contester la validité. Il convient de rappeler toutefois que l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (arrêt Elf Aquitaine/Commission, point 507 supra, EU:C:2011:620, points 146 et 148 et jurisprudence citée).

509    En l’espèce, s’agissant de la motivation, dans la décision attaquée, du rejet du critère de l’étendue du brevet, force est de constater que la Commission a répondu explicitement aux arguments des requérantes sur ce point au considérant 698 de la décision attaquée. La Commission y a notamment expliqué les raisons pour lesquelles ce critère ne permettait pas de répondre aux préoccupations posées par les accords litigieux sous l’angle du droit de la concurrence (voir point 491 ci-dessus). En outre, il ressort de l’économie de l’ensemble de la décision attaquée que la Commission a appliqué la notion de restriction par objet, en vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, aux accords litigieux, en tenant compte du contexte économique et juridique dans lequel ceux-ci avaient été conclus et en tenant compte d’une série de facteurs à cet égard (voir point 354 ci-dessus), écartant, de ce fait, nécessairement, le critère de l’étendue du brevet comme critère juridique pertinent afin d’évaluer ces accords sous l’angle de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

510    Les requérantes ne sauraient donc reprocher à la Commission de ne pas avoir suffisamment motivé, dans la décision attaquée, le rejet du critère du champ d’application du brevet, de même que la question de savoir si les titulaires de brevets sont en droit de s’opposer à des contrefaçons en résolvant leurs litiges à l’amiable, une telle question relevant de l’examen au fond de la décision attaquée, qui a été effectué dans le cadre de l’analyse des deuxième et troisième moyens ci‑dessus.

511    En outre, c’est en vain que les requérantes font valoir que la Commission aurait dû motiver sa décision attaquée en faisant référence aux critères juridiques applicables dans le droit des États-Unis d’Amérique. En effet, il a déjà été jugé qu’une position adoptée par le droit d’un pays tiers ne saurait commander celle retenue par le droit de l’Union et qu’une violation d’un tel droit ne constitue pas, en tant que telle, un vice susceptible d’entraîner l’illégalité d’une décision adoptée sur le fondement du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, Rec, EU:T:2003:245, points 1406 et 1407 et jurisprudence citée).

512    En tout état de cause, il suffit de constater que l’arrêt contenant l’avis majoritaire de la Supreme Court of the United States dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Actavis, mentionné au point 353 ci-dessus – et non l’opinion dissidente du juge Roberts – établit clairement que le fait qu’un accord relève du champ d’application d’un brevet n’immunise pas cet accord contre une action « antitrust », rejetant, de ce fait, le critère du champ d’application du brevet comme norme pertinente aux fins d’examiner le caractère anticoncurrentiel d’accords amiables en matière de brevets contenant des paiements inversés, dits « pay for delay », comme les accords litigieux en l’espèce.

513    Certes, comme l’ont fait valoir les requérantes lors de l’audience, le contexte réglementaire prévalant aux États-Unis est différent de celui existant dans les différents États membres de l’Union. C’est donc à juste titre que la Commission n’a pas examiné plus en avant les arguments des requérantes concernant l’application du critère du champ d’application du brevet, qui avait été appliqué par certaines juridictions de degré inférieur aux États-Unis avant l’arrêt Actavis, point 353 supra, afin d’examiner les accords litigieux sous l’angle de l’article 101 TFUE.

514    Deuxièmement, c’est à tort que les requérantes font valoir que la décision attaquée est contradictoire, en ce qu’elle admet, d’une part, que les accords litigieux étaient anticoncurrentiels, qu’ils contiennent ou non des restrictions allant au-delà du champ d’application de leurs brevets et, d’autre part, que ces accords contenaient des restrictions allant au-delà du champ d’application de leurs brevets, dans la mesure où ils visaient à empêcher la vente de tout type de citalopram générique par les entreprises de génériques.

515    En effet, la Commission a expliqué, aux considérants 661 et 662 de la décision attaquée notamment, que le fait que Lundbeck n’aurait pas pu obtenir les mêmes limitations à l’entrée des génériques sur le marché en faisant valoir ses brevets de procédé, constituait un indice important, parmi d’autres, de ce que les accords litigieux étaient contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. En d’autres termes, la question de savoir si les restrictions contenues dans les accords litigieux sortaient du champ d’application des brevets des requérantes a été considérée comme un facteur pertinent, mais non décisif aux fins d’établir l’existence d’une restriction par objet au sens de cette disposition, ce qui ressort clairement du considérant 641 de la décision attaquée également (points 335, 336 et 354 ci‑dessus). Il n’y a donc aucune contradiction dans la décision attaquée sur ce point.

516    Il y a lieu, dès lors, de rejeter le quatrième moyen.

F –  Sur le cinquième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation des faits, d’une violation de l’obligation de diligence et d’un défaut de motivation commis en ce que les actions de Lundbeck ont été qualifiées de stratégie globale hostile à l’entrée des génériques et de pertinentes pour évaluer les accords litigieux sous l’angle de l’article 101, paragraphe 1, TFUE

517    Selon les requérantes, la décision attaquée est insuffisamment motivée, est entachée d’erreurs manifestes d’appréciation des faits et viole l’obligation de diligence à laquelle la Commission est tenue, en ce qu’elle s’est polarisée sur quelques déclarations sélectionnées et a ignoré des faits essentiels pour conclure qu’elles poursuivaient une « stratégie globale » d’opposition contre les versions génériques du citalopram et s’est fondée sur cette stratégie alléguée pour évaluer les accords litigieux sous l’angle de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

518    En premier lieu, les requérantes font valoir que leur stratégie globale a consisté en des actions unilatérales sans lien aucun avec les accords litigieux et en tout état de cause non illicites. Elles considèrent que la Commission a commis un certain nombre d’erreurs graves en soutenant, dans la décision attaquée, qu’elles avaient poursuivi plusieurs politiques s’inscrivant dans une prétendue stratégie globale contre l’entrée des génériques sur le marché du citalopram, à savoir, premièrement, la création d’une période propice pour le lancement de l’escitalopram, deuxièmement, le dépôt de brevets de procédé pour la fabrication de citalopram, troisièmement, l’intervention dans les procédures d’AMM pour les versions génériques du citalopram, quatrièmement, l’élimination de la menace concurrentielle que représentaient les futurs fabricants de l’IPA citalopram et, cinquièmement, l’incitation des entreprises de génériques à cesser leurs efforts pour intégrer le marché du citalopram.

519    En deuxième lieu, elles avancent que la décision attaquée n’explique pas en quoi leurs actions seraient pertinentes pour constater l’existence d’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Selon les requérantes, l’intention des parties ne saurait rendre incompatibles avec le droit de la concurrence des accords par ailleurs licites. L’intention subjective de ces parties serait accessoire à la question principale de savoir si une restriction de la concurrence ressort des buts objectifs poursuivis par ces accords, à la lumière du contexte dans lequel ils s’inscrivent. Or, la décision attaquée se focaliserait à tort sur le comportement unilatéral de Lundbeck et omettrait d’expliquer en quoi les entreprises de génériques ont partagé l’intention alléguée de Lundbeck ou si elles avaient connaissance de cette intention. Par conséquent, la Commission ne saurait exciper de ce comportement pour établir l’existence d’une concordance de volontés entre Lundbeck et les entreprises de génériques, visant à contenir la concurrence exercée par la version générique du citalopram.

520    En troisième lieu, les requérantes estiment que la Commission a méconnu son obligation de diligence, qui lui impose d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce, en omettant de tenir compte de tous les autres faits indiquant que leurs actions visaient à mettre en œuvre des objectifs légitimes, tels que l’application d’un brevet valide pour s’opposer à une entrée contrefaisante, le lancement d’un produit innovant au bénéfice des consommateurs, l’information des autorités de santé de l’existence de risques potentiels pour la sécurité ou l’obtention d’une capacité de production supplémentaire.

521    En quatrième lieu, les requérantes considèrent que c’est à tort que la décision attaquée a qualifié certaines de leurs actions d’illégales, telles que le basculement de leurs efforts commerciaux vers un nouveau produit plus efficace, le Cipralex, le dépôt de leur part de plusieurs demandes de brevets couvrant des procédés permettant de fabriquer le citalopram, leurs interventions dans les procédures d’octroi d’AMM, ou leurs opérations avec les producteurs d’IPA. Les requérantes estiment en outre que la décision attaquée insinue à tort que, au cours du litige Lagap, elles auraient admis que les produits génériques fondés sur le procédé utilisé par Matrix n’étaient pas contrefaisants, alors que l’AMM fondée sur le procédé Matrix II, comportant une étape supplémentaire de lavage, n’aurait été octroyée au Royaume-Uni que le 4 juin 2003. Lundbeck n’aurait, au demeurant, jamais admis que Matrix ait recouru à un procédé utilisé à une échelle industrielle qui était à la fois commercialement viable et non contrefaisant.

522    La Commission conteste ces arguments.

523    Il convient de rappeler, tout d’abord, que la Commission était tout à fait en droit de tenir compte de l’intention des requérantes au moment de conclure les accords litigieux, puisque la jurisprudence reconnaît que l’intention des parties peut constituer un élément pertinent aux fins d’établir l’existence d’une restriction par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (point 344 ci‑dessus).

524    Ensuite, dans la mesure où les requérantes font valoir que leur stratégie n’était pas illégale, en ce qu’elle consistait, notamment, à développer un nouveau produit breveté, l’escitalopram, à enregistrer des brevets de procédé pour le citalopram ou à défendre ces brevets de procédé en intervenant dans les procédures d’octroi d’AMM des entreprises de génériques, il y a lieu de constater que la décision attaquée n’établit pas que de telles actions aient été, en soi, illégales. La Commission a uniquement tenu compte de ces éléments, en tant qu’éléments factuels pertinents, permettant de placer les accords litigieux dans leur contexte plus large et démontrant que les requérantes visaient à retarder l’entrée des génériques sur le marché afin de trouver une fenêtre propice pour le lancement de l’escitalopram (considérants 123 et suivants de la décision attaquée), par tous les moyens – légaux et illégaux – possibles. Ces arguments sont donc largement inopérants.

525    Néanmoins, dans la mesure où les arguments des requérantes peuvent également être interprétés comme visant à contester les appréciations factuelles effectuées par la Commission dans la décision attaquée, en faisant valoir une dénaturation des éléments de preuve à cet égard, il y a lieu de relever ce qui suit.

526    Premièrement, s’agissant des allégations des requérantes selon lesquelles leurs brevets de procédé étaient présumés valides et qu’aucune juridiction n’avait constaté l’absence de contrefaçon par les entreprises de génériques au moment de conclure les accords litigieux, il convient de rappeler que la Commission n’a nullement établi, dans la décision attaquée, que les brevets de procédé des requérantes n’étaient pas valides ou que celles-ci n’avaient aucune chance de s’opposer à l’entrée des génériques sur le marché en cas d’entrée à risque de ces dernières, mais qu’il existait une incertitude à cet égard, incertitude qui a été considérablement réduite ou éliminée par les accords litigieux (points 336, 363 et 429 ci‑dessus).

527    En outre, les estimations internes de Lundbeck relatives aux chances de voir le brevet sur la cristallisation invalidé ont été utilisées principalement par la Commission dans la décision attaquée afin d’établir que Lundbeck et les entreprises de génériques étaient des concurrents potentiels au moment de conclure les accords litigieux (voir point 96 ci-dessus et considérant 627 de la décision attaquée). Quel que soit le contexte dans lequel cette déclaration a été effectuée, ou l’identité de son auteur, il en ressort bien, comme la Commission l’a constaté dans la décision attaquée, qu’il existait une incertitude quant à la question de savoir si les brevets de Lundbeck auraient permis de bloquer toute entrée des entreprises de génériques sur le marché et que celles-ci disposaient des possibilités réelles et concrètes à cet égard au moment de conclure les accords litigieux. Les requérantes reconnaissent d’ailleurs que les procédures de nullité au niveau national étaient caractérisées par un aléa important.

528    Deuxièmement, c’est à tort que les requérantes estiment que la décision attaquée ne se fonde sur aucun document concret pour établir un lien entre les accords litigieux et le lancement de l’escitalopram. En effet, la décision attaquée se fonde notamment, à cet égard, sur un extrait du plan stratégique de Lundbeck pour l’année 1993 (considérant 135), sur un document préparé pour une réunion du conseil d’administration de Lundbeck du 24 avril 1998 (considérant 136), sur un document de Lundbeck du 24 septembre 1999 (considérant 138), sur le plan stratégique d’activité et le budget de Lundbeck pour les années 1999 (considérant 137), 2001 (considérant 139) et 2002 (considérant 140), et sur des notes écrites à l’occasion d’une réunion de stratégie de Lundbeck au début de l’année 2003 (considérant 141). Ce dernier document démontre, par exemple, que Lundbeck envisageait de combattre les génériques afin de créer une fenêtre d’opportunité pour basculer vers l’escitalopram. En outre, dans son plan stratégique d’activité et son budget pour l’année 2003, Lundbeck avait conclu que l’entrée sur le marché des génériques, initialement prévue pour le premier quadrimestre de l’année 2002, avait été reportée de manière très efficace jusqu’au mois d’octobre 2002 et qu’il était évident que l’absence de génériques avait eu un effet positif sur le développement de ventes du Cipralex (escitalopram) en 2003 (considérant 206 de la décision attaquée).

529    Troisièmement, c’est en vain également que les requérantes évoquent une dénaturation des éléments du procès Lagap au Royaume-Uni, dans la décision attaquée. En effet, il ressort des éléments de preuve avancés par la Commission, qui, du reste, ne sont pas remis en cause par les requérantes, que, si dans le cadre de ce procès, les requérantes ont effectivement fait valoir que le citalopram produit par Matrix violait le brevet sur la cristallisation, il s’agissait toutefois à nouveau de leur appréciation subjective, puisque cette allégation n’avait jamais été confirmée par le juge saisi de l’affaire, les requérantes ayant préféré transiger avec Lagap afin d’éviter une défaite qui, selon leurs propres termes, aurait été « humiliante » et qui « aurait été utilisée contre elles dans d’autres juridictions » (considérant 160 de la décision attaquée). Les requérantes n’ont pas établi en quoi la décision attaquée aurait dénaturé les éléments de preuve qui y figuraient à cet égard.

530    Les requérantes avancent, néanmoins, que l’AMM relative à la phase de lavage supplémentaire (c’est-à-dire le procédé Matrix II) n’a été octroyée que le 3 décembre 2003 au Royaume-Uni, de sorte que le citalopram générique commercialisé avant cette date au Royaume-Uni aurait été fondé sur le procédé Matrix I, dont elles considéraient qu’il enfreignait leurs brevets en ce qu’il était fondé sur des données falsifiées. Cela n’a cependant jamais été établi, au contraire, puisqu’il ressort du considérant 155 de la décision attaquée que, dans un jugement provisoire du 14 février 2003, le juge du Royaume-Uni saisi du litige contre Lagap a déclaré que « Lundbeck était désormais forcé d’admettre que sa conviction ferme et inébranlable selon laquelle il était impossible pour Lagap et ses fournisseurs d’utiliser un procédé non contrefaisant était infondée », de sorte que les requérantes ne sauraient faire valoir une dénaturation des éléments de preuve à cet égard.

531    Quatrièmement, s’agissant de l’allégation des requérantes selon laquelle leurs opérations avec les producteurs d’IPA avaient uniquement pour objet de trouver une solution aux problèmes de capacité auxquels elles se trouvaient confrontées, il y a lieu de relever qu’une telle explication est peu vraisemblable, au vu des éléments de preuve avancées par la Commission aux considérants 172 et suivants de la décision attaquée. En particulier, il est difficile de comprendre en quoi il eût été indispensable ou même utile pour Lundbeck de racheter l’entreprise italienne VIS Farmaceutici SpA (ci-après « VIS ») et de retirer le DMF de celle-ci de la demande d’AMM de Tiefenbacher, qui était pendante devant les autorités néerlandaises (considérant 176 de la décision attaquée), afin de résoudre de tels problèmes de capacité.

532    Enfin, c’est à tort que les requérantes affirment que la décision attaquée aurait constaté que leurs actions en contrefaçons auraient échoué. Celle-ci reconnaît au contraire que, dans un premier temps, les requérantes ont pu obtenir des injonctions dans certaines juridictions ou des saisies dans certains États, mais que, à la suite du passage de nombreuses entreprises de génériques au procédé Matrix II, celles-ci ont été soit révoquées, soit rejetées ou ont conduit à des règlements amiables. La décision attaquée conclut uniquement que, au moment de conclure les accords litigieux, aucune juridiction de l’EEE n’avait constaté que le brevet sur la cristallisation était valide et qu’il avait été enfreint (considérant 185 de la décision attaquée), ce que les requérantes ne contestent pas par ailleurs (point 145 ci‑dessus).

533    Au vu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de rejeter le cinquième moyen comme inopérant ou, en tout état de cause, non fondé.

G –  Sur le sixième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation des faits commise en ce que la décision attaquée conclut que les accords litigieux comportaient des restrictions dépassant celles inhérentes à l’exercice des droits conférés par les brevets de Lundbeck

534    Les requérantes font valoir que la décision attaquée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’elle n’examine pas l’ensemble des circonstances entourant les accords litigieux et conclut à tort que ceux-ci comportaient des restrictions dépassant celles inhérentes à l’exercice des droits que leurs brevets leur conféraient. Chacun des accords litigieux se serait maintenu dans le champ d’application de leurs brevets et n’aurait empêché que la vente du citalopram contrefaisant.

535    En premier lieu, les requérantes considèrent que la décision attaquée conclut à tort que les accords litigieux ont empêché les entreprises de génériques de vendre du citalopram, y compris celui qui n’était pas contrefaisant, et sont donc allés au-delà des droits qu’elles tiraient de leurs brevets.

536    Elles font valoir que, si elles avaient eu l’intention d’empêcher les entreprises de génériques de vendre n’importe quel type de citalopram, elles auraient dû conclure des accords avec tous les entrants potentiels, alors que, à l’époque, il y aurait eu plus de 300 entreprises de génériques vendant des antidépresseurs dans l’EEE. Lundbeck n’aurait eu aucun motif plausible d’empêcher la vente des médicaments non contrefaisants de seulement quatre entreprises de génériques.

537    En deuxième lieu, les requérantes font valoir que, pour chacun des accords litigieux, la décision attaquée ne tient pas compte de l’ensemble des circonstances dans lesquelles ceux-ci se sont inscrits et n’examine pas l’expression fidèle de l’intention des parties, qui peut résulter tant des clauses d’un contrat que du comportement des entreprises en cause, pour conclure qu’ils allaient au-delà du champ d’application de leurs brevets.

538    La Commission conteste ces arguments.

539    À titre liminaire, il y a lieu de relever, à l’instar de la Commission, que, même si les accords litigieux n’étaient pas allés au-delà du champ d’application des brevets des requérantes, ces accords auraient néanmoins constitué des restrictions de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, étant donné qu’ils ont consisté en des ententes visant à retarder l’entrée des entreprises de génériques sur le marché, en échange de paiements inversés importants (voir deuxième, troisième et quatrième moyens ci-dessus), qui ont transformé l’incertitude relative à une telle entrée en la certitude qu’elle n’aurait pas lieu pendant la durée des accords litigieux (point 363 ci‑dessus).

540    Le présent moyen est donc inopérant.

541    Il y a lieu, néanmoins, d’examiner les arguments des requérantes à cet égard, à titre subsidiaire, dans la mesure où la Commission estime que les requérantes ne remplissent pas les conditions qu’elles ont elles-mêmes établies, puisque les restrictions contractuelles contenues dans les accords litigieux ne se limitaient pas aux produits potentiellement contrefaisants et qu’elles excédaient le champ d’application des brevets en cause.

1.     Accord GUK pour le Royaume-Uni

542    Selon les requérantes, la décision attaquée se fourvoie lorsqu’elle considère, premièrement, que l’obligation pour Merck (GUK) de ne pas lancer de citalopram fondé sur le seul IPA de Natco s’appliquait indépendamment du point de savoir si l’IPA de Natco était ou non contrefaisant et, deuxièmement, que l’obligation d’achat exclusif contenue dans cet accord empêchait Merck (GUK) de vendre toute autre version générique de citalopram.

543    La Commission conteste ces arguments.

544    En premier lieu, les requérantes estiment que la décision attaquée conclut à tort que l’accord GUK pour le Royaume-Uni faisait obstacle à des ventes du citalopram de Natco, indépendamment du point de savoir si celui-ci était contrefaisant. Elles avancent que l’accord GUK pour le Royaume-Uni ne portait que sur un seul produit, à savoir le citalopram de Natco, que Lundbeck avait soumis à des essais et considéré comme contrefaisant ses brevets.

545    La décision attaquée se fonderait à tort sur des déclarations figurant dans deux courriels internes de Merck (GUK) pour conclure que les brevets de Lundbeck, en l’occurrence le brevet sur la cristallisation, n’étaient ni valides ni violés et qu’aucune des demandes de brevet publiées ne posait problème. Par ailleurs, la décision attaquée ne tiendrait pas compte d’autres documents de Merck (GUK) contemporains des faits, montrant que celle-ci craignait beaucoup que l’IPA de Natco ne violât les brevets de Lundbeck, ni du fait que, au cours de la procédure administrative, Merck (GUK) aurait admis ne pas être certaine que le procédé de Natco ne violait pas les brevets de procédé de Lundbeck.

546    En outre, les requérantes estiment que l’accord GUK pour le Royaume-Uni ne pouvait en aucun cas englober le citalopram produit selon des procédés différents et non contrefaisants, puisque Natco et Merck (GUK) n’auraient pas été en mesure de se tourner vers un nouveau médicament pendant la brève durée de cet accord.

547    Il convient de rappeler, à cet égard, qu’il ressort explicitement du point C du préambule de l’accord GUK pour le Royaume-Uni que Merck (GUK) n’a pas accepté que son produit fût reconnu comme contrefaisant, mais qu’elle a reconnu, en revanche, qu’il existait un risque de contentieux en matière de brevets, ce qui aurait pu provoquer des retards et inconvénients.

548    En outre, force est de constater, à l’instar de la Commission au considérant 768 de la décision attaquée, que l’accord GUK pour le Royaume-Uni n’identifiait même pas quel brevet des requérantes aurait été enfreint.

549    C’est donc à tort que les requérantes tentent à nouveau de faire valoir que les produits génériques de Merck (GUK) étaient contrefaisants, une telle affirmation ne reposant que sur leur propre perception subjective (point 221 ci-dessus). Le fait que Merck (GUK) ait pu avoir des doutes quant au caractère contrefaisant de ses produits ne fait que confirmer l’état d’incertitude dans lequel se trouvaient les requérantes et les entreprises de génériques au moment de conclure les accords litigieux, mais ne permet en aucun cas d’établir que l’IPA de Natco était contrefaisant. En outre, les éléments de preuve objectifs sur lesquels la Commission s’est fondée dans la décision attaquée démontrent plutôt que Merck (GUK) était confiante quant à ses chances de l’emporter en cas de litige avec Lundbeck (point 125 ci‑dessus).

