Language of document : ECLI:EU:T:1999:289

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

10 novembre 1999 (1)

«Fonctionnaires — Recours en annulation — Transfert des droits à pension — Calcul des annuités — Demande de remboursement de l'excédent»

Dans les affaires jointes T-103/98, T-104/98, T-107/98, T-113/98 et T-118/98,

Svend Bech Kristensen, fonctionnaire du Conseil de l'Union européenne, demeurant à Waterloo (Belgique),

Bjarne Hoff-Nielsen, fonctionnaire du Conseil de l'Union européenne, demeurant à Bruxelles,

Jean Lesueur, fonctionnaire du Conseil de l'Union européenne, demeurant à Bruxelles,

Peter Clausen, fonctionnaire du Conseil de l'Union européenne, demeurant à La Hulpe (Belgique),

Ivar Langer Andersen, fonctionnaire du Conseil de l'Union européenne, demeurant à Rungsted Kyst (Danemark),

représentés par Mes Jean-Noël Louis, Véronique Leclercq, Ariane Tornel et Françoise Parmentier, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 30, rue Cessange,

parties requérantes,

contre

Conseil de l'Union européenne, représenté par M. Martin Bauer, membre du service juridique, en qualité d'agent, assisté de Me Denis Waelbroeck, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Alessandro Morbilli, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

partie défenderesse,

ayant pour objet l'annulation des décisions du Conseil du 6 octobre 1997, refusant aux requérants le remboursement de la partie de leurs droits à pension transférés au régime communautaire non prise en compte lors du calcul des annuités de pension,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, J. Pirrung et M. Vilaras, juges,

greffier: M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 30 juin 1999,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
         L'article 11, paragraphe 2, de l'annexe VIII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut») dispose:

«Le fonctionnaire qui entre au service des Communautés après avoir:

—    cessé ses activités auprès d'une administration, d'une organisation nationale ou internationale

ou

—    exercé une activité salariée ou non salariée,

a la faculté, au moment de sa titularisation, de faire verser aux Communautés, soit l'équivalent actuariel, soit le forfait de rachat des droits à pension d'ancienneté qu'il a acquis au titre des activités visées ci-dessus.

En pareil cas, l'institution où le fonctionnaire est en service détermine, compte tenu du grade de titularisation, le nombre des annuités qu'elle prend en compte d'après son propre régime au titre de la période de service antérieur sur la base du montant de l'équivalent actuariel ou du forfait de rachat.»

         

2.
    Les modalités d'exercice de la faculté ainsi ouverte ont été définies par des dispositions générales d'exécution adoptées par le Conseil le 13 juillet 1992 et publiées à la Communication au personnel n° 74/92, du 23 juillet 1992 (ci-après «DGE»). Selon l'article 9, paragraphe 2, des DGE, le montant à transférer vers le système communautaire doit correspondre à la totalité de l'équivalent actuariel des droits à pension d'ancienneté acquis précédemment ou du forfait de rachat desdits droits.

3.
    Il résulte de l'article 10, paragraphes 2 et 3, des DGE, que le nombre d'annuités à prendre en compte est calculé sur la base de la totalité du montant transféré sans pour autant que ce nombre puisse dépasser le nombre d'années durant lesquelles l'intéressé avait été affilié à des régimes non complémentaires avant sa prise de fonction dans les Communautés. De plus, selon le même article, paragraphe 5, la prise en compte d'annuités ne peut pas avoir pour effet de porter la pension totale à charge des Communautés au-delà des maxima fixés par le régime statutaire des pensions (70 % du dernier traitement de base).

Faits et procédure

4.
    Après son entrée en fonction au service du Conseil, et après que la République française eut adopté les mesures visant à permettre le transfert des droits à pension obtenus dans le cadre d'un régime de pension français au régime communautaire, M. Lesueur, partie requérante dans l'affaire T-107/98, a demandé, le 28 novembre 1994, en application de l'article 11, paragraphe 2, de l'annexe VIII du statut, le transfert au régime communautaire des droits à pension qu'il avait acquis auparavant dans le cadre de différents régimes de pension français.

