Language of document : ECLI:EU:T:2007:317

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)

25 octobre 2007 (*)

« Ententes – Producteurs de ronds à béton – Décision constatant une infraction à l’article 65 CA – Décision fondée sur le traité CECA après l’expiration dudit traité – Incompétence de la Commission »

Dans les affaires jointes T‑27/03, T‑46/03, T‑58/03, T‑79/03, T‑80/03, T‑97/03 et T‑98/03,

SP SpA, établie à Brescia (Italie), représentée par Mes G. Belotti et N. Pisani, avocats,

partie requérante dans l’affaire T‑27/03,

Leali SpA, établie à Odolo (Italie), représentée par Mes G. Vezzoli et G. Belotti, avocats,

partie requérante dans l’affaire T‑46/03,

Acciaierie e Ferriere Leali Luigi SpA, établie à Brescia, représentée par Mes G. Vezzoli, G. Belotti, E. Piromalli et C. Carmignani, avocats,

partie requérante dans l’affaire T‑58/03,

Industrie Riunite Odolesi SpA (IRO), établie à Odolo, représentée par MA. Giardina, avocat,

partie requérante dans l’affaire T‑79/03,

Lucchini SpA, établie à Milan (Italie), représentée initialement par Mes A. Santa Maria et C. Biscaretti di Ruffia, puis par Mes M. Delfino, M. van der Woude, S. Fontanelli et P. Sorvillo, avocats,

partie requérante dans l’affaire T‑80/03,

Ferriera Valsabbia SpA, établie à Odolo,

Valsabbia Investimenti SpA, établie à Odolo,

représentées par Mes D. Fosselard et P. Fattori, avocats,

parties requérantes dans l’affaire T‑97/03,

Alfa Acciai SpA, établie à Brescia, représentée par Mes D. Fosselard, P. Fattori et G. d’Andria, avocats,

partie requérante dans l’affaire T‑98/03,

soutenues par

République italienne, représentée par MM. I. Braguglia et M. Fiorilli, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme L. Pignataro-Nolin et M. A. Whelan, en qualité d’agents, assistés, dans les affaires T‑27/03 et T‑58/03, de MM. Moretto et, dans les affaires T‑79/03, T‑97/03 et T‑98/03, de MP. Manzini, avocats,

partie défenderesse,

ayant pour objet des demandes de constatation d’inexistence et des demandes d’annulation totale ou partielle de la décision C (2002) 5087 final de la Commission, du 17 décembre 2002, relative à une procédure d’application de l’article 65 CA (COMP/37.956 – Ronds à béton),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre élargie),

composé de M. M. Vilaras, président, Mme M. E. Martins Ribeiro, MM. F. Dehousse, D. Šváby et Mme K. Jürimäe, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 septembre 2006,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

 Dispositions du traité CECA

1        L’article 36 CA dispose :

« La Commission, avant de prendre une des sanctions pécuniaires ou de fixer une des astreintes prévues au présent traité, doit mettre l’intéressé en mesure de présenter ses observations.

[…] »

2        L’article 47 CA énonce :

« La Commission peut recueillir les informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Elle peut faire procéder aux vérifications nécessaires.

[…] »

3        L’article 65 CA prévoit :

« 1. Sont interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui tendraient, sur le marché commun, directement ou indirectement, à empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence, et en particulier :

a)      à fixer ou à déterminer les prix ;

b)      à restreindre ou à contrôler la production, le développement technique ou les investissements ;

c)      à répartir les marchés, produits, clients ou sources d’approvisionnement.

2. Toutefois, la Commission autorise, pour des produits déterminés, des accords de spécialisation ou des accords d’achat ou de vente en commun, si [certaines conditions sont remplies] […]

3. La Commission peut obtenir, conformément aux dispositions de l’article 47, toutes informations nécessaires à l’application du présent article, soit par demande spéciale adressée aux intéressés, soit par un règlement définissant la nature des accords, décisions ou pratiques qui ont à lui être communiqués.

4. Les accords ou décisions interdits en vertu du paragraphe 1 du présent article sont nuls de plein droit et ne peuvent être invoqués devant aucune juridiction des États membres.

La Commission a compétence exclusive, sous réserve des recours devant la Cour, pour se prononcer sur la conformité avec les dispositions du présent article desdits accords ou décisions.

5. La Commission peut prononcer contre les entreprises qui auraient conclu un accord nul de plein droit, appliqué ou tenté d’appliquer, par voie d’arbitrage, dédit, boycott ou tout autre moyen, un accord ou une décision nuls de plein droit ou un accord dont l’approbation a été refusée ou révoquée, ou qui obtiendraient le bénéfice d’une autorisation au moyen d’informations sciemment fausses ou déformées, ou qui se livreraient à des pratiques contraires aux dispositions du paragraphe 1, des amendes et astreintes au maximum égales au double du chiffre d’affaires réalisé sur les produits ayant fait l’objet de l’accord, de la décision ou de la pratique contraires aux dispositions du présent article, sans préjudice, si cet objet est de restreindre la production, le développement technique ou les investissements, d’un relèvement du maximum ainsi déterminé à concurrence de 10 % du chiffre d’affaires annuel des entreprises en cause, en ce qui concerne l’amende, et de 20 % du chiffre d’affaires journalier, en ce qui concerne les astreintes. »

4        Conformément à l’article 97 CA, le traité CECA a expiré le 23 juillet 2002.

 Communication de la Commission sur certains aspects du traitement des affaires de concurrence résultant de l’expiration du traité CECA

5        Le 18 juin 2002, la Commission a adopté une communication sur certains aspects du traitement des affaires de concurrence résultant de l’expiration du traité CECA (JO C 152, p. 5, ci-après la « communication du 18 juin 2002 »).

6        Au point 2 de la communication du 18 juin 2002, il est précisé que l’objet de celle-ci est :

« −      de récapituler, à l’intention des opérateurs économiques et des États membres dans la mesure où ils sont concernés par le traité CECA et son droit dérivé, les modifications les plus importantes du droit matériel et procédural découlant de la transition vers le régime du traité CE […]

−      d’expliquer comment la Commission entend régler les problèmes spécifiques posés par la transition du régime CECA au régime CE dans le domaine des ententes et des abus de position dominante […], du contrôle des concentrations […] et du contrôle des aides d’État ».

7        Le point 31 de la communication du 18 juin 2002, qui figure dans la section consacrée aux problèmes spécifiques posés par la transition du régime CECA au régime CE, est libellé comme suit :

« Si, dans l’application des règles communautaires de la concurrence à des accords, la Commission constate une infraction dans un domaine relevant du traité CECA, le droit matériel applicable est, quelle que soit la date d’application, celui en vigueur au moment où les faits constitutifs de l’infraction se sont produits. En tout état de cause, sur le plan procédural, le droit applicable après l’expiration du traité CECA sera le droit CE […] »

 Procédure administrative

8        D’octobre à décembre 2000, la Commission a effectué, conformément à l’article 47 CA, des vérifications auprès des entreprises italiennes productrices de ronds à béton et auprès d’une association d’entreprises sidérurgiques italiennes. Elle leur a également adressé des demandes de renseignements, en vertu de l’article 47 CA.

9        Le 26 mars 2002, la Commission a engagé la procédure administrative et a arrêté les griefs au titre de l’article 36 CA. Les parties requérantes dans les présentes affaires figuraient parmi les destinataires de la communication des griefs.

10      Les parties requérantes ont déposé des observations écrites relatives à la communication des griefs. Toutes les parties requérantes, à l’exception de la partie requérante dans l’affaire T‑80/03, ont demandé à pouvoir exposer oralement leur point de vue. À cette fin, le conseiller-auditeur a organisé une audition en date du 13 juin 2002.

11      Le 12 août 2002, la Commission a arrêté des griefs supplémentaires adressés aux destinataires de la communication des griefs initiale. Dans cette communication des griefs supplémentaire, fondée sur l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), la Commission expliquait sa position concernant la poursuite de la procédure après l’expiration du traité CECA.

12      Les parties requérantes ont déposé des observations écrites relatives à la communication des griefs supplémentaire. Une seconde audition, en présence des représentants des États membres, a eu lieu le 30 septembre 2002.

 Décision attaquée

13      Le 17 décembre 2002, la Commission a adopté la décision C (2002) 5087 final, relative à une procédure d’application de l’article 65 CA (COMP/37.956 – Ronds à béton, ci-après la « décision attaquée »).

14      Le préambule de la décision attaquée se lit comme suit :

« Vu le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier, et notamment son article 65,

vu les informations qui ont été communiquées à la Commission et les vérifications effectuées au titre de l’article 47 CA par des agents de la Commission,

vu les observations écrites et orales présentées en vertu de l’article 36 CA au nom et pour le compte des parties,

après consultation du comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes,

[…] »

15      Quant aux conséquences juridiques de l’expiration du traité CECA, la Commission s’est d’abord référée, au considérant 331 de la décision attaquée, au point 31 de la communication du 18 juin 2002.

16      Ensuite, la Commission a examiné aux considérants 333 à 344 de la décision attaquée si l’application de l’article 65 CA aux comportements reprochés ne pouvait pas être contestée sur la base du principe de la lex mitior.

17      Elle a rappelé à cet effet, au considérant 335 de la décision attaquée, que « les deux dispositions du traité CECA qui, en théorie, pourraient être qualifiées de moins favorables [étaient, d’une part,] l’article 65, paragraphe 1, CA, dans la mesure où il n’exige[ait] pas (à la différence de l’article 81, paragraphe 1, CE), pour qu’il y ait infraction, que l’entente restreignant la concurrence soit susceptible d’affecter le commerce entre États membres […] et[, d’autre part,] l’article 65, paragraphe 5, CA, dans la mesure où il prévo[ya]it la possibilité d’infliger des amendes au maximum égales au double du chiffre d’affaires réalisé sur les produits ayant fait l’objet de l’entente (cette possibilité n’[étant] en revanche pas prévue, dans le droit CE, par l’article 15 du règlement n° 17) […] »

18      Après avoir constaté, aux considérants 337 à 341 de la décision attaquée, que l’entente visée par la décision attaquée était susceptible d’affecter le commerce entre États membres, la Commission a indiqué, au considérant 343 de ladite décision, qu’elle « a[vait] fait officiellement savoir aux parties que […] elle n’entendait infliger à aucune entreprise une amende supérieure à 10 % du chiffre d’affaires annuel réalisé […] avec les produits CECA sur le territoire de l’Union européenne » et que « ce plafond (de toute façon prévu par l’article 65, paragraphe 5, CA pour les accords qui, comme en l’espèce, ont également pour objet de restreindre la production) [était] en outre plus favorable aux entreprises que celui prévu à l’article 15 du règlement n° 17, du 6 février 1962, qui fixe le plafond à 10 % du volume d’affaires annuel réalisé avec tous les produits au niveau mondial ».

