Language of document : ECLI:EU:C:2024:256

ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

21 mars 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Environnement – Politique de l’Union dans le domaine de l’eau – Directive 2000/60/CE – Objectifs environnementaux relatifs aux eaux de surface – Prévention de la détérioration de l’état de toutes les masses d’eau de surface – Annexe V, point 1.2.2 – Définitions des états écologiques “très bon”, “bon” et “moyen” en ce qui concerne les lacs – Critères d’évaluation de l’élément de qualité biologique “ichtyofaune” »

Dans l’affaire C‑671/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche), par décision du 20 octobre 2022, parvenue à la Cour le 25 octobre 2022, dans la procédure

T GmbH

contre

Bezirkshautpmannschaft Spittal an der Drau,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. F. Biltgen, président de chambre, M. J. Passer (rapporteur) et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour T GmbH, par Me V. Rastner, Rechtsanwältin,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch, Mme J. Schmoll et M. M. Kopetzki, en qualité d’agents,

–        pour l’Irlande, par Mme M. Browne, Chief State Solicitor, MM. A. Joyce, D. O’Reilly et M. Tierney, en qualité d’agents, assistés de M J. Doherty, SC, et de Mme E. McGrath, SC,

–        pour la Commission européenne, par M. C. Hermes et Mme E. Sanfrutos Cano, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 novembre 2023,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du point 1.2.2 de l’annexe V de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau (JO 2000, L 327, p. 1).

2        Cette demande a été introduite dans le cadre d’un litige opposant T GmbH à la Bezirkshauptmannschaft Spittal an der Drau (autorité administrative du district de Spittal an der Drau, Autriche) (ci-après l’« autorité administrative ») au sujet du refus de cette dernière d’octroyer à la requérante au principal l’autorisation de construire un hangar à bateaux sur un lac.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Le considérant 25 de la directive 2000/60 est libellé comme suit :

« Il y a lieu d’établir des définitions communes de l’état des eaux en termes qualitatifs et, lorsque cela est important aux fins de la protection de l’environnement, quantitatifs. Il convient de fixer des objectifs environnementaux de manière à garantir le bon état des eaux de surface et des eaux souterraines dans toute la Communauté et à éviter une détérioration de l’état des eaux au niveau communautaire. »

4        L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet », dispose :

« La présente directive a pour objet d’établir un cadre pour la protection des eaux intérieures de surface, des eaux de transition, des eaux côtières et des eaux souterraines, qui :

a)      prévienne toute dégradation supplémentaire, préserve et améliore l’état des écosystèmes aquatiques ainsi que, en ce qui concerne leurs besoins en eau, des écosystèmes terrestres et des zones humides qui en dépendent directement ;

[...] »

5        L’article 2 de ladite directive, intitulé « Définitions », prévoit :

« Aux fins de la présente directive, les définitions suivantes s’appliquent :

[...]

17)      “état d’une eau de surface” : l’expression générale de l’état d’une masse d’eau de surface, déterminé par la plus mauvaise valeur de son état écologique et de son état chimique ;

18)      “bon état d’une eau de surface” : l’état atteint par une masse d’eau de surface lorsque son état écologique et son état chimique sont au moins “bons” ;

[...]

21)      “état écologique” : l’expression de la qualité de la structure et du fonctionnement des écosystèmes aquatiques associés aux eaux de surface, classé conformément à l’annexe V ;

22)      “bon état écologique” : l’état d’une masse d’eau de surface, classé conformément à l’annexe V ;

[...] »

6        L’article 4 de la directive 2000/60, intitulé « Objectifs environnementaux », énonce :

« 1.      En rendant opérationnels les programmes de mesures prévus dans le plan de gestion du district hydrographique :

a)      pour ce qui concerne les eaux de surface

i)      les États membres mettent en œuvre les mesures nécessaires pour prévenir la détérioration de l’état de toutes les masses d’eau de surface, sous réserve de l’application des paragraphes 6 et 7 et sans préjudice du paragraphe 8 ;

ii)      les États membres protègent, améliorent et restaurent toutes les masses d’eau de surface, sous réserve de l’application du point iii) en ce qui concerne les masses d’eau artificielles et fortement modifiées afin de parvenir à un bon état des eaux de surface au plus tard quinze ans après la date d’entrée en vigueur de la présente directive, conformément aux dispositions de l’annexe V, sous réserve de l’application des reports déterminés conformément au paragraphe 4 et de l’application des paragraphes 5, 6 et 7 et sans préjudice du paragraphe 8 ;

