Language of document : ECLI:EU:T:2016:449

Affaire T‑472/13

H. Lundbeck A/S
et

Lundbeck Ltd

contre

Commission européenne

« Concurrence – Ententes – Marché des médicaments antidépresseurs contenant l’ingrédient pharmaceutique actif citalopram – Notion de restriction de la concurrence par objet – Concurrence potentielle – Médicaments génériques – Barrières à l’entrée sur le marché résultant de l’existence de brevets – Accords conclus entre le titulaire de brevets et des entreprises de médicaments génériques – Article 101, paragraphes 1 et 3, TFUE – Erreurs de droit et d’appréciation – Obligation de motivation – Droits de la défense – Sécurité juridique – Amendes »

Sommaire – Arrêt du Tribunal (neuvième chambre) du 8 septembre 2016

1.      Ententes – Atteinte à la concurrence – Concurrence potentielle – Possibilité réelle et concrète pour une entreprise de médicaments génériques d’entrer à risque sur le marché en présence de médicaments protégés par des brevets – Accord entre le titulaire des brevets et des entreprises de médicaments génériques susceptible d’empêcher cette entrée – Restriction de la concurrence potentielle

(Art. 101, § 1, TFUE)

2.      Concurrence – Procédure administrative – Décision de la Commission constatant une infraction – Preuve de l’infraction et de sa durée à la charge de la Commission – Portée de la charge probatoire – Degré de précision exigé des éléments de preuve retenus par la Commission – Faisceau d’indices – Présomption d’innocence – Applicabilité – Obligations probatoires des entreprises contestant la réalité de l’infraction – Contrôle juridictionnel – Portée

(Art. 101, § 1, TFUE et 263 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 2)

3.      Ententes – Interdiction – Infractions – Accords à l’amiable en matière de brevets – Accord conclu entre un laboratoire de princeps et une entreprise de médicaments génériques – Paiements inversés ayant un caractère disproportionné et combinés à une exclusion du marché des concurrents – Inadmissibilité

(Art. 101, § 1, TFUE)

4.      Recours en annulation – Compétence du juge de l’Union – Interprétation du droit national d’un État membre – Question de fait – Inclusion

(Art. 263 TFUE)

5.      Ententes – Atteinte à la concurrence – Critères d’appréciation – Teneur et objectif d’une entente ainsi que contexte économique et juridique de développement de celle-ci – Distinction entre infractions par objet et par effet – Intention des parties à un accord de restreindre la concurrence – Critère non nécessaire – Infraction par objet – Degré suffisant de nocivité – Critères d’appréciation

(Art. 101, § 1, TFUE)

6.      Ententes – Atteinte à la concurrence – Accords à l’amiable en matière de brevets – Accord conclu entre un laboratoire de princeps et une entreprise de médicaments génériques – Solution la plus rentable ou la moins risquée pour les entreprises en cause – Objectif de pallier les effets de règles juridiques trop défavorables – Absence d’incidence sur le caractère illégal de ces accords

(Art. 101, § 1, TFUE)

7.      Ententes – Atteinte à la concurrence – Restriction accessoire – Notion – Caractère objectif et proportionné – Restriction ayant rendu plus difficile ou moins profitable l’opération principale – Accords à l’amiable en matière de brevets – Accord conclu entre un laboratoire de princeps et une entreprise de médicaments génériques – Clauses restrictives de la concurrence accessoires à la protection d’un droit de propriété intellectuelle – Absence d’une restriction objectivement nécessaire

(Art. 101, § 1, TFUE)

8.      Concurrence – Règles de l’Union – Champ d’application matériel – Accords à l’amiable en matière de brevets – Inclusion – Accord conclu entre un laboratoire de princeps et une entreprise de médicaments génériques – Application du critère du champ d’application du brevet – Test non pertinent – Infraction par objet

(Art. 101, § 1, TFUE)

9.      Acte des institutions – Motivation – Obligation – Portée – Décision d’application des règles de concurrence – Contrôle juridictionnel – Portée