19      Elle a conclu, au considérant 344 de la décision attaquée, que, « in concreto, l’application du traité CE ne serait pas plus favorable […], et que, par conséquent, même si l’on estimait possible d’appliquer le principe de la lex mitior, ce principe ne pourrait de toute façon pas être invoqué pour contester l’application du droit matériel CECA aux comportements imputés aux destinataires de la présente décision ».

20      Quant à sa compétence pour appliquer les règles de concurrence du traité CECA après l’expiration de celui-ci, la Commission a expliqué aux considérants 348 à 352 de la décision attaquée :

« 348  […] le traité CE et le traité CECA appartiennent au même ordre juridique, l’ordre juridique communautaire, à l’intérieur duquel ce dernier traité a constitué, jusqu’au 23 juillet 2002, une lex specialis. Cela signifie que, en principe, à partir du 24 juillet 2002, les secteurs qui relevaient précédemment du traité CECA, de ses dispositions de procédure et de la législation dérivée sont soumis aux normes correspondantes qui dérivent du traité CE, qui constitue en effet le régime général.

349      Il convient de rappeler que le 8 avril 1965, les États membres ont conclu un traité qui établit un Conseil unique et une Commission unique des Communautés européennes. Il faut également rappeler que l’article 3 [UE] dispose que ‘l’Union dispose d’un cadre institutionnel unique qui assure la cohérence et la continuité des actions menées en vue d’atteindre ses objectifs, tout en respectant et en développant l’acquis communautaire’. Il est rappelé, enfin, que l’article 305, paragraphe 1, CE dispose que ‘[l]es dispositions du présent traité ne modifient pas celles du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier, notamment en ce qui concerne les droits et obligations des États membres, les pouvoirs des institutions de cette Communauté et les règles posées par ce traité pour le fonctionnement du marché commun du charbon et de l’acier’.

350      Les conséquences de la fin de la lex specialis doivent être toutefois précisées en ce qui concerne les dispositions qui autorisent la Commission à infliger des sanctions. Dans ce cas, l’application de la loi matérielle en vigueur au moment du déroulement des faits apparaît justifiée, l’application des règles de procédure adoptées depuis lors devant être maintenue.

351      Avec la communication du 18 juin 2002, la Commission n’a pas voulu, et n’aurait jamais pu, établir des règles transitoires. Elle s’est simplement limitée à expliquer ex ante, dans un souci de transparence, de quelle façon, sur la base des principes généraux du droit, aurait lieu la transition entre les deux traités.

352      Dans cette perspective, l’application du règlement n° 17 à la suite de la procédure est conforme au principe selon lequel les règles de procédure applicables sont celles en vigueur au moment où la mesure en question est adoptée. Dans la même perspective, il n’a pas été jugé nécessaire de renouveler la première audition à laquelle les représentants des États membres n’avaient pas participé, car les règles de procédure CECA en vigueur à ce moment ne prévoyaient pas une telle participation. En outre, comme il est souligné au point 26 de la communication [du 18 juin 2002], on doit considérer que les mesures procédurales qui ont été adoptées d’une façon valide sur la base des dispositions CECA satisfaisaient, à l’échéance du traité CECA, aux conditions prévues par les mesures procédurales correspondantes mises en place par le traité CE. Il est important de souligner aussi qu’aucun lien formel n’existe entre les dispositions qui concernent la participation des États membres à une audition [article 11 du règlement (CE) nº 2842/98 relatif à l’audition dans certaines procédures fondées sur les articles [81 CE] et [82 CE]] et celles relatives à la consultation du comité consultatif (article 10 du règlement n° 17). »

21      Après avoir examiné, aux considérants 358 à 513 de la décision attaquée, l’applicabilité de l’article 65, paragraphe 1, CA aux comportements des entreprises et de l’association d’entreprises y mentionnées, la Commission a affirmé au considérant 514 :

« Conformément à l’article 65, paragraphe 2, CA, la Commission autorise des accords de spécialisation ou des accords d’achat ou de vente en commun ou des accords qui sont strictement analogues, quant à leur nature et à leurs effets, s’ils satisfont à des conditions déterminées. L’entente restrictive décrite dans la présente décision ne peut bénéficier d’une autorisation, parce qu’elle ne correspond pas aux types d’accord pour lesquels cette autorisation peut être accordée. Il s’agit en effet d’une entente portant sur la fixation ou la détermination des prix, la limitation ou le contrôle de la production et la répartition des marchés. De plus, aucune demande n’a été présentée pour obtenir l’autorisation prévue par cet article du traité CECA. »

22      S’agissant de l’applicabilité de l’article 65, paragraphe 5, CA, la Commission a considéré aux considérants 515 à 518 de la décision attaquée :

« 515          Conformément à l’article 65, paragraphe 5, CA, la Commission peut infliger des amendes aux entreprises qui auraient conclu un accord nul de plein droit, appliqué ou tenté d’appliquer un accord ou une décision d’association d’entreprises nuls de plein droit, ou qui se livreraient à des pratiques contraires aux dispositions du paragraphe 1. La Commission peut infliger des amendes au maximum égales au double du chiffre d’affaires réalisé sur les produits ayant fait l’objet de l’accord, de la décision ou de la pratique concertée contraires aux dispositions de l’article 65, paragraphe 1, CA, sans préjudice, si cet objet est de restreindre la production, le développement technique ou les investissements, d’un relèvement du maximum ainsi déterminé à concurrence de 10 % du chiffre d’affaires annuel des entreprises en cause.

516      La question de la participation d’une association d’entreprises à une procédure d’infraction aux règles de concurrence du traité CECA est une question sur laquelle la jurisprudence s’est déjà prononcée dans l’affaire ‘Eurofer’ : “l’article 65, paragraphe 1, CA interdit ‘tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui tendraient, sur le marché commun, directement ou indirectement, à empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence’. Selon l’article 65, paragraphe 4, CA : ‘les accords ou décisions interdits en vertu du paragraphe 1 du présent article sont nuls de plein droit et ne peuvent être invoqués devant aucune juridiction des États membres. La Commission a compétence exclusive, sous réserve des recours devant la Cour, pour se prononcer sur la conformité avec les dispositions du présent article desdits accords ou décisions.’ Aux termes de l’article 65, paragraphe 5, CA, ‘la Commission peut prononcer contre les entreprises qui auraient conclu un accord nul de plein droit, appliqué ou tenté d’appliquer [...] un accord ou une décision nuls de plein droit [...] ou qui se livreraient à des pratiques contraires aux dispositions du paragraphe 1, des amendes et astreintes [...]’ S’il découle effectivement de l’article 65, paragraphe 5, CA qu’une association d’entreprises ne peut pas se voir infliger d’amende ou d’astreinte, rien dans le libellé de l’article 65, paragraphe 1, CA ne permet de considérer qu’une association qui a adopté une décision tendant à empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence n’est pas elle-même visée par l’interdiction consacrée par cette disposition. Cette interprétation est confirmée tant par la disposition de l’article 65, paragraphe 4, CA, qui fait également référence à de telles décisions, que par l’arrêt Sorema/Haute Autorité, dans lequel la Cour a jugé que l’article 65, paragraphe 1, CA s’appliqu[ait] également aux associations dans la mesure où leurs activités propres ou celles des entreprises qui y adhèrent tendent à produire les effets qu’il vise (Rec. p. 317). Cette constatation est également confirmée, selon la Cour, par l’article 48 CA, qui permet aux associations d’exercer toute activité qui n’est pas contraire aux dispositions dudit traité. Contrairement à ce que soutient la requérante, il ressort également de l’arrêt Sorema/Haute Autorité, précité, qu’une association d’entreprises au sens de l’article 65, paragraphe 1, CA peut être la destinataire d’une décision autorisant un accord au titre de l’article 65, paragraphe 2, CA (Rec. p. 317 à 322). Il y a donc lieu de rejeter l’argument de la requérante selon lequel une association d’entreprises, au sens de l’article 65, paragraphe 1, CA, ne peut pas enfreindre l’interdiction prévue par cette disposition.”

517      Il faut en déduire qu’une association d’entreprises ne peut pas se voir infliger des amendes, mais peut en tout cas être destinataire d’une décision si sa participation à l’infraction est certaine […]

518      En ce qui concerne les entreprises, les éléments qui doivent être pris en considération pour le calcul sont notamment la gravité de l’infraction, sa durée ainsi que les circonstances aggravantes et atténuantes. »

23      L’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée dispose ce qui suit :

« [Les onze entreprises et l’association d’entreprises parmi lesquelles figurent les parties requérantes] ont mis en œuvre une entente unique, complexe et continue sur le marché italien des ronds à béton en barres ou en rouleaux, qui avait pour objet ou pour effet la fixation des prix et qui a également donné lieu à une limitation ou à un contrôle concertés de la production ou des ventes.

Cette entente, parce qu’elle avait pour objet de limiter ou de fausser le jeu normal de la concurrence sur le marché commun, est contraire à l’article 65, paragraphe 1, CA. »

24      Selon l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, la participation à l’entente a duré du 6 décembre 1989 au 27 juin 2000 pour les parties requérantes dans les affaires T‑27/03, T‑46/03, T‑58/03, T‑79/03, T‑80/03 et T‑97/03, et du 6 décembre 1989 au 4 juillet 2000 pour la partie requérante dans l’affaire T‑98/03.

25      Il résulte de l’article 2 de la décision attaquée que les entreprises visées par l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée, parmi lesquelles figurent les parties requérantes, se sont vu infliger des amendes d’un montant total de 85,04 millions d’euros.

 Procédure

26      Par requêtes déposées au greffe du Tribunal, entre le 31 janvier et le 10 mars 2003, les requérantes ont introduit les présents recours.

27      Par actes séparés respectivement déposés au greffe du Tribunal les 8 et 15 mai 2003, les requérantes dans les affaires T‑79/03 et T‑46/03 ont introduit une demande de sursis à l’exécution de la décision attaquée.