550    Les autres arguments des requérantes ayant déjà été rejetés dans le cadre de l’examen du premier moyen relatif à la concurrence potentielle, il y a lieu de renvoyer à l’examen de ce moyen et aux points 207 à 236 ci-dessus en ce qui concerne la situation de Merck (GUK) en particulier.

551    Partant, l’argument des requérantes selon lequel la Commission a conclu à tort que l’accord GUK pour le Royaume-Uni avait limité les ventes du citalopram de Natco, indépendamment du point de savoir si celui-ci était contrefaisant, doit être rejeté.

552    En deuxième lieu, les requérantes considèrent que c’est à tort que la décision attaquée conclut que la clause d’exclusivité contenue au point 3.2 de l’accord GUK pour le Royaume-Uni empêchait Merck (GUK) d’intégrer le marché avec une autre version générique du citalopram, que ce soit sous forme de produit fini ou sous forme d’IPA. Selon elles, le point 3.2 aurait uniquement imposé à Merck (GUK) d’acheter les plaquettes alvéolées de 28 comprimés de Cipramil de 20 mg exclusivement à Lundbeck et n’aurait pas limité la liberté de GUK d’acheter soit des médicaments finis contenant du citalopram qui ne soient pas de Lundbeck, soit du citalopram sous toute autre forme, par exemple l’IPA citalopram, auprès de n’importe quel tiers.

553    Contrairement à ce que fait valoir la Commission dans la décision attaquée, une telle interprétation ferait sens, puisque, en l’absence d’une telle clause, Merck (GUK) aurait pu acheter le Cipramil de Lundbeck auprès de tiers, tels que des grossistes, ce qui aurait réduit à néant l’objectif de Lundbeck d’accroître l’ensemble des ventes de ce médicament au Royaume-Uni.

554    En outre, la décision attaquée admettrait que, « si l’on interprète de manière littérale les termes utilisés dans ces stipulations, il se peut que Merck (GUK) n’ait effectivement pas été empêchée, au point 3.2, d’acheter l’IPA citalopram auprès des tiers » (considérant 781). Toutefois, la décision attaquée conclurait à tort que Merck (GUK) aurait été empêchée d’acheter l’IPA citalopram auprès des tiers en ce qu’elle n’avait aucune incitation à le faire. En effet, d’une part, Merck (GUK) aurait été libre de vendre du citalopram ne provenant pas de Lundbeck, sous forme de produit fini, à l’exclusion du citalopram contrefaisant de Natco et, d’autre part, si Merck (GUK), en achetant de l’IPA citalopram auprès de tiers, avait violé l’article 1.3 de son accord avec Schweizerhall aux termes duquel Merck (GUK) s’engageait à couvrir l’ensemble de sa demande annuelle en IPA citalopram auprès de celle-ci (considérant 783), Lundbeck ne connaissait pas cette disposition et ne pouvait donc pas avoir conscience de la prétendue absence d’incitation de Merck (GUK) à acheter l’IPA auprès de tiers. En tout état de cause, une telle absence d’incitation ne découlerait pas de l’accord GUK pour le Royaume-Uni et elle ne saurait en conséquence être retenue pour définir le champ d’application de ce dernier.

555    La Commission conteste ces arguments et rappelle que le point 3.2 de l’accord GUK pour le Royaume-Uni prévoit que « GUK convient d’acquérir exclusivement les produits finis auprès de [Lundbeck] pour une revente par GUK et ses sociétés affiliées ». Cette disposition signifierait, dans son sens ordinaire, que Merck (GUK) pouvait seulement acquérir les produits finis auprès de Lundbeck, à l’exclusion d’autres fournisseurs. Cette interprétation serait confirmée par le point D du préambule, qui prévoit que « les parties ont en outre convenu que GUK couvre ses besoins en Produits Finis en les achetant auprès de [Lundbeck] ». Les requérantes auraient même admis pendant la procédure administrative que Merck (GUK) « a[vait] convenu de couvrir ses besoins en citalopram en l’achetant exclusivement auprès de Lundbeck pour revente au Royaume-Uni ». Or, ces engagements iraient clairement au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck.

556    La Commission rejette l’interprétation proposée par les requérantes, selon laquelle les termes « Produits Finis » se référeraient uniquement au Cipramil de Lundbeck. En effet, ces termes seraient définis à l’article 1.1 de l’accord comme étant « les produits contenant du citalopram sous forme de paquet fini à fournir par [Lundbeck] à GUK conformément au présent accord ». L’interprétation proposée par les requérantes rendrait le terme « exclusivement » redondant, puisque, de toute évidence, Merck (GUK) n’aurait pu acheter le Cipramil de Lundbeck qu’auprès de Lundbeck. Le terme « exclusivement » signifierait donc que Merck (GUK) devait couvrir tous ses besoins en citalopram sous forme de produit fini en l’achetant auprès de Lundbeck. En outre, il conviendrait d’interpréter cette disposition à la lumière de l’intention des requérantes, qui était d’éviter une présence indépendante des entreprises de génériques sur le marché.

557    S’agissant de l’achat de l’IPA de citalopram auprès de tiers, la décision attaquée aurait admis qu’une interprétation littérale de l’article 3.2 de l’accord GUK pour le Royaume-Uni n’empêchait sans doute pas d’acheter de l’IPA auprès de tiers. Cependant, la décision attaquée aurait conclu que, étant donné l’accord de fourniture conclu entre Merck (GUK) et Schweizerhall en mai 2011, dont les conditions venaient renforcer celles de l’accord GUK pour le Royaume-Uni, Merck (GUK) n’avait plus aucune incitation à acheter l’IPA citalopram auprès de tiers. En effet, même si Merck (GUK) avait acheté de l’IPA ne provenant pas de Natco afin de produire et de vendre un produit fini elle-même, elle aurait risqué de violer son obligation, en vertu de l’accord GUK pour le Royaume-Uni, de « couvrir ses besoins » en citalopram sous forme de produits finis auprès de Lundbeck exclusivement.

558    À cet égard, il y a lieu de considérer, à l’instar des requérantes, que l’interprétation du point 3.2 de l’accord GUK pour le Royaume-Uni retenue par la Commission dans la décision attaquée, selon laquelle Merck (GUK) se serait engagée à acheter exclusivement le citalopram sous forme de produits finis provenant de Lundbeck pour les commercialiser au Royaume-Uni, à l’exclusion de tout autre citalopram, ne saurait être retenue.

559    En effet, il ressort clairement de la définition de « Produits Finis » au point 1.1 de l’accord GUK pour le Royaume-Uni (point 26 ci-dessus) que ceux-ci se réfèrent aux produits finis provenant de Lundbeck, c’est-à-dire au Cipramil. Par cette clause, Merck (GUK) s’est donc uniquement engagée à acheter les comprimés de Cipramil de Lundbeck, en vue de les revendre au Royaume-Uni, en vertu d’un accord de distribution. Le terme « exclusivement » utilisé dans cette disposition ne signifie pas, contrairement à ce qu’affirme la Commission, que Merck (GUK) se serait engagée à acheter et à vendre exclusivement le citalopram sous forme de produits finis provenant de Lundbeck, à l’exclusion de tout autre citalopram, mais bien qu’elle s’était engagée à acheter le Cipramil, pour revente au Royaume-Uni, auprès de Lundbeck uniquement, à l’exclusion d’autres fournisseurs. Contrairement à ce que fait valoir la Commission au considérant 779 de la décision attaquée, une telle interprétation n’est pas absurde, puisque le terme « exclusivement » figurant au point 3.2 pouvait ainsi avoir comme objectif d’éviter que Merck (GUK) puisse se fournir en Cipramil auprès de grossistes ou d’autres fournisseurs que Lundbeck, conformément à l’objectif de celle-ci d’augmenter le volume de ventes du Cipramil.

560    En outre, c’est à tort que la Commission se fonde sur le point D du préambule de l’accord GUK pour le Royaume-Uni, dont le libellé est essentiellement identique au point 3.2 de l’accord, pour soutenir son interprétation, puisqu’il y est fait référence également aux « Produits Finis » avec majuscule, qui sont clairement définis au point 1.1 du même accord.

561    Par ailleurs, comme la Commission l’admet elle-même au considérant 781 de la décision attaquée, une interprétation textuelle du point 3.2 de l’accord GUK pour le Royaume-Uni conduit à la conclusion selon laquelle cette disposition n’empêchait pas Merck (GUK) de s’approvisionner en citalopram sous forme d’IPA auprès de tiers.

562    En effet, il convient de relever que le point 2.2 de l’accord GUK pour le Royaume-Uni prévoit uniquement que Merck (GUK) s’engage à livrer à Lundbeck l’ensemble de ses « Produits », qui sont définis au point 1.1 de l’accord comme étant les « produits de citalopram […] sous forme de matière première, en vrac ou sous forme de comprimés, tels que spécifiés en Annexe, et manufacturés en conformité avec la spécification de produits telle que fournie par GUK à la date de signature [de l’accord], jointe en Annexe 2 ». Or, cette annexe fait effectivement référence à l’IPA de Natco. Cela implique que Merck (GUK) était uniquement tenue, en vertu de cette disposition, de livrer son stock de citalopram existant, déjà constitué au moment de la signature de l’accord, et non tout autre type de citalopram générique, provenant d’autres producteurs que Natco, qu’elle aurait pu se procurer ultérieurement. La Commission reconnaît par ailleurs, au considérant 763 de la décision attaquée notamment, que cette obligation visait uniquement l’IPA de Natco.

563    Au considérant 783 de la décision attaquée, la Commission a estimé néanmoins que, si Merck (GUK) s’était approvisionnée en citalopram sous forme d’IPA auprès de tiers, elle aurait violé le point 1.3 de son contrat d’approvisionnement conclu avec Schweizerhall, qui prévoyait que Merck (GUK) couvrirait 100 % de ses besoins annuels en citalopram générique auprès de cette dernière (point 210 ci-dessus). La Commission a considéré, dès lors, dans la note en bas de page no 1435 de la décision attaquée, que, même s’il était formellement possible pour Merck (GUK) d’entrer sur le marché avec un citalopram générique provenant d’autres sources que Natco en vertu de l’accord GUK pour le Royaume-Uni, cela n’était pas possible en raison de l’accord Schweizerhall. Or, selon la Commission, ces deux accords se renforçaient mutuellement, de sorte qu’ils devaient être lus conjointement.

564    Il convient de relever toutefois, à l’instar des requérantes, que, à supposer même qu’elles aient eu connaissance de l’obligation pour Merck (GUK) de s’approvisionner en citalopram générique auprès de Natco exclusivement, en vertu du contrat d’approvisionnement conclu avec Schweizerhall, une telle obligation ne découle pas des dispositions de l’accord GUK pour le Royaume‑Uni, mais de l’accord Schweizerhall.

565    Or, la Commission ne saurait se fonder sur les dispositions d’un autre accord ne concernant pas les mêmes parties afin de déterminer le contenu des clauses de l’accord GUK pour le Royaume-Uni et, en particulier, afin d’établir si ces clauses contenaient des restrictions allant au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck ou non. En effet, une telle interprétation permettrait de considérer que n’importe quel type d’accord conclu par Merck (GUK) contenant des restrictions portant sur l’IPA de Natco, qui était pourtant identifié comme potentiellement contrefaisant par les parties à l’accord GUK pour le Royaume-Uni, dépassait le champ d’application des brevets de Lundbeck, en raison de l’obligation d’approvisionnement exclusif découlant de l’accord Schweizerhall, conclu antérieurement et par des parties différentes.

566    Dès lors, même si Lundbeck pouvait avoir eu connaissance de l’existence de l’accord Schweizerhall, la Commission ne saurait se fonder sur une telle circonstance afin de conclure que le point 3.2 de l’accord GUK pour le Royaume-Uni visait, en lui-même, à empêcher Merck (GUK) d’entrer sur le marché avec tout type de citalopram, qu’il provienne de Natco ou non et qu’il soit jugé par les parties comme potentiellement contrefaisant ou non.

567    Certes, comme le fait valoir la Commission, il convient d’interpréter les accords litigieux en tenant compte non seulement de leurs termes, mais également de leur contexte et des objectifs qu’ils poursuivent. Une telle méthode d’interprétation ne saurait toutefois conduire la Commission à ignorer le libellé des dispositions d’un accord lorsque ce libellé est suffisamment clair.

568    Il y a lieu de relever par ailleurs, à cet égard, que la Commission a elle-même soutenu, au considérant 635 et dans la note en bas de page no 1562 de la décision attaquée, ainsi qu’en réponse à une question du Tribunal, que l’accord Schweizerhall aurait pu être résilié dans l’hypothèse d’une contrefaçon des brevets de Lundbeck (voir point 224 ci-dessus). Or, une telle interprétation de l’accord Schweizerhall est difficilement conciliable avec l’interprétation de l’accord GUK pour le Royaume-Uni proposée par la Commission dans la décision attaquée, selon laquelle les restrictions dépassaient le champ d’application des brevets de Lundbeck en raison de l’obligation pour Merck (GUK), découlant de l’accord Schweizerhall, de s’approvisionner exclusivement en citalopram générique auprès de celle-ci. En effet, le fait que Merck (GUK) ait pu ne pas avoir l’intention d’acheter du citalopram qui n’était pas produit par Natco ne signifie pas que l’accord GUK pour le Royaume-Uni contenait de telles restrictions dépassant le champ d’application des brevets de Lundbeck.

569    Partant, il convient de constater que la Commission, à laquelle incombe la charge de la preuve à cet égard (points 105 à 112 ci-dessus), n’a pas établi à suffisance de droit, dans la décision attaquée, que les restrictions contenues dans l’accord GUK pour le Royaume-Uni allaient au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck, c’est-à-dire que de telles restrictions n’auraient pas pu être obtenues par Lundbeck devant un juge compétent en matière de brevets si les produits génériques fondés sur l’IPA de Natco, que Merck (GUK) entendait commercialiser, avaient été jugés contrefaisants et si ces brevets avaient résisté aux éventuelles demandes reconventionnelles visant à remettre en cause leur validité.

570    Cependant, une telle constatation n’est pas susceptible d’avoir des conséquences dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision attaquée, dans la mesure où le grief avancé par les requérantes est inopérant, pour les raisons exposées ci-après.

571    Premièrement, force est de constater que les requérantes ne contestent pas que, en vertu du point 1.1 de l’accord GUK pour le Royaume-Uni, Merck (GUK) s’est engagée à ne pas entrer sur le marché avec ses produits génériques fondés sur l’IPA de Natco et que, en vertu des points 2.2 et 2.3 du même accord, celle-ci s’est engagée à leur livrer l’intégralité du stock de citalopram qu’elle s’était constitué (considérants 771 et 772 de la décision attaquée), ni le fait qu’elles ont versé une somme de 3 millions de GBP à Merck (GUK) en échange de cet engagement (point 26 ci-dessus). De même, les requérantes ne contestent pas que, en vertu du point 2.7 de l’accord GUK pour le Royaume-Uni, Merck (GUK) s’est engagée à ne pas octroyer ou à ne pas vendre sous licence une copie de ses AMM déjà obtenues au Royaume-Uni, pendant la durée de cet accord.

572    Or, comme le fait valoir la Commission, de tels engagements sont, en tout état de cause, anticoncurrentiels par leur objet même, qu’ils aillent au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck ou non, dans la mesure où, loin de régler un quelconque litige en matière de brevets entre les parties à l’accord GUK pour le Royaume-Uni, ils ont été obtenus en contrepartie de paiements inversés importants et où ils avaient pour objectif d’empêcher Merck (GUK) – et toute entreprise qui souhaiterait utiliser son AMM – d’entrer sur le marché pendant toute la durée de l’accord avec ses produits génériques, fondés sur l’IPA de Natco, sur lesquels elle avait fondé jusqu’alors toute sa stratégie pour entrer sur le marché.

573    Comme la Commission l’a souligné aux considérants 641 et 820 de la décision attaquée notamment, ce qui importe, à cet égard, c’est que l’accord GUK pour le Royaume-Uni ait transformé l’incertitude quant à l’issue d’éventuelles actions en contrefaçon en la certitude que Merck (GUK) n’entrerait pas avec ses produits génériques sur le marché pendant toute la durée de cet accord, alors même que les limitations à l’autonomie commerciale de Merck (GUK) ne résultaient pas exclusivement d’une analyse, par les parties à l’accord, des brevets de Lundbeck, mais plutôt de l’importance du paiement inversé qui, dans un tel cas, l’a emporté sur cette évaluation et a incité l’entreprise de génériques à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché.

574    Deuxièmement, il y a lieu de relever, à titre surabondant, que la Commission a constaté à juste titre, au considérant 784 de la décision attaquée notamment, que Merck (GUK) n’avait plus aucune incitation, en raison des dispositions de l’accord GUK pour le Royaume-Uni, prises dans leur contexte, à se procurer du citalopram sous forme d’IPA auprès de tiers ou à vendre du citalopram sous forme de produits finis autre que celui de Lundbeck, même si elle était en principe libre de le faire en vertu de cet accord.

575    En effet, il convient de relever, tout d’abord, que Merck (GUK) s’est engagée, en vertu du point 3.2 de l’accord GUK pour le Royaume-Uni, à vendre le Cipramil de Lundbeck au Royaume-Uni pendant la durée de l’accord et que, en vertu du point 6.2 de cet accord, le paiement d’un montant de 5 millions de GBP, qualifié de « profits nets », était conditionné à la vente d’un certain volume de ces médicaments au Royaume-Uni pendant la durée de l’accord. Il convient de rappeler, en outre, que cette somme devait être payée en plusieurs tranches, ce qui permettait à Lundbeck de s’assurer de la bonne exécution de l’accord.

576    Dès lors, même si Merck (GUK) avait pu, théoriquement, se procurer du citalopram générique sous forme d’IPA auprès de tiers et vendre d’autres types de produits finis que ceux de Lundbeck, elle n’avait aucun intérêt à le faire, puisqu’elle pouvait, sans prendre le moindre risque, obtenir la somme de 5 millions de GBP en tant que bénéfices garantis pour la vente du Cipramil en vertu du point 6.2 de l’accord GUK pour le Royaume-Uni, alors que toute tentative d’entrer sur le marché avec d’autres produits génériques aurait pu l’exposer à des actions en contrefaçon et en dommages-intérêts de la part de Lundbeck. En outre, comme le fait valoir la Commission au considérant 784 de la décision attaquée, il est difficile de percevoir l’intérêt qu’auraient eu des tiers à acheter du citalopram générique sous forme d’IPA par l’intermédiaire de Merck (GUK), pour le revendre sous forme de produits finis au Royaume-Uni, s’ils pouvaient se le procurer auprès du producteur d’IPA ou auprès de son fournisseur privilégié directement.

577    Partant, l’argument des requérantes selon lequel la Commission a conclu à tort que l’accord GUK pour le Royaume-Uni avait limité les ventes de citalopram autre que celui produit à partir de l’IPA de Natco doit être rejeté comme inopérant.

2.     Accord GUK pour l’EEE

578    S’agissant de l’accord GUK pour l’EEE, les requérantes considèrent que la décision attaquée a conclu à tort que le champ d’application de cet accord incluait le citalopram non contrefaisant et qu’il avait vocation à éliminer Natco en tant que fournisseur d’IPA.

579    En premier lieu, les requérantes considèrent que la décision attaquée a conclu à tort que l’accord GUK pour l’EEE s’appliquait à n’importe quel type de citalopram. La décision attaquée effectuerait à tort une interprétation textuelle du point 1.1 de l’accord GUK pour l’EEE, qui prévoit que GUK « cessera de vendre et de fournir des produits pharmaceutiques contenant du Citalopram », alors que, en droit danois, qui est le droit applicable à cet accord, l’interprétation des accords devrait se fonder sur l’intention commune des parties. Or l’intention des parties, corroborée par les points D, F et G du préambule de l’accord, était que ce dernier ne s’appliquait qu’au citalopram fondé sur l’IPA de Natco. En outre, il conviendrait d’interpréter cet accord de manière connexe et conforme à l’accord GUK pour le Royaume-Uni, puisque ces deux accords constituent, aux yeux de la Commission, une infraction unique et continue.

580    L’interprétation effectuée par la Commission du point 1.1 de l’accord GUK pour l’EEE ne tiendrait pas compte non plus du fait que Merck dura, une filiale allemande de Merck, a continué à vendre du citalopram de Tiefenbacher en Allemagne à compter du 15 avril 2002 et pendant toute la période couverte par l’accord GUK pour l’EEE et que Lundbeck a poursuivi Merck dura en contrefaçon plutôt que de mettre en œuvre ledit accord. Or, en vertu du point 1.1 de celui-ci, qui prévoit une interdiction pour Merck (GUK) de vendre et de fournir des produits contenant du citalopram, Merck dura était une « partie affiliée » de Merck (GUK) au sens de cette disposition, ce qui impliquerait que l’expression « produits contenant du citalopram » ne pouvait se référer qu’au citalopram de Natco et non à n’importe quel type de citalopram.

581    Enfin, les requérantes critiquent la conclusion de la Commission formulée au considérant 845 de la décision attaquée, selon laquelle il ne découlerait pas logiquement du simple fait que Merck (GUK) ait eu un contrat en vertu duquel elle devait couvrir tous ses besoins en s’approvisionnant auprès de Natco jusqu’en 2008, que son engagement de s’abstenir de vendre du citalopram pendant la durée de l’accord GUK pour l’EEE devrait également être circonscrit au citalopram de Natco. Une telle conclusion contredirait clairement l’argumentation de la décision attaquée au sujet de l’accord GUK pour le Royaume-Uni, selon laquelle l’engagement contractuel de Merck (GUK) de couvrir l’ensemble de ses besoins en s’approvisionnant auprès de Natco démontrerait que Merck (GUK) n’était pas incitée à vendre de l’IPA ou des produits finis de tiers sur cette base.

582    En deuxième lieu, les requérantes estiment que la décision attaquée a conclu à tort que l’accord conclu avec Merck (GUK) concernant l’EEE visait à éliminer Natco en tant que fournisseur d’IPA.