[...] »

7        Le point 1.2 de l’annexe V de cette directive, intitulé « Définitions normatives des classifications de l’état écologique », dispose :

« Tableau 1.2. Définition générale pour les rivières, lacs, eaux de transition et eaux côtières

Le texte suivant donne une définition générale de la qualité écologique. Aux fins de la classification, les valeurs des éléments de qualité de l’état écologique de chaque catégorie d’eau de surface sont celles qui sont indiquées dans les tableaux 1.2.1 à 1.2.4 suivants.

Élément

Très bon état

Bon état

État moyen

En général

Pas ou très peu d’altérations anthropogéniques des valeurs des éléments de qualité physico-chimiques et hydromorphologiques applicables au type de masse d’eau de surface par rapport aux valeurs normalement associées à ce type dans des conditions non perturbées.

Les valeurs des éléments de qualité biologique pour la masse d’eau de surface correspondent à celles normalement associées à ce type dans des conditions non perturbées et n’indiquent pas ou très peu de distorsions.

Il s’agit des conditions et communautés caractéristiques.

Les valeurs des éléments de qualité biologiques applicables au type de masse d’eau de surface montre[nt] de faibles niveaux de distorsion résultant de l’activité humaine, mais ne s’écartent que légèrement de celles normalement associées à ce type de masse d’eau de surface dans des conditions non perturbées.

Les valeurs des éléments de qualité biologiques applicables au type de masse d’eau de surface s’écartent modérément de celles normalement associées à ce type de masse d’eau de surface dans des conditions non perturbées. Les valeurs montrent des signes modérés de distorsion résultant de l’activité humaine et sont sensiblement plus perturbées que dans des conditions de bonne qualité.


Les eaux atteignant un état inférieur à l’état moyen sont classées comme médiocres ou mauvaises.

Les eaux montrant des signes d’altérations importantes des valeurs des éléments de qualité biologiques applicables au type de masse d’eau de surface et dans lesquelles les communautés biologiques pertinentes s’écartent sensiblement de celles normalement associées au type de masse d’eau de surface dans des conditions non perturbées sont classées comme médiocres.

Les eaux montrant des signes d’altérations graves des valeurs des éléments de qualité biologiques applicables au type de masse d’eau de surface et dans lesquelles font défaut des parties importantes des communautés biologiques pertinentes normalement associées au type de masse d’eau de surface dans des conditions non perturbées sont classées comme mauvaises. 

[...]

1.2.2. Définitions des états écologiques “très bon”, “bon” et “moyen” en ce qui concerne les lacs

Éléments de qualité biologique

Élément

Très bon état

Bon état

État moyen

[...]

[...]

[...]

[...]

Ichtyofaune

La composition et l’abondance des espèces correspondent totalement ou presque totalement aux conditions non perturbées.

Toutes les espèces caractéristiques sensibles aux perturbations sont présentes.

Les structures d’âge des communautés n’indiquent guère de perturbation anthropogénique et ne révèlent pas de troubles dans la reproduction ou dans le développement d’une espèce particulière.

Légères modifications dans la composition et l’abondance des espèces par rapport aux communautés caractéristiques, en raison d’effets anthropogéniques sur les éléments de qualité physico-chimiques ou hydromorphologiques.

Les structures d’âge des communautés indiquent des signes de perturbation dus aux effets anthropogéniques sur les éléments de qualité physico-chimique et hydromorphologique et, dans certains cas, révèlent des troubles dans la reproduction ou dans le développement d’une espèce particulière, en ce sens que certaines classes d’âge peuvent faire défaut.

La composition et l’abondance des espèces diffèrent modérément de celles des communautés caractéristiques, en raison d’effets anthropogéniques sur les éléments de qualité physico-chimique ou hydromorphologique.

