Language of document : ECLI:EU:T:2018:950

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

13 décembre 2018 (*)

« Aides d’État – Industrie chimique – Décision de poursuivre l’exploitation d’une entreprise durant la procédure de faillite – Décision constatant l’absence d’aide d’État – Recours en annulation – Affectation individuelle – Recevabilité – Notion d’aide d’État – Avantage – Critère du créancier privé – Imputabilité à l’État – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑284/15,

AlzChem AG, établie à Trostberg (Allemagne), représentée initialement par M. P. Alexiadis, solicitor, Mes A. Borsos et I. Georgiopoulos, avocats, puis par M. Alexiadis, Mes Borsos, E. Kazili, P. Oravec et K. Csach, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. G. Conte et Mme L. Armati, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République slovaque, représentée par Mme B. Ricziová, en qualité d’agent,

et par

Fortischem a.s., établie à Nováky (Slovaquie), représentée par Mes C. Arhold, P. Hodál et M. Staroň, avocats,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de l’article 2 de la décision (UE) 2015/1826 de la Commission, du 15 octobre 2014, concernant l’aide d’État SA.33797 (2013/C) (ex 2013/NN) (ex 2011/CP) mise à exécution par la Slovaquie en faveur de l’entreprise NCHZ (JO 2015, L 269, p. 71),

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. G. Berardis, président, S. Papasavvas et Mme O. Spineanu‑Matei (rapporteur), juges,

greffier : M P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 11 avril 2018,

rend le présent

Arrêt (1)

I.      Antécédents du litige

1        La requérante, AlzChem AG, est une société ayant son siège social en Allemagne et exerçant son activité sur plusieurs marchés de produits de chimie fine dans un certain nombre d’États membres de l’Union européenne, parmi lesquels la République slovaque.

2        Novácké chemické závody, a.s. v konkurze (ci-après « NCHZ ») était un producteur chimique détenu par des capitaux privés et doté de trois divisions. Cette société exploitait une usine chimique installée dans la région de Trenčín (Slovaquie). Elle avait pour cœur d’activité la production de carbure de calcium et de gaz techniques, de polychlorure de vinyle et de ses sous-produits ainsi que d’une part croissante de produits de chimie lourde et de chimie fine de faible tonnage.

3        Le 8 octobre 2009, NCHZ, ayant déclaré son incapacité à poursuivre ses activités et déposé son bilan, a fait l’objet d’une procédure de faillite.

4        Le 5 novembre 2009, la République slovaque a adopté la zákon č. 493/2009 Z.z. o niektorých opatreniach týkajúcich sa strategických spoločností a o zmene a doplnení niektorých zákonov (loi no 493/2009 sur certaines mesures concernant les sociétés stratégiques et sur la modification de certaines lois, ci-après la « loi sur les sociétés stratégiques »). Cette loi, entrée en vigueur le 1er décembre 2009, conférait à l’État un droit de préemption l’autorisant à acheter les sociétés stratégiques faisant l’objet d’une procédure de faillite et exigeait la présence d’un administrateur de faillite (ci-après l’« administrateur ») afin d’assurer la poursuite de l’exploitation de la société stratégique durant cette procédure. Le 2 décembre 2009, NCHZ a été qualifiée par les autorités slovaques, en vertu de ladite loi, de société stratégique et a bénéficié de ce statut jusqu’à l’expiration de celle-ci, le 31 décembre 2010. NCHZ a été la seule société à faire l’objet d’une application de ladite loi (ci-après la « première période de la faillite »).