583    Elles contestent le fait que le point 1.1 de l’accord GUK pour l’EEE, aux termes duquel Merck (GUK) « devra[it] déployer ses meilleurs efforts pour s’assurer que Natco cess[ât] de fournir du Citalopram et des médicaments contenant le Citalopram sur le Territoire », était conçu pour éliminer Natco en tant que fournisseur d’IPA. Cette disposition aurait été un simple outil destiné à garantir que Merck (GUK) ne pourrait pas contourner ledit accord et vendre du citalopram contrefaisant fondé sur l’IPA de Natco au moyen par exemple d’une société distincte. Elle serait fondée sur le fait que Lundbeck croyait – à tort – du moins jusqu’en juin 2002, que Merck (GUK) était le distributeur exclusif de Natco. Par ailleurs, si la Commission admet, s’agissant de l’accord GUK pour le Royaume-Uni, que les restrictions apportées à l’IPA de Natco n’étaient pas en dehors du champ d’application des brevets de Lundbeck, la même conclusion devrait s’appliquer aux restrictions contractuelles contenues dans l’accord GUK pour l’EEE.

584    La Commission conteste ces arguments.

585    Il convient de relever, à cet égard, que le libellé de la première phrase du point 1.1 de l’accord GUK pour l’EEE prévoit que Merck (GUK) « s’engage à cesser la vente et l’approvisionnement de produits pharmaceutiques contenant du citalopram sur le territoire de l’EEE (en ce compris, sans limitation, cesser de vendre et d’approvisionner NM Pharma AB) pendant la durée de l’accord », sans autre précision.

586    Les points D et E du préambule de cet accord font, certes, référence au fait que Merck (GUK) était le distributeur de produits contenant du citalopram fabriqué ou livré par Natco et au fait que la vente et l’approvisionnement par Merck (GUK) de produits contenant du citalopram au Royaume-Uni avaient été effectués sans licence de la part de Lundbeck.

587    Cela ne permet pas de confirmer, toutefois, l’interprétation retenue par les requérantes, selon laquelle le point 1.1 de l’accord GUK pour l’EEE visait uniquement le citalopram de Natco.

588    En effet, si les parties à l’accord GUK pour l’EEE avaient voulu viser uniquement le citalopram de Natco, elles auraient expressément fait référence, au point 1.1 de l’accord, à ce citalopram, tout comme dans le préambule de l’accord, et non aux « produits pharmaceutiques contenant du citalopram », de manière générale, comme le fait valoir à juste titre la Commission. Elles auraient également pu définir le terme « citalopram » de manière à préciser que ce terme ne couvrait que certains types de citalopram produits selon certaines méthodes, comme dans le cadre de l’accord UK (voir point 562 ci‑dessus).

589    En outre, l’interprétation proposée par les requérantes est peu plausible, lorsqu’elle est confrontée au libellé du point 1.3 de l’accord GUK pour l’EEE, qui prévoit que Lundbeck s’engage à n’intenter aucune action en justice à l’encontre de Merck (GUK) tant que cette dernière respecte le point 1.1 de l’accord. Si l’interprétation des requérantes était retenue, cela signifierait en effet que Lundbeck se serait engagée à n’intenter aucune action en contrefaçon contre Merck (GUK) tant que cette dernière s’abstenait de vendre ou de fournir le citalopram de Natco au sein de l’EEE et même si elle vendait une autre version du citalopram provenant d’un autre producteur. Cela est difficilement conciliable avec le contexte dans lequel les accords litigieux ont été conclus, qui témoigne notamment du fait que Lundbeck avait l’intention ferme d’empêcher toute entrée des génériques sur le marché.

590    Les requérantes font valoir néanmoins que Merck dura, une filiale allemande de Merck (GUK), a pu entrer sur le marché du citalopram en Allemagne, alors qu’elle était une partie affiliée au sens du point 1.1 de l’accord GUK pour l’EEE, ce qui impliquerait que l’expression « produits contenant du citalopram », utilisée audit point, ne pouvait se référer qu’au citalopram de Natco et non à tout type de citalopram.

591    Il y a lieu de relever toutefois, à l’instar de la Commission, que le point 1.1 de l’accord pour l’EEE s’appliquait uniquement à Merck (GUK), tout comme le reste de l’accord, en vertu de l’effet relatif de ce contrat, de sorte que l’obligation pour Merck (GUK) de ne pas vendre du citalopram générique à ses sociétés affiliées ne signifie pas que ces sociétés affiliées, telles que Merck dura, ne pouvaient pas s’approvisionner auprès d’une autre source et vendre du citalopram générique elles-mêmes, comme l’a fait Merck dura en l’espèce en s’approvisionnant auprès de Tiefenbacher. Il ne saurait être déduit, dès lors, du fait que Merck dura est entrée sur le marché allemand pendant la durée de l’accord pour l’EEE, ni du fait que les requérantes ont entamé des actions en contrefaçon contre celle-ci, que les termes « produits contenant du citalopram », utilisés au point 1.1 de cet accord, ne visaient pas tout type de citalopram, mais uniquement le citalopram de Natco.

592    Dès lors, en prévoyant une obligation pour Merck (GUK) de s’abstenir de vendre ou de fournir des produits contenant du citalopram à ses affiliés ou à toute partie tierce (y inclus NM Pharma qui avait commencé à vendre le citalopram en Suède) pendant toute la durée de l’accord GUK pour l’EEE, le point 1.1 de cet accord contenait des restrictions allant au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck, puisqu’une telle obligation n’était pas limitée au citalopram jugé potentiellement contrefaisant par les parties à cet accord.

593    En outre, il y a lieu de rappeler que le point 1.1 de l’accord GUK pour l’EEE prévoyait non seulement une obligation pour Merck (GUK) de s’abstenir de vendre ou de fournir des produits contenant du citalopram pendant toute la durée de l’accord, mais également que celle-ci ferait tous les efforts raisonnables pour s’assurer que Natco cessât d’approvisionner en citalopram et en produits contenant du citalopram le territoire de l’EEE pendant la durée de l’accord.

594    Or, rien n’indique qu’une telle obligation n’était qu’un engagement peu important, voire inexistant ou qu’elle ait été fondée sur la conviction erronée des requérantes de ce que Merck (GUK) était le distributeur exclusif de Natco. En effet, comme le fait valoir la Commission, cette clause a été jugée suffisamment importante par les parties à l’accord pour conditionner le paiement d’une somme de 12 millions d’euros. Par ailleurs, le point 1.2 de l’accord GUK pour l’EEE prévoyait expressément que Lundbeck ne serait pas tenue d’effectuer les paiements non encore échus dans l’hypothèse où Natco fournirait du citalopram ou des produits contenant du citalopram sur le territoire de l’EEE pendant la durée de l’accord.

595    Dès lors, même si Merck (GUK) n’avait pas la capacité d’empêcher Natco de fournir du citalopram sur le territoire de l’EEE, comme le font valoir les requérantes, il n’en reste pas moins que le point 1.1 de l’accord GUK pour l’EEE incitait fortement Merck (GUK) à entreprendre toutes les démarches nécessaires et « tous les efforts raisonnables » en ce sens, sous peine de se voir privée d’une partie substantielle des paiements promis par Lundbeck en vertu de cet accord.

596    Cela démontre, comme la Commission l’a constaté à juste titre au considérant 848 de la décision attaquée, que le but objectif de l’accord GUK pour l’EEE était non seulement d’éliminer Merck (GUK) des marchés de l’EEE, en tant que vendeur de produits génériques fondés sur le citalopram de Natco, mais également d’éliminer Natco en tant que producteur de citalopram générique sur ce territoire.

597    Il y a lieu de constater, dès lors, qu’il ressort suffisamment du contenu de l’accord GUK pour l’EEE, lu dans son contexte, que Merck (GUK) a, en vertu des clauses de cet accord, abandonné toute possibilité de vendre sa version générique du citalopram, que celui-ci provînt de Natco ou non et que celui-ci eût potentiellement violé un brevet de Lundbeck ou non.

598    Partant, c’est sans commettre d’erreur que la Commission a considéré, au considérant 846 de la décision attaquée, que l’accord GUK pour l’EEE et, en particulier, le point 1.1 de cet accord, devait être interprété comme ayant obligé Merck (GUK) à cesser la vente et la fourniture de tout type de citalopram pendant la durée de l’accord, sur tout le territoire de l’EEE, ce qui allait au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck.

599    En tout état de cause, quelle que soit l’interprétation donnée à cet accord et que les restrictions imposées à Merck (GUK) découlent ou non du champ d’application des brevets de Lundbeck, elles seraient malgré tout anticoncurrentielles par objet, dans la mesure où il n’était pas établi que le citalopram produit par Natco violât l’un de ces brevets, où Merck (GUK) avait explicitement contesté que ses produits génériques fussent contrefaisants (voir point G du préambule de l’accord GUK pour l’EEE) et où les restrictions de son autonomie commerciale avaient été induites par des paiements inversés importants, qui en constituaient la contrepartie (voir points 572 et 573 ci‑dessus).

600    En outre, ainsi que l’a constaté la Commission au considérant 847 de la décision attaquée, les accords litigieux ne contenaient aucune contrepartie aux restrictions en question autres que les paiements inversés promis par Lundbeck, telle que la possibilité pour Merck (GUK) d’entrer immédiatement sur le marché à l’expiration de ces accords sans avoir à craindre des actions en contrefaçon de la part de Lundbeck, de sorte qu’ils ne visaient pas à régler un quelconque litige en matière de brevets.

601    Partant, le grief des requérantes selon lequel l’accord GUK pour l’EEE ne contenait aucune restriction allant au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck doit être rejeté comme inopérant et, en tout état de cause, non fondé.

3.     Accord Arrow UK

602    Les requérantes soutiennent que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en interprétant l’accord Arrow UK en ce sens que celui-ci empêchait Arrow de vendre toute forme de citalopram générique pendant la durée de cet accord, qui ne concernerait que le citalopram contrefaisant leurs brevets. Cela serait démontré par les termes de cet accord et par les circonstances entourant sa conclusion, dont, notamment, l’existence d’un contentieux en matière de brevets avec Arrow et le litige Lagap.

603    La Commission conteste ces arguments.

604    En premier lieu, les requérantes contestent le fait que l’expression « ledit citalopram », définie au quatrième considérant du préambule Arrow UK et utilisée au point 1.1 de l’accord Arrow UK (voir point 35, deuxième et sixième tirets, ci-dessus), se réfère à tout type de citalopram qu’Arrow aurait pu acheter auprès de Tiefenbacher. Selon elles, cette expression ne viserait que le citalopram qu’Arrow avait déjà acheté ou commandé auprès de cette dernière et qui violait leurs brevets.

605    L’interprétation proposée par les requérantes pour ladite expression, d’une part, serait confirmée par le fait, énoncé au sixième considérant du préambule Arrow UK (voir point 35, troisième tiret, ci-dessus), que « ledit Citalopram » avait été soumis à des tests de laboratoire et, d’autre part, ne serait pas remise en cause par la référence, figurant au point 1.1 de l’accord Arrow UK, à une interdiction d’importer notamment « ledit citalopram » après la seconde date de livraison définie au point 3.4 de l’accord Arrow UK (voir point 35, dernier tiret, ci-dessus) (ci-après la « seconde date de livraison »). En effet, cette référence ne serait applicable qu’à l’expression « tout autre citalopram », utilisée au point 1.1 de l’accord Arrow UK. En tout état de cause, même après la seconde date de livraison, Arrow aurait disposé de comprimés de citalopram commandés chez Tiefenbacher, qui n’avaient pas été remis aux requérantes.

606    Il convient de rappeler que le point 1.1 de l’accord Arrow UK est libellé comme suit :

« Arrow [UK], en son propre nom et au nom de toutes les entités associées et liées, s’engage à ne pas, pendant la [durée de l’accord UK] et sur le territoire du Royaume-Uni, fabriquer, céder, proposer de céder, utiliser ou, après la seconde date de livraison, importer ou conserver pour cession ou autre finalité, (1) [“]ledit Citalopram[”] ou (2) tout autre citalopram qui, selon Lundbeck, enfreint ses droits de propriété [intellectuelle], et, pour permettre à Lundbeck de déterminer l’existence ou non d’une infraction, à fournir à celle-ci pendant la [durée de l’accord Arrow UK] suffisamment d’échantillons à des fins d’analyse, au moins un mois avant toute fabrication, importation, vente ou offre de vente qu’Arrow [UK] menacerait d’effectuer dans l’attente d’une décision finale non susceptible de recours dans [le cadre de l’action en contrefaçon Arrow] […] »

607    Afin d’interpréter la signification de l’expression « ledit citalopram », qui figure au point 1.1 de l’accord Arrow UK, il doit être rappelé que :

–        cette expression est une convention d’écriture prise au quatrième considérant du préambule Arrow UK, dans les termes suivants : « Arrow [UK] a obtenu une licence auprès d’une tierce partie d’importer au Royaume-Uni du citalopram non fabriqué par Lundbeck ou avec l’autorisation de Lundbeck (“ledit Citalopram”, une telle définition incluant, pour éviter tout doute, seulement le Citalopram destiné au marketing et à la vente au Royaume-Uni et excluant celui destiné au marketing et à la vente dans d’autres pays) » ;

–        il résulte du point 3.4 de l’accord Arrow UK que la « seconde date de livraison » mentionnée au point 1.1 de l’accord Arrow UK est la date à laquelle Arrow UK devait livrer à Lundbeck la seconde tranche de son stock « dudit Citalopram » et que cette livraison devait se faire au plus tard le 15 février 2002.

608    Aux considérants 905, 910 à 913 et 916 de la décision attaquée, la Commission a estimé que l’expression « ledit Citalopram » devait être interprétée en ce sens qu’elle visait non seulement le citalopram qu’Arrow avait déjà acheté auprès de Tiefenbacher, mais également tout citalopram que celle-ci pourrait acheter à cette même entreprise par la suite, et ce même si l’IPA utilisé était désormais produit suivant les procédés Cipla II ou Matrix II. À cette fin, la Commission s’est fondée sur la référence, au point 1.1 de l’accord Arrow UK, à la période postérieure à la « seconde date de livraison », telle qu’elle ressort du point 3.4 de l’accord Arrow UK, ce qui empêche, selon elle, de limiter la notion visée par l’expression « dudit Citalopram » à celui qu’Arrow avait déjà en stock, et sur le libellé du quatrième considérant du préambule Arrow UK, dont il résulterait que « ledit Citalopram » est tout citalopram produit par Tiefenbacher et couvert par l’AMM de celle‑ci.

609    Au vu des éléments qui viennent d’être rappelés, il convient d’observer que l’une des obligations prévues au point 1.1 de l’accord Arrow UK consiste à interdire à Arrow d’importer ou de conserver « ledit Citalopram » après la seconde date de livraison visée au point 3.4 de cet accord. Or, cette obligation n’a un sens et un effet utile que si cette expression vise également du citalopram provenant, certes, de Tiefenbacher, mais que Arrow commanderait après cette livraison. Sur ce point, il doit être noté que rien dans le libellé de cette clause ne permet de considérer que l’obligation susmentionnée ne concerne pas « ledit Citalopram », mais vise seulement « tout autre citalopram qui, selon Lundbeck, enfreint ses droits de propriété [intellectuelle] ».

610    De même, la définition correspondant à l’expression « dudit Citalopram » figurant au quatrième considérant du préambule Arrow UK est formulée dans des termes qui ne peuvent pas être interprétés en ce sens qu’ils ne visent que le citalopram que Arrow avait déjà acheté auprès de Tiefenbacher. En effet, ce considérant signifie que tout citalopram couvert par l’AMM dont Tiefenbacher disposait était inclus dans la définition correspondant à l’expression « dudit Citalopram ». Or, cette AMM s’appliquait au citalopram produit selon les procédés Cipla I et Matrix I, indépendamment du fait que les comprimés que Arrow avait en stock étaient uniquement produits à l’aide du procédé Cipla I.

611    S’il est vrai que le demandeur ou le titulaire d’une AMM peut solliciter auprès de l’administration devant concéder ou ayant concédé celle-ci des modifications afin d’en étendre la portée également à d’autres procédés, les requérantes sont néanmoins fondées à soutenir que rien dans le considérant en cause ne permet d’établir que les parties à l’accord Arrow UK, lorsqu’elles ont défini « ledit Citalopram », ont visé également l’IPA citalopram produit selon les procédés Cipla II et Matrix II, qui n’étaient pas inclus dans la « licence » visée audit considérant. En effet, ces procédés n’auraient pu être couverts par l’AMM de Tiefenbacher qu’à la suite d’une modification de celle-ci.

612    Enfin, cette interprétation n’est pas remise en cause par le fait, invoqué par la Commission, que, dans l’ordonnance par consentement Arrow (point 36 ci-dessus), l’expression « ledit Citalopram » ait été remplacée par l’expression « Citalopram non produit par Lundbeck ou avec l’autorisation de celle-ci ». En effet, l’ordonnance par consentement, tout en ayant été adoptée à la suite de la conclusion de l’accord Arrow UK, est un instrument juridique distinct de ce dernier.

613    Par conséquent, il faut entendre par « ledit Citalopram » tout citalopram générique produit par Tiefenbacher selon les procédés utilisés par Cipla ou par Matrix, qu’Arrow avait déjà acheté à la date de la signature de l’accord Arrow UK ou qu’elle aurait pu acheter par la suite, qui était couvert par l’AMM de Tiefenbacher.

614    En deuxième lieu, selon les requérantes, l’expression « tout autre citalopram qui, selon Lundbeck, enfreint ses droits de propriété [intellectuelle] », utilisée au point 1.1 de l’accord Arrow UK, ne leur conférait pas un droit de veto, dans la mesure où elles ne pouvaient pas se limiter à invoquer le caractère contrefaisant du citalopram qu’Arrow aurait pu chercher à utiliser, mais auraient dû fournir la preuve de la contrefaçon de leurs brevets, moyennant le mécanisme d’échantillonnage prévu audit point, ce qui serait conforme aux enseignements de l’arrêt Paroxetine, mentionné au point 240 ci-dessus. À cet égard, les requérantes soulignent que l’accord Arrow UK n’empêchait pas Arrow de contester devant les juridictions compétentes les éventuelles allégations de leur part concernant le fait que le citalopram qu’Arrow aurait pu chercher à utiliser violait leurs brevets.

615    Il convient de rappeler que, notamment aux considérants 917 et 922 à 924 de la décision attaquée, la Commission a retenu que l’expression en cause permettait à Lundbeck d’opposer un veto à l’importation ou à la vente par Arrow de citalopram produit selon n’importe quel procédé, dans la mesure où Lundbeck pouvait se limiter à déclarer qu’elle croyait qu’un procédé donné violait ses droits de propriété intellectuelle. La Commission a également relevé que le mécanisme d’échantillonnage prévu au point 1.1 de l’accord Arrow UK n’avait jamais été utilisé, dès lors qu’Arrow n’avait aucun intérêt à remettre en cause les allégations de Lundbeck concernant le résultat d’éventuels tests, ni même à lui soumettre des IPA à tester aussi longtemps que Lundbeck effectuait les paiements prévus.

616    À cet égard, il doit être souligné que, ainsi que le fait remarquer à juste titre la Commission, Arrow, en réponse à une demande de renseignements de celle-ci du 18 décembre 2008, que les requérantes elles-mêmes ont produite en annexe de la requête et qui a fait l’objet d’un débat lors de l’audience, a admis ce qui suit :

« Le test prévu [au point 1.1 de l’accord Arrow UK] est un test subjectif relatif à une infraction alléguée, et non à une infraction avérée. Dès lors, des produits contenant du citalopram par rapport auxquels aucune juridiction n’a établi l’absence de violation [des droits de propriété intellectuelle de Lundbeck], mais qui ne sont pas réellement en infraction [de ces droits], auraient pu être inclus dans le champ d’application [dudit point], mais ceci est tout à fait d’usage dans des accords de cette nature. »

617    Cette déclaration confirme la thèse de la Commission selon laquelle Lundbeck disposait, en substance, d’un droit de veto. Contrairement à ce que prétendent les requérantes, un tel droit ne peut pas être considéré comme étant équivalent à la situation prétendument créée par l’arrêt Paroxetine, mentionné au point 240 ci-dessus. En effet, en plus des considérations exposées aux points 258 à 263 ci-dessus, il doit être observé que le mécanisme prévu au point 1.1 de l’accord Arrow UK n’implique pas l’intervention d’un juge, alors que tel est à l’évidence le cas dans l’hypothèse visée par ledit arrêt, étant précisé qu’il n’est pas envisageable qu’un juge adopte une mesure provisoire sur la base de simples allégations formulées par le titulaire d’un brevet prétendument violé.

618    Par ailleurs, il convient de noter que l’existence de ce droit de veto ne rend pas superflue la partie du point de l’accord Arrow 1.1 UK visant « ledit Citalopram », dès lors que, par rapport à ce dernier, Lundbeck n’avait même pas à exercer son droit de veto, les interdictions imposées à Arrow concernant ce citalopram étant applicables sans que Lundbeck eût à faire quoi que ce soit, mis à part l’exécution des paiements prévus.

619    Le fait que le test prévu au point 1.1 de l’accord Arrow UK, en raison de sa nature subjective, revenait à conférer à Lundbeck un droit de veto, dont Arrow était consciente, est corroboré par l’absence d’utilisation de ce test pendant la durée entière de cet accord. En effet, bien que, pendant la durée de cet accord, Arrow ait continué à chercher de nouvelles sources d’IPA, elle n’a jamais soumis d’échantillons à Lundbeck pour que celle-ci les examinât.

620    Sur ce point, premièrement, il convient de relever que les recherches d’Arrow à cette fin peuvent s’expliquer, par la volonté d’entrer sur des marchés autres que celui du Royaume-Uni. En effet, d’une part, Arrow préparait son entrée sur le marché danois jusqu’au moment de la conclusion de l’accord Arrow danois, qui est intervenue plusieurs mois après l’accord Arrow UK. D’autre part, ainsi que la Commission l’a indiqué au considérant 931 de la décision attaquée, Arrow s’intéressait également au marché suédois. Deuxièmement, Arrow avait besoin d’une alternative à Tiefenbacher pour mener à bien son projet consistant à pouvoir, à terme, produire elle-même ses comprimés de citalopram générique, en achetant directement l’IPA auprès de producteurs, sans passer par un intermédiaire comme Tiefenbacher qui transformait cet IPA en comprimés (voir note en bas de page no 1935 de la décision attaquée).

621    Par ailleurs, de telles recherches pouvaient relever des démarches entreprises pour préparer la période ouverte après l’expiration de l’accord Arrow UK, qui avait d’abord été conclu pour une durée inférieure à une année et qui a par la suite été prorogé à deux reprises. Ces considérations sont également valables en ce qui concerne le fait que, pendant la durée de l’accord Arrow UK, Arrow a demandé une modification de l’AMM visant les IPA de Cipla et de Matrix afin que celle-ci couvrît également les procédés Cipla II et Matrix II.

622    Ces considérations permettent de rejeter également l’argument des requérantes selon lequel le fait qu’Arrow, même après la conclusion de l’accord Arrow UK, ait continué à chercher des fournisseurs en mesure de lui livrer un IPA qui ne contrefaisait pas les brevets de Lundbeck confirmerait que cet accord ne visait que le citalopram qui violait ces brevets.

