Language of document : ECLI:EU:T:2023:364

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

28 juin 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Biélorussie – Gel des fonds – Maintien du nom du requérant sur les listes des personnes, entités et organismes concernés – Erreur d’appréciation »

Dans l’affaire T‑239/21,

Dana Astra IOOO, établie à Minsk (Biélorussie), représentée par Mme M. Lester, BL, Mes P. Sellar et J. Beck, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes S. Van Overmeire et T. Haas, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. J. Svenningsen, président, J. Laitenberger et Mme M. Stancu (rapporteure), juges,

greffier : Mme M. Zwozdziak-Carbonne, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 13 décembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours, fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Dana Astra IOOO, demande l’annulation

–        de la décision (PESC) 2021/353 du Conseil, du 25 février 2021, modifiant la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2021, L 68, p. 189), et du règlement d’exécution (UE) 2021/339 du Conseil, du 25 février 2021, mettant en œuvre l’article 8 bis du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2021, L 68, p. 29) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de 2021 »),

–        de la décision (PESC) 2022/307 du Conseil, du 24 février 2022, modifiant la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie (JO 2022, L 46, p. 97), et du règlement d’exécution (UE) 2022/300 du Conseil, du 24 février 2022, mettant en œuvre l’article 8 bis du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie (JO 2022, L 46, p. 3) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de 2022 »),

en tant que ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») la concernent.

 Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours

2        La requérante est une société biélorusse active dans les secteurs de la construction et de la promotion immobilières.

3        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées par l’Union européenne depuis 2004 en raison de la situation en Biélorussie en ce qui concerne la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme. Ainsi qu’il ressort des considérants de la décision d’exécution (PESC) 2020/2130 du Conseil, du 17 décembre 2020, mettant en œuvre la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2020, L 426 I, p. 14) et du règlement d’exécution (UE) 2020/2129 du Conseil, du 17 décembre 2020, mettant en œuvre l’article 8 bis, paragraphe 1, du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2020, L 426 I, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux »), elle est plus spécifiquement liée à l’intensification de la violation persistante des droits de l’homme ainsi que de la répression exercée de manière brutale à l’encontre des opposants au régime du président Lukashenko à la suite des élections présidentielles du 9 août 2020, lesquelles ont été jugées incompatibles avec les normes internationales par l’Union.

4        Le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 18 mai 2006, sur le fondement des articles [75 et 215 TFUE], le règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre du président Lukashenko et de certains fonctionnaires de Biélorussie (JO 2006, L 134, p. 1) et, le 15 octobre 2012, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2012, L 285, p. 1).

5        Dans leurs versions applicables à la date d’adoption des actes attaqués, l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642, et l’article 2, paragraphes 1 et 5, du règlement no 765/2006, la dernière disposition renvoyant à la première, prévoient que sont gelés tous les fonds et ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par, notamment, les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes qui profitent du régime du président Lukashenko ou le soutiennent.

6        Par les actes initiaux, l’entité identifiée comme « Dana Holdings/Dana Astra » a été inscrite sur les listes des personnes, entités et organismes visés par les mesures restrictives qui figurent en annexe de la décision 2012/642 et à l’annexe I du règlement no 765/2006 (ci-après, prises ensemble, les « listes en cause »).

7        Dans les actes initiaux, le Conseil a justifié l’inscription de l’entité identifiée comme « Dana Holdings/Dana Astra » sur les listes en cause par la mention des motifs suivants :

« Dana Holdings/Dana Astra est l’un des principaux promoteurs et constructeurs immobiliers en Biélorussie. L’entreprise a reçu des parcelles de terrain pour le développement de plusieurs grands complexes résidentiels et centres d’affaires.

Les propriétaires de Dana Holdings/Dana Astra entretiennent des liens étroits avec [le président Lukashenko]. Liliya [Lukashenka], la belle-fille du président, occupe un poste important au sein de l’entreprise.

À ce titre, Dana Holdings/Dana Astra tire profit du régime [du président Lukashenko] et le soutient. »

8        Par lettre du 24 décembre 2020, la requérante a demandé à avoir accès aux informations et aux preuves étayant ladite inscription et par lettre du 31 décembre 2020, elle a contesté le bien-fondé de l’inscription de l’entité identifiée comme « Dana Holdings/Dana Astra » sur les listes en cause et a demandé au Conseil de procéder à un réexamen.

9        Le 8 janvier 2021, le Conseil a communiqué à la requérante les documents WK 13845/2020 INIT et WK 14796/2020 EXT 1.

10      Par lettre du 22 janvier 2021, le Conseil a notifié à la requérante son intention de maintenir l’entité identifiée comme « Dana Holdings/Dana Astra » sur les listes en cause et lui a transmis des éléments de preuve complémentaires, rassemblés dans le document WK 750/2021 INIT.

