Language of document : ECLI:EU:T:1999:49

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

11 mars 1999 (1)

«Traité CECA — Concurrence — Accords entre entreprises, décisions d'associations d'entreprises et pratiques concertées — Fixation des prix — Répartition des marchés — Systèmes d'échange d'informations»

Dans l'affaire T-145/94,

Unimétal - Société française des aciers longs SA, ayant son siège social à Rombas (France) représentée par Mes Antoine Winckler et Caroline Levi, avocats au barreau respectivement de Paris et de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Mes Elvinger & Hoss, 15, Côte d'Eich,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM. Julian Currall, membre du service juridique, et Géraud Sajust de Bergues, fonctionnaire national détaché auprès de la Commission, puis par MM. Jean-Louis Dewost, directeur général du service juridique, Julian Currall, et Guy Charrier, fonctionnaire national détaché auprès de la Commission, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet principal une demande d'annulation de la décision 94/215/CECA de la Commission, du 16 février 1994, relative à une procédure d'application de l'article 65 du traité CECA concernant des accords et pratiques concertées impliquant des producteurs européens de poutrelles (JO L 116, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),

composé de MM. C. W. Bellamy, faisant fonction de président, A. Potocki et J. Pirrung, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale des 23, 24, 25, 26 et 27 mars 1998,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du recours

A — Observations liminaires

1.
    Le présent recours tend à l'annulation de la décision 94/215/CECA de la Commission, du 16 février 1994, relative à une procédure d'application de l'article 65 du traité CECA concernant des accords et pratiques concertées impliquant des producteurs européens de poutrelles (JO L 116, p. 1, ci-après «Décision»), par laquelle elle a constaté la participation de 17 entreprises sidérurgiques européennes et d'une de leurs associations professionnelles à une série d'accords, de décisions et de pratiques concertées de fixation des prix, de répartition des marchés et d'échange d'informations confidentielles sur le marché communautaire des poutrelles, en violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA, et a infligé des amendes à quatorze entreprises de ce secteur pour des infractions commises entre le 1er juillet 1988 et le 31 décembre 1990.

2.
    D'après la Décision, Unimétal - Société française des aciers longs SA (ci-après «Unimétal») est le plus important fabricant de produits longs du groupe français Usinor Sacilor, dont elle est filiale à 100 %. En 1990, son chiffre d'affaires était de 6 896 millions de FF, dont 1 164 millions de FF, soit 168 millions d'écus pour les ventes de poutrelles dans la Communauté. Usinor Sacilor SA (ci-après «Usinor Sacilor») est un holding d'État qui coiffe la majorité des sociétés françaises

productrices d'acier, et le deuxième producteur d'acier au monde. En 1990, son chiffre d'affaires consolidé était de 96 053 millions de FF.

3.
    Dix autres destinataires de la Décision ont également introduit un recours devant le Tribunal, à savoir NMH Stahlwerke GmbH (ci-après «NMH», affaire T-134/94), Eurofer ASBL (ci-après «Eurofer», affaire T-136/94), ARBED SA (ci-après «ARBED», affaire T-137/94), Cockerill-Sambre SA (ci-après «Cockerill-Sambre», affaire T-138/94), Thyssen Stahl AG (ci-après «Thyssen», affaire T-141/94), Krupp Hoesch Stahl AG (ci-après «Krupp Hoesch», affaire T-147/94), Preussag Stahl AG (ci-après «Preussag», affaire T-148/94), British Steel plc (ci-après «British Steel», affaire T-151/94), Siderúrgica Aristrain Madrid SL (ci-après «Aristrain», affaire T-156/94) et Empresa Nacional Siderúrgica SA (ci-après «Ensidesa», affaire T-157/94).

4.
    Les onze affaires ayant été jointes aux fins de l'instruction et de la procédure orale par ordonnance du Tribunal du 10 décembre 1997, il sera fait référence, dans le présent arrêt, à un certain nombre de documents produits dans les affaires parallèles. De même, les requérantes dans ces affaires ayant soulevé certains arguments dans le cadre d'une plaidoirie commune à l'audience, il sera fait référence aux «requérantes».

B — Relations entre l'industrie sidérurgique et la Commission entre 1970 et 1990

Crise des années 70 et création d'Eurofer

5.
    A partir de 1974, une chute de la demande engendrant des problèmes d'offre excédentaire et de surcapacités, ainsi qu'un faible niveau des prix, a durement frappé la sidérurgie européenne.

6.
    Le 1er janvier 1977, la Commission a adopté, en vertu de l'article 46 du traité CECA, le «plan Simonet», dans le cadre duquel chaque entreprise devait prendre des engagements volontaires unilatéraux d'adapter ses fournitures aux niveaux proposés dans les programmes prévisionnels qui sont publiés chaque trimestre, conformément à l'article 46, troisième alinéa, sous 2), du traité. Ce système n'ayant pas permis de stabiliser le marché, il a été remplacé en 1978 par le «plan Davignon», qui ajoutait, notamment, aux engagements volontaires unilatéraux la fixation de prix d'orientation et de prix minimaux (accord dit «Eurofer I»).

7.
    Les engagements volontaires unilatéraux des entreprises envers la Commission étaient préalablement discutés entre elles au sein de l'association professionnelle Eurofer, dont la Commission avait encouragé la création en 1977. En réalité, la Commission s'est très largement appuyée sur Eurofer pour gérer la crise de la sidérurgie, au point qu'une lettre du membre de la Commission M. Davignon au président d'Eurofer du 13 juillet 1978 se réfère à «la gestion en commun de

l'anticrise pour laquelle Commission et producteurs ont opté» (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 2).

Régime des quotas instauré de 1980 à 1988

8.
    La situation du marché sidérurgique ayant continué à se détériorer, la Commission a adopté la décision n° 2794/80/CECA, du 31 octobre 1980, instaurant un régime de quotas de production d'acier pour les entreprises de l'industrie sidérurgique (JO L 291, p. 1, ci-après «décision n° 2794/80»). Par cette décision, la Commission constatait un état de crise manifeste au sens de l'article 58 du traité CECA et imposait des quotas de production obligatoires pour la plupart des produits sidérurgiques, y compris les poutrelles.

9.
    Ce régime de crise peut être décrit de la manière suivante. La Commission fixait un objectif trimestriel de production communautaire pour les différentes catégories de produits, puis attribuait à chaque entreprise un quota de production ainsi qu'un quota de livraison au niveau communautaire (quotas «I»). En outre, il était convenu que chaque entreprise se voyait attribuer un quota de livraison pour chacun des marchés nationaux (quotas «i»). C'est Eurofer qui était chargée de la répartition du quota «I» de chaque entreprise en quotas «i», dans le cadre des accords Eurofer II à Eurofer V. Le cas échéant, la Commission intervenait en cas de différend entre entreprises (voir l'arbitrage rendu par M. Davignon le 2 juin 1982 à l'égard des quotas «i» d'Italsider, appendice 3, document 11 à la requête T-151/94).

10.
    Il importe également de relever que les membres de la Commission MM. Davignon et Andriessen ont, par une lettre du 17 janvier 1983 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 6), adressé une mise en garde à Eurofer, qui se lit comme suit:

«La Commission apprécie la coopération que les entreprises et leurs associations ont apportée à la réussite des mesures anticrise, y compris en matière de politique des prix. Elle considère cette coopération comme un élément essentiel de sa politique sidérurgique et en souhaite la continuation.

Toutefois, elle attire l'attention des associations, et notamment d'Eurofer, sur le fait que celles-ci doivent exercer leurs activités en respectant strictement le cadre et les limites stipulés par l'article 48 du traité CECA.

La Commission tient à préciser qu'elle ne pourra pas accepter que les entreprises sidérurgiques ou leurs associations anticipent ou détournent les décisions que la Commission prendra dans l'élaboration de la politique de prix, ni que les mesures prises par elle et les recommandations qu'elle formule dans le cadre de sa politique anticrise soient utilisées comme prétexte à conclure des ententes ou à adopter des décisions contraires au traité. De telles ententes ou décisions tomberaient sous le

coup de l'article 65, seraient nulles de plein droit et devraient être poursuivies par la Commission.

[...]»

11.
    Le président d'Eurofer a, par une lettre du 8 février 1983, répondu à MM. Davignon et Andriessen en ces termes (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 7):

«Nous voudrions [...] vous rappeler que, dans le domaine quantitatif, les accords de restriction de production et de livraisons ont été conclus à la demande pressante de la Commission européenne et du Conseil. Votre Commission est tenue informée de tous les détails de leur fonctionnement, et nous sommes bien décidés à continuer d'agir de la sorte.

Dans le domaine des prix, la Commission et le Conseil n'ont cessé d'insister sur la nécessité d'un relèvement destiné à permettre aux entreprises sidérurgiques d'obtenir des recettes suffisantes [...]

Votre Commission est informée scrupuleusement de tous les efforts réalisés en vue d'aboutir à l'objectif qu'elle s'est fixé, et nous sommes décidés à continuer dans cette voie dans l'avenir.

Dans ces conditions, nous comptons que, si notre activité devait un jour risquer de dépasser l'interprétation que la Commission donne aux dispositions du traité de Paris, vous nous en ferez immédiatement part.»

12.
    L'état de crise manifeste s'étant durablement installé, les mesures de quotas adoptées par la Commission ont été prorogées et complétées à diverses reprises, notamment par l'adoption d'un système de prix minimaux pour les poutrelles et d'autres produits, entre 1984 et 1986 (décision n° 3715/83/CECA de la Commission, du 23 décembre 1983, fixant des prix minimaux pour certains produits sidérurgiques, JO L 373, p. 1). La Commission a en outre adopté la décision n° 3483/82/CECA, du 17 décembre 1982, relative à l'obligation pour les entreprises de la Communauté de déclarer leurs livraisons de certains produits sidérurgiques (JO L 370, p. 1, ci-après «décision n° 3483/82»), instaurant un «système de surveillance», dans le cadre duquel chaque entreprise était tenue de lui déclarer ses fournitures par pays.

13.
    Au début de l'année 1984, la Commission a renforcé le système des quotas en adoptant la décision n° 234/84/CECA, du 31 janvier 1984, prorogeant le régime de surveillance et de quotas de production de certains produits pour les entreprises de l'industrie sidérurgique (JO L 29, p. 1, ci-après «décision n° 234/84»). Le neuvième considérant de cette décision se réfère à une déclaration du Conseil du 22 décembre 1983, selon laquelle «la stabilité des flux traditionnels des produits

sidérurgiques dans la Communauté est un élément essentiel qui doit être préservé pour que la restructuration du secteur sidérurgique s'effectue dans un contexteconcurrentiel compatible avec la solidarité imposée par le système des quotas de production». En conséquence, l'article 15 B de ladite décision prévoit, au cas où un État membre déposerait une plainte à ce sujet, que la Commission, après avoir vérifié le bien-fondé de cette plainte, obtienne des entreprises qui auraient été à l'origine des perturbations constatées qu'elles prennent l'engagement écrit de compenser, au cours du trimestre suivant, le déséquilibre dans leurs livraisons traditionnelles. Au cas où une entreprise ne voudrait pas se soumettre à ce principe de solidarité, la Commission pourra réduire la partie de ses quotas pouvant être livrée sur le marché commun.

14.
    La politique de stabilité des flux traditionnels et les efforts en vue de maintenir les prix à un niveau acceptable ont fait l'objet de plusieurs échanges entre la Commission et Eurofer, et notamment:

—    une note d'Eurofer du 2 juillet 1984, relatant les explications fournies lors d'une rencontre entre des représentants de la Commission et de l'industrie, qui s'est tenue à Bruxelles le 27 juin 1984 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 8), qui précise, à propos de la mise en oeuvre de l'article 15 B de la décision n° 234/84:

    «La Commission a établi le système de l'article 15 B en réponse à la préoccupation des gouvernements nationaux. Il ne peut en aucune façon remplacer le système du petit 'i‘ de l'accord Eurofer IV. Au contraire, la Commission a besoin d'Eurofer pour les estimations de marché et pour le règlement de tous les détails. Sans Eurofer, la Commission serait en extrême difficulté [...] Généralement parlant, la Commission s'intéresse seulement à l'analyse générale de la situation, sans entrer dans les détails secondaires [...] Pour l'avenir, la Commission est disposée à envisager un système à base de quotas, mais elle aurait alors besoin du soutien total d'Eurofer»;

—    le compte rendu d'une réunion Commission-Eurofer du 16 décembre 1985, en présence du membre de la Commission M. Narjes (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 10), qui indique, à propos des flux traditionnels:

    «La Commission a exprimé sa profonde préoccupation concernant les développements récents du marché. Elle a regretté qu'Eurofer V n'ait pas encore été conclu et elle a souligné la responsabilité des producteurs en ce qui concerne les prix [...] La Commission a exhorté les participants à réexaminer les modes de coopération entre eux, vu qu'elle considère qu'Eurofer a joué un rôle essentiel dans la mise en oeuvre de l'article 58. Elle a l'intention de définir les critères d'application de l'article 15 B

aussitôt que possible, afin de faire face à la situation au cas où Eurofer échouerait, ou de faciliter un arrangement privé»;

—    le compte rendu d'une réunion entre M. Narjes et Eurofer du 10 mars 1986 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 13), qui indique, à propos du marché espagnol:

    «Narjes a rappelé la décision de la Commission concernant la limitation des livraisons à l'Espagne [...] En ce qui concerne le partage du fardeau, il était favorable à un accord interne entre les producteurs d'Eurofer»;

—    le compte rendu d'une réunion entre M. Narjes et les délégués d'Eurofer du 16 mai 1986 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 14), qui indique:

    «La Commission a insisté sur la nécessité d'harmoniser rapidement les prix publiés dans la Communauté au même niveau et d'éviter les différences entre les prix publiés et les prix du marché. Les rabais sectoriels devraient correspondre à la réalité. Confirmation a été donnée de ce que l'industrie sidérurgique française était prête à augmenter les prix, mais aussi de la nécessité du soutien des pénétrants à cet égard. Eurofer a exprimé l'espoir que l'accord Eurofer V constitue la base adéquate d'un rétablissement général des prix.»

15.
    A la même époque, la Commission a conclu une série d'accords internationaux avec le royaume de Suède, le royaume de Norvège et la république de Finlande, destinés à assurer la stabilité des flux traditionnels des échanges entre ces pays et la Communauté (système dit des «arrangements»): voir les lettres de la Commission, déposées à l'audience par les parties, aux autorités suédoises des 4 mars 1986, 13 février 1987 et 21 janvier 1988, aux autorités norvégiennes des 4 mars 1986, 11 mars 1987 et 10 février 1988, et aux autorités finlandaises des 4 mars 1986, 10 avril 1987 et 12 février 1988, échangées respectivement dans le cadre de l'accord du 22 juillet 1972 entre les États membres de la Communauté européenne du charbon et de l'acier et la Communauté européenne du charbon et de l'acier, d'une part, et le royaume de Suède, d'autre part (JO 1973, L 350, p. 76), de l'accord du 14 mai 1973 entre les États membres de la Communauté européenne du charbon et de l'acier et la Communauté européenne du charbon et de l'acier, d'une part, et le royaume de Norvège, d'autre part (JO 1974, L 348, p. 17), et de l'accord du 5 octobre 1973 entre les États membres de la Communauté européenne du charbon et de l'acier et la Communauté européenne du charbon et de l'acier, d'une part, et la république de Finlande, d'autre part (JO 1974, L 348, p. 1).

16.
    Un arrangement semblable a été appliqué au royaume d'Espagne, pour une période transitoire de trois ans, par le protocole numéro 10 à l'acte d'adhésion. La

Commission a ainsi fixé, pour chacune des années 1986, 1987 et 1988, le niveau des livraisons de produits sidérurgiques d'origine espagnole sur les marchés communautaires, à l'exception du Portugal. L'application de ces mesures transitoires spécifiques a pris fin le 31 décembre 1988.

Événements précédant la fin du régime de crise manifeste, le 30 juin 1988

17.
    La Commission a commencé à préparer la sortie du régime de crise et le retour à des conditions normales de marché dès 1985. Un document rédigé par les services de la direction générale Marché intérieur et affaires industrielles de la Commission (DG III) dans le courant de l'année 1985 (document III/534/FR, requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 5) rappelle: «Le système des quotas était largement basé sur le système volontaire qui avait été géré par Eurofer» et souligne: «[Il importe] qu'un accord sur le futur soit conclu avant la moitié de l'année à venir car, si cela n'est pas fait, il y aura une bataille pour les parts de marché pendant la seconde moitié de l'année, qui pourrait bien avoir des effets désastreux sur les prix et sur les bénéfices des entreprises.» Ce document conclut: «Eurofer doit dès lors être encouragée à accepter ses responsabilités et à formuler ses propositions quant à la façon dont l'industrie sidérurgique devrait émerger d'une période de protection pour entrer dans des conditions de libre marché.»

18.
    Dans sa communication au Conseil sur l'introduction d'un système de quotas sur la base de l'article 58 du traité CECA après le 31 décembre 1985 [COM(85) 509, annexe 14 à la requête], la Commission décrit en détail une période transitoire avant le retour au jeu normal de la concurrence. Estimant que le pire de la crise est pratiquement passé, elle conclut que:

«La restructuration de l'industrie sidérurgique communautaire n'est pas encore achevée. [...] Une période de transition est donc nécessaire. Limitée à un maximum de trois ans, elle permettra à l'industrie de passer progressivement des contrôles extrêmement rigides actuellement appliqués à un marché pleinement concurrentiel, en accord avec les objectifs du traité CECA. [...] Le système des quotas proposé à partir du 1er janvier 1986 [...] sera le dernier avant le retour à un marché concurrentiel. [...] La Commission n'entend pas inclure dans la prochaine décision les dispositions de l'article 15 B de la décision 234/84/CECA dans leur forme actuelle. [...] D'un autre côté, elle a l'intention de poursuivre, pendant la première phase de la période de transition, la surveillance statistique des flux de produits sidérurgiques entre les États membres, sur la base des certificats de production et des documents d'accompagnement. Ces documents permettront de contrôler si les flux traditionnels entre États membres font l'objet de perturbations sérieuses. Au cas où la surveillance statistique montrerait que les flux sont perturbés, la Commission examinerait immédiatement si les sociétés concernées ont lancé une offensive pour recruter de nouveaux clients en violation des règles du traité, et en particulier des règles sur les prix.»

19.
    Dans sa décision n° 3485/85/CECA, du 27 novembre 1985, prorogeant le système de surveillance et de quotas de production de certains produits pour les entreprises de l'industrie sidérurgique (JO L 340, p. 5), la Commission indique que, grâce à l'amélioration des conditions du marché:

«Il sera possible de démanteler progressivement le régime de quotas en deux ou trois ans au maximum. Lors de sa réunion du 25 juillet 1985, le Conseil a déjà signalé la nécessité de revenir de façon ordonnée à un marché de libre concurrence entre les entreprises de la Communauté.»

20.
    Le compte rendu de la réunion Commission/Eurofer du 16 mai 1986 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 14), rédigé par Eurofer, indique, sous la rubrique «mise en oeuvre de l'article 58 en 1987»: «En ce qui concerne l'avenir après 1987, les représentants de la Commission ont déclaré que pour leur part ils n'avaient pas encore d'opinion sur la question.» Le même compte rendu révèle que les responsables d'Eurofer, réunis après le départ des représentants de la Commission, envisageaient de leur côté diverses possibilités:

«Une discussion initiale a montré qu'un choix devait être fait entre trois possibilités:

—    liberté totale et, dans ce cas, comment coopérer de la meilleure manière;

—    prolongation de l'article 58 et, dans ce cas, comment procéder avec la Commission;

—    pas d'article 58, mais un arrangement privé.

    Dans ce cas, quelle espèce d'arrangement (production, livraisons) et quelle couverture (acier brut, certains produits, etc.).

Chaque membre a convenu que, de toute manière, l'objectif était de fixer un niveau de prix qui corresponde à la profitabilité pour un grand nombre de sociétés.

Différentes espèces d'opinions ont été exprimées, l'une, basée sur l'existence de surcapacités dans les quelques années à venir, a estimé que des arrangements sur les quantités étaient inévitables, une autre, basée sur l'expérience du passé, a mis en doute la capacité de toutes les sociétés à accepter les adaptations nécessaires à la conclusion d'un arrangement privé après une longue période de mesures artificielles.»

21.
    Dans sa décision n° 3746/86/CECA, du 5 décembre 1986, modifiant la décision n° 3485/85 (JO L 348, p. 1), la Commission a indiqué: «L'introduction de l'article 15 B s'était imposée au moment le plus aigu de la crise de l'industrie sidérurgique. Au stade actuel, le maintien de cette disposition ne se justifie plus. Il y a donc lieu de le supprimer.»

22.
    Dans sa communication au Conseil sur la politique sidérurgique, présentée le 18 septembre 1987 [COM(87) 388 final/2, JO 1987, C 272, p. 3], la Commission a notamment fait les déclarations suivantes:

«La Commission n'est prête à prolonger le régime de quotas, dont tout le monde convient qu'il doit être actualisé, que si celui-ci est accompagné d'incitations à la fermeture et d'engagements fermes de la part des entreprises et des gouvernements concernés.

[...]

Bien que des conditions de crise subsistent pour les produits plats et les profilés lourds, la Commission, consciente du frein que le système de quotas en lui-même peut créer en ce qui concerne la restructuration de l'industrie, ne mettra donc en oeuvre un tel système que dans la mesure où elle obtiendra par ailleurs des entreprises des engagements fermes concernant un niveau satisfaisant de fermetures exécutées suivant un calendrier qui ne doit pas excéder trois ans.

[...]

En particulier:

[...]

—    elle mettra fin au système au cours de l'année 1988 si, avant le 1er août1988, les entreprises n'ont pas fait un effort supplémentaire [...]»

23.
    Le 8 octobre 1987, la Commission a confié à un groupe de trois «sages», MM. Colombo, Friderichs et Mayoux, le mandat de rechercher si, dans trois catégories de produits, dont les poutrelles, les entreprises étaient prêtes à prendre des engagements pour une réduction suffisante et rapide des capacités de production jugées excédentaires.

24.
    Selon le «rapport des trois sages» (JO C 9, du 14 janvier 1988, p. 6):

«Il est évident que, protégées depuis sept ans par un système de quotas, et habituées à le voir prolongé, les entreprises ne sont pas prêtes à prendre des engagements de fermeture suffisants pour justifier une prolongation de ce système [...]

Pourtant, face à la situation économique internationale, on peut prévoir que la situation actuelle de prix relativement élevés ne durera pas longtemps et il est certain que les surcapacités vont peser à nouveau sur le marché, obligeant les sidérurgistes à se restructurer et à fermer des installations.

La Commission doit donc agir avec fermeté et en même temps avec un grand sens de ses responsabilités.

L'actuel système de quotas ne peut pas être retenu sans que des engagements fermes pour la réduction des capacités soient pris par les entreprises. En revanche, si on s'abandonne brusquement aux forces du marché, la détérioration des prix qui va sans doute en résulter pourrait peser sur toutes les entreprises et ainsi rendre plus difficile la restructuration envisagée.»

25.
    Le rapport conclut:

«En terminant notre travail, nous tenons à souligner encore une fois la gravité de la crise sidérurgique, beaucoup plus importante que la majorité des industriels ne l'admet.

Cette crise appelle une attitude résolue et sans équivoque des autorités communautaires pour mettre l'industrie devant ses responsabilités.

Il est en effet urgent que les entreprises sidérurgiques se restructurent pour faire face à la concurrence mondiale et deviennent pleinement compétitives, dans un marché qui sera de plus en plus ouvert.»

26.
    C'est également dans le courant de l'année 1987 que la Commission a abandonné sa doctrine en matière de maintien des «flux traditionnels». Dans l'annexe I à sa communication au Conseil du 18 septembre 1987, précitée, elle a ainsi exprimé l'avis que «la préservation des flux commerciaux traditionnels de produits sidérurgiques entre les États membres manque de consistance vis-à-vis de l'objectif de la Communauté de créer un marché intérieur ouvert en 1992».

27.
    La nouvelle politique sidérurgique de la Communauté a été exposée dans la communication de la Commission sur la politique sidérurgique, présentée au Conseil le 16 juin 1988 [COM(88) 343 final, JO 1988, C 194, p. 23). Envisageant les mesures à prendre, elle a indiqué:

«Il est à noter que le traité de Paris se base, comme situation normale, sur un concept de libre concurrence dans le marché et ne charge la Commission, dans son article 5, d'intervenir d'une façon directe dans la production que si les circonstances l'exigent [...] Le traité stipule également que la concurrence doit se dérouler dans des conditions normales.

En outre, il est à prendre en considération que la finalisation du marché intérieur en 1992 est un objectif primordial pour le marché sidérurgique également. La préparation à l'échéance de 1992 exigera un changement radical de stratégie des entrepreneurs encore trop souvent empreinte de réflexions en termes de marchés nationaux.»

28.
    La Commission a conclu:

«Le marché sidérurgique s'est amélioré à tel point que le système de quotas ne se justifie plus. Ce système s'est également avéré inadéquat pour inciter les entreprises à parachever la restructuration [...] la Commission est d'avis que l'adaptation structurelle doit continuer selon les règles normales du marché.»

29.
    Lors de sa 1255e session du 24 juin 1988, le Conseil a pris acte de ce que la Commission entendait mettre fin au régime des quotas pour l'ensemble des produits sidérurgiques au 30 juin 1988. Se référant aux mesures d'accompagnement et de surveillance du marché envisagées par la Commission (statistiques mensuelles relatives à la production et aux livraisons, programmes prévisionnels, consultation des intéressés), le Conseil a souligné que «personne ne doit utiliser le système de surveillance pour contourner l'article 65 du traité CECA» (voir extrait du projet de procès-verbal de la 1255e session du Conseil, annexe 3 au mémoire en défense dans l'affaire T-151/94).

30.
    Le 4 mai 1988, la Commission a par ailleurs publié un communiqué de presse [IP(88) 261, voir requête dans l'affaire T-151/94, appendice 5, document 4] relatif à l'inspection qu'elle venait d'effectuer dans le cadre de l'affaire de l'acier inoxydable (voir point 36 ci-après). On y lit notamment:

«C'est la première inspection en matière de cartels dans le secteur de l'acier menée par la Commission depuis treize ans. Alors que le système officiel des quotas de la Commission a déjà été supprimé pour certains produits, et que des propositions ont été faites pour mettre fin au système des quotas le 30 juin 1988, il est clair que la Commission ne peut tolérer aucune substitution du système communautaire par des arrangements non officiels et illégaux conclus par l'industrie elle-même.»

31.
    Le régime de crise a pris fin officiellement, dans le cas des poutrelles, le 30 juin 1988. L'accord Eurofer V a pris fin au même moment. Le système de surveillance des livraisons entre États membres instauré par la décision n° 3483/82 a toutefois été maintenu en place jusqu'en novembre 1988.

Régime de surveillance mis en place à partir du 1er juillet 1988

32.
    Bien que le régime de crise manifeste ait pris fin le 30 juin 1988, il ressort d'une note interne de la DG III du 24 octobre 1988, produite par la partie défenderesse en exécution de l'ordonnance du Tribunal du 10 décembre 1997, que le Conseil et la Commission s'étaient mis d'accord sur la nécessité de faciliter l'adaptation des entreprises à d'éventuels changements de la demande. A cet effet, il avait été entendu que la Commission continuerait à surveiller le marché à travers trois mesures:

—    la collecte de statistiques mensuelles sur la production et sur les livraisons de certains produits;

—    le suivi de l'évolution des marchés de ces produits, dans le cadre des programmes prévisionnels trimestriels;

—    une consultation régulière des entreprises sur la situation et les tendances du marché.

33.
    La Commission a notamment mis en oeuvre cette politique par sa décision n° 2448/88/CECA, du 19 juillet 1988, instaurant un régime de surveillance pour certains produits pour les entreprises de l'industrie sidérurgique (JO L 212, p. 1, ci-après «décision n° 2448/88»), dans le cadre duquel chaque entreprise était tenue de lui déclarer ses livraisons. Ce système a expiré le 30 juin 1990, pour être remplacé par un régime d'information individuel et volontaire.

34.
    Les entreprises ont ainsi continué à entretenir des contacts réguliers et étroits avec la DG III, à l'occasion desquels les paramètres du marché (production, livraison, stocks, prix, exportations, importations...) étaient discutés. Ces contacts ont été établis dans les enceintes suivantes:

a)    les réunions trimestrielles officielles qui rassemblent des représentants des producteurs, des utilisateurs et des négociants et ceux de la Commission, au cours desquelles sont discutés, conformément à l'article 46 du traité, les programmes prévisionnels («forward programmes»). De telles réunions ont notamment eu lieu les 4 mai 1988, 1er septembre 1988, 3 novembre 1988, 1er février 1989, 28 avril 1989, 1er septembre 1989, 7 novembre 1989, 7 février 1990, 3 mai 1990, 4 septembre 1990 et 5 novembre 1990;

b)    les «réunions de consultation» («consultation meetings»), limitées à un petit nombre de représentants de l'industrie, membres ou non d'Eurofer, et de la Commission, qui ont eu lieu notamment les 27 octobre 1988, 26 janvier 1989, 28 avril 1989, 27 juillet 1989, 26 octobre 1989, 25 janvier 1990 et 27 juillet 1990;

c)    les «réunions restreintes» («restricted meetings»), limitées à un nombre très restreint de représentants de l'industrie, membres ou non d'Eurofer, et de la Commission, des 8 décembre 1988, 21 mars 1989, 15 juin 1989 et 13 décembre 1989;

d)    les «déjeuners de l'acier» («steel lunches»), qui réunissaient dans un cadre informel des représentants d'Eurofer et de la Commission, à l'occasion des réunions de consultation ou des réunions restreintes.

35.
    Le but principal de ces diverses réunions était de fournir à la Commission les informations en provenance de l'industrie nécessaires à l'application de l'article 46 du traité et du régime de surveillance instauré par la décision 2448/88. Elles rassemblaient des fonctionnaires de la DG III (notamment MM. Ortún, Kutscher, Evans, Drees, Aarts et Vanderseypen), le président du CDE, les présidents des commissions de produits d'Eurofer, certains représentants d'autres associations sidérurgiques et certains membres du personnel d'Eurofer. Les représentants de l'industrie fournissaient à la Commission des informations générales sur la situation économique de chaque produit. Les données, générales et par produits, échangées à ces occasions, concernaient la consommation réelle, la consommation apparente, les prix, les commandes, les livraisons, les importations, les exportations et l'état des stocks. Un résumé des réunions de consultation, mieux connu sous le nom de «speaking notes», était remis par Eurofer à la DG III en général quelques jours après la réunion concernée.

Décision «acier inoxydable» du 18 juillet 1990

36.
    Le 18 juillet 1990, la Commission a adopté la décision 90/417/CECA, relative à une procédure au titre de l'article 65 du traité CECA concernant l'accord et les pratiques concertées des producteurs européens de produits plats en acier inoxydable laminés à froid (JO L 220, p. 28, ci-après «décision acier inoxydable»), par laquelle elle a infligé des amendes d'un montant allant de 25 000 à 100 000 écus à certaines entreprises sidérurgiques, parmi lesquelles British Steel, Thyssen Edelstahlwerke AG, société soeur de Thyssen, et Ugine aciers de Châtillon et Gueugnon, filiale de la requérante, pour avoir enfreint l'article 65, paragraphe 1, du traité en concluant un accord de quotas et de prix daté du 15 avril 1986.

Réflexions menées par la Commission, à partir de 1990, sur l'avenir du traité CECA

37.
    La Commission a entamé une réflexion sur l'avenir du traité CECA dans le courant de l'année 1990, comme en témoigne un projet de communication de M. Bangemann, membre de la Commission en charge de la politique industrielle, aux membres de la Commission sur cette question, daté du 23 octobre 1990 (annexe 10 à la requête dans l'affaire T-156/94). Dans ce document, la Commission a privilégié l'option de l'expiration à son terme, en 2002, du traité CECA, «tout en utilisant les flexibilités que celui-ci offre pour adapter, dans la mesure du possible, son application à la situation des deux secteurs, et en organisant progressivement leur reprise ('phasing in‘) par le traité CEE en 2002» [voir aussi la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, du 15 mars 1991, sur l'avenir du traité CECA, SEC (91)407 final, requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 1].

38.
    Dans sa communication de septembre 1991 sur la politique de la concurrence CECA (IV/832/91) (réplique dans l'affaire T-151/94, annexe 5), la Commission a proposé «de faire en sorte que les pratiques de concurrence CECA et CEE soient alignées dans toute la mesure du possible à l'avenir». De même, dans son

Vingtième Rapport sur la politique de concurrence, publié en 1991, la Commission a notamment fait observer (point 122): «Le moment est venu d'aligner, dans toute la mesure du possible, les règles de concurrence CECA sur celles du traité deRome.»

C — Procédure administrative devant la Commission

39.
    Les 16, 17 et 18 janvier 1991, la Commission a, sur la base de décisions individuelles adoptées au titre de l'article 47 du traité, effectué des vérifications dans les bureaux de sept entreprises et de deux associations d'entreprises. D'autres vérifications ont été effectuées les 5, 7 et 25 mars 1991. Des informations complémentaires ont été fournies par certaines des entreprises et associations d'entreprises en cause à la suite de demandes formulées par la Commission au titre de l'article 47 du traité. Ce fut notamment le cas de la requérante, qui a répondu par lettres des 17 et 19 septembre 1991 aux demandes de la Commission des 24 juillet et 6 août 1991.

40.
    La Commission a adressé une communication des griefs aux entreprises et associations concernées, parmi lesquelles la requérante, le 6 mai 1992. La requérante y a répondu par lettre du 5 août 1992, tout en entretenant une correspondance parallèle avec la Commission à propos des restrictions mises par celle-ci à l'accès au dossier (voir ci-après).

41.
    Les parties ont également eu la possibilité de présenter leur point de vue lors d'une audition qui s'est tenue à Bruxelles du 11 au 14 janvier 1993, et dont le compte rendu leur a été envoyé les 8 juillet et 8 septembre 1993. A cette occasion, le conseiller-auditeur, eu égard aux nombreuses allusions des parties présentes à certains contacts qu'aurait entretenus la DG III avec les producteurs de poutrelles pendant la période couverte par la communication des griefs, les a invitées à lui communiquer tous les éléments de preuve en leur possession à ce sujet. La requérante a répondu à cette invitation par lettre du 16 février 1993.

42.
    Par lettre du 22 avril 1993, le conseiller-auditeur a signalé aux parties concernées son intention de ne pas procéder à une seconde audition.

43.
    Le 15 février 1994, soit la veille de l'adoption de la Décision, les négociations alors en cours entre la Commission et les représentants de l'industrie sidérurgique, visant à la restructuration de cette industrie par la voie de réductions volontaires de capacités de production, ont été rompues sur un constat d'échec.

44.
    Selon le procès-verbal de la 1189e réunion de la Commission (matin et après-midi), produit par la partie défenderesse à la demande du Tribunal, la Décision a été définitivement adoptée lors de la séance de l'après-midi du 16 février 1994.

45.
    A midi, le 16 février 1994, M. Van Miert, membre de la Commission en charge des affaires de concurrence, a donné une conférence de presse au cours de laquelle il a annoncé que la Commission venait d'adopter la Décision et a indiqué le montant des amendes infligées aux requérantes British Steel, Preussag et ARBED. Ces montants ne correspondent pas à ceux indiqués dans la Décision. Il a également détaillé certains critères retenus pour la fixation des amendes et a répondu aux questions des journalistes. Il a notamment nié toute connexité entre l'adoption de la Décision et l'échec, la veille, des négociations sur les réductions volontaires des capacités de production.

46.
    Le 24 février 1994, lors d'un débat au Parlement européen, certains parlementaires se sont interrogés sur les motifs qui avaient poussé la Commission à adopter la Décision le lendemain de l'échec des négociations sur la restructuration de l'industrie. M. Van Miert a défendu la position de la Commission en soulignant qu'il s'agissait là de deux dossiers distincts.

D — Décision

47.
    La Décision, qui est parvenue à la requérante le 3 mars 1994, sous couvert d'une lettre de M. Van Miert datée du 28 février 1994 (ci-après «Lettre»), comporte le dispositif suivant:

«Article premier

Les entreprises suivantes ont pris part, dans la mesure décrite dans la présente décision, aux pratiques anticoncurrentielles indiquées sous leur nom, qui empêchaient, restreignaient et faussaient le jeu normal de la concurrence dans le marché commun. Lorsque des amendes sont infligées, la durée de l'infraction est indiquée en mois, sauf dans le cas de l'harmonisation des suppléments, où la participation à l'infraction est indiquée par 'X‘.

[...]

Unimétal

a)    Échange d'informations confidentielles par l'intermédiaire de la commission poutrelles                                    (30)

b)    Fixation des prix à la commission poutrelles        (30)

c)    Fixation des prix sur le marché italien                 (6)

d)    Fixation des prix sur le marché danois                 (16)

e)    Répartition des marchés, «Système Traverso»        (3+3)

f)    Répartition des marchés, France                    (3)

g)    Répartition des marchés, Italie                     (3)

h)    Harmonisation des suppléments                     (x)

i)    Fixation des prix sur le marché français

Article 2

Eurofer a enfreint l'article 65 du traité CECA en organisant un échange d'informations confidentielles en relation avec les infractions commises par ses membres et qui sont énumérées à l'article 1er.

Article 3

Les entreprises et associations d'entreprises visées à l'article 1er et à l'article 2 mettent immédiatement fin aux infractions visées auxdits articles si elles ne l'ont déjà fait. A cette fin, les entreprises et associations d'entreprises s'abstiennent de répéter ou de continuer les actes ou le comportement spécifiés à l'article 1er ou à l'article 2 et s'abstiennent d'adopter toute mesure d'effet équivalent.

Article 4

Pour les infractions décrites à l'article 1er commises après le 30 juin 1988 (après le 31 décembre 1989(2) dans le cas d'Aristrain et d'Ensidesa), les amendes suivantes sont infligées:

[...]

Unimétal SA            12 300 000 écus

[...]

Article 6

Sont destinataires de la présente décision:

[...]

— Unimétal

[...]»

Procédure devant le Tribunal, développements postérieurs à l'introduction du recours et conclusions des parties

48.
    Le présent recours a été introduit par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 8 avril 1994.

49.
    Le 8 avril également, la requérante a introduit, en vertu de l'article 39 du traité, une demande de sursis à l'exécution de la Décision dans la mesure où elle lui inflige une amende de 12 300 000 écus. Cette demande a été enregistrée au greffe du Tribunal sous le numéro T-145/94 R. A la suite des explications avancées par la partie défenderesse et de l'accord de désistement manifesté par lettre de la requérante enregistrée au greffe du Tribunal le 11 mai 1994, le président du Tribunal a, par ordonnance du 4 juillet 1994, ordonné la radiation de cette demande du registre et ordonné que chaque partie supporte ses propres dépens.

50.
    Par lettre du 7 septembre 1994 adressée au greffe, Aristrain, requérante dans l'affaire T-156/94, a posé la question de savoir si la Commission avait, en l'espèce, respecté les obligations que lui impose l'article 23 du statut (CECA) de la Cour (ci-après «article 23»), relatif à la transmission des pièces. Invitée à présenter ses observations sur cette demande, la Commission a répondu en substance, par lettre du 12 octobre 1994, qu'elle estimait avoir satisfait aux exigences dudit article 23.

51.
    Le greffe du Tribunal a, par lettre du 25 octobre 1994, demandé à la Commission de bien vouloir satisfaire aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 23. La Commission a déposé au greffe un ensemble d'environ 11 000 pièces relatives à la Décision, sous couvert d'une lettre du 24 novembre 1994, dans laquelle elle a notamment fait valoir que les pièces contenant des secrets d'affaires, ainsi que ses propres documents internes, ne devraient pas être rendus accessibles aux entreprises concernées.

52.
    A la suite d'une réunion informelle avec les parties qui s'est tenue le 14 mars 1995, le Tribunal (troisième chambre élargie) a, par lettre du greffe du 30 mars 1995, invité lesdites parties à prendre position par écrit sur les problèmes de confidentialité ainsi soulevés, ainsi que sur une éventuelle jonction des affaires. Eu égard aux réponses incomplètes des parties, le Tribunal leur a adressé une seconde série de questions, par lettre du greffe du 21 (25 dans le cas de British Steel) juillet 1995. Le Tribunal a, en outre, invité la partie défenderesse à prendre position sur une nouvelle demande de British Steel, datée du 14 juillet 1995.

53.
    Dans leurs réponses aux questions du Tribunal, reçues entre le 6 et le 15 septembre 1995, les parties requérantes ont, notamment, précisé leurs demandes d'accès aux documents internes de la Commission, à la lumière d'une liste de ces documents annexée à une lettre qu'elle a adressée au Tribunal le 25 juin 1995.

54.
    Par ordonnance du 19 juin 1996, NMH Stahlwerke e.a./Commission (T-134/94, T-136/94, T-137/94, T-138/94, T-141/94, T-145/94, T-147/94, T-148/94, T-151/94, T-156/94 et T-157/94, Rec. p. II-537, ci-après «ordonnance du 19 juin 1996»), le Tribunal (deuxième chambre élargie, à laquelle le juge rapporteur avait été entre-temps affecté) a statué sur le droit d'accès des requérantes aux pièces du dossier transmis par la partie défenderesse émanant, d'une part, des requérantes elles-mêmes, et, d'autre part, de parties tierces aux présentes procédures, classées par la Commission comme confidentielles dans l'intérêt de ces parties. En revanche, le Tribunal a réservé sa décision sur les demandes d'accès des parties requérantes aux pièces de ce dossier classées par la partie défenderesse comme documents internes, ainsi que sur leurs demandes visant à la production de documents qui ne figurent pas dans ledit dossier, tout en invitant la partie défenderesse à spécifier de manière circonstanciée et concrète les raisons pour lesquelles elle considérait que certains documents qualifiés par elle d'«internes», parmi les pièces qui composent ce dossier, ne pouvaient, selon elle, être communiqués aux parties requérantes.

55.
    La partie défenderesse a déféré à cette invitation du Tribunal par lettres datées des 11, 12 et 13 septembre 1996. Dans ces mêmes lettres, elle a suggéré le renvoi de chacune des affaires à la formation plénière du Tribunal, en application de l'article 14 du règlement de procédure du Tribunal. Invitées à présenter leurs observations sur cette dernière demande, les requérantes ont répondu par lettres adressées au Tribunal entre le 4 et le 18 octobre 1996. Les requérantes dans les affaires T-134/94, T-137/94, T-138/94, T-148/94, T-151/94 et T-157/94 se sont opposées à un tel renvoi.

56.
    Par ordonnance du 10 décembre 1997, NMH Stahlwerke e.a./Commission (T-134/94, T-136/94, T-137/94, T-138/94, T-141/94, T-145/94, T-147/94, T-148/94, T-151/94, T-156/94 et T-157/94, Rec. p. II-2293, ci-après «ordonnance du 10 décembre 1997»), le Tribunal (deuxième chambre élargie) a statué sur les demandes d'accès des requérantes aux documents qualifiés par la Commission d'«internes», en ordonnant que certaines pièces transmises au Tribunal au titre del'article 23, relatives aux contacts établis entre la DG III et l'industrie sidérurgique pendant la période d'infraction retenue dans la Décision aux fins de la fixation du montant des amendes, ainsi que certaines pièces émanant de la direction générale Relations extérieures (DG I) relatives aux contacts établis entre la Commission et certaines autorités nationales scandinaves, soient versées au dossier de l'affaire. Le Tribunal a également adopté certaines mesures d'instruction, en ordonnant à la Commission de produire ses propres comptes rendus ou notes relatifs aux réunions qui ont eu lieu entre la DG III et les représentants de l'industrie sidérurgique entre juillet 1988 et novembre 1990. Enfin, le Tribunal a ordonné la jonction des affaires aux fins de l'instruction et de la procédure orale, sans les renvoyer devant la formation plénière.

57.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale et de poser certaines questions écrites aux parties, au titre de l'article 64 du

règlement de procédure. Il a, notamment, par lettre du greffe du 26 novembre 1997, prié la partie défenderesse de produire le texte du procès-verbal définitif de la réunion de la Commission du 16 février 1994 (matin et après-midi), pour autant qu'il concerne l'adoption de la Décision attaquée. Par cette même lettre, le Tribunal a également demandé à la Commission d'indiquer, pour chaque requérante ainsi que pour les entreprises Norsk Jernverk et Inexa Profil AB:

—    quel chiffre d'affaires elle avait pris en compte pour imposer l'amende à chaque entreprise;

—    quels étaient les différents taux qu'elle avait appliqués au chiffre d'affaires pour calculer l'amende de chaque entreprise concernée;

—    quels étaient les arguments ou considérations, détaillés pour chacune des entreprises, qu'elle avait pris en compte en ce qui concerne les différentes circonstances, aggravantes ou atténuantes, pour obtenir le résultat final de l'amende.

58.
    La partie défenderesse a répondu à ces questions du Tribunal par lettre datée du 19 janvier 1998, déposée au greffe le 22 janvier. Sous couvert de cette lettre, elle a transmis au Tribunal deux documents, respectivement intitulés «Projet de procès-verbal de la 1189e réunion de la Commission tenue à Bruxelles (Breydel) le mercredi 16 février 1994 (matin et après-midi)» et «Projet de procès-verbal spécial de la 1189e réunion de la Commission tenue à Bruxelles (Breydel) le mercredi 16 février 1994 (matin et après-midi)», en faisant valoir que ces deux documents étaient couverts par le secret des délibérations et qu'ils ne devaient pas être communiqués aux parties requérantes.

59.
    Le 14 janvier 1998, le Tribunal a tenu une réunion informelle avec les parties afin de planifier le bon déroulement de l'audience. Il a, notamment, indiqué aux parties qu'elles avaient un droit d'accès au dossier qui lui avait été transmis au titre de l'article 23, dans la mesure indiquée dans les ordonnances des 19 juin 1996 et 10 décembre 1997 et selon des modalités à définir par le greffe. Il a également demandé aux parties de lui indiquer, après avoir eu accès au dossier, à quels documents supplémentaires spécifiques elles entendaient se référer à l'audience.

60.
    La requérante, de même que les requérantes ARBED, Aristrain, Cockerill-Sambre, British Steel, Ensidesa et Preussag ont consulté ledit dossier du Tribunal et ont obtenu une copie des documents qu'elles estimaient nécessaires à leur défense. Par lettre du 9 février 1998, Ensidesa a soumis des observations sur certains des documents en cause.

61.
    Par lettres du greffe du 30 janvier 1998, le Tribunal a posé certaines questions supplémentaires à la Commission et à Eurofer concernant le système d'échange mensuel d'informations sur les commandes et les livraisons mis en place par cette

dernière et décrit dans la Décision sous le nom de «fast bookings». Ces parties y ont répondu par lettres respectivement datées des 18 et 23 février 1998.

62.
    Par lettre du greffe du 6 février 1998, le Tribunal a également posé certaines questions complémentaires à la partie défenderesse sur la méthode de calcul des amendes utilisée en l'espèce, auxquelles elle a répondu par lettre datée du 20 février 1998, déposée au greffe le 24 février.

63.
    Par ordonnance du 16 février 1998, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a ordonné que soit versé au dossier de l'affaire, et communiqué aux parties requérantes, le seul document intitulé «Projet de procès-verbal de la 1189e réunion de la Commission tenue à Bruxelles (Breydel) le mercredi 16 février 1994 (matin et après-midi)», déposé au greffe le 22 janvier 1998.

64.
    Par lettres des 13 et 19 février 1998, les requérantes ont présenté des demandes communes en vue de l'adoption de mesures d'instruction relatives, notamment, au calcul des amendes et visant à la production des documents relatifs à l'adoption de la Décision. La Commission y a répondu par lettre du 2 mars 1998.

65.
    Par lettre du greffe du 11 mars 1998, le Tribunal a prié la partie défenderesse, d'une part, de compléter ses réponses des 19 janvier et 20 février 1998 aux questions du Tribunal, en indiquant, pour chaque requérante, les calculs arithmétiques précis permettant de comprendre concrètement comment les montants des amendes ont été déterminés, et, d'autre part, de produire le procès-verbal définitif de la réunion de la Commission (matin et après-midi), au cours de laquelle la Décision a été adoptée, ainsi que ses annexes pour autant qu'elles ont trait à cette Décision. La partie défenderesse a répondu à cette demande par lettre du 19 mars 1998 et a déposé au greffe le procès-verbal définitif de la réunion de la Commission du 16 février 1994 ainsi que ses annexes.

66.
    Par ordonnance du 23 mars 1998, le Tribunal a ordonné que MM. Ortún et Vanderseypen, fonctionnaires de la DG III, ainsi que M. Kutscher, ancien fonctionnaire de la DG III, soient entendus en qualité de témoins sur les contacts établis entre la DG III et l'industrie sidérurgique pendant la période d'infraction retenue aux fins de la fixation du montant des amendes, soit du 1er juillet 1988 à la fin de 1990.

67.
    Lors de l'audience qui s'est déroulée du 23 au 27 mars 1998, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal, deuxième chambre élargie, composée de MM. A. Kalogeropoulos, président, C. P. Briët, C. W. Bellamy, A. Potocki et J. Pirrung, juges. Les parties requérantes ont présenté une plaidoirie commune sur certains points. Le Tribunal a entendu en qualité d'expert M. le Pr Steindorff, ancien secrétaire général de la délégation allemande lors des négociations préalables à la signature du traité CECA. Le Tribunal a également entendu en qualité de témoins MM. Ortún, Vanderseypen

et Kutscher, ainsi que, à la demande de Preussag, ses préposés MM. Mette et Kröll. Le Tribunal a, par ailleurs, visionné un enregistrement vidéo de la conférence de presse de M. Van Miert du 16 février 1994, produit par Aristrain.

68.
    Un certain nombre de nouveaux documents ont été déposés à l'audience, soit à la demande du Tribunal, soit avec son autorisation. Le Tribunal a également prié la Commission de produire certains documents portant sur ses relations avec les autorités nationales scandinaves pendant les années 1989 et 1990. Ces documents ont été déposés au greffe sous couvert d'une lettre de la Commission du 11 mai 1998.

69.
    La procédure orale a été clôturée à l'issue de l'audience du 27 mars 1998. Deux membres de la chambre étant empêchés d'assister au délibéré après l'expiration de leur mandat le 17 septembre 1998, les délibérations du Tribunal ont été poursuivies par les trois juges dont le présent arrêt porte la signature, conformément à l'article 32 du règlement de procédure.

70.
    La partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    ordonner, sur la base des articles 65 à 67 de son règlement de procédure, une expertise en vue de déterminer quel fut le rôle exact joué par la DG III pendant la période retenue par la Commission pour le calcul de l'amende, et entendre au besoin tout témoin impliqué dans les faits allégués;

—    annuler la Décision sur la base de l'article 33 du traité;

—    à titre subsidiaire, annuler, sur la base de l'article 36 du traité, l'amende qui lui a été infligée;

—    à titre très subsidiaire, réduire, sur la base de l'article 36 du traité, l'amende qui lui a été infligée;

—    condamner la Commission aux dépens.

