Language of document : ECLI:EU:T:2011:529

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (troisième chambre)

23 septembre 2011 (*)

« Recours en annulation – Refus de la Commission d’agir à l’encontre d’un État membre en raison d’une prétendue violation de l’article 106 TFUE – Absence d’acte attaquable – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑568/10,

Vivendi, établie à Paris (France), représentée par Mes O. Fréget, J.-Y. Ollier, M. Struys et L. Eskenazi, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. B. Mongin et N. von Lingen, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision que contiendrait la lettre de la Commission du 1er octobre 2010 par laquelle celle-ci a communiqué à la requérante son refus de poursuivre l’examen de la plainte déposée le 2 mars 2009 en vue de l’ouverture d’une procédure en manquement en application de l’article 226 CE pour violation par la République française de la directive 2002/77/CE de la Commission, du 16 décembre 2002, relative à la concurrence dans les marchés des réseaux et des services de communications électroniques (JO L 249, p. 21), et, en conséquence, de l’article 86, paragraphe 1, CE par l’octroi d’un avantage réglementaire à France Télécom,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de M. O. Czúcz (rapporteur), président, Mme I. Labucka et M. D. Gratsias, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

1        Le 2 mars 2009, la requérante, Vivendi, et une de ses filiales ont déposé une plainte devant la Commission des Communautés européennes contre la République française.

2        Dans leur plainte, elles affirmaient que la République française avait manqué aux obligations qui lui incombaient au titre de l’article 2 de directive 2002/77/CE de la Commission, du 16 septembre 2002, relative à la concurrence dans les marchés des réseaux et des services de communications électroniques (JO L 249, p. 21), et, de ce fait, violé l’article 86 CE en accordant un avantage réglementaire à France Télécom.

3        Elles priaient la Commission, « conformément à l’article 226 […] CE, de demander à la République française de mettre un terme à ses infractions et d’adopter les mesures nécessaires afin de permettre un rétablissement du marché dans la situation [qui] aurait existé si l’avantage réglementaire […] n’avait pas été accordé ».

4        Par lettre du 1er octobre 2010, la requérante a été informée du fait que la Commission avait, le 30 septembre 2010, décidé de ne pas poursuivre l’examen de la plainte au motif que les éléments fournis ne semblaient pas justifier l’ouverture d’une procédure en infraction contre la République française pour non-respect du droit communautaire (ci-après l’« acte attaqué »).

 Procédure et conclusions des parties

5        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 décembre 2010, la requérante a introduit le présent recours.

6        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 25 mars 2011, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal. La requérante a déposé ses observations sur cette exception d’irrecevabilité le 17 mai 2011.

7        Par actes déposés au greffe du Tribunal, respectivement le 15 avril et le 26 avril 2011, la République française et France Télécom ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission.

8        La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’acte attaqué ;

–        condamner la Commission aux dépens.

9        La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

10      Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, la requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal de déclarer le recours recevable.

 En droit

11      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par l’examen des pièces du dossier pour statuer sur la demande présentée par la Commission sans ouvrir la procédure orale.

12      La Commission fait valoir que le recours doit être rejeté comme irrecevable dès lors que l’acte attaqué ne constituerait pas un acte attaquable. Elle soutient que, selon la jurisprudence, une décision de ne pas entamer de procédure en manquement en vertu de l’article 258 TFUE ou de ne pas adopter une décision ou une directive adressée à un État membre en vertu de l’article 106, paragraphe 3, TFUE n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation.

13      La requérante ne conteste pas que le refus de la Commission d’ouvrir une procédure en manquement contre un État membre ne constitue pas un acte attaquable, mais soutient que son recours est recevable, dès lors que, dans sa plainte, elle invitait également la Commission à agir en vertu de l’article 86, paragraphe 3, CE.

14      Dans ce cadre, elle soutient qu’il ne saurait être considéré qu’un recours contre un refus de la part de la Commission d’agir en vertu de l’article 106, paragraphe 3, TFUE est irrecevable par principe et que, en tout état de cause, cela ne saurait être le cas en l’espèce.

15      S’agissant, en premier lieu, de la recevabilité d’un recours introduit contre un refus de la Commission d’agir en vertu de l’article 106, paragraphe 3, TFUE, la requérante fait valoir, d’une part, que, selon la jurisprudence, un particulier peut se trouver dans une situation exceptionnelle lui conférant la qualité pour agir et, d’autre part, qu’il ne saurait être considéré qu’un tel refus ne constitue pas un acte attaquable dès lors que la Commission serait tenue de prendre position dans un sens déterminé lorsqu’elle est saisie d’une plainte fondée sur l’article 106, paragraphe 3, TFUE. Elle se réfère à cet égard au libellé, en particulier celui en langue anglaise, de cette disposition, ainsi que, notamment, à la jurisprudence admettant la recevabilité des recours introduits par des particuliers concernant l’application des articles 81 CE, 82 CE et 87 CE. Elle ajoute que considérer que la Commission n’est pas tenue de prendre position dans un sens déterminé lorsqu’elle est saisie d’une plainte fondée sur l’article 106, paragraphe 3, TFUE serait contraire au principe de cohérence des politiques de l’Union européenne prévu par l’article 7 TFUE – aux termes duquel « [l]’Union veille à la cohérence entre ses différentes politiques et actions, en tenant compte de l’ensemble de ses objectifs » – et que l’irrecevabilité de principe d’un recours comme le sien serait contraire au droit à un recours juridictionnel effectif consacré par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (JO 2007, C 303, p. 1).