11      Le 2 février 2021, la requérante a informé le Conseil qu’elle maintenait sa position selon laquelle il n’existait pas de fondement pour maintenir des mesures restrictives à son encontre.

12      Par les actes de maintien de 2021, l’inscription de l’entité identifiée comme « Dana Holdings/Dana Astra » sur les listes en cause a été maintenue jusqu’au 28 février 2022, les motifs justifiant ce maintien étant les suivants :

« Dana Holdings/Dana Astra est l’un des principaux promoteurs et constructeurs immobiliers en Biélorussie. L’entreprise a reçu des parcelles de terrain pour le développement de plusieurs grands complexes résidentiels et centres d’affaires.

Les propriétaires de Dana Holdings/Dana Astra entretiennent des liens étroits avec le président [Lukashenko]. Liliya [Lukashenka], la belle-fille du président, a occupé un poste important au sein de l’entreprise.

Dana Holdings/Dana Astra tire donc profit de son association avec le régime [du président Lukashenko] et le soutient. »

13      Par lettre du 26 février 2021, le Conseil a informé la requérante de sa décision de maintenir l’entité identifiée comme « Dana Holdings/Dana Astra » sur les listes en cause et a répondu aux observations qu’elle lui avait adressées dans les lettres du 31 décembre 2020 et du 2 février 2021 (voir points 8 et 11 ci-dessus). Par la même lettre, le Conseil a transmis à la requérante les éléments de preuve rassemblés dans le document WK 14796/2020 INIT.

14      Par lettre du 30 novembre 2021, la requérante a contesté le bien-fondé du maintien de son nom sur les listes en cause et a demandé au Conseil de procéder à un réexamen.

15      Le 17 janvier 2022, le Conseil a répondu à cette lettre de la requérante et lui a transmis de nouveaux éléments de preuves rassemblés dans les documents suivants : WK 15382/2021 REV 2 EXT 1, WK 15436/2021 ADD 1 et WK 15436/2021 EXT 11. Le Conseil a également communiqué à la requérante sa décision de maintenir son nom sur les listes en cause.

16      Le même jour, le Conseil a envoyé une lettre similaire à Dana Holdings, à l’adresse indiquée pour cette dernière dans le registre officiel biélorusse des sociétés.

17      Par lettre du 27 janvier 2022, la requérante a répondu aux deux lettres envoyées par le Conseil le 17 janvier 2022 à Dana Astra et à Dana Holdings.

18      Par les actes de maintien de 2022, les mesures restrictives à l’égard de la requérante ont été maintenues jusqu’au 28 février 2023 sur la base des motifs suivants :

« Dana Astra, qui était auparavant une filiale de Dana Holdings, est l’un des principaux promoteurs et constructeurs immobiliers en Biélorussie. L’entreprise a reçu des droits de promotion immobilière pour des parcelles de terrain et développe actuellement le centre multifonctionnel Minsk World, que l’entreprise présente comme étant le plus grand investissement de ce type en Europe.

Des personnes qui représenteraient Dana Astra entretiennent des liens étroits avec le président [Lukashenko]. Liliya [Lukashenka], la belle-fille du président, a occupé un poste important au sein de l’entreprise.

Par conséquent, Dana Astra tire profit du régime [du président Lukashenko] et le soutient. »

19      Par les actes de maintien de 2022, le nom de Dana Holdings a également été maintenu sur les listes en cause, mais séparément de celui de la requérante.

20      Par lettre du 25 février 2022, le Conseil a informé la requérante de sa décision de maintenir son inscription sur les listes en cause. En outre, le Conseil a souligné que tant Dana Holdings que Dana Astra avaient été visées dès les actes initiaux. Par conséquent, la mention des deux entités séparément dans les actes de maintien de 2022 ne devait pas être considérée comme de nouvelles inscriptions sur les listes en cause, mais reflétait les changements des liens entre les deux entités qui avaient été portés à son attention.

 Conclusions des parties

21      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués en ce qu’ils la concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

22      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal annulerait les actes attaqués en ce qu’ils concernent la requérante, ordonner que les effets de la décision 2022/307 soient maintenus jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2022/300 prenne effet.

 En droit

23      À titre liminaire, il y a lieu de noter que, interrogée par le Tribunal lors de l’audience, la requérante a confirmé, d’une part, en substance, que, nonobstant l’emploi de l’expression « défaut de motivation » dans l’intitulé de ce moyen tel qu’il figure dans la requête, un seul moyen était invoqué et qu’il était tiré d’erreurs d’appréciation entachant les motifs de maintien de son nom sur les listes en cause et, d’autre part, qu’elle ne conteste pas la recevabilité des annexes B.8 à B.14, B.16 et B.17 jointes par le Conseil à son mémoire en défense.

