Language of document : ECLI:EU:T:2001:117

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

5 avril 2001 (1)

«Concurrence - CECA - Accord d'échange d'informations - Notification - Décision de la Commission s'écartant du contenu de l'accord - Motivation»

Dans l'affaire T-16/98,

Wirtschaftsvereinigung Stahl, établie à Düsseldorf (Allemagne),

AG der Dillinger Hüttenwerke, établie à Dillingen (Allemagne),

EKO Stahl GmbH, établie à Eisenhüttenstadt (Allemagne),

Krupp Thyssen Nirosta GmbH, établie à Bochum (Allemagne),

Thyssen Krupp Stahl GmbH, établie à Duisbourg (Allemagne),

Salzgitter AG (anciennement Preussag Stahl AG), établie à Salzgitter (Allemagne),

Stahlwerke Bremen GmbH, établie à Brême (Allemagne),

Thyssen Stahl AG, établie à Duisbourg,

représentées par Me J. Sedemund, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. K. Wiedner, en qualité d'agent, assisté de Me H.-J. Freund, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 98/4/CECA de la Commission, du 26 novembre 1997, relative à une procédure d'application de l'article 65 du traité CECA (Affaire IV/36.069 - Wirtschaftsvereinigung Stahl) (JO 1998, L 1, p. 10),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. J. Azizi, président, K. Lenaerts et M. Jaeger, juges,

greffier: M. G. Herzig, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 5 octobre 2000,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Le 28 mai 1996, la Wirtschaftsvereinigung Stahl, association professionnelle de la sidérurgie allemande, et seize de ses membres ont notifié à la Commission un accord sur un système d'échange d'informations.

2.
    Le 8 juillet 1996, la Commission a adressé une mise en garde à l'association. Compte tenu du caractère extrêmement succinct de la notification et à la suite d'une réunion tenue avec les parties le 31 juillet 1996, la Commission leur a envoyé une demande d'informations en vertu de l'article 47 du traité CECA. Le 24 septembre 1996, les requérantes ont répondu à cette demande.

3.
    Le 14 mars 1997, la Commission a adressé une communication des griefs aux parties. Le 29 avril 1997, les requérantes ont présenté leurs observations à cet égard.

4.
    Le 26 novembre 1997, la Commission a adopté la décision 98/4/CECA relative à une procédure d'application de l'article 65 du traité CECA (Affaire IV/36.069 - Wirtschaftsvereinigung Stahl) (JO 1998, L 1, p. 10, ci-après la «décision attaquée») dont le dispositif se lit comme suit:

«Article premier

L'accord d'échange d'informations tel qu'il a été notifié le 28 mai 1996 constitue une infraction à l'article 65 du traité CECA dans la mesure où il comporte l'échange des questionnaires 2-71, 2-73 et 2-74 pour les produits plats, les poutrelles, les palplanches, le matériel de voie et le fil machine en acier inoxydable.

Article 2

L'accord d'échange d'informations notifié le 28 mai 1996 ne remplit pas les conditions d'autorisation au titre de l'article 65, paragraphe 2, du traité.

Article 3

La Wirtschaftsvereinigung Stahl et les seize entreprises notifiantes s'abstiennent de mettre en oeuvre l'échange notifié.»

5.
    La décision attaquée a été notifiée à chacune des requérantes entre le 10 et le 15 décembre 1997.

6.
    Sous le titre «Nature des informations», le considérant 13 de la décision attaquée est libellé comme suit:

«L'échange porte sur les questionnaires 2-71 à 2-74 CECA et sur les parts de marchés des producteurs en Allemagne. Ces questionnaires, établis par la Commission, lui sont communiqués en vertu de l'article 47 du traité afin de lui permettre de 's'acquitter des tâches qui lui incombent en vertu de l'article 3 du traité CECA‘. Les entreprises notifiantes ont décidé d'échanger:

-    les parts de marché détenues pour chacun des produits par les producteurs sur le marché allemand et dans la Communauté,

-    des données sur les livraisons de chaque producteur pour les différents produits CECA dans chacun des États membres (questionnaire 2-71), toutes qualités confondues,

-    des données sur les livraisons de chaque producteur pour les différents produits CECA dans certains États tiers et par zone géographique (questionnaire 2-72),

-    les livraisons d'acier sur le marché national par produit selon les qualités et par secteur consommateur (questionnaire 2-73),

-    les livraisons de certaines qualités d'acier par produit dans chacun des États membres (questionnaire 2-74).