5.
    Le royaume de Danemark ayant, pour ce qui le concerne, adopté, le 1er mars 1995, des mesures visant à permettre le transfert des droits à pension obtenus dans le cadre d'un régime danois au régime communautaire, MM. Clausen, Andersen, Nielsen et Kristensen, parties requérantes dans les affaires respectivement T-113/98, T-118/98, T-104/98 et T-103/98 (ci-après «requérants danois» et, avec M. Lesueur, «requérants»), ont également demandé, en mars 1995, le transfert de leurs droits à pension acquis dans le cadre d'un régime de pension danois, la Juristernes og Økonomernes Pensionkasse (ci-après «JOP»).

6.
    Ainsi qu'il ressort du dossier, alors que le montant transféré des droits à pension de M. Kristensen correspondait à un nombre d'annuités de 4 ans, 5 mois et 25 jours, le Conseil, conformément à l'article 11, paragraphe 2, de l'annexe VIII du statut et à l'article 10, paragraphe 3, des DGE, a finalement réduit ce montant à l'équivalent de 2 ans et 8 mois. Sur cette même base statutaire le Conseil a également réduit le nombre d'annuités de M. Nielsen de 5 ans et 14 jours à 3 ans, 3 mois et 15 jours, celle de M. Clausen de 2 ans, 9 mois et 4 jours à 2 ans, 7 mois et 11 jours, celle de M. Andersen de 9 ans, 3 mois et 26 jours à 8 ans et 3 mois, et celle de M. Lesueur de 25 ans 7 mois et 19 jours à 12 ans, 2 mois et 5 jours.

7.
    Par lettre du 6 mars 1996, les requérants danois ont demandé au Conseil le remboursement de la partie des droits à pension transférés de la JOP au régime communautaire non prise en compte par le Conseil lors du calcul du nombre maximal d'annuités de bonification (ci-après «demande de remboursement»). Par lettre du 27 mars 1996, M. Lesueur a, également, demandé au Conseil le remboursement de la partie de ses droits à pension non prise en considération lors du calcul du nombre maximal de ses annuités.

8.
    Par notes du 10 mai et du 5 novembre 1996, le Conseil a informé les requérants que, au vu des pratiques différentes suivies par les institutions communautaires lors de l'application de l'article 11, paragraphe 2, de l'annexe VIII du statut, la question du remboursement de l'excédent, correspondant à la partie des droits à pension transférés au régime communautaire non prise en compte lors du calcul des annuités de bonification, ferait l'objet d'une réunion prochaine du collège des chefs d'administration afin qu'une solution uniforme puisse être trouvée pour l'ensemble des institutions communautaires.

9.
    Par lettre du 24 mars 1997, le Conseil a informé les requérants danois que, lors de la réunion du 6 mars 1997, le collège des chefs d'administration n'avait pu adopter une position commune quant au sort à réserver au montant excédentaire, correspondant à la partie des droits à pension transférés au régime communautaire qui n'est pas prise en compte lors du calcul des annuités de bonification. En effet, alors que le Conseil refuse de rembourser le montant excédentaire du fait de sa comptabilisation au titre des recettes du budget communautaire, la Commission, la Cour de justice, la Cour des comptes, le Comité économique et social, et le Comité des régions acceptent, en revanche, de rembourser à l'intéressé le montant excédentaire. Dans cette même lettre, le Conseil ajoutait que l'examen de leurs demandes de remboursement serait suspendu jusqu'à ce que son service juridique puisse se prononcer à leur égard.

10.
    Par décisions du 6 octobre 1997, le Conseil a explicitement rejeté les demandes de remboursement des requérants.

11.
    Le 9 janvier 1998, M. Lesueur a introduit une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut contre la décision du Conseil relative à sa demande. Le 27

janvier de la même année, chaque requérant danois a également introduit une réclamation contre la décision le concernant.