24      Dans le cadre du moyen unique qu’elle invoque, la requérante soutient, en substance, que les motifs mentionnés dans les actes attaqués, en ce qu’ils la concernent, sont entachés d’erreurs d’appréciation et ne peuvent donc justifier le maintien de son nom sur les listes en cause.

25      En ce qui concerne le premier motif de maintien, elle avance que le Conseil se fonde à tort sur la présomption selon laquelle la réussite économique des entreprises actives en Biélorussie dépend de leur association au régime du président Lukashenko pour conclure que sa position dans l’économie biélorusse démontrerait qu’elle tire profit du régime du président Lukashenko ou le soutient. En outre, la requérante fait valoir que sa réussite économique n’est pas liée audit régime, mais résulte d’investissements de capitaux réalisés au bon moment sur le marché immobilier biélorusse en croissance rapide, sur la base d’un modèle commercial innovant et rentable fondé sur une économie de marché. Enfin, la requérante soutient, en substance, que le Conseil ne démontre pas qu’elle aurait obtenu les droits de développement pour le centre multifonctionnel Minsk World (ci-après le « centre Minsk World ») autrement que grâce à son mérite, à la suite d’une procédure de passation de marché ouverte. En outre, elle fait valoir que les conditions auxquelles ces droits de promotion lui ont été accordés étaient appropriées pour un projet public-privé de ce type qui comporte un équilibre d’avantages et d’obligations entre l’investisseur et les autorités.

26      Quant au deuxième motif de maintien, la requérante fait valoir, d’une part, que ce motif serait hypothétique et, d’autre part, que, en tout état de cause, les preuves sur lesquelles le Conseil fonde ce motif ne permettent pas d’établir un lien entre les personnes mentionnées dans ces éléments de preuve et la requérante.

27      Concernant le troisième motif de maintien, la requérante fait valoir que le Conseil n’explique pas en quoi l’ancien engagement de la belle-fille du président Lukashenko est susceptible de justifier la conclusion qu’elle tire profit du régime de ce dernier ou le soutient dès lors que l’emploi de Liliya Lukashenka, d’une durée de trois ans et huit mois, a pris fin le 22 août 2018, soit près de trois ans avant l’adoption des actes initiaux. En outre, cette dernière n’aurait jamais occupé un poste de haut rang au sein de l’entreprise de la requérante.

28      Le Conseil conteste cette argumentation.

29      Il convient de rappeler, en premier lieu, que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige notamment que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne ou d’une entité sur les listes de personnes visées par des mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne ou cette entité, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

30      Il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 120 et jurisprudence citée).

31      C’est, en effet, à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée et non à ces dernières d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121).

32      Si l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernée à leur sujet (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).

33      Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne ou l’entité sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 12 février 2020, Kanyama/Conseil, T‑167/18, non publié, EU:T:2020:49, point 93 et jurisprudence citée).

34      En outre, le juge de l’Union peut aussi se fonder, tant à charge qu’à décharge, sur un élément produit par la partie requérante au cours de la procédure judiciaire. En effet, le fait qu’un élément ait été communiqué en tant qu’élément à décharge par la personne ou l’entité visée par les mesures restrictives n’empêche pas que cet élément lui soit éventuellement opposé pour constater le bien-fondé des motifs sous-tendant les mesures restrictives prises à son égard (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑166/18, non publié, EU:T:2020:50, point 124 et jurisprudence citée). Il en va de même des éléments communiqués par cette même personne ou entité à l’occasion d’une demande de réexamen des mesures restrictives la concernant.

35      Enfin, quant à la fiabilité et la force probante des éléments de preuve, y compris ceux provenant de sources numériques, il convient de rappeler que l’activité de la Cour et du Tribunal est régie par le principe de libre appréciation des preuves et que le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. En outre, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue et tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration ainsi que de son destinataire, et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable [voir, en ce sens, arrêts du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 224, et du 12 février 2020, Kande Mupompa/Conseil, T‑170/18, EU:T:2020:60, point 107 (non publié)].

36      En second lieu, eu égard à la nature préventive des mesures restrictives en cause, si, dans le cadre de son contrôle de la légalité de la décision attaquée, le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs d’inscription est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi un fondement suffisant pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 130).

37      C’est au regard de ces principes qu’il convient de vérifier, en l’espèce, si les motifs de maintien du nom de la requérante sur les listes en cause reposent sur un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir qu’elle tire profit du régime du président Lukashenko et le soutient.