16      Il convient de relever que, dans son arrêt du 22 février 2005, Commission/max.mobil (C‑141/02 P, Rec. p. I-1283, point 69), la Cour a jugé que le refus de la Commission d’agir en vertu de l’article 86, paragraphe 3, CE à la suite d’une plainte introduite par un particulier contre un État membre ne constituait pas un acte attaquable, dès lors que, la Commission n’étant pas tenue d’engager une action au sens de ladite disposition, les particuliers ne peuvent exiger qu’elle prenne position dans un sens déterminé. La Cour a, par ailleurs, considéré que, le refus d’agir ne constituant pas un acte attaquable, la circonstance que la partie requérante aurait un intérêt direct et individuel à l’annulation de ce refus n’est pas de nature à lui ouvrir un droit à contester cette décision (arrêt Commission/max.mobil, précité, point 70).

17      Il ressort, d’une part, de cette dernière affirmation de la Cour que, contrairement à ce que prétend la requérante, il n’y a pas lieu d’examiner si celle-ci satisfait aux exigences de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE et, par conséquent, qu’il n’est pas nécessaire de vérifier si elle se trouve dans une situation exceptionnelle au sens de l’arrêt de la Cour du 20 février 1997, Bundesverband der Bilanzbuchhalter/Commission (C‑107/95 P, Rec. p. I‑947, point 25).

18      Il ressort, d’autre part, tant des termes mêmes de l’arrêt Commission/max.mobil, point 16 supra (points 69 et 71) que du contexte où il a été rendu que la Cour a considéré que cette solution résultait du libellé de la disposition du traité en cause, dont les termes n’ont pas été modifiés par l’article 106, paragraphe 3, TFUE, et qu’elle ne contredisait pas sa jurisprudence antérieure concernant la recevabilité de recours visant des violations d’autres dispositions du traité ni ne donnait lieu, par conséquent, à des incohérences.

19      Dans ces circonstances, il convient de rejeter les arguments de la requérante tirés des termes de l’article 106, paragraphe 3, TFUE et de la jurisprudence concernant l’application des articles 81 CE, 82 CE et 87 CE. Il convient également de rejeter l’argument de la requérante selon lequel il y aurait lieu de considérer que la Commission est tenue de prendre position dans un sens déterminé lorsqu’elle est saisie d’une plainte fondée sur l’article 106, paragraphe 3, TFUE afin d’éviter des contradictions qui seraient contraires au principe de cohérence des politiques de l’Union prévu par l’article 7 TFUE. En outre, la charte des droits fondamentaux s’étant limitée, en ce qui concerne le droit à un recours effectif, à consacrer le principe général du droit reconnu et appliqué déjà par la jurisprudence (arrêt de la Cour du 9 février 2006, Sfakianakis, C‑23/04 à C‑25/04, Rec. p. I‑1265, point 28, et arrêt du Tribunal du 27 juin 2000, Salamander e.a./Parlement et Conseil, T‑172/98, T‑175/98 à T‑177/98, Rec. p. II‑2487, point 78) et la Cour ayant considéré dans son arrêt Commission/max.mobil, point 16 supra (point 72), en substance, que l’interprétation qu’elle avait retenue ne se heurtait pas à ce principe, le fait que ladite charte ait désormais la même valeur juridique que les traités, conformément à l’article 6 TUE, ne saurait avoir pour effet d’exiger une solution différente en l’espèce.

20      S’agissant, en second lieu, des arguments de la requérante visant à démontrer que, en tout état de cause, son recours devrait être déclaré recevable, il convient de distinguer deux séries d’arguments.

21      D’une part, la requérante rappelle que, par sa plainte, elle dénonçait une violation par la République française de la directive 2002/77, adoptée en vertu de l’article 86, paragraphe 3, CE, et soutient que cette circonstance est pertinente pour l’examen de la recevabilité de son recours. Elle soutient à cet égard que seule une décision prise sur la base de l’article 106, paragraphe 3, TFUE serait de nature à mettre un terme à la violation dénoncée – notamment en raison de la lenteur de la procédure nationale et de la partialité des autorités nationales – et que, par conséquent, la Commission était tenue de se livrer à un examen au moins aussi approfondi que celui qu’elle effectue des plaintes relatives à des violations des articles 101 TFUE et 102 TFUE. Elle ajoute que la Commission s’est engagée, en adoptant la directive 2002/77, à appliquer son devoir de surveillance active du comportement des États membres et que, par conséquent, elle était tenue d’agir. Elle estime que nier l’obligation de la Commission de prendre position dans un sens déterminé lorsqu’il s’agit, comme ce serait le cas en l’espèce, notamment d’atteintes qui compromettent la mise en œuvre des directives sectorielles donnerait lieu à une incohérence incompatible avec l’article 7 TFUE.

