Language of document : ECLI:EU:T:2021:815

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

24 novembre 2021 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne figurative dziandruk – Cause de nullité absolue – Absence de mauvaise foi – Article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 207/2009 [devenu article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001] »

Dans l’affaire T‑434/20,

Piotr Włodarczyk, demeurant à Pabianice (Pologne), représenté par Mes M. Bohaczewski et A. Zalewska, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme D. Walicka et M. V. Ruzek, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Ave Investment sp. z o.o., établie à Pabianice, représentée par Me K. Błach Morysińska, avocate,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la quatrième chambre de recours de l’EUIPO du 8 mai 2020 (affaire R 2192/2019-4), relative à une procédure de nullité entre M. Włodarczyk et Ave Investment,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme V. Tomljenović, présidente, MM. J. Schwarcz et I. Nõmm (rapporteur), juges,

greffier : Mme A. Juhász-Tóth, administratrice,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 9 juillet 2020,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 5 janvier 2021,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 26 février 2021,

vu la désignation d’un autre juge pour compléter la chambre à la suite de l’empêchement d’un de ses membres,

à la suite de l’audience du 5 juillet 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 10 août 2016, l’intervenante, Ave Investment sp. z o.o., a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 207/2009, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant :

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3        Les produits et les services visés par l’enregistrement relèvent des classes 23, 24, 35 et 40 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

4        La demande de marque a été publiée au Bulletin des marques de l’Union européenne no 212/2016, du 9 novembre 2016, et la marque en cause a été enregistrée le 16 février 2017 sous le numéro 15742091.

5        Le 4 septembre 2017, le requérant, M. Piotr Włodarczyk, a introduit une demande de nullité de la marque de l’Union européenne visée au point 1 ci-dessus, en vertu de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 [devenu article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001]. Cette demande était dirigée contre l’ensemble des produits couverts par la marque contestée.

6        Le 29 juillet 2019, la division d’annulation a annulé la marque contestée pour l’ensemble des produits visés par celle-ci. En substance, elle a considéré que la marque contestée avait été déposée en mauvaise foi.

7        Le 27 septembre 2019, l’intervenante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 58 à 64 du règlement no 207/2009 (devenus articles 66 à 71 du règlement 2017/1001), contre la décision de la division d’annulation.

8        Par décision du 8 mai 2020 (ci-après la « décision attaquée »), la quatrième chambre de recours de l’EUIPO a accueilli le recours, annulé la décision de la division d’annulation et rejeté la demande en nullité. En substance, d’une part, elle a considéré que le requérant n’avait pas apporté la preuve que la demande d’enregistrement de la marque contestée avait été faite en mauvaise foi. D’autre part, elle a estimé que l’intervenante avait démontré un intérêt légitime à faire enregistrer ladite marque, à savoir interdire aux concurrents de déposer une demande de désignation identique ou similaire en tant que marque de l’Union européenne et que l’intention de celle-ci relevait d’une stratégie commerciale normale.

 Conclusions des parties

9        Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens de la procédure devant le Tribunal, ainsi que devant la division d’annulation et la chambre de recours ;

–        à titre subsidiaire, condamner l’intervenante aux dépens de la procédure devant le Tribunal, ainsi que devant la division d’annulation et la chambre de recours.

10      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens ;

11      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours et confirmer la décision attaquée ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité

12      Au vu des précisions apportées lors de l’audience, l’intervenante soutient que les annexes A.5 à A.13 de la requête sont irrecevables dans la mesure où ils ont été produits pour la première fois devant le Tribunal.

13      À cet égard, il convient de relever que les documents produits dans les annexes A.5 à A.11 de la requête contiennent des informations relatives à la société A et portent sur l’usage de la marque contestée par celle-ci. Le document produit dans l’annexe A.12 de la requête est, quant à lui, un acte notarial par lequel il est attesté l’authenticité des images produites dans les annexes A.6 et A.7 de la requête. Enfin, l’annexe A.13 de la requête contient des décisions de la société B adoptées en 2014 et en 2015. Ainsi que le soutient, à juste titre, l’intervenante l’ensemble de ces documents n’ont pas été présentés au cours de la procédure administrative devant l’EUIPO.

