Language of document : ECLI:EU:T:1998:102

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

14 mai 1998 (1)

«Concurrence — Article 85, paragraphe 1, du traité CE — Droit à un tribunal indépendant et impartial — Droits de la défense — Motivation — Amende — Détermination du montant — Méthode de calcul — Circonstances atténuantes — Principe d'égalité de traitement — Principe de proportionnalité»

Dans l'affaire T-348/94,

Enso Española SA, société de droit espagnol, établie à Castellbisbal, Barcelone (Espagne), représentée initialement par Mes Antonio Creus Carreras et Xavier Ruiz Calzado, avocats au barreau de Barcelone, José Ramón García-Gallardo, avocat au barreau de Burgos, et Bonifacio García Porras, avocat au barreau de Salamanque, puis par Mes Creus Carreras, Ruiz Calzado et Eva Contreras Ynzenga, avocat au barreau de Madrid,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM. Francisco Enrique González Díaz et Richard Lyal, membres du service juridique, en qualité d'agents, puis par M. Lyal, assisté de Me Ricardo Garcia Vicente, avocat au barreau de Madrid, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 — Carton) (JO L 243, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre élargie),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, C. P. Briët, Mme P. Lindh, MM. A. Potocki et J. D. Cooke, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale qui s'est déroulée du 25 juin au 8 juillet 1997,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    La présente affaire concerne la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 — Carton) (JO L 243, p. 1), rectifiée avant sa publication par une décision de la Commission du 26 juillet 1994 [C(94) 2135 final] (ci-après «décision»). La décision a infligé des amendes à 19 fabricants fournisseurs de carton dans la Communauté, du chef de violations de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

2.
    Le produit faisant l'objet de la décision est le carton. Trois types de carton, désignés comme relevant des qualités «GC», «GD» et «SBS», sont mentionnés dans la décision.

3.
    Le carton de qualité GD (ci-après «carton GD») est un carton à intérieur gris (papiers recyclés) qui sert habituellement à l'emballage de produits non alimentaires.

4.
    Le carton de qualité GC (ci-après «carton GC») est un carton présentant une couche extérieure blanche et servant habituellement à l'emballage de produits alimentaires. Le carton GC est d'une qualité supérieure à celle du carton GD. Dans la période couverte par la décision, il a généralement existé entre ces deux

produits un écart de prix d'environ 30 %. Dans une moindre mesure, le carton GC de haute qualité sert également à des utilisations graphiques.

5.
    SBS est le sigle utilisé pour désigner le carton entièrement blanc (ci-après «carton SBS»). Ce carton est un produit dont le prix est d'environ 20 % supérieur à celui du carton GC. Il sert à l'emballage des aliments, des produits cosmétiques, des médicaments et des cigarettes, mais il est destiné principalement à des utilisations graphiques.

6.
    Par lettre du 22 novembre 1990, la British Printing Industries Federation, organisation professionnelle qui représente la majorité des fabricants de boîtes imprimées du Royaume-Uni (ci-après «BPIF»), a déposé une plainte informelle auprès de la Commission. Elle a fait valoir que les fabricants de carton approvisionnant le Royaume-Uni avaient introduit une série de hausses de prix simultanées et uniformes et demandé à la Commission de vérifier l'existence d'une éventuelle infraction aux règles communautaires de la concurrence. Afin d'assurer la publicité de son initiative, la BPIF a publié un communiqué de presse. Le contenu de ce communiqué a été relaté par la presse professionnelle spécialisée dans le courant du mois de décembre 1990.

7.
    Le 12 décembre 1990, la Fédération française du cartonnage a également déposé une plainte informelle auprès de la Commission, dans laquelle elle présentait des observations relatives au marché français du carton en des termes analogues à ceux de la plainte déposée par la BPIF.

8.
    Les 23 et 24 avril 1991, des agents de la Commission, agissant au titre de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après «règlement n° 17»), ont procédé à des vérifications simultanées sans avertissement préalable dans les locaux de plusieurs entreprises et associations professionnelles du secteur du carton.

9.
    A la suite de ces vérifications, la Commission a adressé des demandes de renseignements et de documents au titre de l'article 11 du règlement n° 17 à tous les destinataires de la décision.

10.
    Les éléments obtenus dans le cadre de ces vérifications et demandes de renseignements et de documents ont amené la Commission à conclure que les entreprises concernées avaient, du milieu de l'année 1986 à avril 1991 au moins (dans la plupart des cas), participé à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

11.
    En conséquence, elle a décidé d'engager une procédure en application de cette dernière disposition. Par lettre du 21 décembre 1992, elle a adressé une communication des griefs à chacune des entreprises concernées. Toutes les

entreprises destinataires y ont répondu par écrit. Neuf entreprises ont demandé à être entendues oralement. Leur audition a eu lieu du 7 au 9 juin 1993.

12.
    Au terme de la procédure, la Commission a adopté la décision, qui comprend les dispositions suivantes:

«Article premier

Buchmann GmbH, Cascades SA, Enso-Gutzeit Oy, Europa Carton AG, Finnboard — the Finnish Board Mills Association, Fiskeby Board AB, Gruber & Weber GmbH & Co KG, Kartonfabriek De Eendracht NV (dont le nom commercial est BPB de Eendracht NV), NV Koninklijke KNP BT NV (anciennement Koninklijke Nederlandse Papierfabrieken NV), Laakmann Karton GmbH & Co KG, Mo Och Domsjö AB (MoDo), Mayr-Melnhof Gesellschaft mbH, Papeteries de Lancey SA, Rena Kartonfabrik AS, Sarrió SpA, SCA Holding Ltd [anciennement Reed Paper & Board (UK) Ltd], Stora Kopparbergs Bergslags AB, Enso Española SA (anciennement Tampella Española SA) et Moritz J. Weig GmbH & Co KG ont enfreint l'article 85 paragraphe 1 du traité CE en participant:

—    dans le cas de Buchmann et de Rena, de mars 1988 environ jusqu'à fin 1990 au moins,

—    dans le cas de Enso Española, de mars 1988 au moins jusqu'à fin avril 1991 au moins,

—    dans le cas de Gruber & Weber, de 1988 au moins jusqu'à fin 1990,

—    dans les autres cas, à compter de mi-1986 jusqu'à avril 1991 au moins,

à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de 1986, en vertu desquels les fournisseurs de carton de la Communauté européenne:

—    se sont rencontrés régulièrement dans le cadre de réunions secrètes et institutionnalisées, afin de négocier et d'adopter un plan sectoriel commun de restriction de la concurrence,

—    ont décidé d'un commun accord des augmentations régulières des prix pour chaque qualité de produit dans chaque monnaie nationale,

—    ont planifié et mis en oeuvre des augmentations de prix simultanées et uniformes dans l'ensemble de la Communauté européenne,

—    se sont entendus pour maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles,

—    ont pris, de plus en plus fréquemment à partir de début 1990, des mesures concertées de contrôle de l'approvisionnement du marché communautaire, afin d'assurer la mise en oeuvre desdites augmentations de prix concertées,

—    ont échangé des informations commerciales sur les livraisons, les prix, les arrêts de production, les commandes en carnet et les taux d'utilisation des machines, afin de soutenir les mesures mentionnées ci-dessus.

[...]

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises suivantes pour les infractions constatées à l'article 1er:

[...]

xviii) Enso Española SA, une amende de 1 750 000 écus;

[...]»

13.
    Selon la décision, l'infraction s'est déroulée au sein d'un organisme dénommé «Groupe d'étude de produit Carton» (ci-après «GEP Carton»), composé de plusieurs groupes ou comités.

14.
    Cet organisme a été doté, au milieu de l'année 1986, d'un «Presidents Working Group» (ci-après «PWG») réunissant des représentants de haut niveau des principaux fournisseurs de carton de la Communauté (environ huit).

15.
    Le PWG avait notamment pour activités la discussion et la concertation concernant les marchés, les parts du marché, les prix et les capacités. En particulier, il a pris des décisions d'ordre général concernant le calendrier et le niveau des augmentations de prix à mettre en oeuvre par les fabricants.

16.
    Le PWG faisait rapport à la «President Conference» (ci-après «PC») à laquelle participait (plus ou moins régulièrement) la quasi-totalité des directeurs généraux des entreprises concernées. La PC s'est réunie deux fois par an pendant la période en cause.

17.
    A la fin de l'année 1987 a été créé le «Joint Marketing Committee» (ci-après «JMC»). Son objet principal consistait, d'une part, à déterminer si, et, dans l'affirmative, comment des augmentations de prix pouvaient être mises en oeuvre et, d'autre part, à définir les modalités des initiatives en matière de prix décidées par le PWG pays par pays et pour les principaux clients en vue d'établir un système de prix équivalent en Europe.

18.
    Enfin, le comité économique (ci-après «COE») débattait, notamment, des fluctuations de prix sur les marchés nationaux et des commandes en carnet, et faisait rapport sur ses conclusions au JMC ou, jusqu'à la fin de l'année 1987, au prédécesseur du JMC, le Marketing Committee. Le COE était composé de directeurs commerciaux de la plupart des entreprises en cause et se réunissait plusieurs fois par an.

19.
    Il ressort, en outre, de la décision que la Commission a considéré que les activités du GEP Carton étaient soutenues par un échange d'informations par l'intermédiaire de la société fiduciaire Fides, dont le siège est à Zurich (Suisse). Selon la décision, la plupart des membres du GEP Carton fournissaient à la Fides des rapports périodiques sur les commandes, la production, les ventes et l'utilisation des capacités. Ces rapports étaient traités dans le cadre du système Fides et les données agrégées étaient envoyées aux participants.

20.
    La requérante Enso Española SA (ci-après «Enso Española»), anciennement Tampella Española SA, a participé, selon la décision, à certaines réunions du JMC (entre février 1989 et avril 1991), de la PC (de mai 1988 à mai 1989), et du COE (de février 1987 à mai 1989).

Procédure

21.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 octobre 1994, la requérante a introduit le présent recours.

22.
    Seize des dix-huit autres entreprises tenues pour responsables de l'infraction ont également introduit un recours contre la décision (affaires T-295/94, T-301/94, T-304/94, T-308/94, T-309/94, T-310/94, T-311/94, T-317/94, T-319/94, T-327/94, T-334/94, T-337/94, T-338/94, T-347/94, T-352/94 et T-354/94).

23.
    La requérante dans l'affaire T-301/94, Laakmann Karton GmbH, s'est désistée de son recours par lettre déposée au greffe du Tribunal le 10 juin 1996, et l'affaire a été radiée du registre du Tribunal par ordonnance du 18 juillet 1996, Laakmann Karton/Commission (T-301/94, non publiée au Recueil).

24.
    Quatre entreprises finlandaises, membres du groupement professionnel Finnboard et, à ce titre, tenues pour solidairement responsables du paiement de l'amende infligée à celui-ci, ont également introduit des recours contre la décision (affaires jointes T-339/94, T-340/94, T-341/94 et T-342/94).

25.
    Enfin, un recours a été introduit par une association CEPI-Cartonboard, non destinataire de la décision. Cependant, celle-ci s'est désistée par lettre déposée au greffe du Tribunal le 8 janvier 1997, et l'affaire a été radiée du registre du Tribunal par ordonnance du 6 mars 1997, CEPI-Cartonboard/Commission (T-312/94, non publiée au Recueil).

26.
    Par lettre du 5 février 1997, le Tribunal a invité les parties à participer à une réunion informelle, notamment en vue de présenter leurs observations sur la jonction éventuelle des affaires T-295/94, T-304/94, T-308/94, T-309/94, T-310/94, T-311/94, T-317/94, T-319/94, T-327/94, T-334/94, T-337/94, T-338/94, T-347/94, T-348/94, T-352/94 et T-354/94 aux fins de la procédure orale. Lors de cette réunion, qui a eu lieu le 29 avril 1997, les parties ont accepté une telle jonction.

27.
    Par ordonnance du 4 juin 1997, le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a joint les affaires précitées aux fins de la procédure orale, en raison de leur connexité, conformément à l'article 50 du règlement de procédure, et a accueilli une demande de traitement confidentiel introduite par la requérante dans l'affaire T-334/94.

28.
    Par ordonnance du 20 juin 1997, il a accueilli une demande de traitement confidentiel introduite par la requérante dans l'affaire T-337/94 relativement à un document produit en réponse à une question par écrit du Tribunal.

29.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a pris des mesures d'organisation de la procédure en demandant aux parties de répondre à certaines questions écrites et de produire certains documents. Les parties ont déféré à ces demandes.

30.
    Les parties dans les affaires mentionnées au point 26 ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée du 25 juin au 8 juillet 1997.

Conclusions des parties

31.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    annuler totalement ou partiellement la décision dans la mesure où elle la concerne;

—    à titre subsidiaire, annuler l'amende qui lui a été infligée;

—    à titre plus subsidiaire encore, réduire substantiellement le montant de l'amende;

—    condamner la Commission aux dépens, y compris les frais et intérêts découlant de la constitution d'une garantie bancaire ou du paiement éventuel de la totalité ou d'une partie de l'amende.

32.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours;

—    condamner la partie requérante aux dépens.

Sur la demande d'annulation de la décision

A — Sur le moyen tiré de la violation du droit fondamental à un tribunal indépendant et impartial

Arguments des parties

33.
    La requérante soutient que le cumul des fonctions d'instruction et de décision de la Commission viole le droit fondamental à un tribunal indépendant et impartial.

34.
    Ce moyen s'articule en deux branches. Dans une première branche, la requérante fait valoir que le droit fondamental invoqué est inscrit à l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1950 (ci-après «CEDH»). Dans une seconde branche, elle soutient qu'il est consacré dans les traditions constitutionnelles des États membres.

35.
    S'agissant de la première branche du moyen, elle rappelle qu'une juridiction jugeant une accusation pénale au sens de l'article 6 de la CEDH doit être impartiale. L'instruction de la procédure de sanction et l'adoption de la décision mettant fin à cette procédure devraient donc être le fait d'instances ou de personnes différentes (arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme du 1er octobre 1982, Piersack, série A, n° 53, et du 26 octobre 1984, De Cubber, série A, n° 86). La Commission européenne des droits de l'homme aurait qualifié d'accusation pénale des décisions relatives au droit de la concurrence (décision du 9 février 1990, M & Co./Allemagne, n° 13258/87, vol. 64, p. 138, et avis dans l'affaire Stenuit/État français, n° 11598/85, rapport du 30 mai 1991, série A, n° 232-A).

36.
    Les garanties inscrites à l'article 6 de la CEDH auraient dû être respectées pour trois raisons.

37.
    Tout d'abord, la décision de la Commission revêtirait un caractère pénal (avis de la Commission européenne des droits de l'homme dans les affaires Stenuit/État français et M & Co./Allemagne, précités). La nature pénale des amendes résulterait de leur caractère répressif, dont la preuve serait apportée par la publicité faite par la Commission dans un but dissuasif.

38.
    Ensuite, à supposer que la sanction infligée n'ait pas un caractère pénal, les garanties pénales auraient dû être appliquées à une procédure administrative répressive telle que la procédure administrative devant la Commission. La qualification formelle donnée aux sanctions en droit interne et, en l'espèce, en droit communautaire importerait peu à cet égard.

39.
    Invoquant des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme (arrêts du 8 juin 1976, Engel e.a., série A, n° 22, du 21 février 1984, Öztürk, série A, n° 73, et du 28 juin 1984, Campbell et Fell, série A, n° 80), elle estime que le droit fondamental à un procès équitable peut être appliqué au cas d'espèce nonobstant le fait que la Commission n'ait pas été assimilée à un tribunal au sens de l'article 6 de la CEDH (arrêts de la Cour du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, points 79 à 91, et du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80, 101/80, 102/80 et 103/80, Rec. p. 1825).

40.
    Enfin, la partialité de la Commission pourrait être réparée par la possibilité d'introduire ultérieurement un recours devant une instance juridictionnelle jouissant d'un pouvoir de pleine juridiction (arrêt De Cubber, précité). Tel ne serait cependant pas le cas en l'espèce, puisque le contrôle exercé par le Tribunal en vertu des articles 172 et 173 du traité ne serait nullement un contrôle de pleine juridiction permettant de vérifier toutes les appréciations de fait et de droit, au sens de l'arrêt De Cubber, précité.

41.
    La voie de recours instituée par l'article 173 du traité n'habiliterait pas le Tribunal à apprécier la situation de fait ou les circonstances économiques prises en considération pour rendre les décisions ou formuler les recommandations contestées, sauf lorsque la Commission est accusée de détournement de pouvoir ou d'avoir manifestement méconnu les dispositions du traité ou toute règle de droit relative à son application. Se fondant sur deux arrêts de la Cour (arrêts du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42/84, Rec. p. 2545, point 34, et du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225/91, Rec. p. I-3203, point 23), la requérante estime que le contrôle juridictionnel des décisions de la Commission sur la base de l'article 173 du traité est un simple contrôle de légalité ne répondant pas aux exigences du contrôle de pleine juridiction.

42.
    Quant au contrôle des amendes prévu à l'article 172 du traité, il serait textuellement un contrôle de pleine juridiction et constituerait une extension des pouvoirs de contrôle du juge communautaire dans le cadre du recours en annulation (arrêt de la Cour du 13 juin 1958, Meroni & Co. Industrie Metallurgiche/Haute Autorité, 9/56, Rec. p. 9).

43.
    Cependant, ce contrôle ne serait pas un contrôle de pleine juridiction au sens de la CEDH, car le Tribunal ne serait habilité à l'exercer que dans des cas d'iniquité manifeste (arrêt de la Cour du 10 décembre 1957, ALMA/Haute Autorité, 8/56, Rec. p. 179, 192) ou d'erreur significative de droit ou de fait (conclusions de l'avocat général M. Warner sous l'arrêt de la Cour du 12 juillet 1979, BMW Belgium e.a./Commission, 32/78, 36/78 à 82/78, Rec. p. 2435, 2484).

44.
    A supposer même que ce contrôle soit considéré comme un contrôle de pleine juridiction, il ne porterait pas sur tous les éléments de la décision attaquée, comme

l'exigerait la Cour européenne des droits de l'homme. En effet, la seule conséquence possible de ce contrôle serait la modification de la sanction infligée, sans qu'aient été examinés les faits et appréciations de fait dont la Commission s'est servie pour élaborer la base juridique sur laquelle elle a fondé ladite sanction.

45.
    Dans la seconde branche du moyen, la requérante affirme que le droit fondamental à un tribunal indépendant et impartial est reconnu par les traditions des États membres.

46.
    L'article F, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne imposerait l'application des droits fondamentaux tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles des États membres. Or, le droit fondamental à un tribunal impartial serait assuré dans les États membres dans les deux types de procédure de contrôle des violations du droit de la concurrence, tels que distingués dans l'arrêt De Cubber, précité.

47.
    Le premier type de procédure séparerait dès le départ les phases d'instruction et de décision. Différents systèmes nationaux de contrôle de la concurrence, à savoir les systèmes français, grec, belge, portugais, espagnol, danois, autrichien, finlandais et suédois mettraient en oeuvre cette distinction entre instruction et décision. Certains d'entre eux, à savoir les systèmes belge, portugais, espagnol, danois et suédois permettraient même, dans une phase ultérieure, un contrôle de pleine juridiction. En revanche, la procédure d'application du droit de la concurrence au Royaume-Uni, en Irlande, au Luxembourg et aux Pays-Bas ne permettrait pas aux organes chargés de la protection de la libre concurrence d'imposer des amendes.

48.
    Le second type de procédure, en vigueur en Allemagne et en Italie, ne distingueraitpas les phases d'instruction et de décision, mais prévoirait ensuite un véritable recours de pleine juridiction, dont les caractéristiques le rendrait conforme à l'article 6 de la CEDH.

49.
    En considération de ces éléments, les traditions constitutionnelles des États membres garantiraient mieux le droit à un tribunal impartial que l'interprétation de minimis donnée par la Cour européenne des droits de l'homme de l'article 6 de la CEDH. Dès lors, à supposer que le Tribunal estime que la décision respecte le droit à un tribunal impartial conformément aux règles énoncées par la Cour européenne des droits de l'homme, il ne pourrait pas déclarer qu'elle garantit le droit à un tribunal impartial défini dans les traditions constitutionnelles des États membres et reflété par les procédures que ceux-ci ont instituées pour l'application du droit de la concurrence.

50.
    La Commission considère, en premier lieu, que le droit communautaire de la concurrence ne relève pas de la notion de matière pénale et n'est donc pas, de ce fait, soumis à l'article 6, paragraphe 1, de la CEDH.

51.
    En second lieu, elle soutient qu'elle ne peut pas être qualifiée de tribunal au sens de l'article 6 de la CEDH.

52.
    En troisième lieu, elle estime que la requérante interprète erronément l'article 173 du traité et la jurisprudence s'y rapportant en prétendant qu'il est impossible d'appliquer la jurisprudence De Cubber de la Cour européenne des droits de l'homme dans le contexte communautaire en raison de l'absence de recours ultérieur devant un organe juridictionnel compétent pour examiner et réviser chacun des éléments de fait de la décision ainsi que l'appréciation portée sur ceux-ci par la Commission.

