Language of document : ECLI:EU:T:2002:277

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (troisième chambre)

20 novembre 2002 (1)

«Taxation des dépens»

Dans l'affaire T-171/00 DEP,

Peter Spruyt, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Arolo de Leggiuno (Italie), représenté par Me É. Boigelot, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Currall, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de taxation des dépens à rembourser par la partie défenderesse à la partie requérante à la suite de l'arrêt du Tribunal du 20 septembre 2001, Spruyt/Commission (T-171/00, RecFP p. I-A-187 et II-855),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. K. Lenaerts, président, J. Azizi et M. Jaeger, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur principal,

rend la présente

Ordonnance

Faits et procédure

1.
    Par décision du 13 septembre 1999 (ci-après la «décision attaquée»), la Commission a refusé à la partie requérante le bénéfice de l’application de l’article 73 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut») à la suite de l’accident de parapente dont celle-ci avait été victime en Italie le 9 mai 1999.

2.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 juin 2000, sous le numéro T-171/00, la partie requérante a introduit un recours en annulation contre la décision attaquée.

3.
    Par arrêt du 20 septembre 2001, Spruyt/Commission (T-171/00, RecFP p. I-A-187 et II-855), le Tribunal a annulé la décision attaquée et condamné la Commission, d’une part, à rembourser à la partie requérante les frais médicaux liés à son accident de parapente excédant ceux qui lui ont été remboursés en application de l’article 72 du statut, et augmentés d’intérêts moratoires au taux de 5,75 % à compter du 13 septembre 1999, et, d’autre part, à prendre en charge les incapacités temporaires totale et partielle ainsi que l’incapacité permanente partielle de la partie requérante, liées à cet accident, dans les conditions fixées par l’article 73 du statut et par la réglementation relative à la couverture des risques d’accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes. Le Tribunal a également condamné la Commission aux dépens.

4.
    Par lettre du 29 novembre 2001, l’avocat de la partie requérante a demandé à la Commission le remboursement d’une somme de 14 204,74 euros correspondant au montant de ses honoraires (12 625 euros) et des frais (1 579,74 euros) afférents à la présente affaire.

5.
    Par lettre du 7 février 2002, la Commission a rejeté cette demande. Elle n’a pas contesté la somme de 1 579,74 euros réclamée pour les frais. En revanche, elle a estimé que la somme de 12 625 euros correspondant aux honoraires d'avocat était excessive étant donné que, excepté la mise en cause de la légalité d’une disposition du statut, l’affaire ne présentait pas de difficulté particulière. Elle a dès lors fait une contre-proposition d'un montant global (honoraires et frais) de 8 079,74 euros.

6.
    Par lettre du 8 février 2002, l’avocat de la partie requérante a réitéré la demande qu'il avait formulée dans sa lettre du 29 novembre 2001.

7.
    Par acte déposé au greffe du Tribunal le 24 juillet 2002, la partie requérante a présenté, en application de l'article 92, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, une demande de taxation des dépens.

8.
    Par acte déposé au greffe du Tribunal le 23 septembre 2002, la Commission a présenté ses observations sur cette demande.

Conclusions des parties

9.
    La partie requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal fixer à 14 204,74 euros le montant des dépens dus par la Commission.

10.
    La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal:

.    rejeter la demande de la partie requérante;

.    fixer les dépens récupérables, frais inclus, à 8 079,74 euros.

Arguments des parties

11.
    La partie requérante allègue que la Commission ne saurait imposer un tarif à son avocat. Elle ajoute que les honoraires des avocats belges sont les moins élevés d’Europe et que le taux horaire de base pratiqué par son avocat est justifié au vu de sa spécialisation, de sa compétence, de son ancienneté et des honoraires habituellement réclamés par les avocats bruxellois travaillant dans des structures analogues à celle dont relève le sien.