38      Concernant le premier motif de maintien, à titre liminaire, il importe de constater que, par les actes de maintien de 2022, le Conseil a modifié le libellé de ce motif par rapport aux actes de maintien de 2021, notamment en indiquant que la requérante a reçu « des droits de promotion pour des parcelles de terrain » et non plus « des parcelles de terrain ». Le Conseil a également précisé que la requérante « développe actuellement le centre multifonctionnel Minsk World, que l’entreprise présente comme étant le plus grand investissement de ce type en Europe » et non plus qu’elle développerait « plusieurs grands complexes résidentiels et centres d’affaires ».

39      À ces égards, il convient de constater que cette modification du premier motif de maintien et la précision y apportée ne contredisent pas la substance du premier motif des actes de maintien de 2021, ainsi que la requérante l’admet au point 9 du mémoire en adaptation en indiquant que l’exposé des motifs dans les actes de maintien de 2022 ne diffère que « légèrement » de celui figurant dans les actes de maintien de 2021. En effet, le centre multifonctionnel Minsk World visé par les actes de maintien de 2022 est destiné à accueillir diverses infrastructures administratives, commerciales, socioculturelles, sportives et résidentielles et réunit, en tant que tel, « plusieurs grands complexes résidentiels et centres d’affaires » tels que visés par les actes de maintien de 2021.

40      Par ailleurs, comme l’indique le Conseil, le sens dans lequel il avait fait référence, dans les actes de maintien de 2021, aux parcelles de terrain n’était pas celui selon lequel la requérante serait devenue la propriétaire de ces parcelles. Le Conseil précise que s’il est vrai que l’État biélorusse conserve la propriété desdites parcelles de terrain, il ressort de son dossier que la requérante s’est vu accorder le droit d’être le seul promoteur de projets immobiliers sur ces parcelles.

41      De plus, interrogé à cet égard par le Tribunal lors de l’audience, le Conseil a indiqué que, en ce qui concerne la requérante, seul le centre Minsk World a été visé, y compris par les actes de maintien de 2021.

42      Par conséquent, en admettant même, au regard de la modification et de la précision apportées par le Conseil, une certaine imprécision du premier motif de maintien dans les actes de maintien de 2021, celles-ci ne sont pas, à elles seules, de nature à affecter la légalité desdits actes. Dans ces conditions, s’agissant du premier motif de maintien du nom de la requérante sur les listes en cause, il convient de retenir l’allégation selon laquelle, en substance, la requérante est l’un des principaux promoteurs et constructeurs immobiliers en Biélorussie qui développe le centre Minsk World, qu’elle présente comme le plus grand investissement de ce type en Europe, sur des parcelles de terrain pour lesquelles elle a reçu des droits de promotion immobilière.

43      Quant au bien-fondé du premier motif de maintien, il convient de constater que, contrairement à ce que soutient la requérante, le Conseil ne s’est pas contenté de déduire de la circonstance que la requérante est l’un des principaux promoteurs et constructeurs immobiliers en Biélorussie le fait qu’elle tire profit du régime du président Lukashenko et le soutient.

44      En effet, le Conseil fait valoir qu’il convient de considérer, en l’espèce, que, eu égard à l’environnement des affaires et à la réalité économique en Biélorussie, des activités de l’ampleur de celles de la requérante, laquelle est présentée par les actes attaqués comme « l’un des principaux promoteurs et constructeurs immobiliers en Biélorussie » qui a reçu des droits de promotion immobilière pour des parcelles de terrain pour le développement du centre Minsk World, ne sont pas possibles sans l’aval du régime du président Lukashenko. En outre, selon le Conseil, les avantages reçus par la requérante étaient destinés à faciliter la mise en œuvre d’un projet immobilier de grande ampleur revêtant une importance particulière pour le régime.

45      À cet égard, il y a lieu de constater que le fait d’être un des principaux promoteurs et constructeurs immobiliers en Biélorussie, pris isolément, ne suffit certes pas à établir que la requérante entretient de bons contacts avec les autorités publiques et que ses activités sont révélatrices d’une proximité avec le régime du président Lukashenko. Pour autant, cet aspect ne saurait être écarté dans l’appréciation d’ensemble des différents éléments pertinents qui justifieraient le fait que la requérante soit considérée comme une entité qui tire profit du régime du président Lukashenko ou le soutient (voir, par analogie, arrêt du 12 mai 2015, Ternavsky/Conseil, T‑163/12, non publié, EU:T:2015:271, point 121).

46      En l’espèce, le Conseil s’est appuyé notamment sur le fait que la requérante a reçu des droits de promotion immobilière pour des parcelles de terrain pour le développement du centre Minsk World, dont la construction était toujours en cours à la date de l’adoption des actes attaqués.

