Language of document : ECLI:EU:C:2004:374

Conclusions

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. M. POIARES MADURO
présentées le 17 juin 2004 (1)



Affaire C-64/02 P



Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI)

contre

Erpo Möbelwerk GmbH


«Pourvoi – Marque communautaire – Article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) nº 40/94 – ‘DAS PRINZIP DER BEQUEMLICHKEIT’ – Refus d'enregistrement – Absence de caractère distinctif»






1.       Nous examinons, dans la présente affaire, un pourvoi formé contre l’arrêt du Tribunal de première instance qui a annulé une décision de la chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI, ci-après l’«Office») ayant refusé d’enregistrer l’expression «Das Prinzip der Bequemlichkeit» (le principe du confort) comme marque communautaire pour certaines catégories de produits  (2) . Le présent pourvoi, formé par l’Office, amène la Cour à statuer sur l’interprétation correcte de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) nº 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire  (3) , qui stipule que sont refusées à l’enregistrement les marques dépourvues de caractère distinctif. La question qui se pose est, en substance, celle de déterminer selon quel critère doit être apprécié le caractère distinctif de la marque au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94. Il convient également de déterminer si l’analyse du caractère distinctif d’une expression verbale telle qu’un slogan justifie un traitement spécifique, différant de celui des autres catégories de marques.

I –   Législation applicable

2.       L’article 4 du règlement n° 40/94 dispose: «Peuvent constituer des marques communautaires tous signes susceptibles d’une représentation graphique, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises».

3.       L’article 7 du règlement n° 40/94 prévoit, en ce qui concerne les motifs absolus de refus d’enregistrement, que:

«1.    Sont refusés à l’enregistrement:

a)      les signes qui ne sont pas conformes à l’article 4;

b)      les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif;

c)
les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci;

d)
les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce;

[...]

2.      Le paragraphe 1 est applicable même si les motifs de refus n’existent que dans une partie de la Communauté.

3.      Le paragraphe 1 points b), c) et d) n’est pas applicable si la marque a acquis pour les produits ou services pour lesquels est demandé l’enregistrement un caractère distinctif après l’usage qui en a été fait.»

II –  Demande d’enregistrement, déroulement de la procédure devant le Tribunal de première instance et arrêt attaqué

4.       Le 23 avril 1998, Erpo Möbelwerk GmbH (ci-après «Erpo») a demandé à l’Office l’enregistrement de l’expression «Das Prinzip der Bequemlichkeit» comme marque communautaire pour les produits des classes 8 (outils entraînés manuellement, articles de coutellerie, fourchettes et cuillères), 12 (véhicules terrestres et leurs pièces) et 20 (meubles d’habitation, en particulier meubles capitonnés, sièges, chaises, tables, dressoirs et meubles de bureau), selon l’arrangement de Nice  (4) .

5.       L’examinateur de l’Office a refusé l’enregistrement pour tous ces produits par une décision du 4 juin 1999, contre laquelle Erpo a ensuite formé un recours. Ce recours a été rejeté par décision de la troisième chambre de recours de l’Office, du 23 mars 2000, pour tous les produits de ces classes, hormis pour les produits de la classe 8 (outils entraînés manuellement, articles de coutellerie, fourchettes et cuillères) au motif que, en ce qui concerne ces derniers, «la sécurité, l’efficacité et la facilité d’utilisation ou l’esthétique prévalent sur le confort». Considérant donc que, dans cette catégorie de produits, la référence au principe du confort apparaissait quelque peu incompréhensible et n’était donc pas susceptible d’être entendue comme une qualité générale de ces produits, la chambre de recours a estimé que l’enregistrement devait être autorisé. En ce qui concerne les produits des classes 12 et 20, la chambre de recours a rejeté la demande au motif que l’expression était descriptive et dépourvue de caractère distinctif et relevait par conséquent, simultanément, du domaine d’application de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement n° 40/94.

6.       Erpo a saisi le Tribunal de première instance d’un recours contre cette décision de la chambre de recours de l’Office, en invoquant trois moyens pris de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94, de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du même règlement, et de la non-prise en considération d’enregistrements nationaux antérieurs. Le Tribunal a annulé la décision de la chambre de recours de l’Office par l’arrêt attaqué. Dans cet arrêt, la quatrième chambre du Tribunal a jugé que l’enregistrement du slogan en cause comme marque communautaire pour les produits des classes 12 (véhicules terrestres et leurs pièces) et 20 (meubles d’habitation, en particulier meubles capitonnés, sièges, chaises, tables, dressoirs et meubles de bureau) ne pouvait être refusé ni sur la base du point b) ni sur la base du point c) de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 40/94. Le Tribunal a estimé, dans l’arrêt attaqué, qu’il n’était pas nécessaire qu’il se prononce sur le troisième moyen soulevé par la requérante, la décision de la chambre de recours devant être annulée sur la base des deux premiers moyens.

7.       L’Office a formé le 27 février 2002 un pourvoi contre cet arrêt devant la Cour. Dans le présent pourvoi, l’Office conclut à ce qu’il plaise à la Cour annuler l’arrêt attaqué, rejeter le recours formé par Erpo contre la décision de la troisième chambre de recours de l’Office du 23 mars 2000 et, à titre subsidiaire, renvoyer l’affaire pour jugement devant le Tribunal. Il conclut également à ce que la partie adverse soit condamnée à supporter les dépens de la procédure en première instance et ceux du présent pourvoi.

8.       Par ordonnance du président de la Cour du 9 septembre 2002, le gouvernement du Royaume-Uni a été autorisé à intervenir à l’appui des conclusions de l’Office.