28      Par ordonnances du président du Tribunal du 5 août 2003, IRO/Commission (T‑79/03 R, Rec. p. II‑3027), et du 20 octobre 2003, Leali/Commission (T‑46/03 R, Rec. p. II‑4473), les demandes en référé ont été rejetées et les dépens ont été réservés.

29      Dans chaque affaire, la République italienne a, par acte déposé au greffe du Tribunal, le 16 juin 2004, demandé à intervenir à l’appui des conclusions de la requérante.

30      Par ordonnance du président de la première chambre du Tribunal du 27 juillet 2004, la République italienne a été admise à intervenir à l’appui des conclusions de la requérante dans chaque affaire. Elle a présenté ses observations lors de la procédure orale sur la base du rapport d’audience, conformément à l’article 116, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal.

31      Par acte déposé au greffe du Tribunal, le 18 octobre 2005, la requérante dans l’affaire T‑46/03 a introduit une nouvelle demande de sursis à l’exécution de la décision attaquée. Cette demande a été rejetée par ordonnance du président du Tribunal du 24 janvier 2006, Leali/Commission (T‑46/03 R II, non publiée au Recueil).

32      En application de l’article 14, paragraphe 1, du règlement de procédure et sur proposition de la quatrième chambre, le Tribunal a décidé, les parties entendues conformément à l’article 51, paragraphe 1, dudit règlement, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

33      Par ordonnance du 6 juillet 2006, le président de la cinquième chambre du Tribunal a ordonné, après avoir entendu les parties, la jonction des affaires T‑27/03, T‑46/03, T‑58/03, T‑79/03, T‑80/03, T‑97/03 et T‑98/03 aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

34      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’entendre les parties, dans un premier temps, sur le moyen tiré de l’incompétence de la Commission pour adopter la décision attaquée. Il a posé, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, une question écrite à la Commission, qui y a répondu dans le délai imparti.

35      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 19 septembre 2006.

 Conclusions des parties

36      Dans l’affaire T‑27/03, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal et sur le fond, déclarer inexistante et/ou nulle ou, en tout état de cause, annuler la décision attaquée pour incompétence, abus et détournement de pouvoir ;

–        subsidiairement et sur le fond, annuler la décision attaquée, notamment pour ce qui concerne la sanction, pour définition erronée du marché géographique, défaut de motivation, application erronée du droit, caractère non fondé, notamment sous l’angle des preuves, des griefs imputés, violation du principe d’impartialité de l’action administrative et des droits de la défense ;

–        très subsidiairement et sur le fond, annuler l’amende au motif qu’elle est déraisonnable et pour cause d’instruction et de motivation insuffisantes ou, en toute hypothèse, réduire la sanction infligée à la requérante, en défalquant tout d’abord la majoration de 225 % au titre de l’effet dissuasif, la majoration de 105 % au titre de la durée en réduisant, à due proportion, le montant de base en raison de la prescription, de la moindre gravité de l’infraction, du caractère marginal de sa participation à l’entente et des griefs expressément non retenus contre elle ;

–        condamner la défenderesse, en tout état de cause, aux frais et dépens de l’instance.

37      Dans l’affaire T‑46/03, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, réduire le montant de l’amende infligée, en considération de l’impossibilité de lui imputer les griefs retenus contre Acciaierie e Ferriere Leali Luigi SpA ainsi qu’en considération de l’application erronée de la majoration au titre de la durée à la totalité de la sanction de base, de même qu’en considération des conditions financières précaires et spécifiques qui lui sont inhérentes ;

–        condamner la Commission à lui rembourser les frais et dépens qu’elle a exposés au titre de la présente instance.

38      Dans l’affaire T‑58/03, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, réduire le montant de l’amende infligée, en considération de l’impossibilité de lui imputer des comportements mis en œuvre postérieurement à sa mise en liquidation, soit pour la période comprise entre le 25 novembre et le 4 décembre 1998, et en considération de l’application erronée de la majoration en raison de la durée à la totalité de la sanction de base, ainsi que des conditions financières spécifiques qui lui sont inhérentes ;

–        condamner la Commission au remboursement des frais, dépens et honoraires qu’elle a exposés au titre de la présente instance.

39      Dans l’affaire T‑79/03, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée pour cause de défaut de pouvoir et incompétence manifeste de la Commission, en ce que cette décision a été adoptée par référence expresse à une base juridique inexistante et en l’absence de toute disposition qui, à la suite de l’expiration du traité CECA, attribuerait à la Commission le pouvoir de prendre une décision au titre de l’article 65 CA ;

–        annuler la décision pour cause d’excès de pouvoir, d’application erronée, contradictoire et fausse du droit, en ce que la Commission a eu recours, aux fins de l’application de l’article 65 CA, aux règles de procédure prévues par le règlement n° 17, alors que celles-ci sont réservées expressément et exclusivement à l’application des articles 81 CE et 82 CE, ainsi que pour cause de violation des dispositions dudit règlement concernant le rôle et les limites de la communication des griefs ainsi que la participation des autorités nationales, ce dont il suit que la procédure toute entière de la Commission est incomplète, incohérente et illégale ;

–        annuler la décision pour détournement de pouvoir imputable à un défaut d’instruction ainsi qu’à une motivation carentielle, ce dont suit le caractère erroné de la définition du marché pertinent ainsi que le caractère contradictoire et illogique des conditions et des éléments constitutifs de l’entente prétendue ;

–        subsidiairement, annuler la décision attaquée pour violation de la loi imputable à un défaut d’instruction, dans la partie de ladite décision dans laquelle elle est tenue pour responsable d’une entente anticoncurrentielle au cours de la période comprise entre 1989 et 1996, alors qu’il n’existe aucun élément prouvant sa participation à l’activité prétendument illicite ; partant, réduire proportionnellement l’amende qui lui est infligée ;

–        subsidiairement, annuler ou réduire l’amende qui lui est infligée dans la décision attaquée pour violation des principes d’égalité de traitement, de protection de la confiance légitime, de proportionnalité et d’adéquation dans la détermination de la sanction ;

–        condamner la Commission aux frais et dépens de l’instance.

40      Dans l’affaire T‑80/03, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, constater l’inexistence et/ou la nullité et, en toute hypothèse, annuler la décision attaquée la condamnant, solidairement avec SP SpA, anciennement Siderpotenza SpA, au paiement d’une amende de 16,14 millions d’euros au motif qu’elle aurait mis en œuvre, conjointement avec d’autres entreprises, une entente unique, complexe et continuée sur le marché italien du rond à béton, en barres ou en rouleaux, ayant pour objet ou pour effet la fixation des prix, en fonction de laquelle il aurait également été convenu de limiter ou de contrôler la production ou les ventes, en ce que le traité CECA était éteint dès avant l’adoption de la décision attaquée ;

–        subsidiairement, annuler la décision attaquée, notamment en ce qui concerne la sanction, pour cause d’incompétence, de détournement de pouvoir et d’excès manifeste de pouvoir de la part de la Commission ainsi que pour cause d’application erronée de l’article 65 CA et de défaut et/ou de contrariété de la motivation à son égard ;

–        plus subsidiairement, réduire l’amende à laquelle la Commission l’a condamnée en fonction de son chiffre d’affaires, pour cause d’application erronée de l’article 65, paragraphe 5, CA ;

–        en toute hypothèse, condamner la Commission aux frais et dépens de la présente instance.

41      Dans les affaires T‑97/03 et T‑98/03, les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 1er de la décision attaquée dans la mesure où ledit article les concerne ;

–        à titre subsidiaire, annuler l’article 1er de la décision attaquée dans la mesure où il leur impute une participation à une infraction avant le 13 février 1996 ;

–        annuler l’article 2 de la décision attaquée dans la mesure où ledit article les concerne ;

–        à titre subsidiaire, modifier l’article 2 de la décision attaquée de manière à supprimer ou à réduire substantiellement l’amende infligée ;

–        condamner la Commission aux dépens de l’instance.

42      Dans chaque affaire, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

43      Au soutien de leurs conclusions, toutes les parties requérantes invoquent un moyen tiré de l’incompétence de la Commission pour constater une infraction à l’article 65 CA au moment de l’adoption de la décision attaquée.

44      Les différents arguments soulevés dans le cadre de ce moyen peuvent être regroupés en quatre branches. La première branche, qui est invoquée dans chaque affaire, est prise du défaut de compétence de la Commission pour appliquer les règles de concurrence du traité CECA après l’expiration dudit traité. La deuxième branche, soulevée dans les affaires T‑27/03, T‑46/03 et T‑58/03, est tirée de l’illégalité de la communication du 18 juin 2002 en ce qu’elle prolongerait l’applicabilité de l’article 65 CA après l’expiration du traité CECA. La troisième branche, qui est invoquée dans les affaires T‑27/03, T‑79/03, T‑97/03 et T‑98/03, porte sur la poursuite illégale de la procédure sur la base du règlement n° 17 après l’expiration du traité CECA. La quatrième branche, soulevée dans les affaires T‑46/03, T‑58/03, T‑97/03 et T‑98/03, concerne la violation du principe de la lex mitior. Il convient d’examiner d’abord la première branche du présent moyen.

 Arguments des parties

45      Dans chaque affaire, la requérante rappelle que les actions de la Communauté doivent être fondées sur une base juridique précise. Les requérantes font observer que la décision attaquée se réfère uniquement à des dispositions du traité CECA, en particulier à son article 65. Dès lors que, au moment de l’adoption de la décision attaquée, le 17 décembre 2002, le traité CECA ne faisait plus partie de l’ordre juridique communautaire, ce traité ne pourrait plus constituer la base juridique de ladite décision.

46      Elles expliquent que, conformément à l’article 97 CA, l’ordre juridique institué par le traité CECA a automatiquement et entièrement cessé d’exister le 23 juillet 2002. Les normes attributives de ses compétences étant éteintes, la Commission n’aurait eu, au moment de l’adoption de la décision attaquée, aucune compétence pour appliquer l’article 65 CA. La présente espèce ne concernerait donc pas la succession des lois dans le temps au sein d’un seul ordre juridique, mais un problème lié à l’expiration d’un traité et à la disparition de l’ordre juridique s’y rapportant.

