Language of document : ECLI:EU:T:2013:385

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

17 juillet 2013 (*)

« Référé – Parlement européen – Acte d’exclusion d’un député de son groupe politique – Demande de sursis à exécution – Irrecevabilité manifeste du recours principal – Irrecevabilité de la demande – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑336/13 R,

Mario Borghezio, demeurant à Turin (Italie), représenté par Me H. Laquay, avocat,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par MM. N. Lorenz, N. Görlitz et Mme M. Windisch, en qualité d’agents

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de l’acte du Parlement européen, pris en la forme d’une déclaration de son président en séance plénière du 10 juin 2013, selon lequel le requérant siège depuis le 3 juin 2013 en qualité de député non inscrit et est donc exclu du groupe politique « Europe Libertés Démocratie » à compter de cette date,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Faits, procédure et conclusions des parties

1        En vertu de l’article 232, premier alinéa, TFUE, le Parlement européen arrête son règlement intérieur à la majorité des membres qui le composent.

2        C’est sur le fondement de cette disposition qu’a été adopté le règlement intérieur du Parlement, dans sa version en vigueur à l’époque des faits du litige (JO 2011, L 116, p. 1), tel que modifié, (ci-après le « règlement intérieur »), lequel dispose, en son article 30, intitulé « Constitution des groupes politiques » :

« 1. Les députés peuvent s’organiser en groupes par affinités politiques.

2. Tout groupe politique est composé de députés élus dans au moins un quart des États membres. Le nombre minimal de députés nécessaires pour constituer un groupe politique est fixé à vingt-cinq.

[…]

5. La constitution d’un groupe politique doit être déclarée au Président. Cette déclaration doit indiquer la dénomination du groupe, le nom de ses membres et la composition de son bureau.

6. La déclaration de constitution d’un groupe politique est publiée au Journal officiel de l’Union européenne. »

3        L’article 31 du règlement intérieur, intitulé « Activités et situation juridique des groupes politiques », prévoit :

« 1. Les groupes politiques exercent leurs fonctions dans le cadre des activités de l’Union, y compris les tâches qui leur sont dévolues par le règlement [intérieur]. Les groupes politiques disposent d’un secrétariat dans le cadre de l’organigramme du Secrétariat général, doté de facilités administratives et de crédits prévus au budget du Parlement.

2. Le Bureau arrête les réglementations relatives à la mise à disposition, à la mise en œuvre et au contrôle de ces facilités et de ces crédits, ainsi qu’aux délégations de pouvoirs d’exécution du budget y afférentes.

[…] »

4        L’article 33 du règlement intérieur, intitulé « Députés non inscrits », dispose :

« 1. Les députés qui n’adhèrent pas à un groupe politique disposent d’un secrétariat. Les modalités en sont fixées par le Bureau sur proposition du secrétaire général.

2. Le statut et les droits parlementaires de ces députés sont régis par le Bureau.

3. Le Bureau arrête les réglementations relatives à la mise à disposition, à l’exécution et au contrôle des crédits inscrits au budget du Parlement pour couvrir les dépenses de secrétariat et les facilités administratives des députés non inscrits. »

5        Le requérant, M. Mario Borghezio, a été élu député au Parlement sur la liste du parti politique italien « Ligue du Nord ». Au sein du Parlement, il a adhéré au groupe politique « Europe Libertés Démocratie » (ci-après le « groupe ELD »), constitué conformément à l’article 30 du règlement intérieur.

6        Les statuts du groupe ELD disposent, en leur article 10, intitulé « Code disciplinaire », que, « [s]i un député est considéré en infraction par rapport aux statuts du groupe, il peut être suspendu par le Bureau jusqu’à la prochaine réunion du groupe, au cours de laquelle son cas est examiné et une décision est prise à la majorité des deux tiers au moins des députés du groupe ».