71.
    La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours;

—    condamner la partie requérante aux dépens.

Sur la demande principale tendant à l'annulation de la Décision

72.
    Au soutien de sa demande principale tendant à l'annulation de la Décision, la requérante invoque plusieurs arguments qui peuvent être regroupés de la manière suivante. Elle soulève, en premier lieu, une série d'arguments pris d'une violation de ses droits de la défense. La requérante soulève, en deuxième lieu, divers

arguments tirés d'une violation par la Commission, au cours de la procédure administrative, des formes substantielles. Par une troisième série d'arguments, la requérante invoque une violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité, ainsi que divers défauts de motivation. Par une quatrième série d'arguments, la requérante fait état de l'implication de la Commission dans les infractions qui lui sont reprochées, et d'une violation du principe de protection de la confiance légitime. Cinquièmement, enfin, la requérante invoque un détournement de procédure et de pouvoir.

A — Sur la violation des droits de la défense de la partie requérante

Sur la limitation de l'accès au dossier de la Commission

Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante

73.
    La requérante fait valoir qu'elle n'a pas été mise en mesure de présenter utilement ses observations sur les charges retenues contre elle dans la communication des griefs dès lors qu'elle n'a pas eu accès à la totalité des pièces utiles à sa défense.

74.
    Tout d'abord, la Commission ne lui aurait pas communiqué tous les documents non confidentiels recueillis au cours de l'enquête. Il s'agirait, plus particulièrement, des pièces n°s 527 à 531, 1744 à 1747, 1752 à 1754, 1963, 1975 à 1981 et 1982 à 1984 du dossier, qui, selon le procès-verbal de consultation du 12 juin 1992, étaient absentes du dossier de la Commission et qui auraient été réclamées par lettre du 10 juillet 1992. Contrairement à ce qu'aurait soutenu la Commission dans sa lettre de justification du 16 juillet 1992, ces pièces n'auraient pas été renvoyées à leurs propriétaires ou, à tout le moins, n'auraient jamais été reçues par ceux-ci.

75.
    Ensuite, la Commission aurait refusé de mettre à la disposition de la requérante un résumé non confidentiel de certains documents non accessibles que celle-ci considérait comme utiles à sa défense. Elle fait état de la correspondance échangée entre le 10 juillet et le 5 août 1992 (annexes 7 et 8 à la requête), dans laquelle elle demandait à la Commission soit un accès plus complet à des pièces nommément désignées, soit un résumé précis et circonstancié ou, à tout le moins, l'intitulé explicite d'un certain nombre de pièces classées comme confidentielles. LaCommission aurait, tout d'abord, offert à la requérante de lui fournir un tel résumé, à condition qu'elle fasse état d'un juste motif, par lettre du 19 août 1992. Par sa lettre du 4 septembre 1992 (annexe 8 à la requête), la requérante aurait demandé le résumé d'une vingtaine de documents en invoquant son intérêt à démontrer sa non-participation à certaines pratiques alléguées, ou l'implication de la Commission dans celles-ci. La Commission se serait alors ravisée dans sa lettre du 2 octobre 1992 (annexe 9 à la requête), au motif qu'elle ne disposait pas d'effectifs suffisants pour satisfaire à cette demande.

76.
    La requérante soutient encore que la pratique de la Commission, qui consiste à joindre à la communication des griefs une liste des pièces en indiquant simplement leur date, le numéro attribué, leur classification administrative et la mention «A» (accessible) ou «NA» (non accessible), est contraire à la jurisprudence du Tribunal, selon laquelle la procédure d'accès au dossier a pour principal objet de permettre aux intéressés de se défendre utilement. En effet, une telle liste ne permettrait pas de déterminer le contenu des documents non accessibles ou la justification de leur caractère confidentiel, mettant ainsi la requérante dans l'impossibilité d'apprécier leur utilité éventuelle pour sa défense, voire la simple opportunité d'en demander un résumé non confidentiel.

77.
    Enfin, la requérante souligne que la violation alléguée de ses droits de la défense justifie l'annulation de la Décision indépendamment de toute utilisation, au soutien de sa motivation, des documents non communiqués. Selon elle, en effet, la circonstance que la Commission ne s'est pas fondée sur une pièce du dossier ne signifie pas que cette pièce n'est pas pertinente, ni que la Commission n'a pas été influencée par son contenu. La requérante ajoute que, aux termes du paragraphe 35 du Douzième rapport sur la politique de concurrence, la non-divulgation de tout ou partie d'un document ne peut se justifier que pour des raisons de confidentialité, et non en fonction de sa prise en compte dans la motivation d'une décision.

Appréciation du Tribunal

78.
    Le Tribunal rappelle que les droits de la défense invoqués par la requérante sont, en l'espèce, garantis par l'article 36, premier alinéa, du traité CECA, aux termes duquel, avant de prendre une des sanctions pécuniaires prévues audit traité, la Commission doit mettre l'intéressé en mesure de présenter ses observations.

79.
    S'agissant du respect de cette garantie en l'espèce, il convient tout d'abord de relever que la communication des griefs adressée aux intéressées le 6 mai 1992 a été personnalisée à l'égard de chacun de ses destinataires par l'indication des comportements et des preuves les concernant respectivement. Le chapitre VIII de ladite communication des griefs contient, par ailleurs, une description détaillée des infractions aux règles de concurrence, avec indication pour chacune d'elles des éléments de preuve sur lesquels la Commission se fonde.

80.
    La Commission a annexé à la communication des griefs, d'une part, une copie des documents qu'elle retenait concrètement à charge de chacune des entreprises concernées (annexe 3 à la communication des griefs), et, d'autre part, la liste récapitulative de l'ensemble des pièces composant le dossier constitué dans la présente affaire («liste d'accès», annexe 2 à la communication des griefs). Outre la date d'établissement de chacune des pièces et leur identification très sommaire, cette dernière liste regroupait ces pièces, selon leur nature, en douze rubriques, signalées par un numéro, et précisait leur degré d'accessibilité à l'égard de chacune des entreprises concernées. La Commission a, en outre, invité les entreprises à venir consulter, en ses locaux, l'ensemble des documents accessibles.

81.
    Il ressort de ce qui précède que, dans la présente affaire, la Commission s'est conformée à la procédure d'accès au dossier décrite dans son Douzième Rapport sur la politique de concurrence (p. 40 et 41), telle qu'elle a été approuvée par la jurisprudence de la Cour et du Tribunal dans le cadre du traité CE (voir arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7/89, Rec. p. II-1711, points 53 et 54, du 18 décembre 1992, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-10/92, T-11/92, T-12/92, et T-15/92, Rec. p. II-2667, points 38 à 41, du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T-65/89, Rec. p. II-389, points 29 à 33, confirmé par l'arrêt de la Cour du 6 avril 1995, BPB Industries et British Gypsum/Commission, C-310/93 P, Rec. p. I-865, points 12 à 33, et l'arrêt du Tribunal du 29 juin 1995, Solvay/Commission, T-30/91, Rec. p. II-1775, points 77 à 104), sans qu'il soit nécessaire pour le Tribunal de se prononcer sur des déclarations de la Commission postérieures à l'adoption de la Décision, contenues dans le XXIIIe Rapport sur la politique de concurrence, 1993, du 5 mai 1994 (notamment point 202) et relatives à l'envoi des documents à charge et à décharge ensemble avec la communication des griefs.

82.
    Le Tribunal a en outre pu vérifier, en l'espèce, que tous les documents qui, dans le dossier que la Commission lui a transmis au titre de l'article 23, concernaient la requérante, ont été classés, à l'annexe 2 à la communication des griefs, comme «accessibles» ou, s'agissant d'un petit nombre de documents internes de British Steel, comme «partiellement accessibles» à la requérante. En ce qui concerne cette dernière catégorie, la requérante n'a pas contesté que les griefs sont fondés uniquement sur des extraits de ces documents qui lui ont été rendus accessibles.

83.
    Il est constant, par ailleurs, que la requérante a eu accès au dossier selon les modalités indiquées dans la lettre de la Commission du 6 mai 1992. Elle a donc pu obtenir copie de tous les documents considérés par la Commission comme «accessibles» ou «partiellement accessibles».

84.
    Quant aux documents de la Walzstahl Vereinigung et de British Steel portant les n°s 527 à 531, 1744 à 1747, 1752 à 1754, 1963, 1975 à 1981 et 1982 à 1984 du dossier, force est de constater, au vu des éléments de preuve annexés au mémoire en duplique, qu'ils ont bien été renvoyés par la Commission à leurs propriétaires, au motif qu'ils lui paraissaient dénués de toute pertinence dans le cadre de la présente affaire.

85.
    Pour le surplus, la requérante n'a pas spécifié, devant le Tribunal, en quoi la présentation des documents énumérés à l'annexe 2 à la communication des griefs était insuffisante pour lui permettre de retrouver les documents concernés lors de sa consultation du dossier.

86.
    Quant au reproche fait à la Commission d'avoir refusé de mettre à la disposition de la requérante un résumé non confidentiel de certains documents classés comme non accessibles, après avoir dans un premier temps offert de le faire, il convient de

relever que la demande de la requérante portait sur la quasi-totalité des documents ainsi classés (soit plusieurs centaines, et non pas une vingtaine, comme elle le soutient dans ses écritures), en invoquant pour seule justification son «souhait de démontrer sa non-participation à certaines pratiques incriminées». Le Tribunal estime que la Commission a refusé à bon droit d'accéder à une telle demande, dont la motivation est rédigée en des termes tellement généraux qu'elle équivaut à une absence de motivation.

87.
    Force est de constater, en outre, que ces documents n'ont pas été retenus à charge de la requérante et ne contiennent aucun élément à sa décharge, ce que la requérante n'a d'ailleurs pas mis en cause après y avoir eu accès dans le cadre de la procédure judiciaire, à la suite de l'ordonnance du 19 juin 1996.

88.
    Le Tribunal estime que, dans ces circonstances, la requérante n'a pas établi qu'elle n'a pas été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur les documents invoqués à sa charge dans la communication des griefs.

89.
    Il ressort de tout ce qui précède que le présent grief doit être rejeté dans sa totalité.

Sur le refus de procéder à une réouverture des débats

90.
    La requérante expose que, au cours de l'audition des 11, 12, 13 et 14 janvier 1993, les entreprises présentes ont fait état des contacts entretenus par les producteurs de poutrelles avec la DG III, pendant la période visée par la communication des griefs, et de l'existence, dans les archives de la DG III, d'éléments de preuve inconnus de la direction générale Concurrence de la Commission (DG IV), établissant que ladite DG III avait connaissance des échanges d'informations et des pratiques alléguées visant à stabiliser les prix et la production. Le conseiller-auditeur aurait reconnu l'importance de ce point pour la défense des entreprises incriminées et il se serait engagé à remédier à cette lacune de l'instruction, tout en les invitant à communiquer à la Commission tous les éléments de preuve étayant leur thèse. La requérante aurait répondu à cette invitation par lettre du 16 février 1993, en communiquant de nombreuses pièces à décharge, sur la base desquelles elle demandait une réouverture des débats. La Commission n'aurait jamais donné suite à cette demande. La requérante estime que cette attitude est contraire au prescrit de l'article 36 du traité. Elle considère que la Commission ne pouvait ignorer les preuves avancées dans sa lettre du 16 février 1993, mais se devait d'ouvrir un débat contradictoire sur la question essentielle du rôle joué par la DG III ou, à tout le moins, d'indiquer les raisons pour lesquelles elle entendait ne pas donner suite à sa demande de réouverture des débats.

91.
    Le Tribunal souligne, liminairement, que les griefs tirés du refus de la Commission de procéder à une réouverture des débats sont formellement distincts de la question de savoir si la partie défenderesse était fondée à considérer que les

documents produits par les requérantes après l'audition ne corroboraient pas leurs allégations. Cette question sera examinée ultérieurement (voir ci-après la partie D, consacrée à l'implication de la Commission dans les infractions reprochées à la partie requérante).

92.
    Le Tribunal relève, ensuite, que la Commission s'est trouvée, d'une part, confrontée à des allégations qui avaient une importance certaine pour la défense des entreprises concernées, comme elle l'a d'ailleurs reconnu au point 312 de la Décision, et, d'autre part, s'agissant du comportement de ses propres services, dans une position privilégiée, par rapport auxdites entreprises, pour en établir la véracité ou la fausseté.

93.
    Dans ces circonstances, le Tribunal estime qu'il découle des principes de bonne administration et d'égalité des armes que la Commission avait l'obligation d'instruire cet aspect du dossier de façon sérieuse, afin de déterminer dans quelle mesure les allégations en cause étaient ou non fondées. Il appartenait néanmoins à la Commission, et non aux requérantes, de décider de la manière de procéder à une telle instruction.

94.
    Or, il ressort du dossier que, par note n° 002793, du 22 juillet 1991 (document n° 9741 du dossier, rendu accessible à la requérante en vertu de l'ordonnance du 10 décembre 1997), soit avant l'envoi de la communication des griefs, M. Temple Lang, directeur de la direction D «ententes, abus de position dominante et autres distorsions de concurrence III» de la DG IV, s'est adressé dans les termes suivants à M. Ortún, directeur de la direction E «Marché intérieur et affaires industrielles III» de la DG III:

«Nous désirons [...] clarifier le degré d'information échangée entre la DG III et le CDE Eurofer lors des réunions de préparation des programmes prévisionnels acier. Pourriez-vous nous décrire:

—    la méthode de calcul de chiffres communautaires d'acier brut et des catégories de produits quand ils étaient publiés;

—    les données statistiques reçues par la DG III lors des réunions avec la délégation du CDE, ainsi que leur degré d'agrégation et périodicité.

Avez-vous entendu parler, lors de vos réunions, d'une 'méthode Traverso‘ qui semble avoir comme objectif l'adaptation de la demande et des livraisons par marché national pour les différentes catégories de produits ?»

95.
    Dans sa note de réponse n° 10018, du 12 septembre 1991 (annexe 3 au mémoire en défense), M. Ortún a notamment indiqué ce qui suit à l'attention de M. Temple Lang:

«2.    Quant aux informations reçues d'Eurofer, outre copie des statistiques rapides d'Eurofer sur les commandes et les livraisons dont vous avez connaissance, nous recevions des prévisions dans la forme annexée [...] Les données étaient toujours agrégées au niveau de la CEE.

    Je rappelle aussi que la DG III avait pris le soin (lors du démarrage du système de prévisions par produits) de ne publier que des prévisions de production (pas de livraison), de les arrondir et de changer leur définition [...] dans le but de s'éloigner des définitions adoptées par Eurofer.

3.    Les rencontres avec le CDE avaient lieu dans le cadre des réunions du groupe d'experts de la surveillance, en principe tous les trois mois, pour commenter la situation du marché. Ces rencontres ont récemment pris un caractère plus occasionnel. La dernière rencontre, lors de laquelle on nous a remis la [speaking] note ci-jointe, date du 19 juillet 1991. Nous considérons ces réunions comme utiles pour assurer un suivi régulier du marché [...]

4.    Quant à une méthode dite 'Traverso‘, j'avoue qu'aucun de mes actuels collaborateurs n'[en] avait entendu parler [...]»

96.
    Le dossier transmis par la Commission au Tribunal au titre de l'article 23 contient également une note de M. Ehlermann, directeur général de la DG IV, à M. Perissich, directeur général de la DG III, du 27 janvier 1993 (document n° 9729, rendu accessible à la requérante en vertu de l'ordonnance du 10 décembre 1997), ainsi libellée:

«Dans l'affaire en objet mes services ont consulté les vôtres, en particulier lors de la préparation de la communication des griefs et au sujet des réponses écrites de certaines entreprises qui se réfèrent à l'action de la DG III.

Il résulte de l'audition qui a eu lieu du 11 au 14 janvier 1993, à laquelle des représentants de vos services ont pris part, que les parties accordent la plus grande importance dans leurs défenses à l'argument selon lequel la Commission, en l'occurrence la DG III, aurait été au courant des pratiques incriminées en particulier par la voie de 'speaking notes‘ rédigées par l'industrie.

Le conseiller-auditeur a refusé aux parties et à leurs représentants qui le demandaient l'accès aux dossiers de la DG III, mais il leur a suggéré de transmettre à la DG IV, dans un délai de deux semaines après la fin de l'audition, des documents en leur possession qui seraient susceptibles, du moins de leur point de vue, d'être à leur décharge.

Pour ce qui concerne ce point particulier, je vous serais très obligé de bien vouloir vérifier à nouveau si des documents de cette nature (qu'il s'agisse de correspondance entre les entreprises et la Commission ou de documents émanant

des entreprises et mis à la disposition des services de la Commission) existent dans vos archives et me transmettre, le cas échéant, des copies de ceux-ci avec vos observations.»

97.
    M. Perissich a répondu à M. Ehlermann par une note n° 001836, du 12 février 1993 (document n° 9737 du dossier transmis par la Commission au Tribunal, rendu accessible à la requérante en exécution de l'ordonnance du 10 décembre 1997). Il a joint à sa note la note de M. Ortún du 12 septembre 1991, précitée, ainsi que ses annexes, en indiquant:

«Comme vous pourrez le constater dans les annexes, le caractère très général des informations figurant dans ces 'speaking notes‘ ne permettait en aucun cas à mes services de soupçonner que celles-ci pouvaient être le résultat d'éventuelles pratiques contraires au traité CECA.

Le but de ces rencontres avec Eurofer s'est toujours limité à l'étude permanente de l'évolution des marchés, comme cela est prévu à l'article 46.1 du traité.

Si vous le souhaitez, nous pourrions vous transmettre les speaking notes relatives à d'autres trimestres. Aucun autre document pouvant à notre avis être mis en rapport avec ce cas ne se trouve dans les archives de la DG III.»

98.
    Par ailleurs, M. Temple Lang a transmis à M. Ortún, par note du 18 février 1993 (document n° 9763 du dossier transmis par la Commission au Tribunal au titre de l'article 23, rendu accessible à la requérante en vertu de l'ordonnance du 10 décembre 1997), les documents (speaking notes) remis à la DG IV par la requérante ainsi que par Preussag à la suite de l'audition, en lui demandant de les examiner et de lui faire part de ses observations «sur l'importance à accorder aux informations qu'ils contiennent par rapport aux pratiques incriminées des producteurs de poutrelles». M. Temple Lang a pareillement transmis à M. Ortún, par note du 22 février 1993 (document n° 9764 du dossier transmis par la Commission au Tribunal au titre de l'article 23, rendu accessible à la requérante en vertu de l'ordonnance du 10 décembre 1997), les documents envoyés par les requérantes Cockerill-Sambre, TradeARBED et British Steel, avec demande d'observations.

99.
    M. Ortún a transmis ses observations à M. Temple Lang par note du 5 mai 1993 (document n° 9769 du dossier transmis par la Commission au Tribunal au titre de l'article 23, rendu accessible à la requérante en vertu de l'ordonnance du 10 décembre 1997) en confirmant, en substance, les observations antérieures de la DG III.

100.
    Le dossier de la Commission (voir annexe 7 au mémoire en défense) contient également une note confidentielle de M. Ortún à M. Schaub (DG IV) du 19 février 1993, qui se présente comme un «argumentaire sur accusations» destiné à

«répondre aux affirmations des producteurs sur la connaissance et même l'implication de la DG III [dans les] pratiques mises en cause par la Commission (DG IV)».

101.
    A propos de la prétendue participation de la DG III aux échanges d'informations sur les quantités et au monitoring, ladite note indique:

«Des réunions avec des experts commerciaux d'Eurofer élargies aux indépendants non-Eurofer avaient lieu dans le cadre de la Décision n° 2448/88 sur la surveillance du marché mise en vigueur à la fin du système des quotas et jusque fin juin 1990.

Les résultats globalisés des réalisations de production et de livraisons des entreprises étaient remis aux participants pour commentaires et comparaison avec les prévisions faites dans le cadre du Programme prévisionnel acier (PPA). Les tendances du commerce extérieur pour les mêmes produits étaient également analysées pour compléter l'appréciation du marché.

Ces réunions permettaient également de recueillir, aux fins du PPA, les informations sur les tendances futures du marché (notamment des exportations) pour les produits faisant l'objet de la surveillance. A aucun moment, au cours de ces réunions, des propos sur une organisation possible du marché par produit n'ont été évoqués.

Les 'speaking notes‘, dont le représentant du CDE (généralement M. Traverso) se servait au cours de ces réunions, étaient établies préalablement au sein d'Eurofer en l'absence de fonctionnaires de la DG III. Le fait que la DG III recevait en marge de ces réunions 'monitoring‘ ces speaking notes ne peut en aucun cas cautionner d'éventuelles pratiques contraires au traité CECA.

[...]

Ce n'est qu'à la fin du monitoring et pour des raisons pratiques que des 'steel lunches‘ ont pris le relais de ce type de réunions. Le but de ces rencontres avec Eurofer s'est toujours limité à l''étude permanente de l'évolution des marchés‘, comme cela est prévu à l'article 46.1 du traité. Il faut également préciser que, dans ce but, nos services ont développé leurs contacts avec tous les milieux intéressés: associations de producteurs indépendants, de négociants et de consommateurs.»

102.
    A propos de la prétendue connaissance par la DG III des pratiques concertées en matière de prix, la même note indique:

«a)     en ce qui concerne les prix, les speaking-notes dont il est question ci-dessus se sont toujours limitées à montrer une évolution d'indices très généraux (ensemble des produits plats, par exemple) portant sur le passé ainsi qu'une estimation de l'évolution attendue pour le trimestre à venir.

    Ici également, le caractère très général des informations ne permettait en aucun cas à nos services de soupçonner l'éventualité de pratiques contraires au traité CECA.

b)     Harmonisation des extras

    La décision 31/53/CECA oblige les entreprises à notifier à la Commission leur barème ainsi que toute modification [...] Étant en possession de tous les barèmes et recevant régulièrement leurs modifications, les services de la DG III ont pu observer le parallélisme existant dans la structure, les niveaux de prix et parfois les dates de publication des extras de barèmes. Cette pratique, n'étant pas contraire aux règles de l'article 60, n'a donc jamais été relevée par nos services, ni d'ailleurs par les nombreux contrôles article 60 effectués par la DG IV.»

103.
    Le Tribunal estime qu'il ressort de l'ensemble de ces documents que la Commission a dûment pris en considération les observations et documents soumis par les entreprises lors de l'audition, lesquels ont été transmis à la DG III pour commentaires et explications. De surcroît, la DG III a d'office été invitée par la DG IV à s'expliquer sur sa prétendue «implication» dans les pratiques en cause, une première fois au cours de l'instruction administrative, et une seconde fois après l'audition.

104.
    S'agissant du grief tiré de ce que la Commission n'a pas rouvert les débats à l'issue de son enquête interne, il convient de rappeler que la garantie des droits de la défense assurée par l'article 36, premier alinéa, du traité n'exige pas que la Commission réponde à tous les moyens de l'intéressé ou effectue des enquêtes supplémentaires ou procède à l'audition de témoins indiqués par l'intéressé, lorsqu'elle estime que l'instruction de l'affaire a été suffisante (arrêts de la Cour du 16 mai 1984, Eisen und Metall Aktiengesellschaft/Commission, 9/83, Rec. p. 2071, point 32, et du 12 novembre 1985, Krupp/Commission, 183/83, Rec. p. 3609, point 7).

105.
    En l'espèce, les entreprises concernées étaient en mesure d'adresser les prétendues pièces à décharge en leur possession dans leur réponse à la communication des griefs. En tout état de cause, l'audition des 11, 12, 13 et 14 janvier 1993 leur a fourni l'occasion d'exposer en détail leur position, et la Commission leur a, de surcroît, offert une occasion supplémentaire d'exposer par écrit leur point de vue (voir arrêt Krupp/Commission, précité, point 8).

106.
    Dans ces conditions, la seule circonstance que les requérantes ont produit certains documents après l'audition, et que la Commission, à la suite de cette audition, a décidé d'ouvrir une enquête interne, n'était pas de nature, à elle seule, à l'obliger à rouvrir les débats à l'issue de cette enquête.

107.
    Le Tribunal considère, par ailleurs, que la partie défenderesse a suffisamment respecté les droits de la défense des entreprises concernées en les informant des résultats de cette enquête, par lettre du conseiller-auditeur du 22 avril 1993 indiquant que les documents qu'elles avaient fournis à la suite de l'audition ne permettaient pas de conclure que la Commission était au courant de leurs pratiques, et qu'ils ne justifiaient pas l'organisation d'une seconde audition.

108.
    Le Tribunal estime, en particulier, que la Commission n'était pas tenue de communiquer aux entreprises concernées, au cours de la procédure administrative, les notes internes relatives à son enquête, ni de leur donner l'occasion de prendre position à leur sujet pendant la procédure administrative, dès lors que cesdocuments, par nature confidentiels, ne comportaient manifestement aucun élément à décharge.

109.
    En effet, dans une situation comme celle de l'espèce, les droits procéduraux des entreprises concernées doivent être considérés comme suffisamment garantis par la faculté qui leur est ouverte d'introduire un recours devant le Tribunal et de mettre en cause, à cette occasion, le bien-fondé de la conclusion à laquelle la Commission est parvenue au point 312 de la Décision, tout en demandant au Tribunal, le cas échéant, d'adopter les mesures nécessaires à l'instruction de cet aspect de l'affaire (voir l'ordonnance du 10 décembre 1997).

110.
    Il y a dès lors lieu de rejeter comme non fondés les arguments tirés par la requérante d'une violation de ses droits de la défense.

B — Sur la violation des formes substantielles

Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante

111.
    A l'audience, les griefs suivants, portant sur la violation des formes substantielles au cours de la procédure d'adoption de la Décision, ont été formulés lors d'une présentation commune faite au nom de toutes les requérantes.

112.
    Les requérantes font observer, à titre liminaire, que, lors de la conférence de presse qu'il a donnée à midi le 16 février 1994, M. Van Miert a affirmé que la Décision avait été adoptée, ce qui n'aurait pas été le cas, et qu'il a d'ailleurs donné des chiffres inexacts concernant certaines amendes (voir l'appendice 1 à la requête dans l'affaire T-151/94). Les communiqués de presse de la Commission, préparés avant l'adoption de la Décision, auraient également contenu des erreurs, notamment en ce qui concerne l'identité des entreprises condamnées à une amende.

113.
    Dans ces circonstances, les requérantes, en invoquant l'arrêt de la Cour du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a. (C-137/92 P, Rec. p. I-2555, ci-après «arrêt PVC»), et les arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, BASF e.a./Commission (T-80/89, T-81/89, T-83/89, T-87/89, T-88/89, T-90/89, T-93/89, T-95/89, T-97/89, T-99/89, T-100/89,

T-101/89, T-103/89, T-105/89, T-107/89 et T-112/89, Rec. p. II-729, points 114 et 119, ci-après «arrêt PEBD») et du 29 juin 1995, Solvay/Commission (T-31/91, Rec. p. II-1821, point 50), soulèvent quatre griefs principaux.

114.
    En premier lieu, le quorum de présence de neuf membres de la Commission requis par l'article 5 du règlement intérieur de la Commission du 17 février 1993, en vigueur à l'époque (93/492/Euratom, CECA, CEE, JO L 230, p. 15, ci-après «règlement intérieur de 1993»), n'aurait pas été atteint. Selon les requérantes, bien qu'il semble ressortir de la page 2 du procès-verbal de la réunion de la Commission du 16 février 1994 que neuf membres étaient présents lors de l'adoption de la Décision au cours de la séance de l'après-midi (point XXV, p. 43), il ressort en réalité de la liste des personnes mentionnées comme ayant «assist[é] à la séance en l'absence des membres de la Commission», à la page 40 dudit procès-verbal, que six membres de la Commission seulement étaient présents lors de cette même séance. A défaut de quorum, aucun vote valable sur l'adoption de la Décision n'aurait pu, dès lors, intervenir conformément à l'article 6 du règlement intérieur de 1993.

115.
    En deuxième lieu, les requérantes font valoir que la Décision n'a pas été adoptée par la Commission dans la forme qui leur a été notifiée. A tout le moins, il serait impossible de déterminer le contenu exact de la décision que la Commission a entendu adopter le 16 février 1994.

116.
    En effet, selon le procès-verbal de la réunion (p. 43), la Commission aurait approuvé «dans les langues faisant foi, la décision reprise au document C(94)321/2 et 3», alors que la version de la Décision notifiée aux requérantes porte le numéro C(94) 321 final. Par ailleurs, d'après la liste des documents internes transmis au Tribunal au titre de l'article 23, annexée à la lettre de la Commission du 27 juin 1995, il existerait une autre version de la Décision portant le numéro C(94)321/4, datée du 25 février 1994.

117.
    De plus, il serait permis de nourrir certains doutes à propos des différentes versions de la Décision déposées au greffe du Tribunal à la suite de sa demande du 11 mars 1998. Outre le fait que seules les versions espagnole et italienne portent la mention «version faisant foi» sur leur page de garde, les documents C(94)321/2 et C(94)321/3 sembleraient être composés de plusieurs documents préparés séparément, rédigés avec des polices de caractères différentes et une numérotation incohérente.

118.
    La Commission ayant, en cours d'audience, accepté de lever la confidentialité des documents internes relatifs à l'adoption de la Décision qui se trouvent dans les classeurs n°s 57, 58 et 61 du dossier transmis au Tribunal au titre de l'article 23, les avocats des requérantes disent avoir vu leurs doutes renforcés par la découverte d'un certain nombre de différences, qui sont résumées dans une liste déposée à l'audience, entre les documents internes se trouvant dans ces classeurs et les

documents C(94)321/2 et C(94)321/3. De plus, il existerait des différences importantes entre le document se trouvant dans le classeur n° 61 du dossier de la Commission qui, selon les requérantes, constitue le document C(94)321/1 tel qu'il a été examiné par la Commission lors de sa réunion du 16 février 1994 dans la matinée, et les documents C(94)321/2 et C(94)321/3. Ces différences sont elles aussi résumées dans une seconde liste déposée à l'audience. Enfin, certaines modifications auraient été apportées manuellement à la version italienne du document C(94)321/2 après la réception d'une télécopie des services de traduction de la Commission entre 17 h 09 et 17 h 14 le 16 février 1994, soit après la clôture de la réunion à 16 h 25.

119.
    En troisième lieu, les requérantes soutiennent que ni la version C(94) 321 final, ni les versions C(94)321/2 et C(94)321/3 de la Décision n'ont été authentifiées conformément à l'article 16 du règlement intérieur de 1993. En effet, aucune de ces versions ne serait annexée au procès-verbal au sens de cette disposition, qui exigerait qu'elles y aient été physiquement attachées. De plus, le procès-verbal ne ferait aucune référence aux documents qui y sont annexés.

120.
    En tout état de cause, le procès-verbal ne saurait être considéré comme authentifié conformément aux articles 9 et 16 du règlement intérieur de 1993, en l'absence des signatures originales du président et du secrétaire général sur la page de garde.

121.
    En quatrième lieu, les requérantes font valoir que le procès-verbal ne porte pas la date de sa signature par le président et le secrétaire général de la Commission, de sorte qu'il ne saurait être présumé avoir été authentifié au moment de son approbation.

122.
    Enfin, les requérantes prient le Tribunal d'adopter des mesures d'instruction visant, d'une part, à leur permettre d'inspecter la version originale du procès-verbal qui se trouve dans les archives de la Commission, et, d'autre part, à établir, par exemple au vu des agendas des membres de la Commission et d'autres documents semblables, lesquels parmi ces derniers étaient effectivement présents lors de l'adoption de la Décision au cours de la séance du 16 février 1994 après-midi.

Appréciation du Tribunal

Sur la recevabilité

123.
    Le Tribunal rappelle que la requérante n'a pas, dans sa requête, soulevé de moyen tiré d'irrégularités dans la procédure d'adoption de la Décision. Toutefois, le procès-verbal de la réunion de la Commission du 16 février 1994 et ses annexes doivent être considérés comme des éléments qui se sont révélés pendant la procédure, à la suite des mesures d'instruction et d'organisation de la procédure adoptées par le Tribunal. Or, l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure n'interdit pas la production de moyens nouveaux fondés sur de tels éléments. Il s'ensuit que le présent moyen est recevable.

Sur l'absence de quorum

124.
    L'article 13, premier alinéa, du traité, tel qu'inséré par l'article H, point 2, du traité sur l'Union européenne, dispose que les délibérations de la Commission sont acquises à la majorité du nombre de ses membres, qui était à l'époque de 17. Aux termes de l'article 13, deuxième alinéa, du traité, la Commission ne peut siéger valablement que si le nombre de membres fixé dans son règlement intérieur est présent.

125.
    L'article 5 du règlement intérieur de 1993 disposait que «le nombre des membres dont la présence est nécessaire pour que la Commission délibère valablement est égal à la majorité du nombre de membres prévu par le traité». Il s'ensuit que le quorum de présences requis pour que la Commission ait pu valablement délibérer lors de sa réunion du 16 février 1994 était de neuf membres.

126.
    Aux termes de l'article 6 du même règlement: «La Commission décide sur proposition d'un ou plusieurs de ses membres. La Commission procède à un vote sur demande d'un de ses membres. Ce vote porte sur la proposition initiale ou sur une proposition modifiée par le ou les membres responsables ou le président. Les décisions de la Commission sont acquises à la majorité du nombre des membres prévu par le traité.» Il s'ensuit également que les décisions de la Commission étaient acquises, à l'époque, avec l'accord de neuf de ses membres.

127.
    Il ressort du procès-verbal de la 1189e réunion de la Commission tenue à Bruxelles le 16 février 1994 (ci-après «procès-verbal»), transmis au Tribunal à la suite de ses demandes des 27 novembre 1997 et 11 mars 1998, que cette réunion s'est déroulée en deux séances, l'une le matin et l'autre l'après-midi. Le point XVII du procès-verbal, discuté lors de la séance du matin, se lit comme suit:

«XVII.    CAS D'APPLICATION DE L'ARTICLE 65 DU TRAITÉ CECA [C(94) 321; SEC (94) 267]

        M. RENAUDIERE, membre du cabinet de M.VAN MIERT, assiste aux délibérations sur ce point.

        M. VAN MIERT expose à la Commission les différents éléments du cas qui lui est soumis. Il souligne la très grande gravité des infractions constatées. Il présente à la Commission les amendes qu'il propose d'infliger aux entreprises en cause.

        La Commission approuve la substance de la décision proposée par M. VAN MIERT et procède à un débat approfondi sur le montant des amendes. Elle convient de se prononcer à un moment ultérieur de sa présente réunion sur la décision finale dont le projet lui sera soumis par M. VAN MIERT.

        Les autres délibérations de la Commission sur ce point font l'objet d'un procès-verbal spécial.»

128.
    Le point XXV du procès-verbal, qui a été discuté lors de la séance de l'après-midi, se lit comme suit:

«XXV.    CAS D'APPLICATION DE L'ARTICLE 65 DU TRAITÉ CECA (SUITE DU POINT XVII) [C(94) 321/2 et /3; SEC(94) 267]

        La Commission poursuit ses délibérations entamées au cours de la séance du matin. Elle fixe comme suit les amendes infligées aux entreprises en cause:

        ARBED SA:

11 200 000 écus

        British Steel plc:

32 000 000 écus

        Unimétal SA:

12 300 000 écus

        Saarstahl AG:

4 600 000 écus

        Ferdofin SpA:

9 500 000 écus

        Thyssen Stahl AG:

6 500 000 écus

        Preussag AG:

9 500 000 écus

        Empresa Nacional Siderúrgica SA:

4 000 000 écus

        Siderúrgica Aristrain Madrid SL:

10 600 000 écus

        SA Cockerill-Sambre:

4 000 000 écus

        Krupp-Hoesch Stahl AG:

13 000 écus

        NMH Stahlwerke GmbH:

150 000 écus

        Norsk Jernverk AS:

750 écus

        Inexa Profil AB:

600 écus

        La Commission décide d'autre part que les amendes supérieures à 20 000 écus pourront faire l'objet d'un paiement échelonné. Elle approuve en conséquence, dans les langues faisant foi, la décision reprise au document C(94) 321/2 et /3.

*

                        *     *

        La réunion est close à 16 h 25.»

129.
    Il résulte de la lecture combinée des points XVII et XXV du procès-verbal que la Décision n'a pas été définitivement adoptée lors de la délibération du point XVII, au cours de la séance du matin, mais qu'elle l'a été lors de la délibération du point XXV, au cours de la séance de l'après-midi.

130.
    Il ressort par ailleurs de la liste des présences, figurant à la page 2 du procès-verbal, que neuf membres de la Commission étaient présents lors de la délibération de la Commission sur le point XXV, à savoir: M. Delors, Sir Leon Brittan, MM.

Van Miert, Ruberti, Millan, Van den Broek, Flynn, Steichen et Paleokrassas. Le quorum requis par l'article 5 du règlement intérieur de 1993 était donc atteint. De même, la Décision pouvait être adoptée avec l'accord des neuf membres présents, conformément à l'article 6 dudit règlement intérieur.

131.
    L'argument des requérantes est, toutefois, fondé sur une liste de présence figurant à la page 40 du procès-verbal, qui indique que MM. Budd et Santopinto, respectivement chefs du cabinet de Sir Leon Brittan et de M. Ruberti, ainsi que Mme Evans, membre du cabinet de M. Flynn, ont «[a]ssist[é] à la séance en l'absence des membres de la Commission». Les requérantes en déduisent que, contrairement à ce qui est indiqué à la page 2 du procès-verbal, Sir Leon Brittan, M. Ruberti et M. Flynn n'étaient pas présents lors de l'adoption de la Décision visée au point XXV.

132.
    Cet argument ne saurait être retenu. En effet, il ressort de son libellé même que la liste figurant à la page 2 du procès-verbal a pour objet de faire un relevé précis de la présence ou de l'absence des membres de la Commission lors de la réunion concernée. Ce relevé concerne à la fois la séance du matin et celle de l'après-midi et constitue donc la preuve de la présence des membres de la Commission concernés pendant ces deux séances, sauf s'il y est expressément indiqué qu'un membre était absent lors de la discussion sur un point spécifique. En revanche, la liste figurant à la page 40 du procès-verbal n'a pas pour objet de faire le relevé de la présence des membres de la Commission, mais se réfère seulement aux autres personnes éventuellement présentes, tels que les chefs de cabinet. Dans ces circonstances, les déductions indirectes que les requérantes prétendent tirer de ladite liste ne sauraient l'emporter sur la mention expresse, à la page 2 du procès-verbal, de la présence ou de l'absence des membres de la Commission.

133.
    En tout état de cause, le Tribunal estime que la mention «assistent à la séance en l'absence des membres de la Commission», figurant à la page 40 du procès-verbal, doit être comprise comme synonyme de «assistent, pour le cas où le membre serait absent pour un point spécifique».

134.
    En effet, cette mention doit être rapprochée de l'article 8 du règlement intérieur de 1993, qui dispose notamment: «[...] En cas d'absence d'un membre de la Commission, son chef de cabinet peut assister à la réunion et, à l'invitation du président, y exposer l'opinion du membre absent [...]» La liste de la page 40 du procès-verbal n'a donc pas pour objet de remplacer celle de la page 2, mais d'identifier les personnes qui sont autorisées à assister à la réunion conformément audit article 8, et, le cas échéant, à y exposer l'opinion du membre absent.

135.
    Toutefois, le fait qu'un chef de cabinet puisse exprimer l'opinion du membre de la Commission qu'il représente sur un point spécifique, en l'absence de ce dernier, n'exclut pas que le membre de la Commission en question soit revenu à la réunion lors de la discussion sur un autre point, sans pour autant que son chef de cabinet

quitte la salle de réunion après son retour. La mention, à la page 40 du procès-verbal, de la présence de MM. Budd et Santopinto et de Mme Evans pendant la séance de l'après-midi peut donc s'expliquer par le simple fait que, selon la page 2 du procès-verbal, Sir Leon Brittan et MM. Ruberti et Flynn étaient absents lors de la discussion de certains points de l'ordre du jour de l'après-midi, à savoir les points XXIII.B, XXIII.C et XXIV en partie (Sir Leon Brittan), ainsi que les points XXIII.B et XXIII.C en partie (MM. Ruberti et Flynn). Il ne s'ensuit pas pour autant que ces trois membres de la Commission étaient absents lors de la délibération sur le point XXV, contrairement aux termes exprès de la page 2 du procès-verbal.

136.
    Cette interprétation est corroborée par la page 7 du procès-verbal où figure, pour la séance du matin, une liste des personnes ayant assisté à la réunion «en l'absence» des membres de la Commission, équivalente à celle de la page 40 pour la séance de l'après-midi. Or, si l'interprétation donnée par les requérantes à la formule «assistent à la séance en l'absence des membres de la Commission» était correcte, il découlerait de l'indication, sur cette liste, de la présence pendant toute la matinée de MM. Kubosch et Budd, respectivement membre du cabinet de M. Bangemann et chef de cabinet de Sir Leon Brittan, que ces deux membres de la Commission étaient absents pendant la totalité de la séance du matin. Tel n'est manifestement pas le cas puisque, selon la page 2 du procès-verbal, M. Bangemann était présent lors de la séance du matin pour les points I à XVIII, et Sir Leon Brittan pour les points XVII à XXII.

137.
    Il résulte de ce qui précède que le quorum de présences requis était atteint lors de l'adoption de la Décision, dans l'après-midi du 16 février 1994.

138.
    Il y a lieu d'ajouter que l'article 6 du règlement intérieur de 1993 prévoit que la Commission décide sur proposition d'un ou plusieurs membres et ne procède à un vote que sur demande de l'un de ses membres. A défaut d'une telle demande, il n'était pas nécessaire que la Commission procède à un vote formel lors de la séance de l'après-midi. En tout état de cause, étant donné que, selon ledit article 6, les décisions de la Commission sont acquises à la majorité des membres prévus par le traité, à savoir neuf membres à l'époque, rien n'empêchait les neuf membres présents l'après-midi du 16 février 1994 de décider, à l'unanimité, d'adopter la Décision.

139.
    Il s'ensuit que le premier grief des requérantes n'est pas fondé.

Sur l'absence de correspondance formelle entre la Décision adoptée et celle notifiée à la partie requérante

140.
    Il ressort de la jurisprudence de la Cour que le dispositif et la motivation de la décision notifiée à son ou ses destinataires doivent correspondre à ceux de la décision adoptée par le collège des membres de la Commission, abstraction faite des adaptations purement orthographiques ou grammaticales qui peuvent encore

être apportées au texte d'un acte après son adoption finale par le collège (arrêt PVC, points 62 à 70).

141.
    Il ressort du point XXV du procès-verbal que la Commission a adopté «dans les langues faisant foi, la décision reprise au document C(94)321/2 et /3».

142.
    Il s'ensuit que la comparaison pertinente doit être effectuée entre les versions C(94)321/2 et C(94)321/3 de la Décision lues conjointement, qui ont été adoptées par la Commission l'après-midi du 16 février 1994, d'une part, et les différentes versions de la Décision notifiées aux requérantes dans les langues faisant foi, d'autre part.

143.
    Or, les requérantes n'ont pas invoqué et le Tribunal n'a pas pu déceler de différence matérielle entre les versions C(94)321/2 et C(94)321/3 de la Décision lues conjointement, telles qu'elles ont été déposées par la Commission au greffe du Tribunal dans les quatre langues faisant foi, et les versions de la Décision notifiées aux requérantes. Dans ces circonstances, le fait que la Décision a été adoptée sous forme de deux documents, à savoir C(94)321/2 et C(94)321/3, le second apportant quelques modifications, dont certaines manuscrites, au premier, est dépourvu de pertinence, d'autant plus que, en substance, ces modifications ne concernent que le paiement échelonné des amendes et la décision de ne pas infliger des amendes d'un montant inférieur à 100 écus. De même, le fait que dans certaines versions linguistiques les documents C(94)321/2 et C(94)321/3 ont une pagination incohérente ou des polices de caractères différentes est dépourvu de pertinence, dès lors que l'élément intellectuel et l'élément formel de ces documents lus ensemble correspondent à la version de la Décision notifiée aux requérantes (arrêt PVC, point 70).

144.
    Le Tribunal estime, au contraire, que les différences entre les documents C(94)321/2 et C(94)321/3 témoignent des efforts accomplis par la Commission pour n'adopter formellement la Décision qu'après incorporation, dans chacune des versions linguistiques, de toutes les modifications décidées par le collège, notamment en ce qui concerne le paiement échelonné des amendes et le fait de ne pas infliger des amendes d'un montant inférieur à 100 écus.

145.
    Il découle également de ce qui précède que les arguments fondés sur une comparaison minutieuse entre certains documents se trouvant dans les classeurs 57, 58 et 61 du dossier de la Commission et les documents C(94)321/2 et C(94)321/3 sont inopérants. Comme le Tribunal vient de le constater, la comparaison pertinente doit être effectuée entre les documents C(94)321/2 et C(94)321/3 tels que produits par la Commission, d'une part, et la version notifiée aux requérantes, d'autre part, et non pas entre les documents C(94)321/2 et C(94)321/3, d'une part, et certains projets et autres documents éventuellement antérieurs se trouvant dans le dossier de la Commission, d'autre part. S'agissant, notamment, du document B contenu dans le classeur 61, le Tribunal estime qu'il n'est nullement prouvé que ce

document, qui semble être un document de travail, constitue le document C(94)321 ou correspond à celui qui a été examiné par la Commission lors de la réunion du matin du 16 février 1994. En tout état de cause, le document C(94)321 est sans pertinence, dès lors que la version définitive de la Décision adoptée par la Commission est constituée des documents C(94)321/2 et C(94)321/3.

146.
    Le fait qu'il puisse subsister une ambiguïté quant au moment précis de l'envoi de la traduction de certaines modifications mineures dans la version italienne de la Décision est également sans pertinence, d'autant plus que la requérante n'est pas destinataire de la version italienne de la Décision.

147.
    Enfin, il est établi que le document C(94)321/4 n'est qu'une version non confidentielle de la version C(94)321 final, dans laquelle certains chiffres constituant des secrets d'affaires des destinataires ont été supprimés aux fins de la notification de la Décision aux autres destinataires.

148.
    Il s'ensuit que le deuxième grief des requérantes n'est pas fondé.

Sur le défaut d'authentification de la Décision

149.
    Quant au troisième grief des requérantes, selon lequel les versions C(94)321/2 et C(94)321/3 de la Décision n'auraient pas été dûment authentifiées conformément à l'article 16, premier alinéa, du règlement intérieur de 1993, il convient de rappeler que cette disposition prévoyait:

«Les actes adoptés en réunion ou par la procédure écrite sont annexés, dans la ou les langues dans lesquelles ils font foi, au procès-verbal de la réunion de la Commission au cours de laquelle ils ont été adoptés ou au cours de laquelle il a été pris acte de leur adoption. Ces actes sont authentifiés par les signatures du président et du secrétaire général apposées à la première page de ce procès-verbal.»

150.
    De même, l'article 9, deuxième alinéa, du règlement intérieur de 1993 prévoyait que les procès-verbaux de la Commission «sont authentifiés par les signatures du président et du secrétaire général».

151.
    Il y a lieu de relever tout d'abord que l'article 16, premier alinéa, du règlement intérieur de 1993 ne définissait pas de quelle façon les actes adoptés en réunion devaient être «annexés» au procès-verbal, à la différence, par exemple, de l'article 16 du règlement intérieur de la Commission, dans sa rédaction issue de la décision 95/148/CE, CECA, Euratom du 8 mars 1995 (JO L 97, p. 82), qui prévoit que les actes en cause sont joints «de façon indissociable» au procès-verbal.

152.
    En l'espèce, le procès-verbal a été reçu par le Tribunal accompagné des documents C(94)321/2 et C(94)321/3 dans les différentes langues faisant foi, dans un même réceptacle que les agents de la Commission ont affirmé avoir reçu tel quel du

secrétariat général de la Commission, à la suite de la demande du Tribunal du 11 mars 1998. Il y a donc lieu de présumer que ces documents ont été «annexés» au procès-verbal en ce sens qu'ils ont été placés avec celui-ci, sans y être attachés physiquement.

153.
    La finalité de l'article 16, premier alinéa, du règlement intérieur de 1993 est d'assurer que la Commission a dûment adopté l'acte tel qu'il a été notifié au destinataire. Or, en l'espèce, la requérante n'a établi aucune différence matérielle entre la version de la Décision qui lui a été notifiée et la version qui, selon la Commission, a été «annexée» au procès-verbal.

154.
    Dans ces circonstances, et eu égard à la présomption de validité qui s'attache aux actes communautaires (arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, Deere/Commission, T-35/92, Rec. p. II-957, point 31), la requérante n'a pas démontré que les documents C(94)321/2 et C(94)321/3 n'ont pas été «annexés» au procès-verbal au sens de l'article 16 du règlement intérieur de 1993. Ces documents doivent, dès lors, être considérés comme authentifiés par les signatures du président et du secrétaire général apposées sur la première page dudit procès-verbal.

155.
    Quant au fait que le procès-verbal produit devant le Tribunal est lui-même une photocopie qui ne porte pas les signatures originales du président et du secrétaire général, il y a lieu de constater que la première page de ce document est revêtue du cachet «ampliation certifiée conforme, le secrétaire général Carlo Trojan», et que ce cachet porte la signature originale de M. Trojan, secrétaire général en titre de la Commission. Le Tribunal estime que cette certification de la conformité de l'ampliation par le secrétaire général en titre de la Commission prouve à suffisance de droit que la version originale du procès-verbal porte les signatures originales du président et du secrétaire général de la Commission.

156.
    Il s'ensuit que le troisième grief n'est pas fondé.

Sur le défaut d'indication de la date de signature du procès-verbal

157.
    Quant au quatrième grief des requérantes, selon lequel le procès-verbal n'indique pas la date de sa signature par le président et le secrétaire général de la Commission, il suffit de constater que la première page du procès-verbal déposé au Tribunal porte l'indication «Bruxelles, le 23 février 1994», ainsi que la mention «le présent procès-verbal a été adopté par la Commission lors de sa 1190e réunion tenue à Bruxelles le 23 février 1994», suivie des signatures du président et du secrétaire général et de la certification, par M. Trojan, de la conformité de l'ampliation du procès-verbal à l'original. Il y a dès lors lieu de constater que le procès-verbal a été dûment signé par le président et le secrétaire général, conformément au règlement intérieur de 1993, le 23 février 1994.

158.
    Le quatrième grief des requérantes n'est donc pas non plus fondé.

159.
    Enfin, quant aux déclarations inexactes de M. Van Miert lors de sa conférence de presse du 16 février 1994 à midi, annonçant que la Commission venait d'adopter la Décision et mentionnant certains montants d'amende ne correspondant pas à ceux imposés par la Décision, elles n'affectent pas en soi la régularité de l'adoption de la Décision par le collège des membres de la Commission, dès lors que le contrôle juridictionnel exercé par le Tribunal ne peut porter que sur la décision adoptée par la Commission (voir arrêt du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T-30/89, Rec. p. II-1439, point 136).