53.
    En effet, l'article 173 du traité habiliterait le juge communautaire, par le contrôle de l'erreur de fait et de droit, à une révision exhaustive tant de la constatation que de l'appréciation des faits par la Commission. Ensuite, si le juge communautaire ne peut substituer son appréciation à celle de l'auteur de la décision, la Commission devrait tout de même prendre les mesures que comporterait l'exécution d'une éventuelle décision d'annulation, conformément à l'article 176 du traité (arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, SIV e.a./Commission, T-68/89, T-77/89 et T-78/89, Rec. p. II-1403). Enfin, la Commission européenne des droits de l'homme aurait elle-même considéré que l'article 173 constitue un exemple de contrôle limité mais normal au sens de l'article 6 de la CEDH (rapport du 17 juillet 1980, affaire Kaplan, DR, vol. 21, p. 66).

54.
    S'agissant de la révision de la sanction prévue à l'article 172 du traité, la pratique du juge communautaire irait au-delà du contrôle de l'iniquité manifeste (arrêt ALMA/Haute Autorité, précité) ou de l'erreur significative (conclusions de l'avocat général M. Warner sous l'arrêt BMW Belgium e.a./Commission, précitées), puisque le juge communautaire vérifierait en outre, notamment, si l'amende est proportionnée à la gravité de l'infraction (arrêts de la Cour du 12 juillet 1962, Acciaierie Ferriere e Fonderie di Modena/Haute Autorité, 16/61, Rec. p. 547, 576 et 581, et du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, 6/73 et 7/73, Rec. p. 223, 260).

Appréciation du Tribunal

55.
    Selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect (voir, notamment, avis de la Cour, du 28 mars 1996, avis 2/94, Rec. p. I-1759, point 33, et arrêt de la Cour du 29 mai 1997, Kremzow, C-299/95, Rec. p. I-2629, point 14). A cet effet, la Cour et le Tribunal s'inspirent des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme auxquels les États membres ont coopéré et adhéré. La CEDH revêt, à cet égard, une signification particulière (arrêts de la Cour du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 18, et Kremzow, précité, point 14). Par ailleurs, aux termes de l'article F, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne, «l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la [CEDH] et tels qu'ils résultent des

traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire».

56.
    Il est également de jurisprudence constante que la Commission ne saurait être qualifiée de «tribunal» au sens de l'article 6 de la CEDH (arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 7). Dès lors, est dénué de pertinence l'argument de la requérante selon lequel la décision serait illégale au seul motif qu'elle a été prise dans le cadre d'un système dans lequel la Commission cumule les fonctions d'accusation et de décision. Toutefois, il importe de souligner que, lors de la procédure administrative devant la Commission, celle-ci est tenue de respecter les garanties procédurales prévues par le droit communautaire.

57.
    La requérante allègue encore que, en l'état actuel du droit communautaire, la partialité de la Commission ne peut pas être réparée par la possibilité d'introduire un recours contre la décision adoptée par celle-ci devant une instance juridictionnelle dotée d'une compétence de pleine juridiction, contrairement aux exigences découlant du respect de la CEDH.

58.
    A cet égard, il convient de rappeler que le droit communautaire confère à la Commission une mission de surveillance qui comprend la tâche de poursuivre les infractions aux articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité.

59.
    Le règlement n° 17 l'investit en outre du pouvoir d'infliger, par voie de décision, des sanctions pécuniaires aux entreprises et associations d'entreprises qui ont commis, de propos délibéré ou par négligence, une infraction à ces dispositions.

60.
    L'exigence d'un contrôle juridictionnel effectif de toute décision de la Commission constatant et réprimant une infraction aux règles communautaires de la concurrence susmentionnées constitue un principe général de droit communautaire, qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 27 juin 1995, Guérin automobiles/Commission, T-186/94, Rec. p. II-1753, point 23).

61.
    En l'espèce, ce principe général de droit communautaire n'a pas été violé.

62.
    En premier lieu, le Tribunal est une juridiction indépendante et impartiale, établie par la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1, rectificatifs au JO 1989, L 241, p. 4). Comme cela ressort du troisième considérant de ladite décision, il a été institué notamment afin d'améliorer la protection juridictionnelle des justiciables dans les recours nécessitant un examen approfondi de faits complexes.

63.
    En second lieu, le Tribunal est compétent, en vertu de l'article 3, paragraphe 1, sous c), de la même décision, pour exercer les compétences conférées à la Cour par les traités instituant les Communautés et par les actes pris pour leur exécution,

notamment, «pour les recours formés contre une institution des Communautés par des personnes physiques ou morales en vertu de l'article 173, deuxième alinéa, [...] du traité [...] et concernant la mise en oeuvre des règles de concurrence applicables aux entreprises». Dans le cadre de ces recours fondés sur l'article 173 du traité, le contrôle de la légalité d'une décision de la Commission constatant une infraction aux règles de la concurrence et infligeant à ce titre une amende à la personne physique ou morale concernée doit être considéré comme un contrôle juridictionnel effectif de l'acte en cause. En effet, les moyens susceptibles d'être invoqués par la personne physique ou morale concernée au soutien de sa demande d'annulation sont de nature à permettre au Tribunal d'apprécier le bien-fondé en droit comme en fait de toute accusation portée par la Commission dans le domaine de la concurrence.

64.
    En troisième lieu, conformément à l'article 17 du règlement n° 17, le Tribunal statue «avec compétence de pleine juridiction au sens de l'article 172 du traité sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende ou une astreinte [et il] peut supprimer, réduire ou majorer l'amende ou l'astreinte infligée». Il s'ensuit qu'il est compétent pour apprécier si la sanction pécuniaire infligée est proportionnée à la gravité de l'infraction constatée.

65.
    Au vu de l'ensemble de ce qui précède, le moyen doit être rejeté comme non fondé.

B — Sur le moyen tiré d'une violation des droits de la défense

Arguments des parties

66.
    La requérante fait valoir que la communication des griefs ne contenait aucune description du marché géographique à l'intérieur duquel il lui était reproché des infractions au droit de la concurrence. Dans ce document, le marché espagnol aurait été mentionné une seule fois et les marchés irlandais, portugais et grec n'auraient jamais été mentionnés.

67.
    La requérante aurait déduit de ces éléments que les marchés espagnol, irlandais, portugais et grec n'étaient pas couverts par l'enquête. Elle n'aurait donc pas cru devoir se défendre des violations alléguées par la Commission sur ces marchés géographiques.

68.
    Contrairement à ce que soutient la Commission dans ses écritures devant le Tribunal, la communication des griefs n'aurait pas couvert «clairement les marchés espagnol et irlandais et, partiellement, les marchés portugais et grec (du moins en ce qui concerne le système d'échange d'informations)». Par cette déclaration, la Commission reconnaîtrait d'ailleurs implicitement que l'entente ne couvrait pas les marchés grec et portugais.

69.
    Plus précisément, en ce qui concerne la couverture des marchés espagnol et irlandais, le renvoi par la Commission à certaines annexes de la communication des griefs (annexes 5, 6, 18, 20 à 22, 55, 56, 60, 71, 80, 81, 109, 110, 111 et 118) serait sans pertinence, car aucune de ces annexes ne comporterait pas la moindre indication selon laquelle les marchés en cause seraient couverts par l'infraction reprochée. En particulier, les annexes 5, 6, 55, 56, 60 et 71 ne concerneraient pas l'Irlande.

70.
    Quant à la prétendue couverture partielle des marchés portugais et grec, la Commission reconnaîtrait elle-même que les réunions du GEP Carton n'abordaient pas de questions relatives aux marchés portugais et grecs. De surcroît, de nombreuses annexes invoquées par la Commission ne concerneraient pas ces marchés.

71.
    En tout état de cause, les indices montrant que les marchés espagnol, irlandais, grec et portugais n'étaient pas couverts par la communication des griefs seraient beaucoup plus concluants que les indices contraires, notamment et surtout parce que la Commission n'aurait repris aucun de ces quatre pays dans son analyse très détaillée des sept initiatives en matière de prix, exposée dans ladite communication des griefs.

72.
    Une comparaison des tableaux récapitulatifs des initiatives en matière de prix, tableaux figurant en annexe à la communication des griefs et à la décision, ferait apparaître l'ajout, dans les tableaux annexés à la décision, de deux notes succinctes relatives aux augmentations de prix en Espagne en ce qui concerne les initiatives d'octobre 1989 (initiative E) et de janvier 1991 (initiative G). Or, seule la seconde de ces notes viserait la requérante.

73.
    Aucun des quatre marchés susvisés ne serait cité dans la décision à propos de la mise en oeuvre des décisions du GEP Carton en matière de prix sur les marchés nationaux.

74.
    En l'absence d'une indication claire du marché géographique concerné, la Commission aurait violé l'obligation de définition adéquate du marché en cause, exigence pourtant consacrée en tant que principe général par le Tribunal (arrêt SIV e.a./Commission, précité, point 159).

75.
    La décision indiquerait que l'enquête et l'infraction ont couvert toute la Communauté sauf le Portugal et la Grèce (point 138 des considérants), alors que la communication des griefs aurait conduit à croire que l'Espagne et l'Irlande n'étaient pas non plus couverts par les griefs formulés. En retenant dans la décision des griefs au sujet desquels la requérante n'aurait pas eu l'occasion de faire connaître son point de vue, la Commission aurait violé l'article 4 du règlement n° 99/63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO L 127, p. 2268, ci-après «règlement n° 99/63»).

76.
    La Commission considère que la communication des griefs, terme qui désigne aussi bien le texte de base que ses annexes, couvre clairement les marchés espagnol et irlandais pour tous les aspects de l'infraction et, partiellement, les marchés portugais et grec, dans la mesure où les preuves de la concertation relatives à ces deux marchés concernent uniquement le système d'échange d'informations. Selon elle, il ne pourrait toutefois être déduit de cette dernière circonstance que l'entente ne couvrait pas toute la Communauté. Il pourrait simplement être admis qu'il n'existait pas de preuves formelles de ce que l'entente s'étendait à ces marchés.

77.
    S'agissant de l'étendue géographique de l'infraction, la Commission renvoie aux annexes 5, 6, 18, 20 à 22, 49, 55, 56, 58, 60, 65, 71, 80, 81, 86, 88, 109, 110, 111, 117 et 118 à la communication des griefs. Au vu de ces documents, elle conclut que le choix de la requérante de ne pas se défendre sur ce point pendant la procédure administrative ne lui était pas imputable.

78.
    En ce qui concerne les initiatives en matière de prix, la Commission considère que l'analyse comparative des tableaux récapitulatifs présentée par la requérante dans ses écritures est manifestement inexacte, car les informations relatives aux augmentations de prix d'octobre 1989 et de janvier 1991 lui ont été communiquées avant l'adoption de la décision.

79.
    Quant à la nécessité de définir le marché géographique en cause avant d'examiner la légalité d'un comportement donné au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité, elle estime que cette définition n'est nullement nécessaire dans le cadre de l'appréciation d'une restriction de concurrence, lorsqu'il est évident, comme dans le cas d'espèce, que la participation de la quasi-totalité des entreprises opérant sur le marché en cause sur le territoire géographique de la Communauté exclut toute application éventuelle de la règle de minimis à l'infraction. D'après elle, cette analyse ne serait pas contredite par l'arrêt SIV e.a./Commission précité.

Appréciation du Tribunal

80.
    Le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d'aboutir à des sanctions, notamment à des amendes ou astreintes, constitue un principe fondamental du droit communautaire, qui doit être observé même s'il s'agit d'une procédure de caractère administratif (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 9).

81.
    Faisant application de ce principe, l'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17 et l'article 4 du règlement n° 99/63 prescrivent à la Commission de ne retenir dans sa décision finale que les griefs au sujet desquels les entreprises intéressées ont eu l'occasion de faire connaître leur point de vue.

82.
    L'article 1er, septième tiret, de la décision fait grief aux entreprises mentionnées dans cette disposition d'avoir planifié et mis en oeuvre des augmentations de prix simultanées et uniformes «dans l'ensemble de la Communauté européenne».

83.
    La requérante soutenant que la communication des griefs ne faisait pas état d'une telle collusion sur les prix dans quatre États membres de la Communauté, à savoir l'Espagne, l'Irlande, la Grèce et le Portugal, il convient de vérifier que, en l'occurrence, l'exposé des griefs a été libellé dans des termes suffisamment clairs, seraient-ils sommaires, pour permettre à la requérante de prendre effectivement connaissance de la dimension géographique de ladite collusion. Ce n'est en effet qu'à cette condition que la communication des griefs a pu remplir la fonction qui lui est attribuée par les règlements communautaires et qui consiste à fournir tous les éléments nécessaires aux entreprises pour qu'elles puissent faire valoir utilement leur défense avant que la Commission n'adopte une décision définitive (voir, notamment, arrêt de la Cour du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C-89/85, C-104/85, C-114/85, C-116/85, C-117/85 et C-125/85 à C-129/85, Rec. p. I-1307, point 42).

84.
    La communication des griefs adressée à la requérante comprend le document de base, les annexes et les renseignements individuels concernant la requérante. Le document de base ne comporte pas de dispositif, mais contient un «résumé de l'infraction». Ce résumé relate, notamment, que les fabricants fournisseurs de carton dans la Communauté ont, en infraction aux dispositions de l'article 85 du traité, de connivence ou en complicité, «programmé et appliqué des augmentations de prix simultanées et uniformes sur tout le territoire de la Communauté». Il indique expressément qu'il doit être pris en considération à la lumière des griefs détaillés communiqués dans le reste du document.

85.
    Une lecture de l'ensemble de la communication des griefs confirme que, selon la Commission, l'infraction alléguée s'était étendue à l'ensemble du territoire de la Communauté. A cet égard, l'examen des allégations avancées dans la communication des griefs relatives à l'étendue géographique des agissements anticoncurrentiels ne saurait être limité à la collusion sur les prix, car il ressort de la communication des griefs (p. 83 à 88) que les principales caractéristiques du système allégué du «prix avant le tonnage» avaient pour objet une restriction de la concurrence à l'intérieur du marché commun.

86.
    Pour ce qui est de l'examen des faits, la communication des griefs indique (p. 37) en ce qui concerne le rôle du JMC dans la collusion sur les prix:

«Le JMC a discuté de la mise en oeuvre détaillée, marché par marché, des décisions en matière de prix arrêtées par le PWG. Sa fonction principale consistait 'à déterminer, d'une part, si les augmentations de prix pouvaient être mises en oeuvre et, dans l'affirmative, à définir les façons d'y procéder et, d'autre part, à tenter d'établir un système de prix équivalents (c'est-à-dire uniformes) en Europe‘.»

87.
    S'agissant de la collusion sur les parts de marché, elle indique (p. 51) que l'entente sur les parts de marché «concernait les parts détenues sur le marché de l'Europe occidentale dans son ensemble».

88.
    Sur ce point, elle se réfère aux déclarations de Stora, selon lesquelles (annexe 43 à la communication des griefs, point 1.1):

«Des discussions portant sur les parts de marché en termes de tonnage ont eu lieu au sein du PWG. Les qualités fibre vierge (qualités GC et UC) et les qualités fibre recyclée (qualités GD et UD) étaient examinées séparément. Les discussions portaient sur les niveaux pour l'Europe dans son ensemble et pour chaque pays envisagé individuellement. Aux fins des discussions, l''Europe‘ visait les pays de la Communauté européenne et de l'Association européenne de libre échange.»

89.
    S'agissant de la collusion sur les prix, elle relève (p. 69):

«Les documents indiquent [...] que le système des prix dits 'équivalents‘ ou 'européens‘ avait été mis en oeuvre, des prix de catalogue de même niveau ayant été instaurés simultanément dans l'ensemble de l'Europe.»

90.
    En ce qui concerne l'appréciation juridique, elle énonce notamment (p. 83), dans la partie intitulée «la nature de l'infraction»:

«Les principales caractéristiques du système du 'prix avant le tonnage‘ étaient les suivantes:

[...]

—    la mise en oeuvre périodique d'initiatives concertées en matière de prix consistant dans l'application par tous les producteurs d'augmentations de prix simultanées et uniformes sur les différents marchés nationaux;

—    la réalisation d'un système uniforme de fixation de prix à l'échelle européenne;

[...]»

91.
    Enfin, dans la partie intitulée «effet sur les échanges entre États membres», la communication des griefs souligne (p. 88):

«En l'espèce, le caractère universel des arrangements collusoires, qui recouvraient pratiquement l'ensemble des ventes d'un produit industriel de première importance dans toute la Communauté (et dans d'autres pays d'Europe occidentale) était forcément de nature à détourner les courants d'échanges de l'orientation qu'ils auraient suivie autrement.»

92.
    Les indications concernant l'étendue géographique de l'infraction alléguée, telles que contenues dans le corps même de la communication des griefs, sont confirmées dans ce document par les principaux éléments de preuve invoqués par la Commission, à savoir les déclarations de Stora. Selon celles-ci, l'étendue géographique des agissements anticoncurrentiels en matière de prix était, au moins, tout le territoire de la Communauté. A titre d'exemple, au sujet des deux initiatives d'augmentation de prix adoptées en 1988, Stora déclare qu'«[u]n accord a été conclu sur l'introduction (en 1988) de deux augmentations de prix dans tout le marché communautaire» (annexe 39 à la communication des griefs, point 4). De même, comme cela a déjà été rappelé (voir ci-dessus point 88), Stora déclare que la collusion sur les parts de marché concernait l'Europe dans son ensemble.

93.
    Dans ces conditions, la communication des griefs doit être considérée comme satisfaisant à l'obligation de clarté rappelée précédemment en ce qui concerne l'étendue géographique des collusions sur tout le territoire de la Communauté. Il s'ensuit que le seul fait que certains pays de la Communauté n'aient pas été mentionnés expressément est dénué de pertinence.

94.
    En l'espèce, la Commission n'était pas non plus obligée de définir préalablement à la constatation de la restriction de la concurrence le marché géographique sur lequel celle-ci avait eu lieu (voir ci-après points 231 et suivants).

95.
    Cependant, dans la mesure où il ressort des indications fournies par la requérante en réponse à une question écrite du Tribunal que la majorité de ses ventes était réalisée sur le marché espagnol, il convient de constater que plusieurs documents mentionnés dans la communication des griefs et joints à celle-ci en tant qu'annexes se réfèrent expressément au marché espagnol (annexes 109, 110, 111, 117 et annexes techniques E et G).

96.
    En particulier, dans la communication des griefs (p. 55), l'annexe 109 est commentée en ces termes:

«Les producteurs présents à la réunion [du JMC du 16 octobre 1989 ...] ont fait le point sur la mise en oeuvre, sur les différents marchés nationaux, de l'augmentation des prix dont l'entrée en vigueur avait été annoncée (pour la plupart des pays) pour le 1er octobre 1989».

97.
    Or, le marché espagnol figure expressément parmi les marchés nationauxmentionnés dans l'annexe 109:

«c)    Espagne

L'augmentation de prix est notifiée et son application ne se heurte à aucune difficulté majeure [...]»

98.
    De plus, l'annexe technique E, qui concerne les initiatives en matière de prix d'octobre 1989, commente et reproduit partiellement l'annexe 111 à la communication des griefs, constituée par une liste de prix obtenue chez Rena. Certes, cette liste a été identifiée en tant qu'annexe 110 à la communication des griefs, mais un lecteur attentif n'a pas pu ignorer qu'il s'agissait en réalité de l'annexe 111.

99.
    Les données reproduites concernent les prix par qualité de carton par pays ainsi que la date de l'annonce de l'augmentation des prix, et des données relatives au marché national espagnol figurent expressément dans ce document.

100.
    Enfin, l'annexe technique E précise:

«Le détail des augmentations de prix de chaque fabricant est indiqué dans le tableau E.

(N.B.: Finnboard, Feldmühle et Kopparfors ont augmenté leurs prix pour l'Espagne dans les proportions indiquées dans l'annexe 117).»

101.
    Bien que le renvoi à l'annexe 117 à la communication des griefs constitue une erreur regrettable, puisque l'annexe visée est, en réalité, l'annexe 111, force est de constater que le marché national espagnol est expressément visé par l'annexe technique E.

102.
    Enfin, l'annexe technique G (p. 4), qui concerne les initiatives en matière de prix de janvier 1991, contient le renseignement suivant:

«Le détail des augmentations de prix de chaque fabricant est indiqué dans le tableau G.

Les principaux producteurs approvisionnant le marché espagnol (Cascades, Finnboard, Iggesund, Tampella Española, Feldmühle) ont tous annoncé une augmentation de 5 PTA/kg.»

103.
    En définitive, à la lumière des considérations qui précèdent, la requérante ne peut invoquer une violation de ses droits de la défense.