47      Selon les requérantes, seuls les États signataires du traité CECA pouvaient décider, souverainement, si et dans quelles conditions la Communauté européenne pouvait être subrogée dans les droits, dans les obligations et dans les prérogatives de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). Les requérantes dans les affaires T‑27/03, T‑79/03, T‑80/03, T‑97/03 et T‑98/03 se réfèrent à cet effet au droit international, et notamment aux articles 54 et 70 de la convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 788, p. 354). Les principes de droit international constitueraient, en effet, des sources d’inspiration valables pour interpréter les dispositions du droit communautaire (arrêt de la Cour du 24 novembre 1992, Poulsen et Diva Navigation, C‑286/90, Rec. p. I‑6019, point 9 ; arrêt du Tribunal du 22 janvier 1997, Opel Austria/Conseil, T‑115/94, Rec. p. II‑39, points 89 à 95).

48      Dans ce contexte, les requérantes dans les affaires T‑46/03, T‑58/03, T‑79/03 et T‑80/03 relèvent, d’une part, que la Commission a constaté, dans la communication COM/2000/588 final, du 27 septembre 2000, intitulée « L’avenir du dialogue structuré après l’expiration du traité CECA », que le « point de départ de toute réflexion [relative à l’expiration du traité CECA] doit être la volonté des États membres de ne pas proroger le régime et les organes de la CECA au-delà du terme fixé par le traité ».

49      D’autre part, toutes les requérantes mentionnent l’un ou l’autre protocole, décision ou règlement expressément pris par les États membres ou le Conseil afin de régler les conséquences de l’expiration du traité CECA. Il s’agit des actes suivants :

–        protocole relatif aux conséquences financières de l’expiration du traité CECA et au Fonds de recherche du charbon et de l’acier, annexé au traité de Nice, invoqué par la requérante dans l’affaire T‑79/03 ;

–        décision 2002/234/CECA des représentants des gouvernements des États membres, réunis au sein du Conseil, du 27 février 2002, relative aux conséquences financières de l’expiration du traité CECA et au Fonds de recherche du charbon et de l’acier (JO L 79, p. 42), invoquée par toutes les requérantes ;

–        décision 2002/595/CE des représentants des gouvernements des États membres, réunis au sein du Conseil, du 19 juillet 2002, relative aux conséquences de l’expiration du traité CECA sur les accords internationaux conclus par la CECA (JO L 194, p. 35), invoquée par les requérantes dans les affaires T‑27/03, T‑46/03, T‑58/03, T‑79/03 et T‑80/03 ;

–        règlement (CE) n° 963/2002 du Conseil, du 3 juin 2002, fixant des dispositions transitoires concernant les mesures antidumping et compensatoires adoptées en vertu des décisions n° 2277/96/CECA et n° 1889/98/CECA de la Commission ainsi que les demandes, plaintes et enquêtes antidumping et antisubventions en cours relevant de ces décisions (JO L 149, p. 3), invoqué par les requérantes dans les affaires T‑27/03, T‑79/03 et T‑80/03 ;

–        règlement (CE) n° 1407/2002 du Conseil, du 23 juillet 2002, concernant les aides d’État à l’industrie houillère (JO L 205, p. 1), invoqué par les requérantes dans les affaires T‑80/03, T‑97/03 et T‑98/03 ;

–        règlement (CE) n° 1840/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 30 septembre 2002, relatif au maintien du système statistique CECA après l’expiration du traité CECA (JO L 279, p. 1), invoqué par la requérante dans l’affaire T‑79/03 ;

–        règlement (CE) n° 405/2003 du Conseil, du 27 février 2003, relatif à la surveillance communautaire des importations de houille originaire de pays tiers (JO L 62, p. 1), invoqué par la requérante dans l’affaire T‑79/03.

50      En revanche, les États membres n’auraient pris aucune mesure prorogeant les règles de concurrence instituées par le traité CECA ou prévoyant un régime transitoire pour celles-ci. À défaut de toute décision des États signataires du traité CECA sur l’applicabilité de l’article 65 CA après l’expiration dudit traité, la Commission ne serait plus compétente pour appliquer cette disposition. En d’autres termes, en adoptant la décision attaquée, la Commission aurait prorogé la validité de l’article 65 CA, qui n’était plus en vigueur, en l’absence de tout acte juridique l’autorisant explicitement à agir de la sorte.

51      Les requérantes dans les affaires T‑46/03, T‑58/03, T‑79/03, T‑80/03, T‑97/03 et T‑98/03 insistent sur le fait que, malgré leur inspiration commune et l’exigence que leur interprétation réponde à des critères de cohérence logique, les traités CECA, CE et CEEA sont des traités distincts et autonomes attribuant des compétences distinctes et bien définies aux institutions communautaires. Chaque traité, considéré individuellement, constituerait un système complet et autonome de normes trouvant leur accomplissement, leur réalisation et leur mise en œuvre pleine et entière dans un cadre qui leur est propre. L’article 3 UE et l’article 305 CE témoigneraient du caractère autonome des différents traités.

52      Quant à l’argument de la Commission tiré du traité du 8 avril 1965 instituant un Conseil unique et une Commission unique des Communautés européennes (ci‑après le « traité de fusion »), qui entre‑temps a été abrogé par l’article 9 du traité d’Amsterdam, les requérantes dans les affaires T‑46/03, T‑58/03, T‑79/03, T‑80/03, T‑97/03 et T‑98/03 soulignent que, malgré la fusion des institutions, les différentes Communautés sont demeurées séparées et distinctes. La Commission aurait continué d’exercer des compétences distinctes et d’agir en vertu de pouvoirs distincts selon qu’elle agissait dans le cadre de l’une ou de l’autre Communauté (arrêt de la Cour du 9 août 1994, France/Commission, C‑327/91, Rec. p. I‑3641). Il serait contradictoire de prétendre que le domaine de la concurrence serait passé automatiquement du régime du traité CECA au régime du traité CE en vertu de l’unicité prétendue de l’ordre juridique communautaire alors que, pour différentes autres matières, une décision spécifique des États membres aurait été nécessaire.

53      Les requérantes dans les affaires T‑46/03 et T‑58/03 contestent également la qualification, s’agissant du traité CECA, de lex specialis (décision attaquée, considérant 348) par rapport au traité CE dès lors que le traité CECA a été signé antérieurement au second. La jurisprudence à laquelle se réfère la Commission dans son mémoire en défense ne concernerait nullement l’hypothèse de l’expiration du traité CECA et ne ferait que confirmer que le traité CECA était destiné à réglementer le seul marché sidérurgique, alors que le traité CE réglementait tous les autres secteurs. En tout état de cause, si le traité CECA devait constituer une lex specialis par rapport au traité CE, l’expiration du traité CECA aurait eu pour conséquence que la Commission aurait dû faire application de l’article 81 CE dans la décision attaquée.

54      En ce qui concerne l’article 305 CE qui, selon la Commission, confirmerait la nature de lex specialis du traité CECA, les requérantes dans les affaires T‑97/03 et T‑98/03 soutiennent qu’il s’agit d’une clause de compatibilité complète, propre au droit coutumier et codifiée à l’article 30, paragraphe 2, de la convention de Vienne. L’article 305 CE tendrait ainsi à éviter que le traité postérieur – le traité CE – prévale sur le traité antérieur – le traité CECA – dans les secteurs régis par ce dernier. Cette disposition, toutefois, n’habiliterait pas la Commission à appliquer le traité CECA après son expiration.

55      La Commission soutient que le traité CE et le traité CECA font partie d’un seul et même ordre juridique, qui est l’ordre juridique communautaire (avis de la Cour 1/91, du 14 décembre 1991, Rec. p. I‑6079, point 21). Elle explique que, en raison du caractère unique de cet ordre juridique, le juge communautaire a interprété des dispositions des traités CECA et CEEA en référence à des dispositions du traité CE, sur la base des principes communs auxquels se conforment tous les traités communautaires (arrêt de la Cour du 22 février 1990, Busseni, C‑221/88, Rec. p. I‑495, points 16 et 21). Ainsi, l’article 65 CA aurait été interprété en cohérence avec l’article 81 CE (arrêt de la Cour du 18 mai 1962, Geitling Ruhrkohlen-Verkaufsgesellschaft e.a./Haute Autorité, 13/60, Rec. p. 165 ; arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, T‑141/94, Rec. p. II‑347, points 262, 266 et 277).

56      Le caractère unique de l’ordre juridique communautaire serait en outre corroboré par l’unicité prévalant au niveau institutionnel. La Commission se réfère à cet effet au traité de fusion, ainsi qu’à l’article 1er, troisième alinéa, UE, à l’article 3, paragraphe 1, UE et aux articles 48 UE et 49 UE.

57      La Commission fait observer que, à l’intérieur de l’ordre juridique communautaire, le traité CECA constituait une lex specialis qui dérogeait à la lex generalis qu’est le traité CE. Elle se réfère à cet effet à l’article 305, paragraphe 1, CE ainsi qu’à la jurisprudence (arrêt de la Cour du 24 octobre 1985, Gerlach, 239/84, Rec. p. 3507, points 9 à 11 ; avis de la Cour 1/94, du 15 novembre 1994, Rec. p. I‑5267, points 25 à 27 ; conclusions de l’avocat général M. Van Gerven sous l’arrêt de la Cour du 13 avril 1994, Banks, C‑128/92, Rec. p. I‑1209, I‑1212, point 8 ; arrêts du Tribunal du 5 juin 2001, ESF Elbe-Stahlwerke Feralpi/Commission, T‑6/99, Rec. p. II‑1523, point 102, et du 8 juillet 2003, Verband der freien Rohrwerke e.a./Commission, T‑374/00, Rec. p. II‑2275, point 68). La Commission soutient que, à l’expiration de la lex specialis, le 23 juillet 2002, la lex generalis constituée par le traité CE a retrouvé pleinement sa vis expansiva que l’article 305 CE avait limitée pendant toute la période de validité du traité CECA, de sorte que les secteurs qui relevaient précédemment du traité CECA auraient été soumis, depuis l’expiration du traité CECA, aux normes correspondantes du traité CE. À cet égard, la Commission se réfère au considérant 348 de la décision attaquée.