L'échange concerne donc exclusivement les données relatives aux livraisons et aux parts de marché.»

Procédure et conclusions des parties

7.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 janvier 1998, les requérantes ont introduit le présent recours en annulation.

8.
    Par ordonnance du Tribunal (troisième chambre) du 6 octobre 1999, la demande des requérantes visant à obtenir l'accès à certaines pièces du dossier administratif déposé par la Commission au greffe du Tribunal en vertu de l'article 23 du statut CECA de la Cour de justice a été rejetée.

9.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale.

10.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 5 octobre 2000.

11.
    Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision attaquée;

-    condamner la Commission aux dépens.

12.
    La défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme non fondé;

-    condamner les requérantes aux dépens.

En droit

13.
    Les requérantes invoquent sept moyens à l'appui de leur recours. Dans le cadre du premier moyen, elles formulent divers griefs contre l'objet et le dispositif de la décision attaquée. Le deuxième moyen est pris de l'inexactitude et de l'insuffisance des informations relatives à la structure des marchés concernés ainsi que d'une erreur d'appréciation. Le troisième moyen est tiré d'une définition erronée des différents marchés de produits. Le quatrième moyen est tiré de l'importance de la transparence du marché des biens de consommation. Le cinquième moyen est pris de la violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA. Le sixième moyen est tiré d'une violation de l'article 47, paragraphe 2, du traité CECA. Le septième moyen est tiré d'une violation de l'obligation de motivation.

Sur le premier moyen, concernant l'objet et le dispositif de la décision

Arguments des parties

14.
    Les requérantes font valoir, dans le cadre de la première branche de ce moyen, que la décision attaquée affirme, à tort, que l'accord d'échange d'informations notifié porte sur les parts de marché des producteurs en Allemagne. L'accord ne porterait que sur l'échange des deux questionnaires CECA 2-71 et 2-74 relatifs aux quantités livrées par les entreprises parties à l'accord durant le mois précédent. La procédure d'échange prévue ne ferait que rendre possible la détermination des parts de marché.

15.
    Les requérantes prennent acte de ce que la Commission admet que l'accord notifié ne concernait qu'indirectement les parts de marché en Allemagne et n'avait pas directement pour objet l'échange de ces informations. Elles ajoutent que, à elles seules, les données figurant dans les questionnaires 2-71 et 2-74 ne permettent pas de calculer les parts de marché, en l'absence des données des entreprises qui ne participent pas à l'échange et de données relatives aux importations.

16.
    Les requérantes soutiennent, dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen, que, dans la décision attaquée, la Commission s'est prononcée «ultra petita», dans la mesure où elle a apprécié l'échange des questionnaires CECA 2-71 à 2-74, alors que les entreprises n'avaient pas notifié l'échange des questionnaires 2-72 et 2-73.

17.
    Les requérantes ayant décrit, avec précision dans la notification, l'objet de la procédure d'échange d'informations envisagée, la Commission ne pourrait leur reprocher de ne pas avoir relevé dans la réponse du 29 avril 1997 à la communication des griefs que l'échange ne portait pas sur les questionnaires 2-72et 2-73. Il serait impensable que la Commission n'ait pas remarqué la divergence manifeste entre l'accord notifié et la description qu'elle en a faite, dans la communication des griefs. Au contraire, le mémoire en défense de la Commission montrerait que celle-ci a considéré qu'il lui est permis, dans le cadre d'une procédure de notification, d'interdire des comportements qui n'ont jamais fait l'objet d'un accord entre les entreprises concernées ou qui n'ont jamais été envisagés par celles-ci. Or, l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA n'autoriserait la Commission à interdire que des accords existants et non à agir d'office contre des accords fictifs qui ne lui ont jamais été notifiés.