623    En troisième lieu, les requérantes rappellent que, conformément au droit anglais, qui régit l’accord Arrow UK, ce dernier doit être interprété sur la base notamment de son objectif commercial, qui était celui de servir de solution de remplacement à la sollicitation d’une injonction provisoire devant le juge national. Or, une telle injonction n’aurait pu concerner que le citalopram générique contrefaisant les brevets de Lundbeck.

624    Il doit être observé, cependant, que la référence faite par les requérantes aux principes de droit anglais concernant l’interprétation des contrats ne remet pas en cause l’interprétation retenue par la Commission.

625    Certes, il convient de rappeler qu’une question relative à l’interprétation du droit national d’un État membre est une question de fait sur laquelle le Tribunal est tenu, en principe, d’exercer un contrôle entier (point 258 ci‑dessus).

626    Cependant, l’objectif commercial de Lundbeck, qu’Arrow ne pouvait pas ignorer, était d’empêcher cette dernière d’entrer sur le marché avec du citalopram générique. C’est pour cette raison que Lundbeck a payé à Arrow des montants liés aux profits que celle-ci espérait obtenir par son entrée sur le marché. Dans ces circonstances, il n’est pas surprenant que les parties à l’accord Arrow UK aient accepté d’accorder à Lundbeck un droit de veto, opposable également au citalopram produit selon les procédés Cipla II et Matrix II.

627    En réalité, un tel paiement était difficilement compatible avec le maintien de la possibilité pour Arrow de la liberté de commencer à vendre du citalopram autre que « ledit citalopram », à savoir celui produit selon les procédés Cipla I ou Matrix I. En effet, s’il en avait été autrement, Arrow aurait pu profiter non seulement des paiements effectués par Lundbeck, mais également des bénéfices de l’entrée sur le marché, par exemple avec le citalopram générique produit selon les procédés Cipla II ou Matrix II, alors que Lundbeck aurait dû assumer tant les paiements que les pertes découlant de ladite entrée.

628    En quatrième lieu, les requérantes font valoir que la Commission ne saurait tirer aucune conséquence, quant à la portée de l’accord Arrow UK, du point 3 du second addendum de celui-ci, selon lequel, dans l’hypothèse où le litige Lagap aurait démontré que le brevet sur la cristallisation était invalide, elles auraient dû payer à Arrow la somme de 750 000 GBP pour se faire livrer les comprimés que celle-ci avait encore en stock. En effet, ce paiement aurait été justifié par le fait que la validité des comprimés en cause expirait en octobre 2003, si bien qu’il n’aurait pas été possible qu’Arrow les vendît sur le marché. Par ailleurs, les requérantes excipent de l’irrecevabilité de ce grief de la Commission, dès lors que ni la décision attaquée ni la communication des griefs n’en feraient état.

629    À cet égard, il convient d’observer que cet argument est inopérant, dès lors que l’interprétation de la portée de l’accord Arrow UK retenue dans la décision attaquée n’est aucunement fondée sur le point 3 du second addendum à celui-ci. En effet, ce n’est que devant le Tribunal que la Commission s’est appuyée sur ce point, qu’elle s’était limitée à citer au considérant 441 de la décision attaquée, sans en tirer de conséquences.

630    Il résulte de tout ce qui précède que c’est sans commettre d’erreur que la Commission a interprété le point 1.1 de l’accord Arrow UK en ce sens qu’il visait à empêcher que Arrow n’entrât sur le marché du Royaume-Uni pendant la durée de cet accord, non seulement avec le citalopram générique qu’elle avait déjà commandé ou acheté auprès de Tiefenbacher, mais également avec tout autre citalopram générique qu’elle aurait pu se procurer ultérieurement, y compris celui produit selon les procédés Cipla II et Matrix II.

631    Partant, le présent grief doit être rejeté.

4.     Accord Arrow danois

632    Les requérantes font valoir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en interprétant l’accord Arrow danois en ce sens que celui-ci empêchait Arrow de vendre toute forme de citalopram générique pendant la durée de cet accord, qui ne concernerait que le citalopram contrefaisant leurs brevets.

633    Premièrement, le point 1.1 de l’accord Arrow danois (voir point 39, deuxième tiret, ci‑dessus), lu à la lumière du préambule et du contexte général de cet accord, ne viserait que le citalopram qu’Arrow avait déjà importé et que les requérantes avaient soumis à des tests de laboratoire. Il s’agirait donc du citalopram provenant de Tiefenbacher, qui violait leurs brevets.

634    Deuxièmement, les requérantes avancent que, selon le droit danois, qui régit cet accord, il convient d’attacher une importance particulière à l’intention commune des parties, qui aurait été celle de faire respecter les brevets des requérantes. L’interprétation trop large retenue par la Commission violerait donc le droit danois.

635    Troisièmement, les requérantes invoquent des arguments analogues à ceux mentionnés à l’égard de l’accord Arrow UK, notamment en ce qui concerne le fait qu’Arrow ait continué à chercher d’autres sources d’IPA et ait eu la possibilité de s’adresser à une juridiction nationale pour que celle-ci se prononçât sur l’éventuelle absence de violation de leurs brevets.

636    Quatrièmement, les requérantes font valoir que, si l’accord Arrow danois et l’accord Arrow UK constituent une infraction unique et continue, comme le prétend la décision attaquée, il n’est pas envisageable que le premier porte également sur du citalopram non contrefaisant, alors que tel n’est pas le cas du second.

637    La Commission conteste ces arguments.

638    Il convient de rappeler que le point 1.1 de l’accord Arrow danois est libellé comme suit :

« Arrow [Group] accepte d’annuler et de cesser toute importation, fabrication, production, vente ou autre commercialisation de produits contenant du citalopram enfreignant, selon Lundbeck, les droits de propriété intellectuelle de celle-ci sur le territoire [du Danemark] pendant la durée [de l’accord danois]. »

639    Les requérantes soutiennent que le préambule de l’accord Arrow danois permet de comprendre que ledit point doit être interprété en ce sens qu’il ne vise que le citalopram que Arrow avait déjà acheté auprès de Tiefenbacher.

640    Il convient de noter que, certes, les troisième et cinquième considérants du préambule de l’accord Arrow danois, lus à la lumière des précisions figurant à leur égard au considérant 986 de la décision attaquée, non remises en cause par les requérantes, se réfèrent au fait qu’Arrow était sur le point d’acheter une AMM qui lui aurait permis de vendre au Danemark du citalopram générique qui avait été produit à partir de l’IPA de Cipla ou de Matrix et qui avait fait l’objet de tests en laboratoire de la part de Lundbeck. Le quatrième considérant de ce préambule mentionne aussi l’intention d’Arrow d’exporter de l’Allemagne vers le Danemark du citalopram en vrac provenant de Tiefenbacher.

641    Cependant, ces références, si elles expliquent le contexte dans lequel l’accord Arrow danois est intervenu, ne suffisent pas pour remettre en cause le fait que le point 1.1 de celui-ci présente un libellé clair, dont la portée ne saurait être réduite à celle proposée par les requérantes.

642    En effet, si les parties à cet accord avaient voulu réduire la portée des obligations visées par celui-ci au citalopram qu’Arrow avait en stock, elles auraient pu choisir un libellé adapté à cette fin, au lieu d’en choisir un très large, mais qui devait voir sa portée limitée par une interprétation à la lumière de considérants du préambule qui, de surcroît, n’étaient pas formulés dans des termes laissant clairement apparaître la volonté d’introduire de limitations.

643    S’agissant plus particulièrement de la référence faite par les requérantes à l’importance de l’intention commune des parties selon le droit danois, qui régit l’accord en question, il convient de noter que les requérantes n’ont fourni aucune preuve du fait que cette intention était différente de celle qui résultait clairement du texte de l’accord et qui n’était pas remise en cause par les considérants du préambule de celui‑ci.

644    Par ailleurs, l’argument des requérantes selon lequel, dès lors que les deux accords qu’elles ont conclus avec Arrow constituent une infraction unique et continue, l’accord Arrow danois devrait se voir reconnaître une portée restreinte pour des raisons de cohérence avec l’accord Arrow UK, ne saurait davantage prospérer. En effet, ce dernier accord n’a pas la portée restreinte que les requérantes lui attribuent, ainsi que cela résulte de l’examen effectué aux points 604 à 629 ci‑dessus.

645    Dès lors, il y a lieu de conclure que la Commission n’a commis aucune erreur d’appréciation en considérant que le point 1.1 de l’accord Arrow danois devait être interprété en ce sens que Arrow n’entrerait pas sur le marché danois pendant la durée de celui-ci, avec quelque citalopram générique que ce soit.

646    À la lumière des considérations qui précèdent, la quatrième branche doit être rejetée.

5.     Accord Alpharma

647    Les requérantes font valoir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que l’accord Alpharma comportait l’interdiction pour cette entreprise de vendre toute forme de citalopram générique pendant la durée de cet accord, qui ne concernerait que le citalopram générique produit en violation des brevets de Lundbeck, dont ceux repris dans l’annexe A.

648    La Commission conteste ces arguments.

649    Il doit être relevé que, notamment aux considérants 1042, 1059 et 1061 de la décision attaquée, la Commission a interprété le point 1.1 de l’accord Alpharma en ce sens que, par celui-ci, Alpharma s’était engagée à ne vendre aucun citalopram pendant la période pertinente ou, à tout le moins, avait accepté des limitations à ses possibilités de vendre du citalopram qui dépassaient largement celles que Lundbeck aurait pu obtenir par la voie contentieuse sur la base de ses nouveaux brevets.

650    Selon les requérantes, en premier lieu, le libellé du point 1.1 de l’accord Alpharma doit être interprété à la lumière du contexte et des éléments de preuve disponibles, qui permettraient de conclure que le terme « Citalopram » qui y figure ne vise que le citalopram contrefaisant leurs brevets. Cette interprétation découlerait de la lecture du préambule de l’accord Alpharma et de l’annexe A, qui démontreraient que telle était l’intention des parties à cet accord.

651    Il convient de rappeler, à cet égard, que le point 1.1 de l’accord Alpharma stipule qu’Alpharma, y compris ses « [f]iliales », « annule, arrête et s’abstient de toute importation, […] production […] ou vente de produits pharmaceutiques contenant du Citalopram dans le Territoire […] pendant la [période pertinente] » et que Lundbeck retire l’action en contrefaçon contre Alpharma. Il y est également précisé que ce point ne s’applique pas à « tout produit contenant de l’escitalopram ».

652    Force est de constater que l’accord Alpharma, y compris au point 1.1, utilise toujours le mot « Citalopram » écrit avec un « c » majuscule. De même, cet accord utilise des mots écrits avec la première lettre en majuscule lorsqu’il fait usage de conventions d’écriture, comme c’est le cas des mots « Territoire », au deuxième considérant du préambule, et « Filiales », audit point 1.1. Cependant, ces conventions d’écriture sont prises de manière explicite, avec la définition précise de leur portée, fournie à l’endroit où elles apparaissent pour la première fois. Ainsi, il est clair que « Territoire » est un terme utilisé pour se référer à l’ensemble formé par les États membres de l’Union, la Norvège et la Suisse, alors que le terme « Filiales » se réfère à toute société qui, directement ou indirectement, contrôle, est contrôlée ou se trouve sous contrôle commun avec Alpharma ApS.

653    En revanche, l’accord Alpharma ne comporte aucune définition du terme « Citalopram » qui permettrait de lui attribuer une signification plus restreinte que celle propre à la dénomination commune internationale du citalopram, en tant qu’IPA, reconnue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ainsi que le fait valoir la Commission.

654    Par ailleurs, comme l’a remarqué à juste titre la Commission au considérant 1050 de la décision attaquée, la circonstance que le point 1.1 de l’accord Alpharma prévoit, in fine, qu’il ne s’applique pas à l’escitalopram confirme le fait que, lorsque les parties à cet accord ont voulu limiter la portée des obligations résultant dudit point, elles l’ont fait de manière explicite.

655    À cet égard, si l’absence, mise en avant par les requérantes, d’un « e » majuscule en ce qui concerne le mot « escitalopram » révèle une incohérence dans l’orthographe des mots utilisés dans l’accord Alpharma pour se référer à des IPA, il y a lieu d’observer, cependant, que cette circonstance ne suffit pas pour considérer que les parties à celui-ci aient voulu limiter la portée du mot « Citalopram ».

656    S’agissant, ensuite, du préambule de l’accord Alpharma, il y a lieu de relever que le premier considérant de ce préambule prévoit que « Lundbeck est titulaire de droits de propriété intellectuelle qui incluent, en particulier, des brevets concernant la production de l’IPA Citalopram, qui incluent les brevets repris dans l’annexe A ».

657    Il résulte du septième considérant du préambule de l’accord Alpharma que Lundbeck avait introduit l’action en contrefaçon Alpharma « en cherchant à obtenir une injonction contre les ventes par [le groupe] Alpharma de produits contenant du Citalopram pour violation des droits de propriété intellectuelle de Lundbeck ».

658    Enfin, il découle du huitième considérant du préambule qu’Alpharma a reconnu que les observations de Lundbeck relatives à l’infraction commise au détriment de ses brevets étaient correctes et qu’elle s’engageait à ne pas mettre sur le marché « de tels produits ».

659    Il doit être observé à cet égard, ainsi que l’a, en substance, relevé la Commission au considérant 1047 de la décision attaquée, que la simple référence, au premier considérant du préambule, au fait que Lundbeck détenait des brevets concernant le « Citalopram », dont la liste figure à l’annexe A, ne permet pas de conclure que les parties à l’accord Alpharma aient voulu, ne serait-ce que de manière implicite, y introduire une définition du mot « Citalopram » qui ne coïnciderait pas avec celle normalement attribuable au citalopram, sans « c » majuscule, c’est‑à‑dire l’IPA citalopram, quel que soit le procédé utilisé pour le produire.

660    En outre, comme l’a observé la Commission aux considérants 1047 à 1049 de la décision attaquée, les septième et huitième considérants du préambule rappellent, certes, le contexte dans lequel l’accord Alpharma est intervenu, mais ne sont pas déterminants afin de pouvoir attribuer au mot « Citalopram » une signification restreinte. En effet, d’une part, le septième considérant n’est pas libellé dans des termes définissant ledit mot, mais se réfère à la demande d’injonction formulée en vue d’interdire la vente de produits contenant du « Citalopram » en raison de la violation de brevets appartenant à Lundbeck. D’autre part, à supposer même que, au huitième considérant, l’expression « de tels produits » désigne uniquement les produits contenant le citalopram synthétisé suivant des procédés qui étaient visés par ladite demande et dont Alpharma admettait le caractère contrefaisant, cette circonstance ne permet pas de conclure que, au sein de l’accord Alpharma entier, y compris le point 1.1, le mot « Citalopram » n’incluait que ces produits.

661    Dès lors, en l’absence de limitations claires de la signification du terme « Citalopram » découlant du préambule, il n’est pas possible de considérer que, par de simples références aux antécédents de la conclusion de l’accord Alpharma, les parties à cet accord aient voulu limiter la portée des obligations assumées par Alpharma au seul citalopram pour lequel il était admis qu’il avait été produit en violation des nouveaux brevets de Lundbeck.

662    En deuxième lieu, les requérantes invoquent le fait que ledit accord visait à résoudre un conflit entre elles et Alpharma portant précisément sur la violation par cette dernière de leurs brevets. Elles mentionnent également l’importance du litige Lagap.

663    À cet égard, il convient d’observer, premièrement, que le fait que l’accord Alpharma soit intervenu après l’introduction par les requérantes de l’action en contrefaçon Alpharma, qui concernait spécifiquement les comprimés que cette entreprise avait déjà reçus ou commandés, cet élément de contexte ne signifie pas que les obligations prévues au point 1.1 de cet accord, en dépit du large libellé de celui-ci, doivent être interprétées comme étant limitées à ce que les requérantes auraient pu obtenir par ladite action. Deuxièmement, l’accord Alpharma n’a pas mis fin à cette action, qui a simplement été suspendue pendant la durée de l’accord Alpharma, sans aucune garantie qu’elle fût retirée à l’issue de celle-ci. En effet, l’accord Alpharma ne prévoit aucunement que Lundbeck s’abstienne de poursuivre le groupe Alpharma pour contrefaçon de ses brevets par la suite. De plus, il résulte de la déclaration de Lundbeck reprise au considérant 80 de la décision attaquée que celle-ci ne considérait pas que les accords litigieux, dont l’accord Alpharma, permettaient de mettre fin à un litige. Troisièmement, le litige Lagap, ayant été entamé en octobre 2002, ainsi que cela résulte du considérant 63 de la décision attaquée, ne peut avoir eu aucune incidence sur la portée des obligations découlant du point 1.1 de l’accord Alpharma.

664    En troisième lieu, les requérantes invoquent une déclaration que le directeur général d’Alpharma chargé du dossier pertinent a rendue à la presse le 28 février 2002 (ci-après la « déclaration du 28 février 2002 »), qui mentionnerait le fait que le lancement du citalopram générique était reporté, mais qu’il n’était pas exclu qu’il pût avoir lieu à la fin des congés d’été, si les difficultés découlant des nouveaux brevets de Lundbeck étaient entre-temps résolues. Compte tenu de la durée de l’accord Alpharma, cette déclaration confirmerait que le point 1.1 de l’accord Alpharma ne visait pas tout type de citalopram.

665    Il convient d’observer que, par la déclaration du 28 février 2002, Alpharma a, en substance, annoncé à la presse qu’elle reportait les ventes du citalopram à tout le moins jusqu’à la fin de la période des congés d’été et qu’elle pourrait, le cas échéant, abandonner le projet concernant ces ventes, au motif que son stock posait problème au regard des brevets de Lundbeck. Elle a ajouté qu’elle devait chercher un autre producteur d’IPA et obtenir les autorisations nécessaires.

666    Il doit être noté à cet égard que, ainsi que l’a relevé la Commission au considérant 1055 de la décision attaquée, cette déclaration, qui est postérieure à la conclusion de l’accord Alpharma, fait apparaître la modification des plans d’Alpharma comme étant la conséquence d’une décision unilatérale de sa part, indépendante des paiements prévus dans l’accord Alpharma. Dès lors, au vu des considérations exposées aux points 138 et 139 ci-dessus, une telle déclaration ne saurait se voir conférer une force probante importante, d’autant plus qu’Alpharma, qui avait secrètement accepté les limitations à son autonomie commerciale découlant de l’accord Alpharma en contrepartie des paiements qui y étaient prévus, devait justifier, ne serait-ce qu’auprès de ses clients potentiels, les changements dans les plans qu’il avait annoncés auparavant. Il en découle que la déclaration du 28 février 2002 n’est pas un élément de contexte important afin d’interpréter la portée de l’accord Alpharma.

667    En tout état de cause, il doit être observé que, si Alpharma a mentionné l’éventualité d’entrer sur le marché après l’été, elle a également évoqué la possibilité de renoncer au projet, possibilité qui est conforme à l’interprétation de l’accord Alpharma retenue par la Commission.

668    Dans ces circonstances, cette déclaration ne permet pas de conclure que le point 1.1 de l’accord Alpharma ne concernait que le citalopram produit selon des procédés dont le caractère contrefaisant était admis.

669    En quatrième lieu, les requérantes se réfèrent à l’ordonnance par consentement Alpharma (voir point 45 ci-dessus), dont le contenu serait pertinent pour interpréter le point 1.1 de l’accord Alpharma, dans la mesure où cette ordonnance aurait été établie pour mettre fin à l’action en contrefaçon Alpharma. À ce propos, les requérantes soulignent que cette ordonnance précise que la portée des restrictions incombant à Alpharma est limitée au citalopram contrefaisant leurs brevets. Par ailleurs, les requérantes contestent la thèse proposée dans la décision attaquée selon laquelle l’ordonnance par consentement Alpharma avait été rédigée dans des termes moins restrictifs que ceux du point 1.1 de l’accord Alpharma au motif que, autrement, il aurait été difficile qu’un juge l’approuvât. Elles font remarquer qu’il serait également difficile qu’un juge assurât le respect dudit point, tel qu’interprété par la Commission.

670    À cet égard, il est certes vrai que l’ordonnance par consentement Alpharma du 2 mai 2002 est libellée dans les termes rappelés par les requérantes (point 45 ci-dessus), qui comportent clairement des limitations au comportement d’Alpharma moins étendues que celles découlant du point 1.1 de l’accord Alpharma, tel qu’interprété par la Commission dans la décision attaquée.

671    Il est également vrai qu’il existe un lien entre cette ordonnance et l’accord Alpharma. En effet, celle-ci a été adoptée pour suspendre l’action en contrefaçon contre Alpharma, précisément au motif que ledit accord avait été conclu.

672    Néanmoins, ces éléments ne suffisent pas pour retenir une interprétation du point 1.1 de l’accord Alpharma qui coïnciderait avec la portée de l’ordonnance par consentment Alpharma.

673    En effet, ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 1054 de la décision attaquée, il s’agit de deux instruments juridiques séparés. Ce qui compte, pour que l’accord Alpharma ait pu constituer la raison d’être de l’ordonnance par consentement Alpharma, est que les obligations acceptées par Alpharma en vertu de l’accord Alpharma suffisent pour que, pendant la durée de celui-ci, Lundbeck n’ait plus eu d’intérêt à poursuivre l’action en contrefaçon contre Alpharma, qui était limitée à la question de savoir si Alpharma était déjà en train de violer les nouveaux brevets de Lundbeck. Or, cette condition est remplie même si la portée de l’accord Alpharma dépasse celle de ladite ordonnance.

674    Par ailleurs, dès lors qu’il n’était pas nécessaire de dévoiler à la juridiction nationale ayant adopté l’ordonnance par consentement Alpharma quelle était la portée exacte de l’accord Alpharma, il est tout à fait raisonnable que les parties à cet accord se soient limitées à reprendre, dans le texte de l’ordonnance qu’elles lui avaient soumis, les obligations découlant de cet accord qui étaient pertinentes aux fins de la procédure sur l’action en contrefaçon contre Alpharma. Du reste, l’absence de correspondance directe entre l’accord Alpharma et ladite ordonnance est confirmée par le fait que cette ordonnance ne fait aucune mention du fait que cet accord prévoyait un paiement inversé en faveur d’Alpharma, alors qu’il s’agissait d’un élément fondamental pour la conclusion de celui‑ci.

675    Il s’ensuit que l’ordonnance par consentement Alpharma ne permet pas d’interpréter le point 1.1 de l’accord Alpharma dans le sens préconisé par les requérantes.