22      Premièrement, il convient d’écarter l’argument de la requérante selon lequel seule une décision de la Commission prise sur la base de l’article 106, paragraphe 3, TFUE serait de nature à mettre un terme à la violation dénoncée, dès lors que les délais de jugement et l’absence d’impartialité des autorités nationales impliqueraient qu’aucune autorité nationale n’est en mesure de prendre une décision ayant une portée équivalente. Il y a lieu d’observer que, si la requérante estime que la procédure nationale permettant aux particuliers d’exiger le respect de la directive 2002/77 présente des déficiences, il lui revient de soulever ces griefs devant le juge national compétent pour connaître du recours contre les décisions des autorités administratives nationales.

23      Deuxièmement, il ne saurait non plus être considéré que, en raison de l’adoption de cette directive, la Commission est tenue d’agir en vertu de l’article 106, paragraphe 3, TFUE à la suite d’une plainte. En effet, par l’adoption de cette directive, la Commission a précisé la manière dont l’article 86, paragraphe 1, CE devait être appliqué dans le secteur visé, facilitant ainsi son respect par les États membres et le contrôle de ceux-ci par leurs juridictions nationales respectives. Elle ne s’est pas, en revanche, engagée à effectuer dans le domaine en cause une surveillance particulière et encore moins à agir dès qu’un particulier se plaint d’une prétendue violation de ladite directive. Par ailleurs, ainsi qu’il ressort des points 18 et 19 ci-dessus, le fait que la Commission n’est pas obligée d’agir contre un État membre à la suite d’une plainte dénonçant une prétendue violation ne saurait être incohérent avec d’autres politiques de l’Union.

24      D’autre part, la requérante soutient que, à la différence de ce qui était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Commission/max.mobil, point 16 supra, l’acte attaqué n’exprime pas une simple position quant à l’opportunité pour la Commission d’engager une procédure à l’encontre de la République française, mais rejette la plainte au fond et, par conséquent, produit des effets juridiques à l’égard dudit État membre en ce que celui-ci serait assuré de ne pas faire l’objet de mesures prises par la Commission. L’acte attaqué aurait également des effets juridiques en ce que la Commission aurait modifié la portée du cadre réglementaire et serait en contradiction avec un arrêt de la Cour de cassation française du 14 décembre 2010 qui a constaté la même violation de la directive 2002/77 que celle que la requérante invoquait dans sa plainte. Elle soutient que, dès lors, la position de tout opérateur qui chercherait à faire valoir ses droits se trouve très fragilisée et tributaire de la décision difficile d’un juge national de choisir entre la Cour de cassation et la Commission.

25      À cet égard, il y a lieu de relever qu’il ressort de l’arrêt Commission/max.mobil, point 16 supra (point 70) que la position de la Cour quant à la qualification de l’acte en cause n’a pas été déterminée par le libellé de cet acte, mais exclusivement par le fait que la partie requérante n’avait pas droit à ce que la Commission prenne position dans un sens déterminé. Dans ces circonstances, il apparaît que, quand bien même la Commission se serait exprimée dans l’acte attaqué en des termes différents de ceux utilisés dans l’acte en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, cela n’aurait pas d’incidence sur la pertinence dudit arrêt pour la présente affaire.

26      Par ailleurs, il ne saurait être affirmé que la République française a l’assurance de ne pas faire l’objet d’une mesure de la Commission en application de l’article 106, paragraphe 3, TFUE en ce qui concerne les faits dénoncés par la plainte, dès lors que c’est précisément parce que l’acte attaqué n’a pas d’effets juridiques que la Commission est libre de revenir sur l’avis qui y est exprimé. En tout état de cause, il ne saurait être affirmé que, par ledit acte, adressé exclusivement à la requérante, la Commission a pu modifier le cadre réglementaire applicable. Il ne saurait non plus être affirmé que le juge national est confronté à la décision difficile de choisir entre suivre la jurisprudence de la Cour de cassation et suivre l’avis de la Commission, dès lors que, l’acte attaqué n’étant même pas un acte attaquable, il ne saurait lier le juge national qui sera, dès lors, uniquement tenu de respecter l’arrêt de la Cour de cassation dans la mesure prévue par le droit national.

27      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que l’acte attaqué ne constitue pas un acte attaquable. Le recours doit donc être rejeté comme irrecevable.

28      Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes en intervention de la République française et de France Télécom au soutien des conclusions de la Commission (ordonnance de la Cour du 5 juillet 2001, Conseil national des professions de l’automobile e.a./Commission, C‑341/00 P, Rec. p. I‑5263, points 33 à 37).

 Sur les dépens

29      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes en intervention de la République française et de France Télécom.

3)      Vivendi supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

Fait à Luxembourg, le 23 septembre 2011.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      O. Czúcz


* Langue de procédure : le français.