Language of document : ECLI:EU:T:2002:135

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

30 mai 2002 (1)

«Fonctionnaires - Régime disciplinaire - Révocation avec réduction des droits à pension - Agissements relevant du domaine de la corruption - Droits de la défense - Principe de proportionnalité»

Dans l'affaire T-197/00,

Hubert Onidi, ancien fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Roquefort-les-Pins (France), représenté par Mes J.-N. Louis et V. Peere, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Curral, en qualité d'agent, assisté de Me D. Waelbroeck, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision de la Commission du 29 juillet 1999 infligeant au requérant la sanction de révocation avec réduction d'un tiers de ses droits à pension d'ancienneté ainsi que de la lettre de la Commission du 27 juillet 1999 rejetant la demande du requérant tendant à la réouverture de la procédure disciplinaire,

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. Jaeger, président, K. Lenaerts et J. Azizi, juges,

greffier: M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 17 janvier 2002,

rend le présent

Arrêt

Office humanitaire de l'Union européenne

1.
    L'Office humanitaire de l'Union européenne (ECHO) a été créé par décision de la Commission du 6 novembre 1991, pour permettre à la Communauté d'apporter une aide efficace dans les situations de crise humanitaire.

2.
    M. Gomez Reino a été nommé directeur de l'ECHO avec effet au 1er octobre 1992 et est resté en fonction jusqu'au 31 décembre 1996, avant d'être remplacé par M. Navarro.

3.
    La Commission a chargé l'ECHO, notamment, de missions humanitaires d'extrême urgence en ex-Yougoslavie et dans la région des grands lacs en Afrique.

Faits à l'origine du litige

4.
    Le requérant est entré au service de la Haute Autorité de la CECA à Luxembourg en 1960 et est devenu fonctionnaire de la Commission en 1965.

5.
    Muté le 1er novembre 1992 à l'ECHO, en tant que fonctionnaire de grade A 5, il y a successivement occupé les fonctions d'assistant du directeur jusqu'au 15 février 1993,de responsable du secteur de l'ex-Yougoslavie ainsi que de la cellule budgétaire et enfin de chef de l'une des quatre unités constituées au sein de l'ECHO.

6.
    C'est en ces qualités que le requérant a participé à l'établissement et à la gestion de quatre contrats opérationnels d'aide humanitaire. Ces contrats ont été conclus respectivement le 28 juillet, le 12 novembre, le 8 décembre 1993 et le 30 septembre 1994. Les trois premiers contrats concernaient l'ex-Yougoslavie et le dernier la région des grands lacs en Afrique. Ensemble, ils portaient sur un montant total de 2 430 000 écus. Les quatre contrats en question (ci-après les «contrats litigieux») ont tous été conclus entre l'ECHO, d'une part, et des sociétés du groupe Perry Lux, d'autre part [Perry Lux Informatic pour le premier, Software Systems Services Ltd (ci-après «Software Systems») pour le deuxième et le quatrième et Acadian International Ltd pour le troisième].

7.
    Le requérant a signé le contrat du 28 juillet 1993 avec Perry Lux Informatic en l'absence de son directeur, M. Gomez Reino, qui était en congé à l'époque. Les trois autres ont été signés par ce dernier, mais le requérant a participé à leur négociation et avait la responsabilité de leur gestion.

8.
    Mme Onidi, l'épouse du requérant, affirme avoir effectué des travaux de traduction pour des sociétés du groupe Perry Lux et avoir reçu une rémunération supérieure à 157 000 écus en contrepartie (compte rendu de l'audition de Mme Onidi du 1er décembre 1998).

Procédures disciplinaire et précontentieuse

9.
    Une enquête sur les contrats litigieux menée par l'unité de coordination de la lutte antifraude (UCLAF) a mis en évidence des irrégularités au sein de l'ECHO. Le rapport de l'UCLAF du 18 mai 1998 faisait ainsi apparaître que les contrats litigieux, établis pour le financement d'opérations d'aide humanitaire, auraient, en réalité, servi à la mise à disposition de l'ECHO de personnel non statutaire.

10.
    L'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN») a décidé, le 10 juillet 1998, d'ouvrir une procédure disciplinaire à l'égard du requérant ainsi que de le suspendre de ses fonctions.

11.
    Le requérant s'est vu reprocher, dans le cadre de cette procédure, d'avoir violé les principes de saine gestion financière et de bonne administration ainsi que d'avoir manqué à l'obligation de s'abstenir de tout acte pouvant porter atteinte à la dignité de ses fonctions.

12.
    Convoqué à une audition devant M. Kahn [chef de l'unité 2 «Fonction publique européenne - Statut et discipline» constituée au sein de la direction B «Droits et obligations; dialogue social et politique sociale» de la direction générale «Personnel et administration» (DG IX) de la Commission] le 17 juillet 1998, au cours de laquelle luiont été remis les documents à la base de la procédure disciplinaire, le requérant a demandé le report de l'audition afin d'analyser les documents fournis.

13.
    M. Kahn ayant fait droit à cette demande, le requérant a été entendu le 22 juillet 1998, puis une nouvelle fois le 12 octobre 1998.

14.
    Mme Onidi a également été entendue à titre de témoin le 1er décembre 1998, en raison des contrats qu'elle a conclus avec des sociétés du groupe Perry Lux. Mme Loos, secrétaire du requérant, a, quant à elle, été auditionnée le 25 janvier 1999.

15.
    À la suite de la transmission du rapport de l'AIPN du 10 février 1999 au conseil de discipline, ce dernier a entendu le requérant le 24 juin 1999 et a rendu son avis le même jour, proposant à l'unanimité d'infliger au requérant la sanction disciplinaire de révocation avec réduction d'un tiers de ses droits à pension d'ancienneté, prévue à l'article 86, paragraphe 2, sous f), du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut»).

16.
    Le requérant a présenté ses moyens de défense à l'AIPN le 8 juillet 1999.

17.
    Le 15 juillet 1999, dans la procédure disciplinaire contre le supérieur hiérarchique du requérant et ancien directeur de l'ECHO, M. Gomez Reino, la Commission a décidé de ne pas sanctionner ce dernier.

18.
    Le 16 juillet 1999, le requérant a, en conséquence, demandé que la procédure disciplinaire le concernant soit rouverte et que le conseil de discipline soit à nouveau saisi.

19.
    Par lettre du 27 juillet 1999 signée par M. Smidt, directeur général de la DG IX (ci-après la «lettre du 27 juillet 1999»), il a été indiqué au requérant qu'il n'y avait pas de raison de rouvrir la procédure disciplinaire.

20.
    Par décision du 29 juillet 1999 (ci-après la «décision disciplinaire»), l'AIPN a infligé au requérant la sanction disciplinaire qui avait été recommandée par le conseil de discipline, à savoir la révocation avec réduction d'un tiers de ses droits à la pension d'ancienneté.