(Art. 101 TFUE, 261 TFUE et 296, § 2, TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 31)

10.    Recours en annulation – Moyens – Défaut ou insuffisance de motivation – Moyen distinct de celui portant sur la légalité au fond

(Art. 263 TFUE et 296 TFUE)

11.    Ententes – Interdiction – Exemption – Conditions – Charge de la preuve – Étendue

(Art. 101, § 3, TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 2)

12.    Concurrence – Procédure administrative – Communication des griefs – Caractère provisoire – Contenu nécessaire – Limites

[Art. 101 TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 41, § 2, a) ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 27, § 1]

13.    Concurrence – Procédure administrative – Communication des griefs – Non-divulgation aux entreprises de certaines données – Décision finale de la Commission fondée en partie sur ces données – Violation des droits de la défense – Validité de la décision finale dans son ensemble – Examen par le Tribunal du bien-fondé de la décision – Prise en considération des données litigieuses – Exclusion

(Art. 101 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 27, § 1)

14.    Concurrence – Règles de l’Union – Infractions – Réalisation de propos délibéré ou par négligence – Notion – Entreprise ne pouvant ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement – Accord conclu entre un laboratoire de princeps et une entreprise de médicaments génériques – Paiements inversés ayant un caractère disproportionné et combinés à une exclusion du marché des concurrents – Inclusion

(Art. 101 TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47 ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 5 et 23, § 2)

15.    Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Obligation pour la Commission de se tenir à sa pratique décisionnelle antérieure – Absence – Élévation du niveau général des amendes – Admissibilité

(Art. 101 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 2)

16.    Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Fixation du montant de base – Gravité de l’infraction – Critères d’appréciation – Détermination de la valeur des ventes – Respect du principe de la proportionnalité

(Art. 101 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 2 et 3 ; communication de la Commission 2006/C 210/02, points 21 et 22)

17.    Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Caractère dissuasif

(Art. 101 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 2 et 3 ; communication de la Commission 2006/C 210/02, point 25)

18.    Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Ajustement du montant de base – Circonstances atténuantes – Caractère indicatif des circonstances figurant dans les lignes directrices – Premier cas d’application des règles de la concurrence dans un secteur donné – Absence de circonstance atténuante

(Art. 101 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 2 ; communication de la Commission 2006/C 210/02, point 29)

19.    Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Ajustement du montant de base – Circonstances atténuantes – Infraction commise par négligence – Nécessité d’une prise en compte séparée de chacune des circonstances atténuantes énumérées dans les lignes directrices – Absence – Appréciation globale

(Art. 101 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 2 ; communication de la Commission 2006/C 210/02, point 29)

1.      L’article 101, paragraphe 1, TFUE, est uniquement applicable dans les secteurs ouverts à la concurrence. À cet égard, l’examen des conditions de concurrence sur un marché donné repose non seulement sur la concurrence actuelle que se font les entreprises déjà présentes sur le marché en cause, mais aussi sur la concurrence potentielle, afin de savoir si, compte tenu de la structure du marché et du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement, il existe des possibilités réelles et concrètes que les entreprises concernées se fassent concurrence entre elles, ou qu’un nouveau concurrent puisse entrer sur le marché en cause et concurrencer les entreprises établies. Par ailleurs, le fait même qu’une entreprise déjà présente sur un marché cherche à conclure des accords ou à mettre en place des mécanismes d’échanges d’information avec d’autres entreprises qui ne sont pas présentes sur ce marché sont des indices sérieux du fait que celui-ci n’est pas impénétrable.

