Language of document : ECLI:EU:T:2015:505

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

15 juillet 2015 (*) (1)

« Concurrence – Procédure administrative – Marché européen du verre automobile – Publication d’une décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Rejet d’une demande visant à obtenir le traitement confidentiel d’informations que la Commission envisage de publier – Obligation de motivation – Confidentialité – Secret professionnel – Programme de clémence – Confiance légitime – Égalité de traitement »

Dans l’affaire T‑465/12,

AGC Glass Europe SA, établie à Bruxelles (Belgique),

AGC Automotive Europe SA, établie à Fleurus (Belgique),

AGC France SAS, établie à Boussois (France),

AGC Flat Glass Italia Srl, établie à Cuneo (Italie),

AGC Glass UK Ltd, établie à Northampton (Royaume-Uni),

AGC Glass Germany GmbH, établie à Wegberg (Allemagne),

représentées par Mes L. Garzaniti, J. Blockx, P. Niggemann, A. Burckett St Laurent, avocats, et M. S. Ryan, solicitor,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. M. Kellerbauer, G. Meessen et P. Van Nuffel, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2012) 5719 final de la Commission, du 6 août 2012, portant rejet d’une demande de traitement confidentiel introduite par AGC Glass Europe SA, AGC Automotive Europe SA, AGC France SAS, AGC Flat Glass Italia Srl, AGC Glass UK Ltd et AGC Glass Germany GmbH, en application de l’article 8 de la décision 2011/695/UE du président de la Commission, du 13 octobre 2011, relative à la fonction et au mandat du conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence (affaire COMP/39.125 – Verre automobile),

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. S. Papasavvas, président, N. J. Forwood (rapporteur), et E. Bieliūnas, juges,

greffier : M. L. Grzegorczyk, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 mars 2015,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 12 novembre 2008, la Commission des Communautés européennes a adopté la décision C (2008) 6815 final, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE à l’encontre de plusieurs fabricants de verre automobile, dont les requérantes, AGC Glass Europe SA, AGC Automotive Europe SA, AGC France SAS, AGC Flat Glass Italia Srl, AGC Glass UK Ltd et AGC Glass Germany GmbH, (affaire COMP/39.125 – Verre automobile) (ci-après la « décision verre automobile »).

2        La Commission a notamment constaté que les destinataires de la décision verre automobile avaient enfreint l’article 81 CE et l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) en participant, au cours de diverses périodes comprises entre mars 1998 et mars 2003, à un ensemble d’accords et de pratiques concertées anticoncurrentiels dans le secteur du verre automobile dans l’EEE.

3        Selon la décision verre automobile, il s’agit d’une infraction unique et continue consistant en la répartition concertée de contrats relatifs à la fourniture de vitrages automobiles ou d’ensembles de vitrages, comprenant généralement un pare-brise, une lunette arrière et des vitres latérales, aux principaux constructeurs automobiles dans l’EEE. Cette concertation, selon la Commission, a pris la forme d’une coordination des politiques de prix et des stratégies d’approvisionnement de la clientèle, visant à maintenir une stabilité globale des positions des parties à l’entente sur le marché en question. Cette stabilité aurait notamment été recherchée par des mécanismes correcteurs, mis en œuvre lorsque les concertations n’aboutissaient pas aux résultats escomptés.

4        Par lettre du 25 mars 2009, la direction générale (DG) « Concurrence » de la Commission a informé les requérantes notamment de son intention de publier, conformément à l’article 30 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81[CE] et 82[CE] (JO 2003, L 1, p. 1), une version non confidentielle de la décision verre automobile sur son site Internet dans les langues faisant foi en l’espèce, à savoir l’anglais, le français et le néerlandais. En outre, la DG « Concurrence » a invité les requérantes à identifier les éventuelles informations confidentielles ou constituant des secrets d’affaires et à motiver leur appréciation à cet égard.

5        À la suite d’un échange de correspondance avec les requérantes, la DG « Concurrence » a adopté, en décembre 2011, la version non confidentielle de la décision verre automobile à publier sur le site Internet de la Commission. Il ressort de la correspondance en question que la DG « Concurrence » n’a pas donné suite aux demandes des requérantes visant à occulter des informations contenues dans 246 considérants et 122 notes en bas de page de la décision verre automobile. RA 5

6        Selon la DG « Concurrence », ces informations peuvent être réparties en trois catégories. La première contient les noms des clients et la description des produits concernés ainsi que toute information susceptible d’identifier un client (ci-après les « informations de catégorie I »). La deuxième contient les quantités des pièces fournies, l’attribution des quotas auprès de chaque constructeur automobile, les accords sur les prix, leur calcul et leurs variations et, enfin, les chiffres et les pourcentages liés à l’allocation des clients entre les membres de l’entente (ci-après les « informations de catégorie II »). La troisième contient des informations d’ordre purement administratif consistant à renvoyer à des documents du dossier (ci-après les « informations de catégorie III »).

7        Les requérantes en ont référé au conseiller-auditeur le 20 janvier 2012 conformément à l’article 9 de la décision 2001/462/CE, CECA de la Commission, du 23 mai 2001, relative au mandat des conseillers-auditeurs dans certaines procédures de concurrence (JO L 162, p. 21), en s’opposant à la publication des informations des catégories I et II ainsi qu’à la publication d’un membre de phrase faisant partie du considérant 726 de la décision verre automobile. Par lettre du 21 mai 2012, les requérantes ont retiré leur demande en ce qui concerne les informations de catégorie II.

 Décision attaquée

8        Le conseiller-auditeur s’est prononcé sur la demande des requérantes par l’intermédiaire de la décision C (2012) 5719 final de la Commission, du 6 août 2012, portant rejet d’une demande de traitement confidentiel introduite par les requérantes, adoptée en vertu de l’article 8 de la décision 2011/695/UE du président de la Commission, du 13 octobre 2011, relative à la fonction et au mandat du conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence (affaire COMP/39.125 – Verre automobile) (ci-après la « décision attaquée »).

9        En guise de remarques préliminaires, en premier lieu, le conseiller-auditeur a exposé que la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17, ci-après la « communication sur la coopération de 2006 ») ne créait pas à l’égard des requérantes une confiance légitime empêchant la Commission de procéder à la publication des informations ne relevant pas du secret professionnel. En outre, l’intérêt des requérantes à ce que les détails de leur comportement ne relevant pas dudit secret ne soient pas divulgués ne mériterait aucune protection particulière. Le conseiller-auditeur ne serait d’ailleurs pas compétent pour se prononcer sur l’opportunité d’une publication des informations non confidentielles ni sur les atteintes issues de la politique générale de la Commission à cet égard (considérants 12 à 14 et 19 de la décision attaquée).