5        Après le 31 décembre 2010, NCHZ a été soumise à l’application de la zákon č. 7/2005 Z.z. o konkurze a reštrukturalizácii a o zmene a doplnení niektorých zákonov (loi no 7/2005 sur la faillite et la restructuration et sur les modifications de certaines lois, ci-après la « loi sur la faillite ») (ci-après la « seconde période de la faillite »). Lors de la réunion commune du 26 janvier 2011 entre les créanciers chirographaires, réunis au sein du comité des créanciers (ci-après le « comité des créanciers »), et les créanciers privilégiés concernés (ci-après la « réunion du 26 janvier 2011 »), l’administrateur alors en fonction a informé ceux-ci du fait que les charges d’exploitation générées par l’activité de NCHZ étaient supérieures aux produits d’exploitation. Il a, en outre, communiqué aux créanciers son analyse économique du 23 décembre 2010 (ci-après l’« analyse économique »), laquelle a été complétée par une présentation des dirigeants. Les créanciers susmentionnés ont alors décidé la poursuite de l’exploitation de NCHZ (ci-après la « décision du 26 janvier 2011 »). Cette décision ayant été approuvée par une décision du súd v Trenčíne (tribunal de Trenčín, Slovaquie) le 17 février 2011 [ci-après la « décision du súd v Trenčíne (tribunal de Trenčín) » ou la « décision du 17 février 2011 »], l’administrateur a poursuivi cette exploitation. En l’espèce, conformément à la loi sur la faillite, le comité des créanciers, les créanciers privilégiés et le súd v Trenčíne (tribunal de Trenčín) composaient le comité compétent (ci-après le « comité compétent »).

[omissis]

10      Par lettre du 2 juillet 2013, la Commission a notifié aux autorités slovaques sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, en vertu de l’article 108, paragraphe 2, TFUE (JO 2013, C 297, p. 85), s’agissant, d’une part, de l’autorisation de l’État, du fait de la loi sur les sociétés stratégiques, de poursuivre l’exploitation de NCHZ de décembre 2009 à décembre 2010 et, d’autre part, de la décision des créanciers de janvier 2011 de poursuivre l’exploitation de NCHZ, après l’expiration de la loi sur les sociétés stratégiques. La Commission a en outre émis des doutes sur le caractère inconditionnel de l’appel d’offres ayant permis la vente de NCHZ et a estimé que des indices sérieux laissaient penser que la continuité économique entre NCHZ et la nouvelle entité n’avait pas été interrompue.

[omissis]

II.    Décision attaquée

13      Le 15 octobre 2014, la Commission a adopté la décision (UE) 2015/1826, concernant l’aide d’État SA.33797 (2013/C) (ex 2013/NN) (ex 2011/CP) mise à exécution par la Slovaquie en faveur de l’entreprise NCHZ (JO 2015, L 269, p. 71, ci-après la « décision attaquée »).

14      La Commission a considéré que l’attribution du statut de société stratégique à NCHZ (ci-après la « première mesure ») constituait un avantage sélectif au profit de celle-ci, était imputable à l’État, avait conduit à l’utilisation de ressources d’État et avait faussé la concurrence sur un marché ouvert aux échanges entre les États membres. La Commission en a conclu que cette mesure constituait une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et que cette aide était illégale et incompatible avec le marché intérieur (considérants 110 et 114 à 124 de la décision attaquée). Après avoir estimé que le montant de l’aide d’État s’élevait à 4 783 424,10 euros, elle a considéré que l’aide devait être récupérée auprès de NCHZ et que l’ordre de récupération devrait être étendu à Fortischem, celle-ci étant liée à NCHZ dans le cadre d’une continuité économique (considérants 101 et 174 de la décision attaquée).

15      En revanche, la Commission a estimé que la poursuite de l’exploitation de NCHZ en vertu de la décision du 26 janvier 2011 (ci-après la « seconde mesure ») ne constituait pas une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, étant donné qu’au moins deux conditions cumulatives conditionnant l’existence d’une aide d’État, à savoir l’imputabilité de la mesure en cause à l’État et l’existence d’un avantage économique, n’étaient pas remplies (considérant 113 de la décision attaquée).

16      Le dispositif de la décision attaquée est libellé comme suit :

« Article 2

La décision qui a permis la poursuite des activités de NCHZ après l’expiration de la loi, en vertu de la décision du comité des créanciers, ne constituait pas une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, [TFUE].