676    En cinquième lieu, les requérantes se réfèrent au courriel du 12 mars 2002 d’un de leurs cadres impliqué dans le dossier (ci-après le « courriel du 12 mars 2002 »), qui a affirmé que, bien qu’il existât de nombreuses incertitudes, il ne pensait pas qu’Alpharma entrerait sur le marché du Royaume-Uni dans un avenir prévisible. Selon les requérantes, aucune incertitude n’aurait existé si le point 1.1 de l’accord Alpharma avait la portée que la Commission lui attribuait.

677    Il convient de relever, à cet égard, que ledit courriel constitue la réponse à un autre courriel faisant état d’une liste de prix de la part d’Alpharma au sujet du citalopram et demandant au destinataire de ce courriel de vérifier auprès de celle-ci ce qu’il en était. Selon la Commission, puisque, dans sa réponse à cette demande, l’auteur du courriel du 12 mars 2002 indique qu’il s’agissait probablement d’une vieille liste de prix et précise ne pas avoir contacté Alpharma sur cette question, rien dans ce courriel ne permet de remettre en cause l’interprétation de la portée de l’accord Alpharma retenue dans la décision attaquée.

678    En effet, si l’accord Alpharma avait une portée limitée au citalopram, produit selon le procédé Cipla I, qu’Alpharma avait déjà reçu ou commandé, comme le font valoir les requérantes, celles-ci auraient dû s’inquiéter de ladite liste de prix, si bien que l’auteur du courriel du 12 mars 2002 aurait probablement pris des initiatives pour établir si Alpharma avait déjà pu se procurer du citalopram produit selon d’autres procédés, qui n’aurait pas été couvert par les obligations découlant de l’accord Alpharma ainsi interprété. Dès lors, le fait que l’auteur dudit courriel n’ait pas donné de suite à la demande qu’il avait reçue de son collègue tout en affirmant qu’il ne pensait pas qu’Alpharma entrerait sur le marché dans un avenir prévisible induit à considérer qu’il estimait que l’accord Alpharma ne concernait pas que le citalopram produit selon le procédé Cipla I.

679    Cependant, dès lors qu’il ne s’agit que d’hypothèses, il convient de relever que le courriel du 12 mars 2002 ne permet pas de tirer de véritables conclusions sur la portée de l’accord Alpharma. À cet égard, il doit être noté que la Commission ne s’est pas fondée sur ce courriel pour étayer son interprétation de l’accord Alpharma, mais qu’elle l’a uniquement mentionné dans la décision attaquée pour rejeter un argument des requérantes au soutien de leur interprétation dudit accord.

680    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de retenir que la Commission a prouvé à suffisance de droit qu’une interprétation littérale, contextuelle et téléologique de l’accord Alpharma permettait de conclure que les obligations assumées par Alpharma en vertu du point 1.1 de cet accord n’étaient pas limitées au citalopram produit selon des procédés dont Alpharma et Lundbeck avaient admis qu’ils contrefaisaient les nouveaux brevets de cette dernière. En effet, ces obligations concernaient non seulement le citalopram qu’Alpharma avait déjà en stock, produit selon le procédé Cipla I, mais également le citalopram qu’elle avait commandé ou aurait commandé auprès de Tiefenbacher, indépendamment du procédé utilisé par le producteur d’IPA approvisionnant cette dernière.

681    Cette interprétation du point 1.1 de l’accord Alpharma permet de considérer que les obligations qui y étaient assumées par Alpharma dépassaient celles que Lundbeck aurait pu obtenir en application de ses nouveaux brevets.

682    Dès lors que les requérantes n’ont pas réussi à réfuter les éléments ayant permis à la Commission de prouver que l’accord Alpharma comportait pour cette entreprise des restrictions dépassant celles qu’elles auraient pu obtenir en s’appuyant sur leurs nouveaux brevets et en obtenant gain de cause en cas de contentieux à cet égard, la présente branche doit être rejetée.

6.     Accord Ranbaxy

683    Les requérantes font valoir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que l’accord Ranbaxy comportait l’interdiction pour cette entreprise de vendre non seulement le citalopram produit selon le procédé qu’elle utilisait déjà, mais également celui produit selon des procédés qu’elle aurait pu développer pendant la durée de cet accord.

684    La Commission conteste cette interprétation.

685    En premier lieu, les requérantes soutiennent, à cet égard, que le point 1.1 de l’accord Ranbaxy (voir point 48, premier tiret, ci-dessus), lorsqu’il mentionne « toute méthode de production utilisée par Ranbaxy », ne se réfère pas aux méthodes que cette dernière aurait eu la possibilité de développer à la suite de la conclusion de l’accord Ranbaxy et qui aurait pu ne pas enfreindre leurs brevets, possibilité qui, par ailleurs, n’aurait pas existé. Selon elles, l’interprétation retenue par la Commission serait incompatible avec les considérants du préambule Ranbaxy et avec les circonstances entourant la conclusion de cet accord.

686    Il y a lieu de rappeler que les obligations assumées par Ranbaxy en vertu de l’accord Ranbaxy sont celles figurant au point 1.1 de cet accord, qui est libellé comme suit :

« Sous réserve des conditions et des paiements de la part de Lundbeck prévus dans [cet accord], Ranbaxy Laboratories ne revendique aucun droit sur la [d]emande de [b]revet [visée dans le préambule] ou sur toute méthode de production utilisée par Ranbaxy Laboratories et annule, arrête et renonce à la fabrication ou à la vente de produits pharmaceutiques fondés sur celles-ci [notamment dans l’EEE] pendant la durée de cet accord […] »

687    Il doit être observé que la Commission a conclu, notamment aux considérants 1131 à 1137 de la décision attaquée, que l’expression « toute méthode de production utilisée par Ranbaxy Laboratories » couvrait non seulement le procédé que Ranbaxy utilisait déjà lors de la conclusion de l’accord Ranbaxy, mais également ceux qu’elle aurait pu développer par la suite, pendant la durée de cet accord.

688    Les requérantes contestent cette interprétation et font valoir que ladite expression ne vise que les procédés dont Ranbaxy disposait déjà lors de la conclusion de l’accord Ranbaxy.

689    En ce qui concerne le libellé dudit point, il convient de noter que l’emploi de l’expression « toute méthode » permet, à lui seul, de considérer qu’il ne s’agissait pas seulement des méthodes que Ranbaxy utilisait déjà lorsqu’elle avait signé cet accord et que les méthodes qu’elle aurait pu développer par la suite étaient également visées, ainsi que l’a retenu la Commission dans la décision attaquée.

690    Il convient toutefois de vérifier si d’autres éléments découlant de l’accord Ranbaxy lui-même ou du contexte dans lequel il est intervenu infirment ladite interprétation.

691    À ce sujet, premièrement, les requérantes font observer que les cinquième et sixième considérants du préambule Ranbaxy mentionnent les demandes de brevet que Ranbaxy avait déposées en Inde (troisième considérant) et qui, de leur point de vue, découlant de résultats d’analyses en laboratoire, portaient sur des procédés qui violaient ses brevets sur l’amide et sur l’iode.

692    Toutefois, il s’agit là d’éléments qui expliquent le contexte dans lequel l’accord Ranbaxy est intervenu, mais qui ne suffisent pas pour remettre en cause le fait que, au vu de son libellé clair, le point 1.1 de l’accord Ranbaxy ne contient pas de limitations concernant les procédés visés par les obligations que Ranbaxy a acceptées. Or, si les parties à cet accord avaient voulu limiter la portée de celles-ci aux procédés correspondant aux demandes de brevet de Ranbaxy, elles auraient pu choisir un libellé adapté à cette fin, au lieu d’en choisir un très large, mais qui devrait voir sa portée réduite par une interprétation constructive à la lumière du préambule du même accord.

693    Deuxièmement, le contexte dans lequel l’accord Ranbaxy a été conclu confirme l’interprétation du point 1.1 dudit accord retenue au point 689 ci-dessus. En effet, comme la Commission l’a, en substance, relevé notamment aux considérants 130 à 132, 140, 204 et 206 de la décision attaquée, Lundbeck voulait retarder l’entrée du citalopram générique sur le marché, afin de créer les meilleures conditions possibles pour le lancement de son nouveau médicament, le Cipralex, qui était protégé par un brevet (voir point 22 ci‑dessus).

694    Au vu de cet objectif, il n’est pas envisageable que les requérantes aient accepté de payer à Ranbaxy les montants prévus dans l’accord Ranbaxy, si celui-ci lui avait permis de produire et de vendre du citalopram générique au moyen d’autres procédés que ceux visés par leurs demandes de brevet déposées en Inde. En réalité, il est peu probable que Lundbeck aurait conclu un accord onéreux si celui-ci n’avait pas comporté la certitude que Ranbaxy resterait en dehors du marché avec son citalopram générique pendant la durée de cet accord, au cours de laquelle Lundbeck comptait commencer à commercialiser le Cipralex.

695    S’il est vrai que Ranbaxy ne partageait pas l’objectif des requérantes concernant le Cipralex, il n’en reste pas moins qu’elle ne pouvait pas l’ignorer et, surtout, qu’elle avait clairement un intérêt à obtenir des montants certains plutôt que de courir les risques que son entrée sur le marché aurait comportés.

696    Ces considérations permettent de rejeter également l’argument des requérantes selon lequel, en application du droit suédois, qui régit l’accord Ranbaxy, la Commission aurait dû tenir compte davantage de l’intention commune des parties à cet accord.

697    Il résulte de ce qui précède que la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant, notamment aux considérants 1137 et 1172 de la décision attaquée, que les obligations acceptées par Ranbaxy aux termes du point 1.1 de l’accord Ranbaxy, lus à la lumière également de leur contexte, n’étaient pas limitées au citalopram produit selon les procédés que celle-ci utilisait au moment de la signature de cet accord, de sorte que ces obligations allaient au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck.

698    En deuxième lieu, les requérantes font valoir que l’interprétation de la Commission n’est pas conciliable avec l’admission par cette dernière du fait que Ranbaxy restait libre de vendre du citalopram contrefaisant leurs brevets, pourvu que l’IPA utilisé pour le produire provienne d’un tiers.

699    À ce sujet, ainsi que le fait observer à juste titre la Commission, il importe peu que cette dernière ait admis, au considérant 694 de la décision attaquée, que l’accord Ranbaxy n’empêchait pas cette entreprise de vendre des produits pharmaceutiques contenant du citalopram, pourvu que l’IPA utilisé à cette fin provînt d’un tiers. En effet, les obligations acceptées par Ranbaxy selon l’interprétation du point 1.1 de l’accord Ranbaxy retenue par la Commission, qui concernent la vente de citalopram produit par cette entreprise elle-même, ne sont pas liées à la possibilité purement théorique que Ranbaxy vende des produits contenant du citalopram provenant d’autres producteurs d’IPA. À cet égard, il doit être relevé que Ranbaxy était initialement un producteur d’IPA, si bien qu’elle n’avait aucun intérêt à se procurer ailleurs l’IPA pour produire des comprimés de citalopram sous forme de produits finis.

700    En troisième lieu, les requérantes soutiennent que le point 1.4 de l’accord Ranbaxy (voir point 48, dernier tiret, ci-dessus) n’empêchait pas cette entreprise de contester la validité de leurs brevets. En effet, une action en justice tendant à obtenir l’invalidation d’un brevet ne serait pas « fondée » sur celui-ci, alors que ce point mentionnerait l’engagement de ne pas introduire d’actions « fondées » sur les brevets cités dans l’accord Ranbaxy. La seule interdiction pour Ranbaxy concernerait la possibilité d’introduire une action en justice contre les requérantes pour violation des brevets qu’elle avait demandés en Inde.

701    À cet égard, il convient d’observer, tout d’abord, que ces arguments sont inopérants au motif que, ainsi que cela résulte des points 398 et 399 ci-dessus, la qualification des accords litigieux de restrictions par objet ne repose pas sur la présence, dans ces accords, de clauses de non-contestation. De plus, il ressort clairement du considérant 1174 que la présence d’une telle clause dans l’accord Ranbaxy n’a pas été mentionnée, par la Commission, comme un des facteurs pertinents pour conclure à l’existence d’une infraction par objet.

702    En tout état de cause, il convient de relever que l’expression « s’engagent à ne pas introduire d’actions en justice […] fondées sur n’importe quel brevet visé plus haut », contenue au point 1.4 de l’accord Ranbaxy, est suffisamment flexible pour qu’il soit possible d’y inclure des actions visant à contester la validité des brevets en cause. Par ailleurs, il convient de noter que Ranbaxy n’a pas contesté la validité de ces derniers pendant la durée de l’accord Ranbaxy.

703    En quatrième lieu, les requérantes allèguent que le grief ayant trait au point 1.4 de l’accord Ranbaxy n’a été soulevé que dans l’exposé des faits, et non déjà dans la communication des griefs, ce qui aurait violé leurs droits de la défense.

704    Il suffit de relever, à cet égard, que les requérantes admettent que cette clause et l’interprétation que la Commission en a faite dans la décision attaquée figuraient dans l’exposé des faits, auquel elles ont répondu, y compris sur ce point. Il s’ensuit qu’elles ont eu la possibilité de se prononcer à cet égard, si bien que leurs droits de la défense n’ont pas été violés (voir, en ce sens, arrêt du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T‑23/99, Rec, EU:T:2002:75, point 190 et jurisprudence citée).

705    La présente branche doit, dès lors, être rejetée, ainsi que le sixième moyen dans son ensemble.

III –  Sur le septième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation commise en ce que les gains d’efficacité des accords litigieux n’ont pas été correctement évalués

706    Les requérantes rappellent avoir soulevé, dans le cadre de leur réponse à la communication des griefs, que les accords litigieux favorisaient la concurrence, puisque les accords de règlement amiable préserveraient la motivation à innover, d’une part, et pourraient faciliter une entrée plus précoce des génériques, d’autre part. La Commission aurait omis d’examiner ces arguments au niveau requis. En outre, les explications fournies a posteriori par la Commission dans son mémoire en défense seraient irrecevables.

707    La Commission conteste ces arguments.

708    Il y a lieu de relever que la Commission a examiné l’application éventuelle de l’article 101, paragraphe 3, TFUE aux accords litigieux aux considérants 1212 et suivants de la décision attaquée.

709    Elle a ainsi rappelé, à juste titre, que l’article 101, paragraphe 3, TFUE permettait aux entreprises de se défendre contre l’existence d’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE en démontrant que quatre conditions étaient réunies :

–        premièrement, l’accord en cause doit contribuer à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique ;

–        deuxièmement, l’accord en cause ne doit pas imposer de restrictions qui ne soient pas indispensables pour atteindre ces objectifs ;

–        troisièmement, il doit donner aux consommateurs une partie équitable des bénéfices obtenus ;

–        quatrièmement, il ne doit pas permettre aux entreprises d’éliminer toute concurrence ou une partie substantielle de celle-ci pour les produits en question.

710    L’article 2 du règlement no 1/2003 prévoit, comme la jurisprudence (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a., C‑501/06 P, C‑513/06 P, C‑515/06 P et C‑519/06 P, Rec, EU:C:2009:610, point 82), que c’est à la partie qui se prévaut de l’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE qu’il incombe de démontrer, au moyen d’arguments et d’éléments de preuve convaincants, que les conditions requises pour bénéficier d’une exemption sont réunies.

711    La charge de la preuve incombe donc à l’entreprise qui demande à bénéficier de l’exemption au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE. Toutefois, les éléments factuels invoqués par ladite entreprise peuvent être de nature à obliger l’autre partie à fournir une explication ou une justification, faute de quoi il est permis de conclure que la charge de la preuve a été satisfaite (voir, en ce sens, arrêt GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a., point 710 supra, point 83 et jurisprudence citée).

712    Contrairement à ce que font valoir les requérantes, la Commission a examiné au niveau requis, dans la décision attaquée, les différents arguments invoqués par les entreprises de génériques ainsi que par les requérantes au cours de la procédure administrative.

713    Premièrement, s’agissant de l’argument selon lequel les accords litigieux auraient encouragé l’incitation à innover des requérantes, s’il est vrai qu’un tel argument n’a pas été examiné spécifiquement par la Commission dans la partie de la décision relative à l’examen de l’applicabilité de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que, dans leur réponse à la communication des griefs, les requérantes se sont bornées à affirmer de manière générale que les règlements amiables en matière de brevets préservaient l’incitation à innover, en se fondant sur une étude économique, sans expliquer toutefois en quoi les accords litigieux auraient contribué à générer une telle incitation en l’espèce, au-delà de la protection réglementaire attachée aux brevets, ni en quoi les quatre conditions d’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE étaient remplies en l’espèce. En effet, l’étude avancée par les requérantes remettait plus en question l’applicabilité même de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, dans la mesure où elle contestait le fait que des accords amiables en matière de brevets, tels que les accords litigieux, puissent avoir des effets négatifs pour les consommateurs. Dès lors, cet argument ayant déjà été rejeté par la Commission dans le cadre de l’examen de l’existence d’une restriction par objet (considérants 710 à 713 de la décision attaquée), elle n’était pas tenue de l’examiner à nouveau sous l’angle de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, en l’absence d’arguments plus étayés à cet égard.

714    En tout état de cause, il est manifeste en l’espèce que les accords litigieux, qui prévoyaient de retarder l’entrée des génériques sur le marché au moyen de paiements inversés, n’étaient pas indispensables pour préserver l’incitation à innover des requérantes. En outre, il est difficile de percevoir les avantages pour les consommateurs que de tels accords auraient engendrés. Enfin, la condition relative à l’absence d’élimination de toute concurrence n’est pas non plus remplie en l’espèce, étant donné que les entreprises de génériques étaient bien des concurrents potentiels au moment de conclure les accords litigieux et qu’elles s’étaient engagées, contre paiement, à ne pas entrer sur le marché pendant la durée desdits accords.

715    Il y a lieu de constater, dès lors, que c’est sans commettre d’erreur que la Commission n’a pas examiné davantage l’argument des requérantes, relatif à l’incitation à innover des accords litigieux, sous l’angle de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, dans la décision attaquée.

716    Deuxièmement, s’agissant de l’allégation selon laquelle les accords litigieux auraient permis d’assurer une entrée plus rapide des génériques sur le marché, c’est à bon droit que la Commission a rejeté celle-ci aux considérants 1228 à 1230 de la décision attaquée, en estimant qu’elle n’était pas corroborée par les faits, étant donné que les accords litigieux ne prévoyaient aucun engagement de la part de Lundbeck d’autoriser l’entrée des génériques sur le marché à l’expiration de ces accords, et qu’ils ont en réalité empêché une entrée potentiellement immédiate de ceux-ci sur le marché.

717    En effet, il ressort des éléments du dossier et, en particulier, du contenu des accords litigieux, que ceux-ci ne prévoyaient aucune date précise à laquelle les entreprises de génériques auraient pu entrer sur le marché avant l’expiration des brevets de Lundbeck. Comme l’a constaté la Commission au considérant 662 de la décision attaquée, les accords litigieux ne contenaient aucun engagement de la part de Lundbeck de ne pas intenter d’actions en contrefaçon en cas d’entrée des génériques après l’expiration de ceux-ci. Les accords litigieux n’ont donc pas véritablement résolu un litige en matière de brevets ou permis une entrée plus rapide des génériques sur le marché, comme le prétendent les requérantes, mais ont simplement permis à Lundbeck de gagner du temps en retardant l’entrée des génériques sur le marché moyennant le paiement de sommes importantes aux entreprises de génériques.

718    Troisièmement, l’allégation selon laquelle les accords litigieux auraient permis d’éviter des frais de contentieux importants ou des décisions de justice divergentes n’est pas non plus corroborée par les faits, puisque ces accords n’ont pas permis de mettre un terme au litige sous-jacent en matière de brevets entre les parties à ces accords, étant donné qu’il n’était pas exclu que Lundbeck pût intenter des actions en justice contre les entreprises de génériques à l’expiration de ceux-ci, y compris devant des juridictions différentes établies dans différents États de l’EEE. Dès lors, les chiffres invoqués par les requérantes, qui font état de plusieurs millions d’euros de frais de contentieux évités pour l’ensemble de l’EEE, ne sont pas pertinents, dans la mesure où il n’apparaît pas que ces coûts auraient certainement été encourus en l’absence des accords litigieux. S’il est vrai que, finalement, aucun contentieux n’a été introduit par Lundbeck après l’expiration de ces accords, c’est principalement parce qu’un tel contentieux n’avait plus aucun intérêt pour Lundbeck, étant donné que d’autres entreprises de génériques, telles que Lagap au Royaume-Uni, étaient déjà entrées sur le marché à ce moment.

719    En tout état de cause, à supposer même que les accords litigieux aient permis d’éviter certains coûts liés aux contentieux potentiels devant différentes juridictions, les requérantes n’ont pas établi en quoi les restrictions de la concurrence qui découlaient de ces accords étaient indispensables pour atteindre cet objectif, alors même que la conclusion d’autres types de règlements amiables, qui ne présentaient aucun caractère anticoncurrentiel, était possible (voir points 350 et 529 ci-dessus). Elles n’ont pas non plus expliqué en quoi ces accords auraient réservé une partie équitable des bénéfices prétendument obtenus aux consommateurs.

720    Il y a lieu de constater, dès lors, que c’est sans commettre d’erreur, ni méconnaître les règles relatives à la charge de la preuve que la Commission a conclu que les conditions de l’article 101, paragraphe 3, TFUE n’étaient pas remplies en l’espèce.

721    Partant, il y a lieu de rejeter le septième moyen.

IV –  Sur le huitième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense

722    Les requérantes font valoir que la décision attaquée viole leurs droits de la défense, car la Commission a modifié les éléments constitutifs de l’infraction alléguée dans la communication des griefs, sans les entendre au préalable. Elles n’auraient pas pu réfuter les allégations de la Commission selon lesquelles les entreprises de génériques étaient leurs concurrents potentiels en dépit de la violation éventuelle ou probable de leurs brevets, ainsi que le point de vue de la Commission selon lequel les paiements inversés suffisaient à eux seuls à établir que les accords litigieux constituaient des infractions par objet. La Commission aurait par ailleurs dû permettre aux requérantes d’accéder à sa correspondance avec le KFST, dans la mesure où cette correspondance pouvait contenir des éléments de preuve à décharge.

A –  Sur la première branche

723    Les requérantes considèrent que le remaniement complet de la théorie de la Commission contrevient à leur droit à être entendues. Elles rappellent que, selon la jurisprudence, même si tous les éléments de fait retenus par la Commission dans la décision attaquée étaient déjà présents dans la communication des griefs, les droits de la défense n’étaient pas respectés lorsque ces éléments de fait avaient été repris à divers points de cette communication des griefs, sans qu’aucun lien eût été établi entre eux ou que la Commission leur eût donné une quelconque qualification.