104.
    Le moyen doit donc être rejeté.

C — Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 190 du traité

Arguments des parties

105.
    Évoquant le caractère relatif de l'exigence de motivation (conclusions de l'avocat général M. Van Gerven sous l'arrêt de la Cour du 15 juin 1994, Commission/BASF

e.a., C-137/92 P, Rec. p. I-2555, I-2559, I-2572), la requérante soutient qu'il faut interpréter strictement l'obligation de motiver une décision comportant l'imposition d'amendes, surtout lorsque la décision de la Commission va sensiblement plus loin que les décisions précédentes (arrêt de la Cour du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a./Commission, 73/74, Rec. p. 1491).

106.
    En l'espèce, la Commission n'aurait pas, en ce qui concerne la requérante, présenté de façon claire et cohérente dans la décision les considérations de fait et de droit qui l'ont amenée à prendre celle-ci. Ni la requérante ni le Tribunal ne seraient donc en mesure de connaître les éléments de son raisonnement. Cela vaudrait en particulier en ce qui concerne la définition du marché géographique concerné et l'appréciation de la participation de la requérante aux prétendues infractions.

107.
    Enfin, la Commission aurait violé l'obligation de motivation relativement à la détermination du montant des amendes.

108.
    La Commission fait valoir que le moyen doit être rejeté, puisqu'il ne se fonde que sur une invocation générale de l'article 190 du traité. En tout état de cause, il serait dénué de fondement, car la décision serait suffisamment motivée.

Appréciation du Tribunal

109.
    Il ressort d'une jurisprudence constante que l'obligation de motiver une décision individuelle a pour but de permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est éventuellement entachée d'un vice permettant d'en contester la validité, étant précisé que la portée de cette obligation dépend de la nature de l'acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T-49/95, Rec. p. II-1799, point 51). Si, en vertu de l'article 190 du traité, la Commission est tenue de mentionner les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale de la décision et les considérations qui l'ont amenée à prendre celle-ci, il n'est pas exigé qu'elle discute tous les points de fait et de droit qui ont été soulevés au cours de la procédure administrative (voir, notamment, arrêt Van Landewyck e.a./Commission, précité, point 66).

110.
    En l'espèce, la décision contient des références directes à la requérante dans le contexte de la description des augmentations de prix concertées (points 77 et 89 des considérants). En outre, les points de la décision dans lesquels sont décrites les discussions à objet anticoncurrentiel menées au sein du JMC (notamment, points 44 à 46, 58, 71, 73, 84, 85 et 87 des considérants) visent nécessairement la requérante, qui ne conteste pas avoir participé à des réunions de cet organe. Enfin, la décision expose de manière claire le raisonnement suivi par la Commission pour considérer qu'elle a participé à une entente globale (points 116 à 119 des considérants).

111.
    Dans ces conditions, la motivation de la décision a donné à la requérante une indication suffisante pour connaître les principaux éléments de fait et de droit qui étaient à la base du raisonnement ayant conduit la Commission à la tenir pour responsable d'une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

112.
    S'agissant de la motivation relative au marché géographique visé par la décision, il suffit de constater que non seulement le dispositif (article 1er), mais également les motifs de celle-ci (notamment point 2, premier alinéa, troisième et cinquième tirets, point 44, second alinéa, second tiret, point 52 et point 76, premier alinéa, des considérants) visent des agissements anticoncurrentiels sur tout le territoire de la Communauté.

113.
    Dans ces conditions, l'argument de la requérante tiré d'une motivation insuffisante sur ce point ne saurait être accueilli.

114.
    Enfin, en ce qui concerne la violation alléguée de l'obligation de motivation concernant la détermination du montant des amendes, force est de constater qu'une telle violation, à la supposer établie, ne pourrait affecter que la légalité de l'article 3 de la décision, qui inflige une amende à la requérante. Les arguments en cause doivent donc être examinés avec les moyens soulevés au soutien de la demande d'annulation de l'amende ou de réduction de son montant (voir ci-après points 238 et suivants).

115.
    Il s'ensuit que le moyen doit être rejeté comme non fondé.

D — Sur le moyen tiré d'une application erronée de l'article 85, paragraphe 1, du traité aux actes de la requérante

Arguments des parties

116.
    Ce moyen se compose de quatre branches.

117.
    Dans la première branche, la requérante conteste toute participation à un plan global de restriction de la concurrence.

118.
    Elle rappelle qu'elle a reconnu, dans sa réponse à la communication des griefs, qu'elle avait été membre du GEP Carton et avait participé aux réunions de certains organes du GEP Carton ainsi qu'au système d'échange d'informations de la Fides. Cependant, elle aurait ignoré l'effet restrictif, sur la concurrence, des informations fournies.

119.
    Son adhésion à un plan global de restriction de la concurrence ne pourrait être déduite de sa participation limitée aux organes du GEP Carton et à l'échange d'informations au sein de cette structure. D'ailleurs, la Commission assimilerait erronément sa participation aux organes du GEP Carton à une participation à

l'entente elle-même en évoquant, dans son mémoire en défense, les «organes de l'entente».

120.
    La Commission n'aurait pas fourni des preuves crédibles et concluantes permettant de rattacher la requérante au système commun. En effet, la requérante n'étant mentionnée dans aucun des documents invoqués comme preuve dans la décision, il ne pourrait être considéré comme établi qu'une simple assistance à des réunions et une participation à un échange d'informations. A cet égard, la requérante insiste sur la différence qui existe entre faire partie d'un plan global de restriction de la concurrence et participer à certaines des actions susceptibles de constituer des infractions moins graves dans le cadre de ce plan (assistance à des réunions et participation aux échanges d'informations).

121.
    La requérante, après avoir développé le test utilisé par la Commission afin d'établir la participation à l'entente de chacun des destinataires de la décision (points 116 à 121 des considérants de la décision), conclut que l'application de ce test à sa situation individuelle conduit à constater sa non-participation au système commun allégué. En effet, aucun des éléments de preuve invoqués dans la décision ne serait susceptible d'établir un lien entre la requérante et la collusion.

122.
    Dans la deuxième branche du moyen, la requérante fait valoir qu'elle n'a pas participé aux augmentations de prix convenues lors de la réunion du JMC du 6 septembre 1990 (point 89 des considérants de la décision). Comme elle l'aurait exposé dans sa réponse à la communication des griefs (point 5.2.2, et notamment point 5.2.2.1), sa participation aux concertations sur les prix et à leur mise en oeuvre ne serait pas prouvée.

123.
    De plus, ni la décision ni la communication des griefs ne comporteraient le moindre indice permettant de conclure à sa participation au contrôle de la mise en oeuvre des augmentations de prix.

124.
    Dans sa réplique, elle précise que, lorsqu'elle affirme ne pas avoir participé à des concertations sur les prix, il faut comprendre d'abord qu'elle n'avait pris aucun engagement d'appliquer un niveau déterminé de prix, ce qui ne signifiait pas qu'elle n'était pas au courant de l'existence d'accords que les gros producteurs avaient pris à cet égard, probablement au cours des réunions du PWG. Il faudrait comprendre ensuite que, à chaque instant, sa politique commerciale suivait des règles différentes de celles appliquées par ses concurrents.

125.
    Dans une troisième branche du moyen, la requérante fait valoir qu'elle n'a pas participé à une collusion sur la régulation des volumes de production ni à une collusion sur les parts de marché.

126.
    Elle constate que, selon la décision (points 51 et suivants des considérants), un mécanisme de régulation des prix et du volume de production, fondé sur une prétendue politique du «prix avant le tonnage», a été amorcé au sein du GEP

Carton. Il serait également prétendu (point 58 des considérants) que les petits producteurs de carton, bien que n'ayant pas été dans le secret des discussions approfondies sur les parts de marché qui avaient lieu au PWG, étaient parfaitement informés, dans le cadre de la politique du «prix avant le tonnage» à laquelle ils souscrivaient tous, de l'accord général conclu entre les principaux producteurs pour maintenir des niveaux d'approvisionnement constants et de la nécessité d'y adapter leur propre conduite.

127.
    Toutefois, il n'existerait aucune preuve de cette affirmation en ce qui concerne la requérante. Au contraire, sa politique commerciale, explicitée dans sa réponse à la communication des griefs, aurait toujours consisté à augmenter la quantité de produits sur le marché, même au détriment des marges réalisées sur les prix obtenus.

128.
    En outre, la Commission lui imputerait à tort une participation à la collusion sur les temps d'arrêt et à la collusion sur les parts de marché. Elle reconnaîtrait en effet au point 116 des considérants de la décision que seuls les gros producteurs ont conclu les accords sur les volumes de production et les parts de marché.

129.
    Le grief de répartition des marchés ne serait pas non plus prouvé ni même étayé dans la décision. En tout état de cause, l'évolution des ventes de la requérante sur les marchés communautaires suffirait à démontrer que cette accusation est infondée en ce qui la concerne.

130.
    Enfin, dans la quatrième branche du moyen, la requérante fait valoir que l'absence, dans la communication des griefs, de précisions relatives au marché géographique concerné (voir ci-dessus points 66 et suivants) se retrouve dans la décision. En effet, l'unique passage de celle-ci précisant les limites de ce marché géographique serait le point 138 des considérants, dans lequel il serait reconnu que les infractions n'ont pas été commises sur les marchés portugais et grec. La requérante met cependant l'accent sur une incohérence entre ce point des considérants et le point 61 des considérants, dans lequel il est souligné que le système d'échange d'informations de la Fides couvrait toute l'Europe occidentale.

131.
    Cette question de la définition du marché géographique concerné serait essentielle pour apprécier l'existence ou non d'une infraction, ainsi que la gravité et la portée de celle-ci. La requérante n'aurait que faiblement participé à l'infraction, car les marchés espagnol, portugais, grec et irlandais, sur lesquels elle aurait exercé la majeure partie de ses activités, ne seraient pas couverts par la procédure.

132.
    De plus, les marchés espagnol et irlandais sembleraient être considérés comme relevant du marché géographique concerné (point 72 des considérants de la décision), alors que la plupart des preuves présentées par la décision ne se référeraient nullement à ces marchés nationaux. En particulier, les preuves invoquées par la Commission dans le but de démontrer l'existence d'un accord sur

les augmentations de prix ne se référeraient aux marchés espagnol et irlandais qu'au titre des augmentations de prix d'octobre 1989, d'avril 1990 et de janvier 1991.

133.
    La Commission conteste la recevabilité des arguments avancés par la requérante dans sa réponse à la communication des griefs, car leur pertinence pour mettre en cause la décision attaquée ne serait pas établie.

134.
    Ensuite, s'agissant de la première branche du moyen, elle souligne que, dans un cas comme celui-ci de l'espèce, l'approche correcte consiste à démontrer l'existence et le fonctionnement ainsi que les principales caractéristiques de l'entente dans son ensemble, puis à établir l'existence de preuves crédibles et concluantes permettant de rattacher les différents producteurs au système commun ainsi que, pour chacun d'eux, la période de participation. Dans ce contexte, elle se prévaut du point 116, deuxième alinéa, des considérants de la décision, selon lequel la collusion sur les prix et le contrôle des volumes étaient des aspects inextricablement liés du même plan global.

135.
    Elle présume que tout producteur qui était membre du GEP Carton et siégeait dans ses différents comités a participé à l'entente, car le GEP Carton aurait eu, en soi, un objectif principalement illégitime. Le PWG et le JMC se seraient occupés presque exclusivement de la fixation des prix et du partage du marché.

136.
    Par ailleurs, de nombreuses preuves directes démontreraient la participation de la requérante à l'infraction, ainsi que l'indiqueraient la décision et les annexes à la communication des griefs. La requérante serait citée dans les documents clefs prouvant l'existence de l'entente dans son ensemble ou de ses différentes manifestations.

137.
    S'agissant de la deuxième branche du moyen, la Commission fait valoir que la participation de la requérante à une collusion sur les prix est établie. En effet, sa réponse à la communication des griefs ne ferait que confirmer sa participation à la collusion sur les prix, car sa participation aux organes de l'entente l'empêcherait de justifier le prétendu décalage dans l'annonce des prix par des motifs d'adaptation intelligente aux conditions du marché.

138.
    En ce qui concerne la troisième branche du moyen, la Commission relève que la requérante ne nie pas sa participation aux principaux organes de l'entente, à l'exception du PWG, et que, pour ce qui concerne ces enceintes, l'existence de l'accord et de la pratique concertée imputée à la requérante a été prouvée (voir, notamment, points 111 à 113 des considérants de la décision). Il ne faudrait donc pas nécessairement disposer de preuves directes attestant que chaque participant présumé a expressément donné son consentement ou commis un acte manifeste de soutien à chacun des aspects ou à chacune des manifestations de l'entente pendant toute la durée de celle-ci (point 116 des considérants de la décision). Des raisons de droit matériel et d'ordre pratique s'opposeraient à une approche aussi

fragmentée, puisque l'infraction consisterait, pour l'essentiel, dans l'association de producteurs pendant plusieurs années au sein d'une entreprise conjointe illégale poursuivant un objectif commun (même point des considérants).

139.
    Même si les grands producteurs discutaient seuls, notamment, des parts de marché et des arrêts de production au sein du PWG, cela ne signifierait pas que les petits producteurs n'étaient pas impliqués dans cette partie de l'infraction. En effet, ces derniers auraient été au courant et auraient accepté la politique de répartition des marchés au sein du PWG (point 58 des considérants de la décision), auraient facilité la mise en pratique du système de contrôle des volumes des ventes et des parts de marché en fournissant les informations utiles à la Fides et auraient été informés des plans d'arrêt de la production dans le cadre du JMC (point 71 des considérants).

140.
    La Commission conclut que la quatrième branche du moyen devrait être également rejetée.

141.
    A cet égard, elle se réfère, pour l'essentiel, aux arguments précédemment exposés (voir ci-dessus points 76 et suivants). Elle souligne toutefois que le point 138 des considérants de la décision énonce qu'il n'existe pas de preuves fiables des accords sur les prix en Grèce et au Portugal, et non que les infractions n'ont pas eu lieu dans ces pays. Elle réfute également la prétendue incohérence alléguée par la requérante entre la couverture européenne de l'échange d'informations au sein de la Fides, d'une part, et l'absence de preuves des accords sur les prix en Grèce et au Portugal, d'autre part.

Appréciation du Tribunal

142.
    Il y a d'abord lieu d'examiner ensemble les trois premières branches du moyen tirées de l'absence de participation de la requérante à l'infraction constatée à l'article 1er de la décision. La quatrième branche tirée de l'absence de définition suffisamment précise du marché géographique concerné sera examinée séparément.

Sur les trois premières branches du moyen, tirées de l'absence de participation de la requérante à l'infraction constatée à l'article 1er de la décision

143.
    A titre liminaire, il convient de rappeler que, en vertu de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, toute requête doit indiquer l'objet du litige et l'exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l'appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu'un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d'une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même

(voir, notamment, ordonnance du Tribunal du 29 novembre 1993, Koelman/Commission, T-56/92, Rec. p. II-1267, point 21).

144.
    En l'espèce, il y a lieu de considérer que, lorsqu'elle se réfère aux arguments avancés dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante n'invoque ni un moyen ni un argument distinct de ceux présentés dans la requête introductive d'instance. La référence, dans la requête, à certains développements contenus dans la réponse à la communication des griefs ne vise donc qu'à étayer et à compléter, sur des points spécifiques, le corps même de la requête. Dans ces conditions, les arguments invoqués par la requérante dans le cadre du présent moyen doivent être considérés comme recevables.

145.
    Il y a lieu d'examiner en premier lieu la question de savoir si la Commission a prouvé la participation de la requérante à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité pour ce qui est de la période allant du mois de mars 1988 jusqu'en février 1989, date à partir de laquelle la requérante admet avoir commencé à participer aux réunions du JMC. En second lieu, sera examinée la question de savoir si la Commission a prouvé la participation de la requérante à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité pour ce qui est de la période restante, soit du mois de février 1989 au mois d'avril 1991.

1. Période allant du mois de mars 1988 au mois de février 1989

146.
    Le point 162, quatrième alinéa, des considérants de la décision énonce:

«Enso Española a commencé à assister aux réunions d'un groupe du GEP Carton (le comité économique) de façon régulière en 1987 et la première 'President Conference‘ à laquelle la société a participé est celle du 25 mai 1988. Elle prétend n'avoir commencé à assister au JMC qu'en février 1989. Elle [a toutefois] pris part à la première initiative en matière de prix de 1988 et sa participation effective à l'infraction peut être considérée comme ayant commencé vers cette période.»

147.
    Pour prouver la participation de la requérante à une infraction aux règles communautaires de la concurrence pendant la période sous examen, la Commission se fonde sur la participation de cette entreprise aux réunions de la PC des 25 mai et 17 novembre 1988 (tableau 3 annexé à la décision), sur sa participation à la réunion du COE du 3 mai 1988 (tableau 6 annexé à la décision) et, enfin, sur le comportement effectif de la requérante en matière de prix.

148.
    Il y a lieu d'examiner chacun de ces éléments de preuve dans l'ordre susmentionné.

a) Participation de la requérante à certaines réunions de la PC

149.
    S'agissant de la participation de la requérante à deux réunions spécifiques de la PC, la Commission n'invoque aucun élément de preuve de l'objet de celles-ci. Dès lors, quand elle se réfère à cette participation comme élément de preuve de la

participation de l'entreprise à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité, elle se fonde nécessairement sur la description générale, contenue dans la décision,de l'objet des réunions de cet organe, ainsi que sur les éléments de preuve invoqués dans la décision pour étayer ladite description.

150.
    A cet égard, la décision énonce: «Comme l'a expliqué Stora, le PWG avait notamment pour fonction d'expliquer à la 'President Conference‘ les mesures nécessaires pour réguler le marché [...]. Les directeurs généraux participant aux 'President Conferences‘ étaient ainsi informés des décisions prises par le PWG et des instructions à transmettre à leurs départements des ventes en vue de mettre en oeuvre les initiatives en matière de prix.» (Point 41, premier alinéa, des considérants.) La Commission relève également: «Le PWG s'est régulièrement réuni avant chaque 'President Conference‘ prévue. La même personne présidant les deux réunions, il ne fait aucun doute que c'est elle qui communiquait les résultats des délibérations du PWG aux autres 'présidents‘ qui ne faisaient pas partie du cercle restreint.» (Point 38, deuxième alinéa, des considérants.)

151.
    Stora indique que les participants aux réunions de la PC ont été informés des décisions adoptées par le PWG (annexe 39 à la communication des griefs, point 8). Cependant, l'exactitude de cette affirmation est contestée par plusieurs des entreprises ayant participé aux réunions de la PC. En particulier, elle est contestée implicitement par la partie requérante, dans la mesure où celle-ci conteste sa participation à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Par conséquent, les déclarations de Stora relatives au rôle de la PC ne peuvent pas, sans être étayées par d'autres éléments de preuve, être considérées comme constituant une preuve suffisante de l'objet des réunions dudit organe.

152.
    Certes, le dossier contient un document, à savoir une déclaration du 22 mars 1993 d'un ancien membre du directoire de Feldmühle (M. Roos), qui corrobore à première vue les affirmations de Stora. M. Roos indique notamment: «Le contenu des discussions conduites au sein du PWG était transmis aux entreprises qui n'étaient pas représentées dans ce groupe lors de la conférence des Présidents qui suivait immédiatement, ou bien, s'il n'y avait pas immédiatement de conférence des Présidents, lors du JMC.» Toutefois, même si ce document n'est pas expressément invoqué dans la décision à l'appui des allégations de la Commission concernant l'objet des réunions de la PC, il ne peut, en tout état de cause, être considéré comme constituant une preuve supplémentaire s'ajoutant aux déclarations de Stora. En effet, ces déclarations étant une synthèse des réponses fournies par chacune des trois entreprises détenues par Stora durant la période d'infraction, dont Feldmühle, l'ancien membre du directoire de cette dernière entreprise constitue nécessairement l'une des sources des déclarations de Stora elle-même.

153.
    La Commission soutient dans la décision que l'annexe 61 à la communication des griefs, une note découverte chez l'agent commercial au Royaume-Uni de Mayr-Melnhof qui se réfère à une réunion tenue à Vienne les 12 et 13 décembre 1986,

«corrobore l'aveu de Stora selon lequel la 'President Conference‘ discutait en fait d'une politique collusive de fixation des prix» (points 41, troisième alinéa, et 75, deuxième alinéa, des considérants). Ce document contient l'information suivante:

«Politique des prix au Royaume-Uni

Le représentant de Weig était présent à une récente réunion Fides au cours de laquelle il a déclaré qu'ils pensaient que 9 % était un pourcentage trop élevé pour le Royaume-Uni et qu'ils tranchaient à 7 %!! La déception est grande, car cela signifie un 'niveau de négociation‘ pour tout le monde. La politique des prix au Royaume-Uni sera confiée à RHU avec le soutien de [Mayr-Melnhof] même si cela entraîne une réduction temporaire du tonnage tandis que nous nous efforçons de maintenir l'objectif des 9 % (ce qui se verra). [Mayr-Melnhof/FS] poursuivent une politique de croissance au Royaume-Uni mais la baisse des profits est sérieuse et nous devons nous battre pour reprendre le contrôle sur les prix. [Mayr-Melnhof] ne conteste pas que le fait que l'on sache qu'ils aient augmenté leurs tonnes en Allemagne de 6 000 n'arrange rien!»