160.
    Il résulte de ce qui précède que les divers arguments tirés d'une violation par la Commission, au cours de la procédure administrative, des formes substantielles doivent être rejetés dans leur intégralité, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner les mesures d'instruction demandées par les requérantes.

C — Sur la violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité

161.
    Dans le cadre de ses arguments tirés d'une violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité, la requérante soulève deux griefs principaux. En premier lieu, la requérante allègue diverses erreurs d'appréciation et le caractère insuffisamment probatoire des faits sur la base desquels la Commission a constaté les infractions énumérées à l'article 1er de la Décision. En second lieu, elle conteste la qualification juridique desdits faits en faisant valoir, notamment, que dans son interprétation de l'article 65 du traité, qui est à la base de cette qualification, la Commission a méconnu tant l'autonomie de cette disposition par rapport à l'article 85 du traité CE que les autres principes et dispositions essentielles du traité CECA, et notamment ses articles 2 à 5, 46 à 48, 60 et 64. La requérante invoque également divers défauts de motivation.

162.
    Compte tenu de l'interdépendance des arguments soulevés par la requérante, le Tribunal estime qu'il convient d'examiner tour à tour les différentes infractions qui lui sont reprochées et qu'elle conteste, en vérifiant tout d'abord que la matérialité des faits qui les constituent est établie à suffisance de droit, puis que la qualification juridique desdits faits retenue par la Décision est fondée en droit. La question de savoir si les activités de la DG III sont de nature à ôter aux faits ainsi qualifiés leur caractère infractionnel sera examinée dans la partie D ci-après.

Sur la fixation de prix (prix cibles) au sein de la commission poutrelles

1. Sur la matérialité des faits

163.
    Aux termes de l'article 1er de la Décision, la Commission reproche à la requérante d'avoir participé à une infraction de fixation de prix au sein de la commission poutrelles. La période retenue aux fins de l'amende est de 30 mois, compris entre le 1er juillet 1988 et le 31 décembre 1990 (voir les points 80 à 121, 223 à 243, 311 et 314 de la Décision).

164.
    En l'espèce, la requérante ne nie pas sa participation aux réunions de la commission poutrelles décrites dans la Décision, mais fait valoir, notamment, qu'il ne s'y concluait pas d'«accords», mais de simples échanges d'informations entre les membres quant aux prix qu'ils avaient l'intention d'appliquer de trimestre en trimestre. Elle fait valoir, en outre, que les accords et pratiques concertées qui lui sont reprochés ne sont pas prouvés à suffisance de droit, tout en invoquant, notamment, une expertise économique présentée à l'audition administrative par l'expert M. Bishop.

Observations liminaires

165.
    Avant d'aborder l'examen individuel des accords et pratiques concertées dénoncés aux points 80 à 121 et 223 à 237 de la Décision, il convient de rappeler, à titre liminaire, que les preuves doivent être appréciées dans leur ensemble en tenant compte de toutes les circonstances factuelles pertinentes (voir les conclusions du juge M. Vesterdorf, faisant fonction d'avocat général, sous l'arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc e.a./Commission, T-1/89, Rec. p. II-867, II-869 — conclusions communes aux arrêts dits «polypropylène» du 24 octobre 1991, T-2/89, T-3/89, Rec. p. II-1087, II-1177, du 17 décembre 1991, T-4/89, T-6/89, T-7/89, T-8/89, Rec. p. II-1523, II-1623, II-1711, II-1833, et du 10 mars 1992, T-9/89 à T-15/89, Rec. p. II-499, II-629, II-757, II-907, II-1021, II-1155, II-1275).

166.
    A cet égard, il est constant, en premier lieu, que la commission poutrelles, de même que les autres «commissions de produits» d'Eurofer, a été constituée par cette association au cours de la période de crise manifeste afin de mieux coordonner le comportement des entreprises sidérurgiques, notamment dans le cadre du système de quotas «I» et «i» et des accords Eurofer I à V (voir points 9 et suivants ci-dessus). Après la fin de la période de crise, cette commission, qui réunissait les principaux producteurs de poutrelles de la Communauté et était dotée d'un secrétariat permanent, a continué à se réunir régulièrement. En l'espèce, c'est principalement ce système de réunions régulières qui constitue le cadre de référence pour l'appréciation des éléments de preuve pertinents (voir points 30, 36, 37 et 212 de la Décision).

167.
    En deuxième lieu, il est constant que la requérante a participé aux réunions de la commission poutrelles des 7 avril, 19 mai, 28 octobre et 25 novembre 1987, 3 mai, 19 juillet, 18 octobre, 15 novembre et 13 décembre 1988, 10 janvier, 7 février, 19 avril, 6 juin, 11 juillet, 3 août, 21 septembre, 7 novembre et 12 décembre 1989, 14 février, 21 mars, 16 mai, 10 juillet, 11 septembre, 9 octobre et 4 décembre 1990 [point 38, sous g), de la Décision]. Or, la participation d'une entreprise à des réunions au cours desquelles des activités anticoncurrentielles ont été menées suffit pour démontrer sa participation auxdites activités, en l'absence d'indices de nature à établir le contraire (voir arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Montedipe/Commission, T-14/89, Rec. p. II-1155, points 129 et 144).

168.
    En troisième lieu, il est constant que les décisions adoptées lors de ces réunions étaient communiquées au groupe Eurofer/Scandinavie, qui fonctionnait de la même manière que la commission poutrelles et réunissait les principaux producteurscommunautaires et scandinaves (voir, notamment, points 81, 84, 86 à 88, 93, 187, 189, 191 et 192 de la Décision). Il est constant également que la requérante a participé, entre le 5 février 1986 et le 30 octobre 1989, à 13 des 16 réunions du groupe Eurofer/Scandinavie mentionnées, pour cette période, au point 178 de la Décision.

169.
    En quatrième lieu, s'agissant plus particulièrement de l'allégation selon laquelle il ne s'agissait pas en l'espèce d'«accords sur les prix» mais d'échanges d'informations entre producteurs «sur les prix qu'ils avaient l'intention d'appliquer de trimestre en trimestre», s'il est vrai que les procès-verbaux concernés utilisent souvent des expressions telles que «estimations» ou «prévisions» de prix, il y a lieu de tenir compte, dans l'appréciation des preuves dans leur ensemble, des éléments suivants:

a)    de nombreux tableaux de prix (par exemple, ceux indiquant les prix fixés aux réunions des 25 juillet 1988, 18 octobre 1988, 10 janvier 1989 et 19 avril 1989) ont été établis relativement longtemps avant le trimestre concerné et contiennent des données très détaillées, concernant notamment les différentes catégories de produits, les différents pays, le montant précis des hausses envisagées et des rabais. Ce type de tableaux ne peut pas être considéré comme reflétant simplement les «estimations» des entreprises sur l'évolution des prix du marché;

b)    dans de nombreux cas, le libellé des procès-verbaux n'est pas favorable à la thèse de la requérante: voir, par exemple, des expressions telles que «les hausses de prix aboutissent au niveau suivant des prix» (réunion du 18 octobre 1988); «les niveaux des prix suivants sont pressentis sur le 2e trimestre 1989. Ces prix représentent par rapport à T1/89 des hausses: [suit un tableau très détaillé]» (réunion du 10 janvier 1989); «Les prévisions T2/89 sont reconduites sur le 3e trimestre 1989; soit les niveaux suivants [suit un tableau très détaillé]» (réunion du 19 avril 1989); «les prix escomptés et atteints sur le 3e trimestre 1989 sont dans ce contexte reconduits sur le 4e trimestre 1989» (réunion du 11 juillet 1989);

c)    les procès-verbaux contiennent également de nombreuses références au fait que les prix «attendus» pour le trimestre en cause avaient été «obtenus» ou «acceptés» par les clients (voir points 94, 95, 97 à 99, 101, 102 et 118 de la Décision);

d)    les procès-verbaux des réunions de la commission poutrelles sont à lire conjointement avec ceux des réunions du groupe Eurofer/Scandinavie, qui ont notamment servi à transmettre aux producteurs scandinaves les décisions arrêtées lors de la réunion de la commission poutrelles précédente (voir points 177 et suivants de la Décision). Or, il ressort très clairement des

procès-verbaux des réunions du groupe Eurofer/Scandinavie qu'il s'agissait en l'espèce d'accords sur les prix (voir ci-après);

e)    les preuves avancées par la Commission englobent non seulement les procès-verbaux de la commission poutrelles et du groupe Eurofer/Scandinavie, mais aussi d'autres documents émanant des entreprises elles-mêmes, par exemple le télex de TradeARBED à Thyssen du 22 septembre 1988, la note interne de Peine Salzgitter du 13 janvier 1989, la note de TradeARBED en vue de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 31 janvier 1990, les lettres de Peine Salzgitter à la requérante des 6 novembre et 19 décembre 1989, la lettre de TradeARBED à la requérante du 7 février 1990 et les documents de British Steel cités dans la Décision, notamment aux points 96, 100, 111, 112, 114, 115 et 117;

f)    la requérante n'a pas contesté la conclusion des accords d'harmonisation des prix des suppléments lors des réunions de la commission poutrelles des 15 novembre 1988, 19 avril 1989, 6 juin 1989, 16 mai 1990 et 4 décembre 1990 (voir ci-après). Vu le rapport étroit entre les prix de base et les suppléments, il n'est pas plausible que les participants aient conclu des accords sur les uns et pas sur les autres;

g)    la requérante n'a pas contesté l'allégation de la Commission figurant au point 37 de la Décision, selon laquelle les versions finales des procès-verbaux de la commission poutrelles ont été rédigées avec une certaine prudence.

170.
    C'est à la lumière de ces observations d'ordre général qu'il convient d'examiner chacun des accords ou pratiques concertées de fixation de prix retenus à charge de la requérante.

Accords prétendument conclus en 1986 et 1987

171.
    Au point 223 de la Décision, la Commission constate, en se référant aux points 80 à 86, que «des accords sur les prix ont été conclus à diverses occasions en 1986 et 1987».

172.
    Bien que la requérante n'ait pas contesté expressément l'existence de ces accords, le Tribunal estime que la référence, au point 223 de la Décision, à des accords conclus «à diverses occasions» en 1986 et 1987, est trop imprécise pour être interprétée en ce sens que la Commission reprocherait à la requérante d'y avoir été partie.

173.
    Cette constatation resterait valable même en admettant que les points 80 à 86 de la Décision, auxquels se réfère le point 223, tendent à établir l'existence d'un

accord conclu en 1986 (points 80 et 81), et de deux autres conclus en 1987 (points 82 à 86).

174.
    En effet, le point 223 de la Décision n'indique aucun élément de nature à individualiser ces prétendus accords, ce qui permet de conclure que ceux-ci constituent uniquement, dans l'esprit de la Commission, le cadre historique des ententes décrites, cette fois en détail, aux points 224 à 237 de la Décision.

Accord concernant les prix en Allemagne et en France prétendument conclu avant le 2 février 1988

175.
    Au point 224 de la Décision, la Commission constate que, lors d'une réunion qui s'est tenue à une date non déterminée, antérieure au 2 février 1988, la commission poutrelles est parvenue à un accord visant à relever les prix en Allemagne et en France. Elle s'appuie sur un extrait du procès-verbal de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie, du 2 février 1988, qui indique: «Au plan des prix, décision de procéder à des relèvements au 1er avril de 20 DM sur le marché allemand en catégories 1, 2A, 2B2 et 2B3, et de 10 DM en catégorie 2B1; de 50 FF sur le marché français toutes catégories exception faite de la 2C.» (point 87 de la Décision, documents n°s 674 à 678.)

176.
    Le Tribunal estime qu'il ressort de son libellé même que le procès-verbal de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 2 février 1988 fait état d'un accord sur des hausses de prix sur les marchés allemand et français. Le caractère consensuel de ces hausses de prix ressort, d'une part, s'agissant du terme «décision» (en français), de l'utilisation du singulier, et, d'autre part, du caractère uniforme des hausses sur chacun des marchés concernés. Quant à la participation de la requérante à cet accord, elle est suffisamment établie par la référence précise faite aux hausses de prix décidées sur son marché national. En revanche, le fait que la requérante n'ait pas été présente à la réunion du 2 février 1988 (voir point 181 de la Décision) est indifférent, dès lors qu'il n'est pas allégué que l'accord en question a été conclu au cours de cette réunion, mais lors d'une réunion antérieure de la commission poutrelles à laquelle elle a participé. L'existence des faits allégués par la Commission est, dès lors, établie à suffisance de droit.

Prix cibles prétendument fixés avant le 25 juillet 1988

177.
    Au point 224 de la Décision toujours, la Commission constate que «d'autres prix cibles (pour le quatrième trimestre de 1988) ont été convenus avant le 25 juillet 1988». Elle s'appuie sur un tableau annexé au procès-verbal de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 25 juillet 1988, indiquant les «prix de marché pour le quatrième trimestre de 1988», ventilés par catégorie, pour l'Allemagne, la France et le marché belgo-luxembourgeois (point 88 de la Décision).

178.
    Le Tribunal constate que le tableau litigieux a été établi le 25 juillet 1988 ou antérieurement, et donc relativement longtemps avant le trimestre de référence, et

qu'il donne des prix précis, ventilés par pays et par catégorie de produits. Le Tribunal en déduit qu'il s'agit des prix détaillés que les parties avaient l'intention commune d'appliquer, et non pas d'un simple compte rendu des prix effectifs du marché, actuels ou pronostiqués.

179.
    Ce document, compris dans son contexte factuel, doit d'ailleurs être considéré comme portant l'information relative à un tel accord à la connaissance du groupe Eurofer/Scandinavie. Des renseignements du même type ont été régulièrement transmis aux membres de ce groupe, et cela plusieurs fois, au moins, sous forme d'un tableau annexé au procès-verbal de la réunion concernée.

180.
    L'existence des faits allégués par la Commission est, dès lors, établie à suffisance de droit.

Prix cibles prétendument fixés le 18 octobre 1988

181.
    Aux points 225 et 226 de la Décision, la Commission dénonce un accord sur les prix cibles à atteindre au cours du premier trimestre de 1989, qui aurait été conclu lors de la réunion de la commission poutrelles du 18 octobre 1988. Elle s'appuie en particulier sur les éléments suivants:

—    le procès-verbal de cette réunion, lequel mentionne notamment les hausses de prix qui sont «estimées» de 25 à 40 DM en République fédérale d'Allemagne, de 50 à 100 FF en France et de 200 à 800 BFR au Benelux. Les prix auxquels ces hausses «aboutissent» sont repris dans un tableau, ventilés par pays et par catégorie de produits et de clients (point 89 de la Décision);

—    le tableau ayant servi à établir les prix cibles pour le quatrième trimestre de 1988 (document n° 2507, annexé au procès-verbal de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 25 juillet 1988, point 90 de la Décision);

—    un télex envoyé à TradeARBED par Thyssen le 22 septembre 1988 (point 91 de la Décision);

—    le procès-verbal de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 3 novembre 1988 (documents n° 2488 à 2493), selon lequel:

    «De nouvelles hausses de prix sont envisagées sur le 1er trimestre 1989, hausses qui sont par ailleurs attendues par le négoce. Elles conduisent à des augmentations de l'ordre de 25 à 40 DM en Allemagne, de 50 à 100 FF en France, de 200 à 800 BFR au Benelux»;

—    le fait que «des accords ont été pris pour relever les prix en harmonisant et en augmentant les suppléments».

182.
    Le Tribunal estime que les éléments présentés aux points 225 et 226 de la Décision constituent, dans leur ensemble, un faisceau d'indices cohérents et concordants de nature à établir les faits reprochés.

183.
    Le Tribunal souligne, notamment, que le procès-verbal de la réunion de la commission poutrelles du 18 octobre 1988, à laquelle la requérante a participé, contient des prix détaillés, ventilés par produit et par marché, pour les différentes catégories de clients, et utilise l'expression «les hausses de prix aboutissent au niveau suivant des prix». De même, les chiffres cités correspondent à ceux indiqués dans le procès-verbal de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 3 novembre 1988 (point 200 de la Décision), à laquelle la requérante a également participé, ce qui prouve que la décision de la commission poutrelles du 18 octobre 1988 a été également communiquée au groupe Eurofer/Scandinavie.

184.
    Par ailleurs, le télex de Thyssen à TradeARBED du 22 septembre 1988 est un indice supplémentaire valable en faveur du caractère consensuel des prix évoquésdans le procès-verbal de la réunion du 18 octobre 1988. Ce télex se lit somme suit:

«La discussion aura en fait le plus de sens après le rendez-vous Eurofer/Scandinavie. Néanmoins, comme ce dernier a lieu tardivement, nous devrions à mon avis communiquer à nos amis nos intentions pour la Communauté en moyenne et préconiser le parallélisme, c'est-à-dire une hausse pour le programme scandinave s'établissant comme suit:

        Suède            SKR        100,—

        Norvège            NKR    100,—

        Finlande            DM         40,—

La décision concernant la catégorie 2C pourra alors être prise le 29 septembre.»

185.
    Pour autant qu'il y est question d'«intentions pour la Communauté», il s'agissait d'intentions communes à plusieurs entreprises. En effet, l'auteur du télex entend préconiser, s'agissant du «programme scandinave», le «parallélisme» entre la hausse moyenne envisagée pour la Communauté et celle que les participants à la prochaine réunion du groupe Eurofer/Scandinavie devaient décider d'un commun accord (cette dernière décision ayant effectivement été adoptée le 3 novembre 1988). Au surplus, une prochaine «décision» est proposée au destinataire du télex en ce qui concerne les prix de la catégorie 2C, ce qui indique qu'il s'agissait de prix adoptés d'un commun accord.

186.
    C'est à juste titre également que la Commission a estimé, au point 225, septième tiret, de la Décision, que, dès lors que les entreprises réunies au sein de la commission poutrelles convenaient de suppléments harmonisés, il aurait été surprenant qu'elles laissent au libre jeu de la concurrence le soin de décider du montant des prix de base (voir ci-après). Or, c'est précisément au cours de la réunion du 18 octobre 1988 qu'une proposition d'Usinor Sacilor visant à

l'harmonisation des prix des suppléments de qualité a été examinée, avant d'être acceptée, dans son principe, lors de la réunion du 15 novembre 1988 (point 122 de la Décision).

187.
    Par ailleurs, conformément au raisonnement exposé au point 226 de la Décision, le caractère contraignant, à tout le moins moralement, des accords dénoncés par la Commission est prouvé par le fait qu'aucun des participants à la réunion n'a signalé son intention de ne pas appliquer les prix proposés (voir arrêt Hercules Chemicals/Commission, précité, point 232), et par les déclarations ultérieures des entreprises selon lesquelles les prix en question avaient été acceptés par la clientèle (voir les points 94 et 95 de la Décision).

188.
    La Commission a donc prouvé à suffisance de droit l'existence des faits reprochés en ce qui concerne l'accord sur les prix cibles conclu le 18 octobre 1988.

Prix cibles prétendument arrêtés lors de la réunion du 10 janvier 1989

189.
    Selon le point 227 de la Décision, la commission poutrelles a arrêté, lors de sa réunion du 10 janvier 1989, des prix cibles pour les livraisons à la France, à l'Allemagne, aux pays du Benelux et à l'Italie, au deuxième trimestre de cette même année.

190.
    La Commission s'appuie sur le procès-verbal de cette réunion (voir point 95 de la Décision), qui indique les hausses pour le trimestre de référence, détaillées selon les marchés et les catégories. Le même document donne ensuite les «niveaux de prix pressentis» en conséquence de ces hausses. La Commission invoque également une note de dossier de British Steel non datée sur les résultats de cette réunion, ainsi qu'une note interne de Peine-Salzgitter du 13 janvier 1989 (point 96 de la Décision).

191.
    Le Tribunal estime que les documents cités aux points 95 et 96 de la Décision établissent à suffisance de droit les faits reprochés.

192.
    Les parties se sont en effet à nouveau servies de la technique déjà adoptée lors de la réunion du 18 octobre 1988, en consignant dans le procès-verbal du 10 janvier 1989, de façon précise et détaillée, les hausses ainsi que les nouveaux prix en découlant, pour chaque marché et chaque catégorie de produits et de clients. Le Tribunal considère que de telles indications supposent un accord sur les prix en cause. Cette conclusion est confirmée par les deux autres documents cités par la Commission au point 96 de la Décision, à savoir la note non datée de British Steel (documents n° 2001 à 2003) et la note de Peine-Salzgitter du 13 janvier 1989 (documents n° 3051 et 3052). La note de British Steel donne des prix pour la France, l'Allemagne et les pays du Benelux qui sont identiques à ceux figurant au procès-verbal de la réunion du 10 janvier 1989. Elle parle, ensuite, d'«intentions en matière de prix», ce qui ne peut que signifier, vu le caractère uniforme des hausses

et des nouveaux prix qui en découlaient, des intentions communes aux membres de la commission poutrelles. Selon la note de Peine-Salzgitter du 13 janvier 1989, les hausses avaient déjà été «envisagées» auparavant et ont été «concrétisées» lors de la réunion. Après avoir présenté les hausses relatives à l'Allemagne, ladite note poursuit: «Des hausses de prix sélectives ont également été décidées pour les différentes catégories dans les principaux autres pays de la Communauté [...]» Cette formulation indique, elle aussi, l'existence d'un concours de volontés. Contrairement à ce qu'allègue la requérante, il ne peut pas s'agir, dans ces conditions, d'un simple échange d'informations sur les prix.

193.
    Cette conclusion n'est pas affectée par le fait que les nouveaux prix pour l'Italie indiqués dans la note non datée de British Steel dépassent de 20 000 LIT par tonne ceux repris dans le procès-verbal de la réunion en cause. Cette divergence dans la note de British Steel, qui ne se réfère qu'aux nouveaux prix pour l'Italie, doit en effet être imputée à une simple erreur lors de la mise par écrit des nouveaux prix en cause.

Prix cibles pour les marchés italien et espagnol prétendument arrêtés lors de la réunion du 7 février 1989

194.
    Selon le point 227 de la Décision, la commission poutrelles a arrêté des prix cibles pour les marchés italien et espagnol lors de sa réunion du 7 février 1989.

195.
    La Commission s'appuie sur le procès-verbal de cette réunion (voir point 98 de la Décision), dont il ressortirait que des prix pour deux catégories de poutrelles en Italie et des prix pour l'Espagne ont été fixés et sont venus compléter les données de prix figurant dans le procès-verbal de la réunion du 10 janvier 1989 (voir point 95 de la Décision).

196.
    Le Tribunal estime que, malgré les termes du procès-verbal de la réunion du 7 février 1989 (documents n°s 97 à 106), qualifiant les indications en question de «compléments aux prévisions de prix 2e trimestre de 1989», plusieurs éléments établissent qu'il s'agissait en réalité de prix convenus.

197.
    En premier lieu, les prix que ces indications étaient censées compléter avaient déjà été fixés d'un commun accord lors de la réunion du 10 janvier 1989 (voir ci-dessus). Lors de la réunion du 7 février 1989, les participants ont d'ailleurs constaté que ces derniers prix avaient été réalisés ou qu'ils le seraient sans difficulté (voir point 98 de la Décision).

198.
    En second lieu, le procès-verbal indique que le nouveau niveau des prix de la catégorie 2 C en Italie «préserve une 'harmonie‘ entre les prix pratiqués sur l'ensemble des marchés européens, d'une part, et prend en compte la concurrence des profilés reconstitués soudés (prs), d'autre part». En ce qui concerne le marché espagnol, il est indiqué que les «prix prévus» du trimestre en cours sont «reconduits» au trimestre prochain «aux fins de consolider les niveaux atteints».

Il ressort de ces formulations qu'il existait un consensus entre les entreprises pour réaliser, par l'application de ces prix, certains objectifs communs. Ces entreprises étaient donc nécessairement d'accord pour appliquer ces prix.

199.
    L'existence des faits reprochés au point 227, deuxième alinéa, de la Décision est, dès lors, prouvée à suffisance de droit.

Prix cibles prétendument convenus lors de la réunion du 19 avril 1989

200.
    Selon le point 228 de la Décision, des prix cibles à appliquer au troisième trimestre de 1989 sur les marchés de l'Allemagne, de la France, de la Belgique, du Luxembourg, de l'Italie et de l'Espagne, pratiquement identiques à ceux du trimestre précédent, ont été convenus à la réunion de la commission poutrelles du 19 avril 1989.

201.
    La Commission s'appuie sur le procès-verbal de cette réunion qui, après avoir indiqué que les prix prévus avaient été obtenus en Allemagne, en France et en Italie, donne les prix du trimestre à venir (point 99 de la Décision).

202.
    Le Tribunal estime que la Commission a prouvé à suffisance de droit que les prix consignés dans le procès-verbal du 19 avril 1989 (documents n°s 125 à 145) avaient fait l'objet d'un accord.

203.
    En premier lieu, pour autant que le passage pertinent de ce document indique que les «prévisions T2/89 sont reconduites sur le 3e trimestre 1989», il convient de rappeler que ces «prévisions» constituaient, en réalité, le fruit d'un accord au sein de la commission poutrelles, auquel les entreprises concernées étaient parvenues lors des réunions des 10 janvier et 7 février 1989 (voir ci-dessus). La «reconduction» de ces «prévisions» avait également le caractère d'un accord, visant cette fois au maintien de l'ancien niveau de prix. Cette conclusion est corroborée par le constat, consigné dans le même document, selon lequel les «prix prévus» pour le deuxième trimestre ou les «prévisions» relatives à ce trimestre avaient été «accepté[e]s [...] par la clientèle» (document n° 126). La mention concernant le marché allemand, selon laquelle les «prévisions» correspondantes avaient été «atteintes», doit être interprétée dans le même sens.

204.
    En second lieu, les prix du trimestre à venir sont présentés, dans le procès-verbal de la réunion du 19 avril 1989, de la même façon précise et détaillée que l'avaient été, dans les procès-verbaux antérieurs, les prix du quatrième trimestre de 1988 et ceux des deux premiers trimestres de 1989. De telles présentations détaillées ne peuvent être interprétées comme reflétant de simples prévisions ou estimations.

Fixation des prix applicables au Royaume-Uni à partir du mois de juin 1989

205.
    Aux points 229 et 230 de la Décision, la Commission fait état d'une pratique concertée de fixation des prix applicables au Royaume-Uni à partir du mois de juin 1989, intervenue à l'initiative de British Steel et acceptée par ses concurrents.

206.
    A l'appui de ce raisonnement, la Commission invoque une note interne de British Steel du 24 avril 1989 (voir point 100 de la Décision), ainsi que l'indication, contenue dans les procès-verbaux des réunions de la commission poutrelles des 6 juin et 11 juillet 1989, selon laquelle, d'après British Steel, la hausse des prix avait été acceptée par la clientèle (voir points 101 et 102 de la Décision).

207.
    Le Tribunal estime que l'allégation de la Commission, selon laquelle British Steela annoncé aux autres entreprises, le 19 avril 1989, une hausse de ses prix au Royaume-Uni et les a invitées à suivre cette hausse (point 229 de la Décision), est prouvée à suffisance de droit par la note du 24 avril 1989 (documents n°s 1969 et 1970) citée au point 100 de la Décision. Il est également établi que la requérante, qui était présente à la réunion du 19 avril 1989, a reçu tant l'annonce de British Steel que son invitation à appliquer les nouveaux prix au Royaume-Uni.

208.
    Le Tribunal estime également que la Commission a prouvé à suffisance de droit son allégation selon laquelle British Steel et ses concurrents s'étaient concertés sur les prix (point 230 de la Décision). C'est en effet à juste titre que la Commission a exposé, au point 229 de la Décision, que la coopération dans laquelle s'insérait le comportement litigieux avait déjà abouti à la passation d'un certain nombre d'accords de fixation des prix pour les marchés continentaux de la CECA, auxquels British Steel avait été partie. Dans ces circonstances, l'action de celle-ci ne saurait être considérée comme un comportement unilatéral envers un concurrent avec lequel elle n'avait pas de liens de coopération.

209.
    En effet, dès lors que British Steel avait accepté, lors de nombreuses réunions antérieures de la commission poutrelles, de se lier, du moins moralement, en ce qui concerne les prix continentaux, elle pouvait raisonnablement attendre de ses concurrents que son invitation à respecter ses nouveaux prix au Royaume-Uni serait prise en compte par ces derniers lorsqu'ils arrêteraient leur propre comportement sur ce marché. Cette constatation s'applique également à la requérante, dont la participation aux réunions concernées n'a pas été contestée.

210.
    Le Tribunal considère, enfin, que la Commission a prouvé à suffisance de droit que les entreprises se sont effectivement conformées à l'exigence de British Steel (points 229 et 230 de la Décision). A ce propos, la requérante n'a contesté ni les indications de British Steel selon lesquelles ses hausses de prix avaient été acceptées par le marché britannique, ni l'affirmation de la Commission selon laquelle, à l'époque, les prix au Royaume-Uni étaient nettement plus élevés que sur les marchés continentaux de la CECA (point 229 de la Décision). Étant donné que, dans ces circonstances, des offres à des prix correspondant au niveau continental

auraient empêché l'acceptation des nouveaux prix de British Steel par la clientèle locale, le fait que ses hausses de prix ont été acceptées «sans difficulté» suffit à établir, en l'absence d'indice du contraire, que la requérante n'a pas fait obstacle à la réalisation par British Steel des hausses de prix en cause.

211.
    Il convient donc de constater que les allégations factuelles qui sous-tendent le raisonnement développé aux points 229 et 230 de la Décision sont prouvées à suffisance de droit.

Accord prétendument intervenu lors de la réunion du 11 juillet 1989, en vue de reconduire au quatrième trimestre, sur le marché allemand, les prix cibles du troisième trimestre de cette même année

212.
    Au point 231 de la Décision, la Commission déduit du procès-verbal de la réunion de la commission poutrelles du 11 juillet 1989 (voir point 102 de la Décision) qu'il a alors été convenu que les prix cibles du troisième trimestre de 1989 devaient également être appliqués au trimestre suivant en Allemagne.

213.
    Le Tribunal estime que le procès-verbal de la réunion du 11 juillet 1989 (documents n°s 182 à 188) prouve à suffisance de droit l'existence des faits reprochés par la Commission, relatifs à un accord sur le maintien des prix sur le marché allemand au cours du quatrième trimestre de 1989.

214.
    Le passage pertinent de ce document énonce, sous l'intitulé «Prévisions d'évolution des prix sur le 4e trimestre 1989»:

«Du côté allemand, il est envisagé, dans la mesure où une augmentation des Extras de dimension et de qualités de l'ordre de 20 à 25 DM/tonnes est prévue pour le 1er octobre 1989, de ne pas procéder à des relèvements des prix de base. Les prix escomptés et atteints sur le 3e trimestre 1989 sont dans ce contexte reconduits sur le 4e trimestre 1989. Un échange d'informations concernant les autres marchés communautaires aura lieu lors de la prochaine réunion de la commission poutrelles.»

215.
    Il ressort de l'articulation de ce paragraphe que seuls les prix des autres marchés devaient faire l'objet d'un «échange d'informations» ultérieur, tandis que les prix du marché allemand ont été «reconduits» d'un commun accord lors de la réunion en cause.

216.
    En particulier, l'annonce des producteurs allemands doit être considérée dans le contexte des réunions régulières de la commission poutrelles et des autres accords dont le Tribunal a déjà constaté l'existence ci-dessus. Ainsi, les prix «reconduits» avaient eux-mêmes fait l'objet d'un accord au sein de la commission poutrelles le 19 avril 1989 (voir points 200 et suivants ci-dessus). Il apparaît ainsi que les dispositions prises à propos du marché allemand s'inscrivaient dans la pratique des

réunions antérieures, consistant à fixer les prix trimestriels successifs pour les principaux marchés de la Communauté.

217.
    Par ailleurs, le Tribunal estime qu'un accord pour ne pas augmenter les prix peut constituer un accord de fixation de prix au sens de l'article 65, paragraphe 1, du traité.

Décision prétendument adoptée lors de la réunion du 12 décembre 1989, concernant les prix cibles à atteindre au premier trimestre de 1990

218.
    Selon le point 232 de la Décision, la commission poutrelles a décidé, lors de sa réunion du 12 décembre 1989, d'appliquer au premier trimestre de 1990 les prix cibles qui avaient été utilisés au quatrième trimestre de 1989.

219.
    A cet égard, la Commission s'appuie sur une note d'un représentant de TradeARBED qui aurait servi de base à un discours lors de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 31 janvier 1990 (documents n°s 2414 à 2416, voir point 107 de la Décision).

220.
    Le Tribunal estime que ladite note de TradeARBED (document n° 2414) prouve à suffisance de droit l'existence de l'accord litigieux relatif au premier trimestre de 1990. Il n'est pas contesté que ce document a servi de base à un discours prononcé par un représentant de TradeARBED lors de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 31 janvier 1990. Il s'ensuit que l'information qu'il contient, selon laquelle «[l]es prix du 4e trimestre 1989 ont en principe pu être reconduits», doit être interprétée comme se référant, comme à l'accoutumée, aux accords issus de la coopération au sein de la commission poutrelles.

221.
    L'éventualité que la note en question se réfère à un simple appel à la modération adressé aux producteurs lors de la réunion du 12 décembre 1989, est contredite non seulement par la façon dont le maintien des prix y est évoqué («Les prix [...] ont en principe pu être reconduits»), mais aussi par le fait que les prix «reconduits» y sont qualifiés de «prix programmés» et que la pratique de certaines entreprises consistant à les «sous-coter» est considérée comme «regrettable».

222.
    Quant aux divergences apparues lors de la même réunion, celles-ci ne concernaient pas le niveau des prix du trimestre à venir, mais uniquement les quantités livrées par British Steel et une proposition de répartition des marchés, apparemment avancée par la requérante. Enfin, le fait que les prix existants ont simplement été maintenus, et non augmentés, ne plaide nullement contre l'existence d'un accord, pas plus que le fait que les nouveaux prix peuvent ne pas avoir été entièrement respectés (voir point 108 de la Décision).

Fixation de prix pour la catégorie 2 C sur le marché français, révélée par l'annonce de la requérante lors de la réunion du 14 février 1990

223.
    Au point 233 de la Décision, la Commission fait état d'une annonce de hausse des prix des poutrelles de la catégorie 2 C sur le marché français, faite par la requérante lors de la réunion du 14 février 1990. Selon la Commission, qui renvoie aux considérations exposées aux points 109 et 110 de la Décision, il ne s'agissait pas d'une décision unilatérale de la requérante mais d'un accord entre les entreprises concernées.

224.
    Le Tribunal estime que les faits reprochés à la requérante sont prouvés à suffisance de droit par les éléments énumérés aux points 233, 109 et 110 de la Décision, considérés dans le contexte des réunions de la commission poutrelles.

225.
    Il ressort en effet de ces éléments que la requérante avait été invitée par deux concurrents, Peine-Salzgitter et TradeARBED, à relever ses prix. Face à une différence entre les prix en France et en Allemagne, il s'agissait, selon ces entreprises, de «prévenir des distorsions des courants d'échange» (voir la lettre du président de la commission poutrelles à la requérante du 6 novembre 1989, point 109 de la Décision, documents n° 3009 à 3011), ou d'éviter que l'«édifice du prix en Allemagne» ne soit «dérangé» (voir la télécopie de TradeARBED à la requérante du 7 février 1990, point 110 de la Décision, document n° 2413).

226.
    Cette demande ayant été acceptée par la requérante, tout au moins à concurrence d'un certain montant, la hausse opérée en conséquence a eu un caractère consensuel.

227.
    De plus, l'annonce d'une hausse de prix dans la catégorie considérée a été faite, lors de la réunion du 14 février 1990, en présence non seulement de TradeARBED et Peine-Salzgitter, mais aussi des autres entreprises coopérant au sein de la commission poutrelles.

228.
    Par ailleurs, la hausse en cause ne pouvait pas s'expliquer par des considérations économiques dès lors que, dans sa télécopie précitée, TradeARBED avait reconnu que «l'environnement [était] en général peu propice à un relèvement des prix». Dans ces circonstances, l'application, par toutes les autres entreprises concernées, du prix annoncé était nécessaire au maintien de celui-ci.

229.
    Ces éléments, replacés dans leur contexte, prouvent à suffisance de droit que, par son annonce, la requérante entendait s'assurer du soutien de toutes les entreprises participant à la réunion du 14 février 1990, afin d'empêcher que l'application de prix moins élevés ne compromette la réussite de l'«harmonisation» envisagée. Le fait que des accords de même nature avaient été conclus lors de réunions antérieures, pour les principaux marchés de la Communauté, permettait à la

requérante, et plus généralement à toutes les entreprises qui considéraient cette hausse comme étant dans leur intérêt, de supposer que cet appel allait être suivi.

Fixation des prix applicables au Royaume-Uni au deuxième trimestre de 1990

230.
    Il ressort du raisonnement développé aux points 220 et 234 à 236 de la Décision que la Commission reproche aux entreprises en cause, dont la requérante, de s'être concertées, pour le deuxième trimestre de 1990, sur les prix à appliquer au Royaume-Uni et d'avoir appliqué les prix qui faisaient l'objet de cette concertation.

231.
    Au soutien de son raisonnement, la Commission allègue, en premier lieu, que British Steel a informé les destinataires de sa télécopie du 14 février 1990 des prixqu'elle ne considérait pas comme de nature à «perturber» le marché du Royaume-Uni (point 234 de la Décision) et qu'elle était, dès lors, prête à admettre (point 112, in fine, de la Décision). Le Tribunal estime que cette hypothèse est prouvée à suffisance de droit par une lecture combinée des annotations manuscrites apposées sur l'original de cette télécopie du 14 février 1990 (document n° 1887) et de la note interne de British Steel du 20 février 1990 (document n° 1908). Ces annotations doivent être comprises comme révélant l'information téléphonique promise aux destinataires de la télécopie. Elles font état de «marges d'interpénétration», c'est-à-dire de prix qui n'entraîneront pas un flux d'importations jugé excessif. Dans la note précitée, l'auteur déclare expressément avoir informé le représentant d'Unimétal des prix «qui, selon [lui], ne perturberont pas le marché».

232.
    La Commission allègue, en deuxième lieu, que l'annonce de British Steel correspondait à une «action concertée» (point 235 de la Décision; voir aussi point 220), ce qui signifie, selon elle, qu'elle a été faite dans un contexte permettant à British Steel de supposer que les autres entreprises allaient se conformer aux prix annoncés. Le Tribunal estime que cette allégation est prouvée à suffisance de droit par les éléments invoqués par la Commission. L'annonce s'intégrait en effet «dans le dialogue constant entre cette société et ses concurrents d'autres États membres» (point 235 de la Décision). Ainsi qu'il a déjà été constaté (point 209 ci-dessus), la participation de British Steel aux accords antérieurs conclus au sein de la commission poutrelles lui permettait d'attendre de ses concurrents une certaine solidarité en retour. Cette conclusion est corroborée, au moins pour les entreprises allemandes concernées, à savoir Peine-Salzgitter, Thyssen et Saarstahl, par le tableau (document n° 1864) cité aux points 235 et 55 de la Décision, qui confirme que ces entreprises et British Steel s'efforçaient de maintenir certains rapports entre les courants d'échange entre les deux pays concernés et que chacune des parties avait donc accepté de faire, selon les circonstances, des efforts de solidarité dans l'intérêt de l'autre partie.

233.
    La Commission allègue, en troisième lieu, que les entreprises en cause ont effectivement relevé leurs prix, suivant ainsi la proposition de British Steel (point 236 de la Décision). Cette hypothèse est prouvée, selon la Commission, par le fait

que, bien que British Steel ait critiqué, dans un premier temps, des offres inférieures à son barème, elle a relevé ses prix quelques mois plus tard, à la suite de la réunion du 16 mai 1990 (voir point 115 de la Décision). En l'absence d'indice contraire, le Tribunal estime que cet élément, non contesté, prouve à suffisance de droit que British Steel a largement réussi à faire respecter ses prix par ses concurrents. Vu la différence des niveaux de prix entre le continent et le Royaume-Uni, British Steel n'aurait pas pu sérieusement envisager, en mai 1990, une hausse sans être assurée du comportement solidaire des producteurs continentaux.

234.
    Il s'ensuit que les allégations factuelles qui sous-tendent le raisonnement développé aux points 234 à 236 de la Décision sont prouvées à suffisance de droit.

Fixation des prix applicables au Royaume-Uni au troisième trimestre de 1990

235.
    Il ressort du raisonnement développé au point 237 de la Décision, lu à la lumière du point 220 (paragraphes 1 et 3), que la Commission reproche aux entreprises de s'être concertées sur les prix à mettre en oeuvre au Royaume-Uni pour le troisième trimestre de 1990 et d'avoir appliqué les prix qui faisaient l'objet de cette concertation.

236.
    Pour autant que la Commission allègue, en premier lieu, que British Steel a communiqué ses nouveaux prix à ses concurrents, et les a invités à les respecter, le Tribunal estime que ces deux éléments ressortent de la télécopie de cette entreprise du 7 juin 1990 (voir point 115 de la Décision, document n° 1798). British Steel a d'ailleurs réitéré la même invitation lors de la réunion de la commission poutrelles du 10 juillet 1990 (voir point 117 de la Décision, documents n°s 1964 à 1966). Sur ces points de fait, l'allégation de la Commission est donc prouvée à suffisance de droit.

237.
    Dans la mesure où la Commission conclut, en deuxième lieu, à une concertation, le Tribunal a déjà constaté que, vu les activités antérieures de la commission poutrelles, British Steel pouvait raisonnablement attendre de ses concurrents un comportement solidaire sur le marché britannique en matière de prix, et notamment que son invitation à respecter ses nouveaux prix, faite lors d'une réunion avec ses concurrents, serait prise en compte par ceux-ci lorsqu'ils détermineraient leur propre comportement sur ce marché. La Commission a donc prouvé à suffisance de droit la concertation qu'elle allègue.

238.
    S'agissant, en troisième lieu, du respect par les autres entreprises des prix annoncés par British Steel, celui-ci est suffisamment prouvé par la mention figurant au procès-verbal de la réunion du 11 septembre 1990 (point 118 de la Décision, documents n°s 1666 à 1679), selon laquelle la hausse du barème de British Steel avait été acceptée par les clients britanniques. En effet, si les autres entreprises n'avaient pas respecté, dans une large mesure, les nouveaux prix annoncés par British Steel, il n'est guère concevable qu'une telle hausse ait été acceptée par la

clientèle. Cette conclusion n'est pas infirmée par le fait que, avant de se résoudre à suivre les consignes de British Steel, ses concurrents avaient, dans un premier temps, appliqué des prix moins élevés (voir point 117 de la Décision). Le fait que, au cours de cette période, le comportement de TradeARBED a été présenté par British Steel comme la violation d'un accord entre ces deux sociétés n'est pas non plus de nature à modifier l'appréciation du Tribunal.

239.
    Il s'ensuit que les allégations factuelles qui sous-tendent le raisonnement développé au point 237 de la Décision sont prouvées à suffisance de droit.

240.
    Il découle de tout ce qui précède que l'ensemble des faits allégués à l'appui des développements figurant aux points 224 à 237 de la Décision, quant à la conclusion d'accords sur les prix et aux comportements que la Commission y assimile en tant que «pratiques concertées», sont prouvés à suffisance de droit par les documents qu'elle invoque.

Expertise économique soumise par la partie requérante

241.
    Le Tribunal estime que cette conclusion n'est pas infirmée par l'argument tiré par la requérante de l'analyse de l'évolution des prix présentée lors de l'audition administrative par l'expert M. Bishop (p. 113 à 127 du procès-verbal de l'audition). D'après cette analyse, la thèse de la Commission, selon laquelle les entreprises ont conclu des accords en matière de prix, se heurte au fait que les prix sur le marché n'étaient pas plus élevés que ceux auxquels on pouvait s'attendre dans des conditions normales de concurrence. Ainsi, entre 1987 et 1991, les prix réels des poutrelles dans la Communauté se seraient situés à un niveau historiquement bas, à l'exception de l'année 1989 où, cependant, ils n'auraient pas été supérieurs à ceux pratiqués en 1985, lorsque la demande avait atteint son plus bas niveau. Cette évolution des prix ne s'expliquerait pas uniquement par les gains de productivité réalisés à l'époque.

242.
    Dans la mesure où cette expertise entend contester l'existence des ententes dénoncées aux points 224 à 237 de la Décision, le Tribunal a déjà établi que les faits sur la base desquels la Commission a constaté les accords et pratiques concertées en cause sont prouvés à suffisance de droit par les documents concernés, lus à la lumière du contexte général de coopération qui existait à l'époque au sein de la commission poutrelles.

243.
    L'évolution générale des prix des poutrelles dans la Communauté n'est pas, par nature, susceptible de mettre en cause le bien-fondé de ces constatations factuelles. L'expert lui-même a d'ailleurs reconnu, lors de l'audition, que l'objet de son analyse n'était pas de commenter la communication des griefs, mais uniquement de répondre à la question de savoir si les démarches des entreprises avaient été couronnées de succès (voir p. 127 du procès-verbal de l'audition).

Conclusions

244.
    Il résulte des considérations qui précèdent que l'argumentation de la requérante doit être rejetée, pour autant qu'elle est dirigée contre les constatations de fait exposées aux points 224 à 237 de la Décision. Il en ressort également que la Commission a motivé à suffisance de droit tant l'existence des accords et pratiques concertées reprochés à la requérante que sa participation individuelle auxdits accords et pratiques concertées et qu'elle a suffisamment concrétisé les infractions en cause.

2. Sur la qualification juridique des faits

245.
    A ce stade du raisonnement, il convient d'apprécier la qualification juridique que la Commission a donnée aux comportements dénoncés aux points 224 à 237 de la Décision au regard: a) des catégories d'ententes visées à l'article 65, paragraphe 1, du traité; b) de l'objet ou de l'effet de tels comportements, et c) de la notion de jeu normal de la concurrence au sens de cette disposition.

a) Sur la qualification des comportements incriminés au regard des catégories d'ententes envisagées par l'article 65, paragraphe 1, du traité

246.
    Le Tribunal rappelle que, aux termes de l'article 4, sous d), du traité:

«Sont reconnus incompatibles avec le marché commun du charbon et de l'acier et, en conséquence, sont abolis et interdits dans les conditions prévues au présent traité, à l'intérieur de la Communauté:

[...]

d)    Les pratiques restrictives tendant à la répartition ou à l'exploitation des marchés.»

247.
    L'article 65, paragraphe 1, du traité interdit «tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées qui tendraient, sur le marché commun, directement ou indirectement, à empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence et en particulier:

a)    à fixer ou à déterminer les prix;

b)    à restreindre ou à contrôler la production, le développement technique ou les investissements;

c)    à répartir les marchés, produits, clients ou sources d'approvisionnement».

248.
    Dans le cas d'espèce, les comportements reprochés à la requérante aux points 224 à 228 et 231 à 233 de la Décision sont qualifiés par la Commission d'«accords» de fixation de prix, au sens de cette disposition. Or, il ressort à suffisance de droit des faits que le Tribunal vient de constater que, à chacune des occasions visées par ces points de la Décision, les entreprises concernées, parmi lesquelles la requérante, ne se sont pas bornées à un simple échange d'informations sur leurs «prévisions» ou «estimations» de prix, ni sur les «prix qu'[elles] avaient l'intention d'appliquer de trimestre en trimestre», mais ont exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée en matière de prix, à savoir, de faire en sorte que les prix convenus lors des réunions en cause soient atteints ou, le cas échéant, maintenus. Le Tribunal estime qu'un tel concours de volontés constitue un «accord» au sens de l'article 65, paragraphe 1, du traité. A cet égard, le Tribunal ne voit d'ailleurs aucune raison d'interpréter la notion d'«accord» au sens de l'article 65, paragraphe 1, du traité différemment de celle d'«accord» au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE (voir arrêt du Tribunal du 24octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, 1/89, Rec. p. II-867, point 120).

249.
    Quant aux comportements reprochés à la requérante en ce qui concerne les trois hausses de prix sur le marché britannique, qui sont qualifiés dans la Décision de «pratiques concertées» (voir points 220 et 230 in fine), le Tribunal estime que cette notion doit être interprétée en tenant compte de la finalité de l'article 65, paragraphe 1, et du cadre juridique du traité.

250.
    Dans son avis 1/61, du 13 décembre 1961 (Rec. p. 505), la Cour a souligné que le but de l'article 4, sous d), du traité est d'empêcher les entreprises d'acquérir par la voie de pratiques restrictives une position leur permettant la répartition ou l'exploitation des marchés. Selon la Cour, cette prohibition, mise en oeuvre par l'article 65, paragraphe 1, du traité, est rigide et caractérise le système instauré par le traité (p. 519). Par ailleurs, la Cour a souligné, à propos du régime de publication des prix prévu par l'article 60 du traité (voir ci-après), que le «traité part de l'idée que la libre formation des prix est garantie par la liberté, accordée aux entreprises, de fixer elles-mêmes leurs prix et de publier de nouveaux barèmes quand elles veulent les modifier. Si la conjoncture change, les producteurs sont forcés d'adapter leurs barèmes, et c'est de cette façon que 'le marché fait le prix‘» (arrêt de la Cour du 21 décembre 1954, France/Haute Autorité, 1/54, Rec. p. 7, 31). Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que, même si le marché de l'acier est un marché oligopolistique, caractérisé par le régime de l'article 60 du traité qui assure, par la publication obligatoire des barèmes des prix et des tarifs de transport, la transparence des prix pratiqués par les différentes entreprises, l'immobilité ou le parallélisme des prix qui en résultent ne sont pas, en eux-mêmes, contraires au traité s'ils sont le résultat non pas d'un accord, même tacite, entre les associés, «mais du jeu sur le marché des forces et des stratégies d'unités économiques indépendantes et opposées» (arrêt du 15 juillet 1964, Pays-Bas/Haute Autorité, 66/63, Rec. p. 1047, 1076 et 1077).

251.
    Il découle de cette jurisprudence que la conception selon laquelle toute entreprise doit déterminer de manière autonome la politique qu'elle entend suivre sur le marché, sans collusion avec ses concurrents, est inhérente au traité CECA et notamment à ses articles 4, sous d) et 65, paragraphe 1.

252.
    Dans ces circonstances, le Tribunal estime que la prohibition des «pratiques concertées» par l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA poursuit, en principe, le même dessein que la prohibition parallèle des «pratiques concertées» par l'article 85, paragraphe 1, du traité CE. Elle vise, plus particulièrement, à assurer l'effet utile de la prohibition de l'article 4, sous d), du traité en appréhendant, sous ses interdictions, une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu'à la réalisation d'un accord proprement dit, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence normale visée par le traité (voir arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48/69, Rec. p. 619, point 64).