7        Le 21 mai 2013, une réunion du groupe ELD a eu lieu, lors de laquelle un point concernant l’éventuelle exclusion du requérant du groupe a été ajouté à l’ordre du jour. Le requérant a fait savoir, pendant cette réunion, qu’il n’avait ni été correctement informé dudit point ni eu le temps de préparer sa défense. Conformément à l’article 10 des statuts du groupe ELD, il a été décidé, le jour même, de suspendre l’affiliation du requérant au groupe « jusqu’à la prochaine réunion du groupe à Strasbourg, le 11 juin 2013, durant laquelle [le requérant] aura[it] la possibilité de présenter ses moyens de défense avant qu’un vote n’ait lieu ».

8        Le 31 mai 2013, M. X, l’un des deux co-présidents du groupe ELD, a envoyé un courriel à tous les députés européens membres du groupe, à l’exception du requérant, dans lequel il leur demandait d’indiquer pour le 2 juin 2013, à 12 h 00, au plus tard, s’ils « avaient une objection à transformer la suspension [du requérant] en exclusion du groupe ELD », motif pris de ce que le requérant avait, en date du 30 mai 2013, fait publier une interview dont le contenu aurait été manifestement incompatible avec les valeurs fondamentales défendues par le groupe.

9        Ensuite, par lettre du 3 juin 2013, M. X a informé le requérant de la décision du groupe ELD, prise à la majorité des deux tiers, de transformer sa suspension en une exclusion permanente du groupe, que l’exclusion du requérant du groupe ELD était devenue effective le 2 juin 2013 (ci-après la « décision d’exclusion ») et que la décision d’exclusion serait communiquée aux autorités compétentes du Parlement.

10      Par courriel du 4 juin 2013, adressé au secrétaire général du groupe ELD, le requérant a dénoncé l’illégalité de la décision d’exclusion. Par courriels et par télécopie du même jour, il a indiqué à M. X et à M. Y, l’autre des deux co-présidents du groupe ELD, que la décision d’exclusion était irrégulière et violait les statuts du groupe.

11      Par courriel du 5 juin 2013, le chef de la délégation de la Ligue du Nord au sein du groupe ELD a informé le président du Parlement de ce que la décision d’exclusion n’avait pas été signée par le co-président du groupe, M. Y. Le même jour, M. Y a transmis au président du Parlement le courrier que le requérant lui avait adressé la veille et le requérant a adressé à MM. X et Y, ainsi qu’au président du Parlement, un « recours » dans lequel il faisait valoir que son exclusion était irrégulière, puisque les statuts du groupe avaient été violés.

12      Lors de la réunion de la conférence des présidents du 6 juin 2013, le président du Parlement a mentionné que le requérant contestait la décision d’exclusion.

13      Le 10 juin 2013, le président du Parlement a déclaré, en séance plénière du Parlement, que le requérant siégeait, avec effet au 3 juin 2013, parmi les députés non inscrits.

14      À la suite de cette déclaration, le requérant a pris la parole et a rappelé qu’il avait déposé un « recours » visant à l’annulation de la décision d’exclusion, ce qui a été confirmé par le président du Parlement, qui a indiqué que le requérant lui avait effectivement demandé de vérifier si cette décision, ou en tout cas les règles du groupe ELD, étaient conformes aux règles du Parlement. Le président du Parlement a ajouté que « cette vérification [était] en cours ».

15      Par courriel du 11 juin 2013 adressé à MM. X et Y, le requérant a demandé l’annulation de la décision d’exclusion.

16      C’est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 juin 2013, le requérant a introduit un recours visant à l’annulation de l’acte du Parlement, pris en la forme de la déclaration de son président en séance plénière du 10 juin 2013, selon lequel le requérant siège depuis le 3 juin 2013 en qualité de député non inscrit et est donc exclu du groupe ELD à compter de cette date (ci-après l’« acte attaqué »).