9.       Dans son mémoire en réponse, Erpo conclut à ce qu’il plaise à la Cour rejeter le pourvoi, confirmer l’arrêt attaqué et condamner l’Office à supporter les dépens, y compris les frais remboursables dans le cadre du présent pourvoi.

10.     Au cours de l’audience de la Cour qui s’est tenue le 5 mai 2004, l’Office, Erpo et le gouvernement du Royaume-Uni ont présenté leurs observations.

III –  Le moyen du présent pourvoi: violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94

11.     L’Office restreint le présent pourvoi à un seul moyen, qui est pris de la prétendue violation par le Tribunal de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, selon lequel l’enregistrement est refusé si les marques sont dépourvues de caractère distinctif. Le pourvoi de l’Office est restreint à ce moyen, bien que l’arrêt attaqué ait jugé que le point c) ne pouvait pas non plus constituer un obstacle à l’enregistrement du syntagme «Das Prinzip der Bequemlichkeit» comme marque pour les produits en cause, contrairement à ce qu’avait affirmé la chambre de recours  (5) .

12.     L’Office fait valoir que le Tribunal a enfreint l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 en jugeant que le critère d’appréciation du motif de refus d’enregistrement en cause n’est en définitive pas celui de la vérification du caractère distinctif de la marque sur la base de la perception normale de cette marque par le consommateur moyen en ce qui concerne les produits en cause, mais un nouveau critère différent, introduit au point 46 de l’arrêt attaqué.

13.     Sous ce point 46, sur lequel se focalise le pourvoi de l’Office, le Tribunal a affirmé que «le rejet, sur la base de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, du recours introduit devant la chambre de recours n’aurait été justifié que dans l’hypothèse où il aurait été démontré que la combinaison du seul syntagme ‘das Prinzip der ...’ (‘le principe de ...’) avec un vocable désignant une caractéristique des produits ou services concernés serait communément utilisée dans les communications commerciales et, notamment, publicitaires. Or, force est de constater que la décision attaquée ne contient aucune constatation en ce sens et que, ni dans ses écritures ni lors de l’audience, l’Office n’a allégué l’existence d’un tel usage».

14.     Selon l’Office, le Tribunal a ainsi introduit un nouveau critère d’évaluation du caractère distinctif d’une marque, qui enfreint l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94. Il soutient que ce nouveau critère facilite outre mesure la reconnaissance du caractère distinctif, et qu’il est incompatible avec le critère normalement adopté, dans ce domaine, par la jurisprudence, tant de la Cour que du Tribunal.

IV –  Appréciation

A –   Remarques préliminaires

15.     Il convient, pour apprécier le moyen auquel l’Office restreint son pourvoi, qui est pris de la prétendue violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, d’analyser au préalable la lettre et l’esprit de cette disposition, tels qu’ils ont été interprétés par la jurisprudence de la Cour et du Tribunal. Cette analyse est essentielle pour établir le critère correct d’évaluation du caractère distinctif d’une marque au sens dudit point b).

16.     Il convient donc de rechercher si ce critère est compatible, non seulement avec celui que le Tribunal présente au point 46 de l’arrêt attaqué et qui constitue le point focal des critiques de l’Office, mais aussi avec les points 43 à 45 qui le précèdent immédiatement, où il affirme que:

«43
[…] la chambre de recours a fait encore état, au point 30 de la décision attaquée, de ce que le syntagme DAS PRINZIP DER BEQUEMLICHKEIT était caractérisé par le manque ‘d’un surplus d’imagination’. Par ailleurs, l’Office a soutenu, dans son mémoire en réponse, que, ‘afin de pouvoir servir de marque, les slogans doivent être dotés d’un élément supplémentaire [...] d’originalité’ et que, en ce qui concerne le terme en cause, une telle originalité faisait défaut.

44
À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence du Tribunal que le défaut de distinctivité ne saurait résulter ni de l’absence d’imagination, ni de l’absence d’un surcroît de fantaisie [arrêts du Tribunal du 31 janvier 2001, Taurus-Film/OHMI (Cine Action), T-135/99, Rec. p. II-379, point 31; Taurus-Film/OHMI (Cine Comedy), T-136/99, Rec. p. II-397, point 31, et du 5 avril 2001, Bank für Arbeit und Wirtschaft/OHMI (EASYBANK), T-87/00, Rec. p. II‑1259, points 39 et 40]. De plus, il convient de relever qu’il n’y a pas lieu d’appliquer aux slogans des critères plus stricts que ceux applicables à d’autres types de signe.

45
Dans la mesure où la chambre de recours, au point 31 de la décision attaquée, a fait encore état du manque d’un ‘champ de tension conceptuelle qui aurait pour conséquence un effet de surprise et ainsi un effet de repérage’, il y a lieu de relever que cet élément ne constitue, en vérité, qu’une paraphrase de la constatation de la chambre de recours relative au manque ‘d’un surplus d’imagination’.»

17.     Ces points des motifs de l’arrêt attaqué formulent des critiques à l’encontre de l’orientation suivie par la chambre de recours de l’Office dans l’appréciation du caractère distinctif de la marque au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, critiques qui culminent, au point 46, avec la présentation du critère qui, dans l’optique de l’arrêt attaqué, aurait dû être suivi dans l’évaluation du caractère distinctif de la marque.

18.     La conjugaison des points 43 à 46 révèle l’unité de la conception du Tribunal en ce qui concerne le critère à suivre dans l’évaluation du caractère distinctif d’une marque au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94. Cette unité est, tout d’abord, bien mise en évidence par la conjonction «or» au début du point 46 de l’arrêt attaqué. Seule donc l’analyse de ces points des motifs permettra, le cas échéant, d’affirmer que l’arrêt attaqué viole le point b) précité du règlement n° 40/94.

