Language of document : ECLI:EU:T:2004:213

Arrêt du Tribunal

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)
7 juillet 2004 (1)

« Traité CECA – Sidérurgie – Abandon de concessions minières – Charges imposées par la République française aux entreprises minières – Plainte – Défaut de réponse favorable de la Commission – Recours en carence – Recours en annulation – Recevabilité – Qualité pour agir – Entreprise au sens de l'article 80 CA »

Dans les affaires jointes T-107/01 et T-175/01,

Société des mines de Sacilor – Lormines SA, établie à Puteaux (France), représentée initialement par Me G. Marty, puis par Me R. Schmitt, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. G. Rozet et Mme L. Ström, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours en carence et, à titre subsidiaire, un recours en annulation, visant le refus de la Commission de faire droit à la plainte introduite par la requérante afin de faire constater la violation par la République française des dispositions de l'article 4, sous b) et c), CA et de l'article 86 CA, en raison de l'imposition à la requérante de charges prétendument excessives dans le cadre de l'engagement des procédures d'abandon et de renonciation à ses concessions minières,



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),



composé de M. H. Legal, président, Mme V. Tiili et M. M. Vilaras, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 18 février 2004,

rend le présent



Arrêt




Cadre juridique

1
L’article 4 CA dispose :

« Sont reconnus incompatibles avec le marché commun du charbon et de l’acier et, en conséquence, sont abolis et interdits dans les conditions prévues au présent traité, à l’intérieur de la Communauté :

[...]

b)
les mesures ou pratiques établissant une discrimination entre producteurs, entre acheteurs ou entre utilisateurs, notamment en ce qui concerne les conditions de prix ou de livraison et les tarifs de transport, ainsi que les mesures ou pratiques faisant obstacle au libre choix par l’acheteur de son fournisseur ;

c)
les subventions ou aides accordées par les États ou les charges spéciales imposées par eux, sous quelque forme que ce soit ;

[...] »

2
L’article 33 CA prévoit :

« La Cour de justice est compétente pour se prononcer sur les recours en annulation pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du traité ou de toute règle de droit relative à son application, ou détournement de pouvoir, formés contre les décisions et recommandations de la Commission par un des États membres ou par le Conseil. Toutefois, l’examen de la Cour de justice ne peut porter sur l’appréciation de la situation découlant des faits ou circonstances économiques au vu de laquelle sont intervenues lesdites décisions ou recommandations, sauf s’il est fait grief à la Commission d’avoir commis un détournement de pouvoir ou d’avoir méconnu d’une manière patente les dispositions du traité ou de toute règle de droit relative à son application.

Les entreprises ou les associations visées à l’article 48 peuvent former, dans les mêmes conditions, un recours contre les décisions et recommandations individuelles les concernant ou contre les décisions et recommandations générales qu’elles estiment entachées de détournement de pouvoir à leur égard.

[…] »

3
Conformément à l’article 35 CA :

« Dans le cas où la Commission, tenue par une disposition du présent traité ou des règlements d’application de prendre une décision ou de formuler une recommandation, ne se conforme pas à cette obligation, il appartient, selon le cas, aux États, au Conseil ou aux entreprises et associations de la saisir.

Il en est de même dans le cas où la Commission, habilitée par une disposition du présent traité ou des règlements d’application à prendre une décision ou à formuler une recommandation, s’en abstient et où cette abstention constitue un détournement de pouvoir.

Si, à l’expiration d’un délai de deux mois, la Commission n’a pris aucune décision ou formulé aucune recommandation, un recours peut être formé devant la Cour dans un délai d’un mois contre la décision implicite de refus qui est réputée résulter de ce silence. »

4
L’article 80 CA dispose :

« Les entreprises au sens du présent traité sont celles qui exercent une activité de production dans le domaine du charbon et de l’acier à l’intérieur des territoires visés à l’article 79, premier alinéa, et, en outre, en ce qui concerne les articles 65 et 66 ainsi que les informations requises pour leur application et les recours formés à leur occasion, les entreprises ou organismes qui exercent habituellement une activité de distribution autre que la vente aux consommateurs domestiques ou à l’artisanat. »


Faits à l’origine du litige

5
La requérante, à l’époque nommée Lormines, sous-filiale d’Usinor, a été constituée en 1978 pour reprendre les concessions et les amodiations de mines de fer de Sacilor en Lorraine. La requérante est devenue une entreprise publique du fait de la nationalisation de sa société mère en 1982. Compte tenu du déclin de l’activité d’extraction du minerai de fer dans cette région, le gouvernement français a décidé, en 1991, d’arrêter la production. Les dernières mines de fer de la requérante ont cessé leur activité en juillet 1993. La requérante a été privatisée en 1995 et en 1997.

6
En raison de la disparition de son objet social, la requérante avait vocation à être dissoute. En conséquence, elle s’est engagée dans les procédures d’abandon et de renonciation.

7
La procédure d’abandon vise à fermer et à mettre en sécurité les anciennes installations minières. Dans le cadre d’un abandon, la société minière est soumise au respect de la police spéciale des mines, dont l’objet consiste à définir les travaux nécessaires afin de mettre en sécurité les anciennes installations minières.

8
La procédure de renonciation a pour objet de mettre un terme, de manière anticipée, à la concession. Elle permet de soustraire le concessionnaire aux obligations découlant de l’application de la police spéciale des mines et le libère de la présomption de responsabilité pesant sur lui pour les dégâts qui surviennent à la surface.

9
Les mesures d’abandon de plusieurs mines de la requérante ont été exécutées conformément aux dispositions du décret 80-330, du 7 mai 1980, relatif à la police des mines et des carrières (JORF du 10 mai 1980, p. 1179), tel que modifié, ainsi que l’administration nationale compétente l’a constaté dans le courant de l’année 1996.

10
Mais la demande de renonciation anticipée aux concessions correspondantes n’a pas été acceptée par le ministre compétent, et l’administration a continué à exercer la police des mines en se fondant sur la loi 94-588, du 15 juillet 1994, modifiant certaines dispositions du code minier et l’article L. 711-12 du code du travail (JORF du 16 juillet 1994, p. 10239). Ainsi, la requérante a continué à supporter des charges liées à des mesures de surveillance et de travaux publics.

11
En outre, par la loi 99-245, du 30 mars 1999, relative à la responsabilité en matière de dommages consécutifs à l’exploitation minière et à la prévention des risques miniers après la fin de l’exploitation (JORF du 31 mars 1999, p. 4767), la présomption de responsabilité en matière minière a été étendue dans la mesure où est désormais prévue une présomption de responsabilité perpétuelle de l’ancien concessionnaire. Cette loi prévoit également une obligation pour l’ancien exploitant de verser une soulte destinée au financement de dépenses publiques pendant dix ans.

12
Par délibération de son assemblée générale extraordinaire du 3 mars 2000, la requérante a été mise en liquidation amiable.

13
Ayant considéré que le refus des autorités françaises de mettre fin à ses concessions, duquel découle l’assujettissement à des charges nouvelles, imprévisibles et exorbitantes, constituait une violation des articles 4 CA et 86 CA, la requérante a saisi la Commission d’une plainte, datée du 9 février 2001, enregistrée au secrétariat général de la Commission le 21 février 2001.

14
Dans sa plainte, la requérante a fait valoir que les autorités françaises ont violé l’article 4, sous c), CA en faisant peser sur elle des « charges spéciales ». Elle concluait en demandant à la Commission de constater, sur le fondement de l’article 88 CA, le manquement de la République française aux obligations prévues par ce traité et à ce qu’il lui soit ordonné de :

« –
reconnaître que la société Lormines n’est plus titulaire de ses concessions et amodiations depuis le jour de leur abandon effectif ;

reconnaître que, depuis l’abandon effectif de ses concessions et amodiations, la société Lormines ne peut être tenue d’une présomption de responsabilité ;

cesser d’imposer à la société Lormines quelque charge que ce soit au titre desdites concessions et amodiations ;

indemniser la société Lormines des charges qu’elle a dû supporter depuis l’abandon effectif de ses concessions et amodiations ».

15
Dans sa lettre datée du 30 mars 2001, que le conseil de la requérante indique avoir reçue le 20 avril 2001, la Commission, sous la signature du directeur de la direction « Aides d’État II » au sein de la direction générale « Concurrence », a répondu en ces termes :

« Sur base des informations disponibles, les services de la direction générale de la concurrence ont conclu que l’affaire ne relève pas du droit communautaire mais seulement du droit français. En effet, les mesures dénoncées, qui se rapportent aux conditions imposées par l’État français pour la renonciation par les sociétés exploitantes aux concessions minières, ne sont pas des mesures d’application spécifiques aux entreprises CECA. Elles relèvent du domaine de la sécurité et de la responsabilité civile, domaines qui relèvent de la compétence des États membres et non pas de la Communauté. Les entreprises CECA ne sont pas exclues des obligations imposées par les États qui sont dictées pour des raisons d’ordre général telles que la sécurité, la responsabilité civile ou l’environnement. Les frais financiers qui en découlent ne sauraient dès lors être considérés comme des charges spéciales grevant les entreprises CECA au titre de l’article 4, [sous] c), [CA].

Au cas où vous auriez de nouveaux éléments susceptibles de démontrer le contraire, je vous saurais gré de les faire connaître à mes services dans les meilleurs délais. »

16
Par lettre du 9 mai 2001, le conseil de la requérante a fait suite au courrier de la Commission. Il a insisté sur la prétendue violation de l’article 4, sous c), CA en ce qui concerne la notion de « charges spéciales » et l’imposition de charges aux seules entreprises visées par le traité CECA. En outre, il a fait valoir l’existence d’une discrimination contraire à l’article 4, sous b), CA. Il concluait ainsi :

« Pour cette raison, en tant que de besoin et aux fins de l’article 35 [CA], je prie la Commission de constater le manquement de la République française aux obligations que lui imposent les articles 4, [sous] b), [CA] et 86 [CA]. »

17
Il demandait également que soient ordonnées exactement les mêmes mesures que celles déjà demandées dans sa plainte datée du 9 février 2001 (point 14 ci-dessus).

18
Par lettre du 10 juillet 2001, que le conseil de la requérante indique avoir reçue le 19 juillet suivant, la Commission, sous la signature du directeur de la direction « Politique des entreprises et environnement, exploitation des ressources naturelles et industries particulières » de la direction générale « Entreprises », lui a adressé la réponse suivante :

« Dans votre lettre du 14 mai 2001, vous faites état, à titre subsidiaire, d’une discrimination contraire à l’article 4, [sous] b), [CA], dont Lormines serait la victime. Cet aspect a été examiné par mes services, compétents en la matière. Or, il s’avère que l’article 4, [sous] b), [CA] concerne uniquement les ventes de produits CECA. L’application de la règle générale de non-discrimination a été précisée dans l’article 60 [CA] (prix de vente) et l’article 70 [CA] (frais de transport). Les charges spéciales suite à la renonciation par les sociétés exploitantes aux concessions minières ne tombent dès lors pas sous le champ d’application de l’article 4, [sous] b), [CA].

Pour les autres aspects de votre plainte, je me réfère à la réponse de la direction générale de la concurrence, reprise dans sa lettre du 30 mars 2001. »


Procédure et conclusions des parties

19
Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 9 mai 2001 et le 31 juillet 2001, enregistrées respectivement sous les numéros T-107/01 et T-175/01, la requérante a formé les présents recours.

20
Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 19 juin 2001, la partie défenderesse a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal dans le cadre de l’affaire T‑107/01. Par ordonnance du Tribunal du 11 octobre 2001, l’exception a été jointe au fond et les dépens ont été réservés.

21
Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 12 octobre 2001, la partie défenderesse a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure dans le cadre de l’affaire T‑175/01. Par ordonnance du Tribunal du 12 mars 2002, l’exception a été jointe au fond et les dépens ont été réservés.

22
Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 29 mai 2002, enregistré sous les numéros T-107/01 R et T-175/01 R, la requérante a introduit une demande de mesures provisoires. Cette demande a été rejetée par ordonnance du président du Tribunal du 11 juillet 2002, Lormines/Commission (T‑107/01 R et T‑175/01 R, Rec. p. II-3193), et les dépens ont été réservés.

23
Par ordonnance du président de la quatrième chambre du Tribunal du 15 novembre 2002, les affaires T‑107/01 et T‑175/01 ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt, conformément à l’article 50 du règlement de procédure.

24
Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a invité la défenderesse à répondre à une question écrite. Il a été déféré à cette demande dans le délai imparti.

25
Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 18 février 2004.

26
Dans l’affaire T-107/01, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

déclarer le recours recevable ;

annuler, à titre principal et sur le fondement de l’article 35 CA, la décision implicite de la Commission du 21 avril 2001, par laquelle cette dernière a refusé de faire droit à sa plainte du 21 février 2001 ;

annuler, à titre subsidiaire et alternativement, sur le fondement de l’article 33 CA, la décision de la Commission du 30 mars 2001, par laquelle cette dernière a refusé de faire droit à la même plainte ; 

condamner la Commission aux dépens.

27
Dans l’affaire T-107/01, la défenderesse conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

déclarer le recours irrecevable ;

à titre subsidiaire, déclarer non fondé et rejeter le recours principal et déclarer qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire et alternatif ;

condamner la requérante aux dépens.

28
Dans l’affaire T-175/01, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

déclarer le recours recevable ;

annuler, sur le fondement de l’article 35 CA, la décision implicite de la Commission du 9 juillet 2001 refusant de faire droit à la plainte du 9 mai 2001 ;

annuler, sur le fondement de l’article 33 CA, la décision explicite de la Commission du 10 juillet 2001 refusant de faire droit à ladite plainte ;

condamner la Commission aux dépens.

29
Dans la réplique, la requérante conclut, à titre subsidiaire, à ce qu’il plaise au Tribunal déclarer inexistante la décision de la Commission contenue dans son courrier du 10 juillet 2001.

30
Dans l’affaire T-175/01, la défenderesse conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

déclarer le recours irrecevable ;

à titre subsidiaire, déclarer non fondé et rejeter le recours ;

condamner la requérante aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé.


En droit

31
Dans les deux affaires, la Commission excipe de l’irrecevabilité des recours en carence et des recours en annulation sur la base de plusieurs moyens.

32
Il convient d’analyser le moyen tiré du fait que la requérante n’aurait pas la qualité pour agir sur le fondement des articles 33 CA et 35 CA, car elle ne serait pas une entreprise au sens de l’article 80 CA, cette question ayant un caractère préalable et étant commune aux conclusions en carence et en annulation.

Sur la qualité d’entreprise au sens de l’article 80 CA

Arguments des parties

33
La Commission soutient que la requérante n’est pas une entreprise au sens de l’article 80 CA, puisqu’elle n’exerçait aucune activité relevant du traité CECA, pas plus au moment du dépôt des présents recours qu’au moment où elle s’est adressée à la Commission, ni même au moment où les charges en question lui ont été imposées. Elle souligne que les éléments apportés par la requérante indiquent que son activité d’extraction de fer a pris fin le 31 juillet 1993 et qu’elle n’a plus d’effectifs depuis le 31 décembre 1999.

34
La requérante excipe de l’irrecevabilité du moyen de la Commission fondé sur l’absence de qualité d’entreprise au sens de l’article 80 CA, en vertu de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure. Elle fait valoir que ce moyen n’a été présenté que dans le mémoire en défense dans le cadre de l’affaire T-107/01, et non dans l’acte séparé par lequel a été soulevée l’exception d’irrecevabilité.

35
Elle ajoute que la Commission ne peut soulever ce moyen dès lors que la qualité pour agir d’une personne ne saurait plus être contestée lors de la procédure contentieuse, si elle a été admise par les institutions communautaires dans le cadre de la procédure administrative préalable (arrêts de la Cour du 8 octobre 1974, Union syndicale e.a./Conseil, 175/73, Rec. p. 917, et du Tribunal du 11 juillet 1996, Sinochem Heilongjiang/Conseil, T‑161/94, Rec. p. II-695, point 34).

36
Quant au fond sur cette question, la requérante fait valoir qu’elle est une entreprise au sens de l’article 80 CA et qu’elle a donc la qualité pour agir sur le fondement des articles 33 CA et 35 CA.

37
Elle estime que cette interprétation est la seule conforme à la lettre et à l’effet utile de traité CECA, qui doit couvrir l’ensemble du processus de production, de l’entrée à la sortie effective du marché du charbon et de l’acier, y compris la cessation de l’activité de production.

38
Elle souligne également que les charges qu’elle a dénoncées à la Commission lui ont été imposées par la République française en raison de son activité d’extraction de minerai de fer et de son maintien forcé en possession de plusieurs concessions de mines de fer. Elle considère qu’une entreprise au sens de l’article 80 CA, dont la renonciation à ses concessions de mines de fer est refusée par l’État, alors que seule l’acceptation de cette renonciation lui permettait de sortir du marché, doit bénéficier de la protection dudit traité.

39
Répondant lors de l’audience à la question de savoir comment les charges dont elle s’est plainte peuvent affecter sa situation concurrentielle si elle n’est plus en activité, la requérante a fait valoir que ces charges affectent sa situation antérieure à sa cessation d’activité, puisque, notamment, si elle avait pu les prévoir quand elle était encore en activité, peut-être n’aurait-elle pas repris d’autres concessions, comme elle l’a fait. Elle a ajouté à ce propos que les charges liées à la fermeture des mines auraient dû être prévisibles pendant son activité, de manière à faire l’objet de provisions et d’un traitement fiscal différent. En outre, elle a déclaré que, au moment de l’entrée en vigueur de la loi du 15 juillet 1994, elle possédait encore du minerai.

40
En outre, elle rappelle qu’il existe une réglementation communautaire des aides à la fermeture des entreprises sidérurgiques. Elle allègue que, de la même manière, les charges imposées lors de la cessation d’activité d’une entreprise de production de charbon ou de l’acier, comme en l’espèce, doivent être appréhendées au regard des dispositions du traité CECA, dès lors que les coûts de sortie du marché, comme tous les coûts directs et indirects, font partie de l’économie de l’entreprise.

41
Elle fait observer également que le Tribunal a déjà admis qu’une société, dont l’ouverture de la faillite avait entraîné la cessation d’activité avant l’introduction de son recours devant le juge communautaire, avait la qualité d’entreprise au sens des articles 33 CA, 35 CA et 80 CA (arrêt du Tribunal du 25 mars 1999, Forges de Clabecq/Commission, T‑37/97, Rec. p. II‑859).

42
À l’audience, la requérante a fait valoir que, dans le même sens, les arrêts de la Cour du 17 mai 1983, CECA/Ferriere Sant’Anna (168/82, Rec. p. 1681), et du 22 février 1990, Busseni (C‑221/88, Rec. p. I-495), ont accepté que la Haute Autorité puisse faire admettre des créances (résultant de prélèvements au titre des articles 49 CA et 50 CA ou d’amendes) au passif de la faillite de certaines entreprises ayant déjà cessé leur activité. La requérante soutient que, pour des raisons de cohérence, l’admission de ces créances au passif de la faillite de ces entreprises implique qu’une entreprise se trouvant dans sa situation puisse former un recours sur le fondement des articles 33 CA et 35 CA.

43
La requérante allègue encore que la Commission a reconnu que les mesures adoptées par un État envers une entreprise lors de la fermeture de ses mines de fer étaient soumises au respect du traité CECA, même après la cessation de l’activité d’extraction, puisque ces mesures se rattachent à l’exercice de l’activité économique couverte par ce traité. La Commission serait intervenue dans une telle situation au titre de l’article 95 CA (décision 96/269/CECA de la Commission, du 29 novembre 1995, relative à un projet d’aide de l’Autriche en faveur de Voest-Alpine Erzberg Gesellschaft mbH, JO 1996, L 94, p. 17). Cette décision concernerait des aides couvrant, en partie, une période postérieure à la sortie du marché des entreprises bénéficiaires.

44
La Commission répond qu’elle ne méconnaît pas l’arrêt de la Cour du 20 mars 1959, Nold/Haute Autorité (18/57, Rec. p. 89), dans lequel la qualité pour agir sur le fondement de l’article 33 CA d’une société en liquidation a été admise. Elle fait valoir que, toutefois, cette société poursuivait ses activités comme dans le passé, à la différence de la requérante, qui depuis plus de dix ans n’exerce plus aucune activité susceptible d’avoir une incidence sur le marché des produits relevant du traité CECA.

45
La Commission fait encore valoir que l’argument de la requérante tiré de l’existence des aides à la fermeture des entreprises sidérurgiques n’est pas fondé. Elle fait observer que le dernier code des aides à la sidérurgie (décision nº 2496/96/CECA de la Commission, du 18 décembre 1996, instituant des règles communautaires pour les aides à la sidérurgie, JO L 338, p. 42) ne vise que les aides aux entreprises qui sont encore en activité et qui cessent définitivement leur activité de production sidérurgique. Or, la situation prévalant dans la présente affaire ne serait pas celle d’une sortie effective du marché du charbon et de l’acier, mais une situation largement postérieure à la sortie de ce marché.

46
En ce qui concerne l’argument tiré par la requérante de l’arrêt Forges de Clabecq/Commission, point 41 supra, la défenderesse fait remarquer que, malgré le fait que l’entreprise en question avait fait faillite, le tribunal national avait décidé que son activité devait être poursuivie en vue de sa restructuration et de sa relance.

47
En ce qui concerne l’argument tiré de la décision 96/269, la défenderesse soutient que la situation de l’entreprise en question dans cette décision était fondamentalement différente de celle de la requérante. Dans cette décision, il était prévu que la mine de fer devait être fermée. Toutefois, l’entreprise produisait encore au moment de l’octroi de l’aide en cause.

48
En réponse au moyen de la requérante tiré de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, la Commission soutient qu’elle n’est pas tenue d’exposer tous ses moyens d’irrecevabilité dans l’exception d’irrecevabilité soulevée par acte séparé et qu’elle peut faire valoir d’autres moyens d’irrecevabilité dans son mémoire en défense. En tout état de cause, le Tribunal serait habilité à examiner d’office tout moyen d’ordre public.

Appréciation du Tribunal

49
Avant d’examiner le bien-fondé de la fin de non-recevoir soulevée par la Commission, le Tribunal estime nécessaire d’en apprécier la recevabilité. En effet, il convient de rappeler que la fin de non-recevoir en cause n’a été soulevée par la Commission que dans le mémoire en défense présenté dans l’affaire T‑107/01 ainsi que dans l’exception d’irrecevabilité introduite dans l’affaire T‑175/01.

50
En ce qui concerne l’affirmation de la requérante selon laquelle la qualité pour agir d’une personne ne saurait plus être contestée dans le cadre de la procédure contentieuse si elle a été admise par les institutions communautaires dans le cadre de la procédure administrative préalable, il convient de relever que les arrêts Union syndicale e.a./Conseil et Sinochem Heilongjiang/Conseil, point 35 supra, invoqués à l’appui de cette affirmation sont dépourvus de toute pertinence. À cet égard, il y a lieu de constater que les circonstances de l’espèce sont différentes de celles ayant donné lieu à ces arrêts. En effet, l’arrêt Union syndicale e.a./Conseil concernait la question de la compétence de la Cour pour connaître d’un recours direct introduit par une association professionnelle dans le cadre de l’article 91 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes. Dans l’affaire Sinochem Heilongjiang/Conseil, il ne s’agissait pas non plus de savoir si la défenderesse pouvait encore exciper d’un moyen d’irrecevabilité au stade de la procédure contentieuse, mais de savoir si la requérante avait la qualité de personne morale au sens de l’article 230 CE, étant donné qu’elle avait été traitée par les institutions communautaires comme une entité juridique indépendante lors de la procédure administrative.

51
En ce qui concerne le moyen de la requérante selon lequel l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure interdisait à la Commission de soulever l’absence de la qualité d’entreprise au sens de l’article 80 CA dans le mémoire en défense présenté dans l’affaire T-107/01, faute de l’avoir soulevée dans l’exception d’irrecevabilité, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 113 du règlement de procédure, le Tribunal peut d’office, à tout moment, examiner les fins de non-recevoir d’ordre public au rang desquelles figure, selon la jurisprudence, la compétence du juge communautaire pour connaître du recours (arrêts de la Cour du 18 mars 1980, Valsabbia e.a./Commission, 154/78, 205/78, 206/78, 226/78 à 228/78, 263/78 et 264/78, 31/79, 39/79, 83/79 et 85/79, Rec. p. 907, point 7, et du Tribunal du 17 juin 1998, Svenska Journalistförbundet/Conseil, T-174/95, Rec. p. II-2289, point 80). Le contrôle du Tribunal n’est donc pas limité aux fins de non-recevoir soulevées par les parties (ordonnance du Tribunal du 10 juillet 2002, Comitato organizzatore del convegno internazionale/Commission, T-387/00, Rec. p. II-3031, point 36).

52
En l’espèce, la fin de non-recevoir soulevée par la Commission soulève une question d’ordre public, dans la mesure où elle concerne la qualité pour agir de la requérante ainsi que son accès aux voies de recours, et, conformément à la jurisprudence susmentionnée, elle peut donc faire l’objet d’un examen d’office de la part du Tribunal (arrêt du Tribunal du 24 octobre 1997, EISA/Commission, T‑239/94, Rec. p. II-1839, point 27).

53
S’agissant du bien-fondé de cette exception d’irrecevabilité, il convient de constater que l’article 33, deuxième alinéa, CA dispose que les « entreprises ou les associations visées à l’article 48 [CA] » peuvent former, dans les mêmes conditions que celles prévues en son premier alinéa, un recours en annulation contre les décisions et recommandations individuelles les concernant ou contre les décisions et recommandations générales qu’elles estiment entachées de détournement de pouvoir à leur égard. Selon une jurisprudence constante, l’énumération dans cet article des sujets de droit habilités à former un recours en annulation est limitative, de sorte que les sujets qui n’y sont pas mentionnés ne peuvent valablement former un tel recours (arrêts de la Cour du 11 juillet 1984, Commune de Differdange e.a./Commission, 222/83, Rec. p. 2889, point 8, et du Tribunal du 8 juillet 2003, Verband der freien Rohrwerke e.a./Commission, T‑374/00, non encore publié au Recueil, point 33).

54
Il convient également de relever que, en vertu des articles 80 CA et 81 CA, seules les entreprises exerçant une activité de production dans le domaine du charbon et de l’acier sont soumises aux règles du traité CECA et que, à cet égard, seuls les produits énumérés à l’annexe I CA sont couverts par les expressions « charbon » et « acier » (arrêt de la Cour du 28 janvier 2003, Allemagne/Commission, C‑334/99, Rec. p. I-1139, point 77).

55
Le recours en carence, en vertu de l’article 35 CA, n’est également recevable que si la requérante possède la qualité d’entreprise, au sens de l’article 80 CA (arrêt de la Cour du 14 juillet 1961, Vloeberghs/Haute Autorité, 9/60 et 12/60, Rec. p. 391, 422).

56
Il résulte, certes, de la jurisprudence de la Cour qu’il n’est pas exigé que la requérante possède cette qualité au moment de l’introduction du recours (arrêt de la Cour du 10 janvier 2002, Plant e.a./Commission et South Wales Small Mines, C‑480/99 P, Rec. p. I-265, point 44).

57
Dans cet arrêt, la Cour a rejeté un moyen de la Commission tiré de l’irrecevabilité du recours formé par des entreprises exploitantes de mines et fondé sur le fait qu’elles n’avaient pas apporté la preuve qu’elles exerçaient encore l’activité de production de charbon au moment de l’introduction de leur recours devant le juge communautaire (points 37 et 44).

58
La Cour a souligné qu’il n’était pas contesté que les requérants avaient la qualité d’entreprise, au sens de l’article 80 CA, au moment des agissements dénoncés dans leur plainte rejetée par la Commission et elle a jugé que « [l]e fait qu’ils ont perdu cette qualité par la suite ne saurait leur faire perdre l’intérêt de voir constater une infraction aux règles de concurrence dont ils ont subi les conséquences lorsqu’ils avaient cette qualité et à l’égard de laquelle ils étaient en droit de déposer une plainte » (point 44).

59
En l’espèce, il est constant que la requérante a cessé ses activités de production en juillet 1993.

60
En outre, ses plaintes du 9 février 2001 et du 9 mai 2001 auprès de la Commission, qui sont à l’origine des présentes affaires, concernent des charges qui, ayant été créées par les lois françaises 94-588, du 15 juillet 1994, et 99-245, du 30 mars 1999, n’existaient pas au moment de la cessation des activités de production de la requérante.

61
Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que la requérante ne peut être considérée comme une entreprise au sens de l’article 80 CA, le seul fait qu’elle possédait encore du minerai lors de l’entrée en vigueur de la loi du 15 juillet 1994 n’étant pas de nature à infirmer cette conclusion.

62
En outre, étant donné que les charges dont se plaint la requérante résultent de dispositions qui sont postérieures à la cessation de son activité minière, la requérante n’a pas subi les conséquences des prétendues infractions au traité CECA lorsqu’elle avait encore la qualité d’entreprise au sens de l’article 80 CA. Partant, les agissements dénoncés dans ses plaintes n’ont eu aucun effet sur le marché communautaire du charbon et de l’acier.

63
La constatation du défaut de la qualité d’entreprise, au sens de l’article 80 CA, de la requérante n’est pas remise en cause par les autres arguments de celle-ci.

64
En ce qui concerne les arguments de la requérante fondés sur le fait que le traité CECA doit couvrir l’ensemble du processus de production, ainsi que sur le lien économique entre les charges dont elle s’est plainte et son activité antérieure, il y a lieu de considérer qu’aucun de ces arguments ne remet en cause le fait que la requérante, contrairement à ce qui est exigé par l’article 80 CA, n’exerçait pas une activité de production dans le domaine du charbon et de l’acier au moment des agissements dénoncés dans ses plaintes ni au moment où elle s’est adressée à la Commission pour se plaindre des charges imposées par la République française. En outre, il ne s’agit pas d’infractions dont la requérante aurait subi les conséquences lorsqu’elle avait encore la qualité d’entreprise au sens de l’article 80 CA.