12.
    Les réclamations susmentionnées des requérants ont toutes été rejetées par décisions du Conseil du 8 avril 1998.

13.
    Par requêtes déposées au greffe du Tribunal respectivement les 10, 13, 23 et 29 juillet 1998, les requérants ont introduit les présents recours, enregistrés sous les numéros T-103/98, T-104/98, T-107/98, T-113/98 et T-118/98.

14.
    Par ordonnance du 16 octobre 1998 du président de la première chambre du Tribunal, les affaires T-103/98, T-104/98, T-107/98, T-113/98 et T-118/98 ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l'arrêt.

15.
    Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure qu'il a ordonnées, le Tribunal a invité la Commission, le Parlement, la Cour de justice et la Cour des comptes à répondre à certaines questions écrites. Il a invité par ailleurs le Conseil à produire copie de l'accord de transfert des droits à pension que la Communauté a conclu avec le royaume de Danemark. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience publique du 30 juin 1999.

Conclusions des parties

16.
    Les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    constater l'illégalité de l'article 10, paragraphe 3, troisième alinéa, et paragraphe 5, des DGE relatives à l'article 11 de l'annexe VIII du statut adoptées par le Conseil;

—    annuler les décisions du Conseil du 6 octobre 1997, refusant le remboursement de la partie des droits à pension transférés vers le régime de pension communautaire non prise en compte lors du calcul d'annuités de pension statutaire en application de l'article 11, paragraphe 2, de l'annexe VIII du statut;

—    condamner le Conseil aux dépens.

17.
    Le Conseil conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter les recours comme non fondés;

—    condamner les requérants aux dépens.

Sur les réponses des institutions communautaires aux questions écrites posées par le Tribunal

18.
    Dans ses réponses aux questions posées par le Tribunal (voir ci-dessus point 15), la Commission a indiqué qu'il résulte de ses DGE relatives aux articles 11, paragraphe 2, et 12, sous c), de l'annexe VIII du statut que le nombre des annuités à prendre en compte lors d'un transfert des droits à pension ne peut pas dépasser le nombre d'annuités pour lesquelles l'intéressé avait été affilié avant sa prise de fonction dans les Communautés (article 4, paragraphe 3, des DGE de la Commission du 17 juin 1992). L'excédent pécuniaire qui pourrait résulter du plafonnement des annuités à prendre en compte est remboursé à l'intéressé. Selon la Commission, en l'absence d'une disposition impérative dans le statut, le versement de ce montant au budget communautaire apparaîtrait comme uneopération exorbitante entraînant un enrichissement sans cause au profit de la Communauté. L'intéressé devrait, ainsi, être considéré comme titulaire des droits à pension nationaux liquidés au titre du transfert.

19.
    L'approche suivie en la matière par la Commission est également celle de la Cour de justice. En effet, dans ses réponses aux questions du Tribunal, la Cour a précisé que, conformément à l'article 10, paragraphe 3, deuxième alinéa, de ses propres DGE du 26 septembre 1994, elle applique le même principe du plafonnement des annuités à prendre en compte et rembourse au fonctionnaire concerné l'excédent qui peut en résulter. Selon la Cour, en l'absence de disposition, dans lesdites DGE, précisant le sort à réserver à cet excédent, le versement dans le budget communautaire d'un montant supérieur à celui nécessaire pour couvrir les annuités bonifiées, constituerait un enrichissement sans cause au profit des Communautés.

20.
    Pour sa part, la Cour des comptes a indiqué qu'elle applique également le principe du plafonnement et rembourse à l'intéressé l'excédent qui peut en résulter au motif qu'il s'agit des cotisations appartenant à ce dernier.