19.     Je soulignerai également qu’il découle du libellé de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 40/94 qu’il suffit que l’un des motifs absolus de refus énoncés dans cette disposition s’applique pour que le signe en cause ne puisse pas être enregistré comme marque communautaire  (6) . Cela étant, plusieurs motifs absolus de refus d’enregistrement peuvent se présenter simultanément.

20.     L’éventuelle annulation de l’arrêt attaqué pour violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 pourra suffire, selon l’Office, pour affirmer la légalité de la décision de refus d’enregistrement prise par la chambre de recours, à condition, évidemment, que le troisième moyen invoqué par Erpo à l’appui de son recours en première instance soit également jugé non fondé. La légalité de la décision de la chambre de recours, fondée sur l’absence de caractère distinctif de la marque au sens du point b) précité, pourra donc être établie même si l’on considère que le slogan «Das Prinzip der Bequemlichkeit» n’est pas composé exclusivement d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner des qualités du produit en cause, et qu’on ne peut donc pas affirmer que le slogan a un caractère purement descriptif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94. S’il est possible que les points b) et c) précités – qui reposent sur des motifs de refus d’enregistrement nettement différents – se superposent, il ne doit cependant pas obligatoirement en être ainsi. Certes, une marque exclusivement descriptive au sens du point c) est, en principe, dépourvue de caractère distinctif au sens du point b). En tout état de cause, il n’est pas nécessaire, pour considérer qu’une marque est dépourvue de caractère distinctif au sens dudit point b), que son enregistrement doive également été refusé sur la base du point c). De la même manière, une marque n’a pas nécessairement un caractère distinctif selon le point b) du simple fait qu’elle remplit les conditions du point c).

21.     On lit, au point 41 de l’arrêt attaqué, que la chambre de recours de l’Office a déduit «l’absence de caractère distinctif du terme en cause [‘Das Prinzip der Bequemlichkeit’] de son caractère descriptif». Or, selon le point 42 de l’arrêt attaqué, le signe en question n’ayant pas un caractère exclusivement descriptif au sens du point c), cet argument invoqué par l’Office pour établir l’absence de caractère distinctif est logiquement infondé. L’Office ne conteste pas véritablement cette conclusion dans le présent pourvoi, de sorte qu’il n’y a pas lieu ici de l’analyser. Il convient en tout état de cause de souligner qu’elle n’est pas décisive pour nier la légalité du refus de l’Office d’enregistrer la marque en question. En effet, l’Office ne s’est pas limité à cet argument pour soutenir que la marque en cause était dépourvue de caractère distinctif au sens du point b). C’est ce que montrent les points 43 à 46 de l’arrêt attaqué, sous lesquels le Tribunal critique l’argumentation qui avait été développée par l’Office pour refuser l’enregistrement de la marque sur la base du point b). C’est précisément la thèse retenue par le Tribunal dans l’arrêt attaqué sur le critère spécifique de l’appréciation du caractère distinctif d’une marque au sens du point b) qui est à la base du présent pourvoi de l’Office.

B –   Le but et l’économie de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94

22.     La fonction essentielle de la marque est, selon la jurisprudence constante de la Cour, «de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service marqué, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou service de ceux qui ont une autre provenance, et que, pour que la marque puisse jouer son rôle d’élément essentiel du système de concurrence non faussé que le traité entend établir, elle doit constituer la garantie que tous les produits ou services qui en sont revêtus ont été fabriqués sous le contrôle d’une entreprise unique à laquelle peut être attribuée la responsabilité de leur qualité»  (7) . Le Tribunal a également affirmé qu’il n’est pas nécessaire que la marque «transmette une information précise quant à l’identité du fabricant du produit ou du prestataire de services. Il suffit que la marque permette au public concerné de distinguer le produit ou service qu’elle désigne de ceux qui ont une autre origine commerciale et de conclure que tous les produits ou services qu’elle désigne ont été fabriqués, commercialisés ou fournis sous le contrôle du titulaire de cette marque, auquel peut être attribuée la responsabilité de leur qualité»  (8) .

23.     Il convient, d’emblée, de rappeler que l’article 4 du règlement n° 40/94 stipule que «[p]euvent constituer des marques communautaires tous signes susceptibles d’une représentation graphique […], à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises».

24.     Parallèlement, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, on est en présence d’un motif absolu de refus d’enregistrement face aux «marques qui sont dépourvues de caractère distinctif». Ainsi que l’avocat général F. G. Jacobs l’a récemment relevé, cette interdiction d’enregistrer les marques dépourvues de caractère distinctif figurant au point b) ne se borne pas à réitérer l’exigence selon laquelle la marque «[soit] propr[e] à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises», établie à l’article 4 du règlement n° 40/94, qui constitue également un motif absolu de refus d’enregistrement par référence à l’article 7, paragraphe 1, sous a), du même règlement. En effet, «il semble qu’on puisse raisonnablement en inférer que les articles 4 et 7, paragraphe 1, sous a), du règlement visent une capacité générale, absolue et abstraite à distinguer des produits d’origines diverses, tandis que l’article 7, paragraphe 1, sous b), concerne le caractère distinctif par rapport à la classe de produits en question»  (9) .