253.
    S'agissant plus spécifiquement des trois cas de hausse des prix sur le marché britannique que la Commission a dénoncés comme «pratiques concertées», il y a lieu de rappeler que: a) ces trois cas se situent dans le cadre d'une concertation régulière, au travers de nombreuses réunions et de communications écrites entre les entreprises membres de la commission poutrelles visant, notamment, à la coordination de leur comportement en matière de prix sur les différents marchés nationaux; b) à chacune des trois occasions où il a été question des prix sur le marché britannique, British Steel a dévoilé à ses concurrents, lors d'une réunion rassemblant la plupart d'entre eux, quel serait son comportement futur sur le marché en matière de prix, en les exhortant à adopter le même comportement, et a donc agi avec l'intention expresse d'influencer leurs activités concurrentielles futures; c) le contexte de coordination régulière au sein de la commission poutrelles était tel que British Steel pouvait raisonnablement escompter que ses concurrents se conformeraient dans une large mesure à sa demande ou, à tout le moins, qu'ils en tiendraient compte en arrêtant leur propre politique commerciale; d) les éléments invoqués par la Commission établissent que les entreprises en cause se sont conformées, dans une large mesure, aux propositions de British Steel. En particulier, la requérante n'a apporté aucun élément de nature à établir qu'elle se serait opposée aux demandes de British Steel ou qu'elle ne l'aurait pas suivie dans les initiatives de prix communiquées lors des réunions en cause.

254.
    Il résulte de l'ensemble de ces éléments que, dans ces trois cas, les entreprises en cause ont substitué aux risques de la concurrence normale visée par le traité une coopération pratique entre elles, qualifiée par la Commission, à juste titre, de «pratiques concertées» au sens de son article 65, paragraphe 1.

255.
    Quant à l'argument de certaines des requérantes selon lequel la notion de «pratique concertée» au sens de l'article 65, paragraphe 1, du traité suppose que les entreprises se soient livrées aux pratiques qui ont fait l'objet de leur

concertation, en particulier en augmentant leurs prix de façon uniforme, il ressort de la jurisprudence du Tribunal relative au traité CE que, pour conclure à l'existence d'une pratique concertée, il n'est pas nécessaire que la concertation se soit répercutée, au sens où l'entendent ces requérantes, sur le comportement des concurrents sur le marché. Il suffit de constater, le cas échéant, que chaque entreprise a nécessairement dû prendre en compte, directement ou indirectement, les informations obtenues lors de ses contacts avec ses concurrents (arrêt Rhône-Poulenc/Commission, précité, point 123). Cette jurisprudence n'est pas mise en cause par les points 64, 126 et suivants de l'arrêt de la Cour du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission (C-89/85, C-104/85, C-114/85, C-116/85, C-117/85 et C-125/85 à C-129/85, Rec. p. I-1307), invoqués par lesdites requérantes, qui concernent des questions différentes.

256.
    Le Tribunal estime que cette jurisprudence est transposable au domaine d'application de l'article 65 du traité CECA, dès lors que la notion de pratique concertée y remplit la même fonction que la notion équivalente du traité CE.

257.
    Cette conclusion n'est pas infirmée par le libellé de l'article 65, paragraphe 5, du traité, selon lequel la possibilité, pour la Commission, d'infliger des amendes en raison de «pratiques concertées» n'est prévue que dans l'hypothèse où les intéressés «se livreraient» à des pratiques contraires aux dispositions du paragraphe 1. Le Tribunal estime, en effet, que des entreprises se livrent à une pratique concertée, au sens de cette disposition, lorsqu'elles participent effectivement à un mécanisme tendant à éliminer l'incertitude quant à leur comportement futur sur le marché et impliquant, nécessairement, que chacune d'elles prenne en compte les informations obtenues de ses concurrents (voir arrêt Rhône-Poulenc/Commission, précité, point 123). Il n'est donc pas nécessaire que la Commission démontre que les échanges d'informations en cause ont abouti à un résultat spécifique ou à une mise à exécution sur le marché concerné.

258.
    Cette interprétation est confirmée par le libellé de l'article 65, paragraphe 1, du traité qui interdit «toutes pratiques concertées qui tendraient, sur le marché commun, directement ou indirectement, à empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence». Le Tribunal estime que cette interdiction vise toute pratique concertée qui «a tendance à» ou «est susceptible de» porter atteinte au jeu normal de la concurrence, sans qu'il soit nécessaire de prouver, aux fins d'un constat d'infraction, une atteinte effective et concrète à ce jeu. Dans son arrêt du 20 mars 1957, Geitling e.a./Haute Autorité (2/56, Rec. p. 9, ci-après «arrêt Geitling I»), la Cour a du reste indiqué (p. 40) que, pour parvenir à la constatation qu'un accord fausse ou restreint la concurrence, il n'est pas nécessaire d'en examiner les effets concrets, cette constatation ressortant in abstracto de l'article 65, paragraphe 1, du traité.

259.
    En tout état de cause, à supposer même qu'il faille retenir l'interprétation défendue par certaines des requérantes, selon laquelle la notion de pratique concertée suppose un comportement sur le marché conforme au résultat de la concertation,

cette condition serait remplie en l'espèce, en ce qui concerne les trois mouvements de prix sur le marché du Royaume-Uni. Il est en effet établi que, dans chacun de ces cas, les entreprises se sont conformées dans une large mesure aux demandes de British Steel, ce qui a permis l'imposition effective des nouveaux prix.

260.
    Il découle de l'ensemble de ce qui précède que la requérante n'a établi l'existence d'aucune erreur de droit dans la qualification des comportements en cause au regard des notions d'«accord» ou de «pratiques concertées» visées par l'article 65, paragraphe 1, du traité.

b) Sur l'objet et l'effet des ententes et pratiques concertées reprochées

261.
    Selon le point 238 de la Décision, les accords et pratiques concertées dénoncés aux points 223 à 237 «tendaient à» restreindre la concurrence au sens de l'article 65, paragraphe 1, du traité. Au point 221 de la Décision, la Commission identifie l'«objet» des comportements en cause, comme étant, entre autres, celui «de relever et d'harmoniser les prix». Au point 222, après avoir indiqué que l'analyse dudit objet rend superflue la démonstration d'un effet préjudiciable sur la concurrence, la Commission estime néanmoins que cet effet était loin d'être négligeable.

262.
    Dans ses écritures, la requérante n'a pas spécifiquement tiré argument de la différence de formulation entre l'article 65 du traité CECA et l'article 85 du traité CE, en ce que le premier interdit les accords et pratiques «... qui tendraient, sur le marché commun, ...», alors que le second vise les accords ou pratiques ayant «pour objet ou pour effet». Pour autant que la requérante s'est référée à une présentation commune de cet argument lors de l'audience, il y a lieu de le rejeter comme non fondé. Dans la mesure où l'article 65, paragraphe 1, du traité se réfère à des ententes qui «tendraient à» fausser le jeu normal de la concurrence, le Tribunal estime, en effet, que cette expression englobe la formule «ont pour objet» figurant à l'article 85, paragraphe 1, du traité CE. C'est donc à juste titre que la Commission a constaté, au point 222 de la Décision, qu'elle n'était pas tenue de démontrer l'existence d'un effet préjudiciable sur la concurrence pour établir une violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité. En tout état de cause, il y a lieu de constater, au vu des nombreux indices selon lesquels les hausses de prix convenues en l'espèce ont été atteintes, que les comportements incriminés, impliquant les principaux producteurs communautaires de poutrelles, ont nécessairement eu un effet non négligeable sur le marché, ainsi que la Commission l'a constaté au point 222 de la Décision.

c) Sur la qualification des comportements incriminés au regard du critère relatif au «jeu normal de la concurrence»

Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante

263.
    Selon la requérante, qui s'appuie notamment sur l'avis du Pr Steindorff joint en annexe 11 à la requête, le régime de concurrence «normale» institué par le traité CECA ressortit à une philosophie fondamentalement différente de celle du régime de concurrence «effective», libre et parfaite, qui anime le traité CE.

264.
    Il résulterait d'emblée des articles 2 à 5 du traité CECA que le principe de concurrence n'y est qu'un instrument parmi d'autres à la disposition de la Commission pour atteindre les objectifs définis à l'article 3, et non pas un but ensoi, comme elle l'est dans le cadre du traité CE. Il ne s'agirait, au demeurant, que d'une concurrence «normale», strictement délimitée et rigoureusement encadrée. La requérante cite, à ce propos, l'ouvrage du Pr Paul Reuter, La Communauté européenne du charbon et de l'acier (Paris, LGDJ, 1953), selon lequel «la concurrence établie par le traité n'est pas et ne peut pas être la libre concurrence mais seulement une concurrence loyale et réglée» (p. 143). Dans un tel régime, les entreprises elles-mêmes seraient soumises à des règles «qui rapprochent leurs conditions de fonctionnement de celles des services publics» (p. 205).

265.
    Les articles 46 à 48 du traité donneraient un clair exemple d'une telle «planification libérale» (op. cit., p. 225), dont l'objet serait la régulation permanente des marchés par l'échange d'informations et la coordination des investissements.

266.
    La requérante relève que l'article 46 du traité demande à la Commission de mener des études continues du marché et des tendances de prix, d'établir des programmes portant sur la production, la consommation, l'exportation et l'importation et de fixer périodiquement des objectifs généraux portant sur l'orientation des fabrications et l'expansion des capacités de production. L'objectif même de cette politique d'information serait de planifier de façon non contraignante le comportement des entreprises, afin d'éviter ou d'amortir les cycles conjoncturels.

267.
    L'obligation faite à la Commission, par l'article 47 du traité, de publier des données «qui sont susceptibles d'être utiles» aux gouvernements ou à tous autres intéressés, serait des plus générales. Cette disposition ne laisserait à la Commission aucun pouvoir d'appréciation autre que celui du critère de l'utilité, dans le contexte des objectifs de transparence et de stabilisation du marché. La seule exception à cette obligation de transparence serait celle du secret professionnel.

268.
    La requérante se réfère également à l'article 48 du traité, qui prévoit la participation active des associations de producteurs à ce système de transparence organisé par les articles 46 et 47 et, notamment, la publication de l'information collectée ou échangée par elles.

269.
    Tous ces flux d'informations, qui seraient destinés à assurer une transparence maximale des marchés, impliqueraient nécessairement, outre une collaboration entre les entreprises, leurs associations et la Commission, une concertation des entreprises entre elles. A cet égard, la requérante invoque à nouveau l'opinion du Pr Paul Reuter, selon qui «ces mesures n'ont aucune efficacité si elles ne recueillent pas l'adhésion des intéressés; elles constituent la forme la plus poussée de la collaboration de la Haute Autorité avec les entreprises. Elles supposent également l'accord des intéressés et constituent manifestement des pratiques concertées; si elles ne tombent pas sous le coup de l'article 65, c'est parce que la Haute Autorité fait partie du concert et même le dirige. Le traité n'a pas donné à la Haute Autorité le pouvoir de créer des ententes obligatoires (....) mais l'article 46 donne à la Haute Autorité un instrument tout aussi efficace et beaucoup plus souple que les procédures formelles précitées» (op. cit., p. 225).

270.
    La requérante se réfère, ensuite, à l'article 60 qui est, selon elle, au coeur du système de concurrence du traité. Elle expose tout d'abord que l'article 60 interdit la concurrence déloyale, d'une part, en interdisant les baisses de prix «purement temporaires ou purement locales», dans la mesure où ces procédés visent à l'acquisition ou au renforcement de positions de monopole, et, d'autre part, en prohibant les discriminations entre acheteurs. A cette fin, l'article 60 fait obligation aux entreprises sidérurgiques de publier, préalablement à leur application, leurs barèmes de prix et leurs conditions de vente de la façon prescrite par la Commission. Celle-ci aurait précisé, dans ses décisions 31/53, du 2 mai 1953, relative aux conditions de publicité des barèmes de prix et conditions de vente pratiqués dans les entreprises des industries de l'acier (JO 1953, p. 111, ci-après «décision 31/53») et 37/54, du 29 juillet 1954, relative aux conditions de publicité des barèmes de prix et conditions de vente pratiqués dans les entreprises des industries de l'acier pour la vente des aciers spéciaux définis à l'annexe III du traité (JO 1954, p. 470), que ces prix-tarifs doivent contenir toutes les conditions de vente, y compris le prix de base, le lieu de livraison, les méthodes de cotation, les coûts liés au transport, les termes de paiement et tout supplément qui serait ajouté aux prix ainsi que les rabais et ristournes, les taxes et autres charges.

271.
    L'objet même de la publication serait non seulement de donner un accès égal à tous les utilisateurs et d'éviter ainsi les pratiques déloyales, mais également de permettre aux concurrents de connaître les conditions faites par les autres entreprises du marché, de façon à s'aligner sur celles-ci. Une fois les barèmes de prix publiés, l'article 60 autoriserait en effet les concurrents à aligner leurs prix et conditions de vente soit sur une offre concurrente communautaire sur la seule base d'un point de parité («basing point pricing»), soit sur les prix à l'importation des entreprises extérieures à la Communauté, après notification préalable. Ce système introduirait explicitement un élément de concertation, en vue d'établir une totale transparence du marché et d'éviter les pratiques discriminatoires. On retrouverait ici, en matière de prix, l'objectif essentiel de la concurrence «normale», qui serait d'éliminer les dispositions les plus déstabilisantes de la concurrence libre et parfaite

et, notamment, les rabais précaires et cachés. Le résultat de la publication des prix, suppléments et rabais et du point de parité serait un alignement quasi-automatique, général et concerté par l'entremise de la Commission elle-même. La requérante estime que, compte tenu de cet objectif de transparence des prix, il n'y a aucune différence pratique entre le système de l'article 60 du traité et la communication aux concurrents des prix que les entreprises en cause ont l'intention d'appliquer à l'avenir.

272.
    Dans de telles conditions, la concurrence normale sur le marché, voulue et protégée par le traité, ne pourrait jouer que sur la base des barèmes publiés et n'aurait pas vocation à exister en-dehors des prix du barème. La Commission, consciente des effets de ce dispositif de publication des prix sur la concurrence, aurait tenté d'introduire un élément de flexibilité dans la détermination des prix de l'acier, notamment en autorisant les entreprises à s'écarter du prix public dans une marge de 2,5 %, par sa décision 2/54 du 7 janvier 1954, modifiant la décision 31/53, précitée (JO 1, p. 218). Cette décision ayant été déférée à la Cour, celle-ci aurait jugé que l'article 60, paragraphe 2, du traité oblige les entreprises à vendre exclusivement à leurs prix de tarif publiés (arrêt du 21 décembre 1954, France/Haute Autorité, 1/54, Rec. p. 7). La requérante en déduit que la Commission elle-même n'a pas le pouvoir de déroger à l'article 60 du traité, fût-ce en vue de favoriser la concurrence ouverte.

273.
    La requérante met par ailleurs en cause ce qu'elle croit être la volonté des services de la Commission de ne pas assurer l'application correcte des articles 60 et 64 du traité, notamment en s'abstenant systématiquement de poursuivre la non-application des barèmes pour, en contrepartie, s'appuyer sur le seul article 65 extrait de son contexte. La communication de prix cibles par les producteurs, sur la base de points de parité officiels, serait au contraire conforme au traité et contrasterait avec la carence de la Commission pour ce qui est de la sauvegarde et de la police du système de publicité des prix voulu par les auteurs du traité. La requérante fait observer que les prix pratiqués sur le marché par les producteurs de poutrelles étaient largement inférieurs aux prix publiés, et ce, essentiellement parce que la Commission n'assurait plus, en violation de l'article 64 du traité, la cohérence entre les barèmes de prix des entreprises et la réalité du marché. Il s'ensuit, selon elle, que le jeu normal de la concurrence ne pouvait plus fonctionner, pour des motifs totalement étrangers aux échanges sur les prix auxquels elle aurait participé. Elle soutient que ces échanges, qui ne pouvaient tendre à la perturbation d'un système de concurrence tel que celui voulu par le traité CECA, ne sont, par conséquent, pas contraires à son article 65. Pour les mêmes raisons, la Commission ne pourrait invoquer sa carence, en termes de police des prix, pour justifier sa procédure administrative en application de l'article 65 du traité.

274.
    Les considérations qui précèdent amènent également la requérante à critiquer les références faites par la Commission à l'article 85 du traité CE, à l'occasion de son interprétation de l'article 65 du traité CECA et de son application au cas d'espèce.

La requérante admet que la Cour semble avoir constaté, dans son arrêt du 18 mai 1962, Geitling e.a./Haute Autorité (13/60, Rec. p. 165, ci-après «arrêt Geitling II»), invoqué par la Commission, qu'il existait une communauté d'inspiration entre les articles 65 du traité CECA et 85 du traité CE. Toutefois, la portée de cet arrêt serait beaucoup plus limitée que ne le soutient la défenderesse, la Cour ayant pris soin de ne pas prendre position sur les éventuelles ressemblances entre les deux articles et n'ayant pas eu à définir la notion de concurrence «normale», qui serait au centre de la présente affaire. En outre, la Cour y aurait reconnu la structure oligopolistique du marché de l'acier, de même que le caractère minimal de la concurrence subsistant sur ce marché.

275.
    La requérante invoque également l'arrêt de la Cour du 13 avril 1994, Banks (C-128/92, Rec. p. I-1209), dans lequel la Cour aurait refusé, contre l'avis de son avocat général, de reconnaître un effet direct aux dispositions de l'article 65 du traité. La requérante pense que la Cour a, par cet arrêt, implicitement reconnu le caractère subsidiaire dudit article. Ce serait parce que la concurrence n'est pas un but en soi, mais un instrument à la disposition de la Commission, que la Cour aurait estimé préférable de laisser à celle-ci le soin d'assurer seule l'application de l'article 65 du traité. Enfin, la requérante invoque l'arrêt de la Cour France/Haute Autorité, précité, dans lequel la Cour aurait reconnu que la concurrence protégée par l'article 65 du traité n'est pas la libre concurrence favorisée par la Commission, mais une concurrence réglée et loyale qui s'exerce sur la base de prix publiés à l'avance et d'autres informations sur le marché obligatoirement publiées par la Commission et les producteurs.

276.
    Cette présentation a été complétée, à l'audience, par une plaidoirie commune ainsi que par un exposé du Pr Steindorff. Celui-ci a conclu à la nécessité d'une appréciation restrictive de l'article 65, à la lumière de l'ensemble du traité CECA, qui se caractériserait par certains objectifs politiques liés aux spécificités du secteur. Les discussions entre entreprises relevant du système prévu par les articles 46 à 48 du traité n'auraient jamais été considérées comme une infraction à l'article 65 (voir le rapport de la délégation française sur le traité CECA et la convention relative aux dispositions transitoires, 1951, et l'ouvrage du Pr Paul Reuter, précité). Elles feraient en effet partie du jeu normal de la concurrence à la condition que la Commission les dirige ou, en cas d'initiative propre aux entreprises, que celles-ci agissent de bonne foi et en vue de préparer leurs discussions avec la Commission. L'article 60 du traité aurait été conçu de manière à limiter les sous-cotations et à protéger les relations existantes entre les fabricants et les clients. Replacé dans le cadre du traité CE, un tel système serait incompatible avec son article 85. Compte tenu des difficultés liées à la mise en oeuvre de l'article 60 du traité, reconnues par la Commission, un échange sur des prix qui, de toute façon, sont censés être publiés ne serait pas contraire à l'article 65, paragraphe 1, du traité.

Appréciation du Tribunal

277.
    L'argumentation de la requérante se fonde sur trois éléments principaux: le contexte législatif de l'article 65, paragraphe 1, l'article 60 du traité et les articles 46 à 48 du traité.

— Contexte dans lequel s'inscrit l'article 65, paragraphe 1, du traité

278.
    Il convient de rappeler tout d'abord que, en l'espèce, les entreprises ont conclu divers accords relatifs aux prix à appliquer au cours d'un trimestre donné ou, à tout le moins, qui devaient être considérés comme l'objectif qu'elles s'efforçaient d'atteindre d'un commun accord (voir point 225, second alinéa, de la Décision). Quant aux trois pratiques concertées relatives aux prix sur le marché du Royaume-Uni, elles ont permis d'assurer que le niveau des prix des producteurs continentaux ne compromettrait pas les hausses annoncées par British Steel. Il ne s'agit donc pas de simples échanges d'informations entre producteurs sur des «prévisions» ou «estimations» de prix futurs, ou sur les «prix qu'ils avaient l'intention d'appliquer de trimestre en trimestre», comme le prétend la requérante.

279.
    Au regard de la finalité de l'article 65, paragraphe 1, du traité, qui est de sauvegarder l'exigence d'autonomie des entreprises sur le marché afin de faire respecter la prohibition, imposée par l'article 4, sous d), des «pratiques restrictives tendant à la répartition ou à l'exploitation des marchés», une telle coordination des comportements, réalisée par la voie d'un accord ou d'une pratique concertée en vue d'atteindre des objectifs de prix déterminés, doit être considérée comme tendant «à fixer [...] les prix» au sens dudit article 65, paragraphe 1, et donc comme contraire à cette disposition.

280.
    De même, les raisons historiques qui ont présidé à l'insertion de l'article 65 dans le traité, à supposer exacte la présentation qu'en ont faite les requérantes dans le cadre de leur plaidoirie commune, ne sauraient justifier une lecture de cette disposition contraire à sa finalité objective, telle qu'elle se dégage de son libellé et de son contexte normatif. Par ailleurs, la déclaration du gouvernement français du 9 mai 1950, qui a précédé la rédaction du traité, indique: «A l'opposé d'un cartel international tendant à la répartition et à l'exploitation des marchés nationaux par des pratiques restrictives et le maintien de profits élevés, l'organisation projetée assurera la fusion des marchés et l'expansion de la production.»

281.
    S'il est vrai que le caractère oligopolistique des marchés visés par le traité peut, dans une certaine mesure, atténuer les effets de la concurrence (voir arrêt Geitling II, p. 211 et 212), cette considération ne justifie pas une interprétation de l'article 65 autorisant des comportements d'entreprises qui, comme en l'espèce, réduisent encore davantage la concurrence, par le biais notamment des activités de fixation de prix. Au vu des conséquences que peut avoir la structure oligopolistique du marché, il est d'autant plus nécessaire de protéger la concurrence résiduelle (voir,

en ce qui concerne l'application de l'article 65, paragraphe 2, du traité, l'arrêt Geitling II, p. 212).

282.
    Quant aux orientations planificatrices du traité, le Tribunal a déjà rappelé que son article 4, sous d), qui est notamment mis en oeuvre par l'article 65, paragraphe 1, comporte une prohibition rigide qui caractérise le système instauré par le traité (avis 1/61, précité, p. 519; arrêt Banks, précité, points 11, 12 et 16). L'objectif de libre concurrence présente donc, au sein du traité, un caractère autonome, et il a donc la même force impérative que les autres objectifs du traité fixés aux articles 2 à 4 (voir arrêts de la Cour France/Haute Autorité, précité, p. 23, et du 21 juin 1958, Groupement des hauts fourneaux et aciéries belges/Haute Autorité, 8/57, Rec. p. 223, 242).

283.
    Pareillement, la nécessité de concilier en permanence les objectifs de l'article 3 du traité (arrêt de la Cour du 18 mars 1980, Valsabbia e.a./Commission, 154/78, 205/78, 206/78, 226/78, 227/78, 228/78, 263/78 et 264/78, 31/79, 39/79, 83/79 et 85/79, Rec. p. 907, points 53 à 55), de même que la thèse selon laquelle l'article 65, paragraphe 1, doit être appliqué uniquement dans une mesure compatible avec les objectifs de politique industrielle consacrés par le traité, n'affectent pas la portée de l'article 4, sous d), ni celle de l'article 65, paragraphe 1, disposition qui prohibe de façon générale les ententes tendant à fausser le jeu normal de la concurrence (voir arrêt de la Cour du 15 juillet 1960, Präsident e.a./Haute Autorité, 36/59, 37/59, 38/59 et 40/59, Rec. p. 857, 891).

284.
    Enfin, le fait que, dans son arrêt Banks, précité, la Cour n'a pas reconnu d'effet direct à l'article 65, paragraphe 1, du traité, en raison des dispositions expresses de l'article 65, paragraphe 4, dudit traité, n'a aucune pertinence dans le cadre de la présente affaire.

— Article 60 du traité

285.
    S'agissant des arguments de la requérante fondés sur l'article 60 du traité, il convient de rappeler que cette disposition, qui met en oeuvre les dispositions de l'article 4, sous b), du traité, interdit en son paragraphe 1:

« —    les pratiques déloyales de concurrence, en particulier les baisses de prix purement temporaires ou purement locales tendant, à l'intérieur du marché commun, à l'acquisition d'une position de monopole;

—    les pratiques discriminatoires comportant, dans le marché commun, l'application par un vendeur de conditions inégales à des transactions comparables, notamment suivant la nationalité des acheteurs».

286.
    L'article 60, paragraphe 2, sous a), du traité rend obligatoire, aux fins énoncées ci-dessus, la publication des barèmes des prix et des conditions de vente appliqués sur

le marché commun. Selon l'article 60, paragraphe 2, sous b), les modes de cotation appliqués ne doivent pas avoir pour effet d'introduire dans les prix pratiqués par une entreprise sur le marché commun, ramenés à leur équivalent au départ du point de parité choisi pour l'établissement de son barème, des majorations par rapport au prix prévu par ledit barème pour une transaction comparable, ni des rabais sur ce prix dont le montant excède notamment la mesure permettant d'aligner l'offre faite sur le barème, établi sur la base d'un autre point de parité, qui procure à l'acheteur les conditions les plus avantageuses au lieu de livraison.

287.
    Selon une jurisprudence constante, la publicité obligatoire des prix prévue par l'article 60, paragraphe 2, du traité a pour but premièrement, d'empêcher autant que possible les pratiques interdites, deuxièmement, de permettre aux acheteurs de se renseigner exactement sur les prix et de participer également au contrôle des discriminations et, troisièmement, de permettre aux entreprises de connaître exactement les prix de leurs concurrents, pour leur donner la possibilité de s'aligner (voir les arrêts de la Cour France/Haute Autorité, précité, p. 24, et du 12 juillet 1979, Rumi/Commission, 149/78, Rec. p. 2523, point 10).

288.
    Il y a lieu d'admettre que le régime visé par l'article 60 du traité, et en particulier l'interdiction de s'écarter du barème, même temporairement, constitue une restriction importante de la concurrence.

289.
    Le Tribunal estime toutefois que, dans le cas d'espèce, l'article 60 du traité est dépourvu de pertinence pour l'appréciation, au regard de l'article 65, paragraphe 1, des comportements reprochés à la requérante.

290.
    En premier lieu, dans la mesure où les arguments de la requérante se fondent sur l'idée qu'il s'agit en l'espèce de simples échanges d'informations sur des «estimations» ou des «prévisions» de prix futurs, ou d'annonces publiques par l'un ou l'autre producteur de sa volonté d'augmenter ses prix de barème, ils sont inopérants dès lors que, comme le Tribunal vient de le constater, la requérante a participé à des accords et pratiques concertées visant à fixer les prix.

291.
    En deuxième lieu, il est de jurisprudence constante que les prix qui figurent dans les barèmes doivent être fixés par chaque entreprise de façon indépendante, sans accord, même tacite, entre elles (voir arrêts France/Haute Autorité, précité, p. 31, et Pays-Bas/Haute Autorité, précité, p. 1077). En particulier, le fait que les dispositions de l'article 60 ont tendance à restreindre la concurrence n'empêche pas l'application de l'interdiction des ententes prévue par l'article 65, paragraphe 1, du traité (arrêt Pays-Bas/Haute Autorité, précité).

292.
    En troisième lieu, l'article 60 du traité ne prévoit aucun contact entre les entreprises, préalable à la publication des barèmes, aux fins d'une information mutuelle sur leurs prix futurs. Or, dans la mesure où de tels contacts empêchent que ces mêmes barèmes soient fixés de façon indépendante, ils sont susceptibles

de fausser le jeu normal de la concurrence, au sens de l'article 65, paragraphe 1, du traité.

293.
    Au surplus, à supposer même qu'à l'époque le système de l'article 60 du traité n'ait pas fonctionné comme le prévoit le traité (voir, notamment, le document de travail de la Commission joint en appendice 5, document 2, à la requête dans l'affaire T-151/94), il ressort de l'économie de ses articles 4, 60 et 65 que le traité protège à la fois l'intérêt à l'application de prix non discriminatoires et publics, d'une part, et celui d'une concurrence non faussée par des arrangements collusoires, d'autre part. Le Tribunal ne saurait donc accepter que le non-respect par les entreprises concernées des règles protégeant le premier intérêt entraîne l'inapplicabilité de celles protégeant le second. Il incombait du reste aux entreprises de respecter elles-mêmes les dispositions de l'article 60 du traité, plutôt que d'établir entre elles une coordination privée en matière de prix, en prétendue substitution de cette disposition dont la mise en oeuvre relève de la responsabilité de la Commission.

294.
    En tout état de cause, des accords entre producteurs ne sauraient être assimilés au système de l'article 60 du traité, ne serait-ce que parce qu'ils ne permettent pas aux acheteurs de se renseigner exactement sur les prix ni de participer au contrôle des discriminations (voir arrêts France/Haute Autorité, précité, p. 24, et Rumi/Commission, précité, point 10).

— Articles 46 à 48 du traité

295.
    Quant aux arguments développés sur la base des articles 5 et 46 à 48 du traité, il convient de rappeler que, aux termes de l'article 5, deuxième alinéa, premier tiret, du traité, la Communauté éclaire et facilite l'action des intéressés en recueillant des informations, en organisant des consultations et en définissant des objectifs généraux. Selon l'article 5, deuxième alinéa, troisième tiret, la Communauté assure l'établissement, le maintien et le respect de conditions normales de concurrence et n'exerce une action directe sur la production et le marché que lorsque les circonstances l'exigent. L'article 46 du traité dispose, notamment, que la Commission doit, en recourant aux consultations avec les entreprises, effectuer une étude permanente de l'évolution des marchés et des tendances des prix et établir périodiquement des programmes prévisionnels de caractère indicatif portant sur la production, la consommation, l'exportation et l'importation. L'article 47 du traité dispose que la Commission peut recueillir les informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission, dans le respect du secret professionnel. L'article 48 du traité dispose, notamment, que les associations d'entreprises peuvent exercer toute activité qui n'est pas contraire aux dispositions du traité, qu'elles sont en droit de soumettre à la Commission les observations de leurs membres dans les cas où le traité prévoit la consultation du Comité consultatif institué par l'article 18 du traité et qu'elles sont tenues de fournir à la Commission les informations que celle-ci estime nécessaires sur leur activité.

296.
    Aucune des dispositions précitées ne permet aux entreprises d'enfreindre la prohibition de l'article 65, paragraphe 1, du traité en concluant des accords ou en se livrant à des pratiques concertées de fixation de prix du type de celles dont il est question en l'espèce.

297.
    Pour le surplus, les arguments relatifs à la prétendue nécessité, pour les entreprises, d'échanger des informations entre elles, dans le cadre de leur coopération avec la DG III après le 1er juillet 1988, seront traités d'une façon détaillée dans la partie D ci-après.

298.
    Sous cette réserve, il découle de ce qui précède que la Commission n'a pas méconnu la portée de l'article 65, paragraphe 1, du traité, ni appliqué à tort les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE aux faits de la présente espèce. De même, les explications que la Commission a données aux points 239 à 241 de la Décision constituent une motivation suffisante de cet aspect de la Décision.

299.
    Il en résulte que, sous cette même réserve, l'ensemble des arguments développés à l'encontre de la qualification des comportements reprochés à la requérante comme accords ou pratiques concertées de fixation de prix cibles, aux points 224 à 237 de la Décision, doivent être rejetés.

Sur les accords portant sur l'harmonisation des suppléments (extras)

300.
    A l'article 1er de la Décision, la Commission reproche à la requérante d'avoir participé à un comportement qualifié d'«harmonisation des suppléments». D'après les points 122 à 142 (pour la partie en fait) et 244 à 252 (pour l'appréciation juridique) de la Décision, les entreprises en cause ont passé, lors des réunions de la commission poutrelles des 15 novembre 1988, 19 avril 1989, 6 juin 1989, 16 mai 1990 et 4 décembre 1990, cinq accords successifs d'harmonisation des suppléments.

301.
    Sans nier qu'il s'agisse bien d'accords portant sur l'harmonisation des prix des suppléments, la requérante fait valoir que les producteurs de poutrelles ont procédé à ce qu'il est convenu d'appeler l'harmonisation des suppléments depuis le début de l'application du traité CECA, sans autre but que d'assurer le bon fonctionnement de ses dispositions en matière de prix. L'objectif de ces règles serait, en effet, que toutes les conditions de vente soient ramenées à une base commune sur laquelle peut se jouer la concurrence sur le marché. Dans ce contexte, l'harmonisation des suppléments serait un préalable nécessaire au bon fonctionnement du système visé par le traité.

302.
    La requérante fait d'ailleurs observer que lorsque, dans le cadre de la transparence du marché en matière de prix, la Commission transmettait aux entreprises ou associations d'entreprises des documents relatifs à l'évolution des prix, elle faisait état des prix de base. Cela sous-entendrait nécessairement que la Commission partait elle-même de l'hypothèse que les suppléments étaient harmonisés, sans quoi

l'information donnée aurait été largement inutile. Or, ce type d'échange de données se serait poursuivi après le 30 juin 1988.

303.
    Le Tribunal relève que la requérante ne conteste aucune des constatations de fait et déductions de fait opérées aux points 122 à 142 et 244 à 252 de la Décision, concernant la conclusion des accords qui y sont dénoncés et l'identification de leur objet, qui était non seulement d'harmoniser mais aussi de relever les prix des suppléments. Elle se borne à affirmer que la Commission avait connaissance de ces comportements, et même qu'elle y participait.

304.
    Or, les suppléments sont un élément constitutif du prix des poutrelles. Les documents cités aux points 122 à 142 de la Décision reflètent d'ailleurs le souci constant des participants d'éviter que le relèvement du prix des suppléments ne provoque une chute des prix de base, ce qui établit la complémentarité des accords portant fixation des prix des uns et des autres.

305.
    Il s'ensuit que leur fixation de commun accord est interdite par l'article 65, paragraphe 1, du traité.

306.
    Par ailleurs, à supposer même que l'harmonisation de la structure des suppléments (dimensions, qualités, etc.) puisse avoir une certaine utilité dans le contexte de la publication des barèmes conformément à l'article 60 du traité, force est de constater qu'il s'agit en l'espèce d'accords portant non seulement sur la structure, mais sur les prix des suppléments et, notamment, sur l'augmentation de ces prix à cinq reprises entre le 15 novembre 1988 et le 4 décembre 1990. Étant donné que l'article 60 du traité n'autorise nullement des accords en matière de prix, les arguments de la requérante fondés sur cette disposition sont inopérants.

307.
    Force est de constater, en outre, qu'aucun élément du dossier soumis au Tribunal ne permet d'établir que la Commission a toléré des accords de fixation de prix sous forme d'une harmonisation des montants des suppléments, ou en a simplement eu connaissance. Après avoir examiné, en particulier, les speaking notes invoquées par la requérante, le Tribunal constate qu'elles ne contiennent que des informations générales sur les tendances probables des prix des suppléments ou sur l'acceptation des nouveaux suppléments par le marché. Elles ne permettaient donc pas à la Commission de conclure à l'existence d'accords ou de pratiques concertées en la matière (voir aussi partie D ci-après).

308.
    De même, le fait que la Commission ait pu constater des similarités dans les barèmes des entreprises ne suffit pas, à lui seul, à établir qu'elle avait connaissance des accords concernés, et encore moins qu'elle les a approuvés.

309.
    Dans la mesure où la requérante se réfère au fait que, dans le cadre de l'accomplissement de ses missions au titre des articles 46 et 47 du traité, la Commission s'est bornée à transmettre aux entreprises des informations sur

l'évolution des prix de base, son argumentation ne saurait être retenue. A supposer même que ce fait soit établi, la requérante n'a apporté aucune précision sur les raisons pour lesquelles une telle information aurait été largement inutile, dès lors que les suppléments de dimension et de qualité ne constituent, par définition, qu'un élément accessoire du prix des poutrelles.

310.
    En conséquence, et sous réserve de l'argumentation examinée dans la partie D ci-après, les griefs de la requérante relatifs à la constatation par la Commission, aux points 122 à 142 et 244 à 252 de la Décision, d'accords portant sur l'harmonisation des suppléments en violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité doivent être rejetés dans leur ensemble.

Sur la répartition des marchés opérée dans le cadre de la «méthodologie Traverso»

311.
    A l'article 1er de la Décision, la Commission reproche à la requérante d'avoir participé à une répartition des marchés qu'elle appelle «système Traverso». La période retenue aux fins de l'amende infligée en raison de cette participation est de deux fois trois mois. Les motifs qui sous-tendent ce reproche figurent aux points 72 à 79 (pour la partie en fait) et 254 à 259 (pour l'appréciation juridique) de la Décision.

312.
    Aux points 254 à 259 de la Décision, la Commission expose notamment que le système litigieux «a été mis en place le 19 juillet 1988 ou peu avant cette date» et qu'il a «fonctionné pour le quatrième trimestre de 1988 et le premier trimestre de 1990». A l'aide de ce système, les entreprises participantes, à savoir Peine-Salzgitter, Thyssen, Klöckner, Saarstahl, Ferdofin, Cockerill-Sambre, TradeARBED, British Steel et la requérante, se seraient «efforcées d'ajuster l'offre et la demande» (point 254).

313.
    Selon la Commission, les entreprises notifiaient leurs plans en matière de livraisons à M. Traverso, alors président du CDE (voir point 31 de la Décision). Celui-ci était en mesure de proposer à n'importe laquelle de ces entreprises des modifications lorsqu'il le jugeait utile (point 256). Distribués ensuite aux entreprises participantes, ces chiffres prenaient la forme de «plans de livraison» pour chaque société et chacun des marchés concernés (points 256 et 257). La Commission affirme par ailleurs que le président du CDE et Eurofer prenaient contact avec les entreprises qui ne se conformaient pas à ces chiffres et leur enjoignaient de respecter la structure traditionnelle des échanges. Les entreprises participantes se seraient ainsi livrées à une pratique concertée interdite par l'article 65, paragraphe 1, du traité «[e]n se révélant mutuellement leurs plans en matière de livraison et en mettant en pratique les recommandations du président du CDE» (point 258 de la Décision).

314.
    Tout en renvoyant à ses arguments relatifs au monitoring des commandes et des livraisons (voir ci-après), la requérante insiste sur le fait que les prévisions ainsi transmises avaient pour but d'estimer le marché, conformément aux articles 46 et

suivants du traité, et qu'une partie d'entre elles était, du reste, également transmise à la Commission, dans le cadre du «monitoring» que celle-ci mettait en oeuvre depuis la fin de la période de crise. Elle rappelle également que l'échange et la publication d'informations sur le marché ne sont aucunement conditionnés par leur caractère sensible pour la concurrence, et que seul le caractère de secret d'affaires de telles données pourrait en restreindre l'échange.

315.
    Il ressortirait, par ailleurs, des pièces citées par la Commission aux points 72 à 79 de la Décision que, si certains producteurs ont réduit leurs livraisons, il s'agissait là de décisions individuelles que les autres concurrents ignoraient et qui furent prises, au pire, sur la base de simples recommandations dénuées de toute valeur contraignante. La Commission reconnaîtrait d'ailleurs (voir point 75 de la Décision) que les intentions de vente annoncées n'ont pas été respectées au stade des livraisons. La requérante y voit la preuve qu'il s'agissait de simples prévisions ou, à tout le moins, qu'une concurrence effective existait entre producteurs de poutrelles, et se réfère à cet égard à sa correspondance avec British Steel, citée par la Commission. Celle-ci admettrait elle-même (voir points 76 et 79 de la Décision) qu'un tel dispositif, fondé sur une base volontaire et sans aucune sanction applicable aux éventuels contrevenants, ne pouvait avoir et n'a eu aucune efficacité.

Appréciation du Tribunal

— Sur la première phase du système Traverso (quatrième trimestre de 1988)

316.
    Les conclusions de la Commission, selon lesquelles la requérante a participé à une pratique concertée dénommée «système Traverso» pendant le quatrième trimestre de 1988, s'appuient sur les preuves suivantes:

—    un extrait du procès-verbal de la réunion de la commission poutrelles du 19 juillet 1988 (voir point 72 de la Décision, document n° 2207);

—    une télécopie d'Eurofer aux sociétés ARBED/TradeARBED, British Steel, Cockerill-Sambre, Usinor Sacilor, Ferdofin, Klöckner, Saarstahl, Thyssen et Peine-Salzgitter, reçue par cette dernière le 4 août 1988, qui évoque un «tableau donnant les intentions de livraisons finales réunies à la fin de la dernière réunion du CDE des 27 et 28 juillet 1988 à Paris» (point 74 de la Décision, document n° 3380);

—    une note interne (non datée) de Peine-Salzgitter qui compare les intentions de vente de Peine-Salzgitter, Thyssen, Klöckner, Saarstahl, Unimétal, Ferdofin, Cockerill-Sambre, TradeARBED, British Steel et de la requérante pour le quatrième trimestre de 1988 par rapport aux livraisons effectuées (point 75 de la Décision);

—    un télex de la requérante à British Steel du 28 novembre 1988 et la réponse de British Steel du 6 décembre 1988 (point 77 de la Décision, documentsn°s 1989 et 1986).

317.
    Le Tribunal estime que les pièces susvisées prouvent, à suffisance de droit, que les entreprises concernées se sont livrées à une pratique concertée pendant le quatrième trimestre de 1988, en se révélant mutuellement leurs plans de livraison avec l'intention de mettre en pratique les recommandations du président du CDE, de façon à ajuster l'offre à la demande. En effet, la communication des «intentions de ventes» à Eurofer est expressément prévue dans le schéma consigné dans le procès-verbal de la réunion du 19 juillet 1988, de même que l'examen de ces chiffres au regard des estimations de marché et des modifications consécutives, à proposer par M. Traverso, au cas où les intentions communiquées «[s'écarteraient] de façon significative des données historiques» (point 72, document n° 2207). Conformément à cette idée, des «intentions de livraisons finales» ont été «réunies» lors de la réunion du CDE des 27 et 28 juillet suivants à Paris (télécopie du 4 août 1988, point 74 de la Décision, document n° 3380). Par ailleurs, dans le tableau visé dans cette télécopie (voir point 75 de la Décision, documents n°s 3383 et 3384), la somme des «intentions de livraison» pour chaque marché correspond au chiffre indiqué à titre de «nouvelle estimation de marché». Dans la télécopie elle-même, il est expliqué: «En plus des chiffres examinés à Paris, quelques ajustements de moindre importance ont été effectués pour les marchés anglais et danois.»

318.
    Le Tribunal relève d'ailleurs que, lors de la réunion du 19 juillet 1988, il a été fait référence à «l'équilibre qui s'impose» (voir point 72 de la Décision). Dans le même sens, la télécopie du 4 août 1988 fait part de l'attente du président du CDE de voir les sociétés concernées ne pas dépasser le niveau des «intentions» alors communiquées et auxquelles, comme il y est dit, «est liée la stabilité des prix». Ces indications démontrent que les entreprises concernées ont accepté lesdites intentions et que l'objectif du système était bien de faire coïncider les «intentions de livraison» avec les «estimations de marché» (voir le point 72 ainsi que le tableau cité au point 75 de la Décision).

319.
    Or, cet objectif n'aurait guère pu être atteint si les entreprises, ne connaissant pas les chiffres définitifs retenus dans le cas de leurs concurrents, n'avaient pas pu en contrôler le respect. Un tel contrôle a d'ailleurs été effectué, après la diffusion du tableau litigieux, tant par Peine-Salzgitter (voir sa note interne citée au point 75 de la Décision) que par British Steel et la requérante (voir les télex cités au point 77 de la Décision). Au surplus, rien n'indique que ces entreprises ont considéré comme anormale cette diffusion de données individuelles entre concurrents.

320.
    Il s'ensuit que, contrairement à l'affirmation de la requérante, la télécopie citée au point 74 de la Décision ne contient pas seulement les prévisions d'Eurofer en matière de livraisons. Il s'ensuit également que la «méthodologie Traverso» ne constituait pas un simple échange d'informations. La télécopie du 4 août 1988 est rédigée en des termes contraignants, à tout le moins moralement («Notre président

attend de toutes les sociétés qu'elles ne dépassent pas le niveau de ces intentions de vente, auxquelles est liée la stabilité des prix»). De même, le procédé en cause ne peut pas s'expliquer par la coopération avec la Commission dans le cadre du «monitoring» mis en place par la décision n° 2448/88, laquelle prévoyait des déclarations à adresser à la Commission elle-même (et non à des instances ou interlocuteurs privés), concernant les livraisons effectives pendant une période antérieure à chaque déclaration (et non les «intentions» des entreprises intéressées). Enfin, l'échange de correspondance entre la requérante et British Steel (point 77 de la Décision) constitue un indice sérieux tendant à établir l'objectif du système Traverso. Cette correspondance témoigne en effet de l'idée que les chiffres distribués étaient censés être respectés.

321.
    En ce qui concerne la requérante, il convient de rappeler qu'elle a participé à la réunion de la commission poutrelles du 19 juillet 1988 [point 38, sous g), de la Décision], qu'elle était destinataire de la télécopie du 4 août 1988 et que ses propres intentions de livraisons figuraient au tableau qui y était joint. Au surplus, elle a été partie à l'échange de correspondance susvisé avec British Steel. Sa participation à la pratique concertée en cause est donc prouvée à suffisance de droit.

322.
    Par ailleurs, le fait que la requérante a dépassé les chiffres retenus dans le cadre de ce système (voir points 75 et 76 de la Décision) n'empêchait pas la Commission de constater l'infraction dans son principe.

— Sur la seconde phase du système Traverso (premier trimestre de 1990)

323.
    Le Tribunal estime que la reprise du système au premier trimestre de 1990 est établie à suffisance de droit par les deux documents cités au point 78 de la Décision, à savoir la lettre de Peine-Salzgitter au président du CDE du 31 janvier 1990 (documents n°s 3422 et 3423) et la note d'information de British Steel du 20 juillet 1990 (documents n°s 1964 à 1966).

324.
    En effet, le contenu de la lettre de Peine-Salzgitter du 31 janvier 1990 coïncide avec les caractéristiques de la méthodologie Traverso. Adressée au président du CDE, elle contient des «intentions de livraisons» pour les deux premiers trimestres de 1990, justifiées, en principe, par les chiffres des périodes antérieures, c'est-à-dire par des «données historiques» au sens de la terminologie utilisée dans le procès-verbal de la réunion du 19 juillet 1988 (voir point 72 de la Décision). Une justification particulière est avancée pour le premier trimestre de 1990, dans le sens d'un report de livraisons n'ayant pas pu être effectuées auparavant.

325.
    Quant à la note interne de British Steel du 20 juillet 1990, relative à la réunion de la commission poutrelles du 10 juillet 1990, elle fait état d'attaques menées par d'autres producteurs en raison de l'évolution des ventes de British Steel sur le continent. Pour sa défense, celle-ci fait valoir que ses ventes du trimestre précédent

étaient restées «within the Traverso guidelines» («conformes aux lignes directrices 'Traverso‘»).

326.
    Quant à la note de dossier de British Steel sur la réunion du 21 mars 1990, d'après laquelle un collaborateur de la requérante avait relevé l'échec du système (voir point 79 de la Décision), ce document démontre tout au plus que, vers la fin du premier trimestre de 1990, auquel se limite le reproche de la Commission, l'on ne pouvait plus s'attendre à ce que les entreprises respectent les chiffres diffusés. Cela n'empêche toutefois pas de conclure que, jusqu'à cet «échec», la méthode a bien fonctionné.

327.
    Il découle de tout ce qui précède que la mise en place et le fonctionnement du système litigieux, pour le quatrième trimestre de 1988 et le premier trimestre de 1990, tels que décrits dans la Décision, sont prouvés à suffisance de droit. Il en va de même de la participation de la requérante audit système pendant ces deux phases.

328.
    Sous réserve des considérations examinées dans la partie D ci-après, il y a donc lieu de rejeter l'ensemble des arguments de la requérante en rapport avec le système Traverso.

Sur l'accord portant répartition du marché français au quatrième trimestre de 1989

329.
    L'article 1er de la Décision retient, à charge de la requérante, une répartition du marché français et indique, à titre de référence pour l'amende, une période de trois mois.

330.
    Au soutien de ce reproche, la Commission fait état, aux points 63 à 71 (partie en fait) et 260 à 262 (partie en droit) de la Décision, d'un accord de répartition des livraisons sur le marché français, relatif au quatrième trimestre de 1989. Cet accord aurait été conclu lors de la réunion de la commission poutrelles du 21 septembre 1989 ou aux environs de cette date, entre les sociétés Peine-Salzgitter, Thyssen, Saarstahl, Ferdofin, Cockerill-Sambre, TradeARBED, British Steel, Ensidesa et la requérante. Selon la Commission, Ensidesa n'a pas participé activement à l'élaboration du système, mais s'y est conformée.

331.
    La requérante n'a pas contesté spécifiquement l'existence de cette infraction.

332.
    Le Tribunal relève que la Commission invoque, à l'appui de ses conclusions:

a)    une réunion du 13 septembre 1989 entre les représentants de Peine-Salzgitter, Thyssen, Saarstahl, British Steel, la requérante, TradeARBED et Cockerill-Sambre/Steelinter, consacrée à la question des livraisons de poutrelles sur le marché français au quatrième trimestre de 1989 (point 63 de la Décision);

b)    un document rédigé par la Walzstahl-Vereinigung et retrouvé dans les bureaux de Peine-Salzgitter (point 63 de la Décision, documents n°s 3140 et 3141, ainsi qu'une note manuscrite (document n° 3138) jointe à ce document par Peine-Salzgitter;

c)    une note interne de Peine-Salzgitter datée du 19 septembre 1989 (point 64 de la Décision, document n° 3139);

d)    le procès-verbal de la réunion de la commission poutrelles du 21 septembre 1989 (point 65 de la Décision, documents n°s 211 à 217);

e)    une note datée du 25 septembre 1989, rédigée par la Walzstahl-Vereinigung et consignant les conclusions de la réunion du 21 septembre 1989 (point 66 de la Décision, documents n°s 207 à 210);

f)    un télex du 26 septembre 1989 envoyé par la Walzstahl-Vereinigung à Peine-Salzgitter, Thyssen, Saarstahl, Ferdofin, TradeARBED, British Steel, Ensidesa et à la requérante (points 67 et 261 de la Décision, document n° 3136);

g)    le compte rendu sommaire des conclusions de la réunion de la commission poutrelles du 7 novembre 1989, qui fait état d'un «souhait que le 'système des tonnages T4-89 marché français‘ soit reconduit sur T1-90 et sur l'ensemble des marchés CECA» (points 68 et 261, dernier tiret, de la Décision, documents n° 224 à 229), ainsi que le procès-verbal de la même réunion (point 71 de la Décision, documents n°s 230 à 235).