Dans le marché des médicaments, les brevets de procédés du laboratoire de princeps ne constituent pas nécessairement des barrières insurmontables pour les entreprises de médicaments génériques, s’il existe, de manière générale, des voies constituant des possibilités concrètes et réalistes d’entrer sur le marché pour ces dernières. Parmi ces possibilités figure, notamment, le lancement du produit générique « à risque », avec la possibilité de devoir affronter le laboratoire de princeps dans le cadre d’éventuels litiges. Une telle possibilité représente bien l’expression d’une concurrence potentielle, dans une situation où les brevets originaires du laboratoire ont expiré et où il existe d’autres procédés qui permettent de produire des génériques et dont il n’est pas établi qu’ils violent d’autres brevets de ce laboratoire. En outre, les démarches et les investissements accomplis par les entreprises de génériques en vue d’entrer sur le marché du médicament originaire avant de conclure avec ledit laboratoire des accords restrictifs quant à cette entrée démontrent que, au moment desdits accords, elles étaient prêtes à entrer sur le marché et à courir les risques qu’une telle entrée comporte.

En outre, la présomption de validité des brevets ne saurait équivaloir à une présomption d’illégalité des produits génériques valablement mis sur le marché dont le détenteur de brevet estime qu’ils violent celui-ci. En effet, il appartient au détenteur du brevet de démontrer devant les juridictions nationales, en cas d’entrée des génériques sur le marché, que ceux-ci enfreignent l’un ou l’autre de leurs brevets de procédés, une entrée à risque n’étant pas illégale en elle-même. Par ailleurs, il est possible, en cas d’action en contrefaçon intentée par le titulaire du brevet contre les entreprises de génériques, que ces dernières contestent la validité du brevet dont se prévaut ce titulaire par le biais d’une action reconventionnelle. De telles actions sont en effet fréquentes en matière de brevet et aboutissent, dans de nombreux cas, à une déclaration d’invalidité du brevet de procédé dont le détenteur de brevet se prévaut. Pour établir l’exercice légitime d’une concurrence réelle et potentielle, il faut uniquement démontrer que les entreprises de génériques disposent de possibilités réelles et concrètes et de la capacité d’entrer sur le marché, ce qui est certainement le cas lorsque celles-ci ont effectué des investissements importants afin d’entrer sur le marché, qu’elles ont déjà obtenu des autorisations de mise sur le marché ou ont fait les démarches nécessaires afin d’en obtenir une dans un délai raisonnable.

En ce qui concerne l’entrée des entreprises génériques sur le marché, pour pouvoir considérer que celles-ci représentent une concurrence potentielle, il faut uniquement établir que cette entrée a lieu dans un délai raisonnable, ce d’autant plus que, dans le secteur pharmaceutique en particulier, la concurrence potentielle peut s’exercer déjà avant l’expiration d’un brevet.

Enfin, la concurrence potentielle inclut, notamment, les activités des entreprises de génériques visant à obtenir les autorisations de mise sur le marché nécessaires, ainsi qu’à l’accomplissement de toutes les démarches administratives et commerciales indispensables pour préparer l’entrée sur le marché. Cette concurrence potentielle est protégée par l’article 101 TFUE. En effet, dans l’hypothèse où il serait possible, sans violer le droit de la concurrence, de payer les entreprises qui sont en train d’accomplir les démarches indispensables pour préparer le lancement d’un médicament générique et qui ont consenti d’importants investissements à cette fin, pour qu’elles arrêtent ou simplement ralentissent ce processus, la concurrence effective n’aurait jamais lieu ou subirait des retards significatifs, et ce aux frais des consommateurs, c’est-à-dire des patients ou des caisses de maladie en l’espèce.

(voir points 98-104, 121-124, 128-132, 144, 157, 160, 163, 164, 171, 180, 181, 202, 203, 317, 426, 471‑474)

2.      Voir le texte de la décision.

(voir points 105-113, 138, 139, 141, 165, 166)

3.      L’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, aux accords à l’amiable qui peuvent être conclus en matière de brevets n’est nullement exclue. À cet égard, s’il n’appartient pas à la Commission de définir la portée d’un brevet, celle-ci ne saurait s’abstenir de toute initiative lorsque la portée d’un brevet est pertinente pour l’appréciation d’une violation des articles 101 et 102 TFUE.