154.
    La réunion Fides à laquelle il est fait référence au début du passage cité est probablement, selon Mayr-Melnhof (réponse à une demande de renseignements, annexe 62 à la communication des griefs), la réunion de la PC du 10 novembre 1986, à laquelle la requérante n'était pas présente, au vu du tableau 3 annexé à la décision.

155.
    Il y a lieu de constater que le document analysé atteste que Weig a réagi en donnant des indications sur sa future politique de prix au Royaume-Uni par rapport à un niveau initial d'augmentation des prix.

156.
    Il ne peut toutefois pas être considéré comme prouvant que Weig a réagi par rapport à un niveau déterminé d'augmentation de prix convenu entre les entreprises réunies au sein du GEP Carton à une date antérieure au 10 novembre 1986.

157.
    En effet, la Commission ne se prévaut d'aucun autre élément de preuve en ce sens. De plus, la référence de Weig à une augmentation de prix de «9 %» peut s'expliquer par l'annonce d'une augmentation de prix au Royaume-Uni de Thames Board Ltd le 5 novembre 1986 (annexe A-12-1). Cette annonce a été rendue publique dans un bref délai, ainsi que cela ressort d'une coupure de presse (annexe A-12-3). Enfin, la Commission n'a produit aucun autre document susceptible de constituer une preuve directe de ce que des discussions sur les augmentations de prix auraient eu lieu lors des réunions de la PC. Dans ces conditions, il ne peut être exclu que les propos de Weig, tels que relatés dans l'annexe 61 à la communication des griefs, aient été tenus en marge de la réunion de la PC du 10 novembre 1986, ainsi que Weig l'a itérativement soutenu lors de l'audience.

158.
    La Commission soutient également dans la décision que «les documents trouvés par la Commission chez FS-Karton (membre du groupe M-M) confirment que, à la fin de 1987, un accord avait été conclu dans le cadre de la 'President Conference‘ et du PWG sur les questions liées de la régulation des volumes et de la discipline des prix» (point 53, premier alinéa, des considérants). Elle se réfère, à cet égard, à l'annexe 73 à la communication des griefs, note confidentielle datée du 28 décembre 1988 adressée par le directeur commercial responsable des ventes du groupe Mayr-Melnhof en Allemagne (M. Katzner) au directeur général de Mayr-Melnhof en Autriche (M. Gröller) et ayant pour objet la situation du marché.

159.
    L'auteur du document évoque, en guise d'introduction, la coopération plus étroite à l'échelle européenne au sein du «cercle des présidents» («Präsidentenkreis»), expression interprétée par Mayr-Melnhof comme visant à la fois le PWG et la PC dans un contexte général, c'est-à-dire sans référence à un événement ou à une réunion particulière (annexe 75 à la communication des griefs, point 2.a).

160.
    S'il n'est pas contesté dans le cadre de la présente affaire que l'annexe 73 à la communication des griefs constitue une preuve corroborant les déclarations de Stora relatives à l'existence d'une collusion sur les parts de marché entre les entreprises admises au sein du «cercle des présidents», d'une part, et d'une collusion sur les temps d'arrêt entre ces mêmes entreprises, d'autre part, la Commission ne produit toutefois, aucun autre élément de preuve confirmant que la PC a eu pour objet, notamment, de discuter de la collusion sur les parts de marché et de la régulation des volumes de production. Par conséquent, les termes «cercle des présidents» («Präsidentenkreis») employés dans l'annexe 73 à la communication des griefs ne sauraient, malgré les explications fournies par Mayr-Melnhof, être interprétés comme comportant une référence à des organes autres que le PWG.

161.
    Au vu de ce qui précède, la Commission n'a pas prouvé que les réunions de la PC avaient, en marge des activités licites, joué un rôle anticoncurrentiel. Il s'ensuit qu'elle ne pouvait pas inférer des éléments de preuve invoqués que les entreprises ayant participé aux réunions de cet organe avaient pris part à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

162.
    Il y a donc lieu de conclure que la participation de la requérante à deux réunions de la PC n'établit pas qu'elle a enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité pendant la période allant du mois de mars 1988 au mois de février 1989.

b) Participation de la requérante à une réunion du COE

163.
    Il est constant que la requérante a participé, durant la période allant du mois de mars 1988 au mois de février 1989, à une seule réunion du COE, à savoir celle du 3 mai 1988. La Commission n'ayant invoqué aucun élément de preuve se

rapportant à cette réunion, il convient d'examiner de manière plus générale si les réunions du COE avaient un objet anticoncurrentiel.

164.
    Selon la décision, «le thème central des discussions du comité économique était l'analyse et l'évaluation de la situation du marché du carton dans les divers pays» (point 50, premier alinéa, des considérants). Le COE «débattait (entre autres) des fluctuations de prix sur les marchés nationaux et des commandes en carnet, et faisait rapport sur ses conclusions au JMC (ou au 'Marketing Committee‘, l'instance qui l'a précédé jusqu'à la fin de 1987)» (point 49, premier alinéa, des considérants).

165.
    D'après la Commission, «les discussions sur les conditions du marché ne restaient pas dans le vague: en effet, les entretiens portant sur les conditions qui régnaient sur chaque marché national doivent être placés dans le contexte des initiatives prévues en matière de prix, et notamment dans celui de la nécessité ressentie de fermer temporairement des installations pour accompagner les augmentations» (point 50, premier alinéa, des considérants). En outre, la Commission estime: «Il est possible que le comité économique ait été moins directement concerné par la fixation des prix en tant que telle, mais il n'est pas crédible que ceux qui y assistaient aient pu ignorer l'objectif illicite auquel étaient destinées les informations qu'ils fournissaient sciemment au JMC.» (Point 119, deuxième alinéa, des considérants.)

166.
    A l'appui de ses allégations selon lesquelles les discussions tenues au sein du COE avaient un objet anticoncurrentiel, la Commission se réfère à un seul document, une note confidentielle rédigée par un représentant de FS-Karton (du groupe Mayr-Melnhof) concernant les points essentiels de la réunion du COE du 3 octobre 1989 (annexe 70 à la communication des griefs).

167.
    Dans la décision, la Commission résume le contenu de ce document de la manière suivante:

«[...] outre une étude détaillée de la demande, de la production et des carnets de commande sur chaque marché national, les points suivants ont été examinés:

—    la forte résistance constatée chez les clients contre la dernière augmentation des prix du GC, entrée en vigueur le 1er octobre,

—    les commandes en carnet des producteurs de GC et de GD, y compris les positions individuelles,

—     des rapports sur les arrêts de production effectués et programmés,

—    des difficultés particulières liées à la mise en oeuvre de l'augmentation de prix au Royaume-Uni et l'incidence de celle-ci sur l'écart de prix nécessaire entre les qualités GC et GD

    et

—     la comparaison par rapport au budget des entrées de commandes pour chaque groupement national.» (Point 50, deuxième alinéa, des considérants.)

168.
    Il convient d'admettre que cette description du contenu du document est, pourl'essentiel, correcte. Toutefois, la Commission n'invoque aucun élément de preuve à l'appui de son affirmation selon laquelle l'annexe 70 à la communication des griefs peut être considérée «comme un indice de la véritable nature des délibérations de cet organe» (point 113, dernier alinéa, des considérants de la décision). En outre, Stora déclare: «Le JMC a été créé à la fin de l'année 1987 et a tenu sa première réunion au début de l'année 1988, reprenant à compter de cette date une partie des fonctions dévolues au Comité Economique. Les autres fonctions du Comité Economique ont été reprises par le Comité Statistique.» (Annexe 39 à la communication des griefs, point 13.) Au moins en ce qui concerne la période ayant commencé au début de 1988, seule période durant laquelle la requérante a été considérée comme ayant commis une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité, les déclarations de Stora ne contiennent donc aucun élément étayant l'allégation de la Commission relativement au prétendu objet anticoncurrentiel des délibérations de cet organe. Enfin, la Commission n'invoque pas non plus des éléments de preuve permettant de considérer que les participants aux réunions du COE étaient informés de la nature précise des réunions du JMC, organe auquel le COE faisait rapport. Dès lors, il ne saurait être exclu que des participants aux réunions du COE, qui ne participaient pas simultanément aux réunions du JMC, n'aient pas eu connaissance de l'utilisation précise, par le JMC, des rapports préparés par le COE.

169.
    En conséquence, l'annexe 70 à la communication des griefs n'établit pas la véritable nature des discussions tenues lors des réunions du COE.

170.
    Il convient d'ajouter que la Commission elle-même semble considérer que la participation aux réunions du COE ne constitue pas une preuve suffisante d'une infraction quelconque, car la requérante, qui avait assisté à des réunions du COE en 1987, n'a pas été considérée comme ayant commis une infraction aux règles de la concurrence avant mars 1988.

171.
    Au vu de ce qui précède, le fait que la requérante a, pendant la période en cause, pris part à une réunion du COE n'établit pas sa participation à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

c) Comportement effectif de la requérante en matière de prix

172.
    Pour ce qui est de la période en cause (mars 1988 jusqu'à février 1989), il ressort du tableau B annexé à la décision que la Commission a constaté que la requérante

a mis en oeuvre, respectivement le 1er mars et le 1er avril 1988, des augmentations de prix en France et au Royaume-Uni, soit à des dates correspondant à celles prétendument convenues au sein des organes du GEP Carton. La Commission n'a pas, selon ce même tableau, constaté des augmentations des prix de la requérante sur d'autres marchés nationaux à l'occasion de l'initiative d'augmentation des prix de mars/avril 1988.

173.
    En outre, selon le tableau C annexé à la décision, la Commission ne dispose d'aucune information concernant d'éventuelles augmentations de prix de la requérante à l'occasion de l'initiative d'augmentation des prix d'octobre 1988.

174.
    Dans ces conditions, le comportement effectif en matière de prix de la requérante, tel qu'établi par la Commission, ne corrobore pas son affirmation selon laquelle la requérante aurait participé à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

d) Conclusion relative à la période en cause

175.
    Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, les éléments de preuve invoqués par la Commission, même considérés dans leur ensemble, n'établissent pas une participation de la requérante à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité pendant la période allant du mois de mars 1988 au mois de février 1989.

2. Période allant du mois de février 1989 au mois d'avril 1991

176.
    Aux termes de l'article 1er de la décision, les entreprises visées par cette disposition ont enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité en participant, dans le cas de la requérante de mars 1988 au moins jusqu'à la fin du mois d'avril 1991 au moins, à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de 1986, en vertu desquels les fournisseurs de carton de la Communauté ont notamment «décidé d'un commun accord des augmentations régulières des prix pour chaque qualité de produit dans chaque monnaie nationale» et «ont planifié et mis en oeuvre des augmentations de prix simultanées et uniformes dans l'ensemble de la Communauté», «se sont entendus pour maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles» et «ont pris, de plus en plus fréquemment à partir de début 1990, des mesures concertées de contrôle de l'approvisionnement du marché communautaire, afin d'assurer la mise en oeuvre desdites augmentations de prix concertées».

177.
    Il s'ensuit que, selon la décision, chacune des entreprises mentionnées à l'article 1er de celle-ci a enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité en participant à une seule infraction constituée par des collusions portant sur trois sujets différents mais poursuivant un objectif commun. Ces collusions doivent être considérées comme les éléments constitutifs de l'entente globale.

178.
    Dans ces conditions, il y a lieu d'examiner séparément si la requérante a participé à chacune des collusions en cause.

a) Sur la participation de la requérante à une collusion sur les prix

179.
    Selon la Commission, l'objet principal du JMC était, dès le départ, le suivant:

«—    déterminer si, et, dans l'affirmative, comment, des augmentations de prix pouvaient être mises en oeuvre, et faire part de ses conclusions au PWG,

—    définir les modalités des initiatives en matière de prix décidées par le PWG pays par pays et pour les principaux clients en vue d'établir un système de prix équivalent (c'est-à-dire uniforme) en Europe [...]» (point 44, dernier alinéa, des considérants de la décision).

180.
    Plus particulièrement, la Commission soutient, au point 45, premier et deuxième alinéas, des considérants de la décision:

«Ce comité examinait marché par marché la manière dont les augmentations de prix décidées par le PWG devaient être mises en oeuvre par chaque producteur. Les aspects pratiques de l'application des augmentations envisagées étaient traités au cours de 'tables rondes‘, où chaque participant avait l'occasion de commenter l'augmentation proposée.

Les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre des augmentations de prix décidées par le PWG ou les éventuels refus de coopérer étaient rapportés au PWG, qui s'efforçait alors (comme l'a déclaré Stora) 'd'obtenir le degré de coopération jugé nécessaire‘. Le JMC faisait des rapports distincts pour les qualités GC et GD. Lorsque le PWG modifiait une décision en matière de prix en se fondant sur les rapports transmis par le JMC, les mesures à prendre pour appliquer la décision en cause étaient discutées à la réunion suivante du JMC.»

181.
    Il doit être constaté que la Commission se réfère à bon droit, à l'appui de ces indications relatives à l'objet des réunions du JMC, aux déclarations de Stora (annexes 35 et 39 à la communication des griefs).

182.
    En outre, même si elle ne dispose d'aucun compte rendu officiel d'une réunion du JMC, elle a obtenu auprès de Mayr-Melnhof et de Rena certaines notes internes portant sur les réunions des 6 septembre 1989, 16 octobre 1989 et 6 septembre 1990 (annexes 117, 109 et 118 à la communication des griefs). Ces notes, dont le contenu est décrit aux points 80, 82 et 87 des considérants de la décision, relatent les discussions détaillées menées au cours de ces réunions sur les initiatives concertées en matière de prix. Elles constituent donc des éléments de preuve corroborant clairement la description des fonctions du JMC donnée par Stora.

183.
    A cet égard, il y a lieu de renvoyer, à titre d'exemple, à la note obtenue de Rena sur la réunion du JMC du 6 septembre 1990 (annexe 118 à la communication des griefs) et dans laquelle il est notamment indiqué:

«Une augmentation de prix sera annoncée la semaine prochaine, en septembre.

France        40 FF

Pays-Bas        14

Allemagne        12 DM

Italie            80 LIT

Belgique         2,50 BFR

Suisse              9 FS

Royaume-Uni    40 UKL

Irlande        45 IRL

Toutes les qualités devraient faire l'objet de la même augmentation, GD, UD, GT, GC, etc.

Une seule augmentation de prix par an.

Pour les livraisons à partir du 7 janvier.

Au plus tard le 31 janvier.

Lettre du 14 septembre avec augmentation de prix (Mayr-Melnhof).

19 septembre, envoi par Feldmühle de sa lettre.

Cascades avant fin septembre.

Tous doivent avoir envoyé leur lettre avant le 8 octobre.»

184.
    Comme la Commission l'explique aux points 88 à 90 des considérants de la décision, elle a en outre été en mesure d'obtenir des documents internes permettant de conclure que les entreprises, et notamment celles nommément citées dans l'annexe 118 à la communication des griefs, ont effectivement annoncé et mis en oeuvre les augmentations de prix convenues.

185.
    S'agissant de l'annexe 117 à la communication des griefs, note portant sur la réunion du JMC du 6 septembre 1989, la Commission soutient qu'elle constitue une preuve de la collusion sur l'initiative d'augmentation des prix d'octobre 1989. Elle indique notamment que cette note «contient des données détaillées sur les augmentations de prix qui avaient été annoncées dans chaque monnaie et évalue la réaction de la clientèle ainsi que l'état d'avancement de l'opération sur les différents marchés nationaux» (point 80, cinquième alinéa, des considérants de la décision). La requérante, qui a participé à la réunion du JMC du 6 septembre 1989 (tableau 4 annexé à la décision), ne conteste pas que l'annexe 117 à la communication des griefs se réfère à cette réunion. Elle ne conteste pas davantage la description du contenu de ce document figurant dans la décision.

186.
    Pour ce qui est, ensuite, de l'affirmation de la Commission selon laquelle les entreprises visées par l'article 1er de la décision ont surveillé la mise en oeuvre des augmentations de prix (point 82 des considérants de la décision), elle se réfère à

l'annexe 109 à la communication des griefs, qui concerne la réunion du JMC tenue le 16 octobre 1989. Or, la requérante ne conteste pas la description, figurant dans la décision, du contenu de cette pièce.

187.
    Même si les documents invoqués par la Commission ne concernent qu'un petit nombre des réunions du JMC tenues au cours de la période couverte par la décision, toutes les preuves documentaires disponibles corroborent l'indication de Stora selon laquelle l'objet principal du JMC était de déterminer et de planifier la mise en oeuvre des augmentations de prix concertées, ainsi que de surveiller leur mise en oeuvre effective. A cet égard, l'absence presque totale de comptes rendus, officiels ou internes, des réunions du JMC doit être considérée comme une preuve suffisante de l'allégation de la Commission selon laquelle les entreprises ayant participé aux réunions se sont efforcées de dissimuler la véritable nature des discussions au sein de cet organe (voir, notamment, point 45 des considérants de la décision). Dans ces circonstances, la charge de la preuve a été renversée et ilincombait aux entreprises destinataires de la décision ayant participé aux réunions de cet organe de prouver qu'il avait un objet licite. Une telle preuve n'ayant pas été apportée par ces entreprises, la Commission a considéré à bon droit que les discussions auxquelles les entreprises se sont livrées au cours des réunions de cet organe avaient un objet principalement anticoncurrentiel.

188.
    En ce qui concerne la situation individuelle de la requérante, sa participation à neuf réunions du JMC, et notamment à celle du 6 septembre 1989, doit, à la lumière de ce qui précède, être considérée comme constituant une preuve suffisante de sa participation à la collusion sur les prix.

189.
    Pour autant que la requérante soutient que son comportement effectif sur le marché n'est pas conciliable avec les affirmations de la Commission relatives à sa participation à la collusion sur les prix, un tel argument ne peut être accueilli.

190.
    En premier lieu, l'existence de la collusion sur les prix ne saurait être confondue avec la mise en oeuvre des augmentations de prix convenues. En effet, les preuves fournies par la Commission ont une telle valeur probante que des renseignements relatifs au comportement effectif de la requérante sur le marché ne peuvent pas affecter les conclusions de la Commission relatives à sa participation à la collusion sur les prix. Tout au plus, les allégations de la requérante pourraient tendre à démontrer que son comportement n'a pas suivi celui convenu entre les entreprises réunies au sein du GEP Carton.

191.
    En second lieu, il est de jurisprudence constante que le fait qu'une entreprise ne se plie pas aux résultats des réunions ayant un objet manifestement anticoncurrentiel n'est pas de nature à la priver de sa pleine responsabilité du fait de sa participation à l'entente, dès lors qu'elle ne s'est pas distanciée publiquement du contenu des réunions (voir, par exemple, arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T-141/89, Rec. p. II-791, point 85). A supposer même

que le comportement sur le marché de la requérante n'ait pas été conforme au comportement convenu, cela n'affecte donc en rien sa responsabilité du chef d'une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, dans la mesure où elle ne s'est pas distanciée publiquement du contenu des réunions auxquelles elle prenait part.

192.
    Au vu des considérations qui précèdent, la Commission a prouvé que la requérante a participé à la collusion sur les prix pendant la période allant du mois de février 1989 au mois d'avril 1991.

b) Sur la participation de la requérante à une collusion sur les temps d'arrêt

193.
    Selon la décision, les entreprises présentes aux réunions du PWG ont participé, à partir de la fin de 1987, à une collusion sur les temps d'arrêt des installations, et des temps d'arrêt ont été effectivement appliqués à partir de 1990.

194.
    En effet, il ressort du point 37, troisième alinéa, des considérants de la décision que la véritable tâche du PWG, telle que décrite par Stora, «consistait notamment dans 'la discussion et la concertation concernant les marchés, les parts du marché, les prix ainsi que les hausses de prix et les capacités‘». Par ailleurs, se référant à «l'accord conclu au sein du PWG en 1987» (point 52, premier alinéa, des considérants), la Commission expose qu'il visait notamment au maintien «des niveaux d'approvisionnement constants» (point 58, premier alinéa, des considérants).