[…]

Article 6

La [République slovaque] est destinataire de la présente décision. »

[omissis]

V.      En droit

[omissis]

B.      Sur le fond

[omissis]

2.      Sur l’imputabilité à l’État de la poursuite de l’exploitation de NCHZ durant la seconde période de la faillite (second moyen)

[omissis]


b)      Sur la violation de l’obligation de motivation concernant l’imputabilité de la seconde mesure à l’État du fait de l’approbation par le súd v Trenčíne (tribunal de Trenčín) de la décision du 26 janvier 2011 (première branche du second moyen)

97      La requérante fait valoir que, comme la Commission l’a mentionné au considérant 46 de la décision attaquée, elle a, en sa qualité de plaignante, soutenu que la décision d’autoriser le maintien de l’exploitation de NCHZ était imputable à l’État, notamment en ce que cette décision avait été confirmée et rendue obligatoire par le súd v Trenčíne (tribunal de Trenčín).

98      Or, bien que la Commission admette aux considérants 14, 33, 35, 36 et 102 de la décision attaquée l’implication du súd v Trenčíne (tribunal de Trenčín) dans le processus décisionnel, elle serait muette, aux considérants 103 et 104 de la décision attaquée, dans lesquels serait exposée son analyse de la question de l’imputabilité de la seconde mesure à l’État, quant à la question du rôle joué par ledit tribunal. La requérante en conclut que, alors que les décisions des juridictions nationales sont généralement considérées comme imputables à l’État, la Commission n’a fourni aucune indication susceptible d’expliquer la raison pour laquelle la décision du súd v Trenčíne (tribunal de Trenčín) était dénuée de pertinence ou, dans l’hypothèse où elle aurait été pertinente, la raison pour laquelle elle n’aurait pas été suffisante afin d’établir l’imputabilité de la seconde mesure à l’État.

99      La Commission estime que la décision attaquée est suffisamment motivée. Elle considère avoir présenté de façon claire et sans équivoque le raisonnement qu’elle a suivi, permettant ainsi à la requérante de le comprendre et au Tribunal d’exercer son contrôle juridictionnel. Elle soutient avoir déjà précisé que, dans une situation où tous les créanciers, dont la majorité sont privés, décident expressément qu’il est dans leur intérêt économique de permettre le maintien des activités de l’entreprise en faillite, leur décision n’est pas imputable à l’État pour la simple raison qu’un tribunal la confirme ensuite et la rend contraignante. Selon la Commission, si la requérante peut ne pas être d’accord quant au bien-fondé de cette approche, elle ne peut pas prétendre ne pas avoir compris la logique sous-tendant la conclusion de la Commission, car, malgré la concision de la décision attaquée sur ce point, ce raisonnement ressortirait sans ambiguïté de celle-ci, en particulier de ses considérants 102 à 104.

100    À titre liminaire, il convient de comprendre que, par son argumentation, la requérante invoque, en substance, la violation de l’obligation de motivation concernant le rôle du súd v Trenčíne (tribunal de Trenčín) dans le processus décisionnel.

101    Il doit être relevé que, au considérant 102 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que « tous les créanciers faisant partie du comité [des créanciers], ainsi que les créanciers [privilégiés], [était]nt convenus en janvier 2011 que NCHZ poursuivrait ses activités » et que « cette décision a[vait] ensuite été confirmée par le [súd v Trenčíne (tribunal de Trenčín)] conformément à la loi […] sur la faillite, devenant ainsi contraignante pour l[’administrateur] ».

102    Au considérant 103 de la décision attaquée, la Commission a traité la question de l’existence éventuelle d’un droit de veto du comité des créanciers et des créanciers privilégiés et a conclu, à cet égard, qu'« [a]ucune entité publique ne serait donc parvenue à faire valoir ses intérêts pour faire cesser l’accumulation des dettes ».

103    Au considérant 104 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que « [f]orce [était] de constater que la poursuite des activités de NCHZ reposait sur une décision prise par les créanciers privés alors que les créanciers publics n’avaient pas la possibilité d’opposer leur veto à la poursuite des activités de NCHZ » et que, « [a]insi, la décision de poursuivre les activités de NCHZ après l’expiration de la loi ne saurait être considérée comme une mesure imputable à l’État ».