47      Or, concernant ledit centre, en premier lieu, il convient de relever que, contrairement à ce que prétend la requérante, même s’il s’agit d’un seul projet, son ampleur et son importance dans l’économie biélorusse ainsi que pour le régime sont des éléments pertinents dans l’appréciation du motif de maintien selon lequel, en tant que l’un des principaux promoteurs et constructeurs immobiliers en Biélorussie qui a reçu des droits de promotion immobilière pour des parcelles de terrain pour le développement du centre Minsk World, la requérante profite du régime du président Lukashenko et le soutient.

48      En effet, premièrement, il ressort de l’élément de preuve no 2 du document WK 750/2021 INIT que le centre Minsk World est un projet de très grande ampleur puisqu’il s’agit d’un centre multifonctionnel destiné à accueillir des infrastructures administratives, commerciales, socioculturelles, sportives et résidentielles, d’une superficie d’environ 300 hectares développé par la requérante sur des parcelles de terrain propriété de l’État biélorusse situées dans le centre-ville de Minsk (Biélorussie), sur la base d’un partenariat public-privé entre la requérante et le gouvernement biélorusse. Ceci est confirmé par la requérante qui indique que le centre Minsk World est un vaste projet de développement qui doit devenir le premier centre financier international de Biélorussie et que le développement de ce centre devait impliquer un investissement important d’au moins trois milliards de dollars des États-Unis (USD).

49      Deuxièmement, la requérante confirme que le centre Minsk World a une importance socio‑économique particulière en Biélorussie étant donné que des centaines d’entrepreneurs biélorusses participent à sa construction, que presque tous les équipements et matériaux de construction sont produits dans le pays et que la construction de ce centre est synonyme d’emplois garantis pour des dizaines de milliers de travailleurs spécialisés dans tout le pays.

50      Troisièmement,  plusieurs éléments de preuve attestent de l’importance que le centre Minsk World revêt pour le régime. Ainsi, à plusieurs reprises, en 2015 et 2019, le président Lukashenko lui-même a publiquement déclaré son appréciation de l’importance du centre Minsk World pour l’économie biélorusse ainsi que son appui pour l’entreprise de la requérante et plus particulièrement pour le centre Minsk Word que celle-ci développe.

51      En effet, il ressort de l’élément de preuve no 5 du document WK 13845/20 INIT présenté par le Conseil, à savoir un article de presse reprenant les déclarations du président Lukashenko faites lors d’une conférence de presse, que celui-ci a déclaré publiquement qu’il considérait Dana Holdings – qui est, selon la requérante, un nom commercial sous lequel elle exerce également ses activités – comme l’une des entreprises les plus performantes et probablement comme l’une des plus riches au monde pouvant réaliser des miracles.

52      Il ressort du même élément de preuve que le président Lukashenko a également affirmé qu’il avait donné à Dana Holdings l’instruction de créer ce qui est probablement la zone économique la plus avancée (peut-être la plus avancée d’Europe) – le centre Minsk World – où seront construits le centre financier et des espaces de bureaux, ou encore que des investisseurs du Moyen-Orient et d’Europe s’étaient déjà rendus sur place et étaient prêts à coopérer avec Dana Holdings.

53      De même, il ressort de l’élément de preuve no 10 du document WK 750/2021 INIT, consistant en un communiqué de presse publié sur le site Internet de l’agence de presse biélorusse officielle belta.by, que, en 2015, le président Lukashenko a déclaré publiquement que le centre Minsk World était un projet d’une importance particulière et qu’il n’était pas permis de rater l’achèvement de celui-ci. Lors de la même occasion, il a affirmé que « la partie biélorusse mettra tout en œuvre pour lever tous les freins et utilisera des réserves supplémentaires si nécessaire » aux fins de la mise en œuvre du centre Minsk World.

54      Or, vu la teneur de ces déclarations émanant du président Lukashenko lui-même, force est de constater que, contrairement à ce que prétend la requérante, ces déclarations attestent de l’appui dont elle bénéficie de la part du régime. En effet, lesdites déclarations non seulement font l’éloge des activités de la requérante, en particulier du développement du centre Minsk World, mais elles attestent, dans des termes dénués de toute ambiguïté, de l’engagement assumé par le président Lukashenko au nom des autorités publiques biélorusses de faciliter le développement dudit centre, lequel est développé, ainsi qu’indiqué au point 48 ci-dessus, dans le cadre d’un partenariat public-privé entre l’État biélorusse et la requérante.

55      Il découle des points 48 à 54 ci-dessus que la requérante développe effectivement le centre Minsk World et qu’il s’agit d’un projet de construction de très grande ampleur appuyé par le régime du président Lukashenko.