14      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le recours devant le Tribunal vise au contrôle de la légalité des décisions des chambres de recours de l’EUIPO au sens de l’article 72 du règlement 2017/1001, de sorte que la fonction du Tribunal n’est pas de réexaminer les circonstances de fait à la lumière des documents présentés pour la première fois devant lui [voir, en ce sens, arrêts du 24 novembre 2005, Sadas/OHMI – LTJ Diffusion (ARTHUR ET FELICIE), T‑346/04, EU:T:2005:420, point 19 et jurisprudence citée, et du 18 mars 2016, Karl-May-Verlag/OHMI – Constantin Film Produktion (WINNETOU), T‑501/13, EU:T:2016:161, point 17].

15      Il en découle que les annexes A.5 à A.13 de la requête doivent être rejetées comme irrecevables.

16      En outre, l’intervenante soutient que l’ensemble des documents que le requérant a annexé à la requête sont rédigés en polonais et non dans la langue de procédure, à savoir l’anglais. De même, elle soutient que le requérant n’a pas rempli l’obligation de présenter les preuves dans la langue de procédure au cours de la procédure administrative et soutient qu’il ne conviendrait pas de tenir compte des documents non traduits.

17      Ces allégations ne peuvent qu’être rejetées. Premièrement, force est de constater que les annexes A.5 à A.13 de la requête ont été déclarées irrecevables (voir point 15 ci-dessus), de sorte que la question de savoir si elles sont soumises dans la langue de procédure n’est plus pertinente. Quant aux informations contenues dans les annexes A.1 à A.4 de la requête, il y a lieu de relever, ainsi que l’a également reconnu l’intervenante lors de l’audience, qu’elles figurent dans le dossier administratif. Deuxièmement, s’agissant des documents produits lors de la procédure administrative devant l’EUIPO, certes il ressort de la règle 38, paragraphe 2, du règlement (CE) no 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement no 40/94 (JO 1995, L 303, p. 1), applicable à la présente procédure de nullité, que lorsque les preuves fournies à l’appui de la demande ne sont pas rédigées dans la langue de la procédure en déchéance ou en nullité, le demandeur doit en produire une traduction dans cette langue dans un délai de deux mois à compter du dépôt des preuves. À cet égard, force est de relever que certains éléments de preuve soumis par le requérant ne sont pas, en effet, traduits en langue de procédure.

18      Toutefois, pour autant que l’argument de l’intervenante devrait être compris comme un moyen autonome au sens de l’article 173, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, il ne pourrait qu’être rejeté dans la mesure où un tel moyen serait incompatible avec ses propres conclusions [voir arrêt du 27 septembre 2018, TenneT Holding/EUIPO – Ngrid Intellectual Property (NorthSeaGrid), T‑70/17, non publié, EU:T:2018:611, points 33 à 35 et jurisprudence citée]. En effet, dans son mémoire en réponse, l’intervenante n’a pas conclu à l’annulation ou à la réformation de la décision attaquée. Au contraire, elle a conclu à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours introduit par le requérant.

19      De surcroît et en tout état de cause, l’argument de l’intervenante ne satisfait pas aux conditions de l’article 180, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure dans la mesure où, d’une part, elle n’a pas identifié les documents qui devraient être écartés au motif qu’ils n’avaient pas été traduit dans la langue de procédure au cours de la procédure administrative et, d’autre part, n’a pas contesté de considérations de la chambre de recours qui seraient fondées sur ces documents.

 Sur le fond

20      Compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement en cause, à savoir le 10 août 2016, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de la présente affaire sont régis par les dispositions matérielles du règlement no 207/2009 (voir, en ce sens, ordonnance du 5 octobre 2004, Alcon/OHMI, C‑192/03 P, EU:C:2004:587, points 39 et 40, et arrêt du 23 avril 2020, Gugler France/Gugler et EUIPO, C‑736/18 P, non publié, EU:C:2020:308, point 3 et jurisprudence citée).

21      Par suite, en l’espèce, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références faites par la chambre de recours dans la décision attaquée, ainsi que celles faites par le requérant, l’EUIPO et l’intervenante dans leurs écritures, à l’article 59, paragraphe 1, sous b), 2017/1001 comme visant l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, d’une teneur identique.

22      À l’appui du recours, le requérant invoque un moyen unique, tiré de la violation de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

23      Le requérant soutient que les circonstances de l’affaire, établies au cours de la procédure administrative, démontrent clairement que l’intervenante était de mauvaise foi au moment de la demande de la marque contestée et que l’intention de celle-ci était de permettre à une personne qui la contrôle de récupérer un signe utilisé depuis des années par la société B dont cette personne est associée.