18.
    Les requérantes critiquent, dans le cadre d'une troisième branche du premier moyen, le fait que l'article 1er de la décision attaquée interdit l'échange d'informations relatives au volume des livraisons de «fil machine en acier surfin/inoxydable» («Walzdraht aus Edelstahl»: la version française de la décision indique «acier inoxydable»; en revanche, le texte allemand de la décision indique «acier surfin») alors que cette dénomination ne correspond pas aux marchés de produits énumérés au considérant 32 de la décision attaquée, à savoir les marchés du fil machine en acier non allié, du fil machine en acier inoxydable et du fil machine en aciers alliés (autres que l'inoxydable). Elle relèvent que, selon le considérant 48 de la décision attaquée, l'échange d'informations prévu restreint la concurrence sur le marché du «fil machine en acier inoxydable» («Walzdraht aus nichtrostendem Stahl»), mais, selon le considérant 49 de la décision attaquée, il ne restreint pas la concurrence sur le marché du «fil machine (à l'exception du fil machine en acier inoxydable)» [«Walzdraht (nicht aus rostfreiem Stahl)»]. Comme le «fil machine en acier inoxydable» ne constituerait qu'une partie du groupe de produits «fil machine en acier surfin» («Walzdraht aus Edelstahl»), l'article 1er de la décision prononcerait une interdiction excédant les constatations faites aux considérants 48 et 49 de la décision attaquée, laquelle ne serait dès lors pas motivée à cet égard.

19.
    Les requérantes soulignent qu'il existe depuis longtemps, dans le secteur de l'acier, une terminologie couramment utilisée qui vise et décrit avec précision des gammes de produits déterminées et elles estiment que l'argumentation de la Commission selon laquelle le dispositif de la décision attaquée doit être interprété à la lueur de ses motifs a pour conséquence que, à cause de dénominations contradictoires, les entreprises concernées ne peuvent déterminer clairement quel comportement précis la Commission considère comme autorisé ou interdit.

20.
    La défenderesse soutient, en premier lieu, que, même s'il ne vise pas directement l'échange des parts de marché en Allemagne, l'accord d'échange d'informations notifié s'étend aux parts de marché car le questionnaire 2-71 permet de calculer la part de marché de chaque producteur d'acier en Allemagne en effectuant les étapes de calcul simples énoncées au considérant 15 de la décision attaquée, qui se lit comme suit:

«Les parts de marché sont calculées en rapportant les livraisons de chacun des producteurs au total des livraisons en Allemagne calculé comme suit:

            livraisons en Allemagne (questionnaire 2-71)

        +    livraisons intracommunautaires [statistiques du Statistisches Bundesamt]

        +    importations de pays tiers (idem)

        +/-    corrections statistiques

        _________________________________________________

        =    livraisons sur le marché allemand.»

21.
    La défenderesse précise que la décision attaquée n'affirme pas que les parts de marché peuvent être calculées grâce aux seules données des deux questionnaires mais qu'il faut en outre disposer des statistiques du Statistisches Bundesamt (SBA; Office fédéral de la statistique) citées au considérant 15 de la décision attaquée. Les requérantes auraient d'ailleurs elles-mêmes exposé dans leur réponse du 24 septembre 1996 à la demande d'informations de la Commission, que la procédure prévue permettrait de déterminer les parts de marché au moyen des informations échangées en vertu de l'accord notifié et des statistiques du SBA relatives aux importations de pays tiers et aux livraisons intracommunautaires.

22.
    La défenderesse objecte, en deuxième lieu, que l'interdiction de se prononcer «ultra petita» s'applique à la procédure judiciaire, mais non à la procédure administrative menée par la Commission, laquelle est habilitée à agir d'office.

23.
    La défenderesse ajoute que l'argument développé dans la réplique, selon lequel elle ne peut intervenir d'office que lorsque le comportement prohibé a été convenu ou envisagé par l'entreprise constitue un moyen nouveau, qui, conformément à l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, est irrecevable. En tout état de cause, le moyen serait inopérant car les requérantes ne seraient pas lésées par la décision attaquée, si elles n'étaient jamais convenues de l'échange du questionnaire 2-73 ni ne l'avaient jamais envisagé.

24.
    Par ailleurs, la défenderesse souligne que la question aurait pu être rapidement réglée si les requérantes avaient indiqué dans leur réponse du 29 avril 1997 à la communication des griefs que l'accord d'échange d'informations notifié ne portait que sur les questionnaires 2-71 et 2-74 et non pas sur les questionnaires 2-72 et 2-73.