333.
    Par ailleurs, la Commission constate, sur la base des données issues du monitoring des livraisons effectuées au quatrième trimestre de 1989, que la plupart des sociétés participantes soit se sont conformées au plan de livraison établi, soit ont livré des quantités inférieures à celles qui y étaient prévues. Seules trois entreprises (Thyssen, Ferdofin et British Steel) auraient dépassé ces quantités dans des proportions importantes (points 262 et 69 de la Décision).

334.
    Le Tribunal estime que les considérations développées aux points 261 et 262 de la Décision, sur la base des éléments de preuve énumérés aux points 63 à 71, justifient à suffisance de droit la conclusion de la Commission selon laquelle un accord relatif à la répartition du marché français a été conclu, par référence aux quantités figurant dans le télex du 26 septembre 1989 cité au point 67, pour le quatrième trimestre de 1989.

335.
    En premier lieu, il ressort des éléments évoqués aux points 63 et 64 de la Décision que, à la suite de la réunion de la commission poutrelles du 13 septembre 1989 consacrée, notamment, aux livraisons sur le marché français et dès avant la réunion

du 21 septembre 1989, les entreprises concernées s'efforçaient de parvenir à un tel accord.

336.
    En effet, la note interne de Peine-Salzgitter datée du 19 septembre 1989 (point 64, document n° 3139) révèle que ces entreprises avaient engagé des pourparlers afin de trouver, sur la base de deux propositions, une clé de répartition. Le document préparé par la Walzstahl-Vereinigung (document n° 3141), auquel se réfère l'auteur de la note, présente les livraisons antérieures des entreprises concernées et, sur cette base, deux clés de répartitions différentes. La première figure sous l'intitulé «Marché français — poutrelles — quatrième trimestre de 1989», la seconde sous la dénomination «Alternative Gaillard». Selon la note précitée, Peine-Salzgitter était «d'accord» pour que le pourcentage correspondant aux chiffres de livraison antérieurs lui soit appliqué, en fonction du «document établi par la [Walzstahl-Vereinigung]», qu'elle reconnaissait comme «base de la répartition des fournisseurs Eurofer». Estimant que «la base doit toutefois être de 33 000 tonnes», elle s'est exprimée en faveur de la première clé de répartition, à l'exclusion de la seconde (à savoir l'«alternative Gaillard»), proposée par un collaborateur de la requérante. Ce point de vue figure également dans la note manuscrite de la même société citée au point 63, dernier alinéa, de la Décision (document n° 3138). Il ressort de ces deux documents que les autres sociétés concernées partageaient le refus de l'«alternative Gaillard».

337.
    S'agissant, en deuxième lieu, des documents relatifs à la réunion qui s'est tenue le 21 septembre 1989, soit deux jours après la date de la note précitée de Peine-Salzgitter du 19 septembre 1989, s'il est vrai que le procès-verbal de cette réunion ne mentionne que les livraisons à effectuer par la requérante, il apparaît toutefois que toutes les usines concernées, membres ou non d'Eurofer, avaient «annoncé des intentions de livraisons réduites» (voir la note rédigée par la Walzstahl-Vereinigung, point 66 de la Décision, documents n°s 207 à 210). Le Tribunal estime que cette dernière mention ne peut être raisonnablement interprétée que comme révélant l'aboutissement des efforts déployés seulement quelques jours auparavant et visant à parvenir à un accord sur les quantités à livrer sur le marché français. Eu égard au contexte de ces discussions préalables, il peut être exclu avec une certitude suffisante que les annonces faites par les entreprises concernées à propos de leurs livraisons correspondaient à des décisions qu'elles auraient prises de façon autonome.

338.
    Le Tribunal estime, en troisième lieu, que le télex de la Walzstahl-Vereinigung du 26 septembre 1989 (point 67 de la Décision, document n° 3136) communiquait le détail de l'accord ainsi obtenu aux parties à celui-ci. Les entreprises pour lesquelles une quantité de livraison y est indiquée sont celles pour lesquelles une telle quantité avait été prévue dans les documents préparatoires établis par la Walzstahl-Vereinigung, à la seule exception de Klöckner qui (avec une quantité insignifiante) n'apparaît que dans ces documents préparatoires (point 63 de la Décision). Un examen attentif des chiffres fait par ailleurs apparaître que les deux pourcentages historiques utilisés dans ces derniers documents pour sept des entreprises

concernées (Peine-Salzgitter, Thyssen, Saarstahl, Ferdofin, Cockerill-Sambre, ARBED et British Steel) ont apparemment servi de base pour déterminer la part définitive qui revenait à chacune d'elles dans la quantité totale qui leur était attribuée.

339.
    Le fait que les quantités indiquées dans le télex en question y sont qualifiées d'«approximatives» n'empêche pas de conclure que ces quantités ont fait l'objet d'un accord entre les entreprises concernées.

340.
    Il apparaît par ailleurs que, lors de la réunion du 7 novembre 1989, les entreprises ont considéré que les chiffres de commandes pour livraison au cours du trimestre litigieux se situaient à un niveau «raisonnable» (voir le compte rendu sommaire, cité au point 68 de la Décision, ainsi que le procès-verbal cité au point 71, documents n°s 230 à 235) et ont exprimé le «souhait que le 'système des tonnages T4-89 marché français‘ soit reconduit sur T1-90 et sur l'ensemble des marchés CECA». Lue dans son contexte, cette mention implique qu'un tel système, portant sur la répartition des tonnages pour le marché et le trimestre visés, avait bien été mis en place.

341.
    L'existence de l'accord dénoncé par la Commission est, dès lors, prouvée à suffisance de droit.

342.
    Pour les raisons exposées dans l'arrêt rendu ce jour dans l'affaire Preussag/Commission, T-148/94, cette conclusion n'est pas affectée par le témoignage de MM. Mette et Kröll, collaborateurs de Preussag, lors de l'audience.

343.
    S'agissant de la participation de la requérante à cet accord, il convient de souligner qu'elle a pris part à la réunion du 13 septembre 1989 (point 63 de la Décision) et que des chiffres de livraison la concernant étaient indiqués dans les documents préparatoires établis par la Walzstahl-Vereinigung. La requérante a également participé à la réunion du 21 septembre 1989. Le tableau envoyé par la Walzstahl-Vereinigung le 26 septembre 1989 (point 67 de la Décision) a été adressé, entre autres, à la requérante, et son nom y est repris, assorti d'un chiffre de livraison. Au vu de l'ensemble de ces éléments concordants, le Tribunal conclut que la requérante était partie à l'accord litigieux.

344.
    Il résulte de tout ce qui précède que la conclusion de l'accord litigieux, de même que la participation de la requérante, sont prouvées à suffisance de droit. Cet accord tendait à une répartition des marchés au sens de l'article 65, paragraphe 1, sous c), du traité et était donc interdit par cette disposition, sous réserve des conditions qui seront examinées dans la partie D ci-après.

Sur les échanges d'informations au sein de la commission poutrelles (monitoring des commandes et des livraisons)

345.
    Selon l'article 1er de la Décision, la requérante a participé, pendant une période de 30 mois, à un «[é]change d'informations confidentielles par l'intermédiaire de la commission poutrelles». Aux points 39 à 60 pour la partie en fait, et 263 à 271 pour la partie en droit, la Commission expose les détails de ce système.

346.
    L'échange d'informations par l'intermédiaire de la commission poutrelles, communément appelé «monitoring», comportait deux branches relatives, respectivement, aux commandes et aux livraisons des entreprises participantes (point 263). Il était organisé par le secrétariat de la commission poutrelles (point 47), assuré à l'époque par Usinor Sacilor (point 33), qui collectait les chiffres et les rediffusait sous forme de statistiques (point 40).

347.
    Le monitoring des commandes, établi en 1984, permettait aux entreprises participantes de s'informer régulièrement sur les commandes qu'elles avaient reçues en vue d'une livraison pour un trimestre précis (point 39), dans les pays suivants: France, Allemagne, Belgique/Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni, Italie, Espagne, Portugal et Grèce/Irlande/Danemark. Depuis le début de 1989 au moins, ces statistiques étaient réunies et diffusées chaque semaine par le secrétariat de la commission poutrelles (point 40).

348.
    Le monitoring des livraisons, qui a fonctionné depuis le début de 1989 pour les statistiques relatives au quatrième trimestre de 1988, portait sur les livraisons trimestrielles des participants sur les marchés de la CECA (point 41). Des statistiques ventilées par entreprise ont été échangées pour les marchés suivants: la CECA dans son ensemble, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, le Benelux, l'Italie, la Grèce/l'Irlande/le Danemark, le Portugal et l'Espagne. Ces statistiques étaient distribuées un mois ou deux après la fin du trimestre considéré (point 42).

349.
    Selon la Décision, ces systèmes de monitoring ont été suspendus à la fin de juillet 1990 (points 43 à 46), à la suite de l'adoption de la décision acier inoxydable, mais ils ont repris par la suite (point 45), en octobre 1990 au plus tard (voir les tableaux datés du 3 décembre 1990, donnant des statistiques individuelles des fournitures du troisième trimestre de 1990 et des commandes à livrer au cours du même trimestre pour diverses entreprises, dont la requérante, point 46 et appendice 1, point 26 de la Décision).

350.
    Aux points 49 à 60 et 268 de la Décision, la Commission allègue que ces échanges d'informations ont été fréquemment accompagnés de discussions au sein de la commission poutrelles, au cours desquelles les entreprises se plaignaient du comportement de leurs concurrents en matière de commandes ou d'exportations, ainsi que d'écarts entre les commandes annoncées et les livraisons effectuées.

Résumé sommaire de l'argumentation des parties

351.
    Sans contester la matérialité des faits exposés dans la Décision, la requérante soutient que les échanges de données individuelles en matière de commandes et de livraisons opérés en l'espèce étaient licites et même obligatoires en vertu des articles 46 et suivants du traité, de sorte que la Commission a fait, dans la Décision, une application manifestement erronée des règles dudit traité.

352.
    La requérante expose que, au cours de la période considérée, la DG III avait, conformément à l'article 46 du traité, mandaté l'association de producteurs Eurofer pour collecter les données individuelles des entreprises nécessaires à la préparation des programmes prévisionnels. Les questionnaires du monitoring dit «volontaire», après le mois de juin 1988, et les statistiques Eurostat, auraient ainsi compris des rubriques concernant les commandes, la production, les variations de stocks et donc, par déduction, les livraisons, à fournir, par État membre, sur une base soit mensuelle, soit trimestrielle. Selon la requérante, l'article 47 du traité imposait à la Commission de maintenir ces données individuelles accessibles aux entreprises, sauf si l'une d'elles invoquait le secret des affaires, et il n'était pas en son pouvoir de faire état d'éventuelles restrictions de la concurrence pour tenter de faire échec au principe général de transparence expressément prévu par cet article. La Commission ne serait même pas fondée à reprocher à la requérante d'avoir limité l'échange de données aux membres de la commission poutrelles (voir point 271 de la Décision), dans la mesure où, en France, des statistiques très précises de commandes et de livraisons étaient communiquées chaque trimestre aux organisations professionnelles d'utilisateurs par le comité consultatif du Centre professionnel des Statistiques de l'Acier (ci-après «CPS»).

353.
    La requérante insiste en outre sur le fait que cette tâche de collecte de renseignements commerciaux par la commission poutrelles, en particulier en ce qui concerne les livraisons, était effectuée en conformité explicite avec les méthodologies mises au point par le comité statistique de la Commission elle-même, et en application d'une décision de ce comité du 4 novembre 1987 (annexe 12 à la requête). Elle relèverait donc du régime des articles 46 et suivants du traité. La même remarque s'appliquerait au monitoring des commandes, dès lors que, selon la requérante, la Commission procédait elle-même à l'analyse statistique de telles données dans le cadre de son propre monitoring volontaire. Le fait que ces données aient été échangées entre entreprises avant d'être fournies à la Commission serait indifférent, étant donné l'obligation générale de transparence. Au contraire, le critère de l'utilité de l'information prévu à l'article 47 du traité aurait milité en faveur d'une divulgation la plus rapide et la plus générale possible, sans qu'il soit licite, pour la Commission, de limiter cette publication aux seulesdonnées agrégées, puisque la distinction entre de telles données et les données individuelles n'est pas prévue par les règles de concurrence du traité CECA.

354.
    La requérante ajoute que le monitoring des commandes et des livraisons portait essentiellement sur des données soit purement historiques soit, au mieux, enregistrées au début du trimestre en cours. Elle soutient que, en pratique, ces données ne pouvaient pas influencer d'une quelconque manière le comportement commercial autonome des entreprises qui bénéficiaient de leur échange. D'une part, ces entreprises n'auraient pas pu, sur la base des données échangées, modifier leurs programmes de production en cours de trimestre, sauf à faire tomber la productivité à des niveaux insoutenables. D'autre part, les données se rapportant aux commandes n'auraient pas pu donner une image exacte de la réalité commerciale, dès lors que n'étaient pas connus précisément les niveaux des stocks chez les intermédiaires, et que les commandes totales du mois étaient souvent enregistrées au dernier moment par les négociants, ce qui aurait donné une image extrêmement préliminaire aux données rassemblées en début de trimestre. Enfin, le fait que, sur la période considérée, et en tout cas à partir de mi-1990, les données aient été transmises sous forme agrégée par certains producteurs, et individualisée par d'autres, aurait rendu leur utilisation à des fins autres que statistiques quasiment impossible.

355.
    Il serait donc incorrect de prétendre, comme le ferait la Commission aux points 267 à 269 de la Décision, que cette recherche d'information sur les commandes et les livraisons constitue en elle-même la preuve de l'existence d'un accord de répartition des marchés entre les producteurs impliqués. Le monitoring des commandes et des livraisons aurait eu un tout autre but, conforme aux principes du traité. A cet égard, la requérante fait valoir que, dans un secteur économique à très haute intensité capitalistique et soumis à de très fortes variations de la demande, une connaissance des composantes de l'environnement statistique, et notamment de l'évolution de la consommation apparente, est fondamentale dans les prévisions à court et à long terme. Or, les sources extérieures permettant un tel travail seraient rares et les producteurs ne pourraient se satisfaire ni des données statistiques officielles, ni des données douanières. Les données individuelles et historiques volontairement échangées par les producteurs, notamment en ce qui concerne les livraisons, auraient donc été nécessaires pour permettre à ces derniers de prévoir et de mesurer l'ampleur des cycles de consommation des poutrelles et, éventuellement, d'amortir les retournements de tendances, conformément au régime de concurrence normale voulu par le traité.

356.
    La requérante relève que l'obligation faite à la Commission, par l'article 47 du traité, de publier des données «qui sont susceptibles d'être utiles» aux gouvernements ou à tous autres intéressés, est des plus générales. Cette disposition ne laisserait à la Commission aucun pouvoir d'appréciation autre que celui du critère de l'utilité, dans le contexte des objectifs de transparence et de stabilisation du marché du traité CECA. La seule exception à cette obligation de transparence serait celle du secret professionnel. Ni les impératifs de concurrence, ni la distinction entre données individuelles et données agrégées, sur laquelle se fonderait la doctrine administrative de la Commission dans le cadre du traité CE, ne pourraient ici être pris en considération. En précisant, dans son arrêt Luciano

Rumi/Haute Autorité, précité, que «le principe de publication obligatoire est d'une nature générale et ne dépend en aucune manière de la situation économique de court terme...», la Cour aurait clairement dit que cette obligation de transparence est indépendante de ses effets sur la concurrence en général. La requérante déduit de ce qui précède que la Commission ne peut condamner, au titre de l'article 65 du traité, l'échange de données individuelles qui est, par ailleurs, autorisé par l'article 47 (sauf le cas du secret professionnel): la concurrence «normale» que protège l'article 65 serait précisément celle qui s'exerce sur la base des informations, individuelles ou agrégées, auxquelles, en vertu de l'article 47, tous les intéressés doivent avoir accès. En réponse à l'argument de la Commission, qui prétend ne jamais s'être fondée sur l'article 47 pour diffuser des informations sensibles individuelles sur le marché, ni pour recommander aux producteurs des comportements impliquant des pratiques anticoncurrentielles, la requérante renvoie aux considérations développées dans la partie D ci-après, par lesquelles elle pense avoir démontré que c'est précisément à l'occasion de réunions organisées sur la base de l'article 46 du traité que la Commission a encouragé les producteurs dans la voie des pratiques qui leur sont reprochées dans la Décision.

357.
    En conclusion de son analyse, la requérante soutient que les échanges et publications d'informations sur les prix et les autres caractéristiques de la production et de la consommation font partie intégrante du système de concurrence normale voulue par les auteurs du traité CECA. Elle admet que ces échanges ne doivent pas avoir pour effet d'interdire à une entreprise d'adopter une politique commerciale individuelle agressive, mais soutient que, en l'espèce, le rapport économique présenté par le Pr Bishop (joint en annexes 25 à 28 à la requête) démontre l'absence d'un tel effet, en se fondant notamment sur l'évolution des prix et l'accroissement des ventes transfrontalières.

358.
    Cette conclusion amène également la requérante à critiquer les références faites par la Commission à l'article 85 du traité CE, à l'occasion de son interprétation de l'article 65 du traité CECA et de son application au cas d'espèce.

359.
    La Commission estime que l'échange d'informations pratiqué en l'espèce par les entreprises était incompatible avec l'article 65 du traité, pour les raisons exposées aux points 263 à 271 de la Décision.

360.
    Dans sa réponse du 19 janvier 1998 à une question écrite du Tribunal, la Commission a toutefois fait valoir que les systèmes d'information litigieux ne constituaient pas une infraction autonome à l'article 65, paragraphe 1, du traité, mais faisaient partie d'infractions plus vastes consistant, notamment, en des accords de fixation de prix et de répartition de marchés. Ils auraient donc violé l'article 65, paragraphe 1, du traité dans la mesure où ils ont facilité la perpétration de ces autres infractions. A l'audience, la Commission, tout en exprimant certains doutes quant à la question de savoir si la jurisprudence de la Cour et du Tribunal dite «Tracteurs» (arrêt du Tribunal Deere/Commission, précité, point 51; arrêt de la

Cour du 28 mai 1998, Deere/Commission, C-7/95 P, Rec. p. I-3111, points 88 à 90) est directement transposable au traité CECA, a souligné qu'il s'agit en l'espèce non seulement d'un échange d'informations, mais aussi de l'utilisation de ces informations à des fins collusoires, ainsi qu'il ressort notamment des points 49 à 60 de la Décision.

Appréciation du Tribunal

— Sur la nature de l'infraction reprochée à la partie requérante

361.
    Eu égard aux arguments présentés par la Commission dans sa réponse écrite du 19 janvier 1998 et à l'audience, il convient d'établir tout d'abord si l'infraction reprochée à la requérante aux points 263 à 271 de la Décision constitue une infraction autonome à l'article 65, paragraphe 1, du traité, ou si, au contraire, le caractère infractionnel des systèmes d'échange d'informations litigieux tient au fait qu'ils ont facilité la perpétration des autres infractions retenues dans la Décision. Cette question importe non seulement pour la qualification juridique des comportements en cause, mais aussi pour l'appréciation du bien-fondé de l'imposition d'une amende distincte sanctionnant lesdits comportements (voir ci-après).

362.
    Au point 267 de la Décision, la Commission considère que les entreprises en cause sont allées au-delà des limites admissibles en matière d'échange d'informations en ce que, premièrement, les informations échangées sur les livraisons et les commandes reçues par chaque société à livrer sur les différents marchés sont généralement considérées comme strictement confidentielles, et, deuxièmement, les chiffres des commandes étaient mis à jour chaque semaine et diffusés rapidement parmi les participants, tandis que les chiffres des livraisons étaient diffusés peu après l'expiration du trimestre considéré. La Commission en déduit que «chacune des sociétés participantes connaissait donc de manière complète et détaillée les livraisons que ses concurrents avaient l'intention d'effectuer ainsi que leurs livraisons réelles. Ces sociétés étaient donc en mesure de s'assurer du comportement que leurs concurrents se proposaient d'adopter ou avaient adopté sur le marché et d'y adapter le leur».

363.
    Ensuite, la Commission affirme, aux points 267 et 268 de la Décision, que telle était la raison d'être de l'échange, en ce que les informations échangées ont servi de base aux discussions sur les courants d'échanges décrites aux points 49 à 60 de la Décision. Selon la Commission, les entreprises suivaient de près ces statistiques et vérifiaient si les livraisons correspondaient aux commandes annoncées. Lors de ces discussions, les parties seraient parvenues à un «degré remarquable de transparence dans leurs relations». La Commission ajoute que, s'il s'était agi d'un échange limité à des statistiques purement rétrospectives sans effet possible sur la concurrence, de telles discussions auraient été inexplicables.

364.
    La Commission conclut, au point 269 de la Décision, que les parties ont ainsi établi un «système de solidarité et de coopération destiné à coordonner [leurs] activités commerciales» et qu'elles ont donc «substitué une coopération pratique aux risques normaux de la concurrence, coopération aboutissant à des conditions de concurrence qui ne correspondent pas aux conditions normales du marché».

365.
    Aux points 270 et 271 de la Décision, la Commission souligne que les échanges d'informations individuelles qui sont susceptibles d'influencer le comportement des entreprises sur le marché ne sont pas couverts par sa communication relative aux accords, décisions et pratiques concertées concernant la coopération entre entreprises, publiée le 29 juillet 1968 (JO C 75, p. 3, ci-après «communication de 1968»). Invoquant ses décisions 87/1/CEE, du 2 décembre 1986, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/31.128 — Fatty Acids, JO 1987, L 3, p. 17, ci-après «décision acides gras») et 92/157/CEE, du 17 février 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/31.370 et 31.446 — UK Agricultural Tractor Registration Exchange, JO L 68, p. 19, ci-après «décision UK Agricultural Tractor Registration Exchange»), adoptées dans le cadre du traité CE, elle considère que l'échange d'informations intervenu en l'espèce, qui comprenait des informations précises et à jour concernant les commandes et les livraisons des producteurs, permettant de déterminer le comportement des différentes entreprises dans un oligopole étroit, était contraire à l'article 65, paragraphe 1, du traité.

366.
    Il résulte de ce qui précède que la Commission a fondé son appréciation juridique, aux points 263 à 271 de la Décision, sur les caractéristiques propres du monitoring, y compris les discussions sur les courants d'échanges qui ont eu lieu sur la base des informations échangées, exposées aux points 49 à 60 de la Décision.

367.
    Même s'il ressort également de la Décision que le monitoring a en réalité facilité certaines autres infractions retenues à l'encontre des entreprises concernées, notamment la «méthodologie Traverso» et l'accord relatif au marché français au quatrième trimestre de 1989, rien dans ladite Décision n'indique que ce fait a été pris en compte dans l'appréciation juridique du système d'échange d'informationslitigieux au regard de l'article 65, paragraphe 1, du traité.

368.
    Il y a donc lieu de conclure que, aux points 263 à 271 de la Décision, les systèmes d'échange d'informations litigieux ont été considérés comme des infractions autonomes à l'article 65, paragraphe 1, du traité. Il convient, dès lors, de rejeter les arguments avancés par la Commission dans sa réponse du 19 janvier 1998 et à l'audience, dans la mesure où ils cherchent à modifier cette appréciation juridique.

— Sur le caractère anticoncurrentiel du monitoring

369.
    Le Tribunal rappelle que l'article 65, paragraphe 1, du traité est fondé sur la conception selon laquelle tout opérateur doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché commun.

370.
    Le Tribunal constate, en l'espèce, que les données diffusées, relatives aux commandes et aux livraisons des participants sur les principaux marchés de la Communauté, étaient ventilées par entreprises et par États membres. Elles permettaient donc de connaître la position qu'occupait chaque entreprise par rapport à l'ensemble des ventes effectuées par les participants, sur tous les marchés géographiques concernés.

371.
    Grâce à l'actualité et à la fréquence de communication des données, les entreprises étaient en mesure de suivre de près chaque étape de l'évolution des parts des participants sur les marchés en cause.

372.
    Ainsi, les chiffres relatifs aux commandes à livrer au cours d'un trimestre donné (monitoring des commandes) étaient réunis et diffusés chaque semaine par le secrétariat de la commission poutrelles (point 40 de la Décision). Il ressort également des documents identifiés à l'appendice 1 de la Décision que le temps qui s'écoulait entre la date de référence d'un tableau et celle à laquelle il était établi ou mis à la disposition des entreprises était normalement inférieur à trois semaines. De même, les tableaux de commandes énumérés à l'appendice 1 de la Décision étaient, à une seule exception près (à savoir le tableau cité au point 26 dudit appendice, dont la date se situe environ deux mois après le trimestre de référence), diffusés soit avant la fin du trimestre de référence, parfois même plusieurs semaines avant, soit quelques jours après celle-ci.

373.
    Les chiffres des livraisons, quant à eux, étaient diffusés, en tout état de cause, moins de trois mois après la fin du trimestre concerné.

374.
    L'ensemble de la coopération ainsi caractérisée était limité aux seuls producteurs qui y avaient adhéré, à l'exclusion des consommateurs et des autres concurrents.

375.
    Il n'est par ailleurs pas contesté que l'échange concernait des produits homogènes (voir point 269 de la Décision), de sorte que la concurrence par les caractéristiques des produits ne jouait qu'un rôle limité.

376.
    S'agissant de la structure du marché, le Tribunal constate que, en 1989, dix des entreprises ayant participé au monitoring de la commission poutrelles couvraient deux tiers de la consommation apparente (point 19 de la Décision). En présence d'une telle structure oligopolistique du marché, susceptible de réduire par elle-même la concurrence, il est d'autant plus nécessaire de protéger l'autonomie de décision des entreprises ainsi que la concurrence résiduelle.

377.
    Les éléments exposés aux points 49 à 60 de la Décision confirment que, compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, en particulier de l'actualité et de la ventilation des données, destinées aux seuls producteurs, des caractéristiques des produits et du degré de concentration du marché, les systèmes litigieux affectaient nettement l'autonomie de décision des participants.

378.
    En général, les informations diffusées ont fait l'objet de discussions régulières au sein de la commission poutrelles. Il apparaît, au vu notamment des éléments résumés au point 268 de la Décision, que des critiques ont été formulées à l'égard des niveaux de commandes jugés excessifs (point 51) et des livraisons des intéressés, en particulier vers d'autres États membres (points 51, 53 et 60), étant entendu que, dans certains cas, les livraisons entre deux pays ou deux zones ont été analysées (points 53, 55 et 57). Dans ce contexte, les entreprises se sont régulièrement référées aux chiffres du passé (points 51, 53, 57 et 58), employant à cet égard le terme de «flux traditionnels» (point 57). A l'occasion de ces discussions, des menaces ont été formulées en raison de comportements jugés excessifs (point 58) et, à plusieurs occasions, les entreprises critiquées ont tenté d'expliquer leur comportement (points 52 et 56). Enfin, il apparaît que la diffusion des chiffres des livraisons servait également à détecter d'éventuelles différences par rapport aux commandes annoncées (point 54). De cette façon, le monitoring des livraisons renforçait l'efficacité du monitoring des commandes (voir le point 268 de la Décision).

379.
    Il s'ensuit que les informations que recevaient les entreprises dans le cadre des systèmes litigieux étaient capables d'influencer leur comportement de façon sensible, en raison tant du fait que chaque entreprise se savait surveillée de près par ses concurrents que du fait qu'elle-même pouvait, le cas échéant, réagir au comportement de ceux-ci, sur la base d'éléments nettement plus récents et plus précis que ceux qui étaient disponibles par d'autres moyens. Ce dernier constat est tout particulièrement confirmé par la note d'information de Peine-Salzgitter du 10 septembre 1990 citée au point 59 de la Décision, selon laquelle «un échange de chiffres qui se borne aux chiffres agrégés n'a pour nous (presque) aucun intérêt (avis du groupe germano-luxembourgeois du 30.8.1990), étant donné que le comportement sur le marché des différentes entreprises ne peut plus être déduit».

380.
    C'est également à juste titre que, au point 267 de la Décision, la Commission a pu considérer que les informations dont il est question en l'espèce sont normalement considérées comme strictement confidentielles. Comme le reconnaît la requérante elle-même (voir point 355 ci-dessus) les données échangées dans le cadre du monitoring ne pouvaient pas être reconstituées sur la base des informations statistiques ou douanières publiquement disponibles. Dans ces conditions, le Tribunal considère que de telles données, révélatrices des parts de marché très récentes des participants, et non disponibles dans le domaine public, sont de par leur nature même des données confidentielles, ce qui est confirmé par le fait que

d'éventuelles entreprises intéressées ne pouvaient bénéficier des données diffusées par le secrétariat que sur une base réciproque (voir point 45 de la Décision).

381.
    Le Tribunal constate, par ailleurs, que ce contrôle mutuel s'opérait, du moins implicitement, par référence aux chiffres du passé, dans un contexte où, jusqu'en janvier 1987, la politique de la Commission tendait au maintien des «flux traditionnels» des échanges, terme qui a été expressément utilisé par les participants. L'échange tendait donc au cloisonnement des marchés par référence auxdits flux traditionnels.

382.
    Il s'ensuit que, loin de créer les conditions nécessaires au jeu normal de la concurrence sur le marché commun, les systèmes d'échange d'informations litigieux ont sensiblement réduit l'autonomie de décision des producteurs participants en substituant une coopération pratique entre eux aux risques normaux de la concurrence. De tels systèmes tendent, par leur nature, à empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence, au sens de l'article 65, paragraphe 1, du traité.

383.
    Il en résulte également que le comportement reproché à la requérante n'est pas couvert par le point II, paragraphe 1, de la communication de 1968 qui, selon ses termes mêmes, ne s'applique pas aux échanges d'informations qui réduisent l'autonomie de décision des participants ou est de nature à faciliter un comportement coordonné sur le marché. Par ailleurs, il s'agit en l'espèce d'un échange de données individualisées, dans le cadre d'un marché oligopolistique de produits homogènes, qui tendait au cloisonnement des marchés par référence aux flux traditionnels.

384.
    Dans la mesure où, pour justifier les systèmes litigieux et sa participation à ceux-ci, la requérante se réfère à l'article 47 du traité, son argumentation ne saurait être retenue. L'article 47 du traité n'autorise en aucun cas la divulgation d'informations par la Commission sur le comportement concurrentiel des entreprises dans le domaine des quantités au seul bénéfice des producteurs. Pour ces mêmes raisons, la requérante ne saurait invoquer un principe général de transparence inhérent au traité CECA, d'autant qu'il s'agit, en l'espèce, de données confidentielles qui, par leur nature même, constituent des secrets d'affaires.

385.
    Quant aux arguments relatifs à la nécessité d'échanger des informations dans le cadre de la coopération avec la Commission, tirés des articles 5 et 46 à 48 du traité CECA ainsi que de la décision n° 2448/88, il y a lieu de constater que rien dans ces dispositions ne permet expressément un échange d'informations entre entreprises tel que celui de l'espèce. Les mêmes considérations s'appliquent aux arguments fondés sur l'activité de collecte de données statistiques menée par Eurostat. A cet égard, la Commission fait, à juste titre, valoir que, à la différence des données échangées dans le cadre du monitoring de la commission poutrelles, les données collectées et publiées par Eurostat sont de simples indicateurs généraux de l'activité sidérurgique, qui ne sont pas susceptibles d'avoir une quelconque influence sur la

concurrence, compte tenu de leur niveau d'agrégation et de la période écoulée entre leur collecte et leur publication. Par ailleurs, il ne ressort aucunement de la décision du comité statistique de la Commission du 4 novembre 1987, invoquée par la requérante, qu'Eurostat aurait incité les entreprises à échanger mutuellement les données individuelles relatives à leurs commandes et à leurs livraisons. La question de savoir si un tel échange a été implicitement autorisé par le comportement de la DG III sera examinée dans la partie D ci-après.

386.
    Sous cette réserve, et eu égard notamment au principe de base du traité selon lequel la concurrence qu'il vise consiste dans le jeu sur le marché de forces et de stratégies économiques indépendantes et opposées (arrêt Pays-Bas/Haute Autorité, précité), le Tribunal considère que la Commission n'a pas commis d'erreur de droit en se référant, au point 271 de la Décision, à certaines décisions qu'elle a adoptées dans le domaine du traité CE dans le cas de marchés oligopolistiques. S'agissant, en particulier, de la décision UK Agricultural Tractor Registration Exchange, il y a lieu de rappeler que tant le Tribunal que la Cour ont jugé que, sur un marché oligopolistique fortement concentré, l'échange d'informations sur le marché est de nature à permettre aux entreprises de connaître la position sur le marché et la stratégie commerciale de leurs concurrents et, ainsi, à altérer sensiblement la concurrence qui subsiste entre les opérateurs économiques (arrêt du Tribunal Deere/Commission, précité, point 51; arrêt de la Cour Deere/Commission, précité, points 88 à 90). Le Tribunal estime qu'il en va a fortiori ainsi lorsque, comme en l'espèce, les informations échangées ont fait l'objet de discussions régulières entre les entreprises participantes.

387.
    Le Tribunal souligne, enfin, que, eu égard, d'une part, à la nature des discussions qui ont eu lieu au sein de la commission poutrelles et des données échangées dansce cadre, et, d'autre part, aux termes de la communication de 1968, les entreprises en cause n'ont pas pu avoir de doutes raisonnables quant au fait que les échanges concernés tendaient à empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence ni, par conséquent, quant au caractère interdit des échanges concernés au regard de l'article 65, paragraphe 1, du traité. La même conclusion ressort par ailleurs des considérations exposées par le Tribunal dans la partie D ci-après. En tout état de cause, les prétendues difficultés qu'il peut y avoir à apprécier le caractère interdit d'un comportement n'affectent pas l'interdiction elle-même, laquelle a un caractère objectif. Le Tribunal considère, par ailleurs, que, aux points 266 à 271 de la Décision, la Commission a motivé à suffisance de droit son point de vue selon lequel les systèmes litigieux étaient contraires au jeu normal de la concurrence.

388.
    Il ressort de tout ce qui précède que les arguments de la requérante relatifs à l'échange d'informations au sein de la commission poutrelles doivent être rejetés dans leur ensemble, sous réserve des constatations effectuées par le Tribunal dans la partie D, ci-après.

Sur les pratiques relatives aux différents marchés

1. Fixation de prix sur le marché français

389.
    A l'article 1er de la Décision, la Commission fait grief à la requérante d'avoir participé à une fixation de prix sur le marché français. Le constat de cette infraction, qui n'a pas été retenue aux fins du calcul de l'amende, se fonde sur deux notes internes de Peine-Salzgitter des 14 et 18 mai 1987 (documents n°s 3184-3185 et 3177-3179 du dossier; voir points 155 et 274 de la Décision).

390.
    La requérante n'a pas contesté expressément cette infraction, dont la preuve est rapportée à suffisance de droit sur la base des deux notes internes invoquées par la Commission.

2. Fixation de prix sur le marché italien

391.
    A l'article 1er de la Décision, la Commission fait grief à la requérante d'avoir participé à une fixation de prix sur le marché italien. La période retenue aux fins de l'amende est de six mois. Au point 275 de la Décision, elle fait état d'un certain nombre de pratiques restrictives sur le marché italien. Aux septième et huitième tirets de ce passage, elle expose ce qui suit:

«—    lors d'une réunion tenue le 3 octobre 1988, d'autres prix-cibles ont été adoptés par TradeARBED, British Steel, Peine-Salzgitter, Unimétal et Ferdofin (voir point 169);

—    au cours de la réunion du 15 mai 1990, TradeARBED, Peine-Salzgitter, Saarstahl, Unimétal, Thyssen et Ferdofin ont conclu un accord de fixation de prix (voir points 170 et 171)».

392.
    La requérante estime que les charges ainsi retenues à son encontre sont dépourvues de tout fondement juridique. Aucune des pièces citées par la Commission, pour la période postérieure au 30 juin 1988, n'étayeraient ses allégations d'accords sur les prix, auxquels aurait participé Unimétal. Tout au plus, ces pièces permettraient-elles d'établir que les membres de la commission poutrelles ont échangé des informations sur les prix qu'ils avaient l'intention d'appliquer de trimestre en trimestre.

393.
    Le Tribunal estime, en premier lieu, que l'existence de l'accord allégué par la Commission, passé lors d'une réunion du 3 octobre 1988 à Milan, à laquelle la requérante a assisté (point 169 de la Décision), est prouvée à suffisance de droit tant par le procès-verbal de la réunion de la commission poutrelles du 18 octobre 1988 (document n° 3552 du dossier) que par la télécopie du 5 octobre 1988 (document n° 2502 du dossier), par laquelle TradeARBED a communiqué à Norsk Jernverk les «prix pour le marché italien, profilés HE, fixés à Milan le lundi 03.10».

394.
    Le Tribunal estime, en second lieu, que l'existence de l'accord allégué par la Commission, passé lors d'une réunion du 15 mai 1990 à laquelle la requérante a assisté (point 171 de la Décision), est prouvée à suffisance de droit par le contenu de la note interne du 18 mai 1990 rédigée par le secrétariat de la commission poutrelles (point 170 de la Décision, documents n°s 2266 à 2268). Les prix qui y sont envisagés ne sont pas présentés comme ceux prévus par la seule société Ferdofin, mais comme les prix du marché italien en général. Au surplus, ils n'ont pas fait l'objet d'une simple prévision mais, aux termes de la même note, d'une «confirmation» dans certains cas et d'une «légère hausse» dans d'autres. Enfin, ils ont été qualifiés de «résultat» de la rencontre du 15 mai 1990, présentation qui exclut l'hypothèse que Ferdofin les ait fixés de façon autonome.

395.
    La déposition faite à l'audience par M. Mette n'affecte pas cette appréciation pour les raisons exposées dans l'arrêt rendu ce jour dans l'affaire Preussag/Commission, T-148/94.

396.
    Il s'ensuit que l'argumentation de la requérante relative au grief tiré d'une fixation de prix sur le marché italien doit être rejetée dans son ensemble.

3. Répartition du marché italien

397.
    A l'article 1er de la Décision, la Commission reproche à la requérante d'avoir participé à une répartition du marché italien. La période retenue aux fins de l'amende est de trois mois.

398.
    A cet égard, la Commission expose, au point 275, sixième tiret, de la Décision, qu'il a été décidé, le 21 juin 1988, de reconduire l'accord de répartition des marchés pour le troisième trimestre de 1988. Cet accord aurait été passé par Ferdofin, TradeARBED, British Steel, Cockerill-Sambre, Peine-Salzgitter, Saarstahl, Thyssen et la requérante. La Commission se réfère aux points 167 et 168 de la Décision.

399.
    La requérante n'a pas avancé d'arguments spécifiques pour contester l'existence de l'accord reproché.

400.
    Le Tribunal relève que la constatation de l'accord litigieux se fonde sur les documents suivants:

—    la télécopie de Saarstahl à la Walzstahl-Vereinigung du 21 juin 1988 (document n° 4);

—    la télécopie de la Walzstahl-Vereinigung au secrétariat de la commission poutrelles du 22 juin 1988 (document n° 5);

—    le télex de Ferdofin à Peine-Salzgitter du 28 juin 1988 (document n° 4084); et

—    le télex de Ferdofin à Peine-Salzgitter du 4 août 1988 (document n° 4085).

401.
    Selon la télécopie de Saarstahl à la Walzstahl-Vereinigung du 21 juin 1988 (point 167 de la Décision, document n° 4), les entreprises d'Eurofer se déclaraient disposées à continuer au troisième trimestre de 1988 les «ententes sur les quantités» passées à propos du marché italien pour le trimestre précédent. En l'absence d'indices du contraire, ce renvoi doit être interprété comme visant l'accord de répartition de marché conclu pour le trimestre précédent (voir les points 275, quatrième tiret, ainsi que 163 et 164 de la Décision), dont l'existence n'a pas été contestée par la requérante. De même, la télécopie de la Walzstahl-Vereinigung au secrétariat de la commission poutrelles du 22 juin 1988 (point 167 de la Décision, document n° 5) relève qu'une «décision» avait été adoptée la veille. Cette télécopie fait état de certains chiffres de commandes de Peine-Salzgitter, de Thyssen et de Saarstahl pour le troisième trimestre de 1988.

402.
    La conclusion de l'accord est par ailleurs confirmée par le télex de Ferdofin à Peine-Salzgitter du 28 juin 1988 (point 167 de la Décision, document n° 4084). Ferdofin y déclare que «les quotas du 3e trimestre ne doivent en aucun cas être relevés». Enfin, le télex de Ferdofin à Peine-Salzgitter du 4 août 1988 (document n° 4085, point 8) permet de déduire l'existence d'un quota de plus de 2 000 tonnes en faveur de Saarstahl pour le trimestre en cause.

403.
    Bien que les documents susvisés prouvent à suffisance de droit l'existence de l'accord litigieux relatif aux quotas applicables au marché italien pour le troisième trimestre de 1988, le Tribunal estime que la preuve de la participation de la requérante audit accord n'est pas rapportée à suffisance de droit. En effet, les documents invoqués par la Commission n'établissent pas que la requérante aurait assisté à une réunion relative au marché italien en juin 1988. Par ailleurs, ces documents ne se réfèrent pas à la requérante. Dans ces circonstances, le seul fait que la requérante a été partie à un accord antérieur, relatif au deuxième trimestre de 1988 et la circonstance que la télécopie de Saarstahl du 21 juin 1988 se réfère aux «usines d'Eurofer» ne suffisent pas à établir la participation de la requérante à l'accord litigieux. Dans cette mesure, l'article 1er de la Décision doit être annulé.

Sur la fixation de prix sur le marché danois, dans le cadre des activités du groupe Eurofer/Scandinavie

404.
    L'article 1er de la Décision dénonce une participation de la requérante à une infraction de fixation de prix sur le marché danois. La période retenue aux fins de l'amende est de seize mois, de juillet 1988 à octobre 1989.

405.
    Les motifs qui sous-tendent ce reproche figurent aux points 177 à 205 (pour la partie en fait) et 284 à 296 (pour la partie en droit) de la Décision. En se fondant principalement sur des procès-verbaux de réunions, la Commission décrit une série de comportements qualifiés par elle d'accords de fixation de prix cibles relatifs aux marchés scandinaves, qui auraient été conclus de trimestre en trimestre lors des

réunions du groupe Eurofer/Scandinavie, sur fond d'un accord-cadre unique et permanent (points 288, 289, 291 et 294). Dans la mesure où ces accords concernent le marché danois, elle les considère comme visés par l'article 65, paragraphe 1, du traité (points 286, 287, 292 et 293).

406.
    La requérante renvoie à ses observations consacrées, ci-dessus, au monitoring des commandes et des livraisons, aux échanges sur les prix et à l'harmonisation des suppléments. Elle insiste sur le fait que les pièces présentées par la Commission établissent simplement que les réunions Eurofer-Scandinavie avaient pour but d'évaluer le marché, d'où les nombreuses prévisions, d'ailleurs approximatives, quant aux prix et aux suppléments, et non pas de déterminer ou de programmer les prix.

407.
    En outre, lors d'une présentation commune à l'audience, les requérantes ont fait valoir, en se référant à certains documents relatifs aux contacts établis entre la DG I de la Commission et les autorités scandinaves, transmis au Tribunal au titre de l'article 23 et versés au dossier de l'affaire à la suite de l'ordonnance du 10 décembre 1997, ainsi qu'aux documents, déposés à l'audience, relatifs aux «arrangements» entre la Communauté, d'une part, et la Norvège, la Suède et la Finlande, d'autre part (point 15 ci-dessus), que tant la Commission que les autorités scandinaves étaient au courant des activités du groupe Eurofer/Scandinavie et les encourageaient même, ces activités étant essentielles pour la mise en oeuvre desdits «arrangements». Dans ces circonstances, estime la requérante, il ne peut y avoir eu de violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité.

408.
    Le Tribunal constate, en premier lieu, que les documents cités aux points 184 à 205 de la Décision, à savoir les procès-verbaux et autres documents concernant les réunions des 5 février 1986, 22 avril 1986, 30 juillet 1986, 28 octobre 1986, 3 février 1987, 28 avril 1987, 4 août 1987, 4 novembre 1987, 2 février 1988, 26 avril 1988, 25juillet 1988, 3 novembre 1988, 1er février 1989, 25 avril 1989, 31 juillet 1989 et 30 octobre 1989, prouvent à suffisance de droit l'existence d'un système de réunions au cours desquelles ont été conclus des accords sur les prix cibles applicables au Danemark pendant cette période.

409.
    Le Tribunal relève, en particulier, l'existence de nombreux documents qui se réfèrent à la «programmation» des prix (points 184, 192 et 193), à la «fixation» de prix ou aux prix «fixés» ou «décidés» ou «convenus» (points 184, 186, 187, 189, 190, 192, 200, 201 et 204). Le Tribunal relève également l'existence de nombreux documents faisant état des prix qui devaient être «maintenus» ou «reconduits» (points 204 et 205), de propositions destinées à être entérinées lors d'une réunion à venir (point 199), de demandes adressées aux entreprises pour qu'elles s'abstiennent d'indiquer des prix aux clients avant une réunion à venir (points 198 et 201), d'informations sur les décisions prises en matière de prix lors de certaines réunions (points 187, 188, 189, 190, 197 et 205) et d'informations sur la réalisation

des prix décidés lors d'une réunion antérieure (points 184, 193, 200, 202, 203 et 204 de la Décision).

410.
    Le Tribunal estime que la teneur des réunions du groupe Eurofer/Scandinavie se trouve amplement confirmée par la note du président de ce groupe du 1er février 1990 citée au point 206 de la Décision qui, bien que rédigée à une date postérieure à l'arrêt de la participation de la requérante aux réunions dudit groupe, concerne également le passé :

«[...] Jusqu'à maintenant les échos qu'on pouvait avoir de nos rencontres étaient bons et certains représentants d'autres produits nous envient même les résultats et l'entente de notre club.

Je ne dis pas ces mots sans raison, car pour le premier trimestre, tout le monde n'a pas joué fair play et cela spécialement en aciers marchands. Je vous demande de ce fait, en tant que représentants du club Eurofer/Scandinavie et pour le bien de nos entreprises, de tout faire pour qu'on puisse sortir de cette salle avec la ferme volonté de stabiliser le marché et, avec cela, sauver l'honneur de notre club.»

411.
    A la lumière de ce qui précède, l'argument de la requérante selon lequel les entreprises se sont bornées à débattre de la situation du marché, à discuter d'estimations ou de prévisions de prix et, plus généralement, à échanger des informations ne saurait être retenu.

412.
    Le Tribunal estime que la participation de la requérante aux accords conclus au sein du groupe Eurofer/Scandinavie est suffisamment établie aux points 285, 180 et 181 de la Décision. Il en ressort qu'elle a participé à toutes les réunions de ce groupe jusqu'au 30 octobre 1989 (voir, en particulier, les documents n°s 611 et 659, relatifs aux réunions des 5 février 1986 et 28 avril 1987), soit, pour ce qui concerne la période postérieure au 30 juin 1988, pendant une durée de seize mois. D'après les motifs de la Décision, les activités de ce groupe sont reprochées à l'ensemble des entreprises participantes (points 287 et 289 de la Décision). La seule distinction concerne le degré de responsabilité des entreprises affiliées à Eurofer et des producteurs scandinaves (points 294 et 295 de la Décision).

413.
    Les accords en cause visaient à la fixation des prix, au sens de l'article 65, paragraphe 1, sous a), du traité, et étaient donc interdits par cette disposition.

414.
    Quant aux griefs avancés à l'audience, et tirés de la connaissance des activités du groupe Eurofer/Scandinavie qu'avait, ou aurait dû avoir, la DG I, dans le cadre des «arrangements» alors en vigueur entre la Communauté et la Norvège, la Suède et la Finlande, le Tribunal relève, liminairement, que les documents n°s 9773 à 9787, versés au dossier de l'affaire en vertu de l'ordonnance du 10 décembre 1997, constituent des éléments apparus en cours d'instance, de sorte que l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal n'empêche pas la requérante d'avancer des moyens nouveaux fondés sur ces documents.

415.
    A cet égard, s'agissant tout d'abord de la période comprise entre 1986 et 1988, il ressort des lettres et aide-mémoires échangés entre la Communauté et les autorités norvégiennes, suédoises et finlandaises que, au cours de cette période, certains «arrangements», visant au maintien des courants commerciaux traditionnels, étaient en vigueur entre les parties concernées [voir le point c) des lettres échangées avec la Norvège les 4 mars 1986, 11 mars 1987 et 10 février 1988; point c) des lettres échangées avec la Finlande les 4 mars 1986, 10 avril 1987 et 12 février 1988; points 13 à 15 de la lettre du 4 mars 1986 et points 8 à 10 des lettres du 13 février 1987 et du 5 février 1988, échangées avec la Suède]. Selon le point V.10 de la décision acier inoxydable, cela signifiait en pratique que les exportations des entreprises sidérurgiques scandinaves vers la Communauté devaient être maintenues à leur niveau antérieur et qu'aucune modification n'était autorisée sur le plan de leur distribution régionale, de leur composition par produits ou de leur calendrier («triple clause»).

416.
    Le Tribunal a plus particulièrement fait porter son examen sur: la communication de la Commission au Conseil, du 13 novembre 1986, sur la politique commerciale externe dans le secteur sidérurgique [COM(86) 585 final], déposée par les requérantes lors de l'audience; une note de dossier du 30 mai 1985 (document n° 9774), relative à une réunion du 29 mai 1985 avec les autorités suédoises concernant certaines livraisons suédoises de barres en fer et acier au Danemark, qui indique qu'un représentant de la DG I avait saisi l'occasion pour attirer l'attention des autorités suédoises sur l'intérêt que la Commission attachait au maintien du «gentlemen's agreement» entre Eurofer et l'association des forges suédoises pour garantir le développement harmonieux des échanges de produits sidérurgiques entre la Communauté et la Suède; le mémorandum du 30 mai 1985 produit lors de la procédure administrative par les entreprises suédoises Ovako Profiler AB et SSAB Svenskt Stål AB, qui se trouve dans le dossier transmis au Tribunal au titre de l'article 23 et a été rendu accessible aux parties requérantes par l'ordonnance du 10 juin 1996; la note manuscrite d'une réunion entre la DG I et les autorités suédoises, qui a apparemment eu lieu le 4 décembre 1985 ou 1986; la note d'une réunion de consultation entre les autorités communautaires et suédoises qui a eu lieu le 20 novembre 1986 (documents n°s 9777 à 9784) et la note d'une réunion du «Contact Group ECSC-Sweden» des 11 et 12 juin 1987.

417.
    Eu égard aux éléments révélés par ces documents, le Tribunal estime, en premier lieu, qu'il ne peut être exclu que les activités du groupe Eurofer/Scandinavie aient trouvé leur origine dans le souci commun des autorités communautaires et scandinaves de limiter les exportations de produits sidérurgiques à leur niveau traditionnel, dans le cadre des «arrangements» précités. Il ressort en effet du dossier que cet objectif n'aurait pas pu être atteint sans la coopération des entreprises concernées, notamment dans le cadre des «gentlemen's agreements» conclus entre les entreprises membres d'Eurofer et les entreprises sidérurgiques scandinaves.