25.     L’exigence du caractère distinctif établie à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 a donc spécifiquement pour but, ainsi que cela a été affirmé dans l’affaire Windsurfing Chiemsee, de garantir que la marque «est apte à identifier le produit pour lequel est demandé l’enregistrement comme provenant d’une entreprise déterminée et donc à distinguer ce produit de ceux d’autres entreprises»  (10) . La jurisprudence ultérieure de la Cour a confirmé cette orientation  (11) .

26.     C’est dans cette même ligne que s’inscrit la jurisprudence récente du Tribunal, qui a spécifiquement affirmé, au sujet de l’analyse du caractère distinctif d’un slogan, que celui-ci «n’est distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 que s’il peut être perçu d’emblée comme une indication de l’origine commerciale des produits ou services visés afin de permettre au public pertinent de distinguer sans confusion possible les produits ou services du titulaire de la marque de ceux qui ont une autre provenance commerciale»  (12) .

C –   Le critère d’appréciation du caractère distinctif de la marque au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 et la question de savoir si l’évaluation du caractère distinctif d’un slogan justifie un traitement spécifique par rapport à d’autres marques

27.     La première question qui se pose – question essentielle pour vérifier si le Tribunal a interprété correctement l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 – est celle de savoir comment le caractère distinctif d’une marque doit, en définitive, être apprécié aux termes de cette disposition. En d’autres termes, il convient de définir le critère à suivre dans cette appréciation. En liaison avec cette question s’en pose une autre, qui est celle de savoir si un slogan justifie un traitement spécifique en ce qui concerne l’évaluation de son caractère distinctif en tant que marque.

28.     Sur la première question, ainsi que l’Office et le gouvernement du Royaume-Uni le soulignent, la jurisprudence de la Cour est claire depuis son arrêt du 16 juillet 1998, Gut Springenheide et Tusky. Dans cet arrêt, la Cour a adopté un critère d’application générale et uniforme pour déterminer si une mention publicitaire ou une marque sont susceptibles d’induire l’acheteur en erreur. À cet effet, elle prend pour référence l’attente probable d’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé au sujet de cette mention  (13) . Ce critère a été confirmé par l’arrêt du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer  (14) , dans le cadre spécifique des marques, pour l’évaluation du caractère distinctif élevé d’une marque.

29.     Cela posé, l’évaluation du caractère distinctif d’une marque au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 doit, d’une part, s’effectuer par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement de la marque a été demandé, et que celle-ci a pour objet de distinguer  (15) . Elle doit, d’autre part, s’appuyer sur la perception du public concerné, constitué par les consommateurs des produits ou des services en cause. Cette analyse est faite selon la perception présumée d’un consommateur moyen de la catégorie des produits ou des services en cause, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé  (16) . Cette orientation prise en matière d’évaluation du caractère distinctif d’une marque est également perceptible dans la jurisprudence du Tribunal antérieure à l’arrêt attaqué en l'espèce  (17) .

30.     Une autre question se pose à ce stade: celle de savoir si le fait que l’enregistrement de slogans comme marques soit admis justifie un traitement particulier au regard de ce critère traditionnel établi par la jurisprudence. La Cour a déjà eu l’occasion d’affirmer que «l’enregistrement d’une marque composée de signes ou d’indications qui sont par ailleurs utilisés en tant que slogans publicitaires, indications de qualité ou expressions incitant à acheter les produits ou les services visés par cette marque n’est pas exclu, en tant que tel, en raison d’une telle utilisation»  (18) .

31.     Il est néanmoins certain que, dans le cas d’espèce, le problème posé est différent, puisqu’il consiste à savoir si un slogan, en tant qu’expression verbale contenant une indication de qualité relative au produit ou au service qu’il vise à promouvoir, justifie un traitement différent de celui de tout autre type de marques. Je ne peux que me rallier, sur le plan général, au principe énoncé dans l’arrêt attaqué, lorsqu’il affirme que rien ne justifie un traitement plus exigeant pour les slogans que pour les autres marques.

32.     C’est en ce sens que la Cour s’est prononcée dans plusieurs arrêts récents  (19) où elle affirme que l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104 [correspondant à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94] ne fait pas de distinction entre les différentes catégories de marques du point de vue de l’appréciation de leur caractère distinctif. Telle était déjà l’orientation du Tribunal dans l’arrêt Procter & Gamble/OHMI  (20) , antérieur à l’arrêt attaqué, en ce qui concerne l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94.

33.     Il n’en reste pas moins que l’évaluation de l’aptitude d’une marque donnée à permettre d’identifier l’origine commerciale d’un produit ou d’un service doit s’effectuer dans le contexte de chaque cas concret. En effet, si le critère général devant être utilisé aux fins de l’évaluation du caractère distinctif de quelque marque que ce soit est, selon l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, celui de la perception présumée d’un consommateur moyen de la classe de produits pour laquelle l’enregistrement a été demandé, les autorités compétentes devront appliquer ce critère, en appréciant le caractère distinctif de la marque, en l’occurrence, en fonction de la perception du consommateur moyen par rapport aux produits en cause  (21) . Cette évaluation implique nécessairement la prise en considération concrète de la nature et des caractéristiques particulières de la marque dont l’enregistrement est demandé.

34.     À cet égard, la Cour a affirmé que, dans le contexte de l’appréciation, en pratique, du caractère distinctif d’une marque tridimensionnelle ou d’une couleur, la perception du consommateur moyen n’est pas nécessairement la même que dans le cas d’une marque nominative ou figurative qui consiste en un signe indépendant de l’aspect des produits qu’il désigne  (22) . C’est également ce que le Tribunal affirmait, avant le prononcé de l’arrêt attaqué, en ce qui concerne les marques tridimensionnelles  (23) .