104    Il est constant que, eu égard aux circonstances de l’espèce et conformément aux dispositions de la loi sur la faillite, le súd v Trenčíne (tribunal de Trenčín) faisait partie du comité compétent appelé à décider de la poursuite ou non de l’exploitation de NCHZ et que, conformément à l’article 83, paragraphe 4, de la loi sur la faillite, l’administrateur était lié par la décision du 17 février 2011.

105    Or, il doit être constaté que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas clairement indiqué la manière dont elle avait appréhendé le rôle du súd v Trenčíne (tribunal de Trenčín) dans le processus décisionnel. En effet, aux considérants 14, 26 et 32 ainsi qu’à l’article 2 de ladite décision, elle n’a mentionné que la décision du 26 janvier 2011, sans citer l’intervention dudit tribunal (voir point 78 ci-dessus), tandis que, aux considérants 33, 35, 36 et 102 de la décision attaquée, elle a mentionné la décision dudit tribunal, sans expliquer le rôle précis de celui-ci en l’espèce, eu égard aux termes de l’article 83, paragraphe 4, de la loi sur la faillite, laissant ainsi à penser qu’il n’intervenait que pour approuver la décision du 26 janvier 2011 et la rendre contraignante (voir, en particulier, considérant 33 de la décision attaquée).

106    De plus, dans le cadre de son appréciation de la décision de poursuivre l’exploitation de NCHZ durant la seconde période de la faillite, si, au considérant 102 de la décision attaquée, la Commission a mentionné l’existence de la décision du 17 février 2011, il y a lieu de constater que, dans aucun des considérants 103 à 112 de la décision attaquée, et plus particulièrement dans les considérants 103 et 104, il n’est fait mention de ladite décision. La Commission n’a ainsi mentionné que la décision du 26 janvier 2011.

107    Par ailleurs, ainsi que la Commission l’a indiqué lors de l’audience, il ne peut être exclu qu’une mesure puisse être considérée comme étant une décision imputable à l’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE à la suite d’une décision d’une juridiction nationale (voir, en ce sens, arrêts du 26 octobre 2016, DEI et Commission/Alouminion tis Ellados, C‑590/14 P, EU:C:2016:797, points 59, 77 et 81, et du 3 mars 2016, Simet/Commission, T‑15/14, EU:T:2016:124, points 38, 44 et 45).

108    Dans ce contexte, il convient de considérer que la Commission aurait dû exposer, dans la décision attaquée, les raisons l’ayant conduite à conclure que la décision de poursuivre l’exploitation de NCHZ n’était pas imputable au súd v Trenčíne (tribunal de Trenčín).

109    À cet égard, s’agissant de l’argument de la Commission selon lequel elle aurait présenté de façon claire et sans équivoque le raisonnement qu’elle a suivi, il doit être constaté que ses explications, mentionnées au point 99 ci-dessus, ne ressortent nullement de la décision attaquée, mais de ses écritures devant le Tribunal et que, contrairement à ses allégations, elle complète ainsi la motivation de la décision attaquée. Or, conformément à la jurisprudence citée au point 74 ci-dessus, la motivation doit figurer dans le corps même de la décision attaquée et ne peut être explicitée pour la première fois et a posteriori devant le juge de l’Union.

110    Partant, ainsi que la requérante le fait valoir, la Commission a omis d’exposer dans la décision attaquée les raisons pour lesquelles la décision du súd v Trenčíne (tribunal de Trenčín) n’avait eu aucun impact sur son analyse de l’imputabilité de la mesure examinée.