21.
    Par contre, le Parlement a indiqué que, si, à l'occasion de la modification de ses DGE du 17 octobre 1995, il a également décidé d'adopter le principe du plafonnement, il a, cependant, choisi de ne pas rembourser au fonctionnaire concerné l'excédent qui pourrait en résulter, mais de le verser au budget communautaire au motif que le régime communautaire de pension n'est pas un système fondé sur le principe de capitalisation mais sur le principe de solidarité. En outre, dans la mesure où les droits à pension sont constitués, en partie, par des contributions patronales et par des contributions de l'État concerné, le remboursement au fonctionnaire intéressé d'une partie de ces droits irait à l'encontre de l'objectif exclusif du transfert, qui est précisément la constitution d'une pension de vieillesse. La décision de verser cet excédent au budget communautaire a été également justifiée par le fait que si cet excédent était remboursé à l'intéressé il ne serait soumis ni à l'impôt communautaire ni à l'impôt national.

22.
    Enfin, le Conseil a précisé qu'il n'existe pas d'accord de transfert des droits à pension conclu avec le Danemark et que les modalités d'un tel transfert sont réglées par une loi spécifique dont copie a été déposée au greffe du Tribunal.

Sur le fond

23.
    Les requérants soulèvent deux moyens à l'appui de leurs recours. Le premier moyen, divisé en trois branches, est tiré, premièrement, de la violation de l'article 11, paragraphe 2, de l'annexe VIII du statut, deuxièmement, de l'illégalité de l'article 10, paragraphe 3, troisième alinéa, et paragraphe 5, des DGE et, troisièmement, de l'enrichissement sans cause des Communautés. Le second moyen est tiré de la violation du principe d'égalité de traitement et de non-discrimination.

Sur le premier moyen tiré de la violation de l'article 11, paragraphe 2, de l'annexe VIII du statut, de l'illégalité de l'article 10, paragraphe 3, troisième alinéa, et paragraphe 5, des DGE et de l'enrichissement sans cause des Communautés

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

24.
    Les requérants soutiennent que l'article 11 de l'annexe VIII du statut est une disposition claire qui ne laisse aucune marge d'appréciation au Conseil quant à l'opportunité de prendre en compte tout ou partie du montant des droits à pension transférés par le fonctionnaire concerné au régime communautaire. Or, dans la mesure où l'article 10, paragraphe 3, troisième alinéa, et paragraphe 5, des DGE prévoit un double plafonnement de la bonification, à savoir, d'une part, que le nombre d'annuités à prendre en compte ne puisse dépasser le nombre d'années d'affiliation au régime national et, d'autre part, que ce nombre ne doive pas avoir pour effet de porter la pension totale à charge des Communautés au-delà des maxima prévus par le statut (70 % du dernier traitement de base), cet article limiterait la portée claire de l'article 11 de l'annexe VIII du statut et serait donc illégal. Étant donné que les décisions attaquées ont été adoptées en application des dispositions litigieuses, elles seraient, partant, entachées d'illégalité et devraient, par conséquent, être annulées.

25.
    Les requérants exposent, ensuite, que la Commission, la Cour de justice, la Cour des comptes, le Comité économique et social ainsi que le Comité des régions remboursent au fonctionnaire concerné l'excédent qui résulte du plafonnement de la bonification des annuités à prendre en compte, alors que le Conseil procède à sa comptabilisation en recettes au budget communautaire, ce qui constitue un enrichissement sans cause en faveur des Communautés.

26.
    Le Conseil souligne que, en limitant la bonification au nombre d'annuités pendant lesquelles les requérants ont effectivement été affiliés aux différents régimes nationaux de pension, il n'a fait que déterminer, conformément à ce que prévoit l'article 11, paragraphe 2, de l'annexe VIII, le nombre des annuités qu'il entend

prendre en compte, d'après son propre régime, «au titre de la période de service antérieur». L'article 10, paragraphe 3, troisième alinéa, des DGE serait, ainsi, conforme à l'article 11, paragraphe 2 de l'annexe VIII du statut.