10      En deuxième lieu, le conseiller-auditeur a écarté l’argument selon lequel la Commission serait liée par sa pratique antérieure relative au périmètre de la publication. Le conseiller-auditeur a par ailleurs rappelé que la publication envisagée n’incluait pas la source des déclarations de clémence, ni d’autres documents soumis dans ce cadre, tout en soulignant qu’il n’était pas compétent pour se prononcer sur le périmètre de la publication envisagée à l’aune du principe d’égalité de traitement compte tenu de la qualité de demanderesses de clémence des requérantes (considérants 16 à 18 de la décision attaquée).

11      Il ressort du considérant 21 de la décision attaquée que cette dernière repose essentiellement sur l’examen de deux arguments avancés par les requérantes. Le premier argument, examiné aux considérants 22 à 35 de la décision attaquée, porte sur le caractère confidentiel des informations litigieuses en tant que telles et, le second argument, examiné aux considérants 36 à 45 de la décision attaquée, porte sur la protection de l’identité des personnes physiques.

12      S’agissant du premier argument, le conseiller-auditeur a considéré, premièrement, que les informations de catégorie I, portant sur les noms des clients et sur la description des produits concernés, étaient, par leur nature et compte tenu des spécificités du marché du verre automobile, connues en dehors des requérantes, deuxièmement, qu’elles étaient historiques et, troisièmement, qu’elles visaient l’essence même de l’infraction, leur divulgation étant par ailleurs dictée par les intérêts des personnes lésées (considérants 24 à 29 de la décision attaquée). En outre, dans la mesure où les requérantes avaient avancé des arguments spécifiques visant à établir le caractère confidentiel de ces informations en dépit de leurs caractéristiques générales telles que décrites ci-dessus, le conseiller-auditeur a conclu, au terme d’une analyse tenant compte de trois conditions cumulatives, que les informations de catégorie I ne relevaient pas du secret professionnel (considérants 30, dernière phrase, à 35 de la décision attaquée).

13      Quant au second argument, le conseiller-auditeur a pris appui sur l’article 5 du règlement (CE) n° 45/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2000, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions et organes communautaires et à la libre circulation de ces données (JO L 8, p. 1), et a accepté le traitement confidentiel d’informations figurant aux considérants 115, 128, 132, 252 et 562 ainsi que dans la note en bas de page n° 282 de la décision verre automobile (considérants 36 à 45 et article 2 de la décision attaquée).

14      Le conseiller-auditeur a également accepté un traitement confidentiel en ce qui concerne un membre de phrase figurant au considérant 726 de la décision verre automobile (considérant 8 et article 1er de la décision attaquée).

15      Le conseiller-auditeur a rejeté la demande des requérantes pour le surplus (article 3 de la décision attaquée).

 Procédure et conclusions des parties

16      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 octobre 2012, les requérantes ont introduit le présent recours.

17      Par ordonnance du 27 novembre 2013, le président de la troisième chambre du Tribunal a rejeté les demandes d’intervention déposées par quatre assureurs, actifs dans le secteur du verre automobile, au soutien des conclusions de la Commission.

18      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 3 de la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens ;

–        ordonner toute autre mesure appropriée.

19      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

20      À l’appui de leur recours, les requérantes soulèvent six moyens, tirés respectivement :

–        d’une violation de l’article 8 de la décision 2011/695/UE du président de la Commission européenne, du 13 octobre 2011, relative à la fonction et au mandat du conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence (JO L 275, p. 29) ;

–        d’une violation du principe de protection de la confiance légitime ;

–        d’une violation du principe d’égalité de traitement et de l’obligation de motivation ;

–        d’une violation du principe de bonne administration ;

–        d’une violation des dispositions relatives à l’accès du public aux documents des institutions de l’Union ;

–        d’une violation des dispositions portant sur la protection du secret professionnel.

21      Il y a lieu d’examiner d’abord le sixième moyen.

 Sur le sixième moyen, tiré d’une violation des dispositions portant sur la protection du secret professionnel

22      Les requérantes font valoir que, contrairement aux appréciations du conseiller-auditeur, les informations de catégorie I illustrent leurs relations de clientèle dans leur presque globalité et ne sont donc pas connues des cercles spécialisés. Dans la mesure où le conseiller-auditeur aurait omis d’examiner les arguments s’y rapportant, la décision attaquée serait par ailleurs entachée d’un défaut de motivation. En outre, l’identité des clients des requérantes constituerait toujours une donnée confidentielle, en dépit de son ancienneté, compte tenu des relations commerciales à long terme prévalant dans le marché du verre automobile. Ce type d’information ne serait pas connu en dehors des requérantes et sa divulgation sous une forme consolidée, et donc par nature confidentielle, préjudicierait de manière importante à leurs intérêts commerciaux dignes de protection. À cet égard, les requérantes contestent la distinction que fait la Commission entre documents faisant partie du dossier, d’une part, et informations ressortant de ces documents, d’autre part.

23      Les requérantes font également valoir que l’intérêt public n’appelle pas la publication des informations litigieuses, puisque les informations déjà publiées suffiraient amplement pour permettre aux tiers de comprendre les motifs fondant l’action de la Commission et pour déposer d’éventuels recours en dommages et intérêts. Les intérêts des requérantes en tant que demanderesses de clémence devraient donc prévaloir en ce qui concerne la publication des informations de catégorie I, qui seraient confidentielles. L’application arbitraire d’un critère extrêmement large et non pertinent, tenant au fait que les informations de catégorie I relèveraient de la catégorie des « faits constitutifs de l’infraction », viderait l’article 30, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 de son sens et constituerait une violation du principe de bonne administration. Enfin, toute référence nominative à un client des requérantes étant par ailleurs susceptible de permettre l’identification d’une personne physique, la décision attaquée violerait les règles régissant la protection des données à caractère personnel.

24      À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 30, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003, la Commission publie, notamment, les décisions constatant une infraction et imposant des amendes ou des astreintes. Selon le paragraphe 2 du même article, la publication mentionne le nom des parties intéressées et l’essentiel de la décision, y compris les sanctions imposées. Elle doit tenir compte de l’intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d’affaires ne soient pas divulgués.

25      L’article 28 du règlement n° 1/2003 prévoit que les informations recueillies en application des articles 17 à 22 du même règlement ne peuvent être utilisées qu’aux fins auxquelles elles ont été recueillies et qu’il est interdit aux personnes relevant des autorités de concurrence compétentes de divulguer des informations couvertes par le secret professionnel.