58      Le renvoi au droit international, et notamment aux articles 54 et 70 de la convention de Vienne, méconnaîtrait la nature sui generis de l’ordre juridique communautaire (arrêts de la Cour du 15 juillet 1964, Costa, 6/64, Rec. p. 1141, et du 13 novembre 1964, Commission/Luxembourg et Belgique, 90/63 et 91/63, Rec. p. 1217). En raison de l’unicité de l’ordre juridique communautaire et du rapport de lex specialis à lex generalis existant entre les traités CECA et CE, les conséquences de l’expiration du traité CECA ne seraient pas régies par des règles de droit international, mais devraient être appréciées à la lumière des dispositions existant au sein de l’ordre juridique communautaire.

59      La jurisprudence citée par les requérantes au soutien de leur argumentation selon laquelle le droit international peut aussi s’appliquer dans le domaine du droit communautaire serait dépourvue de pertinence dès lors qu’elle concernerait les rapports entre la Communauté et des pays tiers et non des rapports nés au sein de l’ordre juridique communautaire.

60      À l’expiration du traité CECA, la transition entre le régime relevant du traité CECA et le régime relevant du traité CE en matière de concurrence se serait faite automatiquement sur la base du principe de la succession des règles dans le temps à l’intérieur du même ordre juridique. À cet égard, la Commission rappelle que les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur, à la différence des règles de fond, qui sont habituellement interprétées comme ne visant pas des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur [arrêts de la Cour du 12 novembre 1981, Salumi, 212/80 à 217/80, Rec. p. 2735, point 9 ; du 6 juillet 1993, CT Control (Rotterdam) et JCT Benelux/Commission, C‑121/91 et C‑122/91, Rec. p. I‑3873, point 22, et du 7 septembre 1999, De Haan, C‑61/98, Rec. p. I‑5003, point 13].

61      Conformément à ces principes, la Commission aurait appliqué, après l’expiration du traité CECA, les règles de procédure du règlement n° 17. Quant aux dispositions matérielles, la décision attaquée concernerait une entente mise en œuvre jusqu’en 2000. La seule disposition violée par les destinataires de la décision attaquée aurait dès lors été l’article 65, paragraphe 1, CA. En d’autres termes, l’article 81 CE ne serait pas mentionné dans la décision attaquée en raison du fait que l’article 65 CA constituait la disposition matérielle en vigueur à l’époque où les comportements anticoncurrentiels ont été mis en œuvre. La Commission soutient encore que le fait qu’une procédure administrative visant à appliquer l’article 65 CA à des faits survenus alors que le traité CECA était en vigueur a nécessité des délais excédant la durée du traité CECA ne peut pas avoir pour conséquence de priver l’article 65 CA de son effet utile bien avant la date d’expiration dudit traité et de rendre inefficace l’obligation de ne pas fausser la dynamique concurrentielle que ledit article imposait directement à tout opérateur économique.

62      L’application de l’article 65 CA à des infractions commises avant l’expiration du traité CECA serait donc la conséquence logique et cohérente des principes concernant la succession des règles dans le temps au sein d’un même ordre juridique. Elle insiste sur le fait qu’elle a pu légalement adopter la décision attaquée, puisqu’elle est restée, après l’expiration du traité CECA, l’organe compétent aux termes du traité CE pour appliquer les règles de concurrence. Elle souligne aussi qu’elle s’est limitée à appliquer des dispositions du traité CECA qui possèdent un équivalent évident dans le traité CE. En outre, la Cour elle-même aurait continué à appliquer l’article 65 CA, après son expiration, à des faits qui s’étaient produits pendant la période où il était encore en vigueur (voir, à titre d’exemples, arrêts de la Cour du 2 octobre 2003, International Power e.a./NALOO, C‑172/01 P, C‑175/01 P, C‑176/01 P et C‑180/01 P, Rec. p. I‑11421, point 168, et du 2 octobre 2003, Eurofer/Commission, C‑179/99 P, Rec. p. I‑10725, points 22 à 26).

63      La communication sur l’avenir du dialogue structuré après l’expiration du traité CECA viserait des comportements et des situations susceptibles de se produire après l’expiration du traité CECA. En revanche, la décision attaquée se limiterait à établir l’existence d’une infraction et à infliger une sanction pour des comportements qui se seraient produits à un moment où le traité CECA était pleinement en vigueur.

64      En ce qui concerne les différents actes mentionnés au point 49 ci-dessus au soutien de l’argumentation des requérantes selon laquelle, à défaut d’une décision spécifique des États membres ou du Conseil, la Commission n’avait plus de compétence pour appliquer l’article 65 CA après l’expiration dudit traité, la Commission soutient que l’adoption de la décision 2002/234 est liée au fait que le transfert du patrimoine de la CECA à la Communauté européenne ne pouvait pas se produire automatiquement dans la mesure où le traité CE ne comporte aucune disposition de nature à subroger automatiquement la Communauté européenne aux droits et aux obligations patrimoniales de la CECA. À défaut de décision spécifique, les fonds de la CECA seraient retournés aux États membres à la date de l’expiration du traité CECA [voir premier considérant de la décision 2002/234 et communication COM (2000) 518 final de la Commission, du 6 septembre 2000]. L’adoption d’un acte ad hoc par les États membres, lequel s’est ensuite concrétisé par le protocole C du traité de Nice, aurait donc été nécessaire pour réaliser le transfert des fonds de la CECA à la Communauté européenne. En revanche, la protection de la concurrence dans les secteurs du charbon et de l’acier relevant de la CECA serait passée automatiquement sous le régime de la Communauté européenne à l’échéance du traité CECA, par l’effet de la fin de la limite posée par l’article 305 CE à la vis expansiva de la lex generalis.

65      Quant à la décision 2002/595, la Commission explique que la nécessité de régler les conséquences de l’expiration du traité CECA sur les accords internationaux par une décision spécifique des États membres est née, premièrement, de la volonté politique de maintenir le régime « spécifique » prévu par lesdits accords pour les produits relevant de la CECA même après l’expiration du traité CECA et, deuxièmement, de l’impossibilité pour la Communauté européenne de se proclamer automatiquement successeur de la CECA dans les rapports avec les pays tiers sur la base de dispositions du traité CE, ces derniers ne pouvant être liés par une règle « interne » de l’ordre communautaire telle que l’article 305 CE. La décision 2002/595 aurait ainsi transféré explicitement à la Communauté européenne les droits et obligations de la CECA dans les rapports avec les pays tiers. L’article 1er de la décision 2002/596/CE du Conseil, du 19 juillet 2002, relative aux conséquences de l’expiration du traité CECA sur les accords internationaux conclus par la CECA (JO L 194, p. 36), aurait entériné ce transfert. La Commission ajoute que, conformément à l’article 2 de cette dernière décision, elle était tenue d’informer les pays tiers dudit transfert et de négocier, si nécessaire, les modifications à apporter aux accords.

66      S’agissant de l’argument des requérantes tiré du règlement n° 963/2002, la Commission fait valoir que l’adoption de ce règlement a été rendue nécessaire par le fait que la gestion de la politique commerciale de la Communauté européenne se caractérise par un processus décisionnel différent de celui prévu par le traité CECA. Dans le premier cas, la compétence serait attribuée au Conseil et, dans le second cas, à la Commission. Ainsi, conformément à l’article 74 CA et à l’article 14 de la décision nº 2277/96/CECA de la Commission, du 28 novembre 1996, relative à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la CECA (JO L 308, p. 11), les droits antidumping provisoires et définitifs auraient été imposés par la Commission. En outre, l’adoption du règlement n° 963/2002 trouverait sa raison d’être dans les obligations de la Communauté lors de l’application de l’article VI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). Les parties concernées dans les pays tiers auraient un intérêt à savoir si le délai maximal de dix-huit mois pour une procédure antidumping ne serait pas interrompu au moment de l’expiration du traité CECA. Estimant que les pays tiers ne pouvaient être pleinement conscients ni de la portée de l’article 305 CE ni des effets de l’application du principe de la succession des lois dans le temps, en particulier compte tenu de la différence institutionnelle qui existe entre les deux traités, le Conseil aurait adopté le règlement n° 963/2002. En revanche, l’identité dans les traités CECA et CE quant à l’organe compétent pour adopter les mesures nécessaires à la protection de la concurrence, à savoir la Commission, aurait permis de procéder à la transition entre les deux traités sur la base des principes généraux du droit. L’adoption du règlement n° 963/2002 serait, enfin, liée au fait que, contrairement aux décisions constatant des infractions aux règles de concurrence, les mesures antidumping prévues par le traité CECA fixaient pour l’avenir le régime relatif aux produits qui faisaient l’objet de dumping et comportaient donc des effets qui pourraient se manifester même après l’expiration du traité CECA.

67      De même, le règlement n° 1840/2002, relatif au maintien du système statistique de la CECA, et le règlement n° 405/2003, relatif au système de surveillance des importations de houille originaire de pays tiers, viseraient des comportements et des situations qui se sont produits après l’expiration du traité CECA. En revanche, la décision attaquée se limiterait à établir l’existence d’une infraction et à infliger une sanction pour une période pendant laquelle le traité CECA était pleinement en vigueur.

68      Concernant le règlement n° 1407/2002, la Commission explique qu’il établit un régime d’aides pour les secteurs relevant de la CECA dans le seul cadre du traité CE. Il comporterait des règles de fond et de procédure pour l’évaluation des aides après l’expiration du traité CECA. Le régime transitoire de l’article 14, paragraphe 2, applicable jusqu’au 31 décembre 2002, aurait été prévu afin d’éviter l’application successive dans une même année de deux régimes d’aide – celui de la décision n° 3632/93/CECA de la Commission, du 28 décembre 1993, relative au régime communautaire des interventions des États membres en faveur de l’industrie houillère (JO L 329, p. 12), jusqu’au 23 juillet 2002 et celui du règlement n° 1407/2002 après cette date –, situation qui aurait pu créer des difficultés pour les entreprises.

69      Enfin, la Commission affirme être toujours compétente pour constater des infractions à l’article 65 CA, pour autant que celles-ci ne soient pas prescrites.

 Appréciation du Tribunal

 Observations liminaires

70      Il y a lieu de rappeler d’abord que les traités communautaires ont instauré un nouvel ordre juridique au profit duquel les États ont limité, dans des domaines de plus en plus étendus, leurs droits souverains et dont les sujets sont non seulement les États membres, mais également leurs ressortissants (avis de la Cour 1/91, point 55 supra, point 21).