56      En second lieu, il y a lieu de constater que, pour faciliter le développement du centre Minsk World, la requérante a obtenu de la part du régime des avantages et privilèges qui sont, contrairement à ce qu’elle prétend, non seulement révélateurs de la proximité et de bons contacts qu’elle entretient avec le régime du président Lukashenko, mais qui démontrent également le profit qu’elle tire dudit régime.

57      Ainsi, conformément au décret présidentiel no 456 du 22 septembre 2014, relatif à la mise en œuvre du projet d’investissement du centre multifonctionnel Minsk-City, produit par le Conseil en tant qu’élément de preuve no 2 dans le document WK 750/2021 INIT, la requérante a été exonérée, entre autres, de la taxe foncière pour tout bien immobilier construit dans le cadre du centre Minsk World pendant toute la durée de la mise en œuvre de ce centre, de l’impôt sur les bénéfices liés à la vente des biens immobiliers construits dans le cadre dudit centre jusqu’au 1er janvier 2031, ainsi que des droits de douane pour les équipements, composants, pièces détachées et matériaux nécessaires à l’exécution du même centre jusqu’au 1er janvier 2028.

58      En outre, il ressort d’un communiqué de presse publié sur le site Internet du président de la République de Biélorussie, repris sur le site Internet de l’agence de presse biélorusse officielle belta.by et produit en tant qu’élément de preuve no 3 du document WK 750/2021 INIT, que, étant donné que le centre Minsk World risquait de ne pas pouvoir respecter les délais, la requérante s’est vu accorder, par le décret présidentiel no 370 du 20 octobre 2020, le droit d’approuver et de modifier la documentation relative à la conception du centre Minsk World sans devoir adapter l’ensemble du projet d’urbanisme de planification détaillée de la ville de Minsk, afin de réduire la durée de la mise au point de la documentation relative à la conception.

59      Il découle de ce qui précède que la requérante a bénéficié d’avantages octroyés par décrets présidentiels dont l’objectif était de faciliter la mise en œuvre d’un projet de très grande ampleur revêtant une importance particulière pour le régime.

60      Certes, la requérante soutient que, selon la législation biélorusse, les conditions qui lui ont été accordées pour le développement du centre Minsk World étaient appropriées pour un partenariat public-privé qui comporte un équilibre d’avantages et d’obligations entre l’investisseur et les autorités. Toutefois, il convient de constater qu’il ressort de l’avis juridique que la requérante a joint en tant qu’annexe A.7 à sa requête et sur lequel le Tribunal peut se fonder, conformément à la jurisprudence citée au point 34 ci-dessus, non seulement à décharge, mais également à charge, que les privilèges et avantages mentionnés ont été spécifiquement accordés à la requérante en tant que promoteur immobilier du centre Minsk World. En effet, il ressort dudit avis juridique, d’une part, que de tels privilèges et avantages n’étaient pas prévus par la législation générale à la date d’adoption du décret présidentiel no 456 du 22 septembre 2014 et, d’autre part, que, selon la législation biélorusse, seul le président Lukashenko pouvait approuver, par décret, l’octroi de tels privilèges et avantages fiscaux spécifiques à un investisseur comme la requérante.

61      Or, à ce dernier égard, il importe de souligner que même si, ainsi que la requérante le soutient, la législation biélorusse prévoit la possibilité pour le président de la République de Biélorussie d’accorder des avantages et des privilèges tels que ceux accordés à la requérante en l’espèce pour le développement du centre Minsk World, force est de constater qu’il ressort de l’avis juridique mentionné au point précédent que les pouvoirs du président Lukashenko en ce qui concerne l’opportunité d’accorder des avantages et des privilèges fiscaux, leur type, leur ampleur et leurs bénéficiaires sont discrétionnaires. En effet, ledit avis cite les dispositions du code fiscal biélorusse et notamment son article 3 selon lequel l’interdiction de déroger par actes législatifs aux dispositions dudit code ou d’étendre les pouvoirs qu’il confère à une autorité publique compétente ne s’applique pas aux actes du président de la République de Biélorussie, adoptés conformément à la Constitution de la République de Biélorussie dont l’article 85, cité dans le même avis juridique, dispose que « le président de la République de Biélorussie, sur la base de la Constitution et conformément à celle-ci, adopte des décrets et des ordonnances juridiquement contraignants sur l’ensemble du territoire de la République de Biélorussie ».

62      Quant à l’argument de la requérante tiré du fait qu’elle a été sélectionnée pour développer le centre Minsk World uniquement sur la base de ses mérites, il suffit de constater que cet argument n’est pas pertinent dès lors que le premier motif de maintien ne repose pas sur de telles considérations.