25.
    La défenderesse fait valoir, en troisième lieu, que l'article 1er de la décision attaquée doit être interprété à la lumière des motifs qui le sous-tendent et que l'utilisation d'une dénomination ne figurant pas dans la nomenclature CECA («Walzdraht aus Edelstahl») explique pourquoi le produit visé doit être identifié en fonction de l'appréciation faite dans la décision attaquée des différents types de fil machine au regard du droit de la concurrence. Après lecture des considérants48 et 49 de la décision attaquée, il ne subsisterait aucun doute raisonnable quant au fait que la dénomination «Walzdraht aus Edelstahl» signifie «fil machine en acier inoxydable» («Walzdraht aus nichtrostendem Stahl»). Ce principe en vertu duquel le dispositif d'une décision doit être interprété à la lumière de ses considérants ne serait pas invalidé par l'existence d'une terminologie standard servant à délimiter les catégories de produits. En tout état de cause, il ne saurait être question d'une «erreur d'appréciation».

Appréciation du Tribunal

26.
    Dans le cadre des deux premières branches du premier moyen, les requérantes soutiennent, en substance, que la décision attaquée est entachée d'erreurs de fait en ce que son contenu diffère de l'objet de l'accord d'échange d'informations tel qu'il a été notifié le 28 mai 1996 par les requérantes. Elles font valoir, à cet égard, que la décision attaquée indique, notamment au considérant 13, d'une part, que l'accord d'échange d'informations notifié porte sur les «parts de marché des producteurs en Allemagne» alors qu'il ne concerne en réalité que l'échange des données relatives aux quantités livrées et, d'autre part, que l'accord comprend l'échange des questionnaires CECA 2-71 à 2-74 alors qu'il ne porte en réalité que sur les seuls deux questionnaires CECA 2-71 et 2-74.

27.
    S'agissant de la première branche du premier moyen, tirée de ce que la décision attaquée affirme à tort que l'accord d'échange d'informations notifié porte sur les «parts de marché», il convient de rappeler que le considérant 13 de la décision attaquée affirme effectivement que «[l]'échange porte sur les questionnaires 2-71 à 2-74 CECA et sur les parts de marché des producteurs en Allemagne» et que «[l]es entreprises notifiantes ont décidé d'échanger:

-    les parts de marché détenues pour chacun des produits par les producteurs sur le marché allemand et dans la Communauté,

[...]».

28.
    La Commission a admis que l'accord notifié ne porte pas directement sur l'échange des parts de marché, mais a fait valoir qu'il porte indirectement sur les parts de marché, dans la mesure où les informations échangées permettent, avec les statistiques du SBA, de calculer les parts de marché en effectuant les opérations mentionnées au considérant 15 de la décision attaquée. Les requérantes ont toutefois admis dans leur réponse du 24 septembre 1996 à la demande d'informations de la Commission, ainsi que dans leur requête, que les parts de marché en Allemagne pouvaient effectivement être calculées selon la formule indiquée au considérant 15 de la décision attaquée. Il convient cependant d'observer que ces parts de marché ne peuvent être calculées que de façon assezimprécise. En effet, outre la nécessité, d'ailleurs mentionnée au considérant 15 de la décision attaquée, de procéder à des corrections statistiques, les parties à l'accord ne disposent pas des données sur les livraisons en Allemagne effectuées par les producteurs allemands qui ne participent pas à l'accord. Or, il ressort du considérant 19 de la décision attaquée que les entreprises notifiantes représentent 94 % des livraisons des entreprises allemandes des produits plats et 27 % des livraisons des produit longs (dont 100 % pour les palplanches et 80 % pour le matériel de voie). Ne fournissant que les données de vente en Allemagne d'une partie seulement des producteurs allemands, l'accord d'échange d'informations notifié ne permet dès lors de calculer que de manière approximative les parts de marché des différents producteurs en Allemagne.