12.
    La partie requérante soutient que les accords passés entre les institutions communautaires et les avocats qui les assistent dans les affaires relevant du contentieux de la fonction publique ne sont pas opposables à son avocat. Elle ajoute que ces accords correspondent généralement à une collaboration, le travail n’étant pas assumé exclusivement par l’avocat. Par ailleurs, étant assurés de traiter un certain volume d’affaires, les avocats assistant la Commission pourraient se permettre de pratiquer des tarifs moins élevés.

13.
    La partie requérante souligne le double effet négatif de l’approche de la Commission. Elle affirme, d’une part, que permettre à une institution communautaire de contester le montant des honoraires de l’avocat du requérant lorsqu’elle a été condamnée aux dépens reviendrait à contraindre les requérants à s’adresser à des avocats «moins chers» et, donc, moins expérimentés, ce qui constituerait une atteinte inadmissible aux droits de la défense. Elle soutient, d’autre part, que l’approche de la Commission comporte le risque qu’un avocat peu scrupuleux ne consacre pas au dossier tout le soin que le justiciable est légitimement en droit d’attendre de lui.

14.
    La partie requérante fait encore valoir que la présente affaire a porté sur une question de principe, non tranchée jusqu’ici et liée à un délicat problème d’assurance. Son avocat y aurait consacré plus de 50 heures de travail en dehors de la phase précontentieuse. L’expertise, l’expérience et les recherches de celui-ci auraient permis d’obtenir l’annulation de la décision attaquée. L’état d’honoraires qu’il a adressé à la Commission serait par conséquent justifié.

15.
    La Commission rétorque qu’elle ne prétend pas imposer un tarif à l’avocat de la partie requérante, mais uniquement contester le caractère raisonnable des dépens que celle-ci entend récupérer auprès d’elle dans le cadre de la présente affaire. Sa position serait conforme à la jurisprudence, en vertu de laquelle une partie ne saurait imposer à son adversaire condamné aux dépens les termes de l’éventuel accord passé avec son conseil ou un barème national. Au contraire, le juge communautaire serait tenu de fixer le montant des dépens récupérables de manière objective, selon ce qu’il estime raisonnable en fonction, notamment, de la difficulté de l’affaire, de la nature des questions de droit soulevées, de l’éventuelle nouveauté de celles-ci et de l’importance de l’enjeu financier (ordonnance de la Cour du 26 novembre 1985, Leeuwarder Papierwarenfabriek/ Commission, 318/82, Rec. p. 3727; ordonnance du Tribunal du 9 juin 1993, PPG Industries Glass/Commission, T-78/89 DEP, Rec. p. II-573).

16.
    Renvoyant au contenu de sa lettre du 7 février 2002, la Commission souligne deux éléments de nature à permettre de déterminer le niveau raisonnable des dépens récupérables dans une affaire telle que celle de l’espèce, à savoir, d’une part, le fait qu’elle est souvent assistée, dans ce type d’affaires, par des avocats spécialisés pratiquant des tarifs nettement inférieurs à celui dont le remboursement lui est réclamé en l’espèce et, d’autre part, le fait que, dans une récente affaire de fonction publique pourtant plus complexe que la présente affaire, le Tribunal a estimé, dans le cadre d’une demande d’assistance judiciaire gratuite, qu’une somme de 6 250 euros constituait un montant raisonnable.

17.
    La Commission ajoute que les affirmations de la partie requérante concernant les pratiques tarifaires des avocats bruxellois sont invérifiables. En tout état de cause, de telles affirmations seraient inopérantes, en ce qu’elles reviendraient à faire des barèmes et des pratiques du barreau bruxellois le critère de référence pour toute demande de taxation de dépens adressée au juge communautaire, alors que le seul critère pertinent serait le caractère raisonnable du montant réclamé au regard de la nature de l’affaire.

18.
    La Commission fait valoir que l’argumentation de la partie requérante mentionnée au point 13 ci-dessus n’est pas corroborée par la réalité, la jurisprudence en matière de taxation des dépens ne semblant en effet pas décourager les parties requérantes de consulter des avocats spécialisés, y compris dans le domaine du contentieux de la fonction publique. La Commission rappelle en outre l’avantage dont la partie requérante jouit en l’espèce, en sa qualité de fonctionnaire, en matière de dépens, en vertu de l’article 88 du règlement de procédure du Tribunal.