35.     Il en est ainsi dans la mesure où un consommateur moyen n’a pas pour habitude de présumer de l’origine des produits sur la base, par exemple, de la forme de leur emballage, ou de leur couleur, sans autres éléments graphiques ou textuels, et il peut donc devenir difficile, sur le plan pratique, d’affirmer le caractère distinctif d’une marque lorsqu’il s’agit d’une forme tridimensionnelle ou d’une couleur  (24) .

36.     Il en va de même, à mon sens, de l’appréciation, in concreto, du caractère distinctif d’une expression verbale telle qu’un slogan qui, en tant que tel, revêt une signification promotionnelle par rapport à un produit donné, dans la langue dans laquelle il est formulé. Face à une expression verbale de ce type, on comprend qu’il est difficile, pour un consommateur moyen, de l’appréhender comme une indication de l’origine commerciale du produit, qui permette de le distinguer des autres produits de la même classe, mais d’origine différente. Tel est en particulier le cas si ce slogan vante des qualités normalement associées à tous les produits ou services de la même classe.

37.     Dans ces circonstances, un consommateur moyen n’appréhendera pas cette expression verbale faisant l’éloge de la qualité d’un produit comme indiquant que son origine commerciale diffère de celle de tout autre produit de la même classe produit par une autre entreprise. Il en irait autrement si c’était une expression verbale d’une autre nature qui était en cause, telle qu’une expression inventée (par exemple XTPO33) dépourvue de toute signification propre, vantant des qualités généralement associées à tous les produits d’une classe donnée. Ou encore, si le slogan incluait un élément permettant au consommateur moyen d’identifier l’origine commerciale du produit pour lequel son enregistrement comme marque est demandé par rapport aux autres produits de la même classe, mais ayant une autre origine commerciale.

38.     On peut donc reconnaître le caractère distinctif d’un slogan, en tant que marque, dans la mesure où le consommateur moyen n’établit pas naturellement un lien entre le contenu du slogan concret et les qualités que les consommateurs associent normalement à la classe de produits en cause. De cette manière, le slogan serait susceptible, selon la perception d’un consommateur moyen, de permettre l’identification de l’origine commerciale du produit pour lequel l’enregistrement de la marque est demandé. Ce qui vient d’être dit n’empêche pas non plus que, du fait de l’utilisation prolongée d’un slogan, un consommateur moyen puisse commencer à l’appréhender comme identifiant l’origine commerciale du produit. Dans ce cas, c’est «par son usage que la marque acquiert le caractère distinctif qui est la condition de son enregistrement»  (25) . C’est ce qui est explicitement admis à l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 40/94, mais le cas d’espèce ne porte manifestement pas sur une telle situation.

39.     Ce qu’il importe en l’occurrence de déterminer ici, c’est si un consommateur moyen des produits des classes 12 et 20 peut entendre le principe du confort comme spécifiquement inhérent aux produits de Erpo ou si, au contraire, il présumera que ce principe est inhérent à tous les autres biens de la même classe provenant d’autres entreprises, celles-ci cherchant naturellement, elles aussi, à ce que leurs produits respectent le principe du confort.

D –   La prétendue incompatibilité entre les points 43 à 46 de l’arrêt attaqué et le critère d’appréciation précité du caractère distinctif d’une marque au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94

40.     L’arrêt attaqué s’est nettement écarté du critère, précédemment décrit, d’évaluation du caractère distinctif d’une marque au sens du point b) en question.

41.     Cela ressort clairement, non seulement du point 46, mais aussi des points 43 à 45 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal critique l’orientation suivie par la chambre de recours de l’Office lorsque celui-ci a estimé que l’expression «Das Prinzip der Bequemlichkeit» ne présentait pas un caractère distinctif par rapport aux produits de la classe 12 (véhicules terrestres et leurs pièces) et de la classe 20 (meubles d’habitation et de bureau).

42.     Sous ces points 43 à 45 de l’arrêt attaqué, le Tribunal critique l’analyse de la chambre de recours de l’Office dans la mesure où celle-ci a affirmé, aux points 30 et 31 de la décision attaquée, que l’expression verbale «Das Prinzip der Bequemlichkeit» était dépourvue d’«un surplus d’imagination» comme d’«un champ de tension conceptuel qui aurait pour conséquence un effet de surprise et ainsi un effet de repérage», pour le consommateur moyen, de l’origine commerciale des produits pour lesquels l’enregistrement comme marque était demandé.

43.     L’arrêt attaqué estime, en outre, que l’analyse entreprise par la chambre de recours de l’Office pour évaluer le caractère distinctif du slogan dans le cas d’espèce a été effectuée en violation du principe selon lequel l’appréciation du caractère distinctif d’un slogan comme marque ne doit pas se faire selon des critères plus stricts que ceux applicables à un autre type de signes  (26) .

44.     J’admets qu’un slogan ne peut pas être considéré comme dépourvu de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, simplement parce qu’il ne présente aucun élément supplémentaire d’imagination ou de surcroît de fantaisie  (27) .

45.     Mais, ce qui apparaît en tout état de cause incompatible avec une interprétation correcte du point b), c’est la position adoptée dans l’arrêt attaqué, selon laquelle, même lorsqu’il s’agit d’apprécier, en pratique, le caractère distinctif d’une marque telle que le slogan «Das Prinzip der Bequemlichkeit» pour certaines classes de produits, il serait interdit aux autorités compétentes d’établir que ce slogan ne comporte pas un élément supplémentaire d’imagination qui le rende susceptible, aux yeux du consommateur moyen, de distinguer le produit pour lequel son enregistrement comme marque a été demandé des produits d’une autre origine, lorsque le public visé est appelé à faire son choix commercial.