Les structures d’âge des communautés indiquent des signes importants de perturbations anthropogéniques, en ce sens qu’une proportion modérée de[s] espèce[s] caractéristique[s] est absente ou très peu abondante. 


[...] »

 Le droit autrichien

8        L’article 30a, paragraphe 1, du Wasserrechtsgesetz 1959 (loi sur le droit des eaux de 1959), du 16 octobre 1959 (BGBl., 215/1959), dans la version du 22 novembre 2018 (BGBl. I, 73/2018) (ci-après le « WRG »), prévoit, en substance, que les eaux de surface doivent être protégées, améliorées et restaurées afin de prévenir la détérioration de leur état et que l’état cible d’une eau de surface est atteint lorsque la masse d’eau de surface présente au moins un bon état écologique et un bon état chimique.

9        Selon l’article 104a, paragraphe 1, point 1, sous b), du WRG, les projets pour lesquels, en raison de modifications des caractéristiques hydromorphologiques d’une masse d’eau de surface ou de modifications du niveau d’eau des masses d’eau souterraine, il est probable que l’état d’une masse d’eau de surface ou d’une masse d’eau souterraine se détériore sont, en tout état de cause, des projets susceptibles d’avoir des répercussions sur des intérêts d’ordre public.

10      En vertu de l’article 105, paragraphe 1, du WRG, une demande d’autorisation d’un projet peut, dans l’intérêt public, être rejetée lorsqu’il existe un risque de dégradation importante de l’état écologique des eaux ou une atteinte substantielle aux objectifs découlant d’autres dispositions du droit de l’Union.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

11      Le 7 novembre 2013, la requérante au principal a introduit auprès de l’autorité administrative une demande d’autorisation de construire un hangar à bateaux d’une taille de 7 m x 8,5 m sur le lac Weißensee (Autriche). Ce lac d’origine naturelle, situé dans le Land de Carinthie, a une superficie de 6,53 km².

12      Cette demande ayant été rejetée par décision du 25 mai 2016, la requérante au principal a introduit un recours devant le Landesverwaltungsgericht Kärnten (tribunal administratif régional de Carinthie, Autriche), lequel a, par jugement du 21 février 2020, confirmé la décision de rejet. Ce tribunal a estimé que l’état général des eaux de surface du lac était « médiocre » en raison de la qualité de l’ichtyofaune. Il a considéré que si tous les éléments de qualité hydromorphologiques et physico-chimiques ainsi que les éléments de qualité biologique « phytoplancton » et « macrophytes » étaient dans un très bon état, il était tenu de procéder à une appréciation globale des éléments de qualité et de retenir, comme critère déterminant de classification, l’élément ayant la plus mauvaise valeur. L’état médiocre de l’élément de qualité biologique « ichtyofaune » résulterait d’une mauvaise gestion des ressources halieutiques, le recensement actuel des populations piscicoles ayant permis de constater que, sur les huit espèces initiales de poissons, seules six étaient encore présentes, tandis que neuf espèces non indigènes de poissons étaient venues s’y ajouter.

13      Selon le Landesverwaltungsgericht Kärnten (tribunal administratif régional de Carinthie), l’obligation d’amélioration de l’état des eaux de surfaces et celle d’atteindre un bon état de ces eaux, qui s’imposeraient aux États membres en vertu de la directive 2000/60, leur interdisent d’adopter toute mesure susceptible de faire obstacle à une amélioration ou n’ayant pas pour objectif de contribuer à une amélioration. Cette juridiction précise que si la construction d’un hangar à bateaux à proximité des rivages du lac n’entraînera pas une modification de l’état général des eaux du lac, elle ne conduira pas à une amélioration de l’état de ses eaux de surface puisqu’elle portera atteinte aux frayères naturelles existantes.

14      Saisi d’un pourvoi en Revision formé par la requérante au principal contre le jugement du 21 février 2020, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche), la juridiction de renvoi, estime que la directive 2000/60 n’impose pas de refuser l’autorisation de projets qui, s’ils n’entraînent pas une détérioration de l’état des masses d’eau, ne contribuent pas au bon état des eaux de surface, mais prescrit uniquement de refuser l’autorisation de projets qui ont des effets non négligeables sur l’état des masses d’eaux concernées.