26      Il ressort par ailleurs de l’article 8, paragraphe 2, de la décision 2011/695 que le conseiller-auditeur est en droit de constater qu’une information peut être divulguée soit parce qu’elle ne constitue pas un secret d’affaires ou une autre information confidentielle, soit parce qu’il estime que sa divulgation présente un intérêt majeur.

27      Le secret professionnel inclut, outre les secrets d’affaires, les informations qui ne sont connues que par un nombre restreint de personnes et dont la divulgation est susceptible de causer un préjudice sérieux à la personne qui les a fournies ou à des tiers. Enfin, il est nécessaire que les intérêts susceptibles d’être lésés par la divulgation des informations en question soient objectivement dignes de protection. L’appréciation du caractère confidentiel d’une information nécessite ainsi une mise en balance entre les intérêts légitimes qui s’opposent à sa divulgation et l’intérêt général qui veut que les activités des institutions de l’Union se déroulent dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture (voir, en ce sens, arrêt du 30 mai 2006, Bank Austria Creditanstalt/Commission, T‑198/03, Rec, EU:T:2006:136, points 29 et 71).

28      Certes, selon le point 75 de l’arrêt Bank Austria Creditanstalt/Commission, point 27 supra (EU:T:2006:136), et le point 64 de l’arrêt du 12 octobre 2007, Pergan Hilfsstoffe für industrielle Prozesse/Commission (T‑474/04, Rec, EU:T:2007:306), dans la mesure où la confidentialité de certaines informations est protégée par une exception au droit d’accès aux documents prévue à l’article 4 du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), une telle protection est pertinente en vue d’apprécier le respect par la Commission de l’interdiction qui lui est faite à l’article 28, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 de divulguer les informations qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel.

29      Toutefois, postérieurement au prononcé de ces arrêts, la Cour a interprété l’article 4 du règlement n° 1049/2001 en ce sens qu’il est loisible aux institutions de se fonder, à cet égard, sur des présomptions générales s’appliquant à certaines catégories de documents, des considérations d’ordre général similaires étant susceptibles d’être opposées à des demandes de divulgation portant sur des documents de même nature. Cette interprétation s’impose lorsque la réglementation qui régit la procédure prévoit également des règles strictes quant au traitement des informations obtenues ou établies dans le cadre d’une telle procédure (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2012, Commission/Éditions Odile Jacob, C‑404/10 P, Rec, EU:C:2012:393, points 108, 116 et 118). Or, tel est précisément le cas de l’article 27, paragraphe 2, et de l’article 28 du règlement n° 1/2003 et des articles 6, 8, 15 et 16 du règlement (CE) n° 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO L 123, p. 18), qui régissent de manière restrictive l’usage des documents figurant dans le dossier relatif à une procédure d’application de l’article 101 TFUE (arrêt du 27 février 2014, Commission/EnBW, C‑365/12 P, Rec, EU:C:2014:112, point 86). Dans ce contexte, prendre en compte l’article 4 du règlement n° 1049/2001 de manière à interdire à la Commission de publier toute information au motif que cette institution serait en droit de refuser, en vertu de cette dernière disposition, l’accès aux documents dans lesquels elle figure en invoquant une présomption générale viderait l’article 30 du règlement n° 1/2003 de sa substance. En effet, d’une part, une telle approche aurait pour effet de priver la Commission de la possibilité de publier même l’essentiel de sa décision, dans la mesure où celui-ci doit forcément ressortir des éléments du dossier de l’enquête. D’autre part, elle aurait également pour effet pratique de renverser la charge de la preuve, qui, en matière de traitement confidentiel, incombe à l’entreprise demanderesse d’un tel traitement, puisqu’il suffirait à cette dernière de faire valoir la présomption générale que les institutions peuvent invoquer dans les conditions décrites ci-dessus et d’obliger de fait la Commission à démontrer que l’information litigieuse peut être incluse dans la version publiée de sa décision. Par conséquent, le fait que, en présence d’une demande d’accès à un ensemble de documents, désignés de manière globale et figurant dans le dossier de l’enquête, la Commission puisse invoquer une présomption générale tirée de la protection de l’un des intérêts énumérés à l’article 4 du règlement n° 1049/2001 (voir, en ce sens, arrêt Commission/EnBW, précité, EU:C:2014:112, points 65 à 69) ne préjuge en rien l’ampleur de la publication à laquelle peut procéder cette institution dans le cadre de l’article 30 du règlement n° 1/2003.

30      En l’espèce, s’agissant des informations de catégorie I, le conseiller-auditeur a rappelé qu’elles portaient sur les noms de clients, sur les noms et les descriptions de produits ainsi que sur toute autre information susceptible d’identifier un client (considérant 24 de la décision attaquée).

31      Or, en premier lieu, le conseiller-auditeur a estimé que ces informations étaient, de par leur nature, connues en dehors des requérantes, ces dernières n’ayant pas invoqué d’arguments ou de preuves tendant à démontrer le contraire (considérant 24 de la décision attaquée).

32      En deuxième lieu, dès lors que les informations en question concernent des faits antérieurs au 11 mars 2003, le conseiller-auditeur a considéré qu’elles ne pouvaient plus être qualifiées de confidentielles sauf à démontrer que, nonobstant leur caractère historique, elles constituent toujours des éléments essentiels de la position commerciale des requérantes. Or, la description générale du marché du verre automobile avec ses contrats à long terme ne pourrait annihiler les effets engendrés par l’écoulement du temps en l’espèce, sachant par ailleurs que les requérantes n’auraient pas démontré que les informations en question constituent toujours des éléments essentiels de leur position commerciale ou que des informations confidentielles précises peuvent en être déduites (considérant 27 de la décision attaquée).

33      En troisième lieu, le conseiller-auditeur a souligné que les faits constitutifs d’une infraction ne sauraient être qualifiés de confidentiels au motif qu’ils sont relatés dans une demande de clémence. Dans ce contexte, le conseiller-auditeur a mis en exergue l’obligation de la Commission d’œuvrer dans le respect du principe d’ouverture et a rappelé l’intérêt des personnes lésées à faire valoir leurs droits à l’encontre des auteurs de l’infraction. Les informations de catégorie I relèveraient de la catégorie des faits constitutifs de ladite infraction (considérants 28 et 29 de la décision attaquée).

34      Il en résulterait, selon le considérant 30 de la décision attaquée, que, compte tenu de leurs caractéristiques générales, les informations de catégorie I ne peuvent être qualifiées ni de secrètes ni de confidentielles. Dans ces conditions, ce ne serait qu’en présence d’éléments spécifiques démontrant que les conditions énoncées au point 27 ci-dessus sont réunies qu’une information pourrait bénéficier d’un traitement confidentiel. Après avoir examiné l’existence de tels éléments, le conseiller-auditeur est parvenu aux conclusions exposées aux points 12 et 13 ci-dessus.