17      Par acte séparé, déposé au greffe le même jour, le requérant a introduit la présente demande en référé, dans laquelle il conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        suspendre l’exécution de l’acte attaqué ;

–        statuer sur les dépens comme de droit.

18      Dans ses observations déposées au greffe du Tribunal le 9 juillet 2013, le Parlement conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé comme irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, la rejeter comme non fondée ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

19      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

20      En l’espèce, il convient d’examiner d’abord si, comme le soutient le Parlement, la demande en référé doit être déclarée irrecevable pour cause d’irrecevabilité manifeste du recours principal sur lequel elle se greffe.

 Sur la recevabilité

21      Le Parlement est d’avis que le recours visant à l’annulation de l’acte attaqué doit être déclaré manifestement irrecevable, car cet acte n’affecterait nullement la situation juridique du requérant, en ce qu’il ne ferait qu’informer de l’exclusion du requérant du groupe ELD.

22      Le requérant estime, en revanche, que le Parlement a décidé qu’il siégerait non plus dans un groupe politique, mais en qualité de député non inscrit. L’acte attaqué produirait des effets sur sa situation juridique dépassant le cadre de la seule organisation interne des travaux du Parlement, puisqu’il l’empêcherait d’exercer son mandat parlementaire dans les mêmes conditions que les députés appartenant à un groupe politique et de participer aussi pleinement que ces derniers au processus conduisant à l’adoption des actes du Parlement. Par conséquent, le recours principal serait manifestement recevable. En effet, l’Union européenne serait une communauté de droit, les actes des institutions ne pouvant échapper au contrôle de légalité exercé par le juge de l’Union.

23      À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu des dispositions de l’article 104, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, une demande en référé n’est recevable que si elle émane d’une partie à une affaire dont le Tribunal est saisi. Cette règle implique que le recours principal, sur lequel se greffe la demande en référé, puisse être effectivement examiné par le juge du fond (ordonnance du président du Tribunal du 27 janvier 2009, Intel/Commission, T‑457/08 R, non publiée au Recueil, point 45).

24      Dans ce contexte, il est de jurisprudence constante que la recevabilité du recours principal ne doit pas, en principe, être examinée dans le cadre d’une procédure de référé. Cependant, quand l’irrecevabilité manifeste du recours principal est soulevée, la partie sollicitant les mesures provisoires doit établir l’existence d’éléments permettant de conclure, à première vue, à la recevabilité de ce recours, sur lequel se greffe la demande en référé, afin d’éviter qu’elle puisse, par la voie du référé, obtenir le sursis à l’exécution d’un acte dont elle se verrait par la suite refuser l’annulation, son recours étant déclaré irrecevable lors de son examen au fond. Un tel examen, par le juge des référés, de la recevabilité du recours principal est nécessairement sommaire, compte tenu du caractère urgent de la procédure de référé [voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 18 novembre 1999, Pfizer Animal Health/Conseil, C‑329/99 P(R), Rec. p. I‑8343, point 89, et du 12 octobre 2000, Federación de Cofradías de Pescadores de Guipúzcoa e.a./Conseil, C‑300/00 P(R), Rec. p. I-8797, points 34 et 35].

25      Ainsi, dans le cadre d’une procédure de référé, la recevabilité du recours principal ne peut être appréciée que de prime abord et le juge des référés ne doit déclarer cette demande irrecevable que si la recevabilité du recours principal peut être totalement exclue. À défaut, statuer sur la recevabilité du recours principal au stade du référé lorsque celle-ci n’est pas prima facie totalement exclue reviendrait à préjuger la décision du Tribunal statuant dans l’affaire principale (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 8 avril 2008, Chypre/Commission, T‑54/08 R, T‑87/08 R, T‑88/08 R et T‑91/08 R à T‑93/08 R, non publiée au Recueil, point 51, et la jurisprudence citée).