19.
    Enfin, la Commission dénonce le fait que c’est seulement dans la demande de taxation des dépens adressée au Tribunal que la partie requérante a pour la première fois fourni des précisions relatives au tarif horaire de son avocat et au nombre d’heures consacrées par celui-ci à la présente affaire.

20.
    La Commission ajoute qu’elle n’entend pas spécialement discuter le tarif horaire mentionné dans la demande visée au point précédent, bien que ce tarif lui semble relativement élevé. En revanche, elle considère que le nombre d’heures déclaré par l’avocat de la partie requérante est excessif au vu de l’expérience professionnelle dont se prévaut cet avocat, des enjeux et du degré de difficulté de l’affaire. Elle indique que son représentant n’a probablement pas consacré plus de 25 heures à ce dossier.

21.
    La Commission fait encore valoir que les deux derniers postes de la liste des prestations effectuées (examen de la décision du Tribunal; préparation d’un premier décompte de frais médicaux), figurant dans l’état d’honoraires et de frais joint à la lettre de l’avocat de la partie requérante du 29 novembre 2001, sont postérieurs à l’arrêt du Tribunal, de sorte qu’ils ne constituent pas des dépens récupérables.

Appréciation du Tribunal

22.
    Aux termes de l’article 91, sous b), du règlement de procédure, sont considérés comme dépens récupérables «les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure, notamment les frais de déplacement et de séjour et la rémunération d’un agent, d’un conseil ou d’un avocat». Il découle de cette disposition que les dépens récupérables sont limités, d’une part, à ceux exposés aux fins de la procédure devant le Tribunal et, d’autre part, à ceux qui ont été indispensables à ces fins (voir ordonnance du Tribunal du 24 janvier 2002, Groupe Origny/Commission, T-38/95 DEP, Rec. p. II-217, point 28).

23.
    Ne constituent donc pas des dépens récupérables les dépens se rapportant à la période postérieure à la procédure orale dans cette affaire, à savoir ceux liés, aux termes de l’état d’honoraires et de frais joint par l’avocat de la partie requérante à sa lettre du 29 novembre 2001, à l’examen de l’arrêt du Tribunal et à la préparation d’un premier décompte de frais médicaux.

24.
    S’agissant des dépens relatifs à la procédure devant le Tribunal, il convient de constater que la Commission ne conteste pas le montant de 1 579,74 euros correspondant aux frais (frais de secrétariat et de domiciliation, notamment) occasionnés à la partie requérante par la présente affaire. La contestation de la Commission porte sur le montant de 12 625 euros correspondant aux honoraires liés aux prestations de l’avocat de la partie requérante dans le cadre de cette affaire.

25.
    À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le juge communautaire n’est pas habilité à taxer les honoraires dus par les parties à leurs propres avocats, mais à déterminer le montant à concurrence duquel ces rémunérations peuvent être récupérées contre la partie condamnée aux dépens. En statuant sur la demande de taxation des dépens, il n’a pas à prendre en considération un tarif national fixant les honoraires des avocats ni un éventuel accord conclu à cet égard entre la partie intéressée et ses agents ou conseils (ordonnances du Tribunal du 8 novembre 1996, Stahlwerke Peine-Salzgitter/Commission, T-120/89 DEP, Rec. p. II-1547, point 27; du 15 juillet 1998, Opel Austria/Conseil, T-115/94 DEP, Rec. p. II-2739, point 27, et du 19 septembre 2001, UK Coal/Commission, T-64/99 DEP, Rec. p. II-2547, point 26).