35      Contrairement à ce que font valoir les requérantes, ces appréciations sont exemptes d’erreur.

36      En effet, s’agissant du type d’informations relevant de la catégorie I, il ne saurait être accepté que l’identité des clients des requérantes constitue une information connue d’un nombre restreint de personnes.

37      À cet égard, tout d’abord, dès lors que les requérantes ont elles-mêmes notifié à leurs concurrents la liste de leurs clients dans le cadre d’arrangements collusoires, la publication en cause va simplement offrir aux clients en question la possibilité de s’informer sur l’identité des autres clients des requérantes. Or, ainsi que l’a fait observer le conseiller-auditeur, selon les usages prévalant sur le marché du verre automobile, le vitrage installé sur un véhicule porte une indication visible de son origine commerciale, si bien qu’il est possible de faire l’association entre un modèle particulier et le fournisseur de verre.

38      Il est d’ailleurs douteux que le fait d’établir une liste comportant les modèles pour lesquels les requérantes ont fourni le vitrage pendant une certaine période se heurte à des obstacles majeurs d’ordre pratique, liés à la multitude de modèles de voitures en circulation. En effet, même à admettre l’existence de tels obstacles, ceux-ci ne sauraient être exagérés, étant donné que les milieux spécialisés des constructeurs automobiles possèdent déjà une expertise leur permettant de tirer des conclusions générales exactes à partir de l’indication sur le vitrage installé. Il ressort des considérants 76 à 86 de la décision verre automobile, et surtout des considérants 77, 78 et 85 de celui-ci, que le marché du verre automobile se caractérise par un tel degré de transparence en ce qui concerne l’identité des fournisseurs de ce verre que cette information ne saurait être qualifiée de confidentielle.

39      Il importe enfin de souligner, à l’instar de la conclusion figurant au considérant 29 de la décision attaquée, que les noms des clients des requérantes sont mentionnés dans le cadre de la description de l’infraction, qui a consisté en la répartition concertée de contrats relatifs à la fourniture de vitrages ou d’ensembles de vitrages aux principaux constructeurs automobiles dans l’EEE. Par conséquent, premièrement, l’identité des clients en question a fait l’objet d’échanges entre concurrents, ce qui exclut la possibilité de considérer que l’information s’y rapportant soit connue d’un nombre restreint de personnes. Deuxièmement, une telle description se fait dans le cadre d’un exposé dont la structure découle du besoin d’exposer le comportement sanctionné et qui ne saurait donc être assimilée à celle d’un rapport présentant de manière consolidée, systématique et détaillée les relations de clientèle au sein de l’industrie concernée.

40      En outre, la constatation du conseiller-auditeur selon laquelle les informations en question sont historiques est également exacte. En particulier, ne sont ni secrètes ni confidentielles les informations qui l’ont été, mais datent de cinq ans ou plus et doivent, de ce fait, être tenues pour historiques, à moins, exceptionnellement, que l’intéressé ne démontre que, malgré leur ancienneté, ces informations constituent toujours des éléments essentiels de sa position commerciale ou de celle du tiers concerné (voir, en ce sens, ordonnance du 8 mai 2012, Spira/Commission, T‑108/07, EU:T:2012:226, point 65 et jurisprudence citée). Les arguments des requérantes selon lesquels la simple possibilité que les informations en question puissent être commercialement importantes suffirait pour les rendre confidentielles ne sauraient donc être retenus. Dans ces circonstances, force est de constater que les informations de catégorie I ont un caractère historique, dès lors qu’elles datent de plus de cinq ans à compter de la publication de la décision attaquée. Les requérantes n’ayant pas présenté d’argument démontrant qu’elles constituaient toujours des éléments essentiels de leur position commerciale ou de celle des tiers concernés, leur argumentation ne saurait être retenue.

41      À cet égard, il y a également lieu de rejeter le grief des requérantes selon lequel la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation parce que le conseiller-auditeur ne s’est pas spécifiquement prononcé sur l’argument tiré du point 28 de l’ordonnance du 19 juin 1996, NMH Stahlwerke e.a./Commission (T‑134/94, T‑136/94 à T‑138/94, T‑141/94, T‑145/94, T‑147/94, T‑148/94, T‑151/94, T‑156/94 et T‑157/94, Rec, EU:T:1996:85), en vertu duquel le Tribunal a accordé un traitement confidentiel à l’égard de pièces contenues dans le dossier d’une enquête au motif qu’il ne pouvait être exclu que les noms de certains clients qui figuraient sur ces pièces aient encore une importance commerciale, en dépit de leur caractère historique. En effet, dès lors que le conseiller-auditeur a exposé avec clarté son appréciation sur les faits de l’espèce aux considérants 25 à 27 de la décision attaquée, cette dernière est motivée à suffisance de droit.

42      Dans la mesure où, eu égard aux appréciations qui précèdent, les arguments tirés du prétendu préjudice occasionné par la publication des informations de catégorie I peuvent être considérés comme révélant une pertinence quelconque, ils sont tout aussi infondés. En particulier, contrairement à ce que font valoir les requérantes, les informations dont elles cherchent à empêcher la publication n’illustrent pas des accords entre fournisseur et client, mais bien des accords illicites conclus entre concurrents dans le cadre d’une infraction à l’article 101 TFUE ayant eu lieu avant 2003. Par conséquent, l’argument selon lequel leur publication donnerait aux autres clients des requérantes la possibilité de les exploiter afin d’en extraire des conditions indûment favorables est à la fois fondé sur une prémisse erronée et purement hypothétique. En outre, si la publication de ces informations pourrait inciter les concurrents des requérantes n’ayant pas participé à l’infraction à adopter un comportement plus compétitif visant à attirer les clients de ces dernières, ce fait n’est que le résultat du jeu normal de la concurrence et ne saurait être qualifié de préjudice au sens des règles régissant le secret professionnel. L’hypothèse inverse, selon laquelle un concurrent des requérantes pourrait juger qu’il n’a pas de vrai intérêt à adopter un tel comportement, est également indifférente, dès lors que chaque opérateur est libre de s’adapter intelligemment aux conditions du marché et que, en toute hypothèse, cela ne cause pas de « préjudice » aux requérantes.