27.
    Selon le Conseil, l'article 10, paragraphe 3, troisième alinéa, des DGE est, en outre, conforme à l'objectif de l'article 11, paragraphe 2, de l'annexe VIII du statut, qui, selon la jurisprudence en la matière, «vise à faciliter le passage des emplois nationaux, publics ou privés, à l'administration communautaire» et «à permettre une coordination entre les régimes nationaux et le régime communautaire de pensions» (arrêt de la Cour du 20 octobre 1981, Commission/Belgique, 137/80, Rec. p. 2393, points 11 et 12). L'objectif de cet article étant, donc, de faciliter une transition d'un régime à l'autre, il serait naturel que l'application des règles du régime communautaire puisse aboutir à la détermination d'annuités différentes de celles prévues dans le système national (arrêt de la Cour du 6 octobre 1983, Celant/Commission, 118/82 à 123/82, Rec. p. 2995, point 28).

28.
    Le Conseil souligne que, dans la mesure où le système de pension communautaire est basé sur le principe de solidarité, les intéressés ne récupèrent pas toujours la contre-valeur exacte de leurs cotisations. Ceci résulterait clairement de l'article 83, paragraphes 1 et 2, du statut, selon lequel «le paiement des prestations prévues au présent régime de pension constitue une charge du budget des Communautés. Les États membres garantissent collectivement le paiement de ces prestations selon la clé de répartition fixée pour le financement de ces dépenses. [...] Les fonctionnaires contribuent pour un tiers au financement de ce régime de pensions [...]». Le Conseil ajoute que l'équilibre entre les contributions et les prestations est calculé, conformément à l'article 83, paragraphe 4, du statut, pour l'ensemble des affiliés selon des critères strictement actuariels, de sorte que, conformément au principe de solidarité, les fonctionnaires ayant cotisé pendant 35 ans, et qui auraient, donc, constitué un capital de 35 annuités (le maximum prévu à l'article 77 du statut), continuent à cotiser même s'ils ne reçoivent pas de «contrepartie» pour ces cotisations.

29.
    Le régime de pension communautaire étant donc basé sur le principe de solidarité, le Conseil soutient qu'il n'est pas tenu de rembourser aux requérants l'excédent des montants transférés qui n'auraient pas été pris en compte en tant qu'annuités de pension. Plus particulièrement, la philosophie du système communautaire de pension se distinguerait de celle d'un «fonds de pension» traditionnel dans lequel il existerait une sorte de «compte personnel» pour chaque personne affiliée sur lequel s'accumule un capital destiné à financer la pension de l'intéressé. Il ajoute à cet égard que, en tout état de cause, la décision d'effectuer le transfert des droits à pension au régime communautaire relève du choix libre et discrétionnaire du fonctionnaire concerné.

30.
    Enfin, le Conseil soutient que, pour d'autres raisons également, un tel remboursement ne serait pas possible. En effet, dans la mesure où les contributions aux régimes de pension nationaux sont normalement exonérées d'impôts et que

leur transfert à la Communauté n'est pas non plus imposé, le remboursement de l'excédent pourrait être interprété par les États membres comme une mesure d'évasion fiscale portant ainsi atteinte à la cohérence des systèmes fiscaux nationaux des États membres (arrêt de la Cour du 28 janvier 1992, Bachmann, C-204/90, Rec. p. I-249). De plus, le montant transféré par les régimes de pension nationaux étant en partie constitué des cotisations patronales, le remboursement de cette partie du montant transféré constituerait un détournement de leur objectif, à savoir la constitution d'une pension de vieillesse.

31.
    Le Conseil conclut que, à la lumière des considérations qui précèdent, l'argument des requérants tiré d'un prétendu enrichissement sans cause au profit des Communautés est dépourvu de fondement. En effet, dans la mesure où le paiement des pensions constitue une charge pour le budget des Communautés, il serait conforme à la nature solidaire de ce système de verser au budget communautaire tout excédent éventuel. Il en irait d'autant plus ainsi que le transfert des droits à pension vers le régime communautaire dépend de la volonté de l'intéressé qui est libre de demander, ou non, un tel transfert.