15      La juridiction de renvoi observe que, selon la jurisprudence de la Cour, et en particulier le point 51 de l’arrêt du 1er juillet 2015, Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland (C‑461/13, EU:C:2015:433), les États membres sont tenus, sous réserve de l’octroi d’une dérogation, de refuser l’autorisation d’un projet particulier lorsque celui-ci est susceptible de provoquer une détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface ou lorsqu’il compromet l’obtention d’un bon état des eaux de surface ou d’un bon potentiel écologique et d’un bon état chimique de telles eaux. Cette juridiction rappelle également la jurisprudence selon laquelle les États membres ne sont pas autorisés, lorsqu’ils apprécient la compatibilité d’un programme ou d’un projet particulier avec l’objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux, de ne pas tenir compte des conséquences négatives temporaires de ces programmes ou projets sur la qualité des eaux, à moins que ces conséquences n’aient manifestement que peu d’incidence sur l’état des masses d’eau concernées.

16      En l’occurrence, la juridiction de renvoi considère que, dans le litige pendant devant elle, il est nécessaire, dans un premier temps, d’apprécier les mesures destinées à atteindre un bon état des eaux de surface et, dans un second temps, d’apprécier si ce projet a des conséquences non négligeables sur ces mesures. Elle précise qu’une telle appréciation présuppose que l’état des eaux de surface en cause soit classé à un niveau inférieur au niveau « bon état ». De ce fait, la juridiction de renvoi se demande si la perturbation de l’ichtyofaune en cause au principal, qui, selon elle, résulte uniquement des mesures prises par l’industrie de la pêche et non pas des effets anthropogéniques sur les éléments de qualité physico‑chimiques ou hydromorphologiques, conduit à classer l’état des eaux de surface à un niveau inférieur au niveau « bon état ».

17      La juridiction de renvoi relève que, si des causes autres que les effets anthropogéniques sur les éléments de qualité physico-chimiques et hydromorphologiques devaient être prises en compte pour déterminer l’état écologique des eaux de surface, l’état des eaux du lac en cause devrait être classé au niveau « médiocre ». Dans ce cas, la juridiction de renvoi s’interroge sur la manière de procéder à la classification de l’élément de qualité biologique « ichtyofaune » et sur le niveau de classement qui peut lui être attribué.

18      Dans ce contexte, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) a décidé de surseoir à statuer et de soumettre à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le point 1.2.2 de l’annexe V (Définitions des états écologiques “très bon”, “bon” et “moyen” en ce qui concerne les lacs) de la directive [2000/60] doit-il être interprété en ce sens qu’il convient d’entendre par “perturbations” dans le tableau “éléments de qualité biologique”, ligne “ichtyofaune”, colonne “très bon état”, exclusivement des effets anthropogéniques sur les éléments de qualité physico-chimiques et hydromorphologiques ?

2)      Dans la négative, la disposition précitée doit-elle être interprétée en ce sens qu’un écart de l’élément de qualité biologique “ichtyofaune” par rapport au très bon état, qui est dû à des perturbations autres que des effets anthropogéniques sur les éléments de qualité physico-chimiques et hydromorphologiques, a pour conséquence que l’élément de qualité biologique “ichtyofaune” ne doit pas non plus être classé dans un “bon état” ou un “état moyen” ? »

 Sur la recevabilité

19      À titre liminaire, la Commission européenne relève, dans ses observations écrites, que, par ses questions, la juridiction de renvoi présuppose que les erreurs dans la gestion des ressources halieutiques et « les effets anthropogéniques sur les éléments de qualité physico‑chimiques ou hydromorphologiques », au sens de l’annexe V, point 1.2.2, de la directive 2000/60, sont deux effets anthropogéniques différents. Elle souligne que les questions préjudicielles seraient dénuées de pertinence si ces erreurs, que les juridictions autrichiennes considèrent comme étant la cause du classement des eaux de surface concernées au niveau « médiocre », devaient être considérées comme étant des « effets anthropogéniques sur les éléments de qualité physico‑chimiques ou hydromorphologiques », au sens de cette annexe V, point 1.2.2.