43      Le prétendu préjudice du fait de la perte de clients ou de l’exposition à des recours en dommages et intérêts ne serait, dans la mesure où il se réaliserait, que la conséquence indirecte de la participation des requérantes à une infraction à l’article 101 TFUE et ne saurait donc être considéré comme digne de protection. Dans ce contexte, il y a également lieu de rejeter l’argument selon lequel l’intérêt public n’appelle pas la publication des informations litigieuses, puisque les informations déjà publiées suffiraient amplement à permettre aux tiers de comprendre les motifs fondant l’action de la Commission et à déposer des éventuels recours en dommages et intérêts. En effet, dans la mesure où, comme il ressort des développements qui précèdent, la publication envisagée respecte le secret professionnel, l’intérêt d’une entreprise à laquelle la Commission a infligé une amende pour violation du droit de la concurrence à ce que les détails du comportement infractionnel qui lui est reproché ne soient pas divulgués au public ne mérite aucune protection particulière. L’intérêt du public de connaître le plus amplement possible les motifs de toute action de la Commission, l’intérêt des opérateurs économiques de savoir quels sont les comportements susceptibles de les exposer à des sanctions et l’intérêt des personnes lésées par l’infraction d’en connaître les détails afin de pouvoir faire valoir, le cas échéant, leurs droits à l’encontre des entreprises sanctionnées et la possibilité dont dispose l’entreprise incriminée de soumettre une telle décision à un contrôle juridictionnel laissent à la Commission la possibilité de publier une version de sa décision allant même au-delà du minimum requis par l’article 30 du règlement n° 1/2003 (voir, en ce sens, arrêt Bank Austria Creditanstalt/Commission, point 27 supra, EU:T:2006:136, points 78 et 79). Enfin, ainsi qu’il sera analysé dans le cadre des deuxième et troisième moyens (voir points 65 à 73 ci-après), la qualité de demanderesses de clémence des requérantes ne modifie en rien ces appréciations, si bien que les arguments tirés de cette circonstance sont à écarter par identité de motifs.

44      Il ressort de ces appréciations que le conseiller-auditeur a motivé sa décision à suffisance de droit et qu’il n’a pas commis d’erreur en estimant que les informations de catégorie I n’étaient pas confidentielles.

45      Cela étant, les requérantes soulèvent, dans le cadre du présent moyen, des griefs tirés de la violation des règles régissant la protection de l’identité de l’individu et de l’intérêt public poursuivi par le programme de clémence de la Commission. Ces griefs ayant une portée autonome, il y a lieu de les analyser de manière séparée des appréciations qui précèdent.

46      Ainsi, s’agissant du grief selon lequel toute référence nominative aux clients des requérantes est de nature à permettre l’identification de l’individu responsable de chaque client au sein de la structure administrative des requérantes, il y a lieu de rejeter d’emblée l’argument de la Commission selon lequel les requérantes ne sont pas habilitées à soulever des arguments fondés sur l’intérêt de leurs employés. En effet, l’article 8 de la décision 2011/695 ne prévoit pas une telle limitation s’agissant de la procédure administrative, si bien que les requérantes sont en droit de contester la légalité des appréciations du conseiller-auditeur à cet égard.

47      Au demeurant, il y a lieu de relever que, lorsque la Commission publie une décision adressée à une entreprise ayant participé à un arrangement collusoire avec ses concurrents, les clients de l’entreprise en question en déduiront nécessairement que certains employés de celle-ci ont procédé aux échanges ou ont conclu les accords incriminés. Il est tout aussi inévitable, pour ces mêmes clients, de supposer que les employés en question sont ceux chargés des relations commerciales avec eux. Les clients procéderont à ces déductions même si la Commission publie une version extrêmement sommaire de sa décision comportant seulement les noms des destinataires, une référence aux produits concernés et une description générale de l’infraction. Par conséquent, les requérantes ne sauraient demander que les références à leurs clients affectés soient omises de la version publiée de la décision verre automobile au motif que lesdits clients pourraient avoir une idée de la personne physique ayant pris part aux arrangements anticoncurrentiels. En revanche, la référence aux noms des clients dans le cadre de la description d’une prise de contact entre concurrents clarifie le fait que le contact en question a concerné un ou plusieurs clients particuliers. L’absence de toute référence au nom du/des clients ou du/des modèle(s) concerné(s) aura pour effet que tous les clients des requérantes soupçonneront que le responsable chargé de leur compte a pris part à ce contact. Dans ce contexte, la référence nominative au(x) client(s) concerné(s) est même de nature à mitiger l’incertitude et les soupçons qui résulteraient d’une omission de tout nom sur la version publiée de la décision verre automobile.

48      Quant à l’argument des requérantes tiré de l’intérêt public poursuivi par le programme de clémence de la Commission, il doit également être écarté.

49      En particulier, la présente affaire concerne non la contestation d’un refus d’accès à des documents relevant d’une procédure en matière de concurrence, au cœur de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 14 juin 2011, Pfleiderer (C‑360/09, Rec, EU:C:2011:389), mais la publication qu’envisage la Commission de certaines informations contenues dans des documents ou déclarations qui lui ont été soumis volontairement par les requérantes, en vue de bénéficier du programme de clémence.

50      Dans le cadre du présent grief, les requérantes soutiennent, en substance, que la publication des informations qu’elles ont communiquées volontairement au cours de l’enquête dans le but de bénéficier du programme de clémence porterait atteinte à l’objectif des activités d’enquête de la Commission.

51      L’argumentation des requérantes ne fait pas apparaître l’existence d’une règle de droit que la Commission aurait enfreinte du seul fait que la publication envisagée des informations fournies dans le cadre du programme de clémence pourrait avoir un impact sur la mise en œuvre dudit programme au regard des futures enquêtes. En outre, cet argument particulier implique l’intérêt du public à connaître le plus amplement possible les motifs de toute action de la Commission, celui des opérateurs économiques à s’informer des comportements susceptibles de les exposer à des sanctions et, enfin, celui de la Commission de préserver l’effet utile de son programme de clémence. Or, ces intérêts spécifiques ne sont pas propres aux requérantes, si bien qu’il incombe à la seule Commission de mettre en balance, dans les circonstances de l’espèce, l’efficacité du programme de clémence, d’une part, et l’intérêt du public et des opérateurs économiques à s’informer du contenu de sa décision et d’agir afin de protéger leurs droits, d’autre part.

52      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument des requérantes selon lequel les informations dont elles ont sollicité le traitement confidentiel ne sont pas essentielles pour la compréhension du dispositif de la décision verre automobile et ne relèvent dès lors pas de l’obligation de publication qui pèse sur la Commission en vertu de l’article 30, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003. En effet, sans même qu’il soit nécessaire d’apprécier si tel est le cas, il suffit de constater que cette disposition ne vise pas à restreindre la liberté de la Commission de publier volontairement une version de sa décision plus complète que le minimum nécessaire et d’y inclure également des informations dont la publication n’est pas requise, dans la mesure où la divulgation de celles-ci n’est pas incompatible avec la protection du secret professionnel (arrêt Bank Austria Creditanstalt/Commission, point 27 supra, EU:T:2006:136, point 79).