24      À cet égard, le requérant fait valoir que la chambre de recours a commis une erreur dans l’appréciation de l’intention de l’intervenante lors du dépôt de la marque contestée et soutient, en particulier, que ladite chambre n’a pas correctement apprécié la pertinence des éléments suivants : l’existence des liens entre l’intervenante et la société B, l’utilisateur du signe, l’existence d’un différend entre associés de ladite société au moment de la demande de ladite marque, la chronologie des évènements postérieurs à cette demande et le comportement de l’intervenante, contraire aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale.

25      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments du requérant.

26      À titre liminaire, il convient de rappeler que le régime d’enregistrement d’une marque de l’Union européenne repose sur le principe du « premier déposant », inscrit à l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 207/2009. En vertu de ce principe, un signe ne peut être enregistré en tant que marque de l’Union européenne que pour autant qu’une marque antérieure n’y fasse pas obstacle, qu’il s’agisse d’une marque de l’Union européenne, d’une marque enregistrée dans un État membre ou par l’Office Benelux de la propriété intellectuelle, d’une marque ayant fait l’objet d’un enregistrement international ayant effet dans un État membre ou encore d’une marque ayant fait l’objet d’un enregistrement international ayant effet dans l’Union. En revanche, sans préjudice d’une éventuelle application de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, la seule utilisation par un tiers d’une marque non enregistrée ne fait pas obstacle à ce qu’une marque identique ou similaire soit enregistrée en tant que marque de l’Union européenne, pour des produits ou des services identiques ou similaires [arrêt du 28 janvier 2016, Davó Lledó/OHMI – Administradora y Franquicias América et Inversiones Ged (DoggiS), T‑335/14, EU:T:2016:39, point 43].

27      Cette règle est nuancée, notamment, par l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, en vertu duquel la nullité d’une marque de l’Union européenne doit être déclarée, sur demande présentée devant l’EUIPO ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon, lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque (arrêt du 28 janvier 2016, DoggiS, T‑335/14, EU:T:2016:39, point 44).

28      La notion de mauvaise foi visée à l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 n’est ni définie, ni délimitée, ni même décrite d’une quelconque manière dans la législation de l’Union (arrêt du 28 janvier 2016, DoggiS, T‑335/14, EU:T:2016:39, point 45).

29      Selon la jurisprudence, la notion de mauvaise foi se rapporte à une motivation subjective de la personne présentant une demande d’enregistrement de marque, à savoir une intention malhonnête ou un autre motif dommageable. Elle implique un comportement s’écartant des principes reconnus comme étant ceux entourant un comportement éthique ou des usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale [arrêt du 7 juillet 2016, Copernicus-Trademarks/EUIPO – Maquet (LUCEO), T‑82/14, EU:T:2016:396, point 28].

30      À cet égard, la Cour a pu préciser que, aux fins d’apprécier l’existence de la mauvaise foi, il convenait également de prendre en considération l’intention du demandeur au moment du dépôt de la demande d’enregistrement. Il importe à cet égard de faire observer que l’intention du demandeur au moment pertinent est un élément subjectif qui doit être déterminé par référence aux circonstances objectives du cas d’espèce (arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, points 41 et 42).

31      De même, selon la Cour, la cause de nullité absolue visée à l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 s’applique lorsqu’il ressort d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque de l’Union européenne a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine (voir arrêt du 12 septembre 2019, Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret/EUIPO, C‑104/18 P, EU:C:2019:724, point 46 et jurisprudence citée).

32      Aux fins de l’appréciation de l’existence de la mauvaise foi du demandeur, il convient de prendre en considération tous les facteurs pertinents propres au cas d’espèce et existant au moment du dépôt de la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque de l’Union européenne (arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, point 53).

33      Parmi les facteurs pris en compte par la jurisprudence dans le cadre de l’analyse globale opérée au titre de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, figurent, notamment, le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise, dans au moins un État membre, un signe identique ou similaire pour un produit ou service identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé, l’intention du demandeur d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser un tel signe, le degré de protection juridique dont jouissent les signes en cause, l’intention du demandeur d’empêcher un tiers de commercialiser un produit, l’origine du signe contesté et son usage depuis sa création, la logique commerciale dans laquelle s’est inscrit le dépôt de la demande d’enregistrement du signe en tant que marque de l’Union européenne et la chronologie des événements ayant caractérisé la survenance dudit dépôt (voir, en ce sens, arrêts du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, points 38 et 44, et du 28 janvier 2016, DoggiS, T‑335/14, EU:T:2016:39, points 46 et 48).