Appréciation du Tribunal

32.
    A titre liminaire, il y a lieu de relever que, lors de l'audience, les requérants ont précisé qu'ils ne contestaient plus le plafonnement de 70 % prévu par l'article 10, paragraphe 5, des DGE (voir ci-dessus point 3). Il convient, par conséquent, d'examiner si le plafonnement prévu par l'article 10, paragraphe 3, troisième alinéa, des DGE viole l'article 11 de l'annexe VIII du statut et, en cas de réponse négative, si la pratique du Conseil, consistant à comptabiliser en recettes du budget communautaire l'excédent qui peut en résulter, constitue un enrichissement sans cause au profit des Communautés.

33.
    Selon l'article 11, paragraphe 2, de l'annexe VIII du statut, «l'institution où le fonctionnaire est en service détermine, compte tenu du grade de titularisation, le nombre des annuités qu'elle prend en compte d'après son propre régime au titre de la période de service antérieur sur la base du montant de l'équivalent actuariel ou du forfait de rachat». Or, en limitant le nombre des annuités à prendre en compte aux périodes pendant lesquelles les requérants ont été effectivement affiliés aux régimes nationaux de pension, le Conseil n'a fait que se conformer à cette disposition en prenant en compte, «d'après son propre régime», «la période de service antérieur» au sens dudit article. Le fait que, selon la disposition litigieuse, le Conseil doive calculer le nombre des annuités «sur la base du montant de l'équivalent actuariel ou du forfait» ne signifie pas que c'est le montant transféré qui détermine exclusivement le nombre des annuités à prendre en compte. En effet, le montant de l'équivalent actuariel ou du forfait de rachat pris en compte ne sert que de «base», en ce sens que le Conseil peut, en se fondant sur les règles de son propre régime et «au titre du service antérieur» effectué par le fonctionnaire concerné, limiter, le cas échéant, le nombre des annuités résultant

d'une application automatique des règles communautaires au nombre maximal des années effectuées dans le service antérieur.

34.
    Cette interprétation est corroborée par la jurisprudence de la Cour selon laquelle l'établissement de l'équivalent actuariel par l'institution de sécurité sociale d'origine et sa réappréciation en fonction des règles valables pour le système de pension de la Communauté reposent sur des données et des facteurs d'appréciation différentsen ce qui concerne les antécédents des intéressés, leurs perspectives d'avenir, le niveau des contributions, la nature et le montant des prestations, de sorte qu'il n'apparaît pas anormal que la détermination des annuités à prendre en considération pour la pension communautaire aboutisse à un nombre différent de celui des annuités prises en compte par l'institution nationale (arrêts de la Cour du 23 janvier 1986, Soma/Commission, 171/84, Rec. p. 173, point 32, et Celant/Commission, précité, point 28).

35.
    Dès lors, la première branche du moyen, tirée d'une violation de l'article 11, paragraphe 2, de l'annexe VIII du statut doit être rejetée.

    

36.
    Il s'ensuit que le plafonnement prévu par l'article 10, paragraphe 3, troisième alinéa, des DGE, selon lequel «le nombre des annuités à prendre en compte ne peut en aucun cas dépasser le nombre des années durant lesquelles l'intéressé avait été affilié à des régimes non complémentaires avant sa prise de fonction dans les Communautés» est conforme à l'article 11, paragraphe 2, de l'annexe VIII du statut et n'est donc pas entaché d'illégalité. En conséquence, la deuxième branche du moyen doit également être rejetée.

37.
    Il reste à examiner si la pratique du Conseil consistant à verser au budget communautaire l'excédent pécuniaire qui peut résulter de l'application de l'article 10, paragraphe 3, troisième alinéa, des DGE, peut être justifiée par les motifs invoqués dans les décisions attaquées et n'aboutit pas à un enrichissement sans cause au profit des Communautés.

38.
    Il résulte des arguments du Conseil que cette pratique se justifie, en premier lieu, par le principe de solidarité qui caractériserait le régime de pension communautaire et, en second lieu, par des considérations tenant à des risques d'évasion fiscale et de détournement de l'objectif des cotisations patronales visant à la constitution d'une pension de vieillesse.