418.
    En deuxième lieu, il ressort également du dossier que tant les autorités communautaires que les autorités scandinaves ont encouragé la conclusion de tels «gentlemen's agreements» ou, à tout le moins, des prises de contact directes entre les entreprises concernées, afin de résoudre les problèmes qui se présentaient dans le cadre desdits arrangements. Par ailleurs, au point X.12, sous a), de la décision acier inoxydable, la Commission a expressément admis que lesdits arrangements avaient limité la liberté des entreprises concernées de vendre les tonnages qu'elles souhaitaient et que la DG I, par le biais d'un échange de lettres, avait indirectement encouragé les entreprises scandinaves à conclure certains accord bilatéraux avec les entreprises communautaires.

419.
    Il est vrai que les arrangements en cause ne visaient pas des accords sur les prix, mais une simple limitation des tonnages. Toutefois, étant donné que, d'une part, le marché danois était à l'époque considéré comme faisant traditionnellement partie du marché scandinave de l'acier, et, d'autre part, la sous-cotation des prix aurait eu pour effet d'augmenter les tonnages vendus, il ne peut pas être exclu que les accords de prix sur le marché danois conclus au sein du groupe Eurofer/Scandinavie aient été conçus, au moins en partie, comme un soutien approprié aux arrangements conclus entre la Commission et les pays scandinaves concernés pour les années 1986, 1987 et 1988, en vue du maintien des courants commerciaux traditionnels.

420.
    Il convient néanmoins de rappeler qu'aucune disposition du traité n'autorise de tels accords en matière de prix et que ni le Conseil, ni la Commission, ni les entreprises ne sont autorisés à ignorer les dispositions de l'article 65, paragraphe 1, du traité ou à s'exonérer de leur obligation de les respecter.

421.
    Il en résulte que, à supposer même que les accords de prix conclus au sein du groupe Eurofer/Scandinavie pendant les années 1986, 1987 et 1988 l'aient été dans le cadre des arrangements limitant les courants d'échange entre la Communauté et les pays scandinaves, et que la Commission et/ou les autorités scandinaves les aient encouragés ou tolérés, au moins indirectement, ces accords n'en violaient pas moins l'article 65, paragraphe 1, du traité dans la mesure où ils portaient fixation de prix sur le marché danois.

422.
    Toutefois, étant donné que les arrangements en question entre la Communauté et les pays scandinaves ont été maintenus en vigueur jusqu'au 31 décembre 1988, il y a lieu de constater que les malentendus qui, d'après la Décision (point 311), peuvent avoir existé avant le 30 juin 1988 sont susceptibles d'avoir persisté, au moins jusqu'au 31 décembre 1988, pour ce qui est des accords Eurofer/Scandinavie. Cette circonstance sera prise en considération par le Tribunal au moment de la fixation de l'amende (voir ci-après, sur la demande subsidiaire, tendant à l'annulation de l'article 4 de la décision ou, à tout le moins, à la réduction du montant de l'amende).

423.
    Quant à la période qui suit le 31 décembre 1988, il ressort de la lettre de la Commission du 5 avril 1989, échangée avec les autorités norvégiennes, et de celles des 4 avril 1989 et 28 mai 1990, échangées avec les autorités suédoises, qui ont été produites par la partie défenderesse, à la demande du Tribunal, sous le couvert d'une lettre du 11 mai 1998, qu'après le 1er janvier 1989 il n'existait plus aucune disposition visant à maintenir les courants commerciaux traditionnels entre la Communauté et les pays concernés. Il en résulte que, en tout état de cause, rien ne justifiait, à partir du 1er janvier 1989, la conclusion d'accords privés de fixation de prix sur le marché danois entre les entreprises concernées.

424.
    S'agissant, enfin, du document n° 9323, du 17 juin 1989, invoqué à l'audience par les requérantes, le Tribunal constate qu'il concerne une plainte des autorités belges à propos d'une prétendue violation par certaines entreprises norvégiennes de l'article 60 du traité, applicable aux produits concernés en vertu de l'article 20 de l'accord de libre-échange entre la Norvège et la Communauté, et qu'il n'a donc rien à voir avec l'infraction reprochée à la requérante dans le cadre des accords Eurofer/Scandinavie.

425.
    Dans ces conditions, les arguments de la requérante relatifs à la constatation, dans la Décision, d'accords de fixation de prix sur le marché danois doivent être rejetés.

Conclusions

426.
    Sous réserve des constatations opérées par le Tribunal aux points 403 et 422 ci-dessus, et de l'argumentation examinée dans la partie D ci-après, l'examen des arguments tirés d'une violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité n'a révéléaucune erreur de fait ou de droit commise par la Commission dans la constatation des infractions à cet article retenues dans la Décision et contestées par la requérante. De même, l'examen du Tribunal n'a révélé aucun défaut de motivation, notamment en ce qui concerne la participation de la requérante aux infractions reprochées.

427.
    Il s'ensuit que lesdits arguments doivent être rejetés dans leur ensemble.

D — Sur l'implication de la Commission dans les infractions reprochées à la partie requérante

Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante

428.
    La requérante fait valoir dans sa requête que, durant toute la période visée par la Décision, la Commission a toléré et même encouragé en pleine connaissance de cause les comportements incriminés dans la Décision. La requérante estime, dès lors, que ces activités ne sauraient constituer des infractions à l'article 65, paragraphe 1, du traité. Elle conclut également à une violation du principe de protection de la confiance légitime. Elle fait en outre valoir que, ayant

explicitement participé à un échange d'informations et à une procédure concertée de maîtrise des capacités, la Commission n'est pas fondée à invoquer rétroactivement une interprétation opposée (selon le principe «nemo auditur turpitudinem suam allegans») ni une procédure différente (selon le principe de l'«estoppel»), pour tenter d'interdire ou de sanctionner les mêmes pratiques.

429.
    Des moyens semblables ayant été soulevés par d'autres requérantes, le rôle joué par la DG III dans la présente espèce a fait l'objet d'une présentation commune à l'audience. La requérante a ainsi fait sienne l'argumentation développée sur ce point au nom des requérantes concernées. Il convient, dès lors, de regrouper ces divers moyens et arguments, pour les examiner ensemble aux fins du présent arrêt.

430.
    Les requérantes développent, sur la base d'un historique de l'implication de la Commission dans la gestion de la crise sidérurgique depuis les années 70 et de ses interventions après la fin de la période de crise, une argumentation selon laquelle la Commission elle-même aurait initié puis encouragé ou, à tout le moins, eu connaissance des et toléré les comportements incriminés dans la Décision.

431.
    S'agissant de la période de crise, les requérantes se réfèrent tout d'abord aux diverses mesures adoptées par la Commission, à partir de 1974, sur le fondement des articles 46, 47, puis 58 et suivants du traité, afin de faire face à la crise de la sidérurgie européenne. Elles se réfèrent notamment au plan Simonet de 1977 et au plan Davignon de 1978, puis à la décision n° 2794/80 instaurant un régime obligatoire de quotas de production, ainsi qu'à ses diverses mesures d'accompagnement (voir points 5 et suivants, ci-dessus).

432.
    Elles font plus particulièrement valoir que le système des quotas instauré par la décision n° 2794/80 fut conçu dès le départ comme faisant partie d'un ensemble plus vaste, fondé sur la collaboration horizontale des entreprises, notamment en ce qui concerne l'instauration des quotas nationaux «i» que la Commission voulait voir appliqués par les producteurs pour mettre en oeuvre son propre régime de quotas «I» prévu à l'échelle de la Communauté.

433.
    L'association Eurofer aurait été, à cette occasion, la principale interface entre la Commission et les producteurs, notamment dans le cadre des accords Eurofer II à Eurofer V qui, tout au long du régime de crise manifeste et jusqu'en juillet 1988, auraient consisté, pour l'essentiel, en l'établissement et en la gestion du système de quotas de livraison «i» sur les marchés nationaux, ainsi qu'en la fourniture de données sur la production et les livraisons. Les accords Eurofer auraient également prévu que les participants s'engageaient à respecter les objectifs de prix fixés en coordination avec la Commission.

434.
    Les requérantes soulignent également que les échanges d'informations étaient courants dans tout le secteur de l'acier depuis que la crise s'était déclarée, en se référant à l'affaire à l'origine de l'arrêt de la Cour du 10 juillet 1985, Wirtschaftsvereinigung Eisen- und Stahlindustrie/Commission (27/84, Rec. p. 2385),

dans laquelle la Commission aurait reconnu qu'une certaine transparence était déjà de mise entre les grandes entreprises sidérurgiques membres d'Eurofer, de sorte que certaines informations émanant de ces dernières n'étaient pas couvertes par le secret professionnel au sens de l'article 47 du traité.

435.
    Pour ce qui est de la période de crise, les requérantes étayent plus particulièrement leur exposé par des extraits des documents suivants, dont certains sont cités aux points 5 et suivants ci-dessus: la demande par la Commission d'un avis conforme du Conseil sur l'instauration d'un régime de quotas de production pour la sidérurgie [COM(80) 586 final, requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 3]; la résolution du Conseil, du 3 mars 1981, sur la politique de redressement de la sidérurgie (voir communiqué de presse du Conseil des 26 et 27 mars 1981, requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 4); l'annexe IV au document III/534/85/FR de la Commission approuvant les accords Eurofer (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 5); la lettre adressée le 17 janvier 1983 par MM. Andriessen et Davignon à Eurofer (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 6); la réponse adressée le 8 février 1983 par M. Etchegaray, président d'Eurofer, à MM. Andriessen et Davignon (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 7); la décision n° 3483/82; le point 302 du Dix-neuvième Rapport général sur l'activité des Communautés; la décision n° 234/84; le procès-verbal d'une réunion qui s'est tenue à Bruxelles le 27 juin 1984 entre la Commission et des experts d'Eurofer (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 8); une note établie par Eurofer à la suite d'une réunion entre le membre de la Commission M. Narjes et les présidents d'Eurofer qui s'est tenue à Düsseldorf le 26 septembre 1985 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 9); le procès-verbal d'une réunion qui s'est tenue le 16 décembre 1985 entre M. Narjes et Eurofer (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 10); diverses lettres révélant l'implication de la Commission dans l'arbitrage de litiges entre producteurs à propos du système des quotas «i» (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, documents 11 et 12); le procès-verbal de la réunion du 10 mars 1986 entre M. Narjes et Eurofer (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 13); le «rapport des trois sages», précité; le procès-verbal de la réunion qui s'est tenue le 16 mai 1986 entre M. Narjes et les dirigeants d'Eurofer (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 14) et la communication de la Commission au Conseil sur la politique sidérurgique du 16 juin 1988, précitée.

436.
    Bien que le régime de crise manifeste ait pris fin le 30 juin 1988, le XXIe Rapport général sur l'activité des Communautés indiquerait, en son point 278, que la Commission était prête à envisager, pour une durée de trois ans à partir du 1er janvier 1988, la prolongation du régime des quotas et la mise en oeuvre d'un plan concerté de réduction des capacités, suggéré par Eurofer à la fin de l'année 1986. Cependant, la Commission n'ayant pas reçu les engagements minimaux de fermetures fixés en décembre 1987 comme condition d'un prolongement éventuel du système, elle n'aurait pas proposé sa reconduction au Conseil. Les requérantes

en déduisent qu'il fut mis fin, en juillet 1988, au régime des quotas non pas parce que la Commission considérait qu'il n'y avait plus de crise manifeste, mais afin de sanctionner les entreprises pour leur manque de collaboration. Ces faits démontreraient également qu'au milieu de l'année 1988 la Commission estimait qu'il n'était pas contraire à l'article 65 du traité de demander aux entreprises de conclure un accord portant sur une réduction concertée de leurs capacités, lequel serait pourtant tout aussi interdit que les mesures en matière de prix, si l'on suivait l'interprétation rigide dudit article défendue dans la Décision. La Commission aurait donc accepté que l'article 65, paragraphe 1, du traité puisse faire l'objet d'une application flexible.

437.
    Pour ce qui est de la période postérieure au 30 juin 1988, la Commission aurait maintenu, jusqu'en novembre 1988, le régime de surveillance des livraisons mis en place par la décision n° 3483/82. Elle aurait également arrêté le régime de surveillance mis en place par la décision n° 2448/88, qui imposait aux entreprises la déclaration mensuelle de la production et de la livraison de certains de leurs produits. Cette décision aurait cessé d'être en vigueur en juin 1990, mais la situation ne se serait pas modifiée, in concreto, comme le démontreraient deux lettres adressées à Eurofer, les 10 et 12 septembre 1990, par deux fonctionnaires de la Commission (annexes 7 et 8 à la requête dans l'affaire T-137/94). Toutes ces mesures auraient eu pour but d'accroître la transparence du marché en vue de faciliter l'adaptation des entreprises aux modifications éventuelles de la demande, sans que cette transparence soit perçue comme contraire à l'article 65 du traité.

438.
    Dans ce cadre, et notamment celui des articles 46 à 48 du traité et du régime de surveillance établi par la décision n° 2448/88, les contacts entre la DG III et les producteurs de poutrelles se seraient même intensifiés pendant la période postérieure au régime de crise manifeste, les réunions «restreintes» et «de consultation» ainsi que les «déjeuners de l'acier» venant s'ajouter aux réunions trimestrielles officielles au cours desquelles sont discutés, conformément aux articles 46 à 48 du traité, les programmes prévisionnels.

439.
    En s'appuyant sur divers extraits des «speaking notes» et d'autres procès-verbaux de réunions tenues après la fin du régime de crise (voir appendice 3 à la requête dans l'affaire T-151/94), ainsi que sur les notes internes de la DG III produites par la Commission à la suite de l'ordonnance du 10 décembre 1997, les requérantes soutiennent que la Commission connaissait et même encourageait l'activité de collecte et d'échange d'informations sur les commandes, les livraisons, le niveau réel des prix et le niveau estimé des prix futurs, menée par Eurofer et la commission poutrelles, de même que l'harmonisation des suppléments et les autres pratiques retenues dans la Décision à la charge des entreprises.

440.
    Dans ce cadre, les divers accords et pratiques reprochés aux requérantes, à supposer qu'ils soient établis, devraient être considérés comme des activités licites, au vu notamment des dispositions des articles 46 à 48 du traité et du régime de surveillance établi par la décision n° 2448/88.

441.
    Il ressortirait de ces documents que la Commission, et plus particulièrement la DG III, appréciait grandement ses entretiens avec les producteurs et les informations qui lui étaient fournies à cette occasion; sous le couvert d'échanges assez généraux, la Commission incitait ou, à tout le moins, approuvait les initiatives fréquentes des producteurs en vue de stabiliser les prix et la production; à l'instar de la pratique suivie pendant la période de crise manifeste pour la répartition des quotas «I», sur une base trimestrielle, entre les marchés nationaux (quotas «i»), la Commission communiquait aux producteurs ses vues sur l'évolution souhaitée du marché et laissait à Eurofer le soin de régler les détails pratiques des actions sur le marché qu'elle préconisait; la Commission a elle-même, dans le cadre de son action d'assainissement du marché, joué un rôle déterminant dans l'effort de maîtrise des variations des prix et de la production entrepris par les producteurs et rien ne pouvait être tenté par ceux-ci sans le concours ou, à tout le moins, l'approbation de la Commission. Tout en concédant que les «speaking notes» ne révèlent pas les informations détaillées échangées au sein de la commission poutrelles et utilisées pour établir les tendances des prix et les prévisions dequantités, les requérantes soutiennent que la Commission savait, ou devait savoir, que de tels échanges d'informations entre producteurs étaient indispensables pour préparer les discussions avec elle, comme cela avait été le cas dans un passé récent, et qu'elle aurait, dès lors, dû conseiller aux producteurs de modifier la méthode d'élaboration de leurs prévisions. Les «speaking notes» contiendraient également de nombreuses allusions très claires aux discussions sur les prix et au désir partagé de la Commission et des producteurs de maintenir leur niveau. La Commission aurait même essayé de renforcer directement la discipline des prix, par exemple en envisageant d'introduire, en 1989, un système obligeant les producteurs à s'informer mutuellement des rabais appliqués (voir requête dans l'affaire T-151/94, appendice 5).

442.
    Bien qu'un jeu complet des procès-verbaux et notes relatifs aux nombreuses réunions entre la Commission et les entreprises sidérurgiques durant cette période ait été communiqué au conseiller-auditeur, il ressortirait du point 312 de la Décision que la Commission a évité tout examen détaillé de cette documentation, dont elle nierait en bloc la pertinence.

443.
    Les requérantes ne contestent pas que la Commission a périodiquement fait allusion à l'article 65 du traité, notamment pour rappeler qu'il restait intégralement applicable pendant la période de crise. Toutefois, à défaut d'orientations pratiques de sa part, ces simples références auraient été dépourvues de toute signification.

444.
    Ainsi, la déclaration aux termes de laquelle la Commission ne pourrait pas accepter de concertations sur les prix ou les quantités contraires à l'article 65 du traité, intégrée à la demande de M. Kutscher au procès-verbal de la «réunion de consultation» du 26 janvier 1989 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 16) n'aurait pas fourni de lignes directrices aux producteurs quant à la manière dont il leur appartenait d'élaborer les prévisions relatives au marché,

nécessaires à la Commission, tout en s'abstenant de procéder à la «surveillance» des commandes et des livraisons ou d'échanger des informations sur les modifications de prix.

445.
    La Décision elle-même reconnaîtrait, au point 311, qu'il a pu y avoir des «malentendus» quant à l'application de l'article 65 du traité au cours de la période de crise. Selon les requérantes, la confusion n'a pas été dissipée après le 30 juin 1988. Elle aurait au contraire été accrue par la poursuite des interventions de la Commission dans le secteur, combinée avec les déclarations de cette dernière affirmant, sans autre explication, que les dispositions de l'article 65 du traité s'appliquaient.

446.
    Dans ces circonstances, le communiqué de presse publié par la Commission le 4 mai 1988 à l'occasion de l'ouverture de la procédure «acier inoxydable», indiquant qu'elle «ne tolérerait pas d'accords illégaux» (voir point 305 de la Décision), aurait été dépourvu d'utilité pratique. Le membre de la Commission M. Van Miert aurait d'ailleurs reconnu, lors de la conférence de presse du 16 février 1994, qu'une certaine ambiguïté avait pu exister au cours de la période qui a suivi la période de crise manifeste. Des lignes directrices claires auraient, dès lors, dû être publiées pour dissiper tout malentendu (voir, pour un exemple dans le cadre du traité CE, les lignes directrices concernant l'application des règles de concurrence de la Communauté au secteur des télécommunications, JO 1991, C 233, p. 2).

447.
    Ce ne serait que dans sa décision acier inoxydable, adoptée le 18 juillet 1990, que la Commission aurait, pour la première fois, manifesté sa désapprobation à l'égard du comportement des entreprises pendant la période concernée, en condamnant des pratiques analogues à celles qu'elle avait acceptées et même encouragées. Cette condamnation serait donc en contradiction avec l'attitude antérieure de la Commission, qui avait amené les entreprises à croire que leurs pratiques étaient conformes à l'article 65 du traité.

448.
    Les requérantes soutiennent que la Commission a modifié son interprétation des règles de concurrence du traité CECA à la fin de 1990 (voir points 37 et 38 ci-dessus). Elles considèrent, néanmoins, que la Commission ne saurait, sans violer le principe de confiance légitime, appliquer rétroactivement aux entreprises l'article 65 du traité alors que, pendant la période en cause, elle avait accepté de ne pas l'appliquer aux pratiques litigieuses et avait, au contraire, encouragé de telles pratiques, ou du moins développé avec les entreprises des pratiques similaires.

449.
    En réponse à l'argument de principe de la Commission, selon lequel une tolérance administrative ne saurait en aucun cas légitimer ou justifier une infraction, les requérantes invoquent les arrêts de la Cour du 12 novembre 1987, Ferriere San Carlo/Commission (344/85, Rec. p. 4435), et du 24 novembre 1987, RSV/Commission (223/85, Rec. p. 4617).

450.
    Les requérantes critiquent, en revanche, l'application au présent cas d'espèce de la ligne de jurisprudence résultant des arrêts de la Cour des 11 décembre 1980, Lucchini/Commission (1252/79, Rec. p. 3753, point 9), et 28 mars 1984, Bertoli/Commission (8/83, Rec. p. 1649, point 21), selon laquelle le laxisme de la Commission en matière de poursuites ne peut légitimer une infraction. En l'espèce, la Commission n'aurait pas simplement fait preuve de laxisme à l'égard des producteurs de poutrelles, mais aurait toléré, voire encouragé, en pleine connaissance de cause les comportements incriminés dans la Décision.

451.
    A l'audience, les requérantes ont également présenté une analyse détaillée des «speaking notes» et des documents de la DG III produits à la demande du Tribunal. Elles ont en outre invoqué les témoignages recueillis par le Tribunal, et notamment celui de M. Kutscher.

Compte rendu de l'audition des témoins

452.
    Par ordonnance du 23 mars 1998, le Tribunal a ordonné l'audition en qualité de témoins de MM. Pedro Ortún, Guido Vanderseypen et Hans Kutscher, respectivement fonctionnaires et ancien fonctionnaire de la DG III, sur les contacts établis entre ladite DG III et l'industrie sidérurgique pendant la période d'infraction retenue par la Décision aux fins de la fixation du montant des amendes, soit de juillet 1988 à la fin de 1990. Les témoins ont été entendus par le Tribunal à l'audience du 23 mars 1998 et ont prêté le serment prévu à l'article 68, paragraphe 5, du règlement de procédure.

453.
    Dans sa déposition et ses réponses aux questions du Tribunal, M. Ortún, à l'époque directeur de la direction E «Acier» (ultérieurement dénommée «Marché intérieur et affaires industrielles III») de la DG III, a indiqué que les réunions de consultation avec l'ensemble de l'industrie sidérurgique, mises en place après le 30 juin 1988, conformément au mandat donné par le Conseil à la Commission le 24 juin 1988, de même que les réunions restreintes aux membres d'Eurofer, avaient pour objectif de donner à la Commission une vision aussi précise que possible de la situation et des tendances des marchés des différents produits, de façon à en permettre la surveillance dans le cadre de la décision n° 2448/88 et à faciliter l'élaboration des programmes prévisionnels, et complétaient l'information reçue d'autres sources, telles que les producteurs non membres d'Eurofer, les consommateurs, les négociants et les experts indépendants mandatés par la Commission. Lors de ces réunions, un représentant de l'industrie intervenait normalement comme porte-parole du secteur pour chaque groupe de produits et donnait des informations sur l'évolution de la demande, de la production, des livraisons, des stocks, des prix, des exportations, des importations et des autres paramètres du marché pour les mois à venir. Selon M. Ortún, ces échanges de vues permanents avec l'industrie sur les principaux paramètres du marché impliquaient que les producteurs se réunissaient préalablement à leurs rencontres avec la DG III, afin d'échanger leurs sentiments et opinions sur les tendances futures du

marché des différents produits, y compris en matière de prix, mais la DG III, qui ne recevait pas de comptes rendus de ces réunions internes, ignorait quelles informations étaient échangées à cette occasion, de même que l'usage qu'en faisaient les producteurs, et ne s'en préoccupait d'ailleurs pas particulièrement. En réponse aux questions du Tribunal, M. Ortún a précisé que, après juin 1988, la Commission ne poursuivait ni une politique de stabilité des flux traditionnels des échanges entre États membres, ni un objectif de hausse ou de maintien des prix, mais cherchait seulement à éviter que les fluctuations de la conjoncture donnent lieu à des variations brusques et importantes des prix, sans relation directe avec l'évolution de la demande. Il a également souligné que la DG III, tout en n'ayant pas pour objectif ni pour responsabilité principale de vérifier ou de veiller à ce que les pratiques liées aux échanges d'informations entre producteurs, préalables à leurs réunions avec elle, soient conformes aux règles de concurrence du traité, leur a rappelé à diverses reprises qu'ils devaient se conformer aux dispositions de son article 65, et supposait, dès lors, qu'ils les respectaient.

454.
    Dans sa déposition et ses réponses aux questions du Tribunal, M. Kutscher, à l'époque conseiller principal à la direction E de la DG III, a notamment exposé que c'est à la demande de M. Narjes, à l'époque membre de la Commission en charge des affaires industrielles, qu'il a fait intégrer au procès-verbal de la réunion de consultation du 26 janvier 1989 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 16) l'avertissement aux termes duquel «si la Commission devait découvrir l'existence d'un accord au sein de l'industrie, en ce qui concerne les quantités et les prix, contraire aux termes de l'article 65 du traité CECA, elle ne manquerait pas d'entreprendre les mesures appropriées, comme le prévoient les dispositions de cet article». Cette mise en garde, que M. Kutscher a affirmé avoir déjà formulée en des termes plus ou moins identiques devant le Comité consultatif CECA, les 1er et 20 juin 1988 ainsi qu'en octobre 1988, était destinée à indiquer clairement à l'industrie que le jeu de la libre concurrence devait pleinement s'appliquer au sortir du régime des quotas, dans le strict respect des dispositions de l'article 65 du traité, et à éviter la répétition d'une entente telle que celle dont l'existence a été constatée dans la décision acier inoxydable.

455.
    M. Kutscher a également admis que la DG III savait que les entreprises membres d'Eurofer se réunissaient préalablement à leurs réunions avec la Commission et qu'elles discutaient à cette occasion de l'évolution des divers paramètres du marché, au point de parvenir à une sorte de consensus sur les tendances futures du marché, dont la teneur faisait ensuite l'objet des discussions avec la DG III. D'après son témoignage, il aurait été pratiquement impossible pour la Commission, ou pour une association professionnelle telle qu'Eurofer, d'interroger individuellement chaque producteur. Afin de fournir à la Commission les informations dont elle avait besoin, les producteurs devaient donc se réunir pour échanger leurs opinions et leurs prévisions sur les tendances des prix, des stocks, des importations, etc. Il revenait ensuite au président de la réunion concernée de faire la synthèse des informations échangées et de les communiquer à la Commission, au cours des réunions de consultation.

456.
    En particulier, M. Kutscher a expressément reconnu que, dans le cadre de leurs réunions, les entreprises échangeaient leurs prévisions respectives quant aux prix futurs des différents produits, voire leurs intentions individuelles en la matière. D'après lui, un échange de vues entre producteurs sur leurs intentions individuelles futures en matière de prix ne tombe pas sous le coup de l'interdiction des pratiques concertées visée à l'article 65, paragraphe 1, du traité, même s'il est effectivement suivi d'un mouvement général des prix conforme aux prévisions échangées, pour autant que cet échange de vues demeure de l'ordre des constatations de nature conjoncturelle et ne débouche sur aucun accord, concertation ou collusion quantà ce mouvement. M. Kutscher a souligné, à cet égard, que, sur un marché comme celui de l'acier, lorsque la conjoncture est bonne, comme c'était le cas en 1988-1989, une augmentation de prix décidée de façon autonome par un producteur est connue très rapidement et suivie de façon quasi automatique et autonome par la plupart de ses concurrents, sans que soit nécessaire une entente entre eux si cette augmentation est conforme à l'évolution conjoncturelle, chacun de ceux-ci voulant profiter de la situation favorable.

457.
    M. Kutscher a toutefois souligné que la DG III n'avait aucune connaissance d'accords ou de pratiques concertées allant au-delà d'un tel échange d'informations entre entreprises et que les doutes personnels qu'il a pu de temps à autre nourrir à cet égard ont été dissipés par ses interlocuteurs. Sur ce point, M. Kutscher s'est plus particulièrement référé à la réunion de consultation du 27 juillet 1989 (voir l'aide-mémoire de cette réunion, du 3 août 1989, produit par la défenderesse en exécution de l'ordonnance du 10 décembre 1997), au cours de laquelle, en réaction à une annonce de M. Meyer, président de la commission poutrelles, selon laquelle le marché était «en équilibre et permettra[it] même encore de légères hausses de prix à partir du 1er octobre 1989», il a «rappelé l'attachement de la Commission au respect intégral des règles de prix de l'article 65 du traité». M. Kutscher a affirmé avoir été rassuré par la réponse du représentant de l'industrie, selon laquelle, «dans ce cas précis, les entreprises concernées se sont limitées à informer le négoce et les clients de leurs intentions respectives d'augmenter les prix». Il aurait d'ailleurs été de pratique courante, à l'époque, que les producteurs d'acier communiquent à l'avance, à leurs clients importants, leurs intentions individuelles futures en matière de prix. M. Kutscher a également souligné que, en l'espèce, les augmentations de prix modestes annoncées en cours de réunions par les producteurs, en 1988-1989, étaient conformes à l'évolution favorable de la conjoncture et qu'elles ne permettaient donc pas à la DG III de soupçonner qu'elles étaient le résultat d'une concertation. Il a encore ajouté que, au cours de ses nombreuses discussions avec les représentants de l'industrie sidérurgique, hormis l'incident avec M. Meyer, précité, ceux-ci ne lui avaient jamais donné la moindre indication qui pût lui donner à penser que l'industrie se concertait sur les prix ou les quantités, que ce soit pour les poutrelles ou pour les autres produits sidérurgiques.

458.
    Dans sa déposition et ses réponses aux questions du Tribunal, M. Vanderseypen, à l'époque affecté à la direction E de la DG III, a notamment exposé que la DG III avait connaissance, comme l'atteste sa note de dossier du 7 avril 1989, produite par la partie défenderesse en exécution de l'ordonnance du 10 décembre 1997, de la collecte, effectuée par Eurofer auprès de ses membres, de statistiques rapides consistant en des données mensuelles agrégées portant sur les commandes et les livraisons, disponibles entre dix et vingt jours après le mois écoulé, mais pas du système de monitoring des commandes et des livraisons individuelles des entreprises participantes qui avait été mis en place au sein d'Eurofer à peu près à la même époque. Il a confirmé que les statistiques rapides en question, agrégées au niveau des entreprises, étaient ventilées par produit et par marché national de destination, de sorte qu'aucune entreprise déclarante ne pouvait calculer la part de marché de ses concurrentes. Il a précisé que la Commission n'a jamais reçu d'Eurofer des chiffres ventilés par entreprise, qu'elle n'avait pas connaissance de la circulation de tels chiffres au sein d'Eurofer et que, en réponse à la question de savoir si Eurofer procédait à de tels échanges, ses interlocuteurs lui ont encore répondu par la négative en juillet 1990.

459.
    Quant aux indications chiffrées sur les tendances des prix données lors des réunions en cause, M. Vanderseypen a précisé que, en général, les commandes de produits sidérurgiques se transforment en livraisons dans un délai de trois mois. Ces indications auraient donc souvent pu être faites sur la base des premières commandes rentrées pour le trimestre suivant. Les propos sur les prix contenus dans les «speaking notes» ne reflétaient donc pas nécessairement des intentions, mais peut-être un début de réalité, à savoir les prix retenus dans les premières commandes qui commençaient à entrer.

Appréciation du Tribunal

Observations liminaires

460.
    Il convient de préciser tout d'abord que, de par leur nature même, les arguments des requérantes ne sauraient porter que sur les infractions qui leur sont reprochées dans le cadre des activités de la commission poutrelles. A cet égard, leur argumentation comporte, en substance, quatre volets principaux:

a)    pendant la période de crise manifeste, la Commission aurait encouragé une étroite coopération horizontale entre les entreprises, notamment dans le cadre de la gestion du système de quotas «i» sur les marchés nationaux, des accords en matière de prix et des tentatives d'accords volontaires de réduction des capacités. Elle aurait ainsi donné l'impression soit que de tels comportements ne sont pas contraires à l'article 65, paragraphe 1, du traité, soit que cette disposition a un contenu flexible qui dépend de la politique de la Commission à un moment donné. A tout le moins, la Commission aurait placé les entreprises dans un état d'incertitude quant à la question de

savoir quels comportements sont interdits par l'article 65, paragraphe 1, du traité;

b)    à la fin de la période de crise, la Commission n'aurait pas donné d'orientations pratiques ni de lignes directrices de nature à dissiper les malentendus en question, de sorte que les entreprises ne pouvaient pas connaître la portée exacte de l'article 65, paragraphe 1, du traité. Au surplus, la Commission n'aurait pas adopté de mesures de transition mais aurait, au contraire, aligné les règles de concurrence du traité CECA sur celles du traité CE, de façon rétroactive, sans aucun avertissement préalable;

c)    en tout état de cause, après la fin de la période de crise, la Commission aurait eu connaissance et aurait même encouragé l'activité de collecte et d'échange d'informations, notamment sur les commandes, les livraisons, le niveau réel des prix et le niveau estimé des prix futurs, dans le cadre des nombreuses réunions qui ont eu lieu entre les entreprises et la DG III pour assurer la mise en oeuvre des articles 46 à 48 du traité et du régime de surveillance établi par la décision n° 2448/88. La Commission aurait ainsi eu connaissance des, voire aurait toléré les pratiques reprochées aux entreprises dans la Décision;

d)    il en résulterait que les pratiques en cause étaient licites au vu, notamment, des articles 46 à 48 du traité.

Sur le comportement de la Commission pendant la période de crise

461.
    Ainsi qu'il ressort des points 6 et suivants ci-dessus, la Commission a, depuis le début de la crise de la sidérurgie dans le milieu des années 70, poursuivi activement une politique d'ajustement de l'offre à la demande, de maintien de la stabilité des flux traditionnels des échanges, tant intra- qu'extra communautaires, et de soutien des prix, dans le but de permettre les restructurations nécessaires, en termes de réductions de capacités, tout en assurant le maintien en vie du plus grand nombre possible d'entreprises. L'offre excédant de loin la demande, la Commission a été amenée à gérer la pénurie de commandes par l'imposition de quotas sur la base des principes du «burden-sharing» et de l'«equality of sacrifice», expression d'une certaine solidarité entre les entreprises face à la crise, censée favoriser les adaptations structurelles d'une manière ordonnée.

462.
    Cette politique a été mise en oeuvre en étroite collaboration avec l'industrie, en particulier par l'intermédiaire d'Eurofer, que ce soit par la voie des engagements volontaires des entreprises envers la Commission, caractéristiques des années 1977 à 1980, ou par la voie du régime des quotas «I» et «i» et des accords Eurofer des années 1980 à 1988.

463.
    A cette occasion, les entreprises ont développé, avec le soutien et en tout cas au su de la DG III, des pratiques analogues, à plusieurs égards, à certaines de celles qui leur sont reprochées dans la Décision. Elles se sont notamment livrées à la surveillance des flux traditionnels des échanges, dont le maintien, qui impliquait la division des marchés selon des lignes nationales, était d'ailleurs expressément consacré, jusqu'en 1986, par l'article 15 B de la décision n° 234/84. Elles ont également mis en place des mécanismes de détection et de prévention des comportements perturbateurs par la surveillance des commandes et des livraisons, ainsi que des systèmes d'ajustement de l'offre à la demande et de soutien des prix.

464.
    La Commission a ainsi été amenée à autoriser, cautionner ou encourager des comportements en apparence contraires aux règles normales de fonctionnement du marché commun, qui sont empruntées au principe de l'économie de marché (arrêt Valsabbia e.a./Commission, précité, point 80), et dès lors susceptibles de tomber sous le coup de l'interdiction des ententes visée à l'article 65 du traité. Ainsi, à un moment où la Commission souhaitait une harmonisation et un relèvement général des prix dans la Communauté, elle n'a soulevé aucune objection à l'encontre d'un appel des représentants de l'industrie sidérurgique française à la conclusion d'un accord de fixation de prix sur le marché français (voir le compte rendu de la réunion entre le membre de la Commission M. Narjes et les représentants d'Eurofer du 16 mai 1986, précité). Il ressort également de certains documents officiels (voir, par exemple, la décision n° 1831/81/CECA de la Commission, du 24 juin 1981, instaurant un régime de surveillance et un nouveau régime de quotas de production de certains produits pour les entreprises de l'industrie sidérurgique, JO L 180, p. 1, et le compte rendu de la réunion entre M. Narjes et Eurofer du 10 mars 1986, précité) que la Commission favorisait ouvertement certains «arrangements privés», «concertations», «accords internes» et «systèmes volontaires» mis au point par les entreprises.

465.
    Durant cette période, la Commission a apparemment considéré que ces accords, pratiques et systèmes privés ne relevaient pas de l'interdiction de l'article 65 du traité, pour autant qu'ils ne constituaient que des mesures d'exécution ou d'accompagnement adoptées par les entreprises en accord avec sa politique générale. La doctrine de la Commission à cet égard se trouve déjà exposée dans la lettre de MM. Davignon et Andriessen au président d'Eurofer du 17 janvier 1983, précitée (point 10, ci-dessus). Le système des quotas complémentaires «I» et «i», dans le cadre des accords Eurofer, en est l'illustration la plus manifeste.

466.
    Le point VIII.13 de la décision acier inoxydable confirme qu'il existe, d'après la Commission, une «différence fondamentale entre, d'une part, des accords entre entreprises conclus après consultation de la Commission et destinés essentiellement à rendre des mesures prises par la Commission plus efficaces et plus faciles à surveiller, et, d'autre part, des accords conclus par des entreprises de leur propre initiative, sans consultation de la Commission (qui avait simplement été informée de manière informelle de l'existence de ceux-ci) et qui étaient destinés non pas à

encadrer des restrictions existantes, mais à en créer de nouvelles produisant des effets économiques supplémentaires».

467.
    De même, la Commission indique, au point 309 de la Décision, que «le fait que la concurrence ait été limitée à certains égards par l'action de la Communauté ne permet pas aux entreprises d'imposer des restrictions supplémentaires ou de restreindre la concurrence à d'autres égards. Il est essentiel, dans ces conditions, que les entreprises ne prennent pas d'autres mesures pour réduire la concurrence».

468.
    Toutefois, il y a lieu de relever que la seule infraction liée aux activités de la commission poutrelles qui a été reprochée à la requérante avec une précisionsuffisante, pour la période antérieure au 1er juillet 1988, est l'accord conclu lors d'une réunion tenue à une date non déterminée, antérieure au 2 février 1988, auquel se réfère le point 224 de la Décision. Il ressort en effet de la Décision que les autres accords au sein de la commission poutrelles portant sur la fixation des prix, l'harmonisation des suppléments, la méthodologie Traverso et le marché français sont postérieurs au 30 juin 1988. De même, il ressort de la Décision que les infractions liées au monitoring des commandes et des livraisons se rapportent à la période postérieure au 30 juin 1988, étant donné, notamment, que le monitoring des livraisons n'a commencé qu'après le 18 octobre 1988 (point 41 de la Décision) et que toutes les preuves invoquées par la Commission pour démontrer l'objet et l'effet des échanges d'informations sont postérieures au 30 juin 1988 (voir points 49 à 60 et appendice I de la Décision).

469.
    S'agissant donc du seul accord de fixation de prix antérieur au 2 février 1988, visé au point 224 de la Décision, le Tribunal a déjà rappelé la jurisprudence de la Cour selon laquelle la prohibition de l'article 65, paragraphe 1, du traité est rigide et caractérise le système instauré par le traité (avis 1/61, précité, p. 519). Quelle que soit la portée des articles 46 à 48, 58 ou 61 du traité, ces dispositions n'autorisent pas les entreprises à conclure des accords de fixation de prix interdits par l'article 65, paragraphe 1, du même traité et n'autorisent pas davantage la Commission à encourager ou à tolérer de tels accords.

470.
    En tout état de cause, la requérante n'a pas fourni au Tribunal d'éléments permettant d'établir un lien direct entre l'accord en question et les mesures adoptées par la Commission conformément aux dispositions du traité pendant la période de crise.

471.
    Il s'ensuit que le comportement de la Commission pendant la période de crise manifeste n'est pas de nature à affecter la qualification d'infraction, au regard des dispositions de l'article 65, paragraphe 1, du traité, de l'accord de fixation de prix antérieur au 2 février 1988, visé au point 224 de la Décision.

472.
    Il convient toutefois d'ajouter que, en dépit de la lettre de MM. Davignon et Andriessen à Eurofer du 17 janvier 1983, précitée, la pratique de la Commission

pendant la période de crise manifeste était telle qu'il n'était pas aisé de déterminer ce qu'elle considérait alors être la portée exacte de l'article 65 du traité. C'est, dès lors, à juste titre que, au point 311 de la Décision, la Commission a indiqué que «eu égard aux malentendus qui auraient pu surgir quant à l'application de l'article 65 au cours de la période de crise manifeste et à la mise en oeuvre du système des quotas», elle avait «décidé de ne pas infliger d'amendes aux entreprises pour leur comportement jusqu'au 30 juin 1988».

Sur la persistance, après la période de crise manifeste, des malentendus sur l'interprétation ou l'application de l'article 65, paragraphe 1, du traité

473.
    Le Tribunal relève tout d'abord que, à supposer même qu'il ait pu subsister, après la fin de la période de crise manifeste, un certain doute quant à la portée réelle de l'article 65, paragraphe 1, du traité ou quant à la position de la Commission à cet égard, vu l'attitude ambiguë qui avait été la sienne jusqu'au 30 juin 1988, cette circonstance n'est pas de nature à affecter la qualification d'infractions des comportements reprochés à la requérante pour ce qui est de la période postérieure à cette date.

474.
    En tout état de cause, le Tribunal estime que, après la fin de la période de crise manifeste, la requérante n'a pas pu nourrir de doutes sérieux quant à l'attitude de la Commission à l'égard de l'application de l'article 65, paragraphe 1, du traité, ni quant à la portée de cette disposition par rapport aux infractions qui lui sont reprochées.

475.
    A cet égard, il convient de relever que la Commission s'est aperçue, vers le milieu des années 80, que le régime des quotas et ses mesures d'accompagnement, loin de favoriser les adaptations structurelles jugées indispensables à un assainissement durable du secteur, avaient installé les entreprises dans une sorte de position protégée (voir, sur ces questions, le «rapport des trois sages», point 24, ci-dessus). La Commission a alors conclu à l'échec du système des quotas tel qu'il avait été mis en oeuvre depuis 1980 et elle a décidé de planifier, sur une durée de deux ou trois ans, le retour à un régime de concurrence normale selon les règles du traité. Elle escomptait, en effet, que les forces du marché permettraient d'accomplir ce qui n'avait pu l'être par des mesures interventionnistes, le rétablissement du jeu de la libre concurrence devant nécessairement, dans un secteur en état de surcapacité structurelle, entraîner à plus ou moins brève échéance la disparition des unités les moins performantes (points 27 et 28 ci-dessus).

476.
    La Commission était autorisée à mettre fin au régime de crise manifeste, dès lors que les conditions formelles prescrites par l'article 58, paragraphe 3, du traité étaient réunies. Par conséquent, les règles normales de fonctionnement du marché commun du charbon et de l'acier, qui sont «empruntées au principe de l'économie de marché» (arrêt Valsabbia e.a./Commission, précité, point 80), redevenaient automatiquement d'application à dater de la fin de ce régime.

477.
    Le Tribunal considère, en outre, que ce changement de politique de la Commission a été clairement porté à la connaissance des intéressés et a été accompagné de mesures de transition appropriées.

478.
    La suppression du régime des quotas a été annoncée publiquement plusieurs années avant qu'elle ne devienne effective, à savoir dès l'année 1985. Elle se trouve clairement exposée dans de nombreux documents officiels datant de 1985 à 1988 et elle a de surcroît été spécifiquement portée à la connaissance des milieux concernés, notamment dans le cadre des réunions Commission/Eurofer (voir points 17 et suivants ci-dessus).

479.
    En particulier, les entreprises savaient, dès septembre 1985 sinon plus tôt, qu'elles étaient entrées dans un régime de transition. La Commission a ainsi accepté de proroger pendant plusieurs années le régime des quotas, afin de permettre à l'industrie de s'adapter progressivement à un retour à des conditions de concurrence normale. Elle a fait réaliser une étude par un groupe de trois sages, qui a confirmé ses vues et l'état d'aveuglement des industriels quant à la gravité de la crise et à la nécessité pour eux de s'adapter à la concurrence mondiale. En 1988 encore, elle était disposée à proroger ce régime jusqu'à la fin de 1990, pour autant que les sidérurgistes lui donnent des engagements de fermeture pour au moins 75 % des excédents évalués par elle. Enfin, même après le retour au régime de concurrence normale, la Commission a adopté diverses mesures destinées à accompagner la transition, et notamment le régime de surveillance instauré, entre le 1er juillet 1988 et le 30 juin 1990, par la décision n° 2448/88. On ne saurait dès lors prétendre, comme le font certaines requérantes, que la Commission a fautivement placé les entreprises dans une situation impossible en les abandonnant brutalement et sans préparation au libre jeu du marché.

480.
    Le Tribunal relève du reste qu'Eurofer examinait de son côté les moyens de faire face à la nouvelle politique de la Commission, ainsi qu'il ressort du compte rendu de la réunion du 16 mai 1986, cité par extraits au point 20 ci-dessus.

481.
    En outre, l'attention des entreprises a été attirée à diverses reprises sur le nécessaire respect des règles de concurrence du traité, et plus particulièrement sur le prescrit impératif de son article 65. Des signaux très clairs leur ont été adressés, notamment à l'occasion du communiqué de presse du 4 mai 1988 et au cours de la procédure administrative dans l'affaire acier inoxydable. Par ailleurs, des déclarations ou mises en garde ont été officiellement mentionnées dans les procès-verbaux de certaines réunions entre les représentants de la Commission et de l'industrie, à la demande expresse des fonctionnaires de la Commission (voir points 501 et 502 ci-après).

482.
    Il convient de souligner, par ailleurs, que, comme le Tribunal vient de le constater, la présente affaire concerne des accords ou pratiques concertées portant sur la fixation des prix, la répartition des marchés et l'échange d'informations sur les

commandes et les livraisons des entreprises participantes, ventilées par pays et par entreprise, destiné à coordonner leurs activités commerciales et à influencer les courants d'échanges après la fin de la période de crise. Le Tribunal estime que les entreprises ne pouvaient pas avoir des doutes sérieux quant à la question de savoir si de tels comportements violaient l'article 65, paragraphe 1, du traité.

483.
    S'agissant de violations claires de l'article 65, paragraphe 1, du traité, le Tribunal considère également qu'il n'était nullement nécessaire que la Commission «aligne» les règles de concurrence du traité CECA sur celles du traité CE pour pouvoir les constater, de sorte que les arguments des requérantes fondés sur les réflexions qu'elle a entamées sur l'avenir du traité CECA à partir de 1990 sont inopérants.

484.
    Il résulte de ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à invoquer de prétendus malentendus quant à l'application ou à la portée de l'article 65, paragraphe 1, du traité après la fin du régime de crise manifeste.

Sur l'implication de la DG III dans les infractions constatées après la fin du régime de crise manifeste

485.
    Afin d'instruire plus particulièrement cet aspect du recours, le Tribunal a, par ordonnance du 10 décembre 1997, ordonné la production des notes, aide-mémoires ou procès-verbaux rédigés par les fonctionnaires de la DG III, en rapport avec leurs réunions avec les représentants de l'industrie sidérurgique durant la période d'application du système de surveillance instauré par la décision n° 2448/88. Le Tribunal a également entendu, en qualité de témoins, MM. Ortún, Vanderseypen et Kutscher, sur les contacts établis entre la DG III et l'industrie sidérurgique pendant la période d'infraction retenue par la Décision aux fins de la fixation du montant de l'amende.

486.
    Ni les pièces du dossier soumis au Tribunal par les parties, ni les mesures d'instruction et d'organisation de la procédure qu'il a ordonnées n'ont permis d'établir que la DG III avait connaissance des infractions à l'article 65 du traité imputées à la requérante, ni, a fortiori, qu'elle les a initiées, encouragées ou tolérées.

487.
    En particulier, rien ne démontre que la Commission ait eu connaissance des accords et pratiques concertées de fixation de prix cibles et de répartition des marchés mis en cause dans la Décision, ni de systèmes d'échange d'informations allant au-delà de ceux qu'elle-même organisait dans le cadre des réunions de préparation des programmes prévisionnels et, plus spécifiquement, du système de monitoring des commandes et des livraisons décrit aux points 39 à 60 et 263 à 272 de la Décision, ou du système d'échange de statistiques individuelles organisé par l'intermédiaire d'Eurofer, décrit aux points 143 et 144 de la Décision.

488.
    A cet égard, il convient de rappeler que, lors de sa 1255e session, tenue à Luxembourg le 24 juin 1988 (voir annexe 3 au mémoire en défense dans l'affaire T-151/94), le Conseil a:

—    pris acte de ce que la Commission entendait mettre fin au régime desquotas pour l'ensemble des produits sidérurgiques au 30 juin 1988;

—    préconisé certaines mesures pour permettre aux entreprises de s'adapter plus facilement à d'éventuels changements de la demande, à savoir: la collecte de statistiques mensuelles relatives à la production et aux livraisons sur la base de l'article 47 du traité; le suivi régulier, dans le cadre des programmes prévisionnels visés à l'article 46 du traité, de l'évolution des marchés et la consultation régulière des intéressés sur la situation et les tendances du marché;

—    souligné, par la même occasion, que personne ne devait utiliser le système de surveillance pour contourner l'article 65 du traité.

489.
    La Commission a, dès lors, mis en place un mécanisme de surveillance du marché, en association avec Eurofer, sur la base de la décision n° 2448/88.

490.
    Il est vrai que, dans ce cadre, la Commission poursuivait un objectif général de préservation de l'équilibre entre l'offre et la demande et, par conséquent, de stabilité du niveau général des prix, destiné à permettre aux entreprises sidérurgiques de renouer avec les profits (voir, par exemple, la note interne de la DG III du 24 octobre 1988 relative à la réunion avec l'industrie du 27 octobre 1988, l'aide-mémoire de la DG III du 10 mai 1989 relatif à la réunion de consultation du 27 avril 1989, l'aide-mémoire de la DG III du 28 octobre 1989 relatif à la réunion de consultation du 26 octobre 1989 et la note interne de la DG III du 8 novembre 1989 relative à une réunion avec les producteurs du 7 novembre 1989).

491.
    La Commission favorisait, dès lors, la consultation des producteurs sur le marché, dans le but d'obtenir des informations directes sur les tendances du marché et de créer ainsi une meilleure transparence de l'information disponible (voir la note interne de la DG III du 24 octobre 1988, précitée), de manière à faciliter l'adaptation des entreprises à d'éventuels changements de la demande.

492.
    Ces échanges d'informations étendus et détaillés, impliquant les responsables des ventes des entreprises, jugés plus en contact avec la réalité commerciale (voir la note interne du 24 octobre 1988, précitée), portaient notamment sur les paramètres de l'offre et de la demande ainsi que sur le niveau et l'évolution passée et future des prix des différents produits sidérurgiques sur les divers marchés nationaux. La Commission faisait aussi régulièrement appel au sens de la modération ou de l'autodiscipline des producteurs, par exemple en les incitant à restreindre l'offre en cas d'évolution conjoncturelle défavorable.