71      Au sein de cet ordre juridique communautaire, les institutions ne disposent que de compétences d’attribution (avis de la Cour 2/00, du 6 décembre 2001, Rec. p. I‑9713, point 5 ; arrêt de la Cour du 13 décembre 2001, Parlement/Conseil, C‑93/00, Rec. p. I‑10119, point 39). Pour cette raison, les actes communautaires mentionnent dans leur préambule la base juridique qui habilite l’institution concernée à agir dans le domaine en cause. Le choix de la base juridique appropriée revêt en effet une importance de nature constitutionnelle (avis de la Cour 2/00, précité, point 5).

72      En l’espèce, la décision attaquée, qui a été adoptée à un moment où le traité CECA avait déjà expiré, constate une infraction à l’article 65, paragraphe 1, CA et impose aux entreprises ayant prétendument violé cette disposition, une amende pécuniaire. Au vu des arguments invoqués dans le cadre du présent moyen, il y a lieu d’identifier, dans un premier temps, la base juridique sur laquelle est fondée la décision attaquée. Dans un deuxième temps, il sera examiné si la base juridique utilisée conférait compétence à la Commission pour constater et sanctionner une infraction à l’article 65, paragraphe 1, CA, au moment de l’adoption de la décision attaquée.

 Sur la base juridique sur laquelle la décision attaquée est fondée

73      Il doit être constaté que le préambule de la décision attaquée ne comporte que des références à des dispositions du traité CECA, à savoir les articles 65 CA, 47 CA et 36 CA.

74      Il importe de rappeler, d’une part, que l’article 47 CA habilite la Commission à recueillir les informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission et à procéder à des vérifications et, d’autre part, que l’article 36 CA oblige la Commission à entendre les parties concernées avant d’imposer des sanctions pécuniaires ou de fixer des astreintes. Les références à ces dispositions dans le préambule de la décision attaquée se rapportent ainsi aux actes de procédure pris avant l’adoption de la décision attaquée.

75      Quant à l’article 65 CA, il doit être relevé que non seulement il comporte une disposition matérielle s’adressant aux entreprises et aux associations d’entreprises en interdisant certains comportements anti-concurrentiels (paragraphe 1), mais que, également, il fournit une base juridique à l’action de la Commission. En effet, l’article 65, paragraphe 4, CA habilite la Commission à constater des infractions à l’article 65, paragraphe 1, CA. En outre, l’article 65, paragraphe 5, CA, autorise la Commission à imposer des amendes aux entreprises qui ont violé l’article 65, paragraphe 1, CA.

76      Au vu des dispositions mentionnées dans le préambule, il y a lieu de considérer que la décision attaquée, qui constate une infraction à l’article 65, paragraphe 1, CA et qui inflige des amendes aux entreprises ayant prétendument violé cette disposition, trouve sa base juridique dans l’article 65, paragraphe 4, CA pour la constatation de l’infraction et dans l’article 65, paragraphe 5, CA pour l’imposition de l’amende. La Commission a d’ailleurs reconnu à l’audience que la référence à l’article 65 CA dans le préambule de la décision attaquée se rapportait aux paragraphes 4 et 5 de cette disposition.

77      Toutefois, à l’audience, la Commission a soutenu que la décision attaquée trouvait également sa base juridique dans le règlement n° 17.

78      À cet égard, il doit être rappelé que le règlement n° 17, qui a entre‑temps été abrogé par l’article 43 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles [81 CE] et [82 CE] (JO 2003, L 1, p. 1), confère, en son article 3, compétence à la Commission pour constater des infractions aux articles 81 CE et 82 CE et, en son article 15, paragraphe 2, compétence à cette même institution pour imposer des amendes aux entreprises et aux associations d’entreprises ayant participé à de telles infractions.

79      Force est de constater que ni le préambule ni les motifs de la décision attaquée ne contiennent une référence à une base juridique constituée par l’article 3 ou par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Les seules références à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, contenues aux considérants 335 et 343 de la décision attaquée, concernent la discussion sur la lex mitior afin de justifier, dans la présente espèce, l’application de l’article 65, paragraphe 5, CA et non de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

80      À l’audience, la Commission a d’abord qualifié l’omission d’une référence au règlement n° 17 dans le préambule de la décision attaquée d’erreur matérielle, puis d’erreur formelle ou encore d’erreur de plume. Ensuite, elle a expliqué que la décision attaquée devait être lue à la lumière de la deuxième communication des griefs, du 12 août 2002, qui, elle, aurait été fondée sur le règlement n° 17. Enfin, en réponse à une question du Tribunal, la Commission a identifié les passages de la décision attaquée qui, selon elle, démontreraient que la décision attaquée est fondée sur l’article 3 et sur l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Il s’agirait, d’une part, de la mention du comité consultatif dans le préambule et, d’autre part, des considérants 335, 342, 343, 345, 346, 348 à 350, 352 et 353 de la décision attaquée.

81      Il y a donc lieu d’examiner si les éléments identifiés au point précédent démontrent à suffisance de droit que la Commission a également fondé la décision attaquée sur l’article 3 et sur l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, malgré l’omission de références expresses en ce sens dans la décision attaquée.

82      En premier lieu, il importe de rappeler que, après avoir été interrogée sur ce point à l’audience, la Commission a reconnu que les affirmations contenues dans différents considérants mentionnés au point 80 ci-dessus se rapportaient au droit matériel (considérants 335, 342 et 343) ou procédural (considérants 352 et 353) applicables et ne concernaient pas spécifiquement sa compétence pour constater et sanctionner une infraction à l’article 65, paragraphe 1, CA après l’expiration du traité CECA. Ensuite, elle a reconnu que les considérants 345 et 346 ne faisaient que reproduire l’argumentation développée par les requérantes au cours de la procédure administrative.

83      En deuxième lieu, quant aux considérants 348 et 349 de la décision attaquée, force est de constater que ceux-ci contiennent des références générales à la lex specialis, au traité de fusion et à l’article 305 CE, mais ne contiennent aucune indication de ce que la décision attaquée serait fondée sur l’article 3 et sur l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

84      En troisième lieu, la référence au comité consultatif dans le préambule concerne une référence à une étape procédurale prévue par l’article 10, paragraphe 3, du règlement n° 17 et confirme donc que la Commission a appliqué les règles de procédure du règlement n° 17 après l’expiration du traité CECA, alors que les références aux articles 36 CA et 47 CA dans le même préambule confirment que, avant l’expiration du traité CECA, ce sont les règles de procédure du traité CECA qui ont été appliquées.

85      Toutefois, la référence au comité consultatif n’indique nullement que la Commission a également fondé, dans la présente espèce, sa compétence sur l’article 3 et sur l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. En effet, la seule indication dans le préambule relative à la base juridique utilisée par la Commission pour constater et sanctionner l’infraction concernée est constituée par l’article 65 CA. Il importe de rappeler à cet effet que la Commission a reconnu à l’audience que la référence à l’article 65 CA du préambule se rapportait à son paragraphe 4, pour la constatation de l’infraction, et à son paragraphe 5, pour l’imposition de l’amende.

86      En quatrième lieu, à l’audience, la Commission a, en particulier, insisté sur la première phrase du considérant 350, qui démontrerait d’une manière implicite, mais certaine, que la décision attaquée est fondée sur l’article 3 et sur l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

87      Il importe de rappeler à cet effet que le considérant 350 de la décision attaquée est formulé comme suit :

« Les conséquences de la fin de la lex specialis doivent être toutefois précisées en ce qui concerne les dispositions qui autorisent la Commission à infliger des sanctions. Dans ce cas, l’application de la loi matérielle en vigueur au moment du déroulement des faits apparaît justifiée, l’application des règles de procédure adoptées depuis lors devant être maintenue. »

88      Force est de constater d’abord que le considérant 350 de la décision attaquée ne concerne que la compétence de la Commission pour infliger des amendes. En effet, la première phrase du considérant 350 ne se réfère qu’aux « dispositions qui autorisent la Commission à infliger des sanctions ». La seconde phrase dudit considérant, qui devrait expliquer davantage la compétence de la Commission à la lumière de l’expiration de la lex specialis, ne précise pas quelles sont « les dispositions qui autorisent la Commission à infliger des sanctions ». Elle mentionne uniquement la loi matérielle et les règles de procédure applicables et n’adresse nullement la question de la compétence de la Commission pour « infliger des sanctions ».

89      La décision attaquée ne précise donc pas au considérant 350 quelles sont « les dispositions qui autorisent la Commission à infliger des sanctions ». Lue isolément, la première phrase du considérant 350 pourrait se référer à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ou à l’article 65, paragraphe 5, CA.

90      Toutefois, lorsque le considérant 350 de la décision attaquée est lu conjointement avec la section 8 de la décision attaquée, qui concerne l’imposition de l’amende et qui est intitulée « Applicabilité de l’article 65, paragraphe 5, CA », il apparaît clairement que la Commission a fondé sa compétence pour imposer des amendes dans la présente espèce sur l’article 65, paragraphe 5, CA. Ainsi, le considérant 515 rappelle que, « [c]onformément à l’article 65, paragraphe 5, CA, la Commission peut infliger des amendes aux entreprises [concernées] ».

91      Il ressort en outre tout aussi clairement des considérants 515 à 518 que la décision attaquée est fondée exclusivement sur l’article 65, paragraphes 4 et 5, CA. En effet, le paragraphe 4 est cité littéralement au considérant 516 pour expliquer que la Commission est compétente pour constater qu’une infraction a été commise par Federacciai, une association d’entreprises, mais qu’elle n’a pas compétence, conformément à l’article 65, paragraphe 5, CA, pour lui imposer une amende. En effet, l’article 65, paragraphe 5, CA donne uniquement compétence à la Commission pour imposer des amendes à des entreprises et non à des associations d’entreprises. Si, comme le prétend la Commission, la décision attaquée était fondée sur le règlement n° 17, une telle appréciation juridique aurait été dépourvue de pertinence. En effet, l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ne fait aucune distinction entre entreprises et associations d’entreprises pour ce qui concerne la compétence de la Commission pour imposer des amendes.

92      De même, la section 7 de la décision attaquée, intitulée « Inapplicabilité de l’article 65, paragraphe 2, CA », contient une autre indication de ce que la Commission a fondé la décision attaquée sur l’article 65 CA, et non sur les dispositions du règlement n° 17. Ainsi, au considérant 514 de la décision attaquée, la Commission a examiné le point de savoir si elle pouvait autoriser l’entente visée par la décision attaquée, conformément à l’article 65, paragraphe 2, CA. Or, la Commission ne s’est nullement référée à l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 17 qui lui confère la compétence d’accorder des exemptions, mais a fondé sa compétence uniquement sur l’article 65, paragraphe 2, CA.