63      En effet, il convient d’observer que, à la différence du cas traité dans l’arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil (T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748), en l’espèce, les motifs de maintien du nom de la requérante sur les listes en cause ne visent pas le profit tiré du régime du président Lukashenko en raison de l’attribution de marchés et concessions publics par ce régime, mais en raison du fait que la requérante est un des principaux promoteurs et constructeurs immobiliers en Biélorussie qui développe le centre Minsk World sur des parcelles de terrain pour lesquelles elle a reçu des droits de promotion immobilière de la part des autorités biélorusses.

64      En outre et en tout état de cause, dans la présente affaire, le Conseil ne s’est pas contenté d’affirmer que la requérante tire profit ou soutient le régime du président Lukashenko compte tenu, de façon générale, des liens entre ce régime et les hommes d’affaires en Biélorussie, sans élément concret à l’appui de cette affirmation. En effet, ainsi qu’il ressort des points 48 à 54 et 56 à 61 ci-dessus, en l’espèce, il a été démontré que les droits de promotion immobilière pour des parcelles de terrain, propriétés de l’État, que la requérante a obtenus et le développement du centre Minsk World découlent des faveurs de la part du régime du président Lukashenko.

65      Enfin, concernant l’argument selon lequel, contrairement aux secteurs pétrolier ainsi que de l’exportation d’armes et d’équipements militaires, les secteurs de l’immobilier et de la construction en Biélorussie ne sont pas réglementés, il convient de constater que, même si les secteurs dans lequel opère la requérante ne sont pas soumis à un régime de licence, il est difficilement contestable que la requérante avait besoin des droits d’exploitation des parcelles de terrain, propriétés de l’État biélorusse, afin de développer le centre Minsk World et que ces droits ne pouvaient être obtenus qu’auprès du gouvernement.

66      Les éléments indiqués aux points 50 à 65 ci-dessus doivent être pris en considération également à la lumière des conditions dans lesquelles des activités économiques sont exercées en Biélorussie.

67      En effet, les pièces produites par le Conseil au sujet des conditions dans lesquelles des activités économiques sont exercées en Biélorussie peuvent être prises en compte dans le cadre de l’examen des éléments de preuve non pas de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent, conformément à la jurisprudence citée au point 33 ci-dessus.

68      Or, il ressort des éléments de preuve provenant de diverses sources produits par le Conseil, que, sous le régime du président Lukashenko, l’économie biélorusse se caractérise par le contrôle exercé par le régime tant sur le secteur public que sur le secteur privé et par un système qui récompense la loyauté envers le régime.

69      À cet égard, parmi les pièces figurant dans les documents WK 14796/2020 EXT 1 et WK 15436/2021 EXT 11, l’article publié sur le site Internet « cepa.org » daté du 30 juillet 2020, l’article publié sur le site Internet « naviny.belsat.eu » daté du 15 octobre 2015, l’article publié sur le site Internet « news.tut.by » daté du 13 décembre 2016, l’article publié sur le site Internet « en.belapan.by » daté du 9 juillet 2020, l’article publié sur le site Internet « russian.rt.com » le 22 mars 2016, l’article publié sur le site Internet « belsat.eu » et consulté le 3 janvier 2022 ainsi que l’article publié sur le site Internet « atlanticcouncil.org » daté du 13 octobre 2021, concordent sur le point que l’exercice d’activités économiques significatives n’est possible qu’avec l’aval du régime du président Lukashenko.

70      Certes, la requérante conteste les pièces figurant dans les documents WK 14796/2020 EXT 1 et WK 15436/2021 EXT 11 en faisant valoir, en substance, que ces éléments de preuve ne font aucune mention à elle ou à toute personne qui y serait associée. Par ailleurs, elle affirme que les relations entre l’« élite commerciale » biélorusse et le régime du président Lukashenko décrites dans le dossier WK 14796/2020 EXT 1 ne sont pas pertinentes à son égard dès lors qu’elle n’a été active que dans le secteur immobilier biélorusse et que son activité couvre les grands projets complexes de conception et de construction, généralement sous la forme de partenariats public‑privé. Or, aucun des articles ne ferait mention d’accords illicites avec le régime dans le cadre de ces projets.

71      Toutefois, parmi les articles susmentionnés, celui publié sur le site Internet « news.tut.by » mentionne que l’évolution du système politique autocratique en Biélorussie a produit son propre type d’hommes d’affaires étroitement associés aux autorités – les soi-disant « oligarques biélorusses » – dont la proximité avec le régime s’exprime, entre autres, par la participation à des projets rentables dans le cadre de partenariats public-privé. Enfin, l’article publié sur le site Internet « belsat.eu » produit par le Conseil dans le document WK 15436/2021 EXT 11 mentionne Dana Holdings – qui est, selon la requérante, un nom commercial sous lequel elle exerce également ses activités – comme l’une des entreprises dont les activités bénéficient de l’aval du régime.