20      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 25 mai 2023, WertInvest Hotelbetrieb, C‑575/21, EU:C:2023:425, point 30 et jurisprudence citée).

21      En outre, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence également constante, dans le cadre de la procédure prévue à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, il appartient au seul juge national de constater et d’apprécier les faits du litige au principal ainsi que de déterminer l’exacte portée des dispositions législatives, réglementaires ou administratives nationales. La Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité du droit de l’Union au regard de la situation factuelle et juridique telle que décrite par la juridiction de renvoi, sans pouvoir la remettre en cause ni vérifier son exactitude (arrêt du 9 septembre 2021, Real Vida Seguros, C‑449/20, EU:C:2021:721, point 13 et jurisprudence citée).

22      En l’occurrence, s’il ne peut être exclu que la pêche puisse avoir des effets sur les éléments de qualité physico-chimiques et éventuellement hydromorphologiques des eaux de surface, il ne ressort d’aucun élément du dossier dont dispose la Cour que les mesures de gestion des ressources halieutiques constitueraient, en tout état de cause, des mesures ayant des effets anthropogéniques sur les éléments de qualité physico-chimiques et hydromorphologiques des eaux de surface.

23      Par conséquent, les questions posées, qui n’apparaissent pas comme étant dépourvues de pertinence, sont recevables.

 Sur les questions préjudicielles

24      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le point 1.2.2 de l’annexe V de la directive 2000/60 doit être interprété en ce sens que, s’agissant des critères d’évaluation de l’élément de qualité biologique « ichtyofaune », les « perturbations anthropogéniques » dans la composition et l’abondance des espèces de poissons par rapport aux communautés caractéristiques, au sens de ce point, ne peuvent résulter que des « effets anthropogéniques sur les éléments de qualité physico-chimiques et hydromorphologiques » des lacs et non d’autres effets anthropogéniques tels que des mesures de gestion des ressources halieutiques. Dans la négative, elle souhaite savoir si, pour la classification de l’état écologique de l’« ichtyofaune », toutes les causes des perturbations sont pertinentes.

25      La juridiction de renvoi précise que, dans l’hypothèse où ces perturbations devraient être considérées comme pouvant être causées par des mesures de gestion des ressources halieutiques, l’état écologique des eaux du lac en cause devrait être classé au niveau « médiocre ». Si tel devait être le cas, elle estime nécessaire, dans le cadre de la procédure d’autorisation du projet en cause au principal, de déterminer si, pour l’obtention d’un bon état global des eaux du lac, l’élément de qualité biologique « ichtyofaune » doit présenter un « bon état » ou un « très bon état » écologique. Cette juridiction s’interroge également sur les conséquences, pour la classification de l’élément de qualité biologique « ichtyofaune », de la prise en compte de conditions perturbées ne résultant pas d’effets anthropogéniques sur les éléments de qualité physico-chimiques ou hydromorphologiques. Elle se demande si cet élément ne peut alors être classé au mieux qu’au niveau « médiocre » ou, à l’inverse, à tous les niveaux, toutes les causes de l’écart par rapport au « très bon état » écologique étant dans ce cas pertinentes.

26      Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, aux fins de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, doivent être pris en considération non seulement les termes de celle-ci, mais aussi son contexte et les objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie [arrêts du 2 septembre 2015, Surmačs, C‑127/14, EU:C:2015:522 point 28, et du 16 novembre 2016, DHL Express (Austria), C‑2/15, EU:C:2016:880, point 19].

27      En premier lieu, selon les termes du point 1.2.2 de l’annexe V de la directive 2000/60, la classification de l’état écologique d’un lac selon le niveau « très bon », « bon » ou « moyen » de l’élément de qualité biologique « ichtyofaune » dépend, notamment, du niveau d’écart existant entre la composition et l’abondance des espèces de poissons contenues dans le lac et les communautés caractéristiques. Ce point précise que la composition et l’abondance de ces espèces sont, selon les cas, exemptes de « perturbation anthropogénique » ou modifiées par rapport aux communautés caractéristiques en raison d’« effets anthropogéniques ».