724    En premier lieu, les requérantes font valoir que la décision attaquée a substantiellement changé de position par rapport à celle qui avait été exprimée dans la communication des griefs en ce qui concerne la question de la concurrence potentielle, qui est un élément constitutif essentiel de l’infraction alléguée. Ainsi, dans la décision attaquée, la Commission, premièrement, aurait modifié substantiellement sa position en déclarant que même les entreprises de génériques qui n’avaient pas accès à du citalopram non contrefaisant devaient être présumées constituer des concurrents potentiels de Lundbeck, deuxièmement, aurait distingué deux phases dans lesquelles la concurrence potentielle s’exerçait et, troisièmement, aurait ajouté que la concurrence potentielle s’exprimait également par le biais des contestations de la validité des brevets, des tentatives d’innover à partir des brevets de procédé ou de la sollicitation en justice de déclarations de non-contrefaçon, et même de l’entrée « à risque », qui serait l’essence même de la concurrence dans le secteur pharmaceutique.

725    La Commission conteste ces arguments.

726    Il convient de rappeler que le respect des droits de la défense est un droit fondamental du droit de l’Union, consacré à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux, qui exige le respect de ces droits dans toute procédure.

727    Le respect des droits de la défense exige ainsi que l’entreprise intéressée ait été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l’appui de son allégation de l’existence d’une infraction au traité (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 111 supra, EU:C:2004:6, point 66 ; voir également, en ce sens, arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec, EU:C:1979:36, point 9).

728    En ce sens, l’article 27, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 prévoit, d’une part, que la Commission donne aux entreprises et aux associations d’entreprises visées par la procédure qu’elle mène l’occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs qu’elle retient, et, d’autre part, que la Commission ne fonde ses décisions que sur les griefs au sujet desquels les parties concernées ont pu faire valoir leurs observations.

729    Cette exigence doit être interprétée à la lumière de la jurisprudence selon laquelle la communication des griefs doit énoncer, de manière claire, tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure. Toutefois, cette indication peut être faite de manière sommaire et la décision ne doit pas nécessairement être une copie de l’exposé des griefs, car cette communication constitue un document préparatoire dont les appréciations de fait et de droit ont un caractère purement provisoire (voir arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 111 supra, EU:C:2004:6, point 67 et jurisprudence citée).

730    En premier lieu, s’agissant de l’argument selon lequel la Commission aurait substantiellement changé sa position concernant la question de la concurrence potentielle dans la décision attaquée par rapport à la communication des griefs, premièrement, il convient de constater, contrairement à ce que font valoir les requérantes, que celle-ci n’a pas considéré que seules les entreprises de génériques qui avaient accès à du citalopram non contrefaisant pouvaient être considérées comme des concurrents potentiels de Lundbeck. En effet, il ressort des considérants 468 et 469 de la communication des griefs notamment que la Commission a estimé que les entreprises de génériques et le laboratoire de princeps pouvaient être considérés comme des concurrents potentiels, indépendamment de la question de savoir si les produits génériques que ces entreprises avaient l’intention de commercialiser auraient pu violer ou non un brevet de procédé. En outre, il ressort des considérants 519, 550, 586, 612, 645 et 683 de la communication des griefs que la Commission s’est fondée sur un ensemble de facteurs, parmi lesquels la circonstance que les entreprises de génériques avaient déjà consenti des efforts importants afin de préparer leur entrée sur le marché, et dans certains cas, avaient déjà obtenu les AMM nécessaires ou accumulé un stock considérable de citalopram générique à cet effet, pour conclure à l’existence d’une concurrence à tout le moins potentielle entre celles‑ci et Lundbeck.

731    Deuxièmement, si la Commission a distingué deux phases relatives à la concurrence potentielle dans le secteur pharmaceutique dans la décision attaquée (point 91 ci-dessus), il convient de relever que, dans le cas d’espèce, il est constant que les brevets originaires de Lundbeck avaient expiré dans la presque totalité des pays de l’EEE au moment de la conclusion des accords litigieux, de sorte que les entreprises de génériques se trouvaient toutes à un stade avancé dans leurs préparatifs pour entrer sur le marché. Le fait que la Commission ait estimé, au considérant 616 de la décision attaquée, que la concurrence potentielle avait pu commencer déjà des années avant l’expiration du brevet sur l’IPA n’était pas décisif, ni même pertinent pour l’appréciation de la situation relative à la concurrence potentielle entre les requérantes et les entreprises de génériques en l’espèce. Dès lors, a fortiori, une telle appréciation n’a pas pu avoir d’effets sur les droits de la défense des requérantes à cet égard.

732    Troisièmement, il ressort également de la communication des griefs que l’entrée « à risques » des entreprises de génériques était considérée comme faisant partie du processus concurrentiel entre celles-ci et Lundbeck (voir notamment considérants 29, 488, 528, 562, 594, 621 et 656 de la communication des griefs). S’il est vrai que la décision attaquée contient plus de développements à cet égard, il y a lieu de rappeler que cette décision ne doit pas nécessairement être une copie de l’exposé des griefs (point 729 ci-dessus) et que la Commission doit pouvoir prendre en compte les réponses des entreprises à la communication des griefs, y compris en complétant, en approfondissant ou en reformulant des arguments à l’appui des griefs qu’elle maintient (voir, en ce sens, arrêts du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, C‑328/05 P, Rec, EU:C:2007:277, point 62, et du 15 mars 2006, BASF/Commission, T‑15/02, Rec, EU:T:2006:74, point 93 et jurisprudence citée).

733    Quatrièmement, c’est à tort que les requérantes prétendent que la Commission aurait constaté, dans la décision attaquée, que la possibilité de litiges en matière de brevets serait suffisante pour établir l’existence d’une concurrence potentielle entre elles et les entreprises de génériques. En effet, la décision attaquée, tout comme la communication des griefs, se fonde sur un ensemble de facteurs à cet égard, dont le fait que les entreprises de génériques avaient effectué des démarches importantes afin de préparer leur entrée sur le marché (points 96 et 730 ci-dessus). En outre, la communication des griefs faisait également référence au fait que les litiges en matière de brevets faisaient partie intégrante du processus concurrentiel dans le secteur pharmaceutique (voir notamment le considérant 27 de la communication des griefs).

734    C’est donc à tort que les requérantes prétendent que la Commission aurait modifié substantiellement sa position concernant la concurrence potentielle entre la communication des griefs et la décision attaquée.

735    En deuxième lieu, les requérantes estiment que la communication des griefs n’a pas énoncé de norme juridique claire et cohérente pour examiner les paiements inversés contenus dans des accords de règlement amiable en matière de brevets au regard du droit de la concurrence de l’Union.

736    De même, la communication des griefs n’aurait fourni aucune indication sur le seuil à partir duquel une somme d’argent devait être qualifiée de « considérable », le seul point de référence étant que les entreprises de génériques s’étaient vu « proposer plus d’argent qu’elles n’étaient susceptibles d’en gagner sur le marché par la vente de versions génériques du citalopram », ce qui les aurait « incitées à renoncer à se poser en riva[les] de Lundbeck » (considérant 710 de la communication des griefs).

737    L’absence de normes d’examen claires aurait empêché les requérantes de faire valoir utilement leur point de vue, ce qui constituerait un vice juridique particulièrement grave, dans la mesure où la présente espèce soulèverait des questions juridiques complexes et nouvelles et où aucune orientation autre que le critère de l’étendue du brevet, qui est rejeté par la décision, n’aurait pu être déduite de la jurisprudence antérieure.

738    Il y a lieu de constater à cet égard, contrairement à ce qu’affirment les requérantes, que le considérant 480 de la communication des griefs indique explicitement que l’existence de paiements inversés est décisive aux fins de l’appréciation juridique des accords litigieux, en des termes identiques à ceux figurant au considérant 660 de la décision attaquée. En outre, de même que la communication des griefs, la décision attaquée se fonde également sur l’allégation selon laquelle l’existence de paiements inversés dans les accords litigieux constitue l’un des facteurs pertinents afin de constater l’existence d’une restriction par objet (voir considérants 661 et 662 de la décision attaquée). Par ailleurs, la communication des griefs indique, tout comme la décision attaquée, que les montants des paiements inversés étaient problématiques dans la mesure où ils tenaient compte des profits ou du chiffre d’affaires qui auraient été réalisés par les entreprises de génériques en cas d’entrée sur le marché, ce qui réduisait les incitations pour les entreprises de génériques à poursuivre leurs efforts pour entrer sur le marché (voir, notamment, considérants 469, 496, 543, 588, 638, 687 de la communication des griefs et point 366 ci‑dessus).

739    Le deuxième grief des requérantes doit donc également être rejeté.

740    En troisième lieu, les requérantes font valoir que la décision attaquée ainsi que l’exposé des faits contiennent plusieurs éléments qui n’apparaissaient pas dans la communication des griefs, tels que les parts de marché de Lundbeck détenues dans le marché des antidépresseurs de l’EEE (considérant 215 de la décision attaquée et point 17 de l’exposé des faits). La méthode utilisée par la Commission pour calculer ces parts de marché ainsi que la définition précise du marché resteraient obscures et inexpliquées et n’auraient pas figuré non plus dans l’exposé des faits.

741    S’agissant des parts de marché des requérantes présentées par la Commission dans l’exposé des faits du 12 avril 2013 afin de renforcer sa conclusion relative aux distorsions de concurrence causées par les accords litigieux, il convient de rappeler, tout d’abord, qu’un accord susceptible d’affecter le commerce entre États membres et ayant un objet anticoncurrentiel constitue, par sa nature et indépendamment de tout effet concret de celui-ci, une restriction sensible du jeu de la concurrence (arrêt du 13 décembre 2012, Expedia, C‑226/11, Rec, EU:C:2012:795, point 37). La Commission n’était donc pas tenue d’établir de manière détaillée, que ce soit dans la communication des griefs ou dans la décision attaquée, l’existence d’une restriction sensible de la concurrence, dès lors qu’elle a suffisamment établi que les accords litigieux avaient un objet anticoncurrentiel et étaient susceptibles d’affecter le commerce entre États membres (voir notamment considérants 196, 197, 209 à 213, 724 et 726 de la décision attaquée). En tout état de cause, les requérantes ont pu faire valoir leurs observations à la suite de la communication de l’exposé des faits, de sorte qu’elles ne sauraient invoquer une violation de leurs droits de la défense à cet égard (voir point 704 ci‑dessus).

742    Partant, il y a lieu de rejeter la première branche dans son ensemble.

B –  Sur la deuxième branche

743    Les requérantes estiment que c’est à tort que la Commission leur a refusé l’accès à ses communications avec le KFST. S’il est exact, selon elles, que la communication de la Commission relative aux règles d’accès au dossier de la Commission dans les affaires relevant des articles [101 TFUE] et [102 TFUE], des articles 53, 54 et 57 de l’accord EEE et du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil (JO 2005, C 325, p. 7), soustrait la correspondance entre la Commission et les autorités de concurrence nationale au droit d’accès au dossier, il découle d’une jurisprudence constante que, si les circonstances exceptionnelles de l’espèce l’exigent, les documents internes de la Commission peuvent être portés à la connaissance des parties. Or, il suffirait qu’elles démontrent l’existence d’une chance, même réduite, que les documents non divulgués lors de la procédure administrative auraient pu présenter une utilité à leur défense. Cela serait le cas en l’espèce, dans la mesure où la correspondance avec le KFST contiendrait des preuves potentiellement à décharge, qui permettraient de prouver, sous l’angle factuel et contrairement à ce que fait valoir la Commission, l’état incertain du droit de la concurrence au sujet des règlements amiables stipulant un paiement inversé à la date à laquelle les requérantes ont conclu les accords litigieux. En tout état de cause, la divulgation postérieure de ces pièces par la Commission démontrerait qu’elles ne contenaient aucune information confidentielle, de sorte que la Commission aurait dû les rendre accessibles immédiatement. Cela suffirait pour annuler la décision attaquée.

744    La Commission conteste ces arguments.

745    Selon la jurisprudence, dans l’hypothèse où la Commission a rejeté au cours de la procédure administrative une demande d’une partie requérante visant l’accès à des documents ne figurant pas dans le dossier d’instruction, une violation des droits de la défense ne peut être constatée que s’il est établi que la procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent dans l’hypothèse où la partie requérante aurait eu accès aux documents en question au cours de cette procédure (voir arrêt du 16 juin 2011, Solvay/Commission, T‑186/06, Rec, EU:T:2011:276, point 227 et jurisprudence citée).

746    Il y a lieu de rappeler également que, en tout état de cause, une violation des droits de la défense n’est pas susceptible, en soi, d’affecter la validité de la décision attaquée dans son ensemble dès lors que celle-ci n’est pas fondée sur les seules données en cause. En revanche, dans un tel cas, il appartient au Tribunal de faire abstraction du contenu de ces documents lors de l’examen du bien-fondé de la décision (voir, en ce sens, arrêts du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec, EU:C:1983:158, point 30, et du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T‑352/94, Rec, EU:T:1998:103, point 74).

747    En l’espèce, s’agissant de ces deux documents relatant la correspondance entre la Commission et le KFST, il y a lieu de rappeler que la Commission les a produits spontanément, en annexe de son mémoire en défense, en réponse à la demande des requérantes. Il s’agit, d’une part, d’un rapport du KFST du 7 octobre 2003, portant sur l’enquête menée par cette autorité sur les activités de Lundbeck et les accords conclus par celle-ci sur le marché des antidépresseurs pharmaceutiques et, d’autre part, d’un mémo du KFST du 10 juin 2005 relatant, en résumé, les conclusions de ladite autorité sur l’évaluation de ces accords au regard des dispositions du traité sur la libre concurrence.

748    Il convient de constater, tout d’abord, qu’il ne s’agit pas de documents émanant directement de la Commission ou de ses services, mais de communiqués d’une autorité nationale de la concurrence. Or, selon la jurisprudence, les autorités nationales de la concurrence ne peuvent pas faire naître à l’égard des entreprises une confiance légitime en ce que leur comportement n’enfreint pas l’article 101 TFUE, dès lors que celles-ci ne sont pas compétentes pour prendre une décision négative, à savoir une décision concluant à l’absence d’une violation de ladite disposition (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2013, Schenker & Co. e.a., C‑681/11, Rec, EU:C:2013:404, point 42 et jurisprudence citée). Dès lors, à supposer même qu’ils aient constaté l’absence d’une infraction ou qu’ils aient remis en cause la théorie adoptée par la Commission dans la décision attaquée, ces documents ne sauraient être utilement invoqués par les requérantes en tant qu’éléments à décharge, puisque, à supposer qu’ils eussent été communiqués aux requérantes au cours de la procédure administrative, une telle communication aurait été sans impact quant à l’issue de celle‑ci.

749    En tout état de cause, ces documents, loin de remettre en cause l’appréciation des accords litigieux effectuée par la Commission dans la décision attaquée, confortent plutôt celle-ci, puisque, aux yeux du KFST dans son rapport du 7 octobre 2003, les accords litigieux pouvaient influencer la concurrence, dès lors que Lundbeck avait payé des concurrents pour qu’ils se tiennent à l’écart du marché et que l’effet en était incontestablement des prix plus élevés. Elle a considéré, dès lors, que ces accords constituaient des infractions très graves à l’article 101 TFUE.

750    S’il est vrai qu’il ressort également du mémo du KFST du 10 juin 2005 que, aux yeux de la Commission, il existait un doute sur la question de savoir si de tels accords étaient anticoncurrentiels ou non, au regard notamment de l’importance du paiement effectué par Lundbeck en faveur des entreprises de génériques, il convient de rappeler qu’il ne s’agissait que d’une appréciation préliminaire de la Commission et que, à la suite de ces informations, celle-ci a décidé de lancer une enquête plus large sur ce type d’accords dans le domaine pharmaceutique afin de se faire une opinion plus précise sur le fonctionnement de ce secteur et sur la compatibilité de tels accords avec les articles 101 TFUE et 102 TFUE. Or, à la suite de cette enquête, la Commission a ouvert une procédure sur le fondement de l’article 101, paragraphe 1, TFUE à l’encontre de Lundbeck et des entreprises de génériques.

751    En outre, il ressort également de ce mémo du KFST que la Commission attachait une importance primordiale au fait qu’un paiement inversé important pût constituer un indice de ce que le laboratoire de princeps avait payé les entreprises génériques pour qu’ils se tiennent à l’écart du marché. Il ressort en effet dudit mémo que « la question de savoir si un accord peut être justifié dépend, entre autres choses, de la taille du paiement », que, « [s]i celui-ci ne couvre que les coûts qui peuvent être estimés dans l’hypothèse où le litige était porté devant les tribunaux, alors cet accord pourrait tomber en dehors du champ d’application de l’article [101 TFUE] ou [102 TFUE] » et que, « [e]n revanche, si le paiement est plus important, il peut être vu comme un moyen de payer ses concurrents pour qu’ils se tiennent à l’écart du marché, ce qui enfreint l’article [101 TFUE] ou [102 TFUE] ». Or, il ressort clairement de la décision attaquée également que le fait que les paiements inversés contenus dans les accords litigieux en l’espèce étaient importants et correspondaient, peu ou prou, aux profits escomptés par les entreprises de génériques en cas d’entrée sur le marché et non aux frais de contentieux éventuels qui auraient été évités, était un élément décisif pour conclure à l’existence d’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE (points 354, 414 et 415 ci‑dessus).

752    C’est donc à tort que les requérantes font valoir que ces documents auraient pu être utiles à leur défense s’ils leur avaient été communiqués immédiatement au cours de la procédure administrative, puisqu’ils permettent uniquement de soutenir éventuellement qu’il existait un doute, à l’époque, sur la question de savoir si les accords litigieux pouvaient être qualifiés immédiatement, sans examen approfondi, de restrictions de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. La jurisprudence n’exige pas, toutefois, qu’un accord doive être considéré comme étant suffisamment nocif pour la concurrence à première vue ou sans aucun doute, sans qu’il soit procédé à un examen approfondi de son contenu, de sa finalité, et du contexte économique et juridique dans lequel il s’inscrit, pour pouvoir être qualifié de restriction de la concurrence par objet au sens de cette disposition (points 338 à 344 et 438 ci‑dessus).

753    Il y a lieu de conclure, dès lors, que les droits de la défense des requérantes n’ont pas été violés en l’espèce, dans la mesure où il n’apparaît pas que la procédure administrative eût pu aboutir à un résultat différent dans l’hypothèse où celles-ci auraient eu accès aux documents en question au cours de cette procédure (point 745 ci‑dessus).

754    Partant, il y a lieu de rejeter la deuxième branche ainsi que le huitième moyen dans son ensemble.

V –  Sur le neuvième moyen, tiré, à titre subsidiaire, de ce que l’imposition d’amendes à Lundbeck est entachée d’une erreur de droit

755    Les requérantes font valoir, premièrement, l’absence d’affaires antérieures évaluant des accords de règlement amiable en matière de brevets et, deuxièmement, l’inapplicabilité de l’arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission (T‑321/05, Rec, EU:T:2010:266), aux règlements amiables en matière de brevets, de sorte que l’imposition d’amendes à leur égard était dépourvue de toute base légale et était contraire au principe de sécurité juridique en l’espèce.

756    La Commission conteste ces arguments.

A –  Sur la première branche

757    Les requérantes font valoir tout d’abord que, à supposer que la Commission fût fondée à conclure que les accords litigieux avaient violé l’article 101 TFUE, aucun motif valable ne l’autorisait à leur imposer des amendes en l’espèce, compte tenu de la nouveauté et de la complexité des questions factuelles et juridiques soulevées, ce que la Commission reconnaîtrait par ailleurs. L’imposition d’amendes dans une telle hypothèse manquerait aux principes de sécurité juridique et de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege). Par ailleurs, le mémoire en défense reconnaîtrait qu’il s’agit de la première décision de la Commission constatant une infraction en ce qui concerne des accords dits « pay for delay » (accords visant à retarder l’entrée des génériques sur le marché contre paiement).

758    La jurisprudence existante, notamment l’arrêt BIDS, point 341 supra (EU:C:2008:643), n’aurait fourni aucune orientation permettant de prévoir que les paiements inversés stipulés dans les accords litigieux serviraient à la Commission d’élément décisif pour constater qu’ils contrevenaient à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. En effet, la Commission aurait soutenu que, si ces accords n’avaient pas prévu de paiements inversés, ils auraient constitué en principe des outils légitimes permettant de faire respecter les brevets de Lundbeck. Par ailleurs, les requérantes font valoir que l’arrêt BIDS, point 341 supra (EU:C:2008:643), n’avait pas été rendu au moment de la conclusion des accords litigieux.

759    En outre, le KFST aurait donné, au début de l’année 2004, des indications clés sur l’insécurité juridique dans laquelle baignaient les accords en matière de brevets stipulant des paiements inversés. En particulier, le communiqué de presse du KFST du 28 janvier 2004 montrerait que la Commission considérait à l’époque que les montants des paiements effectués par Lundbeck étaient tels qu’il n’était pas possible de montrer de manière plausible qu’ils servaient à compenser la mise à l’écart du marché d’un concurrent. Par ailleurs, le fait qu’il ait fallu plus d’une décennie à la Commission pour se forger un point de vue sur la qualification juridique d’accords stipulant un paiement inversé témoignerait de l’extrême complexité et de la très grande nouveauté des questions sous‑jacentes.

760    La Commission conteste ces arguments.

761    Il y a lieu de rappeler que le principe de sécurité juridique exige qu’une réglementation de l’Union permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose et que ces derniers puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (voir arrêt du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., C‑201/09 P et C‑216/09 P, Rec, EU:C:2011:190, point 68 et jurisprudence citée).

762    Cependant, s’agissant de la question de savoir si une infraction a été commise de propos délibéré ou par négligence et est, de ce fait, susceptible d’être sanctionnée par une amende en vertu de l’article 23, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 1/2003, il résulte de la jurisprudence que cette condition est remplie dès lors que l’entreprise en cause ne peut ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement, qu’elle ait eu ou non conscience d’enfreindre les règles de concurrence du traité (voir arrêt Schenker & Co. e.a., point 748 supra, EU:C:2013:404, point 37 et jurisprudence citée).

763    Il y a lieu de rappeler, ensuite, que les principes de sécurité juridique et de légalité des peines, prévus par l’article 7 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 ainsi que par l’article 49 de la charte des droits fondamentaux, ne sauraient être interprétés comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale, mais peuvent s’opposer à l’application rétroactive d’une nouvelle interprétation d’une norme établissant une infraction (voir, en ce sens, arrêt Telefónica et Telefónica de España/Commission, point 113 supra, EU:C:2014:2062, point 148 et jurisprudence citée).

764    En l’espèce, contrairement à ce que font valoir les requérantes, il n’était pas imprévisible que des accords par lesquels le laboratoire de princeps serait parvenu à écarter des concurrents potentiels du marché pendant une période déterminée, au moyen de paiements inversés importants, puissent être contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, qu’ils aillent ou non au-delà du champ d’application des brevets de celui‑ci (voir points 486 à 490 ci‑dessus).