195.
         Quant au rôle joué par le PWG dans la collusion sur le contrôle de l'approvisionnement, que caractérisait l'examen des temps d'arrêt des machines, la décision énonce que cet organe du GEP Carton a joué un rôle déterminant dans la mise en oeuvre des temps d'arrêt lorsque, à partir de 1990, la capacité de production s'est accrue et que la demande a décliné: «[...] au début de 1990, les principaux fabricants [...] ont jugé utile de se concerter dans le cadre du PWG sur la nécessité d'appliquer des temps d'arrêt. Les grands producteurs ont reconnu qu'ils ne pouvaient accroître la demande en réduisant les prix et que maintenir la production à pleine capacité ne ferait que faire baisser les prix. En théorie, les temps d'arrêt nécessaires pour rétablir l'équilibre entre l'offre et la demande pouvaient être calculés sur la base des rapports concernant les capacités [...]» (Point 70 des considérants de la décision.)

196.
    La décision relève en outre: «Le PWG n'indiquait cependant pas formellement le temps d'arrêt à respecter par chaque producteur. Selon Stora, l'établissement d'un plan coordonné d'arrêt des machines couvrant tous les producteurs soulevait des difficultés d'ordre pratique. Stora indique que c'est la raison pour laquelle il n'existait qu''un système relâché d'encouragement‘.» (Point 71 des considérants de la décision.)

197.
    Il convient de souligner que Stora explique (annexe 39 à la communication des griefs, point 24): «Avec l'adoption, par le PWG, de la politique du prix avant le

tonnage et la mise en oeuvre progressive d'un système de prix équivalents à partir de 1988, les membres du PWG ont reconnu qu'il était nécessaire de respecter des temps d'arrêt en vue de maintenir ces prix face à une croissance réduite de la demande. Faute pour les fabricants d'appliquer des temps d'arrêt, il leur aurait été impossible de maintenir les niveaux de prix convenus face à une capacité excédentaire croissante.»

198.
    Au point suivant de sa déclaration, elle ajoute: «En 1988 et 1989, l'industrie pouvait fonctionner pratiquement à pleine capacité. Les temps d'arrêt autres que la fermeture normale pour les réparations et les vacances sont devenus nécessaires à partir de 1990. [...] Par la suite, il s'est avéré nécessaire de pratiquer des temps d'arrêt lorsque le flot de commandes s'arrêtait afin de maintenir la politique du prix avant le tonnage. Les temps d'arrêt à respecter par les producteurs (pour assurer le maintien de l'équilibre entre la production et la consommation) pouvaient être calculés sur la base des rapports concernant les capacités. Le PWG n'indiquait pas formellement le temps d'arrêt à respecter, bien qu'il existât un système relâché d'encouragement [...]»

199.
    La Commission fonde également ses conclusions sur l'annexe 73 à la communication des griefs (voir ci-dessus point 158).

200.
    Selon ce document, cité aux points 53 à 55 des considérants de la décision, la coopération plus étroite au sein du «cercle des présidents» («Präsidentenkreis»), décidée en 1987, avait fait des «gagnants» et des «perdants».

201.
    Les raisons fournies par l'auteur pour expliquer qu'il considère Mayr-Melnhof comme «perdant» à l'époque de la rédaction de la note constituent des éléments de preuve importants de l'existence d'une collusion entre les participants aux réunions du PWG sur les temps d'arrêt.

202.
    En effet, l'auteur constate:

«4)    C'est sur ce point que la conception des parties intéressées quant à l'objectif poursuivi commence à diverger.

[...]

    c) Toutes les forces de vente et agents européens ont été libérés de leur budget en termes de volume et une politique de prix rigide, ne souffrant quasiment aucune exception, a été suivie (nos collaborateurs n'ont souvent pas compris notre changement d'attitude à l'égard du marché — auparavant, la seule exigence était celle du tonnage, alors que, désormais, seule compte la discipline en matière de prix avec le risque d'un arrêt des machines).»

203.
    Mayr-Melnhof soutient (annexe 75 à la communication des griefs) que le passage ci-dessus reproduit vise une situation interne à l'entreprise. Cependant, analysé à la lumière du contexte plus général de la note, cet extrait traduit la mise en oeuvre, au niveau des équipes commerciales, d'une politique rigoureuse arrêtée au sein du «cercle des présidents». Le document doit donc être interprété comme signifiant que les participants à l'accord de 1987, c'est-à-dire au moins les participants aux réunions du PWG, ont indéniablement mesuré les conséquences de la politique arrêtée, dans l'hypothèse où celle-ci serait appliquée avec rigueur.

204.
    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que la Commission a établi l'existence d'une collusion sur les temps d'arrêt de la production entre les participants aux réunions du PWG.

205.
    Selon la décision, les entreprises ayant participé aux réunions du JMC, dont la requérante, ont également pris part à cette collusion.

206.
    A ce sujet, la Commission indique notamment:

«En plus du système géré par la Fides, qui donnait des données agrégées, il était d'usage que chaque producteur révèle à ses concurrents le niveau de ses commandes en carnet lors des réunions du JMC.

Les informations concernant les commandes converties en journées de travail étaient utiles à la fois:

—    pour décider si les conditions étaient propices à la mise en oeuvre d'une augmentation des prix concertée.

—    pour déterminer les temps d'arrêt nécessaires pour maintenir l'équilibre entre l'offre et la demande [...]» (Point 69, troisième et quatrième alinéas, des considérants de la décision.)

207.
    Elle relève également:

«Les comptes rendus non officiels de deux réunions du JMC qui ont eu lieu respectivement en janvier 1990 (considérant 84) et en septembre 1990 (considérant 87), ainsi que d'autres documents (considérants 94 et 95), confirment [...] que, dans le cadre du GEP Carton, les grands producteurs tenaient leurs concurrents plus petits constamment informés de leurs projets d'appliquer des temps d'arrêt supplémentaires pour éviter de diminuer les prix.» (Point 71, troisième alinéa, des considérants de la décision.)

208.
    Les preuves documentaires se rapportant aux réunions du JMC (annexes 109, 117 et 118 à la communication des griefs) confirment que des discussions relatives à des temps d'arrêt ont eu lieu dans le contexte de la préparation des augmentations de prix concertées. En particulier, l'annexe 118 à la communication des griefs, note de

Rena datée du 6 septembre 1990 (voir également ci-dessus point 183), mentionne les montants des augmentations de prix dans plusieurs pays, les dates des annonces futures de ces augmentations, ainsi que l'état des commandes en carnet exprimé en jours de travail pour plusieurs fabricants. L'auteur du document note que certains fabricants prévoyaient des temps d'arrêt, ce qu'il exprime par exemple de la manière suivante:

«Kopparfors    5-15 days

            5/9 will stop for five days.»

209.
    En outre, bien que les annexes 117 et 109 à la communication des griefs ne contiennent pas d'indications portant directement sur les temps d'arrêt prévus, elles révèlent que l'état des commandes en carnet et l'état des entrées des commandes ont été discutés au cours des réunions du JMC du 6 septembre et du 16 octobre 1989. Or, il doit être rappelé que la requérante a pris part à la réunion du JMC du 6 septembre 1989 (voir ci-dessus point 185).

210.
    Ces documents, lus ensemble avec les déclarations de Stora, constituent une preuve suffisante de la participation à la collusion sur les temps d'arrêt des fabricants représentés aux réunions du JMC. En effet, les entreprises participant à la collusion sur les prix ont nécessairement été conscientes de ce que l'examen de l'état des commandes en carnet et des entrées des commandes ainsi que les discussions sur les éventuels temps d'arrêt n'avaient pas seulement pour objet de déterminer si lesconditions du marché étaient propices à une augmentation de prix concertée mais également de déterminer si des temps d'arrêt des installations s'imposaient pour éviter que le niveau de prix convenu ne soit compromis par un excédent d'offre. En particulier, il ressort de l'annexe 118 à la communication des griefs que les participants à la réunion du JMC du 6 septembre 1990 se sont mis d'accord sur l'annonce d'une prochaine augmentation des prix, bien que plusieurs fabricants aient déclaré qu'ils s'apprêtaient à arrêter leur production. Par suite, les conditions du marché ont été telles que l'application effective d'une future augmentation des prix allait nécessiter, selon toute vraisemblance, que des temps d'arrêt (supplémentaires) soient appliqués, ce qui constitue donc une conséquence acceptée, au moins implicitement, par les fabricants.

211.
    Sur cette base, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres éléments de preuve invoqués par la Commission dans la décision (annexes 102, 113, 130 et 131 à la communication des griefs), il doit être considéré que la Commission a prouvé que les entreprises participant aux réunions du JMC et à la collusion sur les prix ont pris part à une collusion sur les temps d'arrêt.

212.
    Il convient de rejeter, dans ce contexte, l'argument de la requérante selon lequel sa non-participation à la collusion sur les temps d'arrêt serait démontrée par le fait qu'elle n'aurait jamais procédé à des arrêts de la production.

213.
    En premier lieu, la Commission admet dans la décision que ce sont les principaux producteurs qui ont supporté la charge de la réduction de la production pour maintenir les niveaux des prix (point 71, deuxième alinéa, des considérants).

214.
    En second lieu, à supposer même qu'il soit établi que la requérante a utilisé ses capacités de production au maximum et qu'une telle utilisation n'était pas conforme à ce qu'elle avait convenu avec ses concurrents au sein du JMC, cela ne serait pas de nature à démentir sa participation à la collusion sur les temps d'arrêt (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T-6/89, Rec. p. II-1623, point 165).

215.
    La requérante doit donc être considérée comme ayant participé, pendant la période allant du mois de février 1989 au mois d'avril 1991, à une collusion sur les temps d'arrêt.

c) Sur la participation de la requérante à une collusion sur les parts de marché

216.
    La requérante conteste sa participation à une collusion sur les parts de marché sans toutefois contester l'affirmation, contenue dans la décision, selon laquelle les producteurs ayant participé aux réunions du PWG ont conclu un accord prévoyant «le 'gel‘ au niveau existant des parts de marché détenues par les principaux producteurs en Europe occidentale, ainsi que l'absence de toute tentative d'acquérir de nouveaux clients ou d'améliorer leur position existante par une politique agressive en matière de prix» (point 52, premier alinéa, des considérants).

217.
    Dans ces conditions, il doit être souligné que, en ce qui concerne les entreprises n'ayant pas participé aux réunions du PWG, la Commission expose ce qui suit:

«Si les autres producteurs de carton qui assistaient aux réunions du JMC n'étaient pas dans le secret des discussions approfondies sur les parts de marché qui avaient lieu au PWG, ils étaient néanmoins parfaitement informés, dans le cadre de la politique du 'prix avant le tonnage‘ à laquelle ils souscrivaient tous, de l'accord général conclu entre les principaux producteurs pour maintenir 'des niveaux d'approvisionnement constants‘ et, cela ne fait aucun doute, de la nécessité d'y adapter leur propre conduite.» (Point 58, premier alinéa, des considérants de la décision.)

218.
    Bien que cela ne ressorte pas expressément de la décision, la Commission entérine, sur ce point, les déclarations de Stora selon lesquelles:

«D'autres fabricants qui ne participaient pas au PWG n'étaient pas informés, en règle générale, du détail des discussions relatives aux parts de marché. Néanmoins, dans le cadre de la politique du prix avant le tonnage, à laquelle ils participaient, ils auraient dû avoir connaissance de l'entente des principaux fabricants visant à ne pas baisser les prix en maintenant des niveaux d'offre constants.

Pour ce qui est de l'offre [de carton] GC, en tout état de cause, les parts de fabricants qui ne participaient pas au PWG avaient un niveau tellement peu significatif que leur participation ou non-participation aux ententes sur les parts de marché n'avait pratiquement aucune incidence dans un sens ou dans l'autre.» (Annexe 43 à la communication des griefs, point 1.2.)

219.
    La Commission se fonde donc principalement, comme Stora, sur la supposition selon laquelle, même en l'absence de preuves directes, les entreprises n'ayant pas assisté aux réunions du PWG mais dont il est prouvé qu'elles ont souscrit aux autres éléments constitutifs de l'infraction décrits à l'article 1er de la décision doivent avoir eu conscience de l'existence de la collusion sur les parts de marché.

220.
    Un tel raisonnement ne saurait être retenu. En premier lieu, la Commission n'invoque aucun élément de preuve susceptible de démontrer que les entreprises n'ayant pas assisté aux réunions du PWG ont souscrit à un accord général prévoyant, notamment, le gel des parts de marché des principaux producteurs.

221.
    En second lieu, le seul fait que lesdites entreprises ont participé à la collusion sur les prix et à la collusion sur les temps d'arrêt n'établit pas qu'elles aient également pris part à une collusion sur les parts de marché. A cet égard, la collusion sur les parts de marché n'était pas, contrairement à ce que semble affirmer la Commission, intrinsèquement liée à la collusion sur les prix et/ou à celle sur les temps d'arrêt. Il suffit de constater que la collusion sur les parts de marché des principaux producteurs réunis au sein du PWG visait, selon la décision (points 52 et suivants des considérants de la décision), à maintenir des parts de marché à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles, même au cours des périodes pendant lesquelles les conditions du marché, et notamment l'équilibre entre l'offre et la demande, étaient telles qu'aucune régulation de la production n'était nécessaire pour garantir la mise en oeuvre effective des augmentations de prix convenues. Il s'ensuit que l'éventuelle participation à la collusion sur les prix et/ou à celle sur les temps d'arrêt ne démontre pas que les entreprises n'ayant pas assisté aux réunions du PWG ont participé directement à la collusion sur les parts de marché, ni qu'elles en avaient ou devaient nécessairement en avoir connaissance.

222.
    En troisième lieu, il convient de constater que, au point 58, deuxième et troisième alinéas, des considérants de la décision, la Commission invoque, en tant qu'élément de preuve supplémentaire de l'affirmation en cause, l'annexe 102 à la communication des griefs, note obtenue de Rena concernant, selon la décision, une réunion spéciale du Nordic Paperboard Institute tenue le 3 octobre 1988. A cet égard, il suffit de constater, d'une part, que la requérante n'était pas membre du Nordic Paperboard Institute et, d'autre part, que la référence, dans ce document, à l'éventuelle nécessité d'appliquer des temps d'arrêt, ne saurait, pour les raisons déjà évoquées, constituer la preuve d'une collusion sur les parts de marché.

223.
    Or, pour que la Commission puisse tenir chacune des entreprises visées par une décision comme celle de l'espèce pour responsable, pendant une période déterminée, d'une entente globale, il lui faut établir que chacune d'elles soit a consenti à l'adoption d'un plan global recouvrant les éléments constitutifs de l'entente, soit a participé directement, pendant cette période, à tous ces éléments. Une entreprise peut également être tenue pour responsable d'une entente globale même s'il est établi qu'elle n'a participé directement qu'à un ou plusieurs des éléments constitutifs de cette entente dès lors qu'elle savait, ou devait nécessairement savoir, d'une part, que la collusion à laquelle elle participait s'inscrivait dans un plan global et, d'autre part, que ce plan global recouvrait l'ensemble des éléments constitutifs de l'entente. Lorsqu'il en est ainsi, le fait que l'entreprise concernée n'ait pas participé directement à tous les éléments constitutifs de l'entente globale ne saurait la disculper pour la responsabilité de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Une telle circonstance peut néanmoins être prise en considération lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction constatée dans son chef.

224.
    En l'espèce, force est de constater que la Commission n'a pas prouvé que la requérante savait, ou devait nécessairement savoir, que son propre comportement infractionnel s'inscrivait dans un plan global recouvrant, en sus de la collusion sur les prix et de la collusion sur les temps d'arrêt auxquelles elle a effectivement participé, une collusion sur les parts de marché des principaux fabricants.

225.
    Au vu de ce qui précède, la Commission n'a pas prouvé que la requérante a participé à une collusion sur les parts de marché au cours de la période allant du mois de mars 1989 au mois d'avril 1991.

d) La participation de la requérante à un plan sectoriel commun de restriction de la concurrence

226.
    L'argumentation de la requérante doit être interprétée en ce sens que la Commission aurait violé l'article 85, paragraphe 1, du traité en ce qu'elle a considéré qu'il lui suffisait de démontrer l'existence et le fonctionnement ainsi que les principales caractéristiques de l'entente dans son ensemble et d'établir, ensuite, l'existence de preuves crédibles et concluantes permettant de rattacher les différents producteurs au système commun et, pour chacun d'eux, la période de participation à ce système (point 116 des considérants de la décision).

227.
    Il a déjà été constaté que la Commission a établi la participation de la requérante, pendant la période en question, à la collusion sur les prix et à la collusion sur les temps d'arrêt, mais non à une collusion sur les parts de marché.

228.
    Dans ces conditions, le plan sectoriel commun de restriction de la concurrence, auquel la requérante a pris part selon l'article 1er de la décision, n'a couvert à son égard que la collusion sur les prix et la collusion sur les temps d'arrêt.

e) Conclusions sur la période allant du mois de février 1989 au mois d'avril 1991

229.
    A la lumière de l'ensemble de ce qui précède, il convient d'annuler, à l'égard de la requérante, l'article 1er, huitième tiret, de la décision selon lequel l'accord et la pratique concertée auxquels elle a participé ont eu pour objet de «maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles».

230.
    Pour le surplus, la Commission a établi la participation de la requérante à l'infraction constatée à l'article 1er de la décision pendant la période allant du mois de février 1989 au mois d'avril 1991.

Sur la quatrième branche du moyen, tirée de l'absence de définition du marché géographique concerné

231.
    Aux termes de l'article 85, paragraphe 1, du traité, sont interdits «tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun».

232.
    En l'espèce, la Commission a considéré que la requérante a participé à un accordet une pratique concertée ayant pour objet de restreindre la concurrence à l'intérieur du marché commun et affectant le commerce entre États membres (points 133 à 138 des considérants de la décision). Ainsi que cela a déjà été constaté (voir ci-dessus points 112), il ressort des motifs de la décision que la Commission a estimé que les collusions entre les entreprises ont couvert tout le territoire de la Communauté. Dans la mesure où la Commission a donc constaté une infraction ayant pour objet une restriction de la concurrence sur tout le territoire de la Communauté, la constatation de cette restriction de la concurrence ne requérait aucune définition préalable du marché géographique (voir, dans le même sens, arrêt de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, Rec. p. 429, 496, et arrêt du Tribunal du 21 février 1995, SPO e.a./Commission, T-29/92, Rec. p. II-289, point 74).

233.
    La requérante ne peut soutenir que, au vu du point 138 des considérants, les agissements anticoncurrentiels n'ont pas porté sur les marchés portugais et grec. Dans ledit point des motifs, la Commission relève le caractère universel des arrangements collusoires qui recouvraient pratiquement l'ensemble des ventes d'un produit industriel de première importance dans toute la Communauté. A cet égard, la note de bas de page selon laquelle «[l]es seuls États membres de la Communauté pour lesquels il n'existe pas de preuves fiables de l'existence d'accords de fixation de prix sont le Portugal et la Grèce, qui ne possèdent pas de producteur de carton», doit, à la lumière de l'ensemble des motifs de la décision et du dispositif de celle-ci, être comprise en ce sens que, selon la Commission,

l'ensemble du marché communautaire était visé par l'infraction constatée, bien qu'il n'existât pas de preuves directes en ce qui concernait les marchés portugais et grec.

234.
    Il s'ensuit que la Commission n'a pas soutenu que les agissements anticoncurrentiels allégués dans la décision ne couvraient pas les marchés grec et portugais. Dès lors que la contradiction interne à la décision dénoncée par la requérante (voir ci-dessus point 130) n'existe pas, l'argument doit être écarté.

235.
    Il convient donc de rejeter la quatrième branche du moyen.

236.
    Il ressort de ce qui précède qu'il convient d'annuler l'article 1er de la décision à l'égard de la requérante, dans la mesure où cette disposition énonce que la requérante a participé à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité avant le mois de février 1989. En outre, il convient d'annuler, à l'égard de la requérante, l'article 1er, huitième tiret, de la décision selon lequel l'accord et la pratique concertée auxquels elle a participé ont eu pour objet de «maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles».

237.
    Pour le surplus, le moyen doit être rejeté.

Sur la demande d'annulation de l'amende ou de réduction de son montant

A — Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 190 du traité concernant les amendes

Arguments des parties

238.
    La requérante invoque une violation de l'obligation de motivation en ce qui concerne le mode de calcul du montant de l'amende, notamment en ce que la Commission n'aurait indiqué ni l'exercice de référence retenu pour appliquer le pourcentage du chiffre d'affaires, ni le pourcentage du chiffre d'affaires retenu comme taux de base avant la prise en compte des circonstances atténuantes et aggravantes, ni même le chiffre d'affaires retenu. De même, la simple énumération des circonstances dont la Commission aurait prétendument tenu compte pour déterminer le montant des amendes ne constituerait pas une motivation suffisante.

239.
    Le droit à un contrôle juridictionnel effectif nécessiterait que les entreprises puissent vérifier qu'aucune discrimination n'a été commise entre des entreprises accusées conjointement de participer à une infraction collective, unique et continue. En jugeant inadmissible que les administrés doivent introduire un recours pour connaître en détail le mode de calcul du montant de l'amende (arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission, T-148/89, Rec. p. II-1063, point 142), le Tribunal aurait érigé en principe général la mise à la disposition des intéressés des informations adéquates leur permettant de comprendre le mode de calcul utilisé. De telles informations devraient donc a fortiori être fournies durant la procédure juridictionnelle.