28      Ainsi, la référence à des causes anthropogéniques, pour mesurer les écarts apparus dans la composition et l’abondance des espèces de poissons par rapport aux communautés caractéristiques, s’applique pour la définition de tous les états écologiques. Les états écologiques « bon » et « moyen », définis par rapport à l’ampleur de ces écarts, précisent toutefois que sont prises en compte les causes d’une certaine nature. En effet, il ressort de la définition de ces deux états écologiques que les écarts légers ou modérés des espèces présentes dans un lac par rapport aux communautés caractéristiques de ce lac doivent être dus à des « effets anthropogéniques sur les éléments de qualité physico-chimiques ou hydromorphologiques ».

29      Il pourrait ainsi résulter d’une interprétation textuelle du point 1.2.2 de l’annexe V de la directive 2000/60 que seuls des effets d’une telle nature seraient déterminants afin de procéder à la classification dans l’un ou l’autre de ces états. Dans une telle hypothèse, des modifications dans la composition et l’abondance des espèces, causées par des mesures de gestion des ressources halieutiques ou par toute mesure non due à des effets anthropogéniques sur les éléments de qualité physico‑chimiques et hydromorphologiques, ne seraient pas pertinentes pour évaluer s’il convient de considérer qu’une masse d’eau de surface est dans un état écologique « bon » ou « moyen ».

30      Certes, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union à la lumière de son contexte et de sa finalité ne saurait avoir pour résultat de retirer tout effet utile au libellé clair et précis de cette disposition. Ainsi, dès lors que le sens d’une disposition du droit de l’Union ressort sans ambiguïté du libellé même de celle-ci, la Cour ne saurait se départir de cette interprétation (arrêt du 13 juillet 2023, Mensing, C‑180/22, EU:C:2023:565, point 34 et jurisprudence citée).

31      Cependant, force est de constater que, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général aux points 27 à 31 de ses conclusions, le point 1.2.2 de l’annexe V de la directive 2000/60 n’est pas dépourvu de toute ambiguïté.

32      Il s’ensuit que l’interprétation du point 1.2.2 de l’annexe V de la directive 2000/60 ne saurait se fonder sur le seul libellé de celui-ci, mais doit tenir compte, conformément à la jurisprudence rappelée au point 26 du présent arrêt, du contexte et des objectifs poursuivis par cette directive.

33      Il convient ainsi, en deuxième lieu, d’examiner le contexte de ce point 1.2.2 et, en particulier, les différents tableaux figurant sous le point 1.2 et les sous points suivants de l’annexe V de la directive 2000/60. Ce point 1.2, exposé au point 7 du présent arrêt, comporte un tableau 1.2, intitulé « Définition générale pour les rivières, lacs, eaux de transition et eaux côtières », qui caractérise de manière globale les trois états écologiques – « très bon », « bon » et « moyen » – de ces eaux ainsi que trois alinéas qui définissent ce qu’il convient d’entendre par classifications « médiocres » et « mauvaises » desdites eaux. Les points 1.2.1 à 1.2.4 de cette annexe comportent des définitions spécifiques des états écologiques, respectivement, des rivières, des lacs, des eaux de transition et des eaux côtières. Aux fins de l’appréciation de l’état écologique de chaque type de masse d’eau de surface, les États membres doivent tenir compte de trois catégories d’éléments de qualité, à savoir les éléments de qualité biologique, les éléments de qualité hydromorphologique et les éléments de qualité physico‑chimique, chacun desdits éléments de qualité comprenant des paramètres spécifiques.

34      Ainsi, ce tableau 1.2, lorsqu’il définit de manière générale le « très bon état » des eaux de surface, se réfère au fait que « [l]es valeurs des éléments de qualité biologique pour la masse d’eau de surface correspondent à celles normalement associées à ce type dans des conditions non perturbées et n’indiquent pas ou très peu de distorsions » et précise qu’« [i]l s’agit des conditions et communautés caractéristiques ».