93      En cinquième lieu, quant à la lecture de la décision attaquée à la lumière de la deuxième communication des griefs du 12 août 2002, il doit être constaté que la Commission y affirme avoir ouvert une nouvelle procédure sur la base du règlement n° 17 et se réfère en outre explicitement à l’article 3 dudit règlement (communication des griefs supplémentaire, point 2).

94      Toutefois, cet élément ne suffit pas en tant que tel pour constater que la base juridique de la décision attaquée est constituée par l’article 3 et par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Au contraire, il y a lieu de considérer que l’omission de toute référence à l’article 3 et à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 dans le préambule de la décision attaquée ainsi que l’omission de toute référence auxdites dispositions dans les motifs de celle-ci résultent plutôt d’un choix délibéré opéré par la Commission. En effet, il ne saurait être admis, dans les circonstances de l’espèce, que la Commission, après avoir entamé un débat avec les requérantes sur le recours controversé au règlement n° 17 en tant que base juridique par le biais d’une communication des griefs supplémentaire, ait simplement oublié de mentionner cette base juridique dans la décision attaquée.

95      En sixième lieu, cette lecture de la décision attaquée apparaît corroborée par le fait que, dans les présentes affaires, quatre des sept requérantes, à savoir les requérantes dans les affaires T‑27/03, T‑46/03, T‑58/03 et T‑80/03, ont clairement fondé leur requête sur la prémisse que la décision attaquée était fondée sur l’article 65, paragraphes 4 et 5, CA. Seulement deux requérantes, à savoir celles dans les affaires T‑97/03 et T‑98/03, ont fondé leur argumentation sur la constatation que la décision attaquée était fondée sur le règlement n° 17 tout en estimant que celui-ci ne conférait aucune compétence à la Commission à cet effet. Enfin, la requérante dans l’affaire T‑79/03 reste vague sur la base juridique et examine les deux thèses, à savoir la thèse selon laquelle la décision attaquée est fondée sur l’article 65, paragraphes 4 et 5, CA et celle selon laquelle elle est fondée sur le règlement n° 17 et conclut que la Commission était en tout état de cause incompétente.

96      Il convient de relever à cet égard que, dans ses mémoires en défense dans les affaires dans lesquelles les requérantes avaient considéré dans leur requête que la décision attaquée était fondée sur l’article 65, paragraphes 4 et 5, CA, la Commission n’a jamais affirmé que l’argumentation de ces requérantes reposait sur une prémisse erronée. En effet, aucun mémoire en défense ni aucune duplique déposés dans les présentes affaires ne contiennent une référence explicite à l’article 3 ou à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 en tant que base juridique de la décision attaquée. Les seules références à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 dans les mémoires de la Commission concernent la discussion sur la lex mitior afin de justifier, dans la présente espèce, l’application de l’article 65, paragraphe 5, CA, et non celle de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

97      C’est ainsi que la requérante dans l’affaire T‑27/03, après avoir pris connaissance du mémoire en défense, affirme, au point 5 de sa réplique, ce qui suit :

« La Commission semble donc admettre définitivement : i) que la décision attaquée a été adoptée sur le seul fondement juridique de l’article 65 CA, ii) que les amendes infligées l’ont été en vertu de cette seule disposition. Tout le reste, tous les autres arguments développés par la Commission sur l’unicité de l’ordre juridique communautaire, sur les critères présidant à la succession des lois dans le temps, s’avèrent être des considérations académiques, générales et non pertinentes, sur lesquelles il ne paraît pas opportun d’abuser de la patience du Tribunal en y répondant. »

98      Au surplus, dans l’affaire T‑79/03, dans laquelle la requérante reste vague sur la base juridique sur laquelle la décision attaquée est fondée, la Commission n’a nullement éclairci le débat sur ce point.

99      Ainsi, au point 58 du mémoire en défense dans l’affaire T‑79/03, la Commission affirme : « Le point de départ du raisonnement de la requérante n’est pas correct : selon elle, la Commission aurait utilisé les règles de procédure du règlement n° 17 pour infliger une amende au sens de l’article 65 CA. […] Il faut […] noter que l’amende n’a pas été infligée sur la base du règlement n° 17, mais, comme le dit clairement la décision, en vertu de l’article 65, paragraphe 5, CA. » En note en bas de page, elle ajoute que, « contrairement à ce qu’affirme la requérante, il ressort clairement de la section 5 de la décision (considérants 335 et [suivants]) que la Commission applique le règlement n° 17 ». Dans sa réplique, la requérante dans l’affaire T‑79/03 s’indigne en affirmant, au point 33 :

« [...] la Commission se contredit de nouveau et, cette fois, en l’espace de quelques lignes, ce qui démontre à quel point il est difficile de soutenir une thèse juridiquement inconsistante. Elle affirme, en effet, – au point 58 du mémoire en défense – […] en fin de paragraphe que l’amende n’a pas été infligée sur la base du règlement n° 17, pour ajouter ensuite, sous forme de note, qu’il ressort clairement de la décision attaquée qu’elle a fait application du règlement n° 17. »

100    Ce n’est donc que lors de l’audience et uniquement en réponse aux questions posées par le Tribunal que la Commission a pour la première fois clairement indiqué que, selon elle, la décision attaquée était également fondée sur l’article 3 et sur l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

101    Dans ces conditions, eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent ainsi qu’aux différentes références explicites à la base juridique constituée par l’article 65, paragraphes 4 et 5, CA dans la décision attaquée (préambule de la décision attaquée et considérants 515 à 518 de celle-ci) et à l’absence totale de référence à l’article 3 et à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 en tant que base juridique, il doit être constaté que la décision attaquée a été fondée uniquement sur l’article 65, paragraphes 4 et 5, CA.

 Sur la compétence de la Commission pour constater et pour sanctionner une infraction à l’article 65, paragraphe 1, CA après l’expiration du traité CECA

–       Sur les rapports entre les traités CECA et CE

102    Il y a lieu de rappeler que le champ d’application du traité CECA était matériellement circonscrit. En effet, le traité CECA ne concernait que deux produits, à savoir le charbon et l’acier, tels que définis à l’article 81 CA et à l’annexe I du traité CECA. Dès lors que le traité CEE (devenu traité CE) est rédigé en des termes généraux s’appliquant à tout secteur économique, et donc en principe également aux produits relevant du traité CECA (voir, en ce sens, avis 1/94, point 57 supra, point 27), les auteurs du traité CE ont inclus dans ce traité une disposition visant à éviter la primauté des dispositions du traité CE par rapport aux dispositions du traité CECA.

103    C’est ainsi que l’article 305, paragraphe 1, CE précise :

« Les dispositions du […] traité [CE] ne modifient pas celles du traité [CECA], notamment en ce qui concerne les droits et obligations des États membres, les pouvoirs des institutions de [la CECA] et les règles posées par ce traité pour le fonctionnement du marché commun du charbon et de l’acier. »

104    Il en résulte que, en ce qui concerne le fonctionnement du marché commun, les règles du traité CECA et l’ensemble des dispositions prises pour son application sont demeurées en vigueur, nonobstant l’intervention du traité CE (arrêts de la Cour Gerlach, point 57 supra, point 9, et du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, C‑74/00 P et C‑75/00 P, Rec. p. I‑7869, point 100).

105    Toutefois, dans la mesure où des questions ne faisaient pas l’objet de dispositions du traité CECA ou de réglementations adoptées sur la base de ce dernier, le traité CE et les dispositions prises pour son application pouvaient, même avant l’expiration du traité CECA, s’appliquer à des produits relevant du traité CECA (arrêts de la Cour du 15 décembre 1987, Deutsche Babcock, 328/85, Rec. p. 5119, point 10, et Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, point 104 supra, point 100 ; avis 1/94, point 57 supra, point 27).

106     Il importe de rappeler, également, que, conformément à l’article 97 CA, le traité CECA a expiré le 23 juillet 2002. Dès lors que le traité CE a un champ d’application général, les secteurs qui relevaient précédemment du traité CECA, sont entrés, à partir du 24 juillet 2002, dans le champ d’application du traité CE.

–       Sur le point de savoir si l’article 65, paragraphes 4 et 5, CA conférait compétence à la Commission pour adopter la décision attaquée

107    La décision attaquée a été adoptée, le 17 décembre 2002, sur le fondement de l’article 65, paragraphe 4, CA, pour ce qui concerne la constatation de l’infraction à l’article 65, paragraphe 1, CA, et sur le fondement de l’article 65, paragraphe 5, CA, pour ce qui concerne l’imposition des amendes aux entreprises ayant prétendument participé à l’infraction à l’article 65, paragraphe 1, CA.

108    S’agissant de la compétence de la Commission pour adopter la décision attaquée sur le fondement de l’article 65, paragraphes 4 et 5, CA, après l’expiration du traité CECA, la Commission explique, au considérant 348 de la décision attaquée, que « le traité CE et le traité CECA appartiennent au même ordre juridique, l’ordre juridique communautaire, à l’intérieur duquel ce dernier traité a constitué, jusqu’au 23 juillet 2002, une lex specialis ». Elle se réfère, au considérant 349 de la décision attaquée, à l’article 305, paragraphe 1, CE et au cadre institutionnel unique (traité de fusion et article 3 UE). Pour souligner l’unicité de l’ordre juridique communautaire, la Commission rappelle, dans ses mémoires, que le juge communautaire a interprété des dispositions des traités CECA et CEEA en référence à des dispositions du traité CE, sur la base des principes communs auxquels se conforment tous les traités communautaires (arrêt Busseni, point 55 supra, points 16 et 21).