72      Au vu de tout ce qui précède, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a considéré que la requérante tire profit du régime du président Lukashenko et le soutient dès lors qu’elle est l’un des principaux promoteurs et constructeurs immobiliers en Biélorussie qui développe encore actuellement le centre Minsk World sur des parcelles de terrain pour lesquelles elle a reçu des droits de promotion immobilière.

73      Cette conclusion n’est pas remise en cause par les autres arguments de la requérante.

74      En premier lieu, quant à l’allégation de la requérante selon laquelle le soutien au régime doit être nécessairement de nature financière ou matérielle, il y a lieu de relever qu’elle repose sur une lecture erronée de l’arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil (T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748). En effet, contrairement à ce que soutient la requérante, il ne ressort pas de cet arrêt que le Tribunal a considéré qu’une personne ou entité ne soutient le régime du président Lukashenko que si elle apporte un soutien financier ou matériel direct audit régime.

75      En effet, à la différence de la présente affaire, la motivation relative à M. Chyzh faisait explicitement et uniquement référence au soutien financier que ce dernier apportait au régime du président Lukashenko.

76      En outre, dans l’arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil (T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748), le Tribunal s’est limité à constater l’absence, dans le dossier du Conseil, d’éléments de preuve permettant d’étayer précisément cette allégation de soutien financier sans pour autant estimer que le critère mentionné au point 5 ci-dessus devrait être interprété en ce sens qu’il vise uniquement le soutien financier ou matériel apporté au régime du président Lukashenko. À cet égard, il importe de souligner qu’il ressort du considérant 6 de la décision 2012/642 que le Conseil a estimé que, compte tenu de la gravité de la situation en Biélorussie, il convenait d’étendre les mesures restrictives imposées à l’encontre de ce pays aux personnes qui soutiennent le régime du président Lukashenko, « en particulier les personnes […] le soutenant financièrement ou matériellement ». Il en découle que la notion de « soutien au régime » au sens du critère mentionné au point 5 ci-dessus ne recouvre pas seulement le soutien financier ou matériel au régime du président Lukashenko, mais qu’elle vise toute forme de soutien à ce dernier.

77      Or, dans la présente affaire, eu égard à l’ampleur et au prestige du centre Minsk World pour le régime, confirmés par les déclarations publiques du président Lukashenko lui-même (voir points 51 à 53 ci-dessus), ainsi que l’importance particulière de ce centre pour l’économie biélorusse, soulignée, ainsi qu’indiqué au point 49 ci-dessus, par la requérante elle-même, force est de constater, à l’instar du Conseil, que ces éléments attestent d’un soutien au régime du président Lukashenko.

78      En second lieu, la circonstance, selon laquelle à partir du 1er juillet 2022, la requérante aurait été inscrite par le régime du président Lukashenko sur la liste des personnes morales considérées hostiles audit régime ne saurait être retenue comme pertinente dès lors qu’elle témoigne manifestement d’un prétendu changement de la situation de la requérante intervenu postérieurement à l’adoption des actes attaqués. Or, la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l’acte a été adopté (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2021, Al-Tarazi/Conseil, T‑260/19, non publié, EU:T:2021:187, point 69 et jurisprudence citée).

79      Il résulte de ce qui précède que le premier motif de maintien du nom de la requérante sur les listes en cause, selon lequel la requérante est l’un des principaux promoteurs et constructeurs immobiliers en Biélorussie qui développe le centre Minsk World, qu’elle présente comme le plus grand investissement de ce type en Europe, sur des parcelles de terrain pour lesquelles elle a reçu des droits de promotion immobilière et à ce titre elle tire profit du régime du président Lukashenko et le soutient, est étayé à suffisance de droit. En outre, en vertu de la jurisprudence citée au point 36 ci-dessus, le constat que ce motif est étayé à suffisance de droit suffit à rejeter le moyen unique invoqué par la requérante sans qu’il soit besoin d’examiner les autres arguments qu’elle a invoqués et qui sont dirigés contre les deuxième et troisième motifs justifiant le maintien de mesures restrictives à son encontre puisque la circonstance que ceux-ci ne seraient pas étayés ne saurait emporter l’annulation des actes attaqués.

80      Partant, le recours doit être rejeté.

 Sur les dépens

81      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

82      En l’espèce, dès lors que la requérante a succombé, il convient de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Dana Astra IOOO est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

Svenningsen

Laitenberger

Stancu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 juin 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.