Dans ce contexte, le fait que des restrictions contenues dans des accords restrictifs de la concurrence sont obtenues au moyen de paiements inversés importants constitue un élément décisif pour l’appréciation juridique de ces accords. L’existence d’un paiement inversé dans le cadre d’un règlement à l’amiable en matière de brevets n’est pas toujours problématique, notamment lorsque ce paiement est lié à la force du brevet, telle que perçue par chacune des parties, qu’il est nécessaire pour trouver une solution acceptable et légitime aux yeux des deux parties et qu’il n’est pas accompagné de restrictions visant à retarder l’entrée des génériques sur le marché. En revanche, lorsqu’un paiement inversé est combiné à une exclusion du marché de concurrents ou à une limitation des éléments incitatifs pour qu’une telle entrée se produise, il est possible de considérer qu’une telle limitation ne découle pas exclusivement de l’appréciation de la force des brevets par les parties, mais qu’elle est obtenue par le biais d’un tel paiement, s’apparentant, de ce fait, à un rachat de concurrence.

Le caractère disproportionné de tels paiements, combiné à plusieurs autres facteurs, tels que le fait que les montants de ces paiements semblent correspondre au moins aux profits escomptés par les entreprises de génériques en cas d’entrée sur le marché, l’absence de clauses permettant aux entreprises de génériques de lancer leurs produits sur le marché à l’expiration des accords sans avoir à craindre des actions en contrefaçon de la part des titulaires des brevets, ou encore la présence, dans ces accords, de restrictions allant au-delà de la portée des brevets de ce titulaire permettent de conclure que de tels accords ont pour objet de restreindre la concurrence, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

En effet, lorsqu’il est démontré que les entreprises de génériques disposent de chances réelles d’obtenir gain de cause en cas de litige avec les titulaires des brevets de procédés, en concluant des accords restrictifs de la concurrence, les titulaires de ces brevets échangent cette incertitude par la certitude que les entreprises de génériques n’entreront pas sur le marché, moyennant des paiements inversés importants, éliminant de ce fait toute concurrence, même potentielle, sur le marché, pendant la durée de ceux‑ci.

(voir points 117-119, 140, 349, 350, 352-354, 363, 369, 379, 399, 401, 414, 427, 429, 431, 460, 486-489, 500, 526, 573)

4.      Voir le texte de la décision.

(voir points 258, 625)

5.      En matière de comportements anticoncurrentiels relevant de l’article 101 TFUE, certains types de coordination entre entreprises révèlent, par leur nature même, un degré suffisant de nocivité à l’égard du bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire.

À cet égard, l’exclusion de concurrents du marché constitue une forme extrême de répartition de marché et de limitation de la production. Par ailleurs, il n’est pas requis que le même type d’accords ait déjà été condamné par la Commission pour que celui-ci puisse être considéré comme une restriction de la concurrence par objet. Le fait que la Commission n’ait pas, dans le passé, estimé qu’un accord d’un type donné était, de par son objet même, restrictif de la concurrence n’est donc pas de nature, en lui-même, à l’empêcher de le faire à l’avenir à la suite d’un examen individuel et circonstancié des mesures litigieuses au regard de leur contenu, de leur finalité et de leur contexte.

Enfin, il n’est pas exigé qu’un accord doive être considéré comme étant suffisamment nocif pour la concurrence à première vue ou sans aucun doute, sans qu’il soit procédé à un examen approfondi de son contenu, de sa finalité, et du contexte économique et juridique dans lequel il s’inscrit, pour pouvoir être qualifié de restriction de la concurrence par objet au sens de cette disposition.

(voir points 338-344, 428, 434-438, 472, 523, 539, 752, 774, 775)

6.      Dans le cadre de règlements amiables sur le marché des médicaments, le fait que l’adoption d’un comportement anticoncurrentiel puisse s’avérer être la solution la plus rentable ou la moins risquée pour une entreprise n’exclut aucunement l’application de l’article 101 TFUE, en particulier lorsqu’il s’agit de payer des concurrents réels ou potentiels pour qu’ils se tiennent à l’écart du marché et de partager avec ceux-ci les bénéfices résultant de l’absence de médicaments génériques sur ce marché, au détriment des consommateurs.