46.     Une appréciation, dans le cas d’espèce, de l’aptitude d’un slogan à créer dans l’esprit du public visé, selon l’optique du consommateur moyen, un lien entre le titulaire de la marque et les produits ou les services dont on entend déterminer l’origine commerciale doit nécessairement prendre en compte la nature et les caractéristiques spécifiques de l’expression verbale que l’on entend enregistrer.

47.     Toutes les marques ne présentent cependant pas la même nature et les mêmes caractéristiques. Il existe des différences significatives à l’intérieur même de l’ensemble des expressions verbales. Ainsi, par exemple, le consommateur moyen pourra reconnaître plus facilement un caractère distinctif, au sens du point b), à une expression purement inventée concernant un certain produit, qu’à un slogan qui présente, même dans des termes non exclusivement descriptifs, une qualité ou un principe auxquels le produit en question est censé correspondre.

48.     De ce point de vue, il n’est pas incompatible avec l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 que les autorités compétentes puissent constater qu’un slogan présente seulement, aux yeux du consommateur moyen, une qualité souhaitable dans la production de tous les biens de la classe en question, et non pas seulement de ceux qui ont leur origine commerciale dans l’entreprise qui sollicite l’enregistrement. Je pense ainsi qu’il est admissible, dans le contexte de l’application pratique du critère d’appréciation du caractère distinctif d’une marque, que l’Office constate qu’un simple slogan publicitaire dépourvu de tout élément particulier supplémentaire ne permet pas, a priori, au public cible d’identifier l’origine commerciale du produit pour lequel son enregistrement est demandé par rapport aux produits d’une autre origine relevant de la même classe.

49.     Je pense donc que les affirmations des points 43 à 45 de l’arrêt attaqué mettent déjà en évidence une compréhension erronée du critère d’appréciation du caractère distinctif d’une marque aux termes du point b) en cause, ainsi que de son application pratique, culminant, au point 46, par une explicitation du nouveau critère qui aurait prétendument été adopté par l’Office.

50.     Il ressort clairement de l’exposé qui précède que le critère énoncé au point 46 de l’arrêt attaqué, avec l’exigence particulière de preuve qu’il comporte, enfreint l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94. Je ne peux me rallier, à cet égard, à l’argumentation présentée par Erpo pour soutenir l’inverse. L’arrêt attaqué remplace en effet le critère établi d’appréciation du caractère distinctif d’une marque au sens du point b) précité, selon la perception normale du public cible de ces produits ou services, par un nouveau critère substantiellement différent.

51.     Selon ce nouveau critère, l’Office doit prouver, pour refuser l’enregistrement d’un slogan sur la base de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, que cette expression verbale est communément utilisée dans la vie des affaires. Auparavant, au contraire, il était nécessaire, pour refuser l’enregistrement pour absence de caractère distinctif, que, selon la perception normale du public cible de cette classe de produits, ce syntagme ne soit pas identifié comme une indication d’origine commerciale des produits ou des services, de manière à permettre de les distinguer des produits et des services d’une autre provenance commerciale. Et cela, que ce slogan soit ou non effectivement utilisé dans la pratique commerciale.

52.     L’exigence selon laquelle il faut démontrer que l’expression verbale dont l’enregistrement est demandé soit «communément utilisée dans les communications commerciales et, notamment, publicitaires» pour que son enregistrement puisse être refusé sur la base du point b) est donc manifestement incompatible avec le critère correct d’évaluation du caractère distinctif de la marque au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 qui a été exposé dans les présentes conclusions  (28) .

53.     D’autres arguments, invoqués par l’Office et repris par le gouvernement du Royaume-Uni, plaident à mon sens contre l’adoption du nouveau critère présenté par le Tribunal dans l’arrêt attaqué. D’une part, le fait que ce nouveau critère, en permettant que soient conférés des droits exclusifs sur un slogan tel que celui qui nous occupe en l’espèce, prive les autres entreprises productrices de biens relevant des mêmes classes de produits, par exemple des meubles de bureau, de la possibilité de présenter en toute liberté leurs produits comme ayant été conçus et fabriqués selon «le principe du confort». Cette conséquence est, à mon sens, inacceptable, et il n’est nullement évident qu’elle soit écartée par l’article 12, sous b), du règlement n° 40/94. En outre, il est plus facile de mettre en cause la loyauté de l’action d’une entreprise concurrente qui entend invoquer dans ces termes «le principe du confort» après que son enregistrement comme marque communautaire aura été admis en faveur d’une autre entreprise.

54.     L’adoption d’un critère très généreux pour l’acceptation de l’enregistrement, comme marques, de simples slogans publicitaires qui, indépendamment de leur plus ou moins grande créativité, louent la qualité d’un produit ou d’un service, restreint la marge de libre expression des autres producteurs de biens ou de services de la même classe. Ceux-ci doivent pouvoir invoquer ces mêmes qualités dans la présentation de leurs produits, sans aucune contrainte légale. Accepter l’enregistrement de slogans dans les conditions proposées sous les points 43 à 46 de l’arrêt attaqué facilite le déroulement de l’enregistrement, par les entreprises déjà établies, des expressions les plus diverses vantant les qualités de produits ou de services. L’entrée de nouveaux opérateurs sur le marché pour ces mêmes produits ou services en est rendue plus difficile.

55.     À cet égard, je pense que l’un des objectifs de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 est d’éviter qu’on en vienne, en permettant l’enregistrement comme marques de syntagmes dépourvus de caractère distinctif, à restreindre indûment la possibilité pour les autres opérateurs économiques de les utiliser pour cette classe de produits ou de services  (29) .