29.
    Il s'ensuit que, si l'affirmation, contenue notamment au considérant 13 de la décision attaquée, selon laquelle l'accord notifié porte sur les parts de marché des producteurs en Allemagne, n'est pas entachée, en soi, d'une erreur substantielle de nature à affecter la légalité de la décision attaquée, dans la mesure où, selon l'aveu des requérantes elles-mêmes durant la procédure administrative, ledit accord, même s'il n'a pas pour objet direct l'échange des parts de marché, permet de déterminer celles-ci, il convient cependant d'observer que l'affirmation de la Commission ne correspond pas exactement à la teneur de l'accord notifié en ce que les informations sur les parts de marché ne sont que d'une précision relative. Or, en opposition à l'argument des requérantes selon lequel l'accord notifié se limite à la communication de données sur les quantités et ne concerne pas les prix ou les comportements futurs, la Commission a indiqué, à juste titre, au considérant 52 de la décision attaquée, que l'observation du comportement des concurrents et de leurs résultats passés est à l'origine de tous les effets restrictifs de l'accord, car «plus les informations sur les quantités vendues et les parts de marché sont précises et récentes, plus leur effet sur le comportement à venir des entreprises sur le marché est grand».

30.
    Toutefois si cette erreur ou, à tout le moins, cette imprécision de l'affirmation selon laquelle l'accord notifié porte sur les parts de marchés ne saurait conduire, à elle seule, à l'annulation de la décision attaquée, il conviendra d'examiner si, jointe à d'autres, elle est susceptible d'avoir eu une incidence. Elle sera donc appréciée conjointement avec l'examen de la seconde branche du premier moyen.

31.
    S'agissant de cette seconde branche relative aux questionnaires CECA, il ressort de la notification effectuée par les requérantes que l'accord d'échange d'informations ne portait que sur les deux questionnaires CECA 2-71 «et» 2-74 et non pas sur les questionnaires 2-71 «à» 2-74. Ainsi que la Commission l'a expressément admis à l'audience, la décision attaquée contient dès lors une erreur de fait dans la mesure où il y est indiqué que l'échange des questionnaires 2-72 et 2-73 faisait partie de l'accord notifié. La Commission a, en outre, admis à l'audience n'avoir aucune preuve que le questionnaire 2-73 aurait été échangé etn'a même jamais soutenu qu'un tel échange aurait été pratiqué même si l'accord notifié ne le prévoyait pas.

32.
    Certes, ainsi que la Commission l'a soutenu à juste titre, l'absence de notification d'un accord ne saurait l'empêcher d'en examiner la légalité, la Commission étant habilitée à agir d'office en vue d'assurer le respect des règles de concurrence.

33.
    Toutefois, la Commission est tenue dans cet examen de la légalité d'un accord de tenir compte du contexte juridique et factuel existant et, en particulier, de se fonder sur les dispositions précises dudit accord.

34.
    Il convient donc d'apprécier l'incidence de cette erreur sur la légalité de la décision attaquée.

35.
    Il y a lieu, d'abord, de constater que l'erreur de fait commise à propos du questionnaire 2-72 est dépourvue de conséquence dans la mesure où il est indiqué au considérant 50 de la décision attaquée que la Commission ne retient pas de grief à l'encontre de l'échange de ce questionnaire.

36.
    Il ressort des considérants 13 et 16 de la décision attaquée que le questionnaire 2-71 fournit des données sur les livraisons de chaque producteur pour les différents produits CECA dans chacun des États membres, toutes qualités confondues, et que le questionnaire 2-74 mentionne les livraisons de certaines qualités d'acier par produit, tandis que le questionnaire 2-73 indique les livraisons d'acier sur le marché national, par produit, selon les qualités et par secteur consommateur, 28 secteurs consommateurs différents étant distingués.

37.
    Les données résultant du questionnaire 2-73 sont donc beaucoup plus détaillées et précises que celles découlant des questionnaires 2-71 et 2-74, notamment en ce que le questionnaire 2-73 révèle une ventilation des ventes par secteur consommateur.