765    Comme l’a constaté la Commission à juste titre aux considérants 1312 et 1313 de la décision attaquée, une lecture littérale de l’article 101, paragraphe 1, TFUE permettait de comprendre que des accords entre concurrents visant à exclure certains d’entre eux du marché étaient illégaux. En effet, les accords de répartition ou d’exclusion du marché figurent parmi les restrictions les plus graves de la concurrence explicitement mentionnées par l’article 101, paragraphe 1, TFUE (point 338 ci‑dessus).

766    La circonstance que, dans le cas d’espèce, les accords litigieux ont été conclus sous la forme de règlements à l’amiable portant sur des droits de propriété intellectuelle ne saurait permettre aux requérantes d’inférer que l’illégalité de ceux-ci au regard du droit de la concurrence était totalement nouvelle ou imprévisible.

767    La portée de la notion de prévisibilité dépend, en effet, dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. La prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-il être attendu d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec, EU:C:2005:408, point 219 et jurisprudence citée).

768    Aucun des arguments présentés par les requérantes n’est susceptible de remettre en cause cette conclusion.

769    En effet, premièrement, s’il est vrai que l’arrêt BIDS, point 341 supra (EU:C:2008:643), invoqué par la Commission dans la décision attaquée, a été rendu postérieurement à la conclusion des accords litigieux, la jurisprudence antérieure précisait néanmoins qu’un accord n’était pas immunisé contre le droit de la concurrence du simple fait qu’il portait sur un brevet ou qu’il visait à résoudre à l’amiable un litige en matière de brevets (voir, en ce sens, arrêt Bayer et Maschinenfabrik Hennecke, point 427 supra, EU:C:1988:448, point 15) et que le fait de substituer l’appréciation discrétionnaire d’une des parties aux décisions des juges nationaux afin de constater l’existence d’une violation d’un brevet ne relevait manifestement pas de l’objet spécifique du brevet et constituait une restriction au libre jeu de la concurrence (voir, en ce sens, arrêt Windsurfing, point 119 supra, EU:C:1986:75, points 52 et 92).

770    L’arrêt Centrafarm et de Peijper, point 117 supra (EU:C:1974:114, points 39 et 40), précisait également que les conditions d’exercice d’un droit de propriété intellectuelle pouvaient relever des interdictions édictées par l’article 101 TFUE, que tel pouvait être le cas chaque fois que l’exercice d’un tel droit apparaissait comme étant l’objet, le moyen ou la conséquence d’une entente.

771    Deuxièmement, s’agissant des documents émanant du KFST et, en particulier, du communiqué de presse du 28 janvier 2004, il convient de rappeler, tout d’abord qu’il ne s’agit pas d’un document émanant de la Commission et qu’il ne pouvait donc pas, en tant que tel, susciter des attentes légitimes chez les requérantes. De plus, il y a lieu de rappeler que les autorités nationales de la concurrence ne sont pas compétentes pour prendre une décision négative, à savoir une décision concluant à l’absence d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (point 748 ci‑dessus).

772    En outre, il ressort clairement du communiqué du KFST que les accords qui ont pour objet d’acheter l’exclusion du marché d’un concurrent sont anticoncurrentiels. À l’issue de son enquête approfondie sur le secteur pharmaceutique, la Commission a pu peaufiner son approche et saisir pleinement le caractère anticoncurrentiel de certains accords, notamment lorsque ceux-ci impliquaient un paiement inversé important, comme en l’espèce (points 349 à 403 ci‑dessus).

773    Troisièmement, dans la mesure où les requérantes invoquent la pratique antérieure de la Commission pour avancer que l’infraction constatée en l’espèce était inédite et appelait uniquement une amende symbolique, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, la Commission dispose d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence. Le fait que la Commission ait appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement no 1/2003, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique de concurrence de l’Union. L’application efficace des règles de l’Union en matière de concurrence exige au contraire que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (voir arrêt du 25 octobre 2011, Aragonesas Industrias y Energía/Commission, T‑348/08, Rec, EU:T:2011:621, point 293 et jurisprudence citée).

774    En outre, le fait que la Commission n’ait pas, dans le passé, estimé qu’un accord d’un type donné était, de par son objet même, restrictif de concurrence n’est pas de nature, en soi, à l’empêcher de le faire à l’avenir à la suite d’un examen individuel et circonstancié des mesures litigieuses, au regard de leur contenu, de leur finalité et de leur contexte. Il n’est pas requis, dès lors, que le même type d’accords ait déjà été condamné par la Commission pour que ceux-ci puissent être considérés comme restrictifs de la concurrence par objet (point 438 ci‑dessus).

775    La jurisprudence n’exige pas non plus qu’un accord doive être suffisamment nocif pour la concurrence à première vue ou sans aucun doute, sans qu’il soit procédé à un examen approfondi de son contenu, de sa finalité, et du contexte économique et juridique dans lequel il s’insère, pour pouvoir être qualifié de restriction de la concurrence par objet au sens de cette disposition (point 752 ci‑dessus).

776    Enfin, il ressort de la décision attaquée que certaines entreprises de génériques avaient bien perçu le caractère infractionnel d’accords analogues aux accords litigieux et ont refusé d’entrer dans de tels accords précisément pour cette raison (voir considérant 190 de la décision attaquée). De même, un employé de Lundbeck a réagi à certains échanges de courriels qui établissaient les prix et les volumes de citalopram achetés par Merck (GUK) à Lundbeck en vertu des accords litigieux, en précisant qu’il « s’oppos[ait] fortement au contenu de ce mail » et qu’« [ils ne pouvaient] pas et ne [devaient] pas [se] mettre d’accord sur les prix de revente », puisque « c’[était] illégal » (considérant 265 de la décision attaquée). S’agissant de l’accord Ranbaxy, Lundbeck avait relevé également, au cours des négociations portant sur cet accord, qu’il serait onéreux et difficile, notamment du point de vue du droit de la concurrence (voir considérant 188 de la décision attaquée).

777    Ces éléments démontrent que, loin d’être imprévisibles à l’époque, les restrictions de la concurrence prévues par les accords litigieux pouvaient raisonnablement être perçues par les parties à ces accords comme étant contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

778    Par conséquent, c’est à tort que les requérantes prétendent que la Commission a violé les principes de sécurité juridique et de légalité des peines en l’espèce.

779    La première branche doit donc être rejetée.

B –  Sur la deuxième branche

780    Selon les requérantes, il découle de l’arrêt AstraZeneca/Commission, point 755 supra (EU:T:2010:266), qu’il n’est pas justifié d’imposer des amendes en raison du caractère inédit d’une affaire lorsque, d’une part, aucune jurisprudence antérieure n’a porté sur le comportement considéré et, d’autre part, ce comportement n’est pas fortement anticoncurrentiel, de sorte que l’entreprise intéressée ne pouvait pas s’attendre à ce que celui-ci soit illicite. Or, selon elles, le considérant 1300 de la décision attaquée reconnaît que la première condition est remplie en l’espèce, tandis que, s’agissant de la deuxième condition, les accords litigieux ne sont pas des pratiques abusives, telles que celles en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt AstraZeneca/Commission, point 755 supra (EU:T:2010:266). En outre, aucune responsabilité particulière n’incomberait aux entreprises qui, à l’instar de Lundbeck, ne sont pas en position dominante. La Commission ne saurait, dès lors, réutiliser dans le cadre d’une enquête au titre de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, des critères dégagés dans une affaire portant sur un abus de position dominante.

781    La Commission conteste ces arguments.

782    Il y a lieu de relever, à cet égard, comme l’a rappelé la Commission au considérant 1300 de la décision attaquée, que, dans son arrêt AstraZeneca/Commission, point 162 supra (EU:C:2012:770), la Cour a constaté, en répondant à un argument analogue de la requérante dans cette affaire, que, « même si la Commission et les juridictions de l’Union n’avaient pas encore eu l’occasion de se prononcer spécifiquement sur un comportement comme celui ayant caractérisé ces abus, AstraZeneca était conscient de la nature fortement anticoncurrentielle de son comportement et aurait dû s’attendre à ce que celui-ci [fût] incompatible avec les règles de concurrence du droit de l’Union ». C’est donc à tort que les requérantes déduisent de cet arrêt qu’il n’est pas possible, pour la Commission, d’imposer une amende en l’absence de précédents analogues confirmés par les juridictions de l’Union (points 438 et 774 ci‑dessus).

783    En outre, tout comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt AstraZeneca, point 755 supra (EU:T:2010:266), les comportements des requérantes en l’espèce ne faisaient manifestement pas partie du jeu normal de la concurrence, puisqu’ils visaient à exclure des concurrents potentiels du marché au moyen de paiements inversés importants. Le fait que certains règlements amiables en matière de brevets puissent, par ailleurs, être légitimes et ne pas enfreindre les dispositions du traité sur la libre concurrence, n’enlève rien au fait que, en l’espèce, les accords litigieux conclus par les requérantes étaient anticoncurrentiels, pour les raisons exposées par la Commission dans la décision attaquée (voir point 354 ci-dessus et considérants 661 et 662 de la décision attaquée).

784    Enfin, s’il est vrai que les entreprises en situation de position dominante ont la responsabilité spéciale, en vertu de l’article 102 TFUE, de ne pas adopter certains types de comportements unilatéraux qui portent atteinte à la concurrence, comme ceux qui étaient en cause dans l’arrêt AstraZeneca, point 755 supra (EU:T:2010:266), il n’en reste pas moins que toutes les entreprises, qu’elle soient en situation de position dominante ou non, sont également soumises à l’article 101 TFUE lorsque les conditions d’application de cet article sont réunies et peuvent se voir imposer des amendes à ce titre. Or, c’est bien cette dernière disposition, et non l’article 102 TFUE, qui a été appliquée par la Commission en l’espèce.

785    Partant, la deuxième branche doit être rejetée, ainsi que le neuvième moyen dans son ensemble.

VI –  Sur le dixième moyen, tiré, à titre éminemment subsidiaire, d’erreurs de droit et de fait dans le calcul du montant des amendes

786    Les requérantes estiment que, dans la décision attaquée, la Commission aurait dû, en tout état de cause, pour calculer le montant de l’amende, premièrement, utiliser un taux de gravité inférieur, deuxièmement, tenir compte du fait que les infractions alléguées avaient duré peu de temps, troisièmement, s’abstenir d’imposer un quelconque montant additionnel et, quatrièmement, appliquer des circonstances atténuantes.

787    La Commission conteste ces arguments.

788    Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que, s’agissant des requérantes, la Commission a suivi la méthodologie générale décrite dans les lignes directrices de 2006, fondée sur la valeur des ventes du produit visé, en ce qui concerne directement ou indirectement les infractions commises, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’EEE (paragraphes 13 et 19 desdites lignes directrices). La proposition retenue a été de 10 ou de 11 %, selon la portée géographique des accords litigieux (voir points 68 à 75 ci-dessus et considérants 1316 à 1358 de la décision attaquée).

789    Il convient de rappeler également que, selon une jurisprudence constante, pour la détermination du montant des amendes à infliger en cas de violation des règles de la concurrence, il y a lieu de tenir compte de la durée des infractions et de tous les éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité de celles-ci, tels que le comportement de chacune des entreprises, le rôle joué par chacune d’elles dans l’établissement des pratiques concertées, le profit qu’elles ont pu tirer de ces pratiques, leur taille et la valeur des marchandises concernées ainsi que le risque que des infractions de ce type représentent (voir arrêt du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission, C‑272/09 P, Rec, EU:C:2011:810, point 96 et jurisprudence citée).

790    La Cour a également indiqué que des éléments objectifs tels que le contenu et la durée des comportements anticoncurrentiels, leur nombre et leur intensité, l’étendue du marché affecté et la détérioration subie par l’ordre public économique devaient être pris en compte (voir arrêt KME Germany e.a./Commission, point 789 supra, EU:C:2011:810, point 97 et jurisprudence citée).

791    À cet égard, il importe de rappeler que l’obligation de motivation revêt une importance toute particulière. Il incombe à la Commission de motiver sa décision et, notamment, d’expliquer la pondération et l’évaluation qu’elle a faites des éléments pris en considération. La présence d’une motivation doit être vérifiée d’office par le juge (voir, en ce sens, arrêt KME Germany e.a./Commission, point 789 supra, EU:C:2011:810, point 101 et jurisprudence citée).

792    Par ailleurs, il appartient au juge de l’Union d’effectuer le contrôle de légalité qui lui incombe sur la base des éléments apportés par le requérant au soutien des moyens invoqués. Lors de ce contrôle, le juge ne saurait s’appuyer sur la marge d’appréciation dont dispose la Commission ni en ce qui concerne le choix des éléments pris en considération lors de l’application des critères mentionnés dans les lignes directrices, ni en ce qui concerne l’évaluation de ces éléments pour renoncer à exercer un contrôle approfondi tant de droit que de fait (arrêt KME Germany e.a./Commission, point 789 supra, EU:C:2011:810, point 102).

793    Le contrôle de légalité est complété par la compétence de pleine juridiction qui est reconnue au juge de l’Union par l’article 31 du règlement no 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer le montant de l’amende ou de l’astreinte infligée (voir, en ce sens, arrêt KME Germany e.a./Commission, point 789 supra, EU:C:2011:810, point 103 et jurisprudence citée).

794    Il importe cependant de souligner que l’exercice de la compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office et de rappeler que la procédure devant les juridictions de l’Union est contradictoire. À l’exception des moyens d’ordre public que le juge est tenu de soulever d’office, telle l’absence de motivation de la décision attaquée, c’est à la partie requérante qu’il appartient de soulever les moyens à l’encontre de cette dernière et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens (arrêt KME Germany e.a./Commission, point 789 supra, EU:C:2011:810, point 104).

795    C’est à l’aune de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner les arguments des requérantes.

A –  Sur la première branche

796    Les requérantes font valoir que les taux de gravité, fixés à 11 % de la valeur des ventes pour les accords conclus avec Merck (GUK), Alpharma et Ranbaxy et à 10 % pour les accords conclus avec Arrow, sont trop élevés. En effet, en premier lieu, la décision attaquée ne tiendrait pas compte de la portée limitée des restrictions contenues dans les accords litigieux, qui seraient, au moins en partie, dans le champ d’application des brevets de Lundbeck. La part de marché de Lundbeck aurait été inférieure à 19 % dans la majorité des pays de l’EEE et la portée géographique des accords aurait dû être limitée aux pays de l’EEE pour lesquels les entreprises de génériques avaient des perspectives réalistes d’intégrer le marché.

797    En deuxième lieu, la décision ne tiendrait pas compte du fait que les accords litigieux n’étaient pas secrets et qu’ils contenaient des clauses classiques pour ce type d’accords, ce qui justifierait un taux de gravité inférieur, conformément à la pratique décisionnelle de la Commission. En troisième lieu, les accords litigieux ne seraient pas de nature collusoire, ce que la décision attaquée reconnaîtrait par ailleurs. Or, par le passé, la Commission soit n’aurait infligé aucune amende, soit aurait infligé une amende très inférieure, soit aurait fixé le taux de gravité au niveau le plus bas de l’échelle pour ce type d’accords restrictifs non collusoires. La décision serait donc erronée lorsqu’elle constate que les accords litigieux constituent des infractions graves à l’article 101 TFUE. Le principe de proportionnalité exigerait au contraire que le taux de gravité dans la présente espèce soit fixé au niveau le plus bas de l’échelle.

798    La Commission conteste ces arguments.

799    À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu du paragraphe 21 des lignes directrices de 2006, la proportion de la valeur des ventes prise en compte sera fixée à un niveau pouvant aller jusqu’à 30 %. Le paragraphe 22 desdites lignes directrices précise que, afin de déterminer si la proportion de la valeur des ventes à prendre en considération dans un cas donné devrait être au bas ou en haut de cette échelle, la Commission tiendra compte d’un certain nombre de facteurs, tels que la nature de l’infraction, la part de marché cumulée de toutes les parties concernées, l’étendue géographique de l’infraction et la mise en œuvre ou non de l’infraction.

800    Premièrement, il y a lieu de relever que la Commission a, à juste titre, qualifié les infractions en cause en l’espèce de « graves », dans la mesure où il s’agissait de restrictions de la concurrence par objet, dont le caractère nocif pour la concurrence a été suffisamment établi, consistant à payer des concurrents pour qu’ils se tiennent à l’écart du marché pendant une période déterminée (considérant 1331 de la décision attaquée).

801    La circonstance que certaines restrictions contenues dans les accords litigieux aient pu se trouver dans le champ d’application des brevets de Lundbeck (tel que défini aux points 335 et 569 ci-dessus) n’est pas de nature à remettre en cause cette conclusion, puisqu’il ne s’agissait que d’un élément parmi d’autres pris en compte par la Commission pour établir l’existence d’une restriction par objet en l’espèce (point 354 ci-dessus). Peu importe, dès lors, que ceux-ci contenaient éventuellement également des restrictions se trouvant dans le champ d’application de ces brevets, puisque, comme l’a conclu la Commission dans la décision attaquée, ce qui est déterminant c’est que, au moment de conclure les accords litigieux, il existait une incertitude sur la question de savoir si les produits que les entreprises de génériques comptaient commercialiser enfreignaient ou non l’un ou l’autre brevet de Lundbeck, que la validité de ceux-ci aurait également pu être remise en cause devant une juridiction et que c’est par le biais d’un paiement inversé important que les requérantes avaient obtenu la certitude que les entreprises de génériques n’entreraient pas sur le marché pendant la durée des accords litigieux (points 363 et 429 ci-dessus). En tout état de cause, c’est à juste titre que la Commission a considéré que les accords litigieux contenaient, dans la grande majorité des cas, des restrictions allant au‑delà du champ d’application des brevets de Lundbeck (voir le sixième moyen ci‑dessus).

802    Deuxièmement, la Commission a considéré, sans commettre d’erreur, que Lundbeck détenait une part de marché très importante du produit concerné par les infractions en cause sur les marchés géographiques affectés par les accords litigieux. Ainsi, il ressort au moins implicitement de la décision attaquée que Lundbeck jouissait d’un monopole s’agissant du citalopram au moment de conclure les accords litigieux, puisque ses brevets originaires portant sur l’IPA citalopram venaient d’expirer et qu’aucune entreprise commercialisant des médicaments génériques n’était encore entrée sur le marché. En outre, à supposer que le marché pertinent ait été plus large et qu’il ait inclus l’ensemble des médicaments antidépresseurs, la Commission a relevé, au considérant 215 de la décision attaquée, que Lundbeck détenait une part de marché substantielle sur ce marché dans la plupart des pays de l’EEE.

803    Troisièmement, la Commission a estimé, à juste titre, que les infractions en cause avaient une portée géographique large, puisque, à l’exception de l’infraction avec Arrow, toutes couvraient l’ensemble de l’EEE.

804    Contrairement à ce que font valoir les requérantes à cet égard, la Commission n’était pas tenue de réduire le montant de base de l’amende pour ne tenir compte que de la valeur des ventes dans les pays où les entreprises de génériques étaient plus avancées dans leurs préparatifs visant à entrer sur le marché. En effet, s’agissant d’infractions par objet, dans la mesure où les infractions consituées par les accords litigieux (à l’exception des accords conclus avec Arrow) avaient une portée géographique s’étendant à l’ensemble de l’EEE, la Commission était en droit de se fonder sur cette portée géographique, sans procéder à un examen approfondi des perspectives concrètes d’entrée des entreprises de génériques dans chaque État de l’EEE. En effet, ce sont les parties aux accords litigieux qui ont défini la portée géographique de ces accords et donc des infractions en cause en l’espèce en décidant que ceux-ci couvriraient l’ensemble de l’EEE (à l’exception de l’infraction avec Arrow).

805    Quatrièmement, c’est sans commettre d’erreur également que la Commission a pris en considération le fait que tous les accords litigieux avaient été mis en œuvre, ce qui n’est pas contesté par les requérantes, dès lors que les entreprises de génériques n’étaient pas entrées sur le marché pendant la durée des accords litigieux, à l’exception de Merck (GUK) avant la seconde prorogation de l’accord GUK pour le Royaume-Uni (points 28, 131 et 399 ci‑dessus).

806    Dès lors, au vu de l’ensemble de ces circonstances, il y a lieu de constater que, en fixant la proportion des valeurs des ventes à prendre en compte pour fixer le montant de base de l’amende infligée à Lundbeck à 11 % et à 10 % respectivement, selon que la portée géographique des accords visés par l’infraction était l’ensemble de l’EEE ou non, la Commission n’a commis aucune erreur de droit. Par ailleurs, au vu des éléments qui précèdent, de tels taux de gravité, qui se situent plutôt en bas de l’échelle prévue par le paragraphe 21 des lignes directrices de 2006, ne sauraient être considérés comme disproportionnés.

807    C’est en vain également que les requérantes avancent que l’absence de caractère secret des accords justifiait que la Commission fixât un taux de gravité inférieur pour déterminer le montant de l’amende qui leur avait été infligée.

808    En effet, le paragraphe 23 des lignes directrices de 2006 prévoit que « [l]es accords horizontaux de fixation de prix, de répartition de marché et de limitation de production, qui sont généralement secrets, comptent, par leur nature même, parmi les restrictions de la concurrence les plus graves », qu’« au titre de la politique de la concurrence, ils doivent être sévèrement sanctionnés » et que, « par conséquent, la proportion des ventes prises en compte pour de telles infractions sera généralement retenue en haut de l’échelle ».

809    Or, il suffit de constater que, même si les accords litigieux ne revêtaient aucun caractère secret, en fixant la proportion des ventes prises en compte à 10% et à 11 % respectivement en l’espèce, la Commission ne s’est pas placée en haut de l’échelle prévue par le paragraphe 21 des lignes directrices de 2006, qui est fixé à 30 % de la valeur des ventes.

810    En outre, si la Commission a, dans certains cas, pu estimer qu’il n’était pas nécessaire d’imposer une amende ou de prendre en considération une proportion de la valeur des ventes au plus bas de l’échelle de gravité, pour diverses raisons, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas en elle-même de cadre juridique à l’imposition d’amendes en matière de concurrence, étant donné que celui-ci est uniquement défini dans le règlement no 1/2003 et dans les lignes directrices. Ainsi, des décisions concernant d’autres affaires ne revêtent qu’un caractère indicatif en ce qui concerne l’existence éventuelle d’une discrimination, étant donné qu’il est peu vraisemblable que les circonstances propres à celles-ci, telles que les marchés, les produits, les entreprises et les périodes concernés, soient identiques (voir, en ce sens, arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 98 supra, EU:T:2012:332, points 260 à 262 et jurisprudence citée). Or, en l’espèce, les données circonstancielles des affaires relatives aux décisions antérieures invoquées par les requérantes, telles que les marchés, les produits, les pays, les entreprises et les périodes concernés, ne sont pas comparables à celles de l’espèce, de sorte que lesdites décisions ne sont pas pertinentes au regard du respect du principe d’égalité de traitement, conformément à la jurisprudence précitée.