34      Cela étant, il convient de souligner que les facteurs énumérés au point 33 ci-dessus ne sont que des illustrations parmi un ensemble d’éléments susceptibles d’être pris en compte à l’effet de se prononcer sur l’éventuelle mauvaise foi d’un demandeur d’enregistrement au moment du dépôt de la demande de marque [voir arrêt du 14 février 2019, Mouldpro/EUIPO – Wenz Kunststoff (MOULDPRO), T‑796/17, non publié, EU:T:2019:88, point 83 et jurisprudence citée].

35      Par ailleurs, il convient de rappeler qu’il incombe au demandeur en nullité qui entend se fonder sur le motif visé à l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 d’établir les circonstances qui permettent de conclure que le titulaire d’une marque de l’Union européenne était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de cette dernière et que la bonne foi est présumée jusqu’à preuve du contraire [arrêt du 8 mars 2017, Biernacka-Hoba/EUIPO – Formata Bogusław Hoba (Formata), T‑23/16, non publié, EU:T:2017:149, point 45].

36      C’est notamment à la lumière des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de contrôler la légalité de la décision attaquée en ce que la chambre de recours a conclu à l’absence de mauvaise foi de l’intervenante au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.

37      En l’espèce, ainsi qu’il ressort notamment du point 8 ci-dessus que la décision attaquée est fondée sur deux piliers, à savoir, d’une part, la constatation que le requérant n’a pas démontré l’existence de la mauvaise foi de l’intervenante au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée et, d’autre part, la conclusion selon laquelle l’intervenante avait un juste motif pour demander l’enregistrement de ladite marque.

38      Or, il ressort de la jurisprudence que, dès lors que le dispositif d’une décision repose sur plusieurs piliers de raisonnement dont chacun suffirait à lui seul à fonder ce dispositif, il n’y a lieu d’annuler cet acte, en principe, que si chacun de ces piliers est entaché d’illégalité. Dans cette hypothèse, une erreur ou une autre illégalité qui n’affecterait qu’un seul des piliers du raisonnement ne saurait suffire à justifier l’annulation de la décision litigieuse, dès lors que cette erreur n’avait pas pu avoir une influence déterminante quant au dispositif retenu par l’institution auteur de cette décision [voir arrêt du 20 janvier 2021, Jareš Procházková et Jareš/EUIPO – Elton Hodinářská (MANUFACTURE PRIM 1949), T‑656/18, non publié, EU:T:2021:17, point 19 et jurisprudence citée].

39      Ainsi, dans un premier temps, il convient d’examiner le bien fondée de la constatation selon laquelle le requérant n’a pas démontré l’existence de la mauvaise foi de l’intervenante au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée, ainsi que les griefs du requérant dirigés contre ce pilier de la décision attaquée.

40      À cet égard, il convient de rappeler, à l’instar de la jurisprudence citée au point 35 ci-dessus qu’il incombe au demandeur en nullité d’établir les circonstances qui permettent de conclure que le titulaire d’une marque de l’Union européenne était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de cette dernière. De même, ainsi que l’avait relevé, à juste titre, la chambre de recours, au point 21 de la décision attaquée, il y a lieu d’établir l’existence de la mauvaise foi au moment de la demande d’enregistrement de la marque contestée, soit le 10 août 2016.

41      En l’espèce, le requérant a fait valoir les faits et arguments suivants, repris également au point 3 de la décision attaquée.

42      Premièrement, le requérant a fait valoir que la société B était active dans le domaine des produits de textile depuis 1995 et avait utilisé dans la vie des affaires un signe identique à la marque contestée depuis 2009. De même, il a affirmé que ladite société avait été titulaire de deux marques polonaises, l’une verbale et l’autre figurative, contentant l’élément verbal « dzian druk » qui avaient expiré en 2015.