111    En outre, lors de l’audience, la Commission a été interrogée par le Tribunal afin que celui-ci puisse comprendre, eu égard aux dispositions de la loi sur la faillite, si le tribunal intervenant conformément à l’article 83, paragraphe 4, de ladite loi, comme, en l’espèce, le súd v Trenčíne (tribunal de Trenčín), devait seulement examiner le respect des aspects formels de la décision des créanciers ou s’il devait, en outre, vérifier le bien-fondé de cette décision et, le cas échéant, pouvait prendre une décision différente. Force est de constater cependant que la Commission n’a pas été en mesure d’apporter une réponse à cet égard. Elle s’est contentée de soutenir que, en l’espèce, le súd v Trenčíne (tribunal de Trenčín) n’avait pas d’autre choix que de confirmer la décision du 26 janvier 2011, sans pour autant soutenir que le contrôle dudit tribunal était juridiquement limité.

112    Il en découle que, eu égard au contexte particulier dans lequel le súd v Trenčíne (tribunal de Trenčín) est intervenu en l’espèce, puisqu’il était membre du comité compétent, la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation concernant l’imputabilité à l’État de la décision de poursuivre l’exploitation de NCHZ durant la seconde période de la faillite.

[omissis]

3.      Sur l’existence d’un avantage économique accordé du fait de la décision de poursuivre l’exploitation de NCHZ durant la seconde période de la faillite (première branche du premier moyen)

[omissis]

c)      Sur l’application erronée du critère du créancier privé (première sous-branche)

[omissis]

3)      Sur la comparabilité de la situation des créanciers publics et privés

[omissis]

i)      Sur la prise en considération de l’État en tant que créancier unique

[omissis]

184    Il convient de considérer que, comme la Commission, soutenue par la République slovaque et Fortischem, le fait valoir, l’argumentation de la requérante repose à cet égard sur la prémisse selon laquelle la Commission n’aurait pas dû prendre en considération chaque créancier public de manière individuelle, mais la République slovaque en tant que créancier public unique, représentant tous les créanciers publics concernés.

185    Or, tant la Commission que les intervenantes invoquent le caractère erroné de cette prémisse, car il découlerait du critère du créancier privé que chaque créancier public doit se prononcer à la lumière des caractéristiques des créances qu’il détient envers le débiteur concerné et que devraient être comparées la décision de chaque créancier public et celle qu’un créancier privé, placé dans la même situation, aurait adoptée.

186    Il convient de constater d’emblée que la requérante n’invoque aucune jurisprudence au soutien de son argumentation et qu’elle se limite à contester que celle invoquée par la Commission puisse soutenir la thèse de celle-ci. Elle estime que cette question n’a pas été tranchée, alors que la Commission fait valoir qu’elle n’avait pas à l’être, car elle participe à l’essence même de l’application du critère du créancier privé.

187    Premièrement, dans l’arrêt du 11 juillet 2002, HAMSA/Commission (T‑152/99, EU:T:2002:188), invoqué par la Commission, le juge de l’Union a estimé qu’il incombait à la Commission de déterminer, pour chacun des organismes publics en cause, si la remise de dettes qu’il avait octroyée était manifestement plus importante que celle qu’aurait accordée un créancier privé hypothétique se trouvant, à l’égard de la partie requérante, dans une situation comparable à celle de l’organisme public concerné et cherchant à récupérer des sommes qui lui étaient dues. Ainsi, selon le juge de l’Union, chaque créancier est amené à devoir faire un choix au regard du montant qui lui est offert dans le cadre de l’accord proposé, d’une part, et du montant qu’il estime pouvoir récupérer à l’issue de la liquidation éventuelle de l’entreprise, d’autre part, son choix étant influencé par une série de facteurs, tels que sa qualité de créancier privilégié ou chirographaire, la nature et l’étendue des sûretés éventuelles qu’il détient, son appréciation des chances de redressement de l’entreprise ainsi que le bénéfice qui lui reviendrait en cas de liquidation (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2002, HAMSA/Commission, T‑152/99, EU:T:2002:188, points 168 et 170).