21.
    La décision disciplinaire rappelle d'abord qu'il est reproché au requérant d'avoir:

«-    créé et permis des faux et usages de faux,

-    violé les articles 41, 45 et 73 du règlement financier,

-    violé le principe de spécialité du budget et le principe de l'interdiction de l'utilisation des mini-budgets,

-    violé les règles relatives à la passation de marchés dans l'attribution des quatre contrats litigieux compte tenu notamment des articles 112 à 118 du règlement financier en favorisant certains partenaires,

-    violé l'article 21 du statut et les devoirs d'indépendance et de loyauté qui s'imposent aux fonctionnaires en vertu des articles 11 à 14 du statut».

22.
    La décision disciplinaire expose que les contrats litigieux «ont servi en fait à financer l'engagement de personnel 'intra-muros‘ et 'extra-muros‘ pour ECHO en violation des règles financières et budgétaires en vigueur à la Commission» et que le requérant «avait pleine connaissance de la fausse nature opérationnelle des contrats susvisés et qu'il a lui-même produit et accepté des pièces fictives et mensongères tel[le]s que les rapports d'exécution et les rapports finaux destinés à masquer les réels objectifs de ces contrats et à détourner les procédures auxquelles ils auraient dû être soumis».

23.
    Ensuite, la décision disciplinaire énonce:

«considérant qu'il résulte des déclarations de Mme Onidi et de celles de son avocat que celle-ci a perçu, en pleine connaissance [du requérant], des sommes s'élevant à un montant supérieur à 157 000 écus au cours de la période comprise entre août 1993 et juillet 1995 à raison d'une rémunération mensuelle initiale de 8 150 écus et ensuite de 9 000 écus prévue notamment en contrepartie de contrats conclus avec [Software Systems];

considérant que le montant exceptionnellement élevé des salaires perçus par Mme Onidi, notamment en vertu desdites relations contractuelles avec [Software Systems], de même que l'absence de toute preuve des prestations qu'elle aurait effectuées permettent de conclure que les montants qu'elle a perçus de cette société constituaient en fait un avantage financier très substantiel indu accordé [au requérant] pour son rôle dans la passation des contrats avec les sociétés du groupe Perry;

considérant que [le requérant] n'a pas informé l'AIPN de l'activité professionnelle de son épouse ni du conflit d'intérêt[s] qu'elle créait;

considérant que [le requérant] a gravement abusé des pouvoirs qui lui étaient confiés de par ses fonctions et la confiance déposée en lui au vu de son grade élevé et de son expérience de longues années au service de l'institution;

considérant que l'acceptation par [le requérant], par l'intermédiaire de sa femme, d'un avantage financier très substantiel indu de la part de sociétés du groupe Perry constitue un agissement relevant du domaine de la corruption qui est de nature à rompre définitivement les liens de confiance que l'Institution est en droit d'attendre de la part de tout fonctionnaire;

considérant qu'il résulte de ce qui précède que [le requérant] a gravement manqué à ses obligations statutaires».

24.
    Le requérant a reçu notification de la décision disciplinaire le 30 juillet 1999.

25.
    Le 2 novembre 1999, il a introduit une réclamation contre la décision disciplinaire ainsi que contre la lettre du 27 juillet 1999.

26.
    Le 18 avril 2000, la Commission a pris une décision explicite de rejet de la réclamation.

27.
    Le requérant affirme avoir pris connaissance de la décision de rejet de la réclamation le 24 avril 2000.

Procédure judiciaire et conclusions des parties

28.
    C'est dans ce contexte que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 26 juillet 2000, le requérant a introduit le présent recours.

29.
    Par acte déposé le 10 octobre 2000, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

30.
    Par ordonnance du 8 décembre 2000, le Tribunal a décidé de joindre l'exception d'irrecevabilité au fond et de réserver les dépens.

31.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Au titre des mesures d'organisation de la procédure prévues à l'article 64 du règlement de procédure du Tribunal, plusieurs questions écrites ont été adressées aux parties, qui y ont répondu dans le délai imparti.

32.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 17 janvier 2002.

33.
    À l'audience, le Tribunal a invité la Commission à produire le rapport préparé par MM. Navarro et Gomez Reino à la demande du secrétaire général de la Commission, comportant les commentaires de l'ECHO sur le rapport de l'UCLAF du 18 mai 1998 (voir, ci-dessus, point 9). Le 30 janvier 2002, la Commission a communiqué au Tribunal le rapport en question, daté du 16 juillet 1998. Le 15 février 2002, le requérant a formulé des observations sur ce rapport et la Commission a déposé ses observations en réponse le 1er mars 2002.

34.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision disciplinaire;

-    annuler la lettre du 27 juillet 1999;

-    condamner la Commission aux dépens.

35.
    Le requérant demande, à titre subsidiaire, que le Tribunal, d'une part, ordonne à la Commission de produire plusieurs documents ou, tout au moins, de lui donner accès auxdits documents et, d'autre part, procède à plusieurs auditions.

36.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme irrecevable ou, subsidiairement, comme manifestement non fondé;

-    statuer comme de droit sur les dépens.

Sur la recevabilité

Quant à la demande d'annulation de la lettre du 27 juillet 1999

37.
    La Commission estime que le recours est irrecevable en ce qu'il vise à l'annulation de la lettre du 27 juillet 1999. Elle se réfère tout d'abord aux termes de la lettre en cause, pour considérer qu'ils ne font pas grief au requérant. Elle allègue ensuite la nature purement confirmative de la lettre par rapport à la décision de révocation également attaquée par le requérant.

38.
    Le requérant rétorque que la lettre du 27 juillet 1999 lui fait grief. Le refus de réouverture de la procédure disciplinaire l'empêcherait effectivement d'avoir accès aux documents se rapportant à la procédure disciplinaire relative à son supérieur hiérarchique, qui aurait signé trois des contrats litigieux.

39.
    Il doit être rappelé que l'existence d'un acte faisant grief au sens des articles 90, paragraphe 2, et 91, paragraphe 1, du statut est une condition indispensable de la recevabilité de tout recours en annulation formé par le fonctionnaire contre l'institution dont il relève.

40.
    Seuls font grief les actes qui sont susceptibles d'affecter directement la position juridique d'un fonctionnaire (arrêt de la Cour du 10 décembre 1969, Grasselli/Commission, 32/68, Rec. p. 505, point 4; arrêt du Tribunal du 28 mai 1998, W/Commission, T-78/96 et T-170/96, RecFP p. I-A-239 et II-745, point 46). Les actes préparatoires d'une décision finale ne font pas grief et ne peuvent donc être attaqués que de façon incidente, lors d'un recours contre les actes annulables (arrêt de la Cour du 14 février 1989, Bossi/Commission, 346/87, Rec. p. 303, point 23; arrêt du Tribunal du 22 janvier 1998, Costacurta/Commission, T-98/96, RecFP p. I-A-21 et II-49, point 21).