35      En ce qui concerne le « bon état » écologique, ledit tableau 1.2 prévoit que « [l]es valeurs des éléments de qualité biologique applicables au type de masse d’eau de surface montre[nt] de faibles niveaux de distorsion résultant de l’activité humaine, mais ne s’écartent que légèrement de celles normalement associées à ce type dans des conditions non perturbées », alors que, pour l’état écologique « moyen », il indique que ces valeurs « montrent des signes modérés de distorsion résultant de l’activité humaine et sont sensiblement plus perturbées que dans des conditions de bonne qualité » et qu’elles « s’écartent modérément de celles normalement associées à ce type de masse d’eau de surface dans des conditions non perturbées ».

36      Partant, comme M. l’avocat général l’a observé au point 38 de ses conclusions, la définition générale de la qualité écologique des eaux de surface ne renvoie pas à des perturbations liées à des causes spécifiques, telles que les altérations anthropogéniques des valeurs des éléments de qualité physico-chimiques et hydromorphologiques.

37      Ainsi, pour la catégorie relative au « très bon état » écologique, il ne résulte pas de la définition générale de la qualité écologique, figurant au tableau 1.2 de l’annexe V de la directive 2000/60, ni de la définition de l’élément de qualité biologique « ichtyofaune », figurant au tableau 1.2.2 de cette annexe, que les altérations anthropogéniques, les perturbations anthropogéniques ou les distorsions auxquelles il est fait référence ne concernent que les éléments de qualité de physico‑chimiques et hydromorphologiques.

38      De même, pour les catégories relatives au « bon état » écologique et à l’état écologique « moyen », dès lors que ces états sont définis, dans ces deux tableaux, sur la base des mêmes indicateurs que le « très bon état » écologique, en fonction de l’écart constaté avec les valeurs normales, il serait contradictoire, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 40 de ses conclusions, de tenir compte de toute perturbation dans l’appréciation de ce dernier état et de ne pas tenir compte de certaines de ces perturbations lorsque doit être mesuré l’écart entre ledit état et les états « bon » et « moyen ».

39      Une telle interprétation est, en troisième lieu, conforme aux objectifs poursuivis par la directive 2000/60. En effet, une interprétation stricte du critère « dans des conditions non perturbées », au sens du tableau 1.2 de l’annexe V de la directive 2000/60, qui conduirait, lors de la classification de l’élément de qualité biologique « ichtyofaune », à ne pas tenir compte de certains effets anthropogéniques, tels que des mesures de gestion des ressources halieutiques, serait contraire à l’objectif ultime de la directive 2000/60, tel qu’il découle du considérant 25 et de l’article 1er, sous a), de celle-ci, consistant à atteindre, par une action coordonnée, le « bon état » de toutes les eaux de surface de l’Union européenne à l’horizon de l’année 2015 (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2015, Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland, C‑461/13, EU:C:2015:433, points 35 à 37).

40      Il ressort en effet de l’article 1er, sous a), de la directive 2000/60 que celle-ci a pour objet d’établir un cadre pour la protection des eaux intérieures de surface, des eaux de transition, des eaux côtières et des eaux souterraines, qui prévienne toute dégradation supplémentaire, préserve et améliore l’état des écosystèmes aquatiques ainsi que, en ce qui concerne leurs besoins en eau, des écosystèmes terrestres et des zones humides qui en dépendent directement.

41      Les objectifs environnementaux que les États membres sont tenus d’atteindre en ce qui concerne les eaux de surface sont précisés à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de ladite directive, disposition qui, comme la Cour l’a précisé, impose deux objectifs distincts, quoique intrinsèquement liés. D’une part, conformément au point i) de cette disposition, les États membres mettent en œuvre les mesures nécessaires pour prévenir la détérioration de l’état de toutes les masses d’eau de surface (obligation de prévenir la détérioration). D’autre part, en application des points ii) et iii) de ladite disposition, les États membres protègent, améliorent et restaurent toutes les masses d’eau de surface afin de parvenir à un « bon état » de ces masses d’eau au plus tard le 22 décembre 2015 (obligation d’amélioration) (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2015, Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland, C‑461/13, EU:C:2015:433, point 39).