38.
    Dans la partie de la décision attaquée relative à l'appréciation juridique, la Commission a, d'abord, rappelé, aux considérants 38 à 41, qu'elle avait déjà décidé dans l'affaire UK Tractors [décision 92/157/CEE, du 17 février 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/31.370 et 31.446 - UK Agricultural Tractor Registration Exchange) (JO L 68, p. 19)] qu'un «accord d'échange d'informations sensibles, récentes et individualisées sur un marché concentré où existent d'importantes barrières à l'entrée est susceptible de restreindre la concurrence» et que, selon elle, cette position avait été confirmée par le Tribunal qui a jugé, dans ses arrêts du 27 octobre 1994, Fiatagri et New Holland Ford/Commission (T-34/92, Rec. p. II-905) et John Deere/Commission (T-35/92, Rec. p. II-957), que «la généralisation entre les principaux offreurs d'un échange d'informations précises et selon une périodicité rapprochée concernant l'identification des véhicules immatriculés et le lieu de leur immatriculation est de nature sur un marché oligopolistique [...] à altérer la concurrence», car il a «pour effet de révéler périodiquement à l'ensemble des concurrents les positions sur lemarché et les stratégies des différents concurrents». Au considérant 52 de la décision attaquée, la Commission a encore ajouté que «plus les informations sur les quantités vendues sont précises et récentes, plus leur effet sur le comportement à venir des entreprises sur le marché est grand».

39.
    Il ressort de ces extraits de la décision attaquée que la Commission est d'avis que le caractère «sensible» des informations est un élément fondamental dans l'appréciation du caractère restrictif d'un accord d'échange d'informations, de même que la circonstance qu'il révèle non seulement la position sur le marché, mais également les «stratégies» des différents concurrents.

40.
    Examinant les effets restrictifs de l'accord notifié, la Commission a estimé aux considérants 42 et 43 de la décision attaquée que les questionnaires 2-73 et 2-74 sont «indissociablement liés» au questionnaire 2-71 et que ce dernier, «combiné avec les questionnaires 2-73 et 2-74, dévoile la stratégie de chaque entreprise dans chaque État membre pour les différents produits (45 produits, 8 qualités) et plus précisément sur le marché allemand (28 secteurs consommateurs différents)». La Commission en a conclu, au considérant 48, au considérant 60 et à l'article 1er du dispositif de la décision attaquée, que l'accord d'échange d'informations tel qu'il a été notifié constitue une infraction à l'article 65 du traité CECA dans la mesure où il comporte l'échange des questionnaires 2-71, 2-73 et 2-74.

41.
    Force est donc de constater que c'est dans la mesure où l'accord notifié comporte l'échange du questionnaire 2-73, mis en relation avec les questionnaires 2-71 et 2-74, que la Commission a estimé qu'il est contraire à l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA.

42.
    Dès lors qu'il est constant que l'échange du questionnaire 2-73 ne fait pas partie de l'accord notifié, il s'ensuit que l'appréciation des effets anticoncurrentiels de l'accord notifié à laquelle il a été procédé dans la décision attaquée repose sur une erreur de fait.

43.
    Cette erreur de fait, jointe à celle constatée dans le cadre de la première branche, a, en outre, pu avoir une incidence substantielle sur l'appréciation de l'accord notifié portée par la Commission.

44.
    En effet, ainsi qu'il ressort tant de la jurisprudence que de la pratique décisionnelle de la Commission, les accords d'échange d'informations ne sont généralement pas prohibés de manière automatique mais seulement s'ils présentent certaines caractéristiques relatives, notamment, au caractère sensible et précis des données récentes échangées à des périodes rapprochées. Dans la décision attaquée, la Commission s'est expressément et quasi exclusivement référée à l'affaire UK Tractors, précitée, pour fonder sa position de principe quant au sort à réserver aux échanges d'informations dans un marché oligopolistique. Cette affaire concernait un échange d'informations extrêmement précises concernant l'identification desvéhicules immatriculés et le lieu de leur immatriculation et permettant l'identification de chacune des ventes réalisées par la concurrence sur le territoire d'un concessionnaire ainsi que celle des ventes réalisées par un concessionnaire à l'extérieur de son territoire, de surveiller l'activité des concessionnaires et d'identifier les importations et les exportations et donc de surveiller les importations parallèles. La Commission a précisé, au considérant 40 de la décision attaquée, que, dans l'affaire UK Tractors, précitée, l'échange d'informations avait pour effet de révéler les positions sur le marché et les stratégies des différents concurrents. Or, selon les considérants 42 et 43 de la décision attaquée, non seulement les questionnaires 2-71, 2-73 et 2-74 seraient indissociablement liés, mais c'est leur effet combiné qui dévoilerait la stratégie de chaque entreprise productrice active sur les marchés en cause.