En effet, il ne saurait être admis qu’en concluant des accords entre des entreprises détenant des droits de brevet sur les médicaments originaires et des entreprises de médicaments génériques, prévoyant un transfert de valeur, par les titulaires des brevets, lié à l’acceptation par des entreprises de médicaments génériques de limitations à l’entrée sur le marché et, en particulier, à un engagement de ne pas vendre le médicament générique pendant la durée de ces accords, les entreprises titulaires des brevets puissent se prémunir contre une baisse irréversible des prix qui, selon leurs propres affirmations, n’aurait pas pu être évitée même si elles avaient obtenu gain de cause dans le cadre d’actions en contrefaçon devant les juridictions nationales. Elles pourraient, dès lors, en concluant de tels accords, maintenir des prix plus élevés pour leurs produits, au détriment des consommateurs et des budgets de soins de santé des États, alors même qu’un tel résultat n’aurait pas pu être obtenu si les juridictions nationales avaient confirmé la validité de leurs brevets et que les produits des entreprises de génériques avaient été jugés contrefaisants. Un tel résultat serait manifestement contraire aux objectifs des dispositions du traité sur la concurrence, qui visent notamment à protéger les consommateurs face à des augmentations de prix injustifiées résultant d’une collusion entre concurrents. Il n’y a aucune raison d’admettre qu’une telle collusion serait licite sous prétexte que des brevets de procédé sont en cause, alors même que la défense de ces brevets devant les juridictions nationales n’aurait, même dans le scénario le plus favorable pour leurs titulaires, pas pu conduire aux mêmes résultats négatifs pour la concurrence et, en particulier, pour les consommateurs. En effet, il ne saurait être accepté que des entreprises essaient de pallier les effets de règles juridiques qu’elles considèrent comme excessivement défavorables par la conclusion d’ententes ayant pour objet de corriger ces désavantages sous prétexte que ces règles créent un déséquilibre à leur détriment.

(voir points 380, 386, 387, 427, 459)

7.      Lorsqu’il s’agit de déterminer si une restriction anticoncurrentielle peut échapper à la prohibition prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, au motif qu’elle constitue l’accessoire d’une opération principale dépourvue d’un tel caractère anticoncurrentiel, il convient de rechercher si la réalisation de cette opération serait impossible en l’absence de la restriction en question.

Quant au caractère nécessaire d’une restriction, il implique un double examen. En effet, il convient de rechercher, d’une part, si la restriction est objectivement nécessaire à la réalisation de l’opération principale et, d’autre part, si elle est proportionnée par rapport à celle‑ci.

En ce qui concerne l’examen du caractère objectivement nécessaire d’une restriction, dans la mesure où l’existence d’une règle de raison dans le droit de l’Union de la concurrence ne saurait être admise, la condition de la nécessité objective ne saurait être interprétée comme impliquant une mise en balance des effets pro et anticoncurrentiels d’un accord.

S’agissant d’un accord conclu dans le secteur pharmaceutique entre un laboratoire de princeps et une entreprise de médicaments génériques, les restrictions concurrentielles convenues en vertu d’un tel accord ne sont pas objectivement nécessaires pour protéger les droits de propriété intellectuelle du titulaire de brevets s’il existe d’autres moyens de protéger ces droits ou de régler à l’amiable un litige en matière de brevets, sans convenir de restrictions relatives à l’entrée des génériques sur le marché.

(voir points 453-455, 458)

8.      Même si la Commission ne saurait s’abstenir de toute initiative lorsque la portée d’un brevet est pertinente pour l’appréciation d’une violation des articles 101 TFUE et 102 TFUE, il ne lui appartient pas de définir la portée d’un brevet. Au regard de cette considération et des objectifs inhérents à l’article 101 TFUE, qui exigent, notamment, que chaque opérateur économique détermine de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché afin de protéger les consommateurs face à des augmentations de prix injustifiées résultant d’une collusion entre concurrents, l’application du critère du champ d’application du brevet afin d’évaluer les accords litigieux sous l’angle de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne saurait être retenue.