53      L’argument des requérantes selon lequel le conseiller-auditeur n’a pas tenu suffisamment compte de leurs intérêts en tant que demanderesses de clémence dans le cadre d’une mise en balance des intérêts en faveur de et contre la divulgation des informations de catégorie I doit être écarté. En effet, il ressort de l’analyse qui précède que les informations en question ne peuvent pas être considérées comme étant connues d’un nombre restreint de personnes et qu’elles sont historiques, si bien qu’une mise en balance des intérêts au sens de la jurisprudence citée au point 27 ci-dessus n’a pas d’objet. Pour autant que cet argument peut être considéré comme portant sur les droits que les requérantes prétendent tirer de la communication sur la coopération de 2006 ainsi que de la précédente version de cette communication, en l’occurrence la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la « communication sur la coopération de 2002 »), il sera examiné dans le cadre des deuxième à quatrième moyens.

54      Il y a donc lieu d’écarter le sixième moyen.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 8 de la décision 2011/695

55      Les requérantes font valoir que, en refusant, aux considérants 14, 17 et 19 de la décision attaquée, d’examiner si la publication envisagée était conforme aux principes de protection de la confiance légitime et d’égalité de traitement, le conseiller-auditeur s’est abstenu d’exercer la compétence que lui attribue l’article 8 de la décision 2011/695. En toute hypothèse, dès lors que le conseiller-auditeur aurait explicitement décliné sa compétence, la décision attaquée serait entachée d’un défaut de motivation à l’égard de ces principes.

56      À cet égard, il y a, tout d’abord, lieu de relever que, ainsi qu’il ressort de l’analyse effectuée dans le cadre du sixième moyen, la décision attaquée n’est pas entachée d’illégalité en ce qui concerne les appréciations relatives au caractère confidentiel des informations litigieuses.

57      Il ressort, ensuite, des considérants 14, 17 et 19 de la décision attaquée que le conseiller-auditeur a opéré une distinction entre les arguments des requérantes fondés sur le caractère confidentiel des informations litigieuses, d’une part, et les arguments tirés de la violation de principes qui ne sont pas liés au secret professionnel, tels que le principe d’égalité de traitement et le principe de protection de la confiance légitime, d’autre part.

58      À cet égard, c’est à juste titre que le conseiller-auditeur a conclu, au considérant 14 de la décision attaquée, que les arguments en question portaient par définition sur des informations qui pouvaient être publiées compte tenu des limites qu’imposaient à l’action de la Commission l’article 30, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 et l’article 8 de la décision 2011/695, à savoir qu’il s’agissait d’informations qui ne relevaient pas en tant que telles du secret professionnel. Il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort de l’article 8, paragraphe 1, de la décision 2011/695, la procédure pouvant donner lieu à une intervention du conseiller-auditeur est déclenchée « [l]orsque la Commission envisage de divulguer des informations susceptibles de constituer un secret d’affaires ou d’autres informations confidentielles ». Dans ce contexte, c’est également à juste titre que le conseiller-auditeur a souligné la marge d’appréciation dont jouissait la Commission lorsque cette institution identifiait les informations non confidentielles qui feraient l’objet d’une publication.

59      Il importe par ailleurs de souligner que, ainsi qu’il ressort de l’article 8, paragraphe 2, de la décision 2011/695, le conseiller-auditeur se doit de préciser, dans sa décision, le délai à l’expiration duquel l’information litigieuse jugée non confidentielle sera divulguée, le délai en question ne pouvant être inférieur à une semaine. Il découle de cette disposition que l’intervention du conseiller-auditeur consiste en l’application des règles protégeant les entreprises en raison du caractère confidentiel de l’information concernée. En effet, la publication de la part de la DG « Concurrence » d’une information relevant du secret professionnel annihile définitivement la protection spécifique accordée à ce type d’information. L’intervention du conseiller-auditeur vise donc à ajouter une étape de contrôle supplémentaire de la part d’un organe indépendant de la DG « Concurrence ». Cet organe est, de surcroît, obligé de différer la prise d’effet de sa décision, donnant ainsi à l’entreprise concernée la possibilité de saisir le juge des référés afin d’obtenir un sursis à exécution selon les conditions s’y rapportant. Par conséquent, il y a lieu d’opérer une distinction entre l’application des règles de droit relatives au caractère confidentiel de l’information en tant que telle, d’une part, et celles invoquées dans le but d’obtenir un traitement confidentiel de l’information indépendamment de la question de savoir si celle-ci est par nature confidentielle, d’autre part. À cet égard, ainsi que le fait valoir la Commission, à supposer que la publication d’une information ne relevant pas du secret professionnel puisse constituer une violation d’une règle relevant de la seconde des deux catégories susmentionnées, cette circonstance ne rend pas illusoire la protection conférée par les règles relatives audit secret. Une telle violation, à la supposer établie, peut donner lieu à des mesures correctives adéquates, telles que des dommages et intérêts, si les conditions relatives à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union sont réunies. Par conséquent, une analyse au fond des arguments relevant de cette catégorie de règles se situe en dehors des objectifs poursuivis par le mandat confié au conseiller-auditeur en vertu de l’article 8 de la décision 2011/695 (arrêt du 28 janvier 2015, Evonik Degussa/Commission, T‑341/12, Rec, EU:T:2015:51, point 43), si bien que les appréciations figurant aux considérants 14, 17 et 19 ne sont pas entachées d’illégalité.

60      En toute hypothèse, enfin, aux considérants 12, 13 et 16 de la décision attaquée, le conseiller-auditeur a souligné que les requérantes ne pouvaient pas se prévaloir d’une confiance ou d’un autre intérêt légitime empêchant la Commission de publier des informations non confidentielles, même si celles-ci ne relevaient pas de l’essentiel de la décision constatant l’infraction. En outre, le conseiller-auditeur a rappelé, au considérant 18 de la décision attaquée, que la Commission avait accepté d’éliminer toute référence susceptible d’identifier la source des déclarations produites dans la procédure de clémence ou des documents soumis dans le cadre de ladite procédure, afin de tenir dûment compte de la qualité des requérantes en tant qu’entreprise ayant coopéré. Dans ces conditions, force est de constater que le conseiller-auditeur a formulé son appréciation relative aux arguments tirés de la violation des principes de protection de la confiance légitime et d’égalité de traitement, si bien que la décision attaquée n’est, en tout état de cause, pas entachée d’un défaut de motivation.