493.
    Toutefois, comme le démontre l'analyse qui suit, aucun élément du dossier n'indique que la Commission a encouragé ou toléré, à cette occasion, les différents comportements collusoires reprochés à la requérante dans la Décision.

— Accords de fixation de prix

494.
    S'agissant tout d'abord des accords de fixation de prix reprochés à la requérante, le Tribunal a déjà constaté qu'il ne s'agissait pas en l'espèce, comme celle-ci le prétend, de simples échanges d'informations sur des «prévisions» de prix, mais bien d'accords portant fixation de prix. Aucun élément du dossier ne permet de croire que la Commission avait connaissance de tels accords.

495.
    Il est vrai que de nombreux documents relatifs aux réunions entre l'industrie et la DG III font état de prévisions en matière de prix.

496.
    Il est également vrai qu'il ressort, a posteriori, de l'ensemble des documents produits devant le Tribunal que certaines des informations données à la DG III quant aux prix futurs des poutrelles résultaient des accords intervenus au sein de la commission poutrelles (voir, notamment, les procès-verbaux des réunions de la commission poutrelles du 18 octobre 1988, des 10 janvier, 19 avril, 6 juin et 11 juillet 1989 en rapport avec les comptes rendus et «speaking notes» relatifs aux réunions de consultation du 27 octobre 1988, des 26 janvier, 27 avril et 27 juillet 1989).

497.
    Le Tribunal estime toutefois que, à l'époque, les fonctionnaires de la DG III n'étaient pas en mesure de déceler que, parmi les nombreuses informations que leur procurait Eurofer à propos, notamment, de la situation générale du marché, des stocks, des importations et exportations et des tendances de la demande, les informations en matière de prix résultaient d'accords entre entreprises.

498.
    A cet égard, il convient de souligner que, en dépit du nombre très élevé de réunions et de contacts entre les entreprises et la DG III, aucune des requérantes n'a soutenu qu'elle avait informé la DG III, même officieusement, de sa participation aux comportements qualifiés d'infractions dans la Décision. De même, aucun procès-verbal des réunions de la commission poutrelles n'a été communiqué à la DG III, alors que les entreprises devaient pourtant savoir que la DG III aurait grandement apprécié les informations détaillées contenues dans ces procès-verbaux.

499.
    Tout au plus ressort-il des pièces du dossier, et notamment des «speaking notes» relatives aux réunions entre la Commission et l'industrie, ainsi que des mesures d'instruction et d'organisation de la procédure ordonnées par le Tribunal, que la DG III savait que les entreprises membres d'Eurofer tenaient des réunions, préalablement à leurs réunions avec la Commission, et qu'elles discutaient à cette occasion de l'évolution des divers paramètres du marché, jusqu'au point de parvenir à une sorte de consensus à propos des tendances futures du marché, dont la teneur faisait ensuite l'objet des discussions avec la DG III.

500.
    S'il est vrai que la DG III avait connaissance du fait que, dans le cadre de ces réunions, les entreprises échangeaient leurs prévisions respectives quant aux prix futurs, voire leurs intentions individuelles en la matière, comme M. Kutscher l'a expressément reconnu lors de son audition en qualité de témoin, celui-ci a également exprimé l'avis qu'un tel échange de vues entre producteurs ne tombait pas sous le coup de l'article 65, paragraphe 1, du traité, même s'il était effectivement suivi d'un mouvement général des prix conforme aux prévisions échangées, pour autant que cet échange de vues demeurait de l'ordre de constatations de nature conjoncturelle et ne débouchait sur aucun accord ou collusion quant à ce mouvement.

501.
    Par ailleurs, le procès-verbal de la réunion de consultation du 26 janvier 1989 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 16) comporte un avertissement exprès de M. Kutscher, aux termes duquel il est indiqué que, si la Commission devait découvrir l'existence d'un accord au sein de l'industrie, en ce qui concerne les quantités et les prix, contraire aux termes de l'article 65 du traité, elle ne manquerait pas de prendre les mesures appropriées. Lors de son audition en qualité de témoin, M. Kutscher a expliqué qu'il avait fait acter cette déclaration à la demande expresse du membre de la Commission M. Narjes, en vue d'indiquer clairement à l'industrie que le jeu de la libre concurrence devait pleinement s'appliquer au sortir du régime des quotas, dans le strict respect des dispositions de l'article 65 du traité, et d'éviter la répétition d'une entente telle que celle de l'acier inoxydable.

502.
    M. Kutscher a également exposé, sans être contredit sur ce point par les requérantes, qu'il avait fait trois déclarations analogues devant le Comité consultatif CECA, les 1er et 20 juin 1988 ainsi qu'en octobre 1988.

503.
    Il ressort encore de l'aide-mémoire de la DG III relatif à la réunion de consultation du 27 juillet 1989 que, en référence à une annonce de hausse de prix qui lui paraissait suspecte, M. Kutscher avait «rappelé l'attachement de la Commission au respect intégral des règles de l'article 65 du traité». La réponse du représentant de la commission poutrelles, selon laquelle les entreprises concernées par cette hausse s'étaient «limitées à informer le négoce et les clients de leurs intentions respectives d'augmenter les prix», a donné l'apparence qu'il s'agissait d'un comportement autonome.

504.
    Il résulte de ce qui précède que les requérantes n'ont pas établi que les fonctionnaires de la DG III avaient connaissance des accords et pratiques concertées de fixation de prix qui leur sont reprochés dans la Décision ni, a fortiori, qu'ils les ont tolérés ou encouragés.

— Accords sur l'harmonisation des prix des suppléments

505.
    Il a déjà été établi, aux points 307 et 308 ci-dessus, que la Commission n'avait pas connaissance des pratiques d'harmonisation des prix des suppléments auxquelles se livraient les entreprises. Cette constatation ne saurait être mise en cause par le fait que la speaking note d'Eurofer relative à la réunion de consultation du 27 juillet 1989 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 18) indique que «les suppléments de dimensions et de qualités vont probablement augmenter», et que ce pronostic a apparemment servi de base à l'observation de la Commission, dans le programme prévisionnel acier pour le troisième trimestre de 1989 (JO 1989, C 178, p. 2 à 9), selon laquelle «rien ne permet de conclure à la poursuite [des augmentations des prix des profilés lourds] dans les mois à venir, sauf les extras qui sont généralement harmonisés au niveau européen».

— Accords de répartition des marchés

506.
    Les pièces du dossier n'établissent pas que les entreprises ont été encouragées par la Commission à se concerter dans le but de réguler ou de stabiliser le marché, notamment par la conclusion d'accords relevant de la méthodologie Traverso ou relatifs au marché français au quatrième trimestre de 1989.

507.
    Quant à la méthodologie Traverso, aucun élément du dossier ne permet d'inférer que la Commission avait connaissance de ce système, dont la mise en place initiale en juillet 1988 est intervenue avant le début des réunions de consultation, à partir d'octobre 1988.

508.
    Quant à l'accord relatif au marché français pour le quatrième trimestre de 1989, les requérantes se sont notamment référées au procès-verbal de la réunion de consultation du 1er septembre 1989 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 32), qui indique, à propos de la discussion sur la situation du marché français, qu'«un appel a été lancé aux producteurs nationaux pour qu'ils fassent preuve de modération afin de ne pas déstabiliser les autres marchés de la Communauté». Il convient toutefois de souligner que, à la différence des speaking notes qui étaient transmises pour information à la Commission, le procès-verbal en question est un document unilatéralement rédigé par Eurofer, dont la Commission n'avait pas connaissance avant la présente procédure, et que la note interne de la DG III relative à la même réunion ne fait aucunement référence à un tel appel à la modération. Le Tribunal estime, dès lors, que le document en question manque de valeur probante. En tout état de cause, l'appel à la modération dont il fait état est exprimé en termes généraux qui ne donnent pas lieu à penser qu'il était sous-tendu par un accord de répartition du marché français.

509.
    Dans la mesure où les requérantes se sont référées, dans leur plaidoirie commune, à l'indication, dans ledit procès-verbal, selon laquelle «le président [de la réunion] a convenu que le programme prévisionnel devrait être considéré comme une ligne directrice pour un comportement raisonnable sur le marché», le Tribunal relève

que le même document fait état, immédiatement avant la remarque en question, d'un autre commentaire selon lequel «en l'absence d'un système de quotas, il est seulement possible de faire appel à un comportement raisonnable, sans garantiequant au résultat». Ce commentaire est révélateur de ce que, dans l'esprit de la Commission, le comportement raisonnable ou l'autodiscipline qu'elle attendait de la part de l'industrie devaient être le fait de chaque acteur pris isolément, et non le produit d'une quelconque concertation entre producteurs.

510.
    Il est vrai que la speaking note relative à la réunion de consultation du 27 avril 1989 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 17) indique, à propos de la situation du marché des barres de renforcement (p. 8): «Certains changements dans les flux traditionnels du commerce qui se produisent suite à des offres faites par des producteurs italiens sur les marchés allemand et français menacent fortement la stabilité des prix dans ce secteur, étant donné l'effet immédiat de ces offres sur le niveau des prix. Ceci pourrait aisément entraîner des dommages sérieux pour le fil machine et doit donc être surveillé attentivement.» De même, la speaking note relative à la réunion de consultation du 27 juillet 1989 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 18) mentionne elle aussi, parmi un certain nombre de «facteurs négatifs» influençant l'évolution des prix sur le marché des produits longs, l'«augmentation des interpénétrations».

511.
    Ces indications ne suffisent toutefois pas à établir que la Commission poursuivait, à l'époque, son ancienne politique de maintien des flux traditionnels des échanges, ni qu'elle approuvait, fût-ce tacitement, une politique semblable menée par les producteurs eux-mêmes. D'une part, en effet, il s'agit de mentions isolées, et par là même atypiques, dans les speaking notes et procès-verbaux des très nombreuses réunions de l'époque. D'autre part, elles sont de nature essentiellement descriptive, se bornent à refléter l'appréciation de l'industrie sur la situation conjoncturelle et débouchent, au mieux, sur une simple prescription de «surveillance attentive», sans que soit même envisagée une quelconque action sur le marché en réponse à la «menace» dont il est question.

— Échanges d'informations sur les commandes et les livraisons

512.
    Il ressort du dossier non seulement que la Commission n'avait pas connaissance de l'échange d'informations sur les commandes et livraisons opéré par la commission poutrelles, mais également qu'Eurofer a sciemment dissimulé, tant à la DG III qu'à la DG IV, l'existence de systèmes d'échange d'informations portant sur des données individualisées.

513.
    Il convient de relever, à ce propos, que, lors de la réunion restreinte entre les représentants de la DG III et de l'industrie du 21 mars 1989 (voir le procès-verbal de cette réunion, requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 24), M. von Hülsen, directeur général d'Eurofer, a informé la DG III de la mise en place, au sein de cette association, d'un système d'enquêtes statistiques accélérées portant

sur des données mensuelles agrégées concernant les commandes et les livraisons, mais pas de la mise en place du monitoring des commandes et des livraisons, dont les premiers résultats avaient pourtant été discutés pour la première fois entre les entreprises participantes lors de la réunion de la commission poutrelles du 9 février 1989.

514.
    M. Vanderseypen, entendu en qualité de témoin à l'audience, a confirmé que les statistiques rapides en question, agrégées au niveau des entreprises, étaient ventilées par produit et par marché national de destination, de sorte qu'aucune entreprise ne pouvait calculer la part de marché de ses concurrentes. Il a précisé que la Commission n'avait jamais reçu d'Eurofer des chiffres ventilés par entreprise et qu'elle n'avait pas connaissance de la circulation de tels chiffres au sein d'Eurofer.

515.
    Or, il ressort des documents énumérés aux appendices 1 et 2 de la Décision que, tant dans le cadre du monitoring décrit aux points 39 à 60 de la Décision que dans le cadre de l'échange d'informations par l'intermédiaire d'Eurofer décrit aux points 143 à 146 de la Décision, des statistiques individualisées par entreprise et par marché national ont été échangées pour les commandes et les livraisons, notamment, des entreprises Peine-Salzgitter, Thyssen, Usinor Sacilor, Cockerill Sambre, ARBED, British Steel, et Ensidesa.

516.
    Par lettre du 22 juin 1990 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 4, document 1), M. Temple Lang, directeur à la DG IV, a évoqué, par ailleurs, le problème général de la collecte et de l'échange d'informations et de données statistiques au sein d'Eurofer. Il a rappelé que, lors d'une réunion du comité statistique acier du 11 juin 1990, «la Commission a[vait] considéré nécessaire, vu la solution inhabituelle de procéder pour la collecte d'informations, d'avertir les membres du comité et en particulier le représentant d'Eurofer sur l'applicabilité de l'article 65 du traité». Il a également rappelé «la position de la Commission sur la question relative à l'établissement en commun de statistiques et l'échange d'informations entre entreprises ou par l'intermédiaire d'un organisme tiers», en insistant sur la différence «entre un accord pour la collecte d'informations statistiques généralisées et non actuelles, d'une part, et, d'autre part, la collecte de statistiques actuelles et détaillées qui ne seraient autrement accessibles aux concurrents». Il a ajouté que les membres du comité avaient déjà été informés lors de la réunion du 7 juillet 1989 par l'envoi d'une copie de la communication de 1968. Il a dès lors demandé au directeur général d'Eurofer une série de renseignements, «afin de pouvoir vérifier si [ses] activités dans le domaine d'établissement en commun de statistiques [pouvaient] affecter la concurrence effective», et notamment la «description de la méthode de collecte et de distribution de statistiques au sein de [son] association».

517.
    Il ressort pourtant de la réponse du directeur général d'Eurofer du 24 juillet 1990 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 4, document 1) que la DG IV, malgré sa demande explicite, n'a pas été informée de la nature et de l'étendue exacte des échanges d'informations — à savoir qu'il s'agissait des données individuelles des

commandes et des livraisons, ventilées par entreprise et par pays — qui avaient cours au sein d'Eurofer, ainsi qu'entre les membres de sa commission poutrelles.

518.
    Dans le même temps, le 30 juillet 1990, soit moins d'une semaine après la réponse d'Eurofer à la demande de renseignements de la DG IV, l'administration d'Eurofer a adressé, notamment au président et au secrétariat de la commission poutrelles, une lettre intitulée «Échange et diffusion de statistiques» (document n° 1681 du dossier de la Commission), dont les termes sont repris au point 44 de la Décision:

«La décision récemment adoptée par la Commission dans le domaine des produits plats en acier inoxydable, ainsi que certains contacts pris par la DG IV avec les dirigeants d'Eurofer, ont attiré l'attention sur l'échange ou la diffusion de statistiques qu'effectuent notre bureau ou les secrétariats des différentes commissions, et sur leur compatibilité avec l'article 65 du traité.

Dans l'attente d'un examen juridique approfondi, nous avons décidé de suspendre toute diffusion révélant des chiffres individuels de production, de livraisons et de commandes, et nous vous prions de bien vouloir, dans le cadre de votre propre commission, vous abstenir de tous échanges ou diffusions similaires.

Bien entendu, cette demande ne concerne pas la collecte de chiffres individuels assurée par un centre neutre, en d'autres termes le bureau d'Eurofer, ni la diffusion de résultats agrégés sans mention de données individuelles, ainsi que nous le faisons d'habitude. Ces statistiques sont parfaitement légales, puisqu'elles visent manifestement à donner des informations globales au sujet de l'évolution de l'économie et des marchés. Nous les maintiendrons telles qu'auparavant et vous pourrez en faire autant.»

519.
    Force est, dès lors, de constater qu'Eurofer a sciemment caché à la Commission, alors même qu'elle faisait l'objet d'une demande de renseignements expresse de la DG IV, l'échange ou la diffusion de statistiques individuelles dont elle savait qu'ils avaient cours au sein de ses commissions de produits, et notamment au sein de la commission poutrelles, tout en priant lesdites commissions de s'en abstenir désormais.

520.
    Il est par ailleurs établi que, après avoir donné suite, dans un premier temps, à la demande d'Eurofer du 30 juillet 1990, les entreprises membres de la commission poutrelles, en accord avec l'administration d'Eurofer, ont rapidement repris l'échange de données individualisées par entreprise, à l'exception de British Steel qui a refusé de fournir de telles informations (voir points 44 à 46 de la Décision).

— Autres accords

521.
    La requérante n'a pas prétendu, et encore moins établi, que la DG III avait connaissance des autres accords qui lui sont reprochés dans la Décision, sous

réserve des accords Eurofer/Scandinavie, qui ont fait l'objet d'un examen distinct du Tribunal.

— Conclusions

522.
    Le Tribunal conclut de l'ensemble de ce qui précède que, à partir de 1988, les entreprises sidérurgiques et leur association professionnelle Eurofer ont adressé à la Commission des indications relativement générales et imprécises, tout en ayant de leur côté, en complément de leurs accords restrictifs de la concurrence, des discussions très précises et détaillées, individualisées au niveau des entreprises, dont elles ont caché l'existence et la teneur tant à la DG III qu'à la DG IV. Les entreprises avaient pleinement conscience de la différence de nature entre ces deux catégories d'informations et ont fait sciemment en sorte que les unes, mais pas les autres, soient portées à la connaissance de la Commission.

523.
    Le Tribunal estime, en conséquence, que les entreprises ont violé les règles de concurrence du traité tout en dressant un écran destiné à les protéger de la vigilance des fonctionnaires de la DG III chargés de la surveillance du marché. Elles ne sauraient, dès lors, exciper de la prétendue connaissance que ceux-ci auraient eue, ou auraient dû avoir, de leurs pratiques pour s'affranchir de leur obligation de respect de l'article 65, paragraphe 1, du traité.

524.
    En tout état de cause, les dispositions de l'article 65, paragraphe 4, du traité, qui déclarent «nuls de plein droit» les accords ou décisions interdits en vertu du paragraphe 1, ont un contenu objectif et s'imposent tant aux entreprises qu'à la Commission, qui ne saurait en exonérer ces dernières (voir l'avis 1/61 de la Cour, précité). Dans ces circonstances, une tolérance ou un laxisme administratif ne saurait affecter le caractère infractionnel d'une violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité (arrêts Lucchini/Commission et Bertoli/Commission, précités).

525.
    Il en va tout particulièrement ainsi lorsque la tolérance en cause, à la supposer même établie, émane de la direction générale de la Commission chargée des affaires industrielles, et non de celle chargée des affaires de concurrence. Si les entreprises avaient le moindre doute sur la légalité de leurs comportements, il leur incombait de prendre contact avec les services de la DG IV pour clarifier la situation.

526.
    La lettre du président d'Eurofer à M. Davignon du 8 février 1983 (point 11 ci-dessus) n'est évidemment pas de nature à les exonérer de leur responsabilité pour des comportements remontant à une autre époque et soumis à un régime radicalement différent. Elle ne saurait davantage faire peser sur la Commission une obligation implicite de réagir immédiatement au moindre soupçon de comportement anticoncurrentiel. En tout état de cause, ladite lettre est fondée sur la prémisse que la Commission était «informée scrupuleusement» de «tous les détails» des pratiques d'Eurofer, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.

Sur la licéité des activités reprochées à la partie requérante au regard, notamment, des articles 46 à 48 du traité

527.
    Le Tribunal a déjà constaté que les dispositions des articles 46 à 48 du traité n'autorisaient pas la conclusion des accords et pratiques concertées dont il est question en l'espèce (points 295 à 299 ci-dessus).

528.
    Par ailleurs, les requérantes ont reconnu elles-mêmes, notamment dans leur plaidoirie commune, en se référant à l'avis du Pr Reuter, que, si les mesures adoptées par la Commission dans le cadre de ces articles, en «collaboration» avec les intéressés et avec leur accord, «constituent manifestement des pratiques concertées», c'est uniquement dans la mesure où «la Haute Autorité fait partie du concert et même le dirige» qu'elles ne tombent pas sous le coup de l'article 65 du traité.

529.
    De même, dans la présentation orale qu'il a faite à l'audience au nom des requérantes, le Pr Steindorff a indiqué, à propos des échanges d'informations entre entreprises intervenus en préparation des réunions avec la Commission, que de tels échanges préalables n'échappent à l'interdiction de l'article 65, paragraphe 1, du traité que pour autant que ce soit la Commission qui les dirige. Selon le Pr Steindorff, les entreprises doivent agir de bonne foi et penser que, dans ces échanges, elles ne font que préparer la discussion avec la Commission qui, elle, travaille dans le cadre de l'article 46 du traité.

530.
    Le Tribunal estime que tel n'a pas été le cas en l'espèce. Au contraire, il ressort du dossier que, lorsqu'elles ont réalisé que la Commission n'entendait plus exercer aucune action pour maintenir la stabilité des courants traditionnels des échanges, les entreprises visées par la Décision ont choisi de se substituer à elle et ont commencé à agir en cartel privé. C'est ainsi que, après l'expiration du système des quotas, le 30 juin 1988, les entreprises en cause se sont efforcées de remplacer les mécanismes publics mis en place pendant le régime de crise par des mesures privées adoptées conjointement, notamment dans le cadre de la commission poutrelles.

531.
    Cette réaction n'était nullement requise, et n'a nullement été provoquée, ou suscitée, par le régime de surveillance et de consultation instauré par la DG III après juillet 1988.

532.
    Par ailleurs, le Tribunal constate que les infractions, et notamment les échanges d'informations mis en cause dans la Décision, étaient secrètes et qu'il n'existe aucun indice de nature à établir que les acheteurs, les autres producteurs ou la Commission en auraient été informés. Au contraire, les éléments du dossier déjà analysés indiquent que les entreprises ont pris soin de dissimuler leurs agissements à la Commission, au point notamment d'organiser une réunion spéciale des commissions d'Eurofer consacrée à la rédaction des procès-verbaux des réunions.

533.
    Force est, dès lors, de conclure que, au sortir du régime de crise manifeste, les producteurs de poutrelles mis en cause dans la Décision, agissant de concert et à l'encontre de la volonté expresse de la Commission, exprimée notamment dans le communiqué de presse du 4 mai 1988 relatif à l'affaire acier inoxydable, ont secrètement substitué à la gestion publique du secteur leur propre système d'organisation collective du marché, dans le but de prévenir ou d'atténuer les effets du jeu normal de la concurrence. Un tel comportement est interdit par l'article 65, paragraphe 1, du traité.

534.
    Par ailleurs, la question de savoir si des entreprises se livreraient à une pratique concertée interdite par l'article 65, paragraphe 1, du traité en se bornant à une discussion générale et à un échange mutuel d'intentions en matière de prix, du type décrit par M. Kutscher, afin d'informer la Commission des tendances du marché, n'est pas pertinente aux fins du présent arrêt. En premier lieu, en effet, tel n'était pas l'objectif des accords et pratiques concertées litigieux. En deuxième lieu, la Commission n'a pas incriminé ce type de comportements dans la Décision. En troisième lieu, dans le cas d'espèce, les contacts entre producteurs préalables aux échanges de vues avec la Commission sur les principaux paramètres et les tendances du marché n'impliquaient nullement la perpétration des infractions constatées dans la Décision. Enfin, dans la mesure où les requérantes n'ont pas dévoilé leurs agissements à la Commission en toute franchise, elles ne sauraient prétendre échapper à l'interdiction de l'article 65, paragraphe 1, du traité.

535.
    Il y a donc lieu de rejeter l'ensemble des moyens et arguments des requérantes tirés des activités de la DG III, invoqués au soutien des conclusions tendant à l'annulation de l'article 1er de la Décision.

E — Sur le détournement de procédure et de pouvoir

536.
    La requérante estime que la Commission a commis un détournement de procédure en cherchant à appliquer subrepticement aux producteurs de la CECA les règles de concurrence du traité CE. Elle fait, en ce sens, état de la carence de la Commission à assurer la sauvegarde et la police du système de publicité des prix voulu par les auteurs du traité CECA, et, notamment, de son abstention à poursuivre la non-application des barèmes, qu'elle met en contraste avec le recours au seul article 65 du traité CECA, extrait de son contexte.

537.
    Par ailleurs, la Commission aurait commis un détournement de pouvoir en adoptant la Décision à titre de réponse au rythme, jugé trop lent, imprimé par les producteurs à la mise en place d'un plan de réduction des capacités de production conforme aux projets d'assainissement du secteur de l'acier conçus par la DG III. La requérante renvoie, à cet égard, aux interrogations soulevées par plusieurs organes de presse et membres du Parlement européen (voir annexe 24 à la requête).

538.
    Cet argument est à rapprocher du moyen formellement tiré par certaines requérantes d'un détournement de pouvoir en ce que, au lieu d'exercer ses responsabilités au titre du traité, et notamment de son article 58, la Commission aurait entendu «contraindre» les producteurs à procéder aux restructurations qu'elle-même jugeait indispensables et aurait «sanctionné» leur refus par l'imposition de lourdes amendes dans la Décision, adoptée le lendemain de la rupture des négociations en question.

539.
    Le Tribunal rappelle que, parallèlement à la procédure administrative diligentée par la DG IV dans la présente affaire, la DG III a mené des négociations avec l'industrie sidérurgique, visant à une restructuration profonde de celle-ci, partiellement financée par des fonds communautaires. Ces négociations ont été rompues, à défaut d'accord entre les parties, la veille de l'adoption de la Décision, soit le 15 février 1994, au cours d'une réunion à laquelle assistaient les représentants de l'industrie ainsi que les membres de la Commission MM. Bangemann et Van Miert.

540.
    Selon une jurisprudence constante, une décision n'est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise dans le but exclusif ou, à tout le moins, déterminant d'atteindre des fins autres que celles excipées ou d'éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l'espèce (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C-331/88, Rec. p. I-4023, point 24; arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Ferriere Nord/Commission, T-143/89, Rec. p. II-917, point 68, et du 24 septembre 1996, NALOO/Commission, T-57/91, Rec. p. II-1019, point 327).

541.
    La poursuite et la répression des infractions en matière de concurrence constituent un objectif légitime de l'action de la Commission, conformément aux dispositions fondamentales des articles 3 et 4 du traité. Dès lors que la preuve de telles infractions est effectivement rapportée, et qu'il est établi que les amendes ont été calculées de manière objective et proportionnée, la décision imposant de telles amendes, conformément à l'article 65, paragraphe 5, du traité, ne saurait être considérée comme entachée d'un détournement de procédure ou de pouvoir que dans des circonstances exceptionnelles.

542.
    En l'espèce, ni la coexistence de négociations parallèles entre la Commission et l'industrie sur la restructuration de la sidérurgie européenne, qui remontent aux années 80, voire 70, ni la «coïncidence» entre l'échec de ces négociations et l'adoption de la Décision, et les interrogations qu'elle a suscitées chez certains membres du Parlement européen ou journalistes, ne constituent, à elles seules, un indice de détournement de pouvoir.

543.
    Pour le surplus, le Tribunal n'a relevé, dans le dossier qui lui a été transmis au titre de l'article 23, aucun indice de nature à établir que la présente procédure

d'application de l'article 65 du traité aurait été utilisée dans le but de contraindre l'industrie sidérurgique à se restructurer, ou de sanctionner son manque de coopération en la matière. Il n'y a d'ailleurs aucune raison de soupçonner que la procédure n'a pas suivi un cours normal, depuis les premières inspections en janvier 1991 jusqu'à l'adoption de la Décision, le 16 février 1994, en passant par la communication des griefs aux entreprises concernées le 6 mai 1992, l'analyse de leurs réponses envoyées vers le mois d'août 1992, leur audition en janvier 1993, l'enquête interne menée à la demande des intéressées en janvier-février 1993, l'envoi du compte rendu de l'audition en deux parties, les 8 juillet et 8 septembre 1993, et la préparation du projet de décision, avec traduction dans les différentes langues et consultation des divers services intéressés. Par ailleurs, la requérante n'a pas contesté l'affirmation de la Commission selon laquelle l'audition a été reportée de septembre 1992 à janvier 1993, soit environ quatre mois, à la demande même de certaines des entreprises, pour permettre à leurs avocats de se consacrer à leur défense dans le cadre de la procédure d'antidumping ouverte contre elles, à l'époque, par les autorités américaines.

544.
    Enfin, quant à l'argument tiré de la prétendue carence de la Commission à assurer la sauvegarde du système de publicité des prix, et à supposer même qu'à l'époque le système de l'article 60 du traité n'ait pas fonctionné comme le prévoit le traité (voir, notamment, le document de travail de la Commission joint en appendice 5, document 2, à la requête dans l'affaire T-151/94), il ressort de l'économie de ses articles 4, 60 et 65 que le traité protège à la fois l'intérêt à l'application de prix non discriminatoires et publics, d'une part, et celui d'une concurrence non faussée par des arrangements collusoires, d'autre part. Le Tribunal ne saurait donc accepter que le non-respect par les entreprises concernées des règles protégeant le premier intérêt entraîne l'inapplicabilité de celles protégeant le second, ou empêche la Commission d'en poursuivre la violation. Il incombait du reste aux entreprises de respecter elles-mêmes les dispositions de l'article 60 du traité, plutôt que d'établir entre elles une coordination privée en matière de prix, en prétendue substitution de cette disposition dont la mise en oeuvre relève de la responsabilité de la Commission.

545.
    En conséquence, l'argument tiré par la requérante d'un détournement de procédure ou de pouvoir doit être rejeté comme non fondé.

Sur la demande subsidiaire tendant à l'annulation de l'amende ou, à tout le moins, à la réduction de son montant

Observations liminaires

546.
    L'article 4 du dispositif de la Décision inflige à la requérante une amende de 12 300 000 écus pour les infractions décrites à l'article 1er. Les critères pris en compte pour déterminer le niveau général des amendes et le montant des amendes individuelles figurent, respectivement, aux points 298 à 317 et 319 à 324 de la Décision.

547.
    En réponse aux questions du Tribunal, la Commission a donné certaines explications quant au mode de calcul des amendes et a produit divers tableaux explicitant ce calcul pour chacune des entreprises concernées (voir l'annexe 6 à sa réponse du 19 janvier 1998, sa réponse du 20 février 1998 et les tableaux produits le 19 mars 1998).

548.
    Il ressort de ces éléments que la Commission a déterminé l'amende en fonction d'un «taux de base» représentant 7,5 % des ventes communautaires de poutrelles de l'entreprise concernée au cours de l'année 1990. Ce pourcentage est réparti entre les trois types d'infraction visés au point 300 de la Décision, selon la clé suivante: fixation de prix: 3 %, dont 2,5 % pour les ententes sur les prix de base et 0,5 % pour celles portant harmonisation des suppléments; répartition des marchés: 3 %; échanges d'informations: 1,5 %.

549.
    La Commission a pondéré ces pourcentages en fonction, notamment, de la durée et de la portée géographique de chaque infraction.

550.
    Ainsi, pour moduler les amendes en fonction de la durée de chaque infraction, la Commission a appliqué un coefficient obtenu en divisant le nombre de mois effectifs retenus à titre de période infractionnelle par le nombre maximal de 30 mois, sauf en ce qui concerne les accords d'harmonisation des prix des suppléments. De même, pour moduler les amendes en fonction de la portée géographique de chaque infraction, dans la mesure où certaines infractions portent uniquement sur un ou plusieurs marchés nationaux, la Commission a appliqué un pourcentage correspondant à la part revenant au(x) marché(s) en cause dans la consommation apparente communautaire totale (Allemagne: 21 %; France: 17 %; Royaume-Uni: 17 %; Espagne: 15 %; Italie: 14 %; Pays-Bas: 7 %; Union économique belgo-luxembourgeoise: 6 %; Danemark: 2 %).

551.
    A chaque infraction ont ensuite été appliqués, le cas échéant, certains coefficients de majoration ou de réduction visant à tenir compte d'éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes. C'est ainsi que l'amende infligée à la requérante au titre de l'harmonisation des suppléments a été majorée de 10 % pour tenir compte du fait que sa société mère, Usinor Sacilor, avait proposé cette harmonisation. L'amende infligée à la requérante au titre de l'échange d'informations confidentielles a pareillement été majorée de 10 % pour tenir compte du fait qu'Usinor Sacilor a fourni une assistance administrative (secrétariat) à la commission poutrelles, dans le cadre de cet échange (voir point 321 de la Décision).

552.
    Enfin, le montant total issu du calcul détaillé ci-dessus a été majoré d'un tiers, dans le cas de la requérante, de British Steel et de Thyssen, pour cause de «récidive».

553.
    D'après la réponse de la Commission du 19 mars 1998, l'amende de la requérante a été calculée comme suit, sur la base d'un chiffre d'affaires pertinent de 168 millions d'écus:

a) Accords de fixation de prix

    
Millions écus
Commission poutrelles 168 x 2,5 %
x 30/30
4,2000
Marché italien 168 x 2,5 % x
14 %
x 6/30
0,1176
Marché danois 168 x 2,5 % x
2 %
x 16/30
0,0448
Harmonisation des suppléments 168 x 0,5 %
0,8400
Circonstance aggravante + 10%
0,0840

Total

5,2864
b) Accords de répartition de marchés
Méthodologie Traverso 168 x 3% x 6/30
1,0080
Marché français 168 x 3% x 17% x 3/30
0,0857
Marché italien 168 x 3% x 14% x 3/30
0,0706

Total

1,1643
c) Échange d'informations
Infraction de base 168 x 1,5% x 30/30
2,5200
Circonstance aggravante + 10%

0,2520

Total

2,7720
Total a)+b)+c)
9,2227
Majoration de 33 %

pour récidive

3,0742
Total
12,2969
Montant final de l'amende

12,3000

Résumé sommaire de l'argumentation des parties

554.
    La requérante soutient que l'amende de 12 300 000 écus que lui inflige la Décision doit être annulée, ou à tout le moins réduite, dès lors que: a) la Commission a omis d'indiquer clairement dans la Décision les critères de calcul de cette amende; b) les pratiques reprochées à la requérante n'ont eu aucun effet anticoncurrentiel significatif sur le marché; c) l'amende ainsi imposée revêt un caractère disproportionné et d) la requérante bénéficie de circonstances atténuantes dont la Commission aurait dû tenir compte.

555.
    Premièrement, la requérante fait valoir que, si la Commission n'est pas obligée de dévoiler, au cours de la procédure administrative, les critères sur la base desquels elle se propose d'établir le montant des amendes (arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461), elle est néanmoins tenue, en vertu de l'obligation générale de motivation de l'article 15 du traité, de faire état de ces critères dans sa décision finale, afin de permettre au juge d'exercer ses pouvoirs de pleine juridiction. En l'espèce, ces critères n'apparaîtraient nulle part dans la Décision.

556.
    La requérante conteste, par ailleurs, la pertinence et la suffisance des explications données par la Commission dans son mémoire en défense. Pour les mêmes infractions, commises sur une période équivalente, l'amende qui lui est infligée serait, par application des critères de la Commission, proportionnellement plus élevée que celle imposée à d'autres producteurs impliqués, notamment Preussag et ARBED, sans que ces différences puissent s'expliquer par une majoration modérée de l'amende pour tenir compte des comportements d'Usinor Sacilor retenus à titre de circonstance aggravante par la Commission (voir ci-après).

557.
    Deuxièmement, la requérante soutient que, selon une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal, l'effet ou l'absence d'effet des comportements reprochés sur le marché en cause doivent être pris en considération par la Commission au moment de la détermination du montant de l'amende (voir arrêt de la Cour du 30 janvier 1985, BAT/Commission, 35/83, Rec. p. 363). La prise en compte de ces effets s'imposerait d'autant plus dans le cadre du système de concurrence normale organisé par le traité CECA. Selon la requérante, qui invoque en ce sens un commentaire du Pr Paul Reuter dans son ouvrage précité (p. 212-213), l'article 65 dudit traité lie en effet l'illégalité des pratiques des entreprises à leur effet monopolistique, ce qui impliquerait l'obligation de constater une situation de non-concurrence sur le marché en cause, et de rechercher si les pratiques constatées sont effectivement à l'origine de cette situation.

558.
    En se basant sur l'étude économique du cabinet Lexecon, présentée lors de l'audition administrative par le Pr Bishop (annexe 25 à la requête), la requérante soutient que, en l'espèce, les pratiques reprochées n'ont eu aucune incidence notable sur le niveau de la concurrence. D'une part, les parts de marché des entreprises participantes au cartel allégué n'auraient cessé de varier substantiellement au cours de la période considérée (voir le tableau intitulé «EC

Market Share Volatility since 1988», annexe 26 à la requête). D'autre part, les courants d'échanges intracommunautaires se seraient considérablement intensifiés pendant la période considérée (voir le tableau intitulé «Trade Growth», annexe 27 à la requête). Enfin, le niveau des prix pendant la période considérée serait resté très bas et, en tout cas, toujours au-dessous du niveau de la demande, sauf en 1989 où il l'aurait rejoint (voir tableau en annexe 28 à la requête). A cet égard, le Pr Bishop aurait constaté que les prix des poutrelles dans la Communauté étaient constamment abaissés pour faire face aux importations à très bas prix des pays tiers. Selon la requérante, aucun des trois objectifs principaux de tout cartel, à savoir la stabilité des parts de marché, des flux d'échanges et des prix, n'a donc été atteint en l'espèce.

559.
    Troisièmement, la requérante fait valoir que l'amende qui lui a été infligée méconnaît le principe général de proportionnalité, qui veut que toute amende soit établie en fonction de la gravité des comportements sanctionnés et des bénéfices qu'en ont retiré les entreprises impliquées.

560.
    L'amende infligée représenterait 7,3 % du chiffre d'affaires annuel réalisé sur les poutrelles par le groupe auquel appartient la requérante, et serait une des plus lourdes imposées par la Commission, même en tenant compte de sa pratique CE. De plus, la requérante aurait perdu 2,6 milliards FF en 1991 et 1,4 milliards FF en 1992. En adoptant, en 1994, une décision lui imposant une amende de 12,3 millions d'écus, la Commission n'aurait manifestement pas tenu compte de l'impact économique de la sanction infligée. Celle-ci ne refléterait certainement pas une «rente» économique destinée à compenser les bénéfices retirés par les producteurs des pratiques anticoncurrentielles alléguées, et ce, contrairement au principe de proportionnalité.

561.
    De plus, la Commission se contredirait de façon flagrante dans son appréciation de la gravité du comportement reproché au groupe Usinor Sacilor, auquel appartient la requérante. D'une part, au point 285 de la Décision, la Commission a conclu que la contribution apportée par Usinor Sacilor, qui assurait le secrétariat de la commission poutrelles, ne justifiait l'adoption d'une décision au titre de l'article 65 du traité ni à son encontre, ni à l'encontre de sa filiale Unimétal. D'autre part, au point 321 de la Décision, la Commission a décrété, toutefois, que «les amendes infligées à Unimétal tiennent compte du comportement de sa société mère dans la mesure où celle-ci a fourni une assistance administrative à la commission poutrelles». La requérante considère que la Décision ne peut, d'une part, renoncer à condamner Usinor Sacilor au titre de l'article 65 du traité, et, d'autre part, la condamner elle-même à une amende plus importante sanctionnant ces mêmes agissements. Ce faisant, la Décision contreviendrait au principe de proportionnalité, en ce que le montant de l'amende imposée à la requérante n'a pas été calculé en fonction de ceux de ses comportements que la Commission a jugés contraires à l'article 65 du traité. De plus, l'amende ainsi infligée violerait l'article 65 du traité lui-même, dont le paragraphe 5 limiterait expressément le pouvoir de la Commission de prononcer des amendes au cas où elle constate l'existence de pratiques contraires au paragraphe 1.

562.
    La requérante considère, par ailleurs, que l'arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Shell/Commission (T-11/89, Rec. p. II-757, points 311 et 312), invoqué par la partie défenderesse, n'est pas pertinent en l'espèce. Tout d'abord, Usinor Sacilor n'aurait commis aucune infraction à l'article 65 du traité en se bornant à reprendre les tâches d'une association de producteurs (le CPS) et à assumer des fonctions purement administratives de secrétariat de la commission poutrelles, dans le cadre desquelles elle n'aurait eu aucun poids décisionnel et aucune liberté d'initiative, ce que la Commission elle-même aurait reconnu à maintes reprises. Usinor Sacilor ne pourrait donc être assimilée aux sociétés d'exploitation du groupe Shell qui, n'eut été précisément leur appartenance à ce groupe, auraient été condamnées individuellement au titre de l'article 85 du traité CE. La Commission reconnaîtrait d'ailleurs, au point 285 de la Décision, qu'elle n'aurait pu en faire autant à l'égard d'Usinor Sacilor. De plus, Shell aurait été condamnée plus sévèrement du fait des infractions commises par ses filiales, à l'égard desquelles elle jouait un rôle d'impulsion et de coordination. En l'espèce, en revanche, la requérante fait valoir qu'elle ne peut être tenue pour responsable des agissements de sa maison mère, sur laquelle elle n'exerce aucune influence, et alors même que la Commission reconnaîtrait que ces tâches ne contreviennent pas à l'article 65 du traité.

563.
    Quatrièmement, la requérante estime pouvoir bénéficier d'au moins deux circonstances atténuantes, dont la Décision n'aurait pas tenu compte. La première est tirée de la méconnaissance, par la Commission, du principe général de protection de la confiance légitime et la seconde de sa mauvaise situation financière et de la crise sévissant sur le marché de l'acier.

564.
    La Cour admettrait que la violation du principe de respect de la confiance légitime figure au nombre des circonstances atténuantes qui permettent d'obtenir une réduction, voire l'absence d'imposition d'une amende (voir arrêt du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, 6/73 et 7/73, Rec. p. 223). La requérante renvoie, pour établir la méconnaissance de ce principe par la Décision, à ses arguments développés à l'appui de sa demande principale en annulation.

565.
    La requérante reconnaît que le Tribunal a jugé, dans son arrêt Hercules Chemicals/Commission, précité, que dans le cadre d'une procédure ouverte au titre de l'article 85 du traité CE la Commission peut, mais ne doit pas nécessairement, tenir compte, lors de la détermination du montant de l'amende, de la situation de crise sévissant sur le marché en cause ou de la situation financière précaire des entreprises impliquées. Elle estime, toutefois, que si la crise que traverse le secteur visé peut être indifférente dans le régime de concurrence libre et parfaite du traité CE, il n'en va pas de même dans le régime de concurrence normale du traité CECA. La concurrence normale serait, en effet, étroitement liée à la situation économique sur le marché concerné, et la validité d'une pratique au regard du jeu normal de la concurrence devrait s'apprécier en fonction de la conjoncture de ce marché. Elle invoque en ce sens l'opinion exposée par le Pr Paul Reuter dans son ouvrage précité: «... le problème de la validité de ces accords [au regard de l'article 65 du traité] se pose dans des termes tout différents lorsqu'il y a pléthore ou

pénurie, ou bien lorsque pour des circonstances de nature diverse le jeu normal de la concurrence ne fonctionne pas antérieurement à l'accord» (p. 209 à 213).

566.
    Dans le passé, la Commission aurait d'ailleurs systématiquement tenu compte de ces facteurs lors de la fixation d'une amende au titre de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA. La requérante cite, en ce sens, les décisions C(80)236 final/1, 2 et 3 de la Commission, du 27 mars 1980 («décisions aciers spéciaux», non publiéesau JO mais résumées dans le Dixième rapport sur la politique de concurrence, points 109-110), et la décision acier inoxydable. Elle invoque également la décision 89/515/CEE de la Commission, du 2 août 1989, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/31.553 — Treillis soudés) (JO L 260, p. 1), qui, bien que relevant du traité CEE, aurait concerné des produits apparentés aux produits CECA. Elle s'appuie encore sur le fait que, dans la présente affaire, aucune amende n'a été imposée pour les infractions prétendument commises pendant la période de crise manifeste et, plus généralement, sur le point 120 du XXème rapport sur la politique de concurrence, aux termes duquel «[e]n 1990, l'amélioration de la situation financière du secteur sidérurgique a rendu possible une application des articles 65 et 66 dans le sens d'une intensification de la politique de la concurrence».

567.
    En l'espèce, la requérante fait valoir que la Commission savait que l'industrie des poutrelles sortait difficilement d'une crise profonde. En mettant fin, le 30 juin 1988, à son programme de crise sans prévoir aucune mesure transitoire, la Commission aurait mis les entreprises dans une position très difficile. Elle en aurait d'ailleurs été consciente, comme le démontrerait la sollicitude marquée par la DG III à l'égard des producteurs au cours des réunions officielles, des réunions restreintes et des «steel lunches». La Commission aurait également su, au moment où elle a décidé de l'amende, que l'amélioration relative du marché apparue en 1988-1990 avait eu un caractère très limité et précaire, et que la crise de l'industrie de l'acier devenait intolérable, à tel point qu'elle essayerait, actuellement, d'imposer au secteur un système de réduction concertée des capacités. La requérante dit se trouver dans un état de nécessité et d'urgence mettant sa survie à terme en jeu. D'après elle, un principe général d'équité aurait voulu que la Commission en tînt compte dans la détermination de l'amende, conformément d'ailleurs à sa propre pratique.

568.
    Lors de leur plaidoirie commune à l'audience, les requérantes ont de surcroît fait valoir que:

a)    la Commission n'aurait pas suffisamment exposé dans quelle mesure les comportements litigieux ont eu un effet anticoncurrentiel, alors que l'article 65 du traité requiert la preuve d'un tel effet. En particulier, les explications données aux points 302 et 303 de la Décision, à propos des bénéfices supplémentaires prétendument obtenus en conséquence des hausses de prix convenues, seraient contredites par celles avancées par M. Kutscher dans son témoignage. Selon ce dernier, en effet, de telles hausses pouvaient procéder de la situation conjoncturelle de l'époque;

b)    la Commission aurait dû tenir compte, à titre de circonstances atténuantes, d'une part, du fait que les comportements litigieux ne visaient pas à restreindre la production, le développement technique ou les investissements, au sens de l'article 65, paragraphe 5, du traité et, d'autre part, des différences entre le traité CECA et le traité CE;

c)    la Commission aurait à tort infligé une amende distincte pour les systèmes d'échange d'informations, dès lors que, devant le Tribunal, ceux-ci ont été qualifiés d'accessoires à d'autres infractions;

d)    la Commission aurait, sans justification, infligé des amendes d'un niveau général supérieur à celui choisi dans sa décision acier inoxydable et dans sa décision 94/815/CE, du 30 novembre 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (affaire IV/33.126 et 33.322 — Ciment) (JO L 343, p. 1, ci-après «décision Ciment» ou «affaire Ciment»);

e)    la Commission aurait doublement appliqué, une première fois à l'échelle communautaire et une seconde fois à l'échelle des divers marchés nationaux, les taux partiels attribués aux divers éléments d'infraction concernant, d'une part, les accords de fixation de prix et, d'autre part, les accords de répartition des marchés, de sorte que le taux de base effectif de l'amende serait de 13 % et non pas, comme elle le prétend, de 7,5 %.

569.
    La Commission réfute les arguments de la requérante en faisant valoir, notamment, qu'elle était en droit de tenir compte, aux fins de la fixation de l'amende, de la participation antérieure de la requérante aux infractions mises en cause dans l'affaire acier inoxydable. Toutefois, la Commission a affirmé, en réponse aux questions du Tribunal (voir point 33 de sa réponse du 19 janvier 1998) et à l'audience, que la décision acier inoxydable n'a pas constitué un élément décisif pour majorer l'amende de la requérante du chef de «récidive». Selon elle, le fait que les entreprises concernées ont fait l'objet de l'inspection mentionnée au point 305 de la Décision et qu'elles ont reçu, à la fin de 1988, une communication des griefs dans la même procédure, aurait dû leur servir d'avertissement spécifique et distingue leur situation de celle des autres entreprises sanctionnées en l'espèce.

Appréciation du Tribunal

570.
    Selon l'article 65, paragraphe 5, du traité:

«La Commission peut prononcer contre les entreprises qui auraient conclu un accord nul de plein droit, appliqué ou tenté d'appliquer, [...] un accord ou une décision nuls de plein droit [...] ou qui se livreraient à des pratiques contraires aux dispositions du paragraphe 1, des amendes et astreintes au maximum égales au double du chiffre d'affaires réalisé sur les produits ayant fait l'objet de l'accord, de la décision ou de la pratique contraires aux dispositions du présent article, sans préjudice, si cet objet est de restreindre la production, le développement technique ou les investissements, d'un relèvement du maximum ainsi déterminé à concurrence

de 10 % du chiffre d'affaires annuel des entreprises en cause, en ce qui concerne l'amende, et de 20 % du chiffre d'affaires journalier, en ce qui concerne les astreintes.»

Sur la motivation générale de la Décision en ce qui concerne l'amende

571.
    Il ressort de la jurisprudence que la motivation prescrite par l'article 15 du traité doit, d'une part, permettre à l'intéressé de connaître les justifications de la mesure prise, afin de faire valoir, le cas échéant, ses droits et de vérifier si la décision est ou non bien fondée, et, d'autre part, mettre le juge communautaire à même d'exercer son contrôle. L'exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte en cause, de la nature des motifs invoqués et du contexte dans lequel il a été adopté (arrêt NALOO/Commission, précité, points 298 et 300).

572.
    Pour ce qui est d'une décision infligeant des amendes à plusieurs entreprises pour une infraction aux règles communautaires de la concurrence, la portée de l'obligation de motivation doit être notamment appréciée à la lumière du fait que la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C-137/95 P, Rec. p. I-1611, point 54). En outre, lors de la fixation du montant de chaque amende, la Commission dispose d'un pouvoir d'appréciation et elle ne saurait être considérée comme tenue d'appliquer, à cet effet, une formule mathématique précise (arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150/89, Rec. p. II-1165, point 59).

573.
    En l'espèce, le Tribunal estime que la Décision contient, aux points 300 à 312, 314 et 315, un exposé suffisant et pertinent des facteurs pris en compte pour juger de la gravité, en général, des différentes infractions constatées. Ces indications sont d'ailleurs complétées, en ce qui concerne chacune des infractions retenues à l'article 1er de la Décision, par la description détaillée qui en est faite aux points 30 à 209 ainsi que par l'appréciation juridique portée aux points 210 à 296.

574.
    La Commission a, par ailleurs, conclu, au point 314 de la Décision, à l'existence d'une infraction de longue durée, qualification que la requérante n'a pas contestée en tant que telle. L'article 1er de la Décision détaille la durée prise en compte pour chaque infraction et exprime ainsi le principe selon lequel les amendes partielles correspondant aux différentes infractions sont ventilées en fonction de la durée de celles-ci. Le Tribunal estime qu'il s'agit là d'une motivation suffisante.

575.
    Le Tribunal a précisé, dans son arrêt du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission (T-148/89, Rec. p. II-1063, point 142), qu'il était souhaitable que les entreprises — afin de pouvoir arrêter leur position en toute connaissance de cause — puissent connaître en détail, selon tout système que la Commission jugerait opportun, le mode de calcul de l'amende qui leur a été infligée par une décision pour infraction

aux règles de concurrence, sans être obligées, pour ce faire, d'introduire un recours juridictionnel contre ladite décision.