26      En l’espèce, il ressort du texte de l’acte attaqué que celui-ci consiste en l’information, fournie par le président du Parlement aux députés européens rassemblés en séance plénière, de ce que le requérant siège, depuis le 3 juin 2013, parmi les députés non inscrits (voir point 13 ci-dessus). Ainsi qu’il est confirmé par la teneur du dialogue qui a eu lieu entre le requérant et le président du Parlement lors de cette même séance plénière (voir point 14 ci-dessus), l’acte attaqué fait suite à la décision d’exclusion. Par l’acte attaqué, le président du Parlement a averti les députés européens des conséquences de cette exclusion, en informant ces derniers que le requérant appartenait dorénavant au cercle des députés non inscrits. Loin d’exclure lui-même le requérant du groupe ELD, l’acte attaqué ne comporte donc aucun élément décisionnel quant à la perte, subie par le requérant, de son statut de député membre d’un groupe politique.

27      Dès lors, il s’avère, à première vue, que l’acte attaqué n’est manifestement pas susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation, au titre de l’article 263 TFUE, en ce qu’il ne produit aucun effet juridique obligatoire de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. p. 2639, point 9).

28      Ainsi que le Parlement le fait observer à bon droit, le seul acte ayant porté atteinte à la situation juridique du requérant est la décision d’exclusion. En effet, cette décision prive le requérant des prérogatives conférées à un député membre d’un groupe politique et affecte donc les conditions d’exercice de ses fonctions parlementaires (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 2 octobre 2001, Martinez e.a./Parlement, T‑222/99, T‑327/99 et T‑329/99, Rec. p. II‑2823, points 59 et 60). En revanche, l’acte attaqué ne fait qu’informer sur les conséquences de cette exclusion et appartient ainsi prima facie à la catégorie des actes n’affectant que l’organisation interne des travaux du Parlement, à l’égard desquels la Cour a jugé qu’ils ne pouvaient faire l’objet d’un recours en annulation (voir, en ce sens, ordonnances de la Cour du 4 juin 1986, Groupe des droites européennes/Parlement, 78/85, Rec. p. 1753, point 11, et du 22 mai 1990, Blot et Front national/Parlement, C‑68/90, Rec. p. I‑2101, point 12).

29      Pour autant que le requérant semble considérer l’acte attaqué comme une approbation, par le président du Parlement, de la décision d’exclusion, il suffit de rappeler que le requérant avait sollicité la vérification de cette décision dans son « recours » adressé au président du Parlement et que ce dernier a expressément indiqué, le 10 juin 2013, que ladite vérification était toujours « en cours » (voir point 14 ci-dessus). Il s’ensuit nécessairement – sans qu’il soit besoin de déterminer la valeur juridique d’une telle vérification, que ce soit à l’égard du requérant ou du groupe ELD – que l’acte attaqué, datant du 10 juin 2013, ne pouvait pas encore valoir approbation, sous quelque forme que ce soit, de la décision d’exclusion, la vérification de celle-ci n’ayant pas encore été achevée. Par conséquent, à supposer même que le Parlement soit habilité, ainsi que le prétend le requérant, à contrôler si l’exclusion d’un membre d’un groupe politique a été effectuée dans le respect des statuts de ce groupe et des droits fondamentaux du député exclu, l’acte attaqué n’est, en toute hypothèse, pas intervenu dans le contexte d’un tel contrôle et n’a donc pas perdu son caractère d’acte purement informatif.

30      En tout état de cause, le requérant n’a identifié, dans la demande en référé, aucune disposition du règlement intérieur qui accorderait au président du Parlement le pouvoir d’approuver ou de confirmer une décision adoptée par un groupe politique et portant exclusion d’un député de ce groupe ou de s’ingérer, plus généralement, dans le fonctionnement des groupes politiques, qui exercent leurs activités, conformément à l’article 31 du règlement intérieur, en toute indépendance.