41.
    Or, il doit être constaté que la lettre du 27 juillet 1999 constitue un acte préparatoire. Dans le cadre de la correspondance échangée entre les parties, le refus de l'AIPN,exprimé dans cette lettre, de ressaisir le conseil de discipline à la suite de l'acquittement du supérieur du requérant, manifeste effectivement le souhait de poursuivre la procédure et s'inscrit ainsi dans le processus ayant permis l'adoption de la décision disciplinaire finale, qui seule constitue l'acte faisant grief dans la présente espèce.

42.
    Il s'ensuit que le recours est irrecevable dans la mesure où il vise à l'annulation de la lettre du 27 juillet 1999. Il sera toutefois examiné ultérieurement dans quelle mesure le prétendu accès insuffisant au dossier invoqué dans le cadre de la présente demande d'annulation (voir, ci-dessus, point 38) est de nature à affecter la légalité de la décision disciplinaire (voir, ci-après, points 106 à 115).

Quant à la demande d'annulation de la décision disciplinaire

43.
    La Commission soutient que la demande d'annulation de la décision disciplinaire est également irrecevable, car fondée sur une procédure précontentieuse introduite hors délai. Elle fait observer qu'elle a notifié la décision disciplinaire au requérant le 30 juillet 1999. Conformément à l'article 90, paragraphe 2, du statut, la date d'échéance pour l'introduction de la réclamation aurait été le 30 octobre 1999. La réclamation du requérant déposée le 2 novembre 1999 serait donc hors délai.

44.
    Elle rappelle la nécessité du respect des délais précontentieux pour la recevabilité du recours contentieux (ordonnance du président de la cinquième chambre du Tribunal du 14 juillet 1993, Knijff/Cour des comptes, T-55/92, Rec. p. II-823, point 34).

45.
    Le requérant rétorque que la réclamation a été introduite dans les délais prévus. Il se fonde, à cet égard, sur le règlement (CEE, Euratom) n° 1182/71 du Conseil, du 3 juin 1971, portant détermination des règles applicables aux délais, aux dates et aux termes (JO L 124, p. 1).

46.
    Le Tribunal rappelle que le délai précontentieux en question, à savoir celui de trois mois à partir de la notification de la décision disciplinaire, dans lequel la réclamation doit être introduite, est fixé par l'article 90, paragraphe 2, du statut, qui constitue un acte du Conseil.

47.
    En l'absence de règles spécifiques concernant les délais visés à l'article 90 dans le statut lui-même, il convient de se référer au règlement n° 1182/71, qui s'applique, comme le précise son article 1er, à tous les actes du Conseil «[s]auf dispositions contraires» (ordonnance du Tribunal du 13 mars 1998, Lonuzzo-Murgante/Parlement, T-247/97, RecFP p. I-A-119 et II-317, point 38).

48.
    Il s'ensuit que les règles applicables aux délais prévus à l'article 90, paragraphe 2, du statut sont fixées notamment par l'article 3, paragraphe 4, du règlement n° 1182/71.

49.
    Or, cette dernière disposition prévoit:

«Si le dernier jour d'un délai exprimé autrement qu'en heures est un jour férié, un dimanche ou un samedi, le délai prend fin à l'expiration de la dernière heure du jour ouvrable suivant.»

50.
    En l'espèce, la Commission affirmant elle-même que l'acte faisant grief a été notifié au requérant le 30 juillet 1999, le délai pour le dépôt de la réclamation devait venir à expiration le 30 octobre 1999. Toutefois, ce jour étant un samedi et le 1er novembre étant un jour férié, le délai de trois mois prévu à l'article 90, paragraphe 2, du statut, a pris fin, selon l'article 3, paragraphe 4, du règlement n° 1182/71, «à l'expiration de la dernière heure du jour ouvrable suivant», à savoir le 2 novembre 1999.

51.
    La réclamation ayant été déposée à cette dernière date, il s'ensuit qu'elle a été introduite dans les délais. Le recours, pour autant qu'il est dirigé contre la décision disciplinaire, doit donc être déclaré recevable.

Sur le fond

52.
    Le requérant invoque en substance quatre moyens, tirés, premièrement, de la violation des droits de la défense, deuxièmement, d'erreurs manifestes d'appréciation, troisièmement, d'une violation du principe de proportionnalité et, quatrièmement, d'une violation de l'article 25 du statut.

53.
    Le Tribunal estime qu'il y a lieu d'examiner d'abord le deuxième moyen.

Sur le moyen tiré d'erreurs manifestes d'appréciation

54.
    Le requérant fait valoir que la Commission a commis des erreurs manifestes d'appréciation en formulant dans la décision disciplinaire les griefs suivants: violation de l'article 21 du statut, faux et usage de faux, violation du règlement financier, méconnaissance de la règle de la spécificité du budget ainsi que de celle interdisant l'utilisation des mini-budgets.

55.
    Le requérant se réfère à certains documents dont il ressortirait qu'il a prévenu son directeur de l'irrégularité du recours au personnel extérieur au regard du règlement financier en vigueur (notes du 12 novembre 1992 et du 4 novembre 1993) et que son directeur a lui-même transmis cette information à ses supérieurs (entretien de M. Gomez Reino avec le cabinet du président de la Commission en novembre 1992, notes de M. Gomez Reino du 18 février 1993 au directeur général du personnel et de l'administration, du 18 février 1994 au chef de cabinet adjoint du vice-président M. Marin et du 25 avril 1994 au vice-président M. Marin). Le requérant en déduit que tant son directeur que les membres de la Commission en charge des questions relatives à l'ECHO étaient parfaitement informés de la nature exacte des contrats litigieux. Il précise encore, en s'appuyant sur les documents figurant dans sa note de défense à l'AIPN du 7 août 1999 et sur un rapport de l'UCLAF, qu'il n'aurait en aucun cas puétablir les contrats litigieux sans l'accord de son directeur et conclut que la Commission n'a pu légalement retenir à sa charge un grief tout en considérant que son directeur n'avait commis aucun manquement à ses obligations statutaires.

56.
    Toutefois, force est de constater que le requérant ne conteste pas qu'il a joué un rôle dans l'établissement des contrats litigieux et qu'il a été conscient de la nature irrégulière de ces contrats. Sa seule ligne de défense est que ses supérieurs étaient informés de cette situation et l'auraient même approuvée.

57.
    En effet, dans le cadre du présent moyen, le requérant ne formule dans sa requête que des observations concernant la prétendue violation de l'article 21 du statut, dont le troisième alinéa énonce:

«Dans le cas où un ordre reçu lui paraîtrait entaché d'irrégularité, ou s'il estime que son exécution peut entraîner des inconvénients graves, le fonctionnaire doit exprimer, au besoin par écrit, son opinion à son supérieur hiérarchique. Si celui-ci le confirme par écrit, le fonctionnaire doit l'exécuter, à moins que cet ordre ne soit contraire à la loi pénale ou aux normes de sécurité applicables.»