576.
    Il en va d'autant plus ainsi lorsque, comme en l'espèce, la Commission a utilisé des formules arithmétiques détaillées aux fins du calcul des amendes. Dans un tel cas, il est souhaitable que les entreprises concernées et, le cas échéant, le Tribunal, soient mis en mesure de contrôler que la méthode employée et les étapes suivies par la Commission sont exemptes d'erreurs et compatibles avec les dispositions et principes applicables en matière d'amendes, et notamment avec le principe de non-discrimination.

577.
    Il y a toutefois lieu de relever que de telles données chiffrées, fournies à la demande d'une partie, ou du Tribunal, en application des articles 64 et 65 du règlement de procédure, ne constituent pas une motivation supplémentaire et a posteriori de la Décision, mais la traduction chiffrée des critères énoncés dans la Décision lorsque ceux-ci sont eux-mêmes susceptibles d'être quantifiés.

578.
    En l'espèce, bien que la Décision ne comporte pas d'indications relatives au calcul de l'amende, la Commission a fourni en cours d'instance, à la demande du Tribunal, les données chiffrées relatives, notamment, à la ventilation de l'amende entre les différentes infractions mises à charge des entreprises.

579.
    Il en résulte que, sous réserve des aspects relatifs à la majoration de l'amende du chef de «récidive», d'une part, et du comportement d'Usinor Sacilor, d'autre part, lesquels font l'objet ci-après (points 581 à 592 et 593 à 606, respectivement) d'un examen particulier, les arguments de la requérante tirés d'un défaut de motivation doivent être rejetés.

580.
    Il convient de rejeter pareillement, sous ces mêmes réserves, l'argument tiré du fait que l'amende infligée à la requérante est proportionnellement plus élevée que celle imposée à d'autres entreprises, notamment Preussag et ARBED, dès lors que cette différence s'explique par la prise en compte de circonstances atténuantes ou aggravantes dûment mentionnées dans la Décision.

Sur la majoration de l'amende pour «récidive»

581.
    Les points 305 et 306 de la Décision se lisent comme suit:

«305    Dans le communiqué de presse du 2 mai 1988, qu'elle a publié à la date de l'inspection qu'elle effectuait dans l'affaire de l'acier inoxydable aboutissant à la décision 90/417/CECA, la Commission a clairement averti qu'elle ne tolérerait pas d'accords illégaux organisés par le secteur.

306    En outre, des amendes ont été infligées à certaines sociétés en cause, (British Steel, Thyssen et Usinor Sacilor), pour leur participation à l'entente sur les produits plats en acier inoxydable, dans cette décision qui a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes en août 1990 et la

presse générale et spécialisée y a fait largement écho. L'attitude de la Commission à l'égard des accords et pratiques concertées illégaux était doncbien connue depuis au moins le mois de mai 1988.»

582.
    Il ressort des éléments de réponse donnés par la Commission en cours d'instance que, dans le cas de British Steel, de la requérante et de Thyssen, le montant total de l'amende de base, obtenu par l'addition des sous-montants attribués aux différentes infractions énumérées à l'article 1er, a été majoré d'un tiers, du fait du caractère récidiviste, eu égard à l'affaire acier inoxydable clôturée par la décision du 18 juillet 1990, du comportement de ces trois entreprises.

583.
    Le Tribunal estime que les points 305 et 306 de la Décision ne contiennent pas une motivation suffisante pour permettre aux entreprises en cause de comprendre que leur amende a ainsi été augmentée du chef de récidive, ni l'importance de cette augmentation, ni les raisons pour lesquelles la Commission a considéré qu'une telle augmentation était justifiée.

584.
    Le Tribunal relève, par ailleurs, que la notion de récidive, telle qu'elle est comprise dans un certain nombre d'ordres juridiques nationaux, implique qu'une personne a commis de nouvelles infractions après avoir été sanctionnée pour des infractions similaires. En l'espèce, le seul élément de cette nature tient au fait qu'une filiale de la requérante a été sanctionnée par la décision acier inoxydable du 18 juillet 1990. Or, la majeure partie de la période d'infraction, allant du 30 juin 1988 à la fin de 1990, retenue en l'espèce à l'encontre de la requérante, est antérieure à cette dernière décision.

585.
    Il s'ensuit que, dans la mesure où la majoration de l'amende infligée notamment à la requérante est justifiée par la considération que la Commission l'avait déjà sanctionnée pour des infractions similaires dans la décision acier inoxydable, la Décision est entachée d'une erreur de droit, cette circonstance ne pouvant être retenue comme circonstance aggravante pour ce qui est des infractions commises avant l'adoption de cette dernière décision.

586.
    Le Tribunal constate, ensuite, que, dans la mesure où la Commission s'appuie sur le fait qu'elle avait «averti» les entreprises par le biais du communiqué de presse publié dans l'affaire acier inoxydable (point 305 de la Décision), cette considération ne permet pas de distinguer la situation des trois entreprises visées par l'augmentation litigieuse de celle des autres destinataires de la Décision.

587.
    La Commission a toutefois exposé, devant le Tribunal, que le fait d'avoir fait l'objet d'une inspection dans le cadre de l'affaire acier inoxydable, ainsi que d'avoir reçu, à la fin de 1988, une communication des griefs dans la même procédure, aurait dû servir d'avertissement particulièrement clair aux trois entreprises concernées.

588.
    Le Tribunal constate, d'une part, que l'inspection effectuée en mai 1988 ne comporte pas, en elle-même, d'avertissement suffisamment défini, à l'instar de l'appréciation de comportements dûment constatés, pour être assimilée, dans le présent contexte, à une décision constitutive du premier élément d'une récidive. En

effet, les vérifications prévues par l'article 47, premier alinéa, du traité ne visent pas à constater une incompatibilité légale, mais ont uniquement pour objet de permettre à la Commission de recueillir la documentation nécessaire pour vérifier la réalité et la portée d'une situation de fait ou de droit déterminée (voir arrêt de la Cour du 26 juin 1980, National Panasonic/Commission, 136/79, Rec. p. 2033, point 21).

589.
    D'autre part, quoique le point 305 de la Décision fasse référence à l'inspection alors effectuée, aucun élément de la Décision ne fait état des explications spécifiquement données aux trois entreprises concernées, dans le cadre de ladite inspection, ni, en particulier, de la motivation dont les mandats ou les décisions de vérification étaient assortis. Rien ne permet donc de comprendre en quoi la situation des trois entreprises concernées se distingue de celle des autres producteurs.

590.
    Force est de constater, par ailleurs, que la Décision ne fait aucune mention de la communication des griefs dans l'affaire acier inoxydable. Or, la motivation d'une décision doit figurer dans le corps même de celle-ci et des explications postérieures fournies par la Commission ne sauraient, sauf circonstances particulières, être prises en compte (voir, en dernier lieu, arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Sarrió/Commission, T-334/94, Rec. p. II-1439, point 350).

591.
    En tout état de cause, par sa nature même une communication des griefs ne constitue qu'un acte préparatoire dépourvu de caractère décisionnel et ne crée pas, pour l'entreprise concernée, l'obligation de modifier ou de reconsidérer ses pratiques commerciales (arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. p. 2639, points 17 à 19; voir aussi arrêt du Tribunal du 18 décembre 1992, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-10/92, T-11/92, T-12/92 et T-15/92, Rec. p. II-2667, point 34). De surcroît la Commission n'a précisé devant le Tribunal ni la date ni le contenu de la communication des griefs sur laquelle elle s'appuie.

592.
    Il s'ensuit que l'article 4 de la Décision doit être annulé dans la mesure où il inflige à la requérante une majoration de l'amende sanctionnant le caractère récidiviste de son comportement.

Sur la majoration de l'amende sanctionnant le comportement d'Usinor Sacilor

593.
    Il ressort des explications détaillées fournies en cours d'instance par la Commission que l'amende infligée à la requérante au titre de l'harmonisation des suppléments a été majorée de 10 % pour tenir compte du fait que sa société mère, Usinor Sacilor, avait proposé cette harmonisation.

594.
    Force est de constater que cette circonstance aggravante ne se trouve mentionnée nulle part dans la Décision, et qu'elle a été pour la première fois évoquée dans la réponse de la partie défenderesse du 19 janvier 1998 aux questions écrites du Tribunal. La Décision est, dès lors, entachée d'un défaut total de motivation sur ce point.

595.
    Il s'ensuit que l'article 4 de la Décision doit être annulé dans la mesure où il inflige à la requérante une majoration de l'amende sanctionnant le rôle de promoteur joué par Usinor Sacilor dans l'harmonisation des suppléments.

596.
    Il ressort, par ailleurs, des explications détaillées fournies par la défenderesse en cours d'instance que l'amende infligée à la requérante au titre de l'échange d'informations confidentielles a été majorée de 10 % au motif qu'Usinor Sacilor a organisé le secrétariat de la commission poutrelles, fait non contesté au demeurant par la requérante.

597.
    Vu les considérations développées au point 321 de la Décision, dans lequel la Commission indique que «les amendes infligées à Unimétal tiennent compte du comportement de sa société mère dans la mesure où celle-ci a fourni une assistance administrative à la commission poutrelles», la Décision ne saurait être considérée comme entachée d'un défaut de motivation sur ce point. Par ces considérations, en effet, la requérante a été mise en mesure de comprendre que la Commission lui imputait le comportement adopté par sa société mère, consistant à faciliter, par la tenue du secrétariat, la perpétration des infractions commises au sein de la commission poutrelles, et que son amende était majorée de ce chef. Dans son recours, la requérante a d'ailleurs contesté cette imputation et cette majoration de l'amende en faisant valoir un certain nombre d'arguments de fond (voir points 561 et 562 ci-dessus).

598.
    A ce dernier égard, il convient tout d'abord de relever l'absence de contradiction entre les points 321 et 285 de la Décision. En effet, la Commission n'affirme aucunement, au point 285 de la Décision, que la contribution d'Usinor Sacilor aux activités du groupe Eurofer/Scandinavie, dont elle assurait le secrétariat, n'a pas été constitutive d'une participation à une infraction à l'article 65, paragraphe 1, du traité. Tout au plus indique-t-elle que cette contribution n'a pas été suffisamment «substantielle et individuelle» pour justifier l'adoption d'une décision distincte de celle adressée à sa filiale Unimétal. Par ailleurs, le point 321 de la Décision doit être lu à la lumière du point 319, qui indique que, dans le cas où plus d'une société d'un groupe a pris part aux infractions, ce sont les entreprises de production qui sont destinataires de la Décision, étant donné que ce sont elles qui ont le plus à gagner d'informations anticipées sur les prix et les volumes. Le point 321 de la Décision fait application de ce principe au cas particulier d'Unimétal, identifiée comme étant la filiale d'Usinor Sacilor productrice de poutrelles, tout en précisant que les amendes infligées à Unimétal tiennent compte du comportement de sa société mère dans la mesure où celle-ci a fourni une assistance administrative à la commission poutrelles.

599.
    En tout état de cause, il convient de relever que le point 285 de la Décision concerne uniquement les activités du groupe Eurofer/Scandinavie, et ne vise donc que la seule infraction de fixation de prix sur le marché danois, tandis que le point 321 de la Décision vise les activités de la commission poutrelles. Or, il ressort des explications fournies par la Commission en cours d'instance que la majoration de 10 % infligée à Unimétal, à titre de circonstance aggravante, pour tenir compte du comportement d'Usinor Sacilor, ne concerne que la fraction de l'amende imposée

au titre de l'échange d'informations confidentielles au sein de la commission poutrelles.

600.
    Quant à la régularité de l'imputation ainsi opérée, il convient de relever tout d'abord que, à l'instar de l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE, celle de l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA s'adresse, notamment, à des «entreprises». Or, il ressort de la jurisprudence du Tribunal (voir arrêt Shell/Commission, précité, point 311) que la notion d'entreprise, au sens de l'article 85 du traité CE, doit être comprise comme désignant une entité économique consistant en une organisation unitaire d'éléments personnels, matériels et immatériels poursuivant de façon durable un but économique déterminé, organisation pouvant concourir à la commission d'une infraction visée par cette disposition (voir également arrêt de la Cour du 12 juillet 1984, Hydrotherm, 170/83, Rec. p. 2999, point 11, et arrêt du Tribunal du 12 janvier 1995, Viho/Commission, T-102/92, Rec. p. II-17, point 50, confirmé par arrêt de la Cour du 24 octobre 1996, Viho/Commission, C-73/95 P, Rec. p. I-5457, points 15 à 18). Le Tribunal estime qu'il en va de même au sens de l'article 65 du traité CECA.

601.
    En l'espèce, Usinor Sacilor et sa filiale à 100 % Unimétal doivent être considérées comme constituant une seule et même entreprise au sens de cette dernière disposition.

602.
     Il y a également lieu de relever que, selon la jurisprudence de la Cour, en considération de l'unité du groupe économique formé par une société mère et ses filiales, les agissements des filiales peuvent, dans certaines circonstances, être imputés à la société mère, notamment lorsque la filiale, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont imparties par la société mère (voir arrêt ICI/Commission, précité, points 132 à 135). De même, il ressort de la jurisprudence du Tribunal que la société responsable de la coordination de l'action d'un groupe de sociétés peut se voir imputer la responsabilité des infractions commises par les sociétés du groupe, même si celles-ci ne sont pas des filiales au sens juridique du terme (voir arrêt Shell/Commission, précité, points 312 à 315).

603.
    Eu égard au concept fondamental d'unité économique qui sous-tend cette jurisprudence, le Tribunal estime que celle-ci peut être appliquée à la situation inverse, telle qu'elle se présente dans les circonstances de l'espèce.

604.
    Dans la mesure où, par son activité administrative de secrétariat, Usinor Sacilor a facilité la perpétration des infractions commises au sein de la commission poutrelles, la Commission était, en effet, fondée à prendre cette assistance en compte afin de mesurer l'implication et le rôle exacts de l'entreprise en cause dans les pratiques litigieuses.

605.
    La Commission était, par ailleurs, fondée à imputer le comportement d'Usinor Sacilor à sa filiale Unimétal, plutôt que l'inverse, dans la mesure où il apparaît que,

dans les circonstances particulières de l'espèce, la requérante, en tant que filiale responsable de la production de poutrelles au sein du groupe Usinor Sacilor, est le principal auteur et bénéficiaire des infractions commises, tandis que sa société mère s'est cantonnée dans un rôle accessoire d'assistance administrative. Il convient de relever, à cet égard, que dans ses écritures la requérante a souligné qu'Usinor Sacilor n'avait aucun poids décisionnel et aucune liberté d'initiative lorsqu'elle assumait les fonctions de secrétariat administratif de la commission poutrelles.

606.
    Il résulte de ce qui précède que les arguments de la requérante en rapport avec la majoration de l'amende du chef de l'assistance administrative apportée par Usinor Sacilor au fonctionnement de la commission poutrelles doivent être rejetés comme non fondés.

Sur l'incidence économique des infractions

607.
    L'argument de la requérante, étayé par l'étude du Pr Bishop, selon lequel les pratiques incriminées en l'espèce n'ont eu aucune incidence notable sur le niveau de la concurrence, est à rapprocher de l'argument d'autres requérantes dans les affaires parallèles, qui reprochent également à la Commission, en substance, de ne pas avoir sérieusement étudié les effets économiques du cartel sur le marché et de s'être fondée sur de simples conjectures, alors que la Commission serait tenue d'examiner les incidences économiques des infractions pour en apprécier la gravité et de prendre en compte, le cas échéant, le caractère limité de ces incidences (arrêts de la Cour Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, précité, points 51 et suivants, et du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73, 55/73, 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, points 614 et suivants), surtout dans le cadre d'un marché réglementé comme celui de la CECA.

608.
    Dans leur plaidoirie commune consacrée à cet aspect de l'affaire, les requérantes ont combiné cette argumentation avec la thèse selon laquelle l'article 65, paragraphe 5, du traité ne viserait que les comportements ayant un effet anticoncurrentiel, et non pas ceux ayant seulement un tel objet.

609.
    Les requérantes se sont également référées au témoignage de M. Kutscher selon lequel, en période de conjoncture économique favorable, comme c'était le cas entre 1988 et 1990, il est normal et quasiment automatique de voir les prix des entreprises augmenter, chacune d'elles cherchant à profiter des hausses décidées par ses concurrentes, de sorte qu'il ne pouvait être inféré des profits réalisés à l'époque par les entreprises que celles-ci se concertaient sur les prix. Selon les requérantes, ce témoignage contredit les développements exposés aux points 302 à 304 de la Décision.

610.
    Comme le Tribunal l'a déjà indiqué (points 258 et 262 ci-dessus), il n'est pas nécessaire, pour constater une infraction à l'article 65, paragraphe 1, du traité, d'établir que le comportement en cause a eu un effet anticoncurrentiel. Il en va de même en ce qui concerne l'imposition d'une amende au titre de l'article 65, paragraphe 5, du traité.

611.
    Il s'ensuit que l'effet qu'a pu avoir un accord ou une pratique concertée sur le jeu normal de la concurrence n'est pas un critère déterminant dans l'appréciation du montant adéquat de l'amende. Comme l'a relevé à juste titre la Commission, des éléments relevant de l'aspect intentionnel, et donc de l'objet d'un comportement, peuvent en effet avoir plus d'importance que ceux relatifs à ses effets (voir les conclusions du juge M. Vesterdorf, faisant fonction d'avocat général sous les arrêts polypropylène, Rec. 1991, p. II-1022 et suivantes), surtout lorsqu'ils ont trait à des infractions intrinsèquement graves, telles que la fixation des prix et la répartition des marchés. Le Tribunal estime que ces éléments sont présents en l'espèce.

612.
    La partie défenderesse reconnaît toutefois que l'appréciation des effets d'une infraction peut être pertinente, en matière d'amendes, lorsque la Commission se fonde expressément sur un effet et ne parvient pas à le prouver ou à fournir de bonnes raisons d'en tenir compte (voir, également en ce sens, les conclusions du juge M. Vesterdorf, faisant fonction d'avocat général, sous les arrêts polypropylène, Rec. p. II-1023).

613.
    A cet égard, la Commission a expliqué, aux points 222 et 293 de la Décision, que les entreprises en cause représentaient une grande partie du marché communautaire des poutrelles, tous les grands producteurs étant impliqués, et que l'effet des infractions était dès lors loin d'être négligeable. La Commission s'est également référée, notamment au point 222, aux propres documents des producteurs, qui reflètent leur opinion, selon laquelle les hausses de prix dont il est question avaient été acceptées par les consommateurs. Au point 303 de la Décision, la Commission a chiffré l'augmentation totale des recettes ainsi obtenue à au moins 20 millions d'écus pour les deux premiers trimestres de 1989.

614.
    Dans ces circonstances, le Tribunal estime que la Commission a pu légitimement tenir compte de l'incidence économique appréciable des infractions sur le marché lors du calcul de l'amende.

615.
    Toutefois, il y a lieu de relever que, dans son témoignage à l'audience, M. Kutscher, qui a acquis une expérience considérable du secteur de l'acier dans ses fonctions à la DG III, a exprimé l'avis selon lequel des hausses de prix de l'ordre de grandeur de celles constatées en l'espèce sur le marché, à l'époque des faits, étaient normalement à attendre, vu la conjoncture économique favorable de l'époque. M. Kutscher a indiqué que cet état de fait était l'une des raisons pour lesquelles il n'avait pas soupçonné l'existence d'un cartel organisé par les producteurs.

616.
    Force est de constater, en outre, que la méthode de travail adoptée par la Commission dans le cadre de la préparation des programmes prévisionnels et du régime de surveillance de la décision n° 2448/88 a amené les entreprises à devoir se réunir préalablement à leurs réunions avec la DG III et à échanger leurs vues sur la situation économique du marché et les tendances futures, notamment en matière de prix, afin de pouvoir en présenter une synthèse à la DG III. De telles réunions préparatoires, impliquant les principaux responsables commerciaux des

entreprises concernées, étaient d'ailleurs nécessaires à la réussite du régime de surveillance, la Commission n'étant pas elle-même en mesure de recueillir et de faire analyser, en temps utile, les données individuelles fournies par les entreprises, ainsi que M. Kutscher l'a confirmé à l'audience. Il est également constant que les données fournies par les entreprises lors de ces réunions étaient utiles à la DG III, notamment aux fins de la préparation des programmes prévisionnels.

617.
    Il ressort par ailleurs du témoignage de M. Kutscher que, à l'époque, la DG III voyait d'un assez bon oeil que, après une longue période de pertes, l'industrie sidérurgique, encore fragile, renoue avec les bénéfices, réduisant ainsi le risque d'un retour au régime de crise manifeste.

618.
    Le Tribunal estime que, en se comportant de la sorte dans le cadre du régime de surveillance, entre le milieu de l'année 1988 et la fin de 1990, la DG III a introduit une certaine ambiguïté dans la portée du concept de «jeu normal de la concurrence» au sens du traité CECA. Même s'il n'est pas nécessaire, aux fins du présent arrêt, de se prononcer sur la question de savoir jusqu'à quel point les entreprises pouvaient échanger des données individuelles en vue de préparer des réunions de consultation avec la Commission sans, de ce fait, enfreindre l'article 65, paragraphe 1, du traité, tel n'étant pas l'objet des réunions de la commission poutrelles, il n'en demeure pas moins que les effets des infractions commises en l'espèce ne peuvent pas être déterminés en comparant simplement la situation découlant des accords restrictifs de la concurrence avec celle qui aurait existé en l'absence de toute prise de contact entre les entreprises. En l'espèce, il est plus pertinent de comparer la situation découlant des accords restrictifs de la concurrence, d'une part, et la situation envisagée et acceptée par la DG III, dans laquelle les entreprises étaient censées se réunir et engager des discussions généralisées, notamment à propos de leurs prévisions de prix futurs, d'autre part.

619.
    A cet égard, on ne saurait exclure que, même en l'absence d'accords du type de ceux qui ont été conclus en l'espèce au sein de la commission poutrelles, des échanges de vues entre entreprises sur leurs «prévisions» de prix, du type de ceux qui étaient considérés comme légitimes par la DG III, auraient pu faciliter l'adoption, par les entreprises concernées, d'un comportement concerté sur le marché. Ainsi, à supposer que les entreprises se soient bornées à un échange de vues généralisé et non contraignant à propos de leurs attentes en matière de prix, aux seules fins de préparer les réunions de consultation avec la Commission, et aient dévoilé à celle-ci la nature précise de leurs réunions préparatoires, il n'est pas exclu que de tels contacts entre entreprises, acceptés par la DG III, auraient pu renforcer un certain parallélisme de comportement sur le marché, notamment en ce qui concerne les hausses de prix provoquées, au moins partiellement, par la conjoncture économique favorable de 1989.

620.
    Le Tribunal estime, dès lors, que, au point 303 de la Décision la Commission a exagéré l'incidence économique des accords de fixation de prix constatés en l'espèce par rapport au jeu de la concurrence qui aurait existé en l'absence de telles infractions, eu égard à la conjoncture économique favorable et à la latitude laissée aux entreprises pour mener des discussions généralisées en matière de

prévisions de prix, entre elles et avec la DG III, dans le cadre de réunions régulièrement organisées par cette dernière.

621.
    En tenant compte de ces considérations, le Tribunal estime, dans le cadre de l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, qu'il y a lieu de réduire de 15 % l'amende infligée à la requérante au titre des divers accords et pratiques concertées de fixation de prix. En revanche il n'y a pas lieu d'opérer la même réduction pour les accords de répartition de marché ni pour les échanges d'informations sur les commandes et les livraisons, auxquels les mêmes considérations ne s'appliquent pas.

Sur l'appréciation de la gravité des infractions

622.
    Dans la mesure où la requérante soutient que l'amende qui lui a été infligée est disproportionnée par rapport à la gravité des infractions commises, il convient de souligner que des infractions consistant en des accords de fixation de prix et de répartition des marchés, du type de celles auxquelles sa participation a déjà été constatée par le Tribunal, sont incontestablement graves et sont d'ailleurs expressément mentionnées à l'article 65, paragraphe 1, du traité. C'est à juste titre,dès lors, que la Commission a considéré que ces infractions justifiaient l'imposition de lourdes amendes, au point 300 de la Décision.

623.
    Par ailleurs, le Tribunal a déjà constaté, dans la partie D ci-dessus, que le communiqué de presse du 4 mai 1988 auquel se réfère le point 305 de la Décision constitue un avertissement clair rappelant aux entreprises qu'elles étaient tenues de respecter les dispositions de l'article 65, paragraphe 1, du traité. La Commission était en droit de tenir compte de cette circonstance aux fins du calcul de l'amende.

624.
    Quant à la décision acier inoxydable, le Tribunal a déjà constaté que celle-ci ne constituait pas une circonstance aggravante qui pouvait légitimement être invoquée à l'encontre de la requérante (voir points 584 et 585 ci-dessus).

625.
    En revanche, le Tribunal estime que les trois éléments de preuve spécifiquement mentionnés au point 307 de la Décision, qui sont des notes internes respectivement rédigées par Usinor Sacilor, Peine-Salzgitter et Eurofer, ne sont pas invoqués à titre de circonstance aggravante spécifique à charge des trois intéressées, mais tendent plutôt à démontrer, conjointement avec les points 305 et 306, que l'ensemble des entreprises destinataires de la Décision avaient conscience d'enfreindre l'interdiction de l'article 65, paragraphe 1, du traité. Pour les raisons déjà exposées (voir la partie D ci-dessus), le Tribunal considère que la requérante ne pouvait pas ignorer que son comportement était illégal.

626.
    Dans ces circonstances, le Tribunal estime, dans le cadre de l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, que la Commission n'a commis aucune erreur dans son appréciation de la gravité des infractions en cause en l'espèce.

627.
    Par ailleurs, il ressort des explications détaillées fournies en cours d'instance par la partie défenderesse que, lors du calcul de l'amende, l'échange d'informations

confidentielles a été affecté d'un coefficient maximum de 1,5 % du chiffre d'affaires pertinent, alors que la fixation des prix et la répartition des marchés étaient affectés d'un coefficient maximum de 3 %. Le Tribunal considère que cette pondération reflète adéquatement la gravité respective de ces trois types d'infractions, et que la Commission n'a commis aucune erreur d'appréciation à cet égard.

Sur l'appréciation de la situation économique de la requérante et de l'industrie sidérurgique

628.
    Quant à l'argument selon lequel l'amende de la requérante est disproportionnée du fait que sa production de poutrelles aurait été déficitaire en 1991 et 1992, le Tribunal rappelle que, au point 301 de la Décision, la Commission s'est référée à la situation des entreprises à l'époque de l'adoption de la Décision, en considérant que «les producteurs d'acier ne font généralement pas de bénéfices actuellement». Il est également constant que la situation économique difficile des entreprises sidérurgiques à l'époque de l'adoption de la Décision a été prise en considération au travers, notamment, des délais de paiement visés à l'article 5.

629.
    Le Tribunal estime que la Commission est en principe en droit de retenir une telle solution, qui tient compte de la situation actuelle des entreprises tout en maintenant les amendes à un niveau qui lui paraît approprié (voir arrêt de la Cour du 10 décembre 1957, ALMA/Haute Autorité, 8/56, Rec. p. 179, 192).

630.
    De même, le fait que l'amélioration du marché apparue entre 1988 et 1990 n'ait été que passagère et que, en dehors de cette période, la production de poutrelles de la requérante a été déficitaire, ne suffit pas, en lui-même, pour démontrer que la Commission a commis une erreur d'appréciation. Les données soumises au Tribunal confirment que la période prise en compte aux fins de l'amende a été marquée par une nette amélioration par rapport aux années précédentes et a permis aux entreprises de réaliser des bénéfices en dépit de l'état de surcapacité structurelle du marché.

631.
    En tout état de cause, la reconnaissance d'une obligation, imposant à la Commission de tenir compte, lors de la détermination de l'amende, de la situation financière déficitaire d'une entreprise reviendrait à procurer un avantage concurrentiel injustifié aux entreprises les moins adaptées aux conditions du marché (arrêt de la Cour du 8 novembre 1983, IAZ e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec. p. 3369, point 55; arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Fiskeby Board/Commission, T-319/94, Rec. p. II-1331, point 76).

632.
    Il y a donc lieu de rejeter les arguments tirés de la situation économique de la requérante et de l'industrie sidérurgique au moment de l'adoption de la Décision.

Sur la violation du principe de protection de la confiance légitime et le défaut d'adoption de mesures transitoires après la fin du régime de crise

633.
    Le Tribunal a déjà constaté que la prétendue participation de la Commission aux infractions reprochées à la requérante n'est nullement établie en l'espèce (voir partie D ci-dessus). Le Tribunal a également constaté que la requérante ne pouvait ignorer l'illégalité des comportements concernés, à tout le moins à partir du 30 juin 1988, comme le confirme d'ailleurs la note interne d'Usinor Sacilor citée au point 105 de la Décision et mentionnée, à titre de circonstance aggravante, au point 307 de la Décision, et que la Commission n'a pas «aligné» de manière illégale le traité CECA sur le traité CE.

634.
    Il convient de rappeler encore une fois que les infractions que constituent des accords de fixation de prix et de répartition de marchés, tels que ceux auxquels la participation de la requérante a été dûment établie, sont explicitement visées à l'article 65, paragraphe 1, du traité et présentent donc un caractère patent.

635.
    Le Tribunal a, par ailleurs, jugé (voir point 383 ci-dessus) que les échanges d'informations confidentielles avaient un objet analogue à une répartition de marchés par référence aux flux traditionnels. La requérante ne pouvait pas raisonnablement penser que de tels échanges ne relevaient pas de l'article 65, paragraphe 1, du traité. Au contraire, le fait que les membres de la commission poutrelles avaient conscience de leur illégalité peut être déduit du double système de monitoring mis en place au sein d'Eurofer, dont l'un, portant sur des données agrégées, a été spontanément porté à la connaissance des DG III et IV, tandis que l'autre, portant sur des données individualisées, était réservé aux seules entreprises participantes, dont la requérante (voir points 512 et suivants ci-dessus).

636.
    Il ressort également des constatations opérées par le Tribunal (voir points 479 et suivants ci-dessus) que la Commission n'était pas tenue de prévoir des mesures de transition particulières après l'expiration du régime de crise manifeste, le 30 juin 1988. S'agissant, plus particulièrement, de la fragilité et des prétendues difficultés d'adaptation de l'industrie à la fin du régime de crise, le Tribunal a déjà constaté que les entreprises savaient, dès septembre 1985, sinon plus tôt, qu'elles étaient entrées dans un régime de transition. La Commission a par ailleurs adopté diverses mesures destinées à accompagner la transition, notamment le régime de surveillance prévu par la décision n° 2448/88.

637.
    Il s'ensuit que les arguments tirés d'une violation du principe de protection de la confiance légitime et du défaut d'adoption de mesures transitoires après le 30 juin 1988 doivent être rejetés.

Sur l'amende infligée à la requérante pour sa participation aux systèmes d'échanges d'informations

638.
    Pour les raisons exposées aux points 361 et suivants ci-dessus, le Tribunal a déjà constaté que la participation de la requérante aux systèmes d'échange d'informations décrits aux points 263 à 271 de la Décision doit être considérée comme une infraction autonome à l'article 65, paragraphe 1, du traité. Il s'ensuit que c'est à juste titre que la Commission a tenu compte de cette infraction distincte dans le calcul de l'amende infligée à la requérante.

Sur la double application du taux de base retenu aux fins de l'amende

639.
    A l'audience, les requérantes ont fait valoir que la mise en oeuvre du taux de base de 7,5 % du chiffre d'affaires a effectivement donné lieu à l'application d'un taux de base réel de 13 %, à savoir 2,5 % pour les accords de prix au sein de la commission poutrelles, plus 0,5 % pour l'harmonisation des suppléments, plus 2,5 % pour les accords de prix sur les divers marchés nationaux individuels, plus 3 % pour les accords de répartition de marchés conclus au sein de la commission poutrelles, plus 3 % pour les accords de répartition des divers marchés nationaux, plus 1,5 % pour l'échange d'informations.

640.
    Il ressort effectivement des indications fournies par la Commission en cours d'instance que, comme l'ont fait valoir les requérantes, l'amende pouvait théoriquement s'élever à 13 % du chiffre d'affaires, par suite de l'addition des divers taux mentionnés au point 548 ci-dessus. Toutefois, dans ses calculs, la Commission a également modulé le montant des amendes en fonction de la durée et de l'étendue géographique de chaque infraction, de sorte que, dans la pratique, les amendes infligées aux entreprises sont loin d'atteindre le taux de base de 7,5 %, et plus encore un taux de 13 %. Par conséquent, l'argument des requérantes est sans incidence sur le montant des amendes qui leur ont effectivement été infligées.

641.
    Dans ces conditions, à supposer même que certaines des infractions se chevauchent partiellement (par exemple, les accords sur les prix au sein de la commission poutrelles et certains accords de prix sur les différents marchés nationaux) et qu'il y ait une relation entre certaines infractions (par exemple entre le monitoring des commandes et des livraisons et certains accords de répartition de marché), le Tribunal estime, dans le cadre de l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, qu'il n'y a pas lieu de réduire, à ce titre, l'amende infligée à la requérante, dès lors que le montant global de l'amende, tel que fixé ci-après, constitue une sanction appropriée pour l'ensemble des infractions en cause.

642.
    Le Tribunal estime, dès lors, qu'il y a lieu de rejeter l'argument ainsi avancé par les requérantes à l'audience.

Sur le niveau général des amendes retenu par la Décision par rapport à d'autres décisions CECA de la Commission et par rapport aux dispositions de l'article 65, paragraphe 5, du traité

643.
    Dans sa requête, et dans le cadre de la plaidoirie commune à l'audience, la requérante s'est notamment référée, pour contester le niveau général des amendes, à la décision acier inoxydable. Cette argumentation ne saurait être retenue.

644.
    En premier lieu, les infractions prises en compte pour l'amende infligée dans la décision acier inoxydable avaient toutes été commises au cours de la période de crise manifeste. En deuxième lieu, les entreprises n'ont pas établi, en l'espèce, que les fonctionnaires de la DG III avaient connaissance des comportements dénoncés dans la Décision, de sorte que la circonstance atténuante correspondante, reconnue dans la décision acier inoxydable, ne saurait être retenue dans la présente affaire. En troisième lieu, compte tenu de l'avertissement qu'a constitué, notamment, le communiqué de presse cité au point 305 de la Décision, il ne saurait être question, comme ce le fut à l'époque de l'adoption de la décision acier inoxydable, d'un malentendu éventuel sur la portée de l'article 65, paragraphe 1, du traité.

645.
    Il y a lieu d'ajouter que, selon la jurisprudence relative au traité CE, le fait que la Commission a sanctionné, dans le passé, d'amendes d'un certain niveau certains types d'infractions ne saurait la priver de la possibilité d'élever ce niveau dans les limites indiquées par la réglementation applicable si cela est nécessaire pour assurer l'efficacité de la politique communautaire de la concurrence (voir arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80, 101/80, 102/80 et 103/80, Rec. p. 1825, point 109). Cet impératif d'une politique efficace de la concurrence est également inhérent à l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA auquel cette jurisprudence est donc transposable, contrairement à ce qu'affirme la requérante.

646.
    Le fait que la Décision n'a été précédée que d'un nombre relativement réduit de cas d'application de l'article 65, paragraphe 5, du traité, ou que la Commission n'a pas infligé de lourdes amendes au titre de cette disposition, notamment dans le contexte de la crise, est donc dépourvu de pertinence.

647.
    Ne saurait davantage être retenu l'argument développé à l'audience, selon lequel le niveau général des amendes est excessif eu égard aux différences entre le traité CE et le traité CECA. Bien que certaines dispositions du traité CECA, notamment l'article 60, restreignent par elles-mêmes le libre jeu de la concurrence, le plafond absolu de 10 % du chiffre d'affaires annuel de l'entreprise en cause, prévu par l'article 65, paragraphe 5, dudit traité pour les restrictions les plus graves à la concurrence, est identique au plafond absolu prévu par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204). Le Tribunal rappelle, en outre, que dans le cas d'espèce l'article 65, paragraphe 5, du traité permet d'infliger des amendes pouvant atteindre le double du chiffre d'affaires relatif au produit concerné.

648.
    Pour autant que, dans leur plaidoirie commune, les requérantes ont souligné le fait que les infractions ne visaient pas à restreindre la production, le développement technique ou les investissements, au sens de l'article 65, paragraphe 5, du traité, le Tribunal constate que c'est à bon droit que la Commission n'en a pas tenu compte en tant que circonstance atténuante. En effet, de telles restrictions ont, dans l'économie de l'article 65, paragraphe 5, du traité, la fonction de circonstances aggravantes permettant de dépasser le plafond normal du double du chiffre d'affaires du produit concerné. Or, en l'espèce, l'amende est de loin inférieure à ce plafond.

Sur la comparaison des amendes infligées par la Décision avec celles infligées par la décision Ciment

649.
    Dans le cadre de la plaidoirie commune, il a également été soutenu que, dans la décision Ciment, la Commission a infligé des amendes de l'ordre de 4 % du chiffre d'affaires pour des infractions considérées comme graves et ayant duré dix ans. Les requérantes en déduisent, sur la base d'une communication récente de la Commission (Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, JO 1998, C 9, p. 3, ci-après «lignes directrices») que, dans ladite affaire Ciment, celle-ci a appliqué, avant de faire intervenir des augmentations liées à la durée des infractions, une amende de base de 2 %. Or, sur la base du même calcul, le taux de base s'élèverait, en l'espèce, à 6 %. Le montant des amendes doit donc, selon les requérantes, être divisé par trois.

650.
    Le Tribunal estime qu'aucune comparaison directe ne saurait être opérée entre le niveau général des amendes retenu dans la Décision et celui retenu dans la décision Ciment.

651.
    En premier lieu, le calcul opéré dans la Décision, qui est antérieure aux lignes directrices, n'a pas été effectué en recourant à la méthode qui y est prévue et qui implique une amende de base et des augmentations en fonction de la durée.

652.
    En deuxième lieu, la décision Ciment est elle aussi antérieure auxdites lignes directrices et n'indique pas qu'elle aurait suivi la méthode qu'elles prévoient.

653.
    En troisième lieu, le Tribunal estime que le cadre factuel et juridique du cas d'espèce est trop éloigné de celui de l'affaire Ciment pour qu'une comparaison détaillée entre les deux décisions soit utile aux fins de l'appréciation de l'amende qui doit être infligée à la requérante en l'espèce.

654.
    Il résulte de ce qui précède que, sous réserve de ce qui sera dit ci-après, l'ensemble des arguments de la requérante portant sur le montant des amendes doivent être rejetés.

Sur l'exercice par le Tribunal de son pouvoir de pleine juridiction

655.
    Il convient de rappeler que le Tribunal a déjà annulé l'article 1er de la Décision en ce qu'il constate la participation de la requérante à un accord de répartition du marché italien (voir point 403 ci-dessus). L'amende infligée par la Commission pour cette infraction a été évaluée à 70 600 écus.

656.
    Pour les raisons exposées au point 422 ci-dessus, il y a par ailleurs lieu d'exclure la période comprise entre le 1er juillet et le 31 décembre 1988 aux fins du calcul de l'amende relative à l'infraction de fixation de prix sur le marché danois, ce qui implique, dans le cas de la requérante, une réduction de l'amende de 16 800 écus, selon la méthodologie suivie par la Commission.

657.
    Le Tribunal a également annulé la majoration de l'amende infligée à la requérante pour le caractère prétendument récidiviste de son comportement, chiffré par la Commission à un montant de 3 074 200 écus, pour les raisons exposées ci-dessus (points 581 et suivants).

658.
    De même, le Tribunal a annulé la majoration de l'amende infligée à la requérante au titre du rôle de promoteur joué par Usinor Sacilor dans l'harmonisation des suppléments (point 595 ci-dessus). Cette majoration a été chiffrée par la Commission à un montant de 84 000 écus.

659.
    Enfin, pour les raisons exposées ci-dessus (points 615 à 621), le Tribunal estime qu'il y a lieu de réduire de 15 % le montant total de l'amende infligée pour les accords et pratiques concertées de fixation de prix, en raison du fait que la Commission a, dans une certaine mesure, exagéré les effets anticoncurrentiels des infractions constatées. En tenant compte de la réduction déjà évoquée en ce qui concerne les accords de prix sur le marché danois, cette réduction s'élève à 777 800 écus, selon la méthode de calcul utilisée par la Commission.

660.
    En application de la méthodologie de la Commission, l'amende infligée à la requérante devrait donc être réduite de 4 023 400 écus.

661.
    Par nature, la fixation d'une amende par le Tribunal, dans le cadre de l'exercice de son pouvoir de pleine juridiction, n'est pas un exercice arithmétique précis. Par ailleurs, le Tribunal n'est pas lié par les calculs de la Commission, mais doit effectuer sa propre appréciation, en tenant compte de toutes les circonstances de l'espèce.

662.
    Le Tribunal estime que l'approche générale retenue par la Commission pour déterminer le niveau des amendes (points 548 et suivants ci-dessus) est justifiée par les circonstances de l'espèce. En effet, les infractions consistant à fixer des prix et à répartir des marchés, qui sont expressément interdites par l'article 65, paragraphe 1, du traité, doivent être considérées comme particulièrement graves dès lors qu'elles comportent une intervention directe dans les paramètres essentiels de la concurrence sur le marché concerné. De même, les systèmes d'échange d'informations confidentielles reprochés à la requérante ont eu un objet analogue à une répartition des marchés selon les flux traditionnels. Toutes les infractions prises en compte aux fins de l'amende ont été commises, après la fin du régime de crise, après que les entreprises eurent reçu des avertissements pertinents. Comme le Tribunal l'a constaté, l'objectif général des accords et pratiques en cause était précisément d'empêcher ou de fausser le retour au jeu normal de la concurrence, qui était inhérent à la disparition du régime de crise manifeste. En outre, les entreprises avaient connaissance de leur caractère illégal et les ont sciemment cachés à la Commission.

663.
    Compte tenu de tout ce qui précède, d'une part, et, de la prise d'effet, à compter du 1er janvier 1999, du règlement (CE) n° 1103/97 du Conseil, du 17 juin 1997, fixant certaines dispositions relatives à l'introduction de l'euro (JO L 162, p. 1), d'autre part, le montant de l'amende doit être fixé à 8 300 000 euros.

Sur les dépens

664.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Le recours n'ayant été que partiellement accueilli, le Tribunal fera une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la partie requérante supportera ses propres dépens et la moitié des dépens de la partie défenderesse.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    L'article 1er de la Décision 94/215/CECA de la Commission, du 16 février 1994, relative à une procédure d'application de l'article 65 du traité CECA concernant des accords et pratiques concertées impliquant des producteurs européens de poutrelles, est annulé pour autant qu'il retient à charge de la requérante sa participation à un accord de répartition du marché italien d'une durée de trois mois.

2)    Le montant de l'amende infligée à la requérante par l'article 4 de la décision 94/215/CECA est fixé à 8 300 000 euros.

3)    Le recours est rejeté pour le surplus.

4)    La partie requérante supportera ses propres dépens ainsi que la moitié des dépens de la partie défenderesse. La partie défenderesse supportera la moitié de ses propres dépens.

Bellamy

Potocki
Pirrung

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 mars 1999.

Le greffier

Le président

H. Jung

C. W. Bellamy

Table des matières

     Faits à l'origine du recours

II - 2

     A — Observations liminaires

II - 2

     B — Relations entre l'industrie sidérurgique et la Commission entre 1970 et 1990

II - 3

         Crise des années 70 et création d'Eurofer

II - 3

         Régime des quotas instauré de 1980 à 1988

II - 4

         Événements précédant la fin du régime de crise manifeste, le 30 juin 1988

II - 8

         Régime de surveillance mis en place à partir du 1er juillet 1988

II - 12

         Décision «acier inoxydable» du 18 juillet 1990

II - 14

         Réflexions menées par la Commission, à partir de 1990, sur l'avenir du traité CECA

II - 14

     C — Procédure administrative devant la Commission

II - 15

     D — Décision

II - 16

     Procédure devant le Tribunal, développements postérieurs à l'introduction du recours et conclusions des parties

II - 18

     Sur la demande principale tendant à l'annulation de la Décision

II - 22

     A — Sur la violation des droits de la défense de la partie requérante

II - 23

         Sur la limitation de l'accès au dossier de la Commission

II - 23

             Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante

II - 23

             Appréciation du Tribunal

II - 24

         Sur le refus de procéder à une réouverture des débats

II - 26

     B — Sur la violation des formes substantielles

II - 32

         Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante

II - 32

         Appréciation du Tribunal

II - 34

             Sur la recevabilité

II - 34

             Sur l'absence de quorum

II - 35

             Sur l'absence de correspondance formelle entre la Décision adoptée et celle notifiée à la partie requérante

II - 38

             Sur le défaut d'authentification de la Décision

II - 40

             Sur le défaut d'indication de la date de signature du procès-verbal

II - 41

     C — Sur la violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité

II - 42

         Sur la fixation de prix (prix cibles) au sein de la commission poutrelles

II - 42

             1. Sur la matérialité des faits

II - 42

                 Observations liminaires

II - 43

                 Accords prétendument conclus en 1986 et 1987

II - 45

                 Accord concernant les prix en Allemagne et en France prétendument conclu avant le 2 février 1988

II - 46

                 Prix cibles prétendument fixés avant le 25 juillet 1988

II - 46

                 Prix cibles prétendument fixés le 18 octobre 1988

II - 47

                 Prix cibles prétendument arrêtés lors de la réunion du 10 janvier 1989

II - 49

                 Prix cibles pour les marchés italien et espagnol prétendument arrêtés lors de la réunion du 7 février 1989

II - 50

                 Prix cibles prétendument convenus lors de la réunion du 19 avril 1989

II - 51

                 Fixation des prix applicables au Royaume-Uni à partir du mois de juin 1989

II - 52

                 Accord prétendument intervenu lors de la réunion du 11 juillet 1989, en vue de reconduire au quatrième trimestre, sur le marché allemand, les prix cibles du troisième trimestre de cette même année

II - 53

                 Décision prétendument adoptée lors de la réunion du 12 décembre 1989, concernant les prix cibles à atteindre au premier trimestre de 1990

II - 54

                 Fixation de prix pour la catégorie 2 C sur le marché français, révélée par l'annonce de la requérante lors de la réunion du 14 février 1990

II - 55

                 Fixation des prix applicables au Royaume-Uni au deuxième trimestre de 1990

II - 56

                 Fixation des prix applicables au Royaume-Uni au troisième trimestre de 1990

II - 57

                 Expertise économique soumise par la partie requérante

II - 58

                 Conclusions

II - 59

             2. Sur la qualification juridique des faits

II - 59

                 a) Sur la qualification des comportements incriminés au regard des catégories d'ententes envisagées par l'article 65, paragraphe 1, du traité

II - 59

                 b) Sur l'objet et l'effet des ententes et pratiques concertées reprochées

II - 63

                 c) Sur la qualification des comportements incriminés au regard du critère relatif au «jeu normal de la concurrence»

II - 64

                     Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante

II - 64

                     Appréciation du Tribunal

II - 68

                     — Contexte dans lequel s'inscrit l'article 65, paragraphe 1, du traité

II - 68

                     — Article 60 du traité

II - 69

                     — Articles 46 à 48 du traité

II - 71

         Sur les accords portant sur l'harmonisation des suppléments (extras)

II - 72

         Sur la répartition des marchés opérée dans le cadre de la «méthodologie Traverso»

II - 74

             Appréciation du Tribunal

II - 75

                 — Sur la première phase du système Traverso (quatrième trimestre de 1988)

II - 75

                 — Sur la seconde phase du système Traverso (premier trimestre de 1990)

II - 77

         Sur l'accord portant répartition du marché français au quatrième trimestre de 1989

II - 78

         Sur les échanges d'informations au sein de la commission poutrelles (monitoring des commandes et des livraisons)

II - 82

             Résumé sommaire de l'argumentation des parties

II - 83

             Appréciation du Tribunal

II - 86

                 — Sur la nature de l'infraction reprochée à la partie requérante

II - 86

                 — Sur le caractère anticoncurrentiel du monitoring

II - 88

         Sur les pratiques relatives aux différents marchés

II - 92

             1. Fixation de prix sur le marché français

II - 92

             2. Fixation de prix sur le marché italien

II - 92

             3. Répartition du marché italien

II - 93

         Sur la fixation de prix sur le marché danois, dans le cadre des activités du groupe Eurofer/Scandinavie

II - 94

         Conclusions

II - 99

     D — Sur l'implication de la Commission dans les infractions reprochées à la partie requérante

II - 99

         Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante

II - 99

         Compte rendu de l'audition des témoins

II - 105

         Appréciation du Tribunal

II - 108

             Observations liminaires

II - 108

             Sur le comportement de la Commission pendant la période de crise

II - 109

             Sur la persistance, après la période de crise manifeste, des malentendus sur l'interprétation ou l'application de l'article 65, paragraphe 1, du traité

II - 112

             Sur l'implication de la DG III dans les infractions constatées après la fin du régime de crise manifeste

II - 114

                 — Accords de fixation de prix

II - 116

                 — Accords sur l'harmonisation des prix des suppléments

II - 118

                 — Accords de répartition des marchés

II - 118

                 — Échanges d'informations sur les commandes et les livraisons

II - 119

                 — Autres accords

II - 121

                 — Conclusions

II - 122

             Sur la licéité des activités reprochées à la partie requérante au regard, notamment, des articles 46 à 48 du traité

II - 123

     E — Sur le détournement de procédure et de pouvoir

II - 124

     Sur la demande subsidiaire tendant à l'annulation de l'amende ou, à tout le moins, à la réduction de son montant

II - 126

         Observations liminaires

II - 126

         Résumé sommaire de l'argumentation des parties

II - 129

         Appréciation du Tribunal

II - 133

             Sur la motivation générale de la Décision en ce qui concerne l'amende

II - 134

             Sur la majoration de l'amende pour «récidive»

II - 135

             Sur la majoration de l'amende sanctionnant le comportement d'Usinor Sacilor

II - 137

             Sur l'incidence économique des infractions

II - 140

             Sur l'appréciation de la gravité des infractions

II - 143

             Sur l'appréciation de la situation économique de la requérante et de l'industrie sidérurgique

II - 144

             Sur la violation du principe de protection de la confiance légitime et le défaut d'adoption de mesures transitoires après la fin du régime de crise

II - 145

             Sur l'amende infligée à la requérante pour sa participation aux systèmes d'échanges d'informations

II - 146

             Sur la double application du taux de base retenu aux fins de l'amende

II - 146

             Sur le niveau général des amendes retenu par la Décision par rapport à d'autres décisions CECA de la Commission et par rapport aux dispositions de l'article 65, paragraphe 5, du traité

II - 147

             Sur la comparaison des amendes infligées par la Décision avec celles infligées par la décision Ciment

II - 148

             Sur l'exercice par le Tribunal de son pouvoir de pleine juridiction

II - 149

     Sur les dépens

II - 150


1: Langue de procédure: le français.


2:     Date mentionnée dans les versions française et espagnole de la Décision. Les versions allemande et anglaise indiquent la date du 31 décembre 1988.