61      Par conséquent, le premier moyen doit être écarté.

 Sur les deuxième et troisième moyens, tirés d’une violation du principe de protection de la confiance légitime, du principe d’égalité de traitement et de l’obligation de motivation

62      Les requérantes font valoir que les communications sur la coopération de 2002 et de 2006 contiennent des prévisions faisant naître à l’égard de toute entreprise relevant de leur champ d’application une confiance légitime quant au fait que les informations fournies volontairement resteront confidentielles, dans la mesure du possible, même au stade de la publication de la décision de la Commission. En outre, les mêmes communications fourniraient des assurances précises quant au fait que les éléments publiés assureraient aux entreprises ayant coopéré, telles que les requérantes, une exposition moindre aux risques de recours civils par rapport aux entreprises n’ayant pas coopéré. Cette confiance, qui serait également fondée sur l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001, couvrirait non seulement les documents soumis dans le cadre d’une procédure de clémence, mais également les informations contenues dans ceux-ci. Or, la décision attaquée autoriserait la publication de l’identité des clients des requérantes, à savoir d’éléments fournis à la Commission dans le cadre du programme de clémence. Cette publication, qui ne serait pas nécessaire aux fins de l’application de l’article 101 TFUE, violerait ainsi la confiance légitime des requérantes et les mettrait dans une position moins avantageuse par rapport aux entreprises n’ayant pas coopéré. Il en résulterait une violation des dispositions relatives à la protection du secret professionnel.

63      Les requérantes font également valoir que, en tant que seules demanderesses de clémence, elles se trouvent dans une situation différente de celle des autres destinataires de la décision verre automobile. Or, la décision attaquée permettrait à la Commission d’adopter, s’agissant de la publication de l’identité des clients concernés, une approche invariable à l’égard de tous les destinataires de la décision verre automobile. Cette circonstance préjudicierait de manière disproportionnée aux requérantes, dès lors que les références aux producteurs de véhicules concernés par l’entente viseraient dans la majorité des cas leurs propres clients. Ces circonstances donneraient également lieu à une violation du secret professionnel, les appréciations du conseiller-auditeur étant par ailleurs entachées d’une erreur manifeste d’appréciation ainsi que d’un défaut de motivation.

64      Ces arguments ne sauraient être retenus.

65      Il y a lieu de relever d’emblée que les appréciations exposées au point 59 ci-dessus sont sans préjudice de la compétence du juge de l’Union afin qu’il se prononce sur des moyens tirés d’une violation du principe de protection de la confiance légitime ou du principe d’égalité de traitement.

66      À cet égard, en premier lieu, les communications sur la coopération de 2002 et de 2006 ne contiennent aucune disposition confortant l’argumentation des requérantes. En particulier, il ressort des points 3 à 7 de la communication sur la coopération de 2002 ainsi que des points 3 à 5 de la communication sur la coopération de 2006 que ces communications ont pour seul objet d’établir les conditions dans lesquelles une entreprise peut obtenir soit une immunité d’amende soit une réduction du montant de celle-ci. Ainsi que le fait valoir la Commission, les communications en question ne prévoient aucun autre avantage que pourrait revendiquer une entreprise en échange de sa coopération. Les règles énoncées aux points 8 à 27 de la communication sur la coopération de 2002 et aux points 8 à 30 de la communication sur la coopération de 2006 concernent exclusivement le montant des amendes.

67      Cette appréciation est expressément confirmée au point 31 de la communication sur la coopération de 2002 et au point 39 de la communication correspondante de 2006. Selon le libellé identique de ces points, le fait qu’une entreprise bénéficie d’une immunité d’amende ou d’une réduction de son montant ne la protège pas des conséquences en droit civil de sa participation à une infraction à l’article 101 TFUE.

68      Certes, selon le point 6 de la communication sur la coopération de 2006 « [l]es entreprises qui envisagent de solliciter la clémence pourraient être dissuadées de coopérer avec la Commission dans le cadre de la présente communication si leur position dans des actions civiles se trouvait être moins favorable que celle des entreprises qui ne coopèrent pas avec elle ».

69      Toutefois, cette phrase doit être lue dans son contexte et notamment à la lumière des phrases qui la précèdent, selon lesquelles :

« Outre qu’elles peuvent lui remettre des documents préexistants, les entreprises peuvent spontanément faire une soumission à la Commission de ce qu’elles savent d’une entente, ainsi que de leur rôle dans cette entente, soumission qui est spécialement destinée à être faite dans le cadre de ce programme de clémence. Ces initiatives se sont avérées utiles en ce qu’elles ont permis de mener des enquêtes efficaces et de mettre fin à des violations des règles de concurrence et elles ne devraient pas être découragées par des décisions ordonnant la communication de pièces dans des procédures civiles. »

70      Par conséquent, la phrase reproduite au point 68 ci-dessus signifie qu’une entreprise ne saurait être désavantagée dans le cadre des actions civiles éventuellement engagées à son égard du seul fait qu’elle a spontanément soumis à la Commission par écrit une déclaration de clémence, qui pourrait faire l’objet d’une décision ordonnant la communication de pièces. C’est dans le cadre de cette volonté de protéger tout spécialement les déclarations de clémence que la Commission s’est imposée, aux points 31 à 35 de la communication sur la coopération de 2006, des règles particulières régissant les modalités de formulation desdites déclarations, l’accès à celles-ci et leur utilisation. Or, ces règles concernent exclusivement les documents et les déclarations, écrites ou enregistrées, reçus conformément aux communications sur la coopération de 2002 ou de 2006 et dont la divulgation est en général considérée par la Commission comme portant atteinte à la protection des objectifs des activités d’inspection et d’enquête au sens de l’article 4 du règlement n° 1049/2001, comme indiqué aux points 32 et 40 desdites communications. Elles n’ont donc ni pour objet ni pour effet d’empêcher la Commission de publier, dans sa décision mettant fin à la procédure administrative, les informations relatives à la description de l’infraction qui lui ont été soumises dans le cadre du programme de clémence et elles ne créent pas de confiance légitime à cet égard.

71      Ainsi, une telle publication, faite en application de l’article 30 du règlement n° 1/2003 et, comme il ressort de l’examen du sixième moyen, dans le respect du secret professionnel, ne met pas en échec la confiance légitime à laquelle peuvent prétendre les requérantes en vertu des communications sur la clémence de 2002 et de 2006, qui concerne le calcul du montant de l’amende et le traitement des documents et des déclarations spécialement visés.