43      Deuxièmement, le requérant a avancé que C et lui détenaient chacun 50 % du capital de la société B, et que C était l’actionnaire à 100 % de l’intervenante, de sorte que cette dernière était au courant de l’utilisation du signe Dzian Druk. De même, il a soutenu que l’intervenante détenait 95 % du capital de la société A.

44      Troisièmement, le requérant a fait part de l’existence d’un différend entre les actionnaires de la société B et du fait que, en 2016, C avait été nommé administrateur de ladite société. Il a précisé que, par la suite, lors d’une assemblée des actionnaires de ladite société, à laquelle il n’avait pas participé, D et E, la fille et le gendre de C avaient été nommés membres du conseil d’administration qui, à son tour, avait donné procuration commerciale à C. Il a souligné que le dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée était intervenu pendant ce différend.

45      Quatrièmement, le requérant a soutenu que C, D et E s’étaient appropriés l’activité commerciale de la société B en utilisant la marque contestée à travers de l’intervenante et la société A. Il a fait valoir que la demande d’enregistrement de la marque contestée était intervenue seulement quelques mois après le différend en cause et que l’intervenante avait l’intention malhonnête de s’approprier ledit signe et de créer l’impression que la société A était liée à la société B.

46      À cet égard, en premier lieu, il convient de relever que le requérant a apporté des éléments de preuve relatifs à l’usage d’un signe identique à la marque contestée par la société B dans la vie des affaires notamment pour les produits textiles, ce qui n’est pas contesté par l’intervenante. Toutefois, il convient de tenir compte du fait que le signe utilisé par ladite société n’a pas été enregistré en tant que marque. Or, il s’agit d’une circonstance pertinente au regard de la jurisprudence citée au point 33 ci-dessus.

47      De même, il convient de relever que, afin de considérer que le dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée a été fait de mauvaise foi par l’intervenante, ce sont les intérêts du titulaire du signe en cause, à savoir la société B, qu’il conviendra de prendre en compte.

48      En deuxième lieu, s’agissant de la connaissance par l’intervenante de l’utilisation par la société B d’un signe identique à la marque contestée, il n’est pas contesté que l’intervenante, détenue à 100 % par C qui détient également 50 % de ladite société, savait que cette dernière a utilisé ledit signe dans la vie des affaires.

49      Toutefois, ainsi que l’a rappelé, à juste titre, la chambre de recours, au point 18 de la décision attaquée, la circonstance que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise, dans au moins un État membre, depuis longtemps un signe identique ou similaire pour un produit identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé ne suffit pas, à elle seule, pour que soit établie l’existence de la mauvaise foi du demandeur (arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, point 40).

50      En troisième lieu, s’agissant du différend entre les actionnaires de la société B, il a certes été jugé que la circonstance selon laquelle une partie avait demandé l’enregistrement de la marque contestée, dont aucune utilisation préalable n’avait été démontrée, seulement quelques mois après le début du contentieux sociétaire qui l’opposait à l’autre partie et qui avait créé une phase d’incertitude quant aux équilibres internes à cette dernière, méritait une attention particulière aux fins d’apprécier l’existence d’une éventuelle mauvaise foi de sa part [arrêt du 11 juillet 2013, SA.PAR./OHMI – Salini Costruttori (GRUPPO SALINI), T‑321/10, EU:T:2013:372, point 30]. Or, en l’espèce, la chambre de recours a porté un degré d’attention accru à cet aspect et notamment à la question de savoir si la société B pouvait être représentée au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée, ainsi qu’il ressort des points 23 à 29 de la décision attaquée.

51      À cet égard, il y a lieu de relever que la chambre de recours a démontré que, contrairement aux allégations du requérant, ce dernier était avisé de l’assemblée des actionnaires de la société B qui s’est tenue le 4 octobre 2016.

52      Force est donc de constater que, en l’espèce, l’existence d’un différend entre les actionnaires de la société B ne saurait, à elle-seule caractériser la mauvaise foi de l’intervenante au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée. Or, le requérant n’a pas apporté d’éléments démontrant l’existence de l’intention malhonnête de la part de l’intervenante au moment dudit dépôt conformément à la jurisprudence citée aux points 29, 31 et 35 ci-dessus.

53      En quatrième lieu, les allégations selon lesquelles l’intervenante, C, D ou E se sont appropriés la marque contestée en vue de créer l’impression que les sociétés A et B sont liées sont purement spéculatives et non étayées.