58.
    Avant d'apprécier le bien-fondé du présent moyen, il doit être rappelé d'abord qu'il ressort de la décision disciplinaire (voir, ci-dessus, point 23) que la sanction disciplinaire a été infligée au requérant en raison d'agissements relevant du domaine de la corruption.

59.
    La décision disciplinaire fonde l'existence de tels agissements imputables au requérant sur les constatations suivantes. Premièrement, l'épouse du requérant «a perçu, en pleine connaissance [du requérant], des sommes s'élevant à un montant supérieur à 157 000 écus au cours de la période comprise entre août 1993 et juillet 1995 à raison d'une rémunération mensuelle initiale de 8 150 écus et ensuite de 9 000 écus prévue notamment en contrepartie de contrats conclus avec [Software Systems]». Deuxièmement, «le montant exceptionnellement élevé des salaires perçus par Mme Onidi, notamment en vertu desdites relations contractuelles avec [Software Systems], de même que l'absence de toute preuve des prestations qu'elle aurait effectuées permettent de conclure que les montants qu'elle a perçus de cette société constituaient en fait un avantage financier très substantiel indu accordé [au requérant] pour son rôle dans la passation des contrats avec les sociétés du groupe Perry». Troisièmement, le requérant «n'a pas informé l'AIPN de l'activité professionnelle de son épouse ni du conflit d'intérêt[s] qu'elle créait».

60.
    Le Tribunal constate, ensuite, que le requérant ne met pas en cause l'exactitude des constatations factuelles qui ont conduit l'AIPN à constater des agissements relevant du domaine de la corruption. Au contraire, plusieurs faits ont même été explicitement reconnus par le requérant.

61.
    Ainsi, premièrement, il ressort du compte rendu de l'audition du requérant du 22 juillet 1998 que celui-ci reconnaît que son épouse a conclu le 31 janvier 1994 un contrat avecSoftware Systems, société du groupe Perry Lux. En outre, il ressort du compte rendu de l'audition du requérant du 12 octobre 1998 que le requérant «confirme que le contrat signé le 31 janvier 1994 avec [Software Systems], pour des services de traduction à partir du 1er février 1994, et moyennant une rémunération de 9 000 écus par mois, est exact et que le paiement correspondant (108 000 écus) a effectivement eu lieu». Le même compte rendu fait encore état de ce que «[le requérant] ajoute que sa femme a travaillé deux ans, sur base du contrat signé le 31 janvier 1994 avec [Software Systems] ainsi que sous un autre, toujours avec [Software Systems], ce qui couvre la période de juillet 1993 à juin 1995».

62.
    Ces faits sont encore corroborés par les déclarations de l'épouse du requérant et de son conseil. Le compte rendu de l'audition de Mme Onidi du 1er décembre 1998 fait en effet état de ce qui suit:

«Mme Onidi explique que le contrat daté du 31 janvier 1994 avec [Software Systems] n'était pas le premier, et qu'il y en a eu un antérieur avec une durée de six mois. Me Louis précise qu'il y a bien eu trois contrats qui ont été signés. [...] il s'avère qu'il y a eu des paiements qui ont commencé pour 8 150 écus pendant 6 mois, et après c'est devenu 9 000 pendant un an et demi. Le montant total qui a été payé sur base de ces contrats était [...] supérieur aux 157 000 écus connus par la Commission.»

63.
    Dans sa réplique, le requérant reconnaît par ailleurs que la rémunération totale versée à son épouse était de 210 900 euros.

64.
    Il s'ensuit que, de l'aveu même du requérant, son épouse a reçu, comme le constate la décision disciplinaire, «des sommes s'élevant à un montant supérieur à 157 000 écus au cours de la période comprise entre août 1993 et juillet 1995 [...] notamment en contrepartie de contrats conclus avec Software Systems».

65.
    Deuxièmement, il ressort du dossier que le premier des quatre contrats litigieux porte la signature du requérant (voir, ci-dessus, point 6). Le contrat du 28 juillet 1993 avec Perry Lux Informatic a, en effet, été conclu en l'absence de M. Gomez Reino, qui était en congé à l'époque. Aucune procédure publique n'a été suivie. Le compte rendu de la conversation que le requérant a eue avec des représentants de l'UCLAF le 9 février 1998 indique en effet: «Il a été demandé à M. Onidi si un appel à manifestation d'intérêt concernant l'engagement du personnel externe [avait été fait.] [...] [I]l a déclaré qu'il ne l'a pas fait, et considère ceci comme une erreur.»

66.
    L'argument du requérant selon lequel le contrat aurait été conclu sur instruction de son supérieur doit être rejeté. D'une part, le requérant ne produit aucune pièce ni indice à l'appui de son allégation. D'autre part, l'argument du requérant est peu crédible au vu des déclarations qu'il a faites aux représentants de l'UCLAF le 9 février 1998. Selon le compte rendu de l'entretien avec ces derniers, le requérant a expliqué que «Perry Lux avait été choisie (même s'[il] était incapable de dire par qui)».

67.
    Force est de constater qu'il existe une coïncidence parfaite entre, d'une part, la date de la conclusion de ce contrat et l'engagement de l'épouse du requérant par une société du groupe Perry Lux, à savoir Software Systems. Il ressort du compte rendu de l'audition du requérant du 12 octobre 1998, que ce dernier affirme «que sa femme a travaillé deux ans, sur base du contrat signé le 31 janvier 1994 avec [Software Systems] ainsi que sous un autre, toujours avec [Software Systems], ce qui couvre la période de juillet 1993 à juin 1995 [...]». Quant aux fonctions exercées par l'épouse du requérant, il ressort du compte rendu de l'audition du 22 juillet 1998 que le contrat entre Software Systems et l'épouse du requérant «a eu pour objet des prestations de services de traduction [...] et que sa femme a été rémunérée pour ses prestations, mais [qu'elle] n'a plus de documents y relatifs». Il ressort, en outre, du compte rendu de l'audition de Mme Onidi du 1er décembre 1998 que celle-ci reconnaît qu'elle «a une formation de secrétaire» et qu'elle n'a donc pas «une véritable formation de traductrice [même si] elle s'est toujours bien 'débrouillée avec les langues‘». Elle a affirmé encore qu'elle travaillait à la maison, uniquement le matin, et qu'elle n'a pas gardé de copies des travaux qu'elle a effectués. Il ressort du compte rendu de l'audition du requérant du 12 octobre 1998 que ce dernier a déclaré que «[l']objet du contrat [conclu avec Software Systems] était toujours des travaux de traduction».