56.     Une autre difficulté suscitée par le nouveau critère adopté dans l’arrêt attaqué résulte de l’incohérence qu’il entraîne par rapport à la jurisprudence de la Cour. Celle-ci a en effet été amenée à juger qu’il est possible de refuser l’enregistrement d’une expression verbale comme marque, en raison de son caractère purement descriptif, même si elle n’est pas utilisée, pour l’heure, comme indication descriptive pour la catégorie de produits en cause; il suffit, à cette fin, qu’elle soit susceptible d’être utilisée  (30) . La Cour a récemment confirmé cette position dans son arrêt OHMI/Wrigley, où elle a affirmé que, «pour que l’OHMI oppose un refus d’enregistrement sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94, il n’est pas nécessaire que les signes et indications composant la marque visés à cet article soient effectivement utilisés, au moment de la demande d’enregistrement, à des fins descriptives de produits ou de services tels que ceux pour lesquels la demande est présentée ou des caractéristiques de ces produits ou de ces services. Il suffit, comme l’indique la lettre même de cette disposition, que ces signes et indications puissent être utilisés à de telles fins»  (31) .

57.     Compte tenu de cela, je pense que l’Office a raison d’attirer l’attention sur le fait que l’arrêt attaqué, en exigeant la preuve de l’utilisation du slogan dans les relations commerciales, notamment publicitaires, pour que l’enregistrement puisse être refusé sur la base de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, est en contradiction avec le critère retenu par la Cour dans le cadre de l’évaluation du caractère descriptif d’une marque au sens du point c) de ce même article. Cette contradiction est d’autant moins souhaitable que ces deux dispositions sont appliquées conjointement.

58.     En effet, suivant l’orientation suivie dans l’arrêt attaqué, l’appréciation du caractère distinctif d’une marque au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 serait menée à bien selon un critère beaucoup plus libéral que celui qui régit l’examen du motif de refus d’enregistrement fondé sur le caractère descriptif. Or rien ne justifie cette disparité, l’article 7, paragraphe 1, sous b), n’indiquant nullement qu’il serait obligatoire de prouver que la marque en cause est utilisée habituellement dans les relations commerciales pour que l’enregistrement soit refusé pour défaut de caractère distinctif.

59.     Cette exigence est posée, à l’article 7, paragraphe 1, non pas sous b), mais sous le point d), qui «subordonne le refus de l’enregistrement d’une marque à la seule condition que les signes ou les indications dont cette marque est exclusivement composée sont devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce pour désigner les produits ou les services pour lesquels ladite marque est présentée à l’enregistrement»  (32) . Ainsi que l’Office le souligne, ce point d) perdrait toute raison d’être si le critère adopté pour apprécier le caractère distinctif de la marque au sens du point b) était celui que le Tribunal a adopté dans l’arrêt attaqué.

60.     Je relèverai, pour finir, que ce nouveau critère d’appréciation du caractère distinctif d’une marque au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, introduit dans l’arrêt attaqué et, à juste titre, critiqué par l’Office, a déjà été considéré, au moins implicitement, comme indéfendable par la même quatrième chambre du Tribunal qui a rendu l’arrêt attaqué. En effet, dans l’arrêt du 31 mars 2004, Fieldturf/OHMI  (33) , qui portait sur l’enregistrement de la marque nominative «looks like grass... feels like grass... plays like grass...» pour les classes de produits de revêtements synthétiques de surfaces et leur installation, le critère présenté au point 46 de l’arrêt attaqué a été rejeté  (34) .

61.     Comme je l’ai précédemment mentionné, l’annulation de l’arrêt attaqué n’implique pas nécessairement que la décision refusant l’enregistrement est légale, puisque le Tribunal n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur le troisième moyen invoqué par Erpo en vue de l’annulation de la décision de la chambre de recours. Je suggère par conséquent à la Cour de renvoyer l’affaire devant le Tribunal.

V –  Conclusion

62.     En conclusion de cet exposé, je suggère que la Cour:

1)
annule l’arrêt du Tribunal de première instance du 11 décembre 2001, Erpo Möbelwerk/OHMI (Das Prinzip der Bequemlichkeit) (T‑138/00);

2)
renvoie l’affaire devant le Tribunal de première instance, et

3)
réserve la décision sur les dépens.


1
Langue originale: le portugais.


2
Arrêt du 11 décembre 2001, Erpo Möbelwerk/OHMI (DAS PRINZIP DER BEQUEMLICHKEIT) (T-138/00, Rec. p. II-3739, ci-après l’«arrêt attaqué»).


3
JO 1994, L 11, p. 1.


4
Arrangement concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.


5
Dans le présent pourvoi, l’Office émet des doutes sur la validité de l’arrêt attaqué, qui serait entaché d’une erreur manifeste d’appréciation des faits établis par la chambre de recours, du point de vue de l’application de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94. L’Office renonce toutefois expressément à fonder sa demande d’annulation de l’arrêt attaqué sur cette éventuelle irrégularité.


6
Voir, en ce sens, arrêt du 19 septembre 2002, DKV/OHMI (C-104/00 P, Rec. p. I‑7561, points 28 et 29).


7
Arrêt du 29 septembre 1998, Canon (C-39/97, Rec. p. I-5507, point 28).


8
Arrêt du 19 septembre 2001, Procter & Gamble/OHMI (tablette carrée blanche tachetée de vert, et vert pâle) (T-118/00, Rec. p. II-2731, point 53).