31      Le requérant fait encore valoir, en substance, que, si le Parlement n’exerçait, en cas d’exclusion d’un député de son groupe politique, aucun contrôle sur le respect des statuts de ce groupe ou des droits de la défense du député exclu, celui-ci ne disposerait d’aucune voie de droit, puisque les groupes politiques, dépourvus de personnalité juridique, ne pourraient être attraits en justice devant aucun tribunal.

32      À cet égard, il est vrai que l’Union européenne est une communauté de droit en ce que ses institutions n’échappent pas au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle constituée par les traités et que ces derniers ont établi un système complet de voies de recours destiné à confier au juge de l’Union le contrôle de la légalité des actes des institutions (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, Rec. p. 1339, point 23, et ordonnance de la Cour du 13 juillet 1990, Zwartveld e.a., C‑2/88 Imm., Rec. p. I‑3365, point 16). De plus, l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (JO 2010, C 83, p. 389), à laquelle l’article 6, paragraphe 1, TUE reconnaît la même valeur juridique que les traités (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 21 juin 2012, ANGED, C‑78/11, non encore publié au Recueil, point 17), précise que toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal impartial.

33      Cependant, le droit fondamental du requérant à un recours effectif ne saurait contraindre le juge de l’Union ni à déclarer recevable un recours visant à l’annulation d’un acte qui, tel que l’acte attaqué, ne produit aucun effet juridique obligatoire de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique, ni à imputer au Parlement une décision prise par un groupe politique, telle que la décision d’exclusion, alors qu’aucune règle du droit de l’Union n’implique que les actes d’un groupe politique pourraient être imputés au Parlement en tant qu’institution de l’Union (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 22 mars 1990, Le Pen, C‑201/89, Rec. p. I‑1183, point 14).

34      Une telle imputation ne saurait non plus être justifiée par la circonstance, aussi regrettable qu’elle puisse paraître, que le Parlement s’est abstenu d’établir, dans le règlement intérieur, un statut juridique des groupes politiques, à l’instar de ce qui est le cas de certains parlements nationaux, en leur conférant une personnalité juridique ainsi qu’une légitimation active et passive et en instaurant un régime de voies de droit et des exigences minimales quant à leur organisation interne.

35      Ainsi que le Parlement le relève à bon droit dans ses observations, dans l’hypothèse où la protection juridictionnelle du requérant serait imparfaite dans la mesure où les textes pertinents ne prévoiraient pas de voies de recours susceptibles d’être exercées par le requérant en vue de contester devant le juge de l’Union la décision d’exclusion, cette imperfection devrait plutôt être compensée, de manière prétorienne, dans le cadre d’un différend entre le requérant et le groupe ELD en tant qu’auteur de cette décision. Au demeurant, il ne saurait être totalement exclu que le requérant puisse saisir le juge national, en invoquant le droit national des associations sur la base duquel le groupe ELD aurait été créé. À ce stade de la procédure, le juge des référés ne peut que constater que le requérant est resté silencieux sur ce point.

36      Enfin, et à titre surabondant, il convient de constater que, lorsque le requérant est devenu membre du groupe ELD, il n’a apparemment pas contesté l’imperfection des statuts de ce groupe en matière de protection juridictionnelle. Il ne ressort, notamment, pas de la demande en référé que le requérant aurait entrepris des démarches auprès de la présidence de son groupe ou du Parlement afin d’obtenir que soient trouvés des remèdes juridiques à cette situation. Dans ces circonstances, il ne saurait être exclu que le requérant ait, lui-même, été d’avis, in tempore non suspecto, que les différends politiques qui pourraient l’opposer aux autres membres de son groupe politique devraient être réglés sur le plan politique, au lieu d’être portés devant un juge. Dans cette optique, même un député qui vient d’être exclu de son groupe politique devrait essayer de se réconcilier avec son ancienne famille politique, de se rallier à un autre groupe politique ou d’exercer ses fonctions parlementaires en tant que député non inscrit, plutôt que d’exercer une voie de droit pour obtenir sa réintégration dans un groupe politique qui, comme en l’espèce, a trouvé sa présence politiquement intolérable à la majorité des deux tiers.