68.
    Au vu de ce qui précède, le Tribunal considère que la Commission a pu constater à juste titre dans la décision disciplinaire que «le montant exceptionnellement élevé des salaires perçus par Mme Onidi, notamment en vertu desdites relations contractuelles avec Software Systems [...], de même que l'absence de toute preuve des prestations qu'elle aurait effectuées permettent de conclure que les montants qu'elle a perçus de cette société constituaient en fait un avantage financier très substantiel indu accordé [au requérant] pour son rôle dans la passation des contrats avec les sociétés du groupe Perry».

69.
    Troisièmement, le compte rendu de l'audition du 22 juillet 1998 relate que «M. Kahn a demandé [au requérant] pourquoi il n'a jamais signalé que sa femme travaillait pour une société avec laquelle il avait des rapports privilégiés» et que le requérant a affirmé que «c'était une erreur de sa part». De l'aveu même du requérant, celui-ci n'a pas informé la Commission de «l'activité professionnelle de son épouse ni du conflit d'intérêt[s] qu'elle créait».

70.
    Enfin, il doit être constaté que l'avis motivé du conseil de discipline du 24 juin 1999 expose:

«Pour ce qui est des contrats conclus par son épouse avec la société Software Systems [...] couvrant la période comprise entre août 1993 et juin 1995, [le requérant] avoue les faits et se dit conscient de l'erreur qu'il a commise et qu'il regrette profondément.»

71.
    Au vu de ce qui précède, il doit être constaté que les allégations du requérant relatives à l'article 21 du statut, selon lesquelles il aurait prévenu sa hiérarchie de l'irrégularité des contrats litigieux au titre de la réglementation financière et n'aurait pas pu les établir sans l'accord de son supérieur, sont inopérantes.

72.
    En effet, d'une part, les arguments du requérant ne concernent aucunement son attitude dans le cadre des contrats passés entre son épouse et le groupe Perry Lux. Ils ne sont donc pas de nature à mettre en cause la constatation faite par la Commission de l'existence d'agissements relevant du domaine de la corruption qui ont rompu définitivement les rapports de confiance entre l'institution et le requérant et qui ont justifié la sanction disciplinaire.

73.
    D'autre part, il doit être rappelé que l'article 21 du statut consacre, au-delà des obligations concrètes en découlant dans le cadre de la réalisation des tâches spécifiques confiées au fonctionnaire, un devoir général de loyauté du fonctionnaire, en vertu duquel celui-ci doit s'abstenir de manière générale de conduites attentatoires à la dignité et au respect dû à l'institution et à ses autorités (arrêt du Tribunal du 17 février 1998, E/CES, T-183/96, RecFP p. I-A-67 et II-159, point 40). Or, les agissements relevant du domaine de la corruption reprochés dans la décision disciplinaire constituent incontestablement un manquement à ce devoir général de loyauté.

74.
    Le requérant fait toutefois observer que l'infraction de corruption n'est pas établie à son égard, notamment dans la mesure où les seules juridictions compétentes dans ce domaine, à savoir les juridictions luxembourgeoises, n'ont pas encore statué sur la question. Une poursuite pénale aurait, en effet, été engagée devant les juridictions luxembourgeoises pour les mêmes faits que ceux qui font l'objet de la décision disciplinaire.

75.
    De toute façon, selon le requérant, la corruption ne pourrait se concevoir dans la présente espèce que si le partenaire contractuel (le groupe Perry Lux) avait tiré de l'attribution des contrats litigieux un intérêt financier au minimum aussi important que la rémunération versée à son épouse, ce qui ne semblerait pas être le cas.

76.
    Le Tribunal rappelle que les procédures pénale et disciplinaire sont indépendantes l'une de l'autre et poursuivent une finalité différente, de sorte qu'une sanction disciplinaire peut être infligée en l'absence de toute condamnation pénale (arrêt du Tribunal du 16 juillet 1998, Y/Parlement, T-144/96, RecFP p. I-A-405 et II-1153, point 38). En tout état de cause, le terme utilisé dans la décision disciplinaire, à savoir «un agissement relevant du domaine de la corruption», ne couvre pas une incrimination au sens du droit pénal, mais vise à qualifier la raison de la rupture du rapport de confiance entre l'institution et le requérant.

77.
    Ensuite, il doit être constaté que l'argument tiré du prétendu intérêt financier insuffisant du groupe Perry Lux est totalement dénué de fondement. En effet, les contrats litigieux portaient sur un montant total de 2 430 000 écus et la rémunération totale accordée à l'épouse du requérant ne représentait même pas un dixième de ce montant.

78.
    À l'audience, le requérant a fait valoir que, conformément à l'article 88, cinquième alinéa, du statut, la Commission aurait dû suspendre la procédure disciplinaire entreprise à son égard.

79.
    Le Tribunal estime que cette argumentation ne peut pas être considérée comme un développement du moyen tiré d'erreurs manifestes d'appréciation. Il s'agit au contraire d'un moyen nouveau, soulevé pour la première fois à l'audience, et irrecevable en vertu de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal.

80.
    À titre surabondant, le Tribunal rappelle que l'article 88, cinquième alinéa, du statut, énonce:

«[...] lorsque le fonctionnaire fait l'objet de poursuites pénales pour les mêmes faits, sa situation n'est définitivement réglée qu'après que la décision rendue par la juridiction saisie est devenue définitive.»

81.
    Il ressort de l'économie de cette disposition qu'il appartient au fonctionnaire en cause de fournir à l'AIPN les éléments permettant d'apprécier si les faits mis à sa charge dans le cadre de la procédure disciplinaire font parallèlement l'objet de poursuites pénales ouvertes à son égard. Pour satisfaire à cette obligation, le fonctionnaire en cause doit en principe démontrer que des poursuites pénales ont été ouvertes à son égard alors qu'il faisait l'objet d'une procédure disciplinaire. En effet, c'est uniquement lorsque de telles poursuites pénales ont été ouvertes que les faits sur lesquels elles portent peuvent être identifiés et comparés aux faits pour lesquels la procédure disciplinaire a été entamée, afin de déterminer leur éventuelle identité (arrêt du Tribunal du 19 mars 1998, Tzoanos/Commission, T-74/96, RecFP p. I-A-129 et II-343, point 35, confirmé par l'arrêt de la Cour du 18 novembre 1999, Tzoanos/Commission, C-191/98 P, Rec p. I-8223).

82.
    En l'occurrence, il ressort des pièces du dossier que le requérant n'a pas démontré l'existence de tels faits dans le cadre de la procédure disciplinaire ayant conduit à l'adoption de la décision disciplinaire. En outre, le requérant n'a présenté aucun élément de cette nature dans le cadre de la procédure devant le Tribunal. Il a uniquement fait état du dépôt par la Commission d'une plainte devant les juridictions luxembourgeoises. À l'audience, il a reconnu que cette plainte ne le visait pas directement puisqu'elle a été déposée contre X.