72      Corrélativement, pour les raisons exposées au point 29 ci-dessus, l’article 4 du règlement n° 1049/2001 concerne l’accès aux documents faisant partie du dossier de l’enquête, à l’exclusion de la décision qu’adopte la Commission au terme de la procédure administrative, dont le contenu est défini en application de l’article 30 du règlement n° 1/2003. Ainsi, l’article 4 du règlement n° 1049/2001 n’est pas susceptible de créer une confiance légitime à l’égard des requérantes quant au contenu de la version publique de la décision verre automobile.

73      En second lieu, ainsi que le fait valoir la Commission, les communications sur la coopération de 2002 et de 2006 ont pour objet de mettre en œuvre une politique de différenciation entre les destinataires d’une décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE selon le degré de coopération de chacun et au seul regard du montant de l’amende. Dès lors que, selon l’analyse qui précède, les communications en question ne visent pas à affecter les conséquences en droit civil de la participation des entreprises demanderesses de clémence à une infraction, l’argument des requérantes selon lequel elles se trouvent, au regard de ces conséquences, dans une situation différente de celle des autres destinataires de la décision verre automobile en raison de leur qualité de demanderesses de clémence (voir point 63 ci-dessus) ne saurait être accepté. Par conséquent, l’argument selon lequel la Commission aurait dû moduler les références publiées relatives aux clients de chaque destinataire de la décision verre automobile selon le degré de coopération de chacun d’entre eux est, outre son caractère impraticable, fondé sur une prémisse erronée. Compte tenu du fait que, ainsi que l’a rappelé le conseiller-auditeur au considérant 18 de la décision attaquée, la Commission avait accepté d’éliminer toute référence susceptible d’identifier la source d’information concernant chaque élément de fait fondant la décision verre automobile, il ne saurait, en tout état de cause, être question de violation du principe d’égalité de traitement ou de l’obligation de motivation.

74      Il y a donc lieu de rejeter les deuxième et troisième moyens.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation du principe de bonne administration

75      Les requérantes font valoir que la publication de l’identité des clients qui est envisagée constitue une rupture avec la pratique constante que la Commission a mise en œuvre dans le cadre des publications tant antérieures que postérieures à la décision verre automobile. Dans le cadre de cette pratique, les noms des clients seraient à occulter au motif qu’il s’agit d’éléments confidentiels. Cette rupture serait arbitraire et inattendue, si bien qu’elle serait constitutive d’une violation du principe de bonne administration.

76      À cet égard, il convient de rappeler que la Commission est en droit, dans le cadre de ses attributions en matière de mise en œuvre du droit de la concurrence au sein de l’Union, de publier, dans le respect des règles régissant la protection du secret professionnel telles que rappelées aux points 24 à 29 ci-dessus, une version des décisions qu’elle rend plus complète que le minimum requis par l’article 30 du règlement n° 1/2003, en encourageant les actions des personnes lésées par l’infraction, ce qui constitue une composante de la politique de la concurrence (voir, en ce sens, arrêt Bank Austria Creditanstalt/Commission, point 27 supra, EU:T:2006:136, points 78 et 79). Ainsi, comme c’est le cas s’agissant du niveau général des amendes (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec, EU:C:1983:158, point 109), la Commission est en droit d’adapter son approche au sujet de la publication de ses décisions aux besoins de sa politique en matière de concurrence. En effet, la mission de surveillance que confèrent à la Commission l’article 101, paragraphe 1, TFUE et l’article 102 TFUE ne comprend pas seulement la tâche d’instruire et de réprimer des infractions individuelles, mais comporte également le devoir de poursuivre une politique générale visant à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens le comportement des entreprises (arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec, EU:C:2005:408, point 170). Partant, à supposer même que la décision attaquée fasse apparaître un changement d’approche de la Commission en ce qui concerne le niveau de détail de la version publiée de la décision verre automobile par rapport à des affaires précédentes, ce seul fait n’est pas susceptible, eu égard à l’analyse dédiée au sixième moyen, d’affecter la légalité de la décision attaquée du point de vue du principe de bonne administration.

77      Il y a donc lieu de rejeter le quatrième moyen.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation des dispositions relatives à l’accès du public aux documents des institutions

78      Les requérantes font valoir que, dans la mesure où la Commission est tenue, en vertu de l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1049/2001, de refuser l’accès à certains documents, elle se doit d’occulter, dans la version publiée de sa décision, les informations ressortant de ces documents. Or, la décision attaquée aurait pour effet de permettre à la Commission de publier des informations portant atteinte à la protection des objectifs mêmes de son enquête et à l’intégrité de l’individu, et ce sans qu’un intérêt public supérieur autorise une telle publication. Les communications sur la coopération de 2002 et de 2006 fourniraient des assurances précises quant au traitement plus favorable, dans la mesure du possible, des demandeurs de clémence par rapport aux autres destinataires de la décision de la Commission. En outre, la publication envisagée enfreindrait les règles établies dans le cadre de la communication de la Commission relative aux règles d’accès au dossier de la Commission dans les affaires relevant des articles [101 TFUE et 102 TFUE], des articles 53, 54 et 57 de l’accord EEE et du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil (JO 2005, C 325, p. 7).

79      À cet égard, s’agissant de l’argument tiré de la méconnaissance du règlement n° 1049/2001, il suffit de rappeler que les règles en cause concernent l’accès aux documents faisant partie du dossier de l’enquête. Ainsi, pour les raisons exposées au point 29 ci-dessus, elles ne s’appliquent pas en matière de publication de la décision de la Commission adoptée à l’issue de cette enquête. Il en va de même pour la communication relative aux règles d’accès au dossier de la Commission dans les affaires de concurrence. En effet, selon ses paragraphes 1 et 3, cette communication concerne exclusivement l’accès aux documents du dossier d’une enquête en matière d’ententes au sens de l’article 27, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1/2003 et de l’article 15, paragraphe 1, du règlement n° 773/2004 au profit des destinataires d’une communication des griefs. Par conséquent, ces arguments doivent être rejetés.

80      Quant à l’argument tiré de la prétendue obligation d’assurer aux requérantes un traitement plus favorable que celui réservé aux autres destinataires de la décision verre automobile s’agissant de la publication d’éléments soumis dans le cadre du programme de clémence, il a déjà été rejeté aux points 64 à 73 ci-dessus.

81      Compte tenu de l’analyse qui précède, il y a lieu de rejeter le cinquième moyen ainsi que le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

82      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

83      Les requérantes ayant succombé en leurs conclusions, il y a lieu de les condamner aux dépens dans la présente affaire, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      AGC Glass Europe SA, AGC Automotive Europe SA, AGC France SAS, AGC Flat Glass Italia Srl, AGC Glass UK Ltd et AGC Glass Germany GmbH sont condamnées aux dépens.

Papasavvas

Forwood

Bieliūnas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 juillet 2015.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.


1 Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.