240.
    La requérante insiste sur la distinction entre le pouvoir discrétionnaire de la Commission quant à la détermination du montant des amendes à infliger et l'obligation de motiver ses décisions. Le pouvoir discrétionnaire de la Commission ne pourrait pas prévaloir sur le droit à une protection juridictionnelle effective. Dès lors, la Commission devrait fournir des explications détaillées sur la manière dont elle obtient le pourcentage final du chiffre d'affaires retenu pour fixer chaque amende, ce qui ne porterait pas atteinte au caractère secret des délibérations de la Commission et ne comporterait pas non plus une divulgation de secrets d'affaires des entreprises. En effet, les chiffres d'affaires réalisés par les entreprises destinataires de la décision ne seraient ni secrets ni confidentiels.

241.
    La Commission conteste l'interprétation donnée par la requérante de l'arrêt Tréfilunion/Commission, précité. Dans cet arrêt, le Tribunal aurait jugé que le grief tiré d'une insuffisance de motivation ne pouvait être retenu, dans la mesure où les éléments de motivation contenus dans la décision en cause devaient être considérés comme suffisants. Or, dans la présente espèce également, la Commission aurait suffisamment motivé l'amende infligée à la requérante, conformément à la jurisprudence de la Cour en la matière (points 167 à 172 des considérants de la décision).

242.
    S'agissant de l'affirmation de la requérante selon laquelle l'indication du pourcentage du chiffre d'affaires utilisé pour fixer le montant de l'amende ne constitue pas un moyen d'accéder aux informations confidentielles des entreprises ayant participé à l'entente, la Commission signale que de telles informations sont normalement publiées sous forme agrégée, ce qui ne permettrait pas aux concurrents de connaître avec exactitude le chiffre d'affaires de l'entreprise concernée dans un secteur déterminé de son activité économique et encore moins sur un marché de produits déterminé.

Appréciation du Tribunal

243.
    Le but de l'obligation de motiver une décision individuelle a déjà été rappelé (voir ci-dessus point 109).

244.
    Pour ce qui est d'une décision infligeant, comme en l'espèce, des amendes à plusieurs entreprises pour une infraction aux règles communautaires de la concurrence, la portée de l'obligation de motivation doit être notamment déterminée à la lumière du fait que la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C-137/95 P, Rec. p. I-1611, point 54).

245.
    De plus, lors de la fixation du montant de chaque amende, la Commission dispose d'un pouvoir d'appréciation, et elle ne saurait être considérée comme tenue d'appliquer, à cet effet, une formule mathématique précise (voir, dans le même sens, arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150/89, Rec. p. II-1165, point 59).

246.
    Dans la décision, les critères pris en compte pour déterminer le niveau général des amendes et le montant des amendes individuelles figurent, respectivement, aux points 168 et 169 des considérants. En outre, pour ce qui est des amendes individuelles, la Commission explique au point 170 des considérants que les entreprises ayant participé aux réunions du PWG ont, en principe, été considérées comme des «chefs de file» de l'entente, alors que les autres entreprises ont été considérées comme des «membres ordinaires» de celle-ci. Enfin, aux points 171 et 172 des considérants, elle indique que les montants des amendes infligées à Rena et à Stora doivent être considérablement réduits pour tenir compte de leur coopération active avec la Commission et que huit autres entreprises, dont la requérante, peuvent également bénéficier d'une réduction dans une proportion moindre, du fait qu'elles n'ont pas, dans leurs réponses à la communication des griefs, nié les principales allégations de fait sur lesquelles la Commission fondait ses griefs.

247.
    Dans ses écritures devant le Tribunal ainsi que dans sa réponse à une question écrite de celui-ci, la Commission a expliqué que les amendes ont été calculées sur la base du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises destinataires de la décision sur le marché communautaire du carton en 1990. Des amendes d'un niveau de base de 9 ou de 7,5 % de ce chiffre d'affaires individuel ont ainsi été infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme les «chefs de file» de l'entente et aux autres entreprises. Enfin, la Commission a tenu compte de l'éventuelle attitude coopérative de certaines entreprises au cours de la procédure devant elle. Deux entreprises ont bénéficié à ce titre d'une réduction des deux tiers du montant de leurs amendes, tandis que d'autres entreprises ont bénéficié d'une réduction d'un tiers.

248.
    Il ressort, par ailleurs, d'un tableau fourni par la Commission et contenant des indications quant à la fixation du montant de chacune des amendes individuelles que, si celles-ci n'ont pas été déterminées en appliquant de manière strictement mathématique les seules données chiffrées susmentionnées, lesdites données ont cependant été systématiquement prises en compte aux fins du calcul des amendes.

249.
    Or, la décision ne précise pas que les amendes ont été calculées sur la base du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises sur le marché communautaire du carton en 1990. De plus, les taux de base appliqués de 9 et de 7,5 % pour calculer les amendes infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme des «chefs de file» et à celles considérées comme des «membres ordinaires» ne figurent pas dans la décision. N'y figurent pas davantage les taux des réductions accordées à Rena et à Stora, d'une part, et à huit autres entreprises, d'autre part.

250.
    En l'espèce, il y a lieu de considérer, en premier lieu, que, interprétés à la lumière de l'exposé détaillé, dans la décision, des allégations factuelles formulées à l'égard de chaque destinataire de la décision, les points 169 à 172 des considérants de celle-ci contiennent une indication suffisante et pertinente des éléments d'appréciation pris en considération pour déterminer la gravité et la durée de l'infraction commise par chacune des entreprises en cause (voir, dans le même sens, arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Petrofina/Commission, T-2/89, Rec. p. II-1087, point 264). De même, le point 168 des considérants, qui doit être lu à la lumière des considérations générales sur les amendes figurant au point 167, contient une indication suffisante des éléments d'appréciation pris en considération pour déterminer le niveau général des amendes.

251.
    En second lieu, lorsque le montant de chaque amende est, comme en l'espèce, déterminé sur la base de la prise en compte systématique de certaines données précises, l'indication, dans la décision, de chacun de ces facteurs permettrait aux entreprises de mieux apprécier, d'une part, si la Commission a commis des erreurs lors de la fixation du montant de l'amende individuelle et, d'autre part, si lemontant de chaque amende individuelle est justifié par rapport aux critères généraux appliqués. En l'espèce, l'indication dans la décision des facteurs en cause, soit le chiffre d'affaires de référence, l'année de référence, les taux de base retenus et les taux de réduction du montant des amendes, n'aurait comporté aucune divulgation implicite du chiffre d'affaires précis des entreprises destinataires de la décision, divulgation qui aurait pu constituer une violation de l'article 214 du traité. En effet, le montant final de chaque amende individuelle ne résulte pas, comme la Commission l'a elle-même souligné, d'une application strictement mathématique desdits facteurs.

252.
    La Commission a d'ailleurs reconnu, lors de l'audience, que rien ne l'aurait empêchée d'indiquer, dans la décision, les facteurs qui avaient été pris systématiquement en compte et qui avaient été divulgués pendant une conférence de presse tenue le jour même de l'adoption de cette décision. A cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation d'une décision doit figurer dans le corps même de celle-ci et que des explications postérieures fournies par la Commission ne sauraient, sauf circonstances particulières, être prises en compte (voir arrêt du Tribunal du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, T-61/89, Rec. p. II-1931, point 131, et, dans le même sens, arrêt du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T-30/89, Rec. p. II-1439, point 136).

253.
    Malgré ces constatations, il doit être relevé que la motivation relative à la fixation du montant des amendes contenue aux points 167 à 172 des considérants de la décision est, au moins, aussi détaillée que celles contenues dans les décisions antérieures de la Commission portant sur des infractions similaires. Or, bien que le moyen tiré d'un vice de motivation soit d'ordre public, aucune critique n'avait, au moment de l'adoption de la décision, été soulevée par le juge communautaire

quant à la pratique suivie par la Commission en matière de motivation des amendes infligées. Ce n'est que dans l'arrêt du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission, précité (point 142), et dans deux autres arrêts rendus le même jour, Société métallurgique de Normandie/Commission (T-147/89, Rec. p. II-1057, publication sommaire), et Société des treillis et panneaux soudés/Commission (T-151/89, Rec. p. II-1191, publication sommaire), que le Tribunal a, pour la première fois, souligné qu'il est souhaitable que les entreprises puissent connaître en détail le mode de calcul de l'amende qui leur est infligée, sans être obligées, pour ce faire, d'introduire un recours juridictionnel contre la décision de la Commission.

254.
    Il s'ensuit que lorsqu'elle constate, dans une décision, une infraction aux règles de la concurrence et inflige des amendes aux entreprises ayant participé à celle-ci la Commission doit, si elle a systématiquement pris en compte certains éléments de base pour fixer le montant des amendes, indiquer ces éléments dans le corps de la décision afin de permettre aux destinataires de celle-ci de vérifier le bien-fondé du niveau de l'amende et d'apprécier l'existence d'une éventuelle discrimination.

255.
    Dans les circonstances particulières relevées au point 253 ci-dessus, et compte tenu du fait que la Commission s'est montrée disposée à fournir, lors de la procédure contentieuse, tout renseignement pertinent relatif au mode de calcul des amendes, l'absence de motivation spécifique dans la décision sur le mode de calcul des amendes ne doit pas, en l'espèce, être considérée comme constitutive d'une violation de l'obligation de motivation justifiant l'annulation totale ou partielle des amendes infligées.

256.
    Par conséquent, le présent moyen ne saurait être retenu.

B — Sur le moyen tiré d'une appréciation incorrecte des critères de détermination de l'amende retenus dans la décision

Arguments des parties

257.
    La requérante conteste, en premier lieu, l'affirmation de la Commission selon laquelle les entreprises destinataires de la décision auraient commis une infraction en toute connaissance de cause et auraient tenté de dissimuler l'existence de l'entente (point 167 des considérants de la décision). Les documents du dossier ne contiendraient pas la moindre preuve ni le moindre indice d'une implication de la requérante à cet égard.

258.
    En second lieu, la Commission aurait dû tenir compte du fait que l'activité de la requérante était concentrée sur les marchés portugais, grec, irlandais et espagnol, c'est-à-dire sur les marchés nationaux non couverts par la décision.

259.
    En troisième lieu, elle n'aurait pas correctement appliqué à l'égard de la requérante le critère relatif au rôle joué par chaque entreprise dans les accords

collusoires (point 169, premier alinéa, premier tiret, des considérants de la décision). En effet, non seulement elle n'aurait pas prétendu connaître le degré exact de participation et d'intervention de chaque entreprise dans l'entente, mais elle se serait limitée à la distinction, trop globale, entre les «chefs de file» et les autres entreprises. Cette distinction aurait constitué le critère d'application des deux taux d'amende de 9 et de 7,5 %. Le premier aurait été retenu à l'encontre des «chefs de file», qui, selon les indications fournies à la presse par le membre de la Commission en charge des questions de concurrence, auraient été ceux qui décidaient et imposaient les accords. Le second aurait été appliqué aux autres entreprises, dont la requérante. Cependant, ces deux taux ne refléteraient pas convenablement le rôle joué par chaque entreprise dans les accords collusoires. La différence entre les deux pourcentages serait proportionnellement bien moindre que celle retenue dans des affaires similaires antérieures. Sur ce point, la requérante récapitule dans un tableau les différences d'amendes, exprimées en pourcentages, imposées aux entreprises relevant respectivement de la catégorie des «chefs de file» et de celle des autres entreprises, dans la présente affaire et dans des affaires similaires antérieures.

260.
    La Commission soutient que la requérante ne peut pas sérieusement prétendre avoir ignoré le caractère illicite de ses actes dans un cas de violation des règles de concurrence aussi flagrant que celui de l'espèce. En outre, la suppression des traces documentaires des activités du PWG et du JMC afin de cacher le comportement illicite serait prouvée.

261.
    Concernant l'étendue géographique de l'infraction, la Commission se réfère aux arguments déjà invoqués (voir ci-dessus points 76 et suivants, et point 141).

262.
    Enfin, elle estime avoir suffisamment tenu compte du rôle joué par les différentes entreprises dans l'entente en distinguant les catégories de participants (point 170 des considérants de la décision).

Appréciation du Tribunal

263.
    Aux termes du point 167, troisième alinéa, des considérants de la décision, «l'un des aspects les plus graves de [l'infraction] est que, pour tenter de dissimuler l'existence de l'entente, les entreprises ont été jusqu'à orchestrer à l'avance la date et la séquence des différentes annonces de nouvelles augmentations de prix par chacun des principaux fabricants». La décision relève en outre que «les fabricants auraient pu, grâce à cette duperie élaborée, attribuer les séries d'augmentations des prix uniformes, régulières et touchant l'ensemble du secteur au phénomène du 'comportement en situation oligopolistique‘» (point 73, troisième alinéa, des considérants). Enfin, selon le point 168, sixième tiret, des considérants, la Commission a déterminé le niveau général des amendes en tenant compte du fait que «des mesures complexes ont été prises pour cacher la véritable nature et la portée de la collusion (absence de compte rendu officiel ou de documentation

concernant les réunions du PWG et du JMC; les participants étaient dissuadés de prendre des notes; la date et l'ordre des lettres annonçant les augmentations de prix étaient orchestrés de façon à pouvoir proclamer que ces augmentations 'faisaient suite à d'autres‘, etc.)».

264.
    Il y a lieu de constater que la Commission a inféré à bon droit des éléments de preuve recueillis que les entreprises ont programmé les dates et l'ordre des lettres annonçant les augmentations de prix, afin de tenter de dissimuler l'existence de la concertation sur les prix. Cette programmation ressort en particulier de déclarations de Stora (annexe 39 à la communication des griefs, point 30): «Il n'existait pas de procédure standard s'agissant de la question de savoir qui annoncerait en premier une augmentation de prix et qui suivrait. Le PWG discutait et se mettait d'accord sur l'identité du fabricant qui annoncerait, en premier, chaque augmentation de prix et sur les dates auxquelles les autres fabricants principaux annonceraient leurs augmentations. Le schéma n'était pas le même à chaque fois.» Son existence est également corroborée par la note de Rena relative à la réunion du JMC du 6 septembre 1990 (annexe 118 à la communication des griefs). Ce document contient des indications précises sur les dates d'annonce des augmentations de prix de janvier 1991 pour certaines entreprises membres du PWG (Mayr-Melnhof, Feldmühle et Cascades), dates qui correspondent exactement à celles auxquelles ces entreprises ont réellement envoyé leurs lettres d'annonce (voir points 87 et 88 des considérants de la décision).

265.
    Quant à l'absence de comptes rendus officiels et à l'absence presque absolue de notes internes portant sur les réunions du PWG et du JMC, elles constituent, eu égard à leur nombre, à leur durée dans le temps et à la nature des discussions en cause, une preuve suffisante de l'allégation de la Commission selon laquelle les participants étaient dissuadés de prendre des notes.

266.
    Il ressort de ce qui précède que les entreprises ayant participé aux réunions de ces organes ont non seulement été conscientes de l'illégalité de leur comportement mais ont aussi adopté des mesures de dissimulation de la collusion. Partant, c'est à bon droit que la Commission a retenu ces mesures comme circonstances aggravantes lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction.

267.
    S'agissant ensuite de l'argument de la requérante tiré de ce que la Commission aurait dû tenir compte du fait que l'activité de la requérante a été concentrée sur les marchés portugais, grec, irlandais et espagnol, il suffit de constater qu'il ressort de la décision que ces marchés nationaux étaient couverts par les collusions convenues entre les entreprises (voir ci-dessus point 112). Dans ces conditions, la Commission n'a pas commis d'erreur d'appréciation en tenant compte, aux fins de la détermination du montant de l'amende, du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises sur le marché communautaire du carton en 1990.

268.
    Enfin, pour ce qui est de l'argument de la requérante selon lequel la Commission n'aurait pas correctement apprécié le rôle qu'elle a joué dans les accords

collusoires, il convient de rappeler que la Commission a établi que, du fait de sa participation aux réunions du JMC, la requérante a participé à la collusion sur les prix et à la collusion sur les temps d'arrêt pendant la période allant du mois de février 1989 au mois d'avril 1991.

269.
    En revanche, il a été admis que la requérante ne pouvait être tenue pour responsable d'une collusion sur les parts de marché.

270.
    En dépit de cette dernière constatation, le Tribunal estime, dans l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, que l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité constatée dans le chef de la requérante reste d'une gravité telle qu'il n'y a pas lieu de réduire le montant de l'amende.

271.
    A cet égard, il convient de relever que la requérante n'a pas participé aux réunions du PWG et n'a donc pas été sanctionnée en tant que «chef de file» de l'entente. N'ayant pas joué, selon les termes mêmes de la Commission, un rôle de «moteur»de l'entente (point 170, premier alinéa, des considérants de la décision), le niveau de l'amende retenu contre elle s'est élevé à 7,5 % de son chiffre d'affaires communautaire réalisé dans le secteur du carton en 1990. Or, ce niveau général des amendes est justifié (voir ci-après points 349 et suivants).

272.
    En outre, même si la Commission a considéré à tort que les producteurs non représentés au sein du PWG étaient «parfaitement informés» de la collusion sur les parts de marché (point 58, premier alinéa, des considérants), il n'en reste pas moins qu'il ressort de la décision elle-même que ce sont les entreprises réunies au sein du PWG qui se sont concertées au sujet du «gel» des parts de marché (notamment, point 52 des considérants), et qu'aucune discussion n'a porté sur les parts de marché détenues par les producteurs qui n'y étaient pas représentés. D'ailleurs, ainsi que la Commission l'a déclaré au point 116, deuxième alinéa, des considérants de la décision, «par leur nature même, les accords de répartition des marchés (en particulier le gel des parts de marché décrit aux considérants 56 et 57) concernent principalement les gros producteurs». La collusion sur les parts de marché erronément imputée à la requérante n'a donc revêtu, selon la Commission elle-même, qu'un caractère accessoire par rapport, notamment, à la collusion sur les prix.

273.
    Dans la mesure où la requérante soutient que l'amende qui a été infligée est excessive par rapport aux amendes infligées aux «chefs de file», il convient de souligner que la Commission a considéré à juste titre que les entreprises ayant participé aux réunions du PWG devaient porter une responsabilité particulière pour l'infraction (point 170 des considérants de la décision). Elle a ensuite fait une juste appréciation de la gravité de l'infraction commise respectivement par les «chefs de file» de l'entente et par les «membres ordinaires» de celle-ci en retenant, aux fins du calcul des amendes infligées à ces deux catégories d'entreprises, des taux de base de 9 et de 7,5 % du chiffre d'affaires pertinent.

274.
    Il doit être souligné, dans ce contexte, que la requérante n'a pas invoqué des éléments précis susceptibles d'étayer son affirmation selon laquelle les taux de base retenus aux fins du calcul des amendes ne refléteraient pas correctement la responsabilité particulière devant être supportée par les entreprises ayant participé aux réunions du PWG.

275.
    Au vu de ce qui précède, le moyen ne peut pas être accueilli.

C — Sur le moyen tiré de ce que la requérante n'aurait pas commis l'infraction de propos délibéré ou par négligence

276.
    La requérante soutient que l'amende doit être déclarée injustifiée du fait qu'elle n'a commis les infractions ni délibérément ni par l'effet d'une négligence inexcusable. Il faudrait déduire du libellé de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 qu'il existe une troisième catégorie de comportements qui seraient exemptés de l'imposition d'amendes, à savoir les actions menées par les entreprises en toute ignorance ou involontairement.

277.
    Ce moyen ne peut pas être retenu. En effet, il ressort d'une jurisprudence constante que, pour qu'une infraction puisse être considérée comme ayant été commise de propos délibéré, il n'est pas nécessaire que l'entreprise ait eu conscience d'enfreindre l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, du traité. Il suffit qu'elle n'ait pu ignorer que la conduite incriminée avait pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence dans le marché commun (voir, notamment, arrêt de la Cour du 11 juillet 1989, Belasco e.a./Commission, 246/86, Rec. p. 2117, point 41, et arrêt Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, précité, point 157).

278.
    En l'espèce, la Commission a établi que, du fait de sa participation aux réunions du JMC, la requérante a participé à une collusion sur les prix et à une collusion sur les temps d'arrêt pendant la période allant du mois de février 1989 au mois d'avril 1991. Eu égard à la nature des agissements constatés, la requérante n'a pas pu ignorer qu'ils avaient pour objectif de restreindre la concurrence.

D — Sur le moyen tiré d'un calcul incorrect de l'amende

Arguments des parties

279.
    Ce moyen s'articule en deux branches.

280.
    Dans une première branche, la requérante fait valoir que la Commission n'aurait pas dû prendre en considération, aux fins de la détermination du montant de l'amende, le chiffre d'affaires réalisé par la requérante sur les marchés non couverts par l'infraction selon la communication des griefs, c'est-à-dire les marchés espagnol, irlandais, grec et portugais. De même, la requérante ignorerait si la Commission a utilisé les volumes d'échanges correspondant au volume net des ventes.