83.
    Il s'ensuit que, même si l'argumentation tirée d'une violation de l'article 88, cinquième alinéa, du statut était recevable, elle ne pourrait pas être accueillie.

84.
    Au vu de ce qui précède, le moyen tiré d'erreurs manifestes d'appréciation doit être rejeté.

Sur le moyen tiré de la violation des droits de la défense

85.
    Ce moyen comporte trois branches. Dans le cadre de la première branche, le requérant dénonce la durée prétendument excessive de la procédure disciplinaire. Dans le cadre de la deuxième branche, il soutient que ses droits de la défense ont été violés en raison d'un prétendu accès insuffisant au dossier. Dans le cadre de la troisième branche, ildénonce des violations de ses droits de la défense en rapport avec l'organisation des auditions. Enfin, dans le cadre de la quatrième branche, il met en doute l'impartialité et l'objectivité de l'AIPN.

Première branche: durée excessive de la procédure

86.
    Le requérant critique les délais prétendument excessifs qui auraient caractérisé le déroulement de la procédure disciplinaire. Se référant à l'article 7, premier alinéa, de l'annexe IX du statut, il rappelle que les autorités disciplinaires sont tenues de mener la procédure disciplinaire avec diligence, de sorte que chaque acte de poursuite intervienne dans un délai raisonnable (arrêt du Tribunal du 26 janvier 1995, D/Commission, T-549/93, RecFP p. I-A-13 et II-43).

87.
    Le requérant évoque, premièrement, le délai intervenu entre la dénonciation des faits incriminés et l'ouverture de l'enquête administrative, qu'il estime à plus de cinq ans. Il se fonde sur une note en bas de page du rapport du comité des experts indépendants du 15 mars 1999, indiquant que le cabinet du membre de la Commission en charge des questions de personnel aurait été informé de «doutes» au sujet des activités du requérant dès 1993. Si, à cette époque, une procédure avait été ouverte contre lui, ajoute-t-il, il aurait facilement pu produire toutes les pièces à décharge dont il n'aurait pas gardé copie entre-temps.

88.
    À cet égard, le Tribunal rappelle que l'article 7, premier alinéa, de l'annexe IX du statut invoqué par le requérant ne porte que sur les délais à respecter par le conseil de discipline une fois la procédure disciplinaire entamée. Le statut ne prévoit, en effet, aucun délai de prescription quant à l'ouverture d'une procédure disciplinaire à l'encontre d'un fonctionnaire accusé d'avoir manqué à l'une de ses obligations statutaires. En tout état de cause, un tel délai de prescription aurait dû être fixé à l'avance par le législateur communautaire pour remplir sa fonction d'assurer la sécurité juridique (arrêt du Tribunal du 17 octobre 1991, de Compte/Parlement, T-26/89, Rec. p. II-781, point 68).

89.
    Ces considérations ne sont pas remises en cause par la prétendue violation des droits de la défense alléguée par le requérant, fondée sur le fait que l'ouverture tardive de la procédure disciplinaire l'aurait empêché de produire toutes les pièces à décharge dont il n'aurait pas gardé copie entre-temps. En effet, cette affirmation est purement gratuite. Le requérant n'apporte pas le moindre élément quant aux pièces qu'il aurait pu invoquer pour réfuter les griefs visés par la décision disciplinaire si la procédure avait été ouverte plus tôt.

90.
    Le requérant dénonce ensuite les délais séparant les différents actes de procédure intervenus après son audition du 12 octobre 1998, dont notamment le délai pris par l'AIPN avant de saisir le conseil de discipline, le 10 février 1999, et le délai pris par ce dernier pour rendre son avis, qui n'est intervenu que le 24 juin 1999.

91.
    Force est de constater, d'abord, que le statut n'impose pas non plus de délais pour ce qui concerne la saisine du conseil de discipline par l'AIPN. Toutefois, les autorités disciplinaires ont l'obligation de mener avec diligence la procédure disciplinaire et d'agir de sorte que chaque acte de poursuite intervienne dans un délai raisonnable par rapport à l'acte précédent (arrêts du Tribunal D/Commission, cité au point 86 ci-dessus, point 25, et du 3 juillet 2001, E/Commission, T-24/98 et T-241/99, RecFP p. I-A-149 et II-681, point 52).

92.
    Or, il n'est pas contesté qu'après l'audition du requérant par l'AIPN, le 12 octobre 1998, le projet de compte rendu de cette audition a été transmis au conseil du requérant, le 4 novembre 1998, afin qu'il soit signé, éventuellement accompagné de ses remarques et commentaires. N'ayant eu aucune réponse à cette note, l'administration a demandé au requérant, le 10 janvier 1999, de renvoyer signé le projet de compte rendu. Dans cette note, il était indiqué que, si le compte rendu signé n'était pas parvenu avant le 1er février 1999, il serait considéré comme ayant été accepté et la procédure disciplinaire serait poursuivie. Le conseil du requérant n'a réagi qu'à la suite de cette seconde note, en remettant à M. Kahn le projet de compte rendu de l'audition du 12 octobre 1998 signé par le requérant ainsi que ses observations qui y sont relatives.

93.
    Entre-temps, d'autres auditions ont eu lieu, notamment celle de l'épouse du requérant, le 1er décembre 1998, et celle de Mme Loos, secrétaire du requérant, le 25 janvier 1999.

94.
    Dans ces conditions, il doit être considéré que le délai séparant l'audition du requérant le 12 octobre 1998 et la saisine du conseil de discipline, le 10 février 1999, est raisonnable.

95.
    Quant au dépassement du délai pris par le conseil de discipline pour rendre son avis, il doit être constaté que celui-ci a effectivement pris quatre mois et demi (du 10 février 1999 au 24 juin 1999) pour rendre son avis, alors que l'article 7, premier alinéa, de l'annexe IX du statut prévoit un délai d'un mois en l'absence d'enquête, ce qui correspond à la présente situation.

96.
    Toutefois, les délais prévus à l'article 7, premier alinéa, de l'annexe IX du statut ne sont pas péremptoires, mais constituent des règles de bonne administration dont la non-observation peut engager la responsabilité de l'institution concernée pour le préjudice éventuellement causé aux intéressés, sans affecter, à elle seule, la validité de la sanction disciplinaire infligée après leur expiration (arrêts de la Cour du 4 février 1970, Van Eick/Commission, 13/69, Rec. p. 3, points 3 à 7; du 29 janvier 1985, F./Commission, 228/83, Rec. p. 275, point 30, et du 19 avril 1988, M./Conseil, 175/86 et 209/86, Rec. p. 1891, point 16). Le Tribunal a certes jugé, dans certains de ses arrêts (notamment arrêt D/Commission, cité au point 86 ci-dessus, point 25), que le dépassement desdits délais est également susceptible d'entraîner la nullité de l'acte pris hors délai, mais il a lui-même reconnu par ailleurs que «cette jurisprudence ne saurait être interprétée comme sanctionnant par une annulation automatique toutdépassement de délai» et qu'il en résultait que «seule la réunion de conditions particulières peut avoir pour effet d'affecter, dans des cas spécifiques, la validité d'une sanction disciplinaire infligée hors délai» (arrêt du Tribunal du 4 mai 1999, Z/Parlement, T-242/97, RecFP p. I-A-77 et II-401, points 40 et 41, confirmé par arrêt de la Cour du 27 novembre 2001, Z/Parlement, C-270/99 P, Rec. p. I-9197).