109    À l’expiration du traité CECA, la transition entre le régime relevant du traité CECA et le régime relevant du traité CE en matière de concurrence se serait faite automatiquement sur la base du principe de la succession des règles dans le temps à l’intérieur du même ordre juridique [arrêts Salumi, point 60 supra, point 9 ; CT Control (Rotterdam) et JCT Benelux/Commission, point 60 supra, point 22, et De Haan, point 60 supra, point 13]. Au considérant 331 de la décision attaquée, qui comporte une référence au point 31 de la communication du 18 juin 2002, la Commission explique que « le droit matériel applicable » est « celui en vigueur au moment où les faits constitutifs de l’infraction se sont produits » et que, « sur le plan procédural, le droit applicable après l’expiration du traité CECA [est] le droit CE ». Au considérant 350 de la décision attaquée, la Commission ajoute que « l’application de la loi matérielle en vigueur au moment des faits apparaît justifiée » et elle affirme, au considérant 352 de la décision attaquée, que « les règles de procédure applicables sont celles en vigueur au moment où la mesure en question est adoptée ».

110    Il y a donc lieu d’examiner si les éléments précités permettent de conclure que l’article 65, paragraphes 4 et 5, CA conférait, au moment de l’adoption de la décision attaquée, compétence à la Commission pour adopter ladite décision.

111    À cet égard, il doit être rappelé que le traité CECA constituait, en vertu de l’article 305, paragraphe 1, CE, une lex specialis dérogeant à la lex generalis qu’est le traité CE (conclusions de l’avocat général M. Van Gerven sous l’arrêt Banks, point 57 supra, point 8 ; arrêts ESF Elbe-Stahlwerke Feralpi/Commission, point 57 supra, point 102, et Verband der freien Rohrwerke e.a./Commission, point 57 supra, point 68).

112     Le fait que le traité CECA constituait une lex specialis a eu pour conséquence que, à l’expiration dudit traité, la lex generalis est devenue automatiquement applicable. Ainsi, au considérant 348 de la décision attaquée, la Commission a constaté, à juste titre, que, « à partir du 24 juillet 2002, les secteurs qui relevaient précédemment du traité CECA, de ses dispositions de procédure et de la législation dérivée sont soumis aux normes qui dérivent du traité CE ». Dans le domaine de la concurrence, cette constatation implique que les comportements des entreprises et des associations d’entreprises relevant précédemment du traité CECA sont susceptibles de tomber dans le champ d’application des articles 81 CE et 82 CE à partir du 24 juillet 2002.

113    Toutefois, le présent moyen ne concerne nullement l’application de l’article 81 CE à une entente dans le secteur sidérurgique après l’expiration du traité CECA. Il concerne la compétence de la Commission pour constater et sanctionner une infraction à l’article 65, paragraphe 1, CA sur la base de l’article 65, paragraphes 4 et 5, CA.

114     La nature de lex specialis du traité CECA par rapport au traité CE ne donne aucun appui à la thèse de la Commission selon laquelle elle serait encore compétente pour fonder une décision sur la lex specialis après l’expiration de celle-ci. Il doit être rappelé à cet effet que l’article 305, paragraphe 1, CE, dont le juge communautaire a déduit la nature de lex specialis du traité CECA par rapport au traité CE, confirme purement et simplement l’expiration du traité CECA au 23 juillet 2002 dans la mesure où il prévoit que les dispositions du traité CE ne modifient pas celles du traité CECA et que l’article 97 CA prévoit explicitement l’expiration dudit traité à cette date.

115    De même, le caractère unique de l’ordre juridique communautaire auquel se réfère la Commission au considérant 349 de la décision attaquée et qu’elle tire de l’unicité au niveau institutionnel et de la nécessité d’une interprétation cohérente des dispositions contenues dans les différents traités communautaires n’est pas de nature à conférer une compétence à la Commission pour constater une infraction à l’article 65, paragraphe 1, CA et imposer une amende aux entreprises concernées sur le fondement de l’article 65, paragraphes 4 et 5, CA après l’expiration du traité CECA. Il doit être souligné à cet égard que, malgré le cadre institutionnel unique résultant du traité de fusion, la fusion des Communautés n’a jamais été réalisée. En outre, l’interprétation cohérente des dispositions de droit matériel des différents traités n’a aucune incidence sur les compétences attribuées aux différentes institutions par les différents traités. En effet, dans le cadre de chaque traité, les institutions sont compétentes pour exercer les seuls pouvoirs qui leur ont été attribués par ce traité (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 13 septembre 2005, Commission/Conseil, C‑176/03, Rec. p. I‑7879, points 38 à 53).

116    Quant à l’argument tiré des principes régissant la succession des règles dans le temps, il ressort de la jurisprudence que les règles communautaires de droit matériel doivent être interprétées, en vue de garantir le respect des principes de sécurité juridique et de confiance légitime, comme ne visant pas, en principe, des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur alors que les règles de procédure sont d’application directe [arrêts Salumi, point 60 supra, point 9 ; CT Control (Rotterdam) et JCT Benelux/Commission, point 60 supra, point 22, et De Haan, point 60 supra, point 13 ; arrêts du Tribunal du 19 février 1998, Eyckeler & Malt/Commission, T‑42/96, Rec. p. II‑401, point 55, et du 28 janvier 2004, Euroagri/Commission, T‑180/01, Rec. p. II-369, point 36].

117    Il convient néanmoins de relever que la question de la compétence d’une institution est préalable à la question de savoir quelles règles matérielles et procédurales sont d’application. En effet, après avoir déterminé, dans un premier temps, qu’une institution a compétence pour adopter un acte sur la base d’une disposition spécifique du traité ou du droit dérivé, il y a lieu de déterminer, dans un deuxième temps, les règles matérielles et procédurales applicables, conformément aux principes régissant la succession des règles dans le temps.

118    Il importe de souligner à cet égard que la disposition constituant la base juridique d’un acte et habilitant l’institution communautaire à adopter l’acte en cause doit être en vigueur au moment de l’adoption de celui-ci (arrêt de la Cour du 4 avril 2000, Commission/Conseil, C‑269/97, Rec. p. I‑2257, point 45 ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 28 septembre 2004, MCI/Commission, T‑310/00, Rec. p. II‑3253, points 78 à 114). En revanche, les principes régissant la succession des règles dans le temps peuvent conduire à l’application de dispositions matérielles qui ne sont plus en vigueur au moment de l’adoption d’un acte par une institution communautaire.

119    En se référant aux considérants 331 et 350 à 352 de la décision attaquée aux principes régissant la succession des règles dans le temps afin de justifier sa compétence pour adopter la décision attaquée, la Commission a opéré une confusion entre la disposition matérielle s’adressant aux entreprises, à savoir l’article 65, paragraphe 1, CA, et la base juridique pour l’action de la Commission, à savoir l’article 65, paragraphes 4 et 5, CA. Elle a déduit automatiquement de la disposition matérielle applicable sa compétence pour fonder une décision sur la base d’une disposition entre-temps éteinte. C’est ainsi que la Commission a encore déclaré à l’audience, s’agissant de la compétence de la Commission, du droit matériel et procédural applicables, que « les deux premiers […] sont pratiquement les mêmes » ou encore que « l’attribution de compétences est étroitement liée au droit matériel [applicable] ».

120    Toutefois, dès lors que, d’une part, il ressort de la jurisprudence, point 118 supra, que la disposition constituant la base juridique d’un acte doit être en vigueur au moment de l’adoption de celui-ci et que, d’autre part, conformément à l’article 97 CA, l’article 65, paragraphes 4 et 5, CA avait expiré le 23 juillet 2002, la Commission ne pouvait plus tirer de compétence desdites dispositions éteintes au moment de l’adoption de la décision attaquée pour constater une infraction à l’article 65, paragraphe 1, CA et pour imposer des amendes aux entreprises qui auraient participé à ladite infraction.

121    Enfin, quant à l’argument de la Commission selon lequel la Cour elle-même aurait continué à appliquer l’article 65 CA, après son expiration, il doit être relevé que dans les arrêts cités par la Commission (point 62 supra), le juge communautaire a exercé un contrôle de légalité sur des actes qui avaient été adoptés par la Commission sur le fondement du traité CECA à un moment où ce dernier était encore en vigueur. Ces arrêts ne viennent donc pas au soutien de l’argumentation de la Commission selon laquelle elle aurait encore été compétente pour adopter une décision sur la base d’une disposition du traité CECA après l’expiration dudit traité.

122    Il résulte de tout ce qui précède que la première branche du premier moyen doit être accueillie et que la décision attaquée est illégale. Toutefois, l’irrégularité attachée à la décision attaquée n’apparaît pas d’une gravité à ce point évidente qu’il y ait lieu de faire droit aux conclusions formulées dans les affaires T‑27/03 et T‑80/03 visant à la constatation de l’inexistence de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., C‑137/92 P, Rec. p. I‑2555, point 52).

123    Partant, la décision attaquée doit être annulée à l’égard des requérantes.

 Sur les dépens

124    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La défenderesse ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux relatifs aux procédures en référé dans les affaires T‑46/03 et T‑79/03, conformément aux conclusions des requérantes.

125    Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. La République italienne supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      La décision C (2002) 5087 final de la Commission, du 17 décembre 2002, relative à une procédure d’application de l’article 65 CA (COMP/37.956 – Ronds à béton), est annulée à l’égard de SP SpA, de Leali SpA, d’Acciaierie e Ferriere Leali Luigi SpA, d’Industrie Riunite Odolesi SpA (IRO), de Lucchini SpA, de Ferriera Valsabbia SpA, de Valsabbia Investimenti SpA et d’Alfa Acciai SpA.

2)      La Commission est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par SP, Leali, Acciaierie e Ferriere Leali Luigi, IRO, Lucchini, Ferriera Valsabbia, Valsabbia Investimenti et Alfa Acciai, y compris ceux relatifs aux procédures en référé dans les affaires T‑46/03 et T‑79/03.

3)      La République italienne supportera ses propres dépens.

Vilaras

Martins Ribeiro

Dehousse

Šváby

 

       Jürimäe

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 octobre 2007.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Vilaras


Table des matières


Cadre juridique

Dispositions du traité CECA

Communication de la Commission sur certains aspects du traitement des affaires de concurrence résultant de l’expiration du traité CECA

Procédure administrative

Décision attaquée

Procédure

Conclusions des parties

En droit

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Observations liminaires

Sur la base juridique sur laquelle la décision attaquée est fondée

Sur la compétence de la Commission pour constater et pour sanctionner une infraction à l’article 65, paragraphe 1, CA après l’expiration du traité CECA

– Sur les rapports entre les traités CECA et CE

– Sur le point de savoir si l’article 65, paragraphes 4 et 5, CA conférait compétence à la Commission pour adopter la décision attaquée

Sur les dépens



* Langue de procédure : l’italien.