En effet, ce critère est problématique du point de vue du droit de la concurrence à plusieurs égards. Premièrement, il conduit à présumer qu’un médicament générique enfreint le brevet du laboratoire de princeps et permet ainsi d’exclure le médicament générique sur cette base, alors que le caractère infractionnel ou non du médicament générique est une question non résolue. Deuxièmement, il se fonde sur la présomption selon laquelle tout brevet invoqué dans le cadre d’un règlement amiable serait considéré valide en cas de contestation de sa validité, alors qu’il n’existe pas de fondement à cet effet en droit ou dans la pratique. En effet, la question de savoir si une restriction relève ou non du champ d’application d’un brevet est une conclusion qui découle d’un examen relatif à la portée et à la validité de celui-ci et non le point de départ d’un tel examen.

(voir points 489-493, 499, 512, 515)

9.      Voir le texte de la décision.

(voir points 507, 509, 791-794)

10.    Voir le texte de la décision.

(voir point 508)

11.    Voir le texte de la décision.

(voir points 708-711)

12.    Voir le texte de la décision.

(voir points 726-729, 732, 741)

13.    Voir le texte de la décision.

(voir points 745, 746, 748, 752, 834)

14.    S’agissant de la question de savoir si une infraction a été commise de propos délibéré ou par négligence et est, de ce fait, susceptible d’être sanctionnée par une amende en vertu de l’article 23, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 1/2003, cette condition est remplie dès lors que l’entreprise en cause ne peut ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement, qu’elle ait eu ou non conscience d’enfreindre les règles de concurrence du traité.

Par ailleurs, les principes de sécurité juridique et de légalité des peines, prévus par l’article 7 de la convention européenne des droits de l’homme ainsi que par l’article 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ne sauraient être interprétés comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale, mais peuvent s’opposer à l’application rétroactive d’une nouvelle interprétation d’une norme établissant une infraction.

Dans ce contexte, il n’est pas imprévisible que des accords par lesquels le laboratoire de princeps parvient à écarter des concurrents potentiels du marché pendant une période déterminée, au moyen de paiements inversés importants, puissent être contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, qu’ils aillent ou non au-delà du champ d’application des brevets de celui-ci. À cet égard, une lecture littérale de l’article 101, paragraphe 1, TFUE permet de comprendre que des accords entre concurrents visant à exclure certains d’entre eux du marché sont illégaux. En effet, les accords de répartition ou d’exclusion du marché figurent parmi les restrictions les plus graves de la concurrence explicitement mentionnées par l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

(voir points 761-767, 832)

15.    Voir le texte de la décision.

(voir points 773, 810)

16.    Voir le texte de la décision.

(voir points 799, 800, 804, 808, 809, 811)

17.    Voir le texte de la décision.

(voir points 820, 822-824)

18.    Le fait que l’existence d’un doute raisonnable quant à l’existence d’une infraction ne figure plus explicitement parmi les circonstances atténuantes explicitement mentionnées par les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 ne suffit pas pour que la Commission écarte automatiquement son application en tant que circonstance atténuante. En effet, en l’absence d’une indication de nature impérative dans les lignes directrices, en ce qui concerne les circonstances atténuantes qui peuvent être prises en compte, la Commission conserve une certaine marge d’appréciation pour apprécier d’une manière globale l’importance d’une éventuelle réduction du montant des amendes au titre des circonstances atténuantes.

Cependant, la circonstance qu’une décision de la Commission représente le premier cas d’application des règles de la concurrence dans un secteur donné de l’économie ne saurait être qualifiée d’atténuante si l’auteur de l’infraction savait ou ne pouvait ignorer que son comportement était susceptible d’entraîner une restriction de la concurrence sur le marché et de poser des problèmes sous l’angle du droit de la concurrence.

(voir points 830, 831)

19.    Voir le texte de la décision.

(voir points 838, 841, 842)