37      Il s’ensuit que la demande en référé doit être rejetée comme irrecevable, étant donné que le recours principal sur lequel elle se greffe apparaît, à première vue, manifestement irrecevable.

38      Par ailleurs, à supposer même que la décision d’exclusion puisse être imputée au Parlement, en considérant que ce dernier l’a effectivement faite sienne dans l’acte attaqué, la demande en référé devrait, en tout état de cause, être déclarée non fondée.

 Sur le fond

39      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

40      En l’espèce, aux fins de démontrer l’urgence qu’il y aurait de faire droit à sa demande de sursis à l’exécution de l’acte attaqué, le requérant soutient que la demande en référé vise à lui permettre d’exercer son mandat en bénéficiant des droits et des avantages liés à l’appartenance à un groupe politique, jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le recours principal. En l’absence de sursis à l’exécution de l’acte attaqué, le requérant risquerait de subir un préjudice grave, puisqu’il serait placé dans l’impossibilité de bénéficier des droits et des avantages conférés aux membres des groupes politiques et, par conséquent, ne serait pas en mesure de s’exprimer, en tant que représentant des peuples des États de l’Union, dans les mêmes conditions que les membres appartenant à un groupe politique, ces derniers disposant de nombreuses prérogatives parlementaires, financières et administratives dont ne dispose pas un député non inscrit. Ce préjudice serait d’autant plus grave que la durée de la procédure principale, pendant laquelle il se trouverait discriminé, correspondrait à une partie non négligeable de la durée limitée de son mandat. Ce préjudice serait également irréparable dans la mesure où l’éventuelle annulation de l’acte attaqué au terme de la procédure principale ne pourrait plus remédier à cette situation.

41      Selon le Parlement, le simple fait d’être exclu d’un groupe politique au sein du Parlement ne suffit pas pour démontrer le risque d’un préjudice grave et irréparable.

42      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision au fond, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union (ordonnance du président de la Cour du 3 mai 1996, Allemagne/Commission, C‑399/95 R, Rec. p. I‑2441, point 46). Pour atteindre cet objectif, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire (ordonnance Pfizer Animal Health/Conseil, précitée, point 94). C’est à la partie qui se prévaut de la menace d’un tel préjudice de démontrer que sa survenance est prévisible avec un degré de probabilité suffisant (voir, en ce sens, ordonnances de la Cour du 29 juin 1993, Allemagne/Conseil, C‑280/93 R, Rec. p. I‑3667, point 34, et du président de la Cour du 17 juillet 2001, Commission/NALOO, C‑180/01 P-R, Rec. p. I‑5737, point 53).

43      En ce qui concerne la décision d’exclusion, à supposer qu’elle puisse être imputée au Parlement, il ressort du point 28 ci-dessus que cette décision prive le requérant des prérogatives conférées à un député membre d’un groupe politique et affecte donc les conditions d’exercice de ses fonctions parlementaires (arrêt Martinez e.a./Parlement, précité, points 59 et 60). Par conséquent, elle est susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation, au titre de l’article 263 TFUE, en ce qu’elle produit des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique.

44      S’agissant de la question de savoir si cette affectation de la situation juridique du requérant pourrait être qualifiée de préjudice grave, le président du Tribunal a, dans son ordonnance du 25 novembre 1999, Martinez et de Gaulle/Parlement (T‑222/99 R, Rec. p. II‑3397, point 80), effectivement jugé, en substance, que le fait pour des députés européens d’être placés dans l’impossibilité de bénéficier des droits et des avantages conférés aux groupes politiques et, par conséquent, de ne pas être en mesure d’exercer leurs fonctions parlementaires dans les mêmes conditions que les membres appartenant à un groupe politique, était de nature à leur causer un préjudice grave, ce préjudice étant d’autant plus grave que la période durant laquelle ils seraient privés des prérogatives conférées aux groupes politiques pourrait correspondre à une partie non négligeable de la durée limitée de leur mandat.