281.
    Dans la seconde branche, la requérante se prévaut de plusieurs circonstances de nature à atténuer la gravité de l'infraction qui n'auraient pas convenablement été prises en compte par la Commission.

282.
    En premier lieu, la Commission aurait dû prendre en considération l'attitude de la requérante au sein de l'entente (arrêt de la Cour du 15 juillet 1970, Buchler/Commission, 44/69, Rec. p. 733, point 56), attitude caractérisée par une absence de politique protectrice du marché national et une augmentation de sa pénétration sur d'autres marchés.

283.
    En second lieu, la participation limitée ou passive de la requérante dans le GEP Carton n'aurait pas mérité d'être sanctionnée par une amende ou, à tout le moins, par une amende infime [voir décision 73/109/CEE de la Commission, du 2 janvier 1973, relative à une procédure d'application des articles 85 et 86 du traité CEE (IV/26.918 — Industrie européenne du sucre) (JO L 140, p. 17), et décision 84/405/CEE de la Commission, du 6 août 1984, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/30.350 — Zinc Producer Group) (JO L 220, p. 27)].

284.
    Son rôle d'«outsider» ressortirait des tableaux annexés à la décision, qui feraient apparaître que seulement quatre des sept prétendues initiatives en matière de prix lui sont reprochées. En effet, la Commission ne reprocherait à la requérante d'avoir participé aux initiatives en matière de prix que sur un ou deux des six marchés impliqués. En outre, la requérante ne serait pas accusée pour les différentes qualités de carton.

285.
    En troisième lieu, elle n'aurait pas mis en oeuvre les décisions prétendument prises. En particulier, le fait qu'elle ait accru considérablement ses exportations [décision 69/240/CEE de la Commission, du 16 juillet 1969, relative à une procédure au titre de l'article 85 du traité (IV/26.623 — Entente internationale de la quinine) (JO L 192, p. 5)] et le fait qu'elle n'ait pas participé à l'augmentation des prix sur l'un des marchés ayant fait l'objet des concertations [décision 69/243/CEE de la Commission, du 24 juillet 1969, relative à une procédure au titre de l'article 85 du traité CEE (IV/26.267 — Matières colorantes) (JO L 195, p. 11]) auraient dû être pris en considération par la Commission.

286.
    Par ailleurs, celle-ci n'aurait pas apporté de preuves suffisantes de la conduite effective de la requérante.

287.
    En quatrième lieu, l'absence d'intention de commettre une infraction devrait, au moins, entraîner une réduction de l'amende. En particulier en ce qui concerne le système d'échanges d'informations, la requérante aurait une connaissance récente des règles communautaires de concurrence du fait de l'adhésion du royaume d'Espagne à la Communauté en 1986. Cette connaissance ne serait pas comparable à celle, plus ancienne, d'autres entreprises.

288.
    En cinquième lieu, le fait que des pratiques soient déclarées pour la première fois contraires au droit de la concurrence justifierait une réduction du montant de l'amende. Il en irait ainsi, en l'espèce, de la qualification, nouvelle, d'infraction aux règles de concurrence donnée aux échanges d'informations.

289.
    En sixième lieu, la Commission et la Cour auraient toujours considéré comme une circonstance atténuante la situation de crise ou de récession continuelle du secteur concerné.

290.
    De plus, la requérante estime que sa propre situation de déficit, durant les années couvertes par la prétendue entente, aurait également dû être prise en compte.

291.
    En septième lieu, la taille réduite de la requérante par rapport à l'ensemble des producteurs européens devrait être prise en considération au moment d'évaluer le montant de l'amende en termes économiques. A cet égard, le simple renvoi au point 169 des considérants de la décision ne serait pas suffisant pour savoir si cet élément a été effectivement pris en considération pour la détermination de l'amende.

292.
    En huitième lieu, la requérante considère que l'inexistence de mesures de contrôle de la mise en oeuvre de la prétendue entente (points 82 et 136 des considérants de la décision) constitue aussi un motif de réduction de l'amende.

293.
    Enfin, elle estime sans fondement la demande de la Commission visant à ce que le Tribunal augmente d'un tiers le montant de l'amende qui lui a été infligée. Elle considère en effet ne pas avoir changé de position par rapport à celle adoptée pendant la procédure devant la Commission.

294.
La Commission fait valoir que l'utilisation du chiffre d'affaires réalisé dans la Communauté par les entreprises qui ont participé à l'infraction relève de la marge d'appréciation que lui confère l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

295.
    Quant aux circonstances atténuantes invoquées, elle soutient que ni la décision de la requérante d'augmenter la capacité de production dans la perspective d'un accroissement de la demande ni sa prétendue politique d'exportation agressive ne peuvent être considérées comme incompatibles avec les desseins de l'entente ni avec sa participation active à celle-ci.

296.
    Elle estime qu'elle a correctement apprécié le rôle de la requérante dans l'entente en ne la classant pas dans la catégorie des «chefs de file». En outre, elle aurait correctement apprécié les actes de la requérante au regard de l'article 85, paragraphe 1.

297.
    En ce qui concerne la circonstance atténuante qui découlerait de l'échange d'informations en tant qu'infraction inédite, la Commission affirme que l'utilisation d'un système d'échange d'informations en tant que mécanisme de soutien d'une

entente ne peut pas être considérée comme une infraction nouvelle au droit de la concurrence.

298.
    Elle conteste que la situation du secteur justifie une réduction du montant de l'amende. En outre, elle ne serait pas tenue de prendre en considération la situation financière des entreprises pour la fixation de l'amende (arrêt de la Cour du 8 novembre 1983, IAZ e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec. p. 3369, point 55).

299.
    Quant à la taille réduite de la requérante, il s'agirait d'un élément dûment pris en considération, car il aurait été tenu compte de l'importance respective de chaque entreprise dans le secteur pour déterminer le montant de l'amende (point 169 des considérants de la décision).

300.
    Enfin, quant à la prétendue inexistence de mesures de contrôle de la mise en oeuvre de l'entente, il ressortirait des points 82 et 136 des considérants de la décision que les membres de l'entente procédaient, au sein du JMC, notamment au suivi des initiatives en matière de prix, des ventes et des carnets de commandes, ce qui leur aurait permis de contrôler et de discipliner les entreprises qui ne suivaient pas le comportement convenu.

301.
    La Commission conclut en estimant ce moyen dépourvu de tout fondement. Elle demande aussi au Tribunal, dans l'exercice de sa compétence de pleine juridiction en matière d'amendes, d'augmenter l'amende infligée à la requérante d'au moins un tiers, proportion correspondant à la réduction de l'amende dont elle a bénéficié au motif qu'elle n'avait pas, dans sa réponse à la communication des griefs, contesté les principales allégations de fait sur lesquelles la Commission fondait ses griefs. La requérante ayant contesté devant le Tribunal tous les aspects de l'infraction, hormis sa participation aux réunions, la réduction de l'amende ne trouverait plus de véritable justification dans la réalité.

Appréciation du Tribunal

302.
    Il a déjà été constaté que, les marchés portugais, grec, irlandais et espagnol étant visés par la décision, la Commission n'a pas commis d'erreur d'appréciation en tenant compte, aux fins de la détermination du montant de l'amende, du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises sur le marché communautaire du carton en 1990, y compris sur les marchés nationaux en cause (voir ci-dessus point 267).

303.
    Les trois premières circonstances invoquées par la requérante, tirées respectivement de son attitude au sein de l'entente, de sa participation limitée et passive aux organes du GEP Carton et de l'absence de mise en oeuvre des augmentations de prix convenues au sein du GEP Carton, visent toutes à contester

l'appréciation faite par la Commission du rôle joué par la requérante dans l'entente.

304.
    A cet égard, la Commission a établi que, du fait de sa participation aux réunions du JMC, la requérante a participé à une collusion sur les prix et à une collusion sur les temps d'arrêt pendant la période allant du mois de février 1989 au mois d'avril 1991. De plus, comme cela a déjà été constaté, le fait que l'infraction commise par la requérante ne comporte pas une collusion sur les parts de marché ne justifie pas une réduction du montant de l'amende infligée.

305.
    En l'espèce, la requérante ne saurait prétendre avoir joué au sein de l'entente un rôle moins actif que les autres entreprises considérées comme des «membres ordinaires» de celle-ci. En effet, il ressort du tableau 4 annexé à la décision qu'elle a été, pendant la période allant du mois de février 1989 jusqu'à avril 1991, un participant régulier aux réunions du JMC.

306.
    En outre, le fait qu'une entreprise, dont la participation à une concertation avec ses concurrents en matière de prix est établie, ne se soit pas comportée sur le marché d'une manière conforme à celle convenue avec ses concurrents ne constitue pas nécessairement un élément devant être pris en compte, en tant que circonstance atténuante, lors de la détermination du montant de l'amende à infliger. En effet, une entreprise qui poursuit, malgré la concertation avec ses concurrents, une politique plus ou moins indépendante sur le marché peut simplement tenter d'utiliser l'entente à son profit.

307.
    En l'espèce, les éléments fournis par la requérante ne permettent pas de considérer que son comportement réel sur le marché a été susceptible de contrarier les effets anticoncurrentiels de l'infraction constatée. En particulier, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante a fait valoir qu'elle n'avait pas annoncé des augmentations de prix aux clients, mais qu'elle avait uniquement fourni les nouveaux tarifs à ses agents afin qu'ils les utilisent lors des négociations individuelles avec les clients. Sur ce point, elle a invoqué des graphiques (pages 37 et 39 de sa réponse à la communication des griefs) qui, selon elle, démontraient que les prix obtenus avaient été inférieurs aux prix demandés et qu'elle avait été en mesure d'augmenter ses parts de marché sur plusieurs marchés d'exportation.

308.
    Toutefois, dans la décision, la Commission admet que les prix de transaction n'étaient pas toujours identiques aux prix annoncés. Elle relève notamment: «Même si tous les producteurs restaient déterminés à appliquer intégralement l'augmentation, les possibilités qu'avaient les clients de passer à une qualité ou à un produit moins onéreux pouvaient amener certains producteurs à faire à leurs clients traditionnels des concessions sur la date d'entrée en vigueur des augmentations ou à leur consentir un avantage supplémentaire sous la forme de rabais ou de réduction en cas de grosse commande, pour leur faire accepter l'intégralité de l'augmentation du prix de base. Il était par conséquent inévitable que les augmentations de prix ne puissent faire sentir immédiatement tous leurs

effets.» (Point 101, sixième alinéa, des considérants.) Dès lors, la requérante n'a pas démontré que ses prix de transaction se soient sensiblement écartés de ceux des autres participants à l'infraction constatée.

309.
    En outre, il convient de souligner que la requérante ne soutient pas avoir fait l'objet de pressions exercées par les autres entreprises participant à l'entente. Elle ne soutient pas davantage qu'elle s'est publiquement distanciée des décisions adoptées, lors des réunions auxquelles elle prenait part, au sujet des augmentations de prix.

310.
    Dans ces circonstances, la Commission était en droit de ne pas retenir en tant que circonstance atténuante le comportement de la requérante sur le marché, comportement prétendument divergent de celui convenu au sein du GEP Carton.

311.
    La requérante ne peut par ailleurs invoquer une absence d'intention de commettre l'infraction. Il doit être rappelé que, eu égard à la nature des agissements constatés, la requérante n'a pas pu ignorer qu'ils avaient pour objectif de restreindre la concurrence (ci-dessus points 277 et 278).

312.
    La requérante invoque également le caractère nouveau de la qualification d'infraction aux règles de la concurrence de l'échange d'informations.

313.
    Cependant, il y a lieu de rappeler que, selon l'article 1er de la décision, les entreprises visées par cette disposition ont enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité en participant à un accord et une pratique concertée en vertu desquels les entreprises ont, notamment, «échangé des informations commerciales sur les livraisons, les prix, les arrêts de production, les commandes en carnet et les taux d'utilisation des machines, afin de soutenir les mesures mentionnées», à savoir une collusion sur les prix, une collusion sur les parts de marché et une collusion sur les temps d'arrêt.

314.
    La Commission n'a donc considéré l'échange d'informations comme contraire à l'article 85, paragraphe 1, du traité qu'en tant que support de l'entente constatée. Par suite, l'argument de la requérante est dénué de fondement.

315.
    La requérante n'a pas démontré par ailleurs que le secteur du carton s'est trouvé, pendant la période visée par la décision, dans une situation de crise de nature à justifier une réduction du montant des amendes.

316.
    Elle ne peut soutenir que sa situation financière déficitaire aurait dû constituer une circonstance atténuante. En effet, la reconnaissance de pareille obligation reviendrait à procurer un avantage concurrentiel injustifié aux entreprises les moins adaptées aux conditions du marché (arrêt IAZ e.a./Commission, précité, point 55).

317.
    S'agissant de la taille réduite de la requérante, force est de constater que cet élément a été pris en considération par la Commission, dans la mesure où elle s'est fondée, aux fins de la détermination du montant des amendes, sur le chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises sur le marché communautaire du carton en 1990.

318.
    Pour ce qui est de la dernière circonstance invoquée par la requérante, à savoir la prétendue absence de mesures de contrôle de la mise en oeuvre de l'entente, il y a lieu de souligner que, si l'existence de mesures de contrôle de la mise en oeuvre d'une entente peut être prise en compte en tant que circonstance aggravante lors de la fixation des amendes, l'absence de telles mesures ne saurait, en soi, constituer une circonstance atténuante. Par ailleurs, la requérante elle-même se réfère notamment au point 136 des considérants de la décision, duquel il ressort (dernier alinéa de ce point) que «[les] documents montrent toutefois clairement que la mise en oeuvre des initiatives en matière de prix était étroitement surveillée et que tout manquement donnait lieu à des discussions au sein du JMC où les leaders du marché pressaient les supposés 'trainards‘ de soutenir les augmentations de prix». La requérante n'ayant pas contesté le bien-fondé de cette constatation, rien ne permet de considérer que la Commission aurait pu prendre en considération, en tant que circonstance atténuante, l'absence de mesures de contrôle de la mise en oeuvre de l'entente.

319.
    Enfin, en ce qui concerne la demande de la Commission visant à ce que le Tribunal augmente l'amende infligée, il suffit de constater que l'institution, en réponse à une question du Tribunal posée lors de l'audience, n'a pas été en mesure de désigner les contestations avancées par la requérante dans ses mémoires qui n'avaient pas été soulevées dans sa réponse à la communication des griefs. Au vu de cette seule constatation, la demande de la Commission ne saurait être accueillie.

320.
    Considérant ce qui précède, il convient de rejeter le présent moyen ainsi que la demande formulée par la Commission tendant à une augmentation de l'amende infligée à la requérante.

E — Sur le moyen tiré d'une violation du principe d'égalité de traitement

Sur le moyen pris en sa première branche tirée d'une absence de prise en compte de la dévaluation de la peseta espagnole

Arguments des parties

321.
    La requérante soutient que le fait de ne pas avoir tenu compte des effets des dévaluations subies par certaines monnaies européennes, en l'espèce la peseta espagnole, constitue une discrimination entre des personnes se trouvant dans la même situation.

322.
    De janvier 1991 à juillet 1994, la peseta espagnole aurait subi de fortes dévaluations par rapport à l'écu. Le taux de change PTA/écu aurait été, en juillet 1990, de un écu pour 127,29 PTA, alors que, en juillet 1994, il aurait été de un écu pour 157,32 PTA. L'impact économique du paiement de l'amende exprimée en écus serait donc proportionnellement bien plus important pour les entreprises qui réalisent la majeure partie de leur volume d'échanges dans les monnaies ayant subi des dévaluations par rapport à l'écu.

323.
    Dans les procédures de sanction collective, les différences entre les amendes infligées aux entreprises devraient être justifiées par des raisons objectives liées à l'attitude et/ou au comportement subjectif de chacune d'entre elles. Or, en l'espèce, la décision ne contiendrait aucune justification de la discrimination de facto résultant de l'expression de l'amende en écus. La Commission aurait donc agi avec négligence et violé le principe d'égalité de traitement.

324.
    Pour parvenir au montant de l'amende infligée, la Commission aurait converti enécus le chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social de référence, soit l'exercice 1990, en utilisant le taux moyen afférent à cette année. Elle aurait ensuite déterminé le montant de l'amende en appliquant le pourcentage préalablement choisi, soit, dans son cas, le taux de base de 7,5 %, lequel aurait été réduit d'abord de 33,3%, au motif que la requérante n'avait pas contesté la matérialité des faits, puis d'un pourcentage supplémentaire, pour tenir compte de la courte durée de sa participation à l'infraction. La requérante affirme que, en monnaie nationale, elle devrait aujourd'hui payer un montant d'environ 275 millions de PTA pour acquitter l'amende. Or, si la Commission avait appliqué le taux de change actuel pour convertir en écus le chiffre d'affaires relatif aux ventes du carton de la requérante à l'intérieur de la communauté en 1990, le montant de l'amende se serait élevé à 1,42 millions d'écus, soit, au taux de change actuel, approximativement 225 millions de PTA. La requérante aurait donc subi une augmentation du montant de l'amende de 50 millions de PTA.

325.
    L'affirmation de la Commission, selon laquelle il serait nécessaire de convertir en écus deux chiffres d'affaires exprimés dans des devises différentes afin de les comparer et de garantir ainsi l'égalité de traitement, serait tout à fait erronée. La conversion du chiffre d'affaires en écus ne serait pas nécessaire pour respecter le principe d'égalité, car ce principe serait respecté si, pour deux entreprises dont l'infraction est de même gravité et de même durée, des pourcentages identiques sont appliqués aux chiffres d'affaires correspondant à des exercices financiers identiques. Cette conclusion ne serait pas contredite par l'arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité.

326.
    La discrimination opérée par la Commission trouverait son origine dans l'expression des amendes en écus, ce qui irait à l'encontre de la jurisprudence de la Cour, selon laquelle il ne serait pas nécessaire de convertir en écus. Aucune règle de droit primaire ou dérivé n'exigerait une telle conversion, qui ne se

justifierait d'ailleurs pas du point de vue de la réalité économique (arrêt de la Cour du 9 mars 1977, Société anonyme générale sucrière e.a./Commission, 41/73, 43/73 et 44/73 — Interprétation, Rec. p. 445, points 12 à 15, 25 et 26). Dans ses conclusions sous cet arrêt, l'avocat général M. Warner aurait affirmé la nécessité pour la Commission de tenir compte de la réalité des phénomènes monétaires lors du calcul de ses sanctions en écus afin de ne pas susciter de distorsions indésirables. Il aurait déclaré que la Commission doit d'abord décider dans quelle monnaie elle exprimera l'amende aux fins de l'exécution et ensuite déterminer son montant approprié en tenant compte de la valeur réelle de cette monnaie.

327.
    Dans d'autres domaines, la Cour aurait préconisé que les dépenses de santé soient remboursées aux fonctionnaires communautaires, résidant dans divers pays, en devises nationales afin d'éviter toute discrimination entre eux (arrêt du 13 février 1980, Misenta/Commission, 256/78, Rec. p. 219). Elle aurait veillé à faire respecter le principe de non-discrimination dans les litiges portant sur les effets de fluctuations monétaires, notamment dans les domaines de la politique commerciale commune (arrêts de la Cour du 3 juin 1980, Gedelfi Großeinkauf, 135/79, Rec. p. 1713, et du 3 février 1982, Gebrüder Glunz, 248/80, Rec. p. 197) et de la politique agricole commune (arrêts de la Cour du 3 juillet 1985, Maizena e.a., 39/84, Rec. p. 2115, et du 3 octobre 1985, Nordgetreide, 46/84, Rec. p. 3127).

328.
    Le règlement n° 17 n'imposerait l'utilisation de l'écu ni pour calculer ni pour exprimer le montant de l'amende prévue à l'article 15, paragraphe 2. En incluant la possibilité d'infliger une amende pouvant atteindre jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires réalisé par l'entreprise coupable de l'infraction au cours du dernier exercice social écoulé, le règlement établirait manifestement un lien entre le montant de l'amende et le bénéfice que l'entreprise a retiré de l'infraction. Ce rendement se refléterait principalement dans le chiffre d'affaires réalisé, qui est calculé en monnaie nationale et non pas en écus.

329.
    Enfin, l'utilisation de l'écu ne serait pas pratique. En effet, l'amende serait payée en monnaie nationale et, à défaut de paiement, la Commission ferait procéder à l'exécution forcée en monnaie nationale.