811    Enfin, c’est à tort que les requérantes invoquent une violation du principe de proportionnalité en l’espèce. En effet, ce principe implique uniquement dans ce contexte que la Commission doive fixer l’amende proportionnellement aux éléments pris en compte pour apprécier la gravité de l’infraction et qu’elle doive à ce sujet appliquer ces éléments de façon cohérente et objectivement justifiée (voir arrêt du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T‑43/02, Rec, EU:T:2006:270, point 228 et jurisprudence citée). Or, il ressort des considérants 1330 à 1333 de la décision attaquée que la Commission a appliqué les principes fixés au paragraphe 22 des lignes directrices de 2006 de manière cohérente et objectivement justifiée en l’espèce.

812    La première branche doit donc être rejetée.

B –  Sur la deuxième branche

813    Les requérantes font valoir que la décision attaquée refuse à tort, au considérant 1335, de retenir une durée plus brève pour les infractions alléguées. Cette durée devrait être cantonnée à la période au cours de laquelle les entreprises de génériques étaient effectivement prêtes à intégrer le marché, ce qui requérait qu’elles disposent au minimum d’une AMM dans les pays pertinents. Or, en Autriche par exemple, le brevet sur l’IPA n’aurait expiré qu’en avril 2003, de sorte que les infractions commises avec GUK, Alpharma et Ranbaxy n’auraient pas pu restreindre la concurrence en Autriche avant cette date. Cette approche serait analogue à la position adoptée par la Commission dans la décision C (2009) 5355 final, du 8 juillet 2009, relative à une procédure d’application de l’article [101 TFUE] (affaire COMP/39.401 — E.ON/GDF) (résumé au JO C 248, p. 5, ci-après la « décision E.ON/GDF »), dans laquelle seule la période postérieure à 1998 a été prise en considération aux fins de calculer le montant de l’amende.

814    La Commission conteste ces arguments.

815    À cet égard, il y a lieu de relever, à l’instar de la Commission, qu’un tel argument revient à nier la distinction existant entre la concurrence réelle et la concurrence potentielle, et le fait que l’article 101 TFUE protège tout autant cette dernière (point 99 ci-dessus). Or, la Commission a suffisamment établi, pour toutes les entreprises de génériques concernées, que celles-ci disposaient de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché et qu’elles étaient donc des concurrentes potentielles de Lundbeck au moment de conclure les accords litigieux (voir le premier moyen ci‑dessus).

816    L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 98 supra (EU:T:2012:332), n’est d’aucun secours pour les requérantes, puisque dans cette affaire, comme celles-ci le reconnaissent, toute concurrence aurait été impossible même en l’absence de l’accord anticoncurrentiel pendant une partie de la période de l’infraction, étant donné que le marché était légalement soustrait à toute concurrence en vertu de la législation nationale applicable pendant cette période, ce qui créait une situation de monopole de fait. C’est d’ailleurs pour cette raison que la décision de la Commission avait été partiellement annulée par le Tribunal dans cette affaire, dans la mesure où l’existence d’une restriction de la concurrence sur le marché du gaz allemand n’avait pas été suffisamment établie pendant cette période (arrêt E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, point 98 supra, EU:T:2012:332, points 105 et 155). En l’espèce, en revanche, la Commission a établi à suffisance de droit, dans la décision attaquée, que la concurrence avait été restreinte en raison des accords litigieux, pendant toute la durée de ceux-ci. Les requérantes n’ont pas démontré que, en l’absence des accords litigieux, la concurrence – même potentielle – entre elles et les entreprises de génériques aurait été impossible ou inexistante, ni que ces accords n’avaient nullement restreint la concurrence.

817    Il convient, dès lors, de rejeter la deuxième branche.

C –  Sur la troisième branche

818    Les requérantes considèrent qu’aucun montant additionnel n’aurait dû leur être infligé, pas même pour les accords conclus avec Arrow (voir point 73 ci-dessus), puisque les infractions alléguées ne correspondent à aucun des cas de figure dans lesquels les lignes directrices de 2006 recommandent l’application d’un montant additionnel (ces cas étant les « accords horizontaux de fixation de prix, de répartition de marché et de limitation de production ») et dans la mesure où aucun effet dissuasif renforcé ne serait nécessaire à l’égard d’infractions dont le début remonte à plus de dix ans et qui n’ont pas fait l’objet de récidive.

819    La Commission conteste ces arguments.

820    Il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que le paragraphe 25 des lignes directrices de 2006, qui prévoit l’inclusion d’un droit d’entrée dans le montant de base de l’amende, dispose ce qui suit :

« [I]ndépendamment de la durée de la participation d’une entreprise à l’infraction, la Commission inclura dans le montant de base une somme comprise entre 15 % et 25 % de la valeur des ventes […], afin de dissuader les entreprises de même participer à des accords horizontaux de fixation de prix, de répartition de marchés et de limitation de production. La Commission peut également appliquer un tel montant additionnel dans le cas d’autres infractions. En vue de décider la proportion de la valeur des ventes à prendre en compte dans un cas donné, la Commission tiendra compte d’un certain nombre de facteurs, en particulier ceux identifiés au point 22 [à savoir la nature de l’infraction, la part de marché cumulée de toutes les parties concernées, l’étendue géographique de l’infraction et la mise en œuvre ou non de l’infraction]. »

821    Les requérantes soutiennent, en substance, que la Commission ne pouvait inclure un tel droit d’entrée dans le montant de l’amende qui leur a été infligée, à titre dissuasif, dès lors que les infractions alléguées ne correspondraient à aucun cas de figure dans lesquels les lignes directrices de 2006 recommandent l’application d’un montant additionnel et dans la mesure où les infractions, qui remontent à plus de dix ans, n’auraient fait l’objet d’aucune récidive.

822    Il convient de rappeler, toutefois, que la mission de surveillance conférée à la Commission par le droit de l’Union, dans le domaine du droit de la concurrence, comprend la tâche d’instruire et de réprimer des infractions individuelles ainsi que le devoir de poursuivre une politique générale visant à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens le comportement des entreprises. Il s’ensuit que la Commission doit veiller au caractère dissuasif des amendes (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2014, Pilkington Group e.a./Commission, T‑72/09, EU:T:2014:1094, point 302 et jurisprudence citée).

823    Ainsi, l’effet dissuasif du montant de l’amende ne vise pas uniquement à détourner l’entreprise en cause de la récidive. La Commission a le pouvoir de décider du niveau des amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif à titre général, notamment lorsque des infractions d’un type déterminé sont encore relativement fréquentes ou sont à considérer comme graves (voir arrêt Pilkington Group e.a./Commission, point 822 supra, EU:T:2014:1094, point 303 et jurisprudence citée).

824    En outre, comme le fait valoir la Commission, en l’espèce, les accords litigieux s’apparentaient fortement à des accords de répartition du marché ou de limitation de la production, qui sont explicitement prévus par le paragraphe 25 des lignes directrices de 2006 (point 820 ci-dessus). En tout état de cause, le même paragraphe desdites lignes directrices autorise la Commission, conformément à la jurisprudence, à appliquer un tel montant additionnel en vue d’assurer un caractère dissuasif à l’amende pour d’autres types d’infractions.

825    Il y a lieu de conclure, dès lors, que la Commission n’a pas dépassé la marge d’appréciation dont elle disposait en matière d’amendes, ni violé ses lignes directrices de 2006 en appliquant un montant additionnel de 10 % de la valeur des ventes annuelles pour la première infraction commise avec Arrow, en vue d’assurer un caractère suffisamment dissuasif au montant de l’amende infligée aux requérantes (considérant 1340 de la décision attaquée).

826    Partant, la troisième branche doit également être rejetée.

D –  Sur la quatrième branche

827    Les requérantes considèrent, en premier lieu, que c’est à tort que la Commission a refusé d’accorder à Lundbeck le bénéfice de la circonstance atténuante découlant de l’existence d’un doute raisonnable de l’entreprise sur le caractère infractionnel du comportement restrictif. L’argument de la décision attaquée selon lequel la circonstance atténuante tirée du doute raisonnable sur l’existence de l’infraction ne figurait plus dans les lignes directrices de 2006 (considérant 1343 de la décision attaquée) ne constituerait pas un motif valable pour ne pas l’appliquer, dès lors que tant ces lignes directrices que le Tribunal admettraient que la liste des circonstances atténuantes n’est pas exhaustive. En outre, il ressortirait clairement des communications du KFST avec la Commission que, aux yeux de cette dernière, le critère juridique applicable aux accords litigieux n’était pas clair à l’époque, de sorte qu’il ne pouvait pas l’être pour Lundbeck non plus.

828    En deuxième lieu, les requérantes allèguent avoir été injustement privées du bénéfice de la circonstance atténuante tirée du fait que les infractions alléguées avaient été commise par négligence, alors qu’elles avaient conclu les accords litigieux de bonne foi, afin d’empêcher la contrefaçon de leurs brevets par les entreprises de génériques, en circonscrivant la portée de ces accords aux seuls produits contrefaisant ces brevets, et en n’ayant aucunement tenté de les garder secrets, ce qu’elles auraient fait si elles avaient eu l’intention d’enfreindre le droit de la concurrence de l’Union.

829    La Commission conteste ces arguments.

830    En premier lieu, il y a lieu de relever, à l’instar des requérantes, que le fait que l’existence d’un doute raisonnable quant à l’existence d’une infraction ne figure plus explicitement parmi les circonstances atténuantes explicitement mentionnées par les lignes directrices de 2006 ne suffit pas pour que la Commission écarte automatiquement son application en tant que circonstance atténuante. La jurisprudence a en effet précisé, à cet égard, que, en l’absence d’une indication de nature impérative dans les lignes directrices en ce qui concerne les circonstances atténuantes qui peuvent être prises en compte, la Commission a conservé une certaine marge d’appréciation pour apprécier d’une manière globale l’importance d’une éventuelle réduction du montant des amendes au titre des circonstances atténuantes (voir, en ce sens, arrêt Dalmine/Commission, point 380 supra, EU:T:2004:220, point 326 et jurisprudence citée).

831    Cependant, la circonstance qu’une décision de la Commission représente le premier cas d’application des règles de la concurrence dans un secteur donné de l’économie ne saurait être qualifiée d’atténuante si l’auteur de l’infraction savait ou ne pouvait ignorer que son comportement était susceptible d’entraîner une restriction de la concurrence sur le marché et de poser des problèmes sous l’angle du droit de la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2011, World Wide Tobacco España/Commission, T‑37/05, EU:T:2011:76, point 160).

832    Or, en l’espèce, les requérantes n’ont pas pu ignorer que les accords litigieux étaient susceptibles d’enfreindre l’article 101 TFUE. En effet, ceux-ci visaient à exclure des concurrents potentiels du marché pendant le durée de ceux-ci, contre paiement, ce qui relève des infractions graves visées explicitement par l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

833    En outre, il ressort de la décision attaquée que Lundbeck était conscient du caractère potentiellement infractionnel desdits accords (voir point 776 ci‑dessus).

834    Par ailleurs, en ce qui concerne les communiqués du KFST, invoqués par les requérantes, il convient de rappeler qu’une entreprise ayant enfreint l’article 101 TFUE ne peut pas échapper à l’imposition d’une amende lorsque ladite infraction a pour origine une erreur de cette entreprise sur la licéité de son comportement en raison de la teneur d’un avis juridique d’un avocat ou de celle d’une décision d’une autorité nationale de concurrence (arrêt Schenker & Co. e.a., point 748 supra, EU:C:2013:404, point 43). En outre, en l’espèce, loin de faire planer un doute sur l’applicabilité de l’article 101 TFUE aux accords litigieux, ces communiqués précisaient que les accords litigieux pouvaient influencer la concurrence s’il apparaissait que Lundbeck avait payé des concurrents pour qu’ils se tiennent à l’écart du marché.

835    En tout état de cause, à supposer qu’un doute raisonnable ait pu exister, au moment de conclure les accords litigieux, sur l’articulation des éléments à prendre en compte aux fins d’établir l’existence d’une restriction de la concurrence par objet en l’espèce, dans un contexte où les requérantes détenaient des brevets de procédé susceptibles de s’opposer à l’entrée des entreprises de génériques sur le marché, il n’en reste pas moins qu’il n’a pu exister aucun doute, à ce moment, sur le fait que des accords qui, comme en l’espèce, avaient pour objet de payer des concurrents potentiels pour qu’ils se tiennent à l’écart du marché pendant une période définie ne pouvaient pas être conformes à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, dès lors qu’ils ne permettaient aucunement de faciliter l’entrée des génériques sur le marché, même après leur expiration, et qu’ils ne permettaient pas réellement de résoudre le litige sous-jacent en matière de brevets entre les parties (points 475 et 497 ci‑dessus).

836    En outre, ainsi qu’il a été établi dans le cadre du sixième moyen ci-dessus, les accords litigieux, à l’exception de l’accord GUK pour le Royaume-Uni, contenaient des restrictions allant au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck, de sorte que, même si le critère du champ d’application des brevets, proposé par les requérantes, avait été le critère juridique pertinent pour évaluer la légalité de ces accords sous l’angle de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, les accords litigieux n’auraient pas été conformes à ce critère et auraient donc également constitué des restrictions de la concurrence par objet au sens de cette disposition. S’agissant de l’accord GUK pour le Royaume-Uni, il convient de relever que celui-ci fait partie, avec l’accord GUK pour l’EEE, de la même infraction unique et continue commise par Lundbeck et Merck (GUK). Or, comme il a été relevé ci-dessus, la Commission a suffisamment établi que l’accord GUK pour l’EEE contenait des restrictions allant au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck.

837    En deuxième lieu, les requérantes font valoir que les infractions en cause en l’espèce ont été commises par négligence, ce qui constituerait également une circonstance atténuante justifiant une réduction du montant de l’amende.

838    Le paragraphe 29 des lignes directrices de 2006 précise que le montant de base de l’amende peut être réduit lorsque la Commission constate l’existence de circonstances atténuantes, notamment, par exemple, lorsque l’entreprise concernée apporte la preuve que l’infraction a été commise par négligence.

839    En l’espèce, toutefois, il convient de rappeler que les accords litigieux ont été conclus par les requérantes intentionnellement et que ceux-ci faisaient partie d’une stratégie délibérée visant à éviter l’entrée potentiellement immédiate des génériques sur le marché (points 126 et 528 ci‑dessus).

840    En effet, l’argument des requérantes se fonde à nouveau sur la prémisse selon laquelle les accords litigieux ont uniquement empêché l’accès au marché des produits génériques qui enfreignaient potentiellement leurs brevets. Or, ainsi qu’il a été démontré dans le cadre du sixième moyen ci-dessus, cela n’est pas le cas. En tout état de cause, il existait une incertitude quant au point de savoir si les brevets de Lundbeck étaient valides et s’ils étaient violés par les produits que les entreprises de génériques avaient l’intention de commercialiser au moment de conclure les accords litigieux (voir le deuxième moyen ci-dessus), incertitude qui a été éliminée par ces accords. C’est donc à tort que les requérantes font valoir que les infractions ont été commises par négligence en l’espèce et que la Commission aurait dû leur octroyer le bénéfice de cette circonstance atténuante.

841    En outre, à supposer même que les infractions aient été commises par négligence en l’espèce, la Commission n’était pas tenue d’accorder une réduction du montant de l’amende aux requérantes pour autant. En effet, comme le confirme le libellé du paragraphe 29 des lignes directrices de 2006, la Commission dispose d’une marge d’appréciation à cet égard, en tenant compte de toutes les circonstances de l’espèce. Partant, si les circonstances énumérées dans les lignes directrices sont certainement parmi celles qui peuvent être prises en compte par la Commission dans un cas donné, celle-ci n’est pas tenue, lorsqu’une entreprise avance des éléments de nature à indiquer la présence d’une de ces circonstances, d’accorder une réduction supplémentaire à ce titre de manière automatique, sans procéder à une analyse globale. En effet, le caractère adéquat d’une éventuelle réduction du montant de l’amende au titre des circonstances atténuantes doit être apprécié d’un point de vue global en tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes de l’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 5 décembre 2013, Caffaro/Commission, C‑447/11 P, EU:C:2013:797, point 103).

842    Or, au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce et du fait, notamment, que la Commission a tenu compte de la durée de la procédure pour accorder une réduction de 10 % du montant de base de l’amende infligée aux requérantes, le Tribunal estime, en exerçant ses pouvoirs de pleine juridiction conférés par l’article 31 du règlement no 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE (point 793 ci-dessus), qu’il n’y a pas lieu d’accorder le bénéfice de circonstances atténuantes en l’espèce et que le montant de l’amende infligée aux requérantes dans la décision attaquée doit être confirmé.

843    S’agissant, en particulier, de l’accord GUK pour le Royaume-Uni, il convient de souligner que, même s’il a été relevé, dans le cadre du sixième moyen, que la Commission n’avait pas suffisamment établi, dans la décision attaquée, que cet accord contenait des restrictions allant au-delà du champ d’application des brevets de Lundbeck, un tel grief a été jugé inopérant pour les raisons exposées aux points 539 et 570 à 577 ci-dessus. Il n’y a pas lieu, dès lors, pour le Tribunal, d’octroyer une réduction du montant de l’amende aux requérantes sur ce point.

844    Partant, il y a lieu de rejeter la quatrième branche et le dixième moyen dans son ensemble.

845    Aucun des moyens invoqués par les requérantes au soutien de leur demande d’annulation de la décision attaquée n’étant fondé ou opérant et l’examen des arguments avancés au soutien de leur demande de réformation du montant de l’amende n’ayant pas permis de relever d’éléments inappropriés dans le calcul du montant de celle-ci effectué par la Commission, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

846    Aux termes de l’article 134 du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

847    Conformément à l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure et aux conclusions de la Commission en ce sens, il y a lieu de décider que l’intervenante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      H. Lundbeck A/S et Lundbeck Ltd supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

3)      L’European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations (EFPIA) supportera ses propres dépens.

Berardis

Czúcz

Popescu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 septembre 2016.

Signatures

Table des matières


Procédure et conclusions des parties

En droit

I –  Sur le premier moyen, tiré d’erreurs de droit et d’appréciation commises en ce que la décision attaquée considère que les entreprises de génériques et Lundbeck étaient au moins des concurrents potentiels au moment de conclure les accords litigieux

A –  Analyse relative à la concurrence potentielle dans la décision attaquée

B –  Principes et jurisprudence applicables

1.  Sur la notion de concurrence potentielle

2.  Sur la charge de la preuve

3.  Sur la portée du contrôle exercé par le Tribunal

C –  Sur la première branche, tirée de ce que le lancement de médicaments violant les droits de propriété intellectuelle de tiers ne constitue pas l’expression d’une concurrence potentielle au titre de l’article 101 TFUE

D –  Sur la deuxième branche, tirée de ce que la Commission se serait fondée sur des évaluations subjectives pour conclure que les entreprises de génériques étaient des concurrents réels ou potentiels de Lundbeck

E –  Sur la troisième branche, tirée de ce que la contestation d’un brevet valide ne constitue pas une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché

F –  Sur la quatrième branche, tirée de ce que l’absence d’AMM empêche l’existence d’une concurrence réelle ou potentielle

G –  Sur la cinquième branche, tirée de ce que les entreprises de génériques n’auraient pas pu se tourner vers d’autres procédés ou d’autres producteurs d’IPA pendant la durée des accords litigieux

H –  Sur la sixième branche, tirée de l’absence de concurrence potentielle entre Lundbeck et Merck (GUK) au moment de conclure les accords litigieux

1.  Situation au Royaume-Uni

2.  Situation dans l’EEE

I –  Sur la septième branche, tirée de l’absence de concurrence potentielle entre Lundbeck et Arrow au moment de conclure les accords litigieux

1.  Situation au Royaume-Uni

2.  Sur la situation au Danemark

J –  Sur la huitième branche, tirée de l’absence de concurrence potentielle entre Lundbeck et Alpharma au moment de conclure les accords litigieux

K –  Sur la neuvième branche, tirée de l’absence de concurrence potentielle entre Lundbeck et Ranbaxy au moment de conclure les accords litigieux

II –  Sur les deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième moyens, tirés, en substance, d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

A –  Analyse relative à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet dans la décision attaquée

B –  Principes et jurisprudence applicables

C –  Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur de droit et de fait et d’un défaut de motivation commis lors de l’évaluation du rôle des transferts de valeur dans les accords litigieux

1.  Sur la première branche

2.  Sur la deuxième branche

3.  Sur la troisième branche

D –  Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur de droit commise dans l’application des principes relatifs à l’objet restrictif de la concurrence

1.  Sur la première branche

2.  Sur la deuxième branche

3.  Sur la troisième branche

4.  Sur la quatrième branche

E –  Sur le quatrième moyen, tiré d’une erreur de droit et d’un défaut de motivation commis lors du rejet du critère du champ d’application du brevet comme norme essentielle d’évaluation des accords de règlement amiable en matière de brevets dans le cadre de l’article 101, paragraphe 1, TFUE

1.  Sur la première branche

2.  Sur la deuxième branche

F –  Sur le cinquième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation des faits, d’une violation de l’obligation de diligence et d’un défaut de motivation commis en ce que les actions de Lundbeck ont été qualifiées de stratégie globale hostile à l’entrée des génériques et de pertinentes pour évaluer les accords litigieux sous l’angle de l’article 101, paragraphe 1, TFUE

G –  Sur le sixième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation des faits commise en ce que la décision attaquée conclut que les accords litigieux comportaient des restrictions dépassant celles inhérentes à l’exercice des droits conférés par les brevets de Lundbeck

1.  Accord GUK pour le Royaume-Uni

2.  Accord GUK pour l’EEE

3.  Accord Arrow UK

4.  Accord Arrow danois

5.  Accord Alpharma

6.  Accord Ranbaxy

III –  Sur le septième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation commise en ce que les gains d’efficacité des accords litigieux n’ont pas été correctement évalués

IV –  Sur le huitième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense

A –  Sur la première branche

B –  Sur la deuxième branche

V –  Sur le neuvième moyen, tiré, à titre subsidiaire, de ce que l’imposition d’amendes à Lundbeck est entachée d’une erreur de droit

A –  Sur la première branche

B –  Sur la deuxième branche

VI –  Sur le dixième moyen, tiré, à titre éminemment subsidiaire, d’erreurs de droit et de fait dans le calcul du montant des amendes

A –  Sur la première branche

B –  Sur la deuxième branche

C –  Sur la troisième branche

D –  Sur la quatrième branche

Sur les dépens


1* Langue de procédure : anglais.