26.
    Il est également de jurisprudence constante que, à défaut de dispositions communautaires de nature tarifaire, le Tribunal doit apprécier librement les données de la cause, en tenant compte de l’objet et de la nature du litige, de son importance sous l’angle du droit communautaire ainsi que des difficultés de la cause, de l’ampleur du travail que la procédure contentieuse a pu nécessiter de la part des agents ou conseils qui sont intervenus et des intérêts économiques que le litige a représentés pour les parties (ordonnances du Tribunal Groupe Origny/Commission, citée au point 22 ci-dessus, point 33, et du 9 septembre 2002, Pannella/Parlement, T-182/00 DEP, non publiée au Recueil, point 29).

27.
    C’est en fonction de ces critères qu’il convient d’apprécier le montant des dépens récupérables en l’espèce.

28.
    En ce qui concerne les difficultés de la cause et l’importance de l’affaire sous l’angle du droit communautaire, le Tribunal relève que le recours soulevait une question liée à l’assurance contre le risque d’accident. Bien que ne présentant pas un degré particulier de difficulté, ce recours a cependant conduit à l’invalidation de la disposition de la réglementation relative à la couverture des risques d’accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes, excluant de la couverture d’assurance les accidents liés à la pratique de sports réputés dangereux (voir arrêt Spruyt/Commission, cité au point 3 ci-dessus, points 64 à 84). L’affaire présente donc un intérêt dépassant le cadre du présent litige.

29.
    En ce qui concerne l’ampleur du travail lié à la procédure devant le Tribunal, il appartient au juge de tenir compte du nombre total d’heures de travail pouvant apparaître comme objectivement indispensables aux fins de cette procédure (ordonnance du Tribunal du 30 octobre 1998, Kaysersberg/Commission, T-290/94 DEP, Rec. p. II-4105, point 20). En l’espèce, les deux mémoires présentés par la partie requérante étaient d’un volume limité, de même que les mémoires de la Commission dont cette partie a dû prendre connaissance dans le cadre de la procédure écrite. En outre, il ne ressort pas de l’état d’honoraires dressé par l’avocat de la partie requérante que celui-ci ait effectué des prestations inhabituelles. Dans ces conditions, le montant d’environ 50 heures de travail allégué dans la demande de taxation des dépens apparaît excessif.

30.
    En ce qui concerne l’intérêt économique du litige pour la partie requérante, il convient de souligner que la décision attaquée privait cette dernière, d’une part, du remboursement des frais médicaux liés à son accident de parapente excédant ceux qui lui ont été remboursés en application de l’article 72 du statut et, d’autre part, de la prise en charge de ses incapacités temporaires totale et partielle ainsi que de son incapacité permanente partielle, estimée à 16 % (arrêt Spruyt/Commission, cité au point 3 ci-dessus, point 7). L’intérêt économique du litige n’était donc pas négligeable pour la partie requérante.

31.
    Au terme de l’analyse qui précède, il s’avère que la nature et l’intérêt du présent litige justifiaient des honoraires élevés, mais que le nombre d’heures de travail apparaît excessif. En outre, les dépens afférents à la phase postérieure à la procédure orale ne sont pas récupérables.

32.
    Ainsi, eu égard aux circonstances de l’espèce, il y a lieu de fixer le montant des dépens à rembourser à titre d’honoraires à 8 837,5 euros, auxquels s’ajoute le montant de 1 579,74 euros — non contesté par la Commission — correspondant aux frais exposés par la partie requérante dans le cadre de la procédure devant le Tribunal. Il sera donc fait une juste appréciation des honoraires et des frais récupérables par la partie requérante en fixant leur montant global à 10 417,24 euros.

33.
    Étant donné que le Tribunal, en fixant les dépens récupérables, a tenu compte de toutes les circonstances de l’affaire jusqu’au moment où il a statué, il n’y a pas lieu de statuer séparément sur les frais exposés par les parties aux fins de la présente procédure de taxation des dépens (ordonnance Groupe Origny/Commission, citée au point 22 ci-dessus, point 44).

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

ordonne:

Le montant des dépens récupérables par la partie requérante dans l affaire T-171/00 est fixé à 10 417,24 euros.

Fait à Luxembourg, le 20 novembre 2002.

Le greffier

Le président

H. Jung

K. Lenaerts


1: Langue de procédure: le français.