9
Conclusions de l’avocat général F. G. Jacobs du 11 mars 2004 dans l’affaire SAT.1 SatellitenFernsehen/OHMI (C‑329/02 P, pendante devant la Cour, point 16). Voir également, en ce sens, arrêt du 18 juin 2002, Philips (C-299/99, Rec. p. I-5475, points 37 et 39). Ce dernier arrêt porte sur la disposition analogue figurant à l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1).


10
Arrêt du 4 mai 1999, Windsurfing Chiemsee (C-108/97 et C-109/97, Rec. p. I‑2779, point 46), invoqué ici par analogie parce qu’il porte sur une disposition de l’article 3 de la directive 89/104 identique à celle de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94. À la différence du règlement n° 40/94, la directive 89/104 s’applique aux marques nationales, et non aux marques communautaires.


11
Voir arrêts Philips, précité (note 9), point 35; du 8 avril 2003, Linde e.a. (C-53/01 à C-55/01, Rec. p. I-3161, point 40), et du 12 février 2004, Henkel (C-218/01, non encore publié au Recueil, point 48). Tous ces arrêts portent sur l’article 3, sous b), de la directive 89/104, qui est identique à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94.


12
Arrêts du 5 décembre 2002, Sykes Enterprises/OHMI (REAL PEOPLE, REAL SOLUTIONS) (T‑130/01, Rec. p. II-5179, point 20), et du 3 juillet 2003, Best Buy Concepts/OHMI (BEST BUY) (T‑122/01, Rec. p. II‑2235, point 21).


13
C-210/96, Rec. p. I-4657, points 30, 31 et 37, et dispositif.


14
C-342/97, Rec. p. I-3819, point 26.


15
En ce sens, arrêt du 4 octobre 2001, Merz & Krell (C-517/99, Rec. p. I-6959, point 29), dans le contexte de la directive 89/104.


16
Voir récemment, en ce sens, dans le cadre de l’article 3, sous b), de la directive 89/104, au sujet de la forme d’un produit, les arrêts précités Philips (note 9), point 63, Linde e.a. (note 11), point 41, et Henkel (note 11), point 50.


17
Le Tribunal affirmait ainsi, dans l’arrêt Procter & Gamble/OHMI (tablette carrée blanche tachetée de vert, et vert pâle), précité (note 8), point 54, que, pour déterminer si une marque présente un caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, il convient de «rechercher – dans le cadre d’un examen a priori et en dehors de toute prise en considération de l’usage du signe au sens de l’article 7, paragraphe 3, du règlement n° 40/94 – si la marque demandée permettra, au public ciblé, de distinguer les produits visés de ceux ayant une autre origine commerciale lorsqu’il sera appelé à arrêter son choix lors d’un achat». Il affirmait encore, au point 57 du même arrêt, qu’il y a «lieu d’apprécier le caractère distinctif de la marque demandée en tenant compte de l’attente présumée d’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé», dans la ligne donc de l’orientation définie dans l’arrêt Gut Springenheide et Tusky, précité (note 13).


18
Arrêt Merz & Krell, précité (note 15), point 40.


19
Voir, au sujet des marques constituées par des formes tridimensionnelles, les arrêts précités Philips (note 9), point 48, et Linde e.a. (note 11), points 42 et 43.


20
Précité (note 8), point 55, affirmant que le point b) en cause «ne fait pas de distinction entre différentes catégories de marques. Les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles constituées par la forme du produit lui-même ne sont donc pas différents de ceux applicables aux autres catégories de marques».


21
Voir en ce sens arrêt Henkel, précité (note 11), point 51.


22
Voir arrêts Henkel, précité (note 11), point 52, et du 6 mai 2003, Libertel (C‑104/01, Rec. p. I‑3793, point 65).


23
Voir en ce sens arrêt Procter & Gamble/OHMI, précité (note 8), point 56.


24
Voir, en ce sens, arrêts précités, Henkel (note 11), point 52; Linde e.a. (note 11), point 48, portant sur une marque tridimensionnelle, et Libertel (note 22), point 65, portant sur une marque constituée par une couleur.


25
Arrêt Philips, précité (note 9), point 58, relatif à la disposition correspondante de la directive 89/104.


26
Voir point 44, in fine, de l’arrêt attaqué.


27
C’est en ce sens que plaide la jurisprudence citée au point 44 de l’arrêt attaqué.


28
Voir ci-dessus, points 27 à 39.


29
Voir, à cet égard, arrêt Libertel, précité (note 22), points 44 à 60, sur l’enregistrement d’une marque. Voir également les conclusions de l’avocat général F. Jacobs dans l’affaire SAT.1 SatellitenFernsehen/OHMI, précitée (note 9), point 57.


30
Voir, en ce sens, arrêt Windsurfing Chiemsee, précité (note 10), point 37.


31
Arrêt du 23 octobre 2003 (C-191/01 P, Rec. p. I‑12447, point 32).


32
Arrêt Merz & Krell, précité (note 15), point 41, relatif à la disposition équivalente de l’article 3, paragraphe 1, sous d), de la directive 89/104.


33
T-216/02, non encore publié au Recueil.


34
On lit, au point 34 de cet arrêt, que, «selon la jurisprudence postérieure à cet arrêt [l’arrêt attaqué Erpo], les marques visées par l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 sont non seulement celles qui sont communément utilisées, dans le commerce, pour la présentation des produits ou des services concernés, mais aussi celles qui sont seulement susceptibles de l’être». Le point 35 ajoute que «la marque demandée n’était pas, tant à l’égard des uns qu’à l’égard des autres, susceptible d’être perçue d’emblée comme une indication d’origine, mais seulement comme un slogan promotionnel».