42      Tant l’obligation d’amélioration que l’obligation de prévenir la détérioration de l’état des masses d’eau visent à réaliser les objectifs qualitatifs recherchés par le législateur de l’Union, à savoir la préservation ou la restauration d’un bon état, d’un bon potentiel écologique et d’un bon état chimique des eaux de surfaces (arrêt du 1er juillet 2015, Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland, C‑461/13, EU:C:2015:433, point 41).

43      Dans ce contexte, l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/60 ne se limite pas à énoncer, selon une formulation programmatique, de simples objectifs de planification de gestion, mais produit des effets contraignants, une fois que l’état écologique de la masse d’eau concernée est déterminé, à chaque étape de la procédure prescrite par cette directive. Cette disposition ne contient donc pas uniquement des obligations de principe, mais concerne également des projets particuliers [arrêt du 5 mai 2022, Association France Nature Environnement (Impacts temporaires sur les eaux de surface), C‑525/20, EU:C:2022:350, point 24 et jurisprudence citée].

44      Au cours de la procédure d’autorisation d’un projet, et donc avant la prise de décision, les autorités compétentes nationales sont tenues, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2000/60, de vérifier si ce projet peut avoir des effets négatifs sur l’eau qui méconnaîtraient les obligations de prévenir la détérioration et d’améliorer l’état des masses d’eau de surface et souterraines [arrêt du 5 mai 2022, Association France Nature Environnement (Impacts temporaires sur les eaux de surface), C‑525/20, EU:C:2022:350, point 26 et jurisprudence citée].

45      Or, la protection de l’état écologique des écosystèmes aquatiques ne pourrait être assurée si, lors de l’évaluation de l’état de l’ichtyofaune des lacs, il était permis d’ignorer les perturbations anthropogéniques dans la composition et l’abondance des espèces de poissons ou autres ne résultant pas d’une altération des éléments de qualité physico-chimiques et hydromorphologiques.

46      Par ailleurs, une interprétation stricte du point 1.2.2 de l’annexe V de la directive 2000/60, selon laquelle le « très bon » état écologique de l’ichtyofaune ne devrait pas tenir compte de certaines altérations anthropogéniques, priverait de pertinence l’élément de qualité biologique « ichtyofaune » lui-même. En effet, à la lumière des objectifs de la directive 2000/60, il serait contraire à ces derniers de considérer que certaines détériorations de l’ichtyofaune, telles que, le cas échéant, des détériorations des stocks de poissons, n’affectent pas la classification de la qualité de l’ichtyofaune selon les dispositions pertinentes de l’annexe V de cette directive.

47      Ainsi qu’il découle du point 39 du présent arrêt, l’interprétation téléologique des dispositions pertinentes confirme que, aux fins de la définition des états écologiques de l’ichtyofaune, il convient de tenir compte de toutes les perturbations dans la composition et l’abondance des espèces halieutiques ainsi que dans les structures d’âge de ces communautés.

48      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que le point 1.2.2 de l’annexe V de la directive 2000/60 doit être interprété en ce sens que, d’une part, s’agissant des critères d’évaluation de l’élément de qualité biologique « ichtyofaune », il convient d’entendre par « perturbation anthropogénique », au sens de ce point, toute perturbation ayant pour origine une activité humaine, y compris toute modification capable d’affecter la composition et l’abondance des espèces de poissons, et, d’autre part, toutes ces perturbations sont pertinentes pour la classification de l’état écologique de l’« ichtyofaune ».

 Sur les dépens

49      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

Le point 1.2.2 de l’annexe V de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau,

doit être interprété en ce sens que :

d’une part, s’agissant des critères d’évaluation de l’élément de qualité biologique « ichtyofaune », il convient d’entendre par « perturbation anthropogénique », au sens de ce point, toute perturbation ayant pour origine une activité humaine, y compris toute modification capable d’affecter la composition et l’abondance des espèces de poissons, et, d’autre part, toutes ces perturbations sont pertinentes pour la classification de l’état écologique de l’« ichtyofaune ».

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.