97.
    Or, le requérant se limite à démontrer qu'il y a eu effectivement dépassement de délai. Il ne démontre ni ne prétend que le dépassement du délai par le conseil de discipline lui a causé un quelconque préjudice. En outre, plusieurs éléments sont de nature à justifier le dépassement du délai de l'article 7, premier alinéa, de l'annexe IX du statut, tels que la complexité du dossier (arrêt du 4 mai 1999, Z/Parlement, cité au point 96 ci-dessus, point 41) et la lourdeur des conséquences de la décision à prendre.

98.
    Dans ces conditions, le dépassement du délai de l'article 7, premier alinéa, de l'annexe IX du statut n'est pas de nature à affecter la légalité de la décision disciplinaire.

99.
    En conséquence, la première branche du présent moyen doit être rejetée.

Deuxième branche: accès insuffisant au dossier

100.
    Le requérant fait valoir, en premier lieu, que la Commission a violé l'article 7, premier alinéa, de l'annexe IX du statut en ne lui accordant pas un délai suffisant pour prendre connaissance de son dossier avant sa première audition du 22 juillet 1998 par l'AIPN. Même s'il a bénéficié d'un report pour la première audition du 17 au 22 juillet 1998, le report n'aurait été en réalité que de 24 heures si l'on tient compte du week-end et du fait que le 21 juillet est un jour férié en Belgique.

101.
    Le Tribunal rappelle que l'article 7, premier alinéa, de l'annexe IX du statut ne fixe aucun délai précis pour ce qui concerne la procédure précédant la saisine du conseil de discipline.

102.
    En tout état de cause, le requérant a pris connaissance des éléments de fait à la base de la procédure disciplinaire en temps utile pour pouvoir présenter ses observations. En effet, il est constant entre les parties que, le 17 juillet 1998, M. Kahn a remis au requérant son dossier et que le requérant a bénéficié d'un report de l'audition, prévue initialement pour cette même date, au 22 juillet 1998, afin qu'il puisse examiner le dossier le concernant et préparer sa défense. Alors qu'un délai de cinq jours peut déjà être considéré comme suffisant pour que le fonctionnaire prépare sa défense au cours de la procédure précédant la saisine du conseil de discipline, il doit être constaté que, dans le cas d'espèce, l'AIPN a encore entendu le requérant une deuxième fois, le 12 octobre 1998, avant de saisir le conseil de discipline.

103.
    Le premier argument doit donc être rejeté.

104.
    En second lieu, le requérant fait observer que, malgré ses nombreuses demandes, il n'a pas pu prendre connaissance des documents jugés indispensables à sa défense, notamment du fait de la mesure de suspension prise à son égard et de l'interdiction subséquente de se rendre dans son bureau, où se seraient trouvés notamment les contrats litigieux. La Commission aurait ainsi violé l'article 2 de l'annexe IX du statut.

105.
    Il énumère, outre les rapports établis et les pièces détenues par l'UCLAF se rapportant directement ou indirectement aux contrats litigieux, tous les documents que la Commission resterait en défaut de lui communiquer malgré ses demandes répétées au cours de la procédure disciplinaire: les notes prises par le fonctionnaire de l'ECHO qui a accompagné la délégation de l'UCLAF en ex-Yougoslavie; les comptes rendus d'audition faits par l'UCLAF en ex-Yougoslavie; le compte rendu de la commission d'audit de l'UCLAF au siège de la société Perry Lux (30 et 31 mars, 6 mai 1998); les comptes rendus de l'audition par l'UCLAF de Mmes Claeys Bouùaert et Graykowsky et du requérant, le 23 mars 1998, relative à la reconstitution des dépenses faisant l'objet des quatre contrats litigieux; le compte rendu des auditions menées par l'UCLAF du personnel composant les cellules intra- et extra-muros de l'ECHO et, notamment, de M. Coulinet; les documents comptables de Software Systems et de la société Acadian International Ltd; l'ensemble des factures de la société Watinsart pour l'année 1994 et Harco pour 1995; les annexes au rapport de l'UCLAF-III X-Z.

106.
    Le requérant insiste plus particulièrement sur le fait qu'il n'a pas eu accès au dossier relatif à la procédure disciplinaire ouverte à l'égard de M. Gomez Reino. Certaines pièces de ce dossier comportant près de 6 000 pages, dont notamment les procès-verbaux d'audition des témoins entendus par le conseil de discipline dans le cadre de cette procédure, le concerneraient directement ou pourraient être utiles à sa défense. L'absence de communication de ce dossier lui serait particulièrement préjudiciable, compte tenu de l'identité des présidents des conseils de discipline réunis pour les deux procédures disciplinaires.

107.
    Se référant à l'arrêt de la Cour du 19 avril 1988, Misset/Conseil (319/85, Rec. p. 1861, point 7), et à l'arrêt du Tribunal du 16 octobre 1998, V/Commission (T-40/95, RecFP p. I-A-587 et II-1753, point 86), le requérant soutient qu'il a le droit d'obtenir la communication intégrale de son dossier individuel et de prendre copie de toutes les pièces de la procédure, en ce compris toutes les pièces à décharge.

108.
    Le Tribunal rappelle que l'accès au dossier relève des garanties procédurales visant à protéger les droits de la défense. Le respect de ces droits dans toute procédure susceptible d'aboutir à des sanctions constitue un principe fondamental du droit communautaire, qui doit être observé en toutes circonstances (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-25/95, T-26/95, T-30/95 à T-32/95, T-34/95 à T-39/95, T-42/95 à T-46/95, T-48/95, T-50/95 à T-65/95, T-68/95 à T-71/95, T-87/95, T-88/95, T-103/95 et T-104/95, Rec. p. II-491, point 142).

109.
    C'est ainsi que l'article 2 de l'annexe IX du statut dispose:

«Dès la communication [du] rapport [au conseil de discipline], le fonctionnaire incriminé a le droit d'obtenir la communication intégrale de son dossier individuel et de prendre copie de toutes les pièces de la procédure.»

110.
    Il ressort de la requête que le requérant estime qu'un accès plus complet au dossier lui aurait permis de démontrer que son directeur était parfaitement informé de la finalité des quatre contrats litigieux, à savoir la mise à disposition de l'ECHO de personnel non statutaire.