188    Partant, il ressort de l’arrêt du 11 juillet 2002, HAMSA/Commission (T‑152/99, EU:T:2002:188), et en particulier de ses points 166 à 172, que le juge de l’Union a préconisé un examen de la situation individuelle des créanciers publics, notamment en fonction de leur qualité de créancier chirographaire ou privilégié, afin de déterminer, en substance, si le choix opéré par ceux-ci allait au-delà de ce qui était justifié par des exigences commerciales ou s’il pouvait être expliqué par la volonté d’accorder un avantage à l’entreprise concernée. Il en découle que le juge de l’Union a estimé que les créanciers publics ne devaient pas être considérés comme une entité unique, mais qu’il convenait de prendre en considération leurs qualités particulières.

189    Par ailleurs, doit être écarté l’argument de la requérante selon lequel l’arrêt du 11 juillet 2002, HAMSA/Commission (T‑152/99, EU:T:2002:188), ne serait pas pertinent, car, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, tous les créanciers publics auraient consenti des remises de dette à la bénéficiaire de l’aide en cause, alors que, en l’espèce, les intérêts de la compagnie d’assurance sociale n’auraient manifestement pas été pris en compte pour l’application du critère du créancier privé. En effet, les intérêts de cette dernière ont été pris en considération, en tant que créancier postfaillite (considérant 110 de la décision attaquée) (voir points 161 à 163 ci-dessus).

190    Enfin, il doit être constaté que les considérations de l’arrêt du 11 juillet 2002, HAMSA/Commission (T‑152/99, EU:T:2002:188, points 168 et 170), ont été reprises dans l’arrêt du 17 mai 2011, Buczek Automotive/Commission (T‑1/08, EU:T:2011:216, point 84).

191    Deuxièmement, s’agissant de l’arrêt du 11 septembre 2012, Corsica Ferries France/Commission (T‑565/08, EU:T:2012:415, points 85 à 94), invoqué également par la Commission, il doit être considéré que, comme la requérante le fait valoir, il est dépourvu de pertinence en l’espèce. En effet, la question soulevée était de savoir si la Commission avait défini, de façon univoque, les activités économiques de l’État français pour lesquelles un besoin de protection de l’image de marque pourrait éventuellement exister et non de savoir si l’État aurait dû être appréhendé comme un créancier unique

192    Troisièmement, il doit être rappelé que, notamment dans les arrêts cités au point 61 ci-dessus, la Cour a indiqué la nécessité de prendre en considération, lors de l’application du principe du créancier privé, un créancier privé se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle du créancier public et cherchant à obtenir le paiement des sommes qui lui sont dues par un débiteur connaissant des difficultés financières, ce qui implique de ne pas devoir considérer l’État comme un créancier unique, regroupant tous les créanciers publics concernés.

193    Quatrièmement, comme la Commission le fait valoir à juste titre, selon la jurisprudence applicable en matière d’aides d’État, il est requis, dans certaines situations, d’opérer une distinction entre le rôle de l’État en tant qu’opérateur économique et son rôle en tant qu’autorité publique (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, C‑278/92 à C‑280/92, EU:C:1994:325, point 22). Il en découle que, dans le domaine des aides d’État, l’État ne doit pas nécessairement être considéré comme une entité unique.

[omissis]

196    Il découle de tout ce qui précède que le fait d’appréhender l’État comme un créancier unique pourrait conduire à admettre que certains créanciers publics devraient prendre une décision allant à l’encontre de leurs intérêts et ne pas adopter un comportement similaire à celui d’un créancier privé placé dans la même situation, et ce en contradiction avec la jurisprudence citée au point 61 ci-dessus. Partant, l’argumentation de la requérante relative à la prise en considération de l’État en tant que créancier unique doit être rejetée.

[omissis]

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      L’article 2 de la décision (UE) 2015/1826 de la Commission, du 15 octobre 2014, concernant l’aide d’État SA.33797 (2013/C) (ex 2013/NN) (ex 2011/CP) mise à exécution par la Slovaquie en faveur de l’entreprise NCHZ, est annulé.

2)      La Commission européenne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux d’AlzChem AG.

3)      La République slovaque et Fortischem a.s. supporteront leurs propres dépens.

Berardis

Papasavvas

Spineanu-Matei

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 décembre 2018.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.