45      Cette appréciation juridique ne saurait, cependant, être maintenue en l’espèce.

46      D’une part, si elle reflète bien le fait que le député exclu d’un groupe politique subit un préjudice en ce que les conditions d’exercice de ses fonctions parlementaires sont affectées, elle ne fournit aucun élément susceptible d’établir, plus particulièrement, la gravité de ce préjudice.

47      D’autre part, elle ne tient pas compte de la jurisprudence selon laquelle les dispositions du règlement intérieur, prévoyant que les députés qui n’adhèrent pas à un groupe politique siègent comme députés non inscrits dans les conditions fixées par le bureau du Parlement, constituent des mesures d’organisation interne justifiées au regard des caractéristiques propres du Parlement, de ses contraintes de fonctionnement et des responsabilités et objectifs qui lui sont assignés par le traité (arrêt Martinez e.a./Parlement, précité, point 149). Si lesdites dispositions du règlement intérieur introduisent une différence entre deux catégories de députés, à savoir ceux qui relèvent d’un groupe politique et ceux qui siègent comme députés non inscrits dans les conditions fixées par le bureau du Parlement, une telle différence se justifie toutefois par le fait que les premiers satisfont, contrairement aux seconds, à une exigence du règlement intérieur dictée par la poursuite d’objectifs légitimes (arrêt Martinez e.a./Parlement, précité, point 152).

48      Or, la légalité des dispositions du règlement intérieur instaurant des différences de traitement entre députés membres d’un groupe politique et députés non inscrits n’a pas été remise en cause par le juge de l’Union. Ces dispositions ne font pas non plus l’objet d’une exception illégalité dans la présente procédure principale, le requérant s’étant limité à dénoncer, au titre du fumus boni juris, une « violation grave et évidente » des statuts du groupe ELD et de ses droits de la défense.

49      La légalité du statut parlementaire des députés non inscrits n’étant pas remise en cause, le requérant ne saurait utilement prétendre que les députés non inscrits subissent en permanence un préjudice grave par rapport aux députés membres d’un groupe politique.

50      De plus, ainsi que le président de la Cour l’a souligné dans son ordonnance de référé du 21 février 2002, Front national et Martinez/Parlement (C‑486/01 P-R et C‑488/01 P-R, Rec. p. I‑1843, points 86 et 87), dans une telle situation, caractérisée par l’absence de contestation des dispositions prévoyant les différences entre députés membres d’un groupe politique et députés non inscrits, les arguments présentés par une partie sollicitant des mesures provisoires en vue d’établir l’urgence – à savoir le risque de subir un préjudice grave si elle ne pouvait devenir membre d’un groupe politique – apparaissent en grande partie comme une tentative d’obvier aux conséquences desdites dispositions, qui n’ont pourtant pas été contestées dans le cadre du litige principal. Or, selon le président de la Cour, dans ces circonstances, la condition de l’urgence n’est pas remplie, puisque la finalité de la procédure de référé consiste seulement à garantir la pleine efficacité de la décision définitive à intervenir dans la procédure principale sur laquelle le référé se greffe (ordonnance Front national et Martinez/Parlement, précitée, point 87).

51      Le requérant ne peut donc valablement alléguer que son exclusion du groupe ELD lui causerait un préjudice grave.

52      Par conséquent, à supposer que la décision d’exclusion puisse être imputée au Parlement, la demande en référé devrait être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit besoin d’examiner si les autres conditions d’octroi du sursis à exécution sollicité seraient remplies en l’espèce.

 Conclusion

53      Il résulte de tout ce qui précède que la présente demande en référé doit être rejetée comme irrecevable et, en tout état de cause, comme non fondée.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 17 juillet 2013.

Le greffier

 

       Le président

E.  Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : le français.