111.
    Toutefois, à supposer même que le requérant ait été à même de démontrer de tels faits sur la base de documents qui ne lui ont pas été communiqués au cours de la procédure disciplinaire s'il avait eu accès à ces documents au cours de celle-ci, la constatation de ces faits n'affecterait pas la légalité de la décision disciplinaire.

112.
    En effet, il doit être rappelé que la décision disciplinaire a infligé une sanction disciplinaire au requérant en raison d'agissements relevant du domaine de la corruption. Ces agissements auraient rompu définitivement les rapports de confiance entre la Commission et le requérant et auraient justifié la sanction disciplinaire (voir, ci-dessus, points 58 et 59).

113.
    Dès lors, les différents rapports et documents mentionnés par le requérant dans sa requête (voir, ci-dessus, points 105 et 106) qui démontreraient qu'une connaissance, voire une approbation, dans le chef des supérieurs du requérant concernant le fait que les contrats litigieux servaient à la mise à disposition de l'ECHO de personnel non statutaire, au lieu de financer des opérations d'aide humanitaire, n'auraient pas pu faire aboutir la procédure disciplinaire à un résultat différent (voir arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, cité au point 108 ci-dessus, point 241). En effet, une défense fondée sur ces documents et rapports au cours de la procédure disciplinaire n'aurait pas pu avoir une incidence sur la constatation faite par la Commission d'agissements imputables au requérant relevant du domaine de la corruption, qui ont justifié la sanction disciplinaire et qui consistent en l'acceptation par le requérant, par l'intermédiaire de sa femme, d'un avantage financier très substantiel de la part de Perry Lux pour son rôle dans la passation des contrats avec des sociétés de ce groupe. Pour les mêmes raisons, la demande tendant à ce que le Tribunal ordonne la production des rapports et documents en question doit être rejetée.

114.
    Enfin, le requérant n'a jamais prétendu qu'il n'avait pas eu accès à tous les documents à charge sur lesquels la Commission a fondé sa constatation de l'existence d'agissements relevant du domaine de la corruption.

115.
    Dans ces conditions, il convient de rejeter la deuxième branche du présent moyen.

Troisième branche: insuffisance des auditions

116.
    Le requérant fait valoir, en premier lieu, qu'il n'a pas été suffisamment entendu et, plus spécialement, qu'il n'a pas été entendu sur tous les griefs retenus à sa charge.

117.
    Force est toutefois de constater que le requérant a été entendu à plusieurs reprises au cours de la procédure disciplinaire. Le requérant indique, en effet, avoir été entendu par l'AIPN à deux reprises avant la saisine du conseil de discipline, le 22 juillet et le 12 octobre 1998. Il affirme avoir été entendu ensuite par le conseil de discipline lui-même, le 24 juin 1999, et par l'AIPN avant l'adoption de la décision disciplinaire, le 8 juillet 1999.

118.
    Quant à l'argument selon lequel le requérant n'aurait pas été entendu sur tous les griefs, il doit être rejeté pour défaut de précision. En tout état de cause, les comptes rendus des différentes auditions démontrent que le requérant s'est exprimé sur tous les griefs retenus contre lui dans la décision disciplinaire.

119.
    En second lieu, le requérant critique le fait que le conseil de discipline n'a pas entendu certains témoins et a refusé de procéder à certaines confrontations.

120.
    Le Tribunal rappelle qu'il appartient au conseil de discipline d'apprécier la pertinence des témoignages proposés par rapport à l'objet du litige et la nécessité de procéder à l'audition des témoins cités (arrêt de la Cour du 11 juillet 1968, Van Eick/Commission, 35/67, Rec. p. 481, 501; arrêt du Tribunal du 28 juin 1996, Y/Cour de justice, T-500/93, RecFP p. I-A-335 et II-977, point 43).

121.
    Or, force est de constater que le requérant a invité, par note du 1er juin 1999, le conseil de discipline à procéder à certaines auditions et confrontations. Toutefois, au vu des griefs retenus à l'encontre du requérant et de l'aveu de ce dernier concernant les relations contractuelles entre son épouse et une société du groupe Perry Lux (voir, ci-dessus, points 58 à 70), le conseil de discipline a pu raisonnablement considérer qu'il n'y avait pas lieu de donner suite à la demande du requérant. En tout état de cause, le requérant n'explique pas comment les auditions et confrontations en question auraient pu faire aboutir la procédure disciplinaire à un résultat différent. Pour les mêmes raisons, la demande tendant à ce que le Tribunal procède à l'audition de différentes personnes doit être rejetée.

122.
    Il y a donc lieu de rejeter également la troisième branche du présent moyen.

Quatrième branche: manque d'impartialité et d'objectivité de l'AIPN

123.
    Le requérant conteste le choix des membres appelés à exercer conjointement les pouvoirs de l'AIPN par délégation. Il estime en particulier que deux des trois membres de l'AIPN déléguée - à savoir M. Navarro, directeur de l'ECHO, et M. Smidt, ancien directeur général de la direction générale «Développement (relations extérieures et coopération au développement avec l'Afrique, les Caraïbes et le Pacifique;convention de Lomé)» (DG VIII) - n'auraient pas présenté les garanties d'objectivité et d'impartialité requises.

124.
    S'agissant en premier lieu de M. Navarro, le requérant invoque sa participation au groupe (dont faisait aussi partie M. Gomez Reino) chargé par le secrétaire général d'établir un rapport à la suite du rapport de l'UCLAF du 18 mai 1998 et, par là même, son accès à un ensemble de documents non communiqués au requérant.

125.
    M. Smidt, quant à lui, aurait eu recours en sa qualité d'ancien directeur général de la DG VIII à de nombreux faux contrats pour dégager les fonds nécessaires au recrutement de personnel.

126.
    Le Tribunal rappelle que, en vertu du point 10, sous b), de l'annexe I de la décision de la Commission du 21 janvier 1998, modifié par décision du 16 juin 1999, les pouvoirs de l'AIPN sont exercés pour ce qui concerne les fonctionnaires de grade A 3 à A 8 «conjointement par délégation par le Directeur général du Personnel et de l'Administration, le Directeur général ou le Chef dont relève le fonctionnaire [...] et un troisième Directeur général désigné par le Secrétariat général».

127.
    Force est de constater que, pour la procédure disciplinaire dont le requérant a fait l'objet, les règles de la composition de l'AIPN ont été respectées. L'AIPN a en effet été composée du directeur général du personnel et de l'administration, M. Smidt, du chef dont relevait le requérant, M. Navarro, et d'un autre directeur général, en l'occurrence, le directeur général des budgets, M. Mingasson.

128.
    Quant au grief tiré du prétendu manque d'impartialité et d'objectivité, il doit être rappelé qu'à l'audience le Tribunal a invité la Commission à produire le rapport du 16 juillet 1998 auquel s'était référé le requérant afin de démontrer le bien-fondé de ce grief (voir, ci-dessus, point 33).

129.
    Dans ses