330.
    La Commission estime que, lorsqu'il s'agit d'amendes infligées à des entreprises établies dans différents États membres et dont les chiffres d'affaires s'expriment dans des devises différentes, le principe d'égalité de traitement exige qu'il soit possible de les comparer. La seule manière de comparer des devises distinctes consisterait à les convertir en une même unité, en l'occurrence l'écu. La Cour aurait reconnu que les amendes doivent être comparables. Elle aurait jugé que, dans la mesure où il y a lieu de se fonder sur le chiffre d'affaires des entreprises impliquées dans une même infraction en vue de déterminer les relations entre les amendes à infliger, il convient de délimiter la période à prendre en considération de manière que les chiffres obtenus soient aussi comparables que possible (arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 122).

331.
    Dans le cas d'espèce, le choix de la Commission, à savoir un calcul des amendes fondé sur le chiffre d'affaires de 1990 converti en écus au taux de change moyen de l'année 1990, serait parfaitement justifié. Non seulement ce choix représenterait une pratique bien établie de la Commission, non censurée par le juge communautaire, mais il refléterait aussi, de façon précise, la totalité des éventuels profits retirés de l'infraction (arrêt du Tribunal du 23 février 1994, CB et Europay/Commission, T-39/92 et T-40/92, Rec. p. II-49).

332.
    En ce qui concerne l'arrêt Société anonyme générale sucrière e.a./Commission, précité, il s'inscrirait dans un contexte très précis et ne pourrait donc venir au soutien des prétentions de la requérante. Il résulterait de cet arrêt, tel qu'interprété dans son contexte factuel, que la Commission doit fixer le montant des amendes en écus, tandis que le moment et la banque de paiement déterminent la monnaie et le taux de change.

333.
    Enfin, l'emploi de l'écu pour calculer et fixer le montant des amendes permettrait d'éviter, grâce à la stabilité relative de l'écu, la discrimination entre entreprises qui pourrait découler des fluctuations monétaires. Ce système permettrait à la Commission de veiller à ce que les amendes représentent effectivement un pourcentage déterminé de la valeur réelle du chiffre d'affaires d'une entreprise au cours de l'année de référence retenue.

Appréciation du Tribunal

334.
    L'article 4 de la décision dispose que les amendes infligées sont payables en écus.

335.
    Il y a lieu de relever que rien n'empêche la Commission d'exprimer le montant de l'amende en écus, unité monétaire convertible en monnaie nationale. Cela permet d'ailleurs aux entreprises de comparer plus facilement les montants des amendes infligées. De plus, la conversion possible de l'écu en monnaie nationale différencie cette unité monétaire de l'«unité de compte» mentionnée à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, dont la Cour a expressément reconnu que, n'étant pas une monnaie de paiement, elle impliquait nécessairement la détermination du montant de l'amende en monnaie nationale (arrêt Société anonyme générale sucrière e.a./Commission, précité, point 15).

336.
    Quant à la légalité de la méthode de la Commission consistant à convertir en écus le chiffre d'affaires de référence des entreprises au taux de change moyen de cette même année (1990), les critiques formulées par la requérante ne sauraient être retenues.

337.
    Tout d'abord, la Commission doit normalement utiliser une seule et même méthode de calcul des amendes infligées aux entreprises sanctionnées pour avoir participé à une même infraction (voir arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 122).

338.
    Ensuite, afin de pouvoir comparer les différents chiffres d'affaires communiqués, exprimés dans les monnaies nationales respectives des entreprises concernées, la Commission doit convertir ces chiffres d'affaires dans une seule et même unité monétaire. La valeur de l'écu étant déterminée en fonction de la valeur de chaque monnaie nationale des États membres, la Commission a converti à bon droit en écus le chiffre d'affaires de chacune des entreprises.

339.
    A bon droit également, elle s'est fondée sur le chiffre d'affaires de l'année de référence (1990) et a converti ce chiffre d'affaires en écus sur la base des taux de change moyens de la même année. D'une part, la prise en compte du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises au cours de l'année de référence, à savoir la dernière année complète de la période d'infraction retenue, a permis à la Commission d'apprécier la taille et la puissance économique de chaque entreprise ainsi que l'ampleur de l'infraction commise par chacune d'entre elles, ces éléments étant pertinents pour apprécier la gravité de l'infraction commise par chaque entreprise (voir arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, points 120 et 121). D'autre part, la prise en compte, aux fins de la conversion en écus des chiffres d'affaires en cause, des taux de change moyens de l'année de référence retenue a permis à la Commission d'éviter que les éventuelles fluctuations monétaires survenues depuis la cessation de l'infraction affectent l'appréciation de la taille et de la puissance économique relatives des entreprises ainsi que l'ampleur de l'infraction commise par chacune d'entre elles et, partant, l'appréciation de la gravité de cette infraction. L'appréciation de la gravité de l'infraction doit en effet porter sur la réalité économique telle qu'elle apparaissait à l'époque de la commission de ladite infraction.

340.
    Par conséquent, l'argument selon lequel le chiffre d'affaires de l'année de référence aurait dû être converti en écus sur la base du taux de change à la date d'adoption de la décision ne peut être accueilli. La méthode de calcul de l'amende consistant à utiliser le taux de change moyen de l'année de référence permet d'éviter les effets aléatoires des modifications des valeurs réelles des monnaies nationales qui peuvent survenir, et sont effectivement survenues en l'espèce, entre l'année de référence et l'année de l'adoption de la décision. Si cette méthode peut signifier qu'une entreprise déterminée doit payer un montant, exprimé en monnaie nationale, nominalement supérieur ou inférieur à celui qui aurait dû être payé dans l'hypothèse d'une application du taux de change de la date d'adoption de la décision, cela n'est que la conséquence logique des fluctuations des valeurs réelles des différentes monnaies nationales.

341.
    Il convient d'ajouter que plusieurs entreprises destinataires de la décision possèdent des cartonneries dans plus d'un pays (voir points 7, 8 et 11 des considérants de la décision). En outre, les entreprises destinataires de la décision exercent généralement leurs activités dans plus d'un État membre, par l'intermédiaire de représentations locales. Elles opèrent par conséquent dans plusieurs devises nationales. La requérante elle-même réalise plus d'un tiers de son chiffre d'affaires sur les marchés d'exportation. Or, lorsqu'une décision comme la décision litigieuse

sanctionne des violations de l'article 85, paragraphe 1, du traité et que les entreprises destinataires de la décision exercent généralement leurs activités dans plusieurs États membres, le chiffre d'affaires de l'année de référence converti en écus au taux de change moyen utilisé au cours de cette même année est constitué par la somme des chiffres d'affaires réalisés dans chacun des pays où l'entrepriseest active. Il rend donc parfaitement compte de la réalité de la situation économique des entreprises concernées au cours de l'année de référence.

342.
    La première branche du moyen doit donc être rejetée.

Sur le moyen pris en sa seconde branche tirée de ce que le niveau des amendes serait supérieur à celui retenu par la Commission dans des affaires comparables

Arguments des parties

343.
    La requérante fait valoir que la Commission doit respecter le principe d'égalité par rapport au niveau des amendes infligées dans d'autres décisions comparables, ainsi qu'elle l'aurait d'ailleurs reconnu elle-même (question écrite n° 2296/85, JO 1986, C 123, p. 26).

344.
    En l'espèce, le principe d'égalité de traitement aurait été violé, car le pourcentage du chiffre d'affaires utilisé pour déterminer l'amende s'élèverait à 9 % pour les entreprises considérées comme les principales responsables de l'entente. Ce niveau d'amende serait considérablement supérieur à celui des décisions antérieures similaires [notamment décision 89/515/CEE de la Commission, du 2 août 1989, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/31.553 — Treillis soudés) (JO L 260, p. 1), et décision 94/215/CECA de la Commission, du 16 février 1994, relative à une procédure d'application de l'article 65 du traité CECA concernant des accords et pratiques concertées impliquant des producteurs européens de poutrelles (JO L 116, p. 1)]. En particulier, la requérante soutient que, au cours de l'année 1994, la Commission a adopté en moins de cinq mois deux décisions nettement différentes face à un même type d'entente paneuropéenne, sans vraiment motiver son changement d'attitude. Il y aurait donc lieu de conclure à une discrimination ou à un traitement inégal dans des circonstances semblables.

345.
    La Commission ne pourrait user de son pouvoir discrétionnaire pour commettre des violations flagrantes du principe d'égalité de traitement.

346.
    De plus, même si la Cour considère qu'une correcte application des règles communautaires de la concurrence requiert que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux nécessités de la politique de la concurrence, cela ne signifierait pas que la Commission soit autorisée à monter et à baisser le niveau général des amendes d'une infraction à l'autre sans donner de raisons objectives suffisantes.

347.
    La requérante considère enfin, invoquant la décision 94/815/CEE de la Commission, du 30 novembre 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/33.126 et 33.322 — Ciment) (JO L 343, p. 1), qu'il existe, par rapport à la présente affaire, une violation flagrante du principe d'égalité et une disproportion évidente dans la détermination du pourcentage global du chiffre d'affaires retenu pour déterminer le montant des amendes.

348.
    La Commission estime que, eu égard à la gravité, à l'étendue géographique et à la durée de l'infraction constatée, le niveau d'amende retenu est parfaitement justifié.

Appréciation du Tribunal

349.
    Selon l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises ayant commis, de propos délibéré ou par négligence, une infraction aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité des amendes de 1 000 écus au moins et de 1 000 000 écus au plus, ce dernier montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction. Le montant de l'amende est déterminé en considération à la fois de la gravité de l'infraction et de sa durée. Ainsi que cela ressort de la jurisprudence de la Cour, la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance SPO e.a./Commission, précitée, point 54).

350.
    En l'espèce, la Commission a déterminé le niveau général des amendes en tenant compte de la durée de l'infraction (point 167 des considérants de la décision), ainsi que des considérations suivantes (point 168 des considérants):

«—     la collusion en matière de fixation des prix et la répartition des marchés constituent en soi des restrictions graves de la concurrence,

—     l'entente couvrait quasiment tout le territoire de la Communauté,

—     le marché communautaire du carton est un secteur économique important qui totalise chaque année quelque 2,5 milliards d'écus,

—     les entreprises participant à l'infraction couvrent pratiquement tout le marché,

—     l'entente a fonctionné sous la forme d'un système de réunions périodiques institutionnalisées ayant pour objet de réguler dans le détail le marché du carton dans la Communauté,

—     des mesures complexes ont été prises pour cacher la véritable nature et la portée de la collusion (absence de compte rendu officiel ou de documentation concernant les réunions du PWG et du JMC; les participants étaient dissuadés de prendre des notes; la date et l'ordre des lettres annonçant les augmentations de prix étaient orchestrés de façon à pouvoir proclamer que ces augmentations 'faisaient suite à d'autres‘, etc.),

—     l'entente a largement réussi à atteindre ses objectifs».

351.
    Il est constant que des amendes d'un niveau de base de 9 ou de 7,5 % du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises destinataires de la décision sur le marché communautaire du carton en 1990 ont été infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme les «chefs de file» de l'entente et aux autres entreprises.

352.
    Il y a lieu de souligner, en premier lieu, que, dans son appréciation du niveau général des amendes, la Commission est fondée à tenir compte du fait que des infractions patentes aux règles communautaires de la concurrence sont encore relativement fréquentes et que, partant, il lui est loisible d'élever le niveau des amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif. Par conséquent, le fait que la Commission a appliqué dans le passé des amendes d'un certain niveau à certains types d'infractions ne saurait la priver de la possibilité d'élever ce niveau, dans les limites indiquées dans le règlement n° 17, si cela s'avère nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de la concurrence (voir, notamment, arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, points 105 à 108, et arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, ICI/Commission, T-13/89, Rec. p. II-1021, point 385).

353.
    En second lieu, la Commission a soutenu à bon droit lors de l'audience que, en raison des circonstances propres à l'espèce, aucune comparaison directe ne saurait être opérée entre le niveau général des amendes retenu dans la présente décision et ceux retenus dans la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, en particulier, dans la décision 86/398/CEE de la Commission, du 23 avril 1986, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/31.149 — Polypropylène) (JO L 230, p. 1, ci-après «décision Polypropylène»), considérée par la Commission elle-même comme la plus comparable à celle du cas d'espèce. En effet, contrairement à l'affaire à l'origine de la décision Polypropylène, aucune circonstance atténuante générale n'a été prise en compte en l'espèce pour déterminer le niveau général des amendes. Par ailleurs, comme le Tribunal l'a déjà constaté, les mesures complexes adoptées par les entreprises pour dissimuler l'existence de l'infraction constituent un aspect particulièrement grave de celle-ci, qui la caractérise par rapport aux infractions antérieurement constatées par la Commission.

354.
    En troisième lieu, il convient de souligner la longue durée et le caractère patent de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité qui a été commise malgré l'avertissement qu'aurait dû constituer la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, et notamment la décision Polypropylène.

355.
    Sur la base de ces éléments, il convient de considérer que les critères repris au point 168 des considérants de la décision justifient le niveau général des amendes fixé par la Commission.

356.
    Enfin, en fixant en l'espèce le niveau général des amendes, la Commission ne s'est pas écartée de sa pratique décisionnelle antérieure de manière telle qu'elle aurait dû motiver plus explicitement son appréciation de la gravité de l'infraction (voir, notamment, arrêt Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a./Commission, précité, point 31).

357.
    La seconde branche du moyen doit donc être également rejetée.

358.
    Au vu de ce qui précède, le moyen doit être rejeté dans son intégralité.

F — Sur le moyen tiré d'une violation du principe de proportionnalité

359.
    La requérante fait valoir que le principe de proportionnalité a été méconnu en l'espèce, car la situation de crise qui toucherait actuellement le secteur aurait été totalement ignorée au moment de l'évaluation de la sanction. Il en irait de même du fait de la différence de traitement constatée dans la présente affaire par rapport au sort réservé à d'autres entreprises dans des procédures similaires devant la Commission.

360.
    L'amende infligée à l'entreprise Tetra Pak, pour une infraction particulièrement grave et longue, correspondant à 2,2 % du volume d'échanges [décision 92/163/CEE de la Commission, du 24 juillet 1991, relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité CEE (IV/31.043 — Tetra Pak II) (JO 1992, L 72, p. 1)] aurait été beaucoup moins élevée que celle infligée à la requérante, alors que les infractions qui lui sont reprochées seraient de bien moindres durée et gravité que celles reprochées à l'entreprise Tetra Pak.

361.
    Une autre expression manifeste de la violation du principe de proportionnalité serait constituée par la disproportion entre les taux de base retenus à l'égard des «chefs de file» de l'entente et des «membres ordinaires» de celle-ci.

362.
    Il convient de relever que la requérante n'a pas démontré que le secteur du carton se trouve actuellement dans une situation de crise. Elle n'a pas davantage expliqué pourquoi une telle situation, à la supposer établie, devrait être prise en compte lors de la fixation des amendes.

363.
    Pour le surplus, elle ne fait que répéter, à l'appui du présent moyen, des arguments déjà invoqués à l'appui des autres moyens visant à l'annulation de l'amende ou à la réduction de son montant.

364.
    Ces arguments ayant été rejetés, le présent moyen ne saurait être accueilli.

365.
    Au vu de l'ensemble de ce qui précède, il convient d'annuler l'article 1er de la décision à l'égard de la requérante dans la mesure où cette disposition énonce que la requérante a participé à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité avant le mois de février 1989. En outre, il convient d'annuler, à son égard, l'article1er, huitième tiret, de la décision selon lequel l'accord et la pratique concertée auxquels elle a participé ont eu pour objet de «maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles».

366.
    S'agissant du montant de l'amende infligée, il convient de tenir compte du fait que la requérante ne peut être tenue pour responsable d'une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité que pour la période allant du mois de février 1989 au mois d'avril 1991. En revanche, comme cela a déjà été constaté (voir ci-dessus points 269 et suivants), le fait que l'infraction commise par la requérante ne comporte pas une collusion sur les parts de marché ne justifie pas une réduction du montant de l'amende infligée.

367.
    Les autres moyens invoqués par la requérante à l'appui de sa demande d'annulation de l'amende ou de réduction de son montant ayant été rejetés, le Tribunal, dans l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, fixera le montant de cette amende à 1 200 000 écus.

368.
    Pour le surplus, le recours doit être rejeté.

Sur les dépens

369.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Le recours n'ayant été que partiellement accueilli, le Tribunal fera une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que chacune des parties supportera ses propres dépens.

370.
    La requérante a conclu à ce que la Commission soit condamnée aux dépens, y compris les frais et intérêts liés à la constitution d'une garantie bancaire ou au paiement éventuel de l'amende. Cependant, il ressort d'une jurisprudence constante que les frais occasionnés par la constitution d'une garantie bancaire pour éviter l'exécution forcée de la décision ne constituent pas des frais exposés aux fins de la

procédure, au sens de l'article 91, sous b), du règlement de procédure (voir ordonnance de la Cour du 20 novembre 1987, Krupp/Commission, 183/83, Rec. p. 4611, point 10, et arrêt du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission, T-77/92, Rec. p. II-549, point 101). Il en est de même en ce qui concerne les frais occasionnés par l'éventuel paiement de l'amende.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    L'article 1er de la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 — Carton), est annulé à l'égard de la requérante dans la mesure où la date du début de l'infraction qui lui est reprochée a été fixée antérieurement au mois de février 1989.

2)    L'article 1er, huitième tiret, de la décision 94/601 est annulé à l'égard de la requérante.

3)    Le montant de l'amende infligée à la requérante par l'article 3 de la décision 94/601 est fixé à 1 200 000 écus.

4)    Le recours est rejeté pour le surplus.

5)    Chacune des parties supportera ses propres dépens.

Vesterdorf             Briët     Lindh

     Potocki      Cooke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 mai 1998.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf

Table des matières

     Faits à l'origine du litige

II - 2

     Procédure

II - 6

     Conclusions des parties

II - 7

     Sur la demande d'annulation de la décision

II - 8

         A — Sur le moyen tiré de la violation du droit fondamental à un tribunal indépendant et impartial

II - 8

             Arguments des parties

II - 8

             Appréciation du Tribunal

II - 11

         B — Sur le moyen tiré d'une violation des droits de la défense

II - 13

             Arguments des parties

II - 13

             Appréciation du Tribunal

II - 15

         C — Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 190 du traité

II - 19

             Arguments des parties

II - 19

             Appréciation du Tribunal

II - 20

         D — Sur le moyen tiré d'une application erronée de l'article 85, paragraphe 1, du traité aux actes de la requérante

II - 21

             Arguments des parties

II - 21

             Appréciation du Tribunal

II - 25

                 Sur les trois premières branches du moyen, tirées de l'absence de participation de la requérante à l'infraction constatée à l'article 1er de la décision

II - 25

                     1. Période allant du mois de mars 1988 au mois de février 1989

II - 26

                     a) Participation de la requérante à certaines réunions de la PC

II - 26

                     b) Participation de la requérante à une réunion du COE

II - 29

                     c) Comportement effectif de la requérante en matière de prix

II - 31

                     d) Conclusion relative à la période en cause

II - 32

                     2. Période allant du mois de février 1989 au mois d'avril 1991

II - 32

                     a) Sur la participation de la requérante à une collusion sur les prix

II - 33

                     b) Sur la participation de la requérante à une collusion sur les temps d'arrêt

II - 36

                     c) Sur la participation de la requérante à une collusion sur les parts de marché

II - 40

                     d) La participation de la requérante à un plan sectoriel commun de restriction de la concurrence

II - 42

                     e) Conclusions sur la période allant du mois de février 1989 au mois d'avril 1991

II - 43

                 Sur la quatrième branche du moyen, tirée de l'absence de définition du marché géographique concerné

II - 43

     Sur la demande d'annulation de l'amende ou de réduction de son montant

II - 44

         A — Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 190 du traité concernant les amendes

II - 44

             Arguments des parties

II - 44

             Appréciation du Tribunal

II - 45

         B — Sur le moyen tiré d'une appréciation incorrecte des critères de détermination de l'amende retenus dans la décision

II - 48

             Arguments des parties

II - 48

             Appréciation du Tribunal

II - 49

         C — Sur le moyen tiré de ce que la requérante n'aurait pas commis l'infraction de propos délibéré ou par négligence

II - 52

         D — Sur le moyen tiré d'un calcul incorrect de l'amende

II - 52

             Arguments des parties

II - 52

             Appréciation du Tribunal

II - 55

         E — Sur le moyen tiré d'une violation du principe d'égalité de traitement

II - 58

             Sur le moyen pris en sa première branche tirée d'une absence de prise en compte de la dévaluation de la peseta espagnole

II - 58

                 Arguments des parties

II - 58

                 Appréciation du Tribunal

II - 61

             Sur le moyen pris en sa seconde branche tirée de ce que le niveau des amendes serait supérieur à celui retenu par la Commission dans des affaires comparables

II - 63

                 Arguments des parties

II - 63

                 Appréciation du Tribunal

II - 64

        F — Sur le moyen tiré d'une violation du principe de proportionnalité

II - 66

     Sur les dépens

II - 67


1: Langue de procédure: l'espagnol.