39.
    Il y a lieu, tout d'abord, de relever que, s'il est vrai qu'il résulte de certaines dispositions du statut, notamment de son article 83, que chaque fonctionnaire ne récupère pas toujours la contre-valeur exacte de ses cotisations comme c'est le cas dans le cadre des régimes de pension fondés sur le principe de capitalisation, à défaut de dispositions expresses dans le statut, le Conseil ne saurait toutefois exiger, sur le seul fondement du principe de solidarité, que l'excédent pécuniaire qui peut éventuellement résulter du transfert des droits à pension acquis dans le cadre de régimes de pension nationaux soit versé au budget communautaire.

40.
    A cet égard, il convient de souligner que, lorsque le Conseil, en appliquant ses propres règles en la matière, décide que les annuités à prendre en compte ne peuvent pas dépasser le nombre d'années durant lesquelles l'intéressé a été effectivement affilié à des régimes non complémentaires nationaux et que seul le montant qui correspond à ces annuités peut être versé au régime de pension communautaire aux fins de la constitution d'une retraite, qui sera, en elle-même, soumise aux exigences du principe de solidarité, le Conseil ne saurait, toutefois, justifier, au titre de ce principe, le fait que l'excédent pécuniaire qui en résulte ne soit pas intégralement restitué à l'intéressé dès lors que les droits à pension ainsi transférés n'ont pas été acquis dans le cadre d'une relation de travail de l'intéressé avec une des institutions communautaires.

41.
    En effet, ainsi que la Cour de justice, la Commission, et la Cour des comptes l'ont souligné dans leurs réponses aux questions écrites du Tribunal, les droits à pension transférés au régime communautaire qui ne sont pas pris en compte lors de l'application de l'article 11, paragraphe 2, de l'annexe VIII du statut appartiennent au fonctionnaire intéressé et doivent lui être remboursés.

42.
    Dans ces conditions, les décisions attaquées refusant aux requérants l'excédent résultant du calcul des annuités prises en compte dans le cadre du transfert de leurs droits à pension ne sont pas fondées et doivent, par conséquent, être annulées.

43.
    S'agissant des arguments du Conseil tirés des risques d'une évasion fiscale éventuelle et d'un détournement de l'objectif principal des cotisations patronales visant à la constitution d'une pension de vieillesse, il y a lieu de relever que celui-ci n'a apporté aucune preuve à l'appui de ces allégations, et ce d'autant moins que les requérants danois ont déclaré lors de l'audience, sans être contredits par le Conseil, être tenus par la loi danoise de signer une déclaration sur honneur selon laquelle, en cas de remboursement d'un excédent résultant d'un transfert des droits à pension, ils doivent soit le verser à une caisse de pension danoise, soit le déclarer aux autorités fiscales afin qu'il soit imposé selon le taux applicable au Danemark.

44.
    En tout état de cause, de tels risques ne concernent que les relations des fonctionnaires intéressés avec les autorités compétentes de l'État membre en provenance duquel le transfert des droits à pension est effectué et n'affectent pas les intérêts des Communautés.

45.
    Il résulte de tout ce qui précède que les décisions attaquées du Conseil, en ce qu'elles comportent le versement au budget communautaire de l'excédent pécuniaire résultant du plafonnement des annuités à prendre en compte lors du transfert des droits à pension des requérants, sont dépourvues de base légale, de sorte que la troisième branche du moyen des requérants, tirée d'un enrichissement sans cause au profit des Communautés, doit être accueillie et les décisions

attaquées doivent être annulées, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le second moyen des requérants.

Sur les dépens

46.
    Conformément à l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe en ses conclusions est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête:

1)    Les décisions du Conseil du 6 octobre 1997, refusant aux requérants le remboursement de la partie des droits à pension transférés au régime de pension communautaire qui n'est pas prise en compte lors du calcul des annuités de bonification sont annulées.

2)    Le Conseil est condamné aux dépens.

Vesterdorf
Pirrung
Vilaras

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 novembre 1999.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: le français.