54      En particulier, les seuls éléments concrets relatifs à l’usage de la marque contestée par la société A présentés au cours de la procédure administrative sont clairement insuffisants afin de démontrer une quelconque intention malhonnête de la part de l’intervenante. En effet, il convient de relever que les éléments de preuve en ce sens soumis par le requérant lors de la procédure administrative se limitent à une carte de vœux de Pâques et à trois images. L’ensemble de ces éléments ne sont pas datés et démontrent l’usage simultanée de la marque contestée et du signe GVF. Bien qu’ils constituent des indices, ces éléments qui ne sont pas datés ne permettent pas d’apprécier le contexte dans lequel ladite marque a été utilisée. De surcroît, sur une des photos, il est possible d’apercevoir la mention de l’adresse Internet de la société B, excluant ainsi la thèse d’une utilisation non licite de cette marque pour induire en erreur le consommateur.

55      Il s’ensuit que, bien que les éléments soumis par le requérant lors de la procédure administrative éclairent le contexte dans lequel la marque contestée a été déposée, ils sont néanmoins insuffisants pour démontrer l’intention malhonnête de l’intervenante, ainsi que l’a considéré, en substance, la chambre de recours.

56      Ainsi, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce dont la chambre de recours a tenu dûment compte, ainsi qu’il ressort notamment du point 30 de la décision attaquée et particulièrement du fait que le signe identique à la marque contestée n’a pas été enregistré, du fait que le requérant devait démontrer que l’enregistrement de ladite marque a porté atteinte aux intérêts de la société B et du fait que le requérant n’a pas apporté des éléments convaincants en ce sens, il y a lieu de considérer que la mauvaise foi de l’intervenante lors du dépôt de la marque contestée n’a pas été démontrée en l’espèce.

57      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les griefs soulevés par le requérant.

58      Premièrement, contrairement aux allégations du requérant, la chambre de recours a bien tenu compte du lien existant entre la société B et l’intervenante. En effet, elle a considéré, d’une part, que « les deux parties savaient que le signe avait été commercialisé et utilisé avant la date du dépôt » (point 18 de la décision attaquée) et, d’autre part, que C détenait 50 % du capital de la société B et 100 % du capital de l’intervenante (points 4, 20 et 22 de ladite décision).

59      Deuxièmement, il y a lieu de relever que la chambre de recours a également tenu dûment compte du différend entre les actionnaires de la société B, ainsi qu’il ressort des points 23 à 29 de la décision attaquée (voir point 50 ci-dessus).

60      Troisièmement, s’agissant de l’allégation du requérant selon laquelle la chambre de recours a ignoré les circonstances de l’utilisation trompeuse de la marque contestée par la société A, il y a lieu de relever que cette chambre n’a effectivement pas examiné ces prétendues circonstances ni leur incidence sur une éventuelle existence de la mauvaise foi de l’intervenante au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée. À cet égard, il convient toutefois de relever que ladite chambre a bien rappelé cette allégation du requérant, au point 3 de la décision attaquée, de sorte qu’il ne serait lui être reproché de ne pas en avoir tenu compte (voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2021, MANUFACTURE PRIM 1949, T‑656/18, non publié, EU:T:2021:17, points 63 et 64). Il peut, au contraire, en être déduit que la chambre de recours ne l’a pas estimé comme étant pertinente.

61      En effet, ainsi qu’il ressort du point 55 ci-dessus, les éléments apportés par le requérant lors de la procédure administrative relatifs à l’utilisation de la marque contestée par la société A ne sont pas de nature à démontrer une mauvaise foi de l’intervenante au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée, de sorte que l’argument du requérant relatif à la prise en compte de ces éléments doit être écarté.

62      Il s’ensuit que c’est sans commettre d’erreur que la chambre de recours a pu constater que le requérant n’avait pas démontré l’existence de la mauvaise foi de l’intervenante au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.

63      Dans ces conditions, en application de la jurisprudence citée au point 38 ci-dessus, il n’y a pas lieu d’examiner les griefs du requérant dirigés contre le deuxième pilier de la décision attaquée.

64      Partant, il convient de rejeter le moyen unique du requérant, ainsi que le recours dans son entièreté.

 Sur les dépens

65      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

66      Le requérant ayant succombé en l’espèce, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Piotr Włodarczyk est condamné aux dépens.

Tomljenović

Schwarcz

Nõmm

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 novembre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.