65
Il n’y a pas non plus lieu de retenir l’argumentation de la requérante selon laquelle la protection juridictionnelle qu’offre le traité CECA devrait bénéficier à l’entreprise jusqu’à sa sortie effective du marché. Ainsi qu’il a été rappelé à de multiples reprises par les juridictions communautaires, il n’appartient pas à ces dernières de déroger au système judiciaire aménagé par les traités (voir, spécifiquement en ce qui concerne les voies de recours prévues par le traité CECA, arrêt de la Cour du 4 juillet 1963, Schlieker/Haute Autorité, 12/63, Rec. p. 173, 186, et arrêt Verband der freien Rohrwerke e.a./Commission, point 53 supra, point 38).

66
En effet, si les conditions d’ouverture d’une action devant le juge communautaire doivent être interprétées à la lumière du principe de protection juridictionnelle effective, une telle interprétation ne saurait aboutir à écarter une condition expressément prévue par le traité CECA sans excéder les compétences attribuées par celui-ci aux juridictions communautaires (ordonnance de la Cour du 28 mars 2003, Diputación Foral de Alava e.a./Commission, C‑75/02 P, Rec. p. I-2903, point 34).

67
Les arguments de la requérante tirés de la protection juridictionnelle du traité CECA pour l’ensemble du processus de production, de l’entrée à la sortie effective du marché, à savoir jusqu’à la disparition de l’entreprise, ne sauraient non plus être justifiés par l’existence d’une réglementation communautaire des aides à la fermeture des entreprises sidérurgiques. En effet, c’est à bon droit que la Commission souligne que le dernier code des aides à la sidérurgie (décision n° 2496/96) s’adresse aux entreprises qui sont encore en activité. En effet, l’article 4, paragraphe 2, de ladite décision prévoit que « [l]es aides en faveur des entreprises qui cessent définitivement leur activité de production sidérurgique CECA peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun, à condition […] qu’elles aient fabriqué régulièrement des produits sidérurgiques CECA jusqu’à la date de notification de l’aide concernée conformément à l’article 6 […] ». Il ressort des considérants de cette décision que l’objectif de l’autorisation de ces aides est d’« encourager la fermeture partielle d’installations ou [de] financer la cessation définitive de toute activité CECA des entreprises les moins compétitives ».

68
Quant à l’argument de la requérante selon lequel le Tribunal a admis la qualité d’entreprise au sens de l’article 80 CA à une entreprise en faillite dans l’arrêt Forges de Clabecq/Commission, point 41 supra, il y a lieu de relever que l’arrêt en question concernait une entreprise sidérurgique qui, lorsque la Commission a adopté la décision concernant des aides en sa faveur, faisait l’objet d’une tentative de relance dans le but d’éviter sa faillite et de lui permettre de poursuivre son activité. En outre, la décision de la Commission dans cette affaire, en date du 18 décembre 1996, était antérieure à la faillite sur aveu, déclarée par un jugement du tribunal de commerce compétent en date du 3 janvier 1997 (points 6 à 11, 18 et 19 du même arrêt). Or, cette situation est radicalement différente de celle prévalant dans la présente espèce.

69
En ce qui concerne les arguments de la requérante tirés des arrêts CECA/Ferriere Sant’Anna et Busseni, point 42 supra, il suffit de relever que, dans ces affaires, il s’agissait de savoir si des créances de la Haute Autorité pouvaient ou non être inscrites en tant que créances privilégiées au passif de la faillite de certaines entreprises. Partant, il convient de souligner que ces arrêts portent sur une question étrangère à celle qui est en discussion en l’espèce et que la requérante n’a pas établi en quoi le fait que de telles créances puissent être admises au passif de la faillite d’une entreprise, au sens de l’article 80 CA, implique qu’elle puisse valablement introduire un recours en annulation. En outre, il y a lieu d’observer que les créances en cause correspondaient à des obligations pécuniaires des entreprises envers la Haute autorité, liées à leur activité.

70
Enfin, pour ce qui est de la décision 96/269, il y a lieu de constater qu’elle a autorisé des aides en faveur d’une entreprise qui, contrairement à la requérante, était encore en activité au moment où la Commission a pris sa décision (voir point II de cette décision).

71
Dans ces circonstances, les arguments de la requérante tendant à ce qu’elle soit considérée comme une entreprise au sens de l’article 80 CA doivent être rejetés.

72
Il résulte de tout ce qui précède que les recours de la requérante doivent être rejetés comme irrecevables.


Sur les dépens

73
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé, conformément aux conclusions de la défenderesse.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)
Les recours sont rejetés comme irrecevables.

2)
La requérante est condamnée aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

Legal

Tiili

Vilaras

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 juillet 2004.

Le greffier

Le président

H. Jung

H. Legal


1
Langue de procédure : le français.