45.
    Il appert ainsi que la Commission a fondé son appréciation sur l'effet combiné de l'échange des trois questionnaires 2-71, 2-73 et 2-74, de sorte que la circonstance que l'accord notifié ne prévoit pas l'échange du questionnaire 2-73, lequel fournit précisément les données les plus précises et détaillées et est, ainsi, de nature à dévoiler la stratégie des différents producteurs, a pour effet de vicier complètement l'analyse effectuée par la Commission dans la décision attaquée. Si la Commission avait tenu compte de la portée réelle de l'accord notifié, lequel est limité à des données sur les ventes des seules entreprises participantes, sans distinguer les différents secteurs consommateurs, et ne permet de calculer que de manière assez approximative les parts de marché, il n'est pas exclu que son évaluation aurait été différente et qu'elle aurait estimé que celui-ci n'était pas contraire à l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA.

46.
    Dès lors qu'il n'appartient pas au Tribunal, dans le cadre du contentieux de l'annulation, de substituer sa propre appréciation à celle de la Commission (voir notamment, arrêt du Tribunal du 22 octobre 1996, SNCF et British Railways/Commission, T-79/95 et T-80/95, Rec. p. II-1491, point 64), il convient d'annuler l'article 1er de la décision attaquée.

47.
    Les autres articles de la décision attaquée n'étant pas séparables de l'article 1er, il y a lieu d'annuler la décision attaquée dans sa totalité.

48.
    Cette conclusion ne saurait être remise en cause au motif, invoqué par la Commission lors de l'audience, que le moyen ainsi entendu est tardif au sens de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure.

49.
    En effet, d'une part, il convient de rappeler que dans le cadre de leur premier moyen, intitulé «L'objet de l'accord d'échange d'informations notifié et le contenu de la décision litigieuse», les requérantes ont exposé qu'elles n'avaient pas notifié l'échange des questionnaires 2-72 et 2-73 et ont fait valoir que «[c]ela constitue une erreur de fait de la part de la Commission qui n'est pas sans conséquence pour la décision attaquée», en précisant que, dans l'article 1er de la décision attaquée, la Commission considère que l'échange du questionnaire 2-73 constitue une infractionalors qu'il ne faisait pas l'objet de la notification. Les requérantes ont donc soulevé, dès la requête, le moyen tiré d'une erreur de fait consistant, notamment, en une définition erronée du contenu de l'accord notifié. Il convient d'ajouter que l'interdiction posée par l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure ne concerne que les moyens nouveaux et ne s'oppose pas à ce que les requérantes fassent valoir des arguments nouveaux à l'appui de moyens déjà contenus dans la requête (arrêt de la Cour du 10 mai 1960, Allemagne/Haute Autorité, 19/58, Rec. p. 469, 496).

50.
    D'autre part, force est de constater que, en raison de l'erreur de fait commise par la Commission, la conclusion selon laquelle l'accord notifié est contraire à l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA n'est plus supportée par aucune motivation, dès lors que la motivation contenue dans la décision attaquée vise un accord différent de l'accord notifié. Or, s'agissant d'une question d'ordre public, le défaut de motivation peut être soulevé à tout moment, voir d'office par le juge.

51.
    Il résulte de ce qui précède que la décision attaquée doit être annulée, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur la dernière branche de ce moyen et les autres moyens d'annulation présentés.

Sur les dépens

52.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie défenderesse ayant succombé et les requérantes ayant conclu à la condamnation de celle-ci, il y a lieu de condamner cette dernière à supporter ses propres dépens et ceux exposés par les requérantes.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision 98/4/CECA de la Commission, du 26 novembre 1997, relative à une procédure d'application de l'article 65 du traité CECA (Affaire IV/36.069 - Wirtschaftsvereinigung Stahl), est annulée.

2)    La Commission supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par les requérantes.

Azizi
Lenaerts
Jaeger

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 avril 2001.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Azizi


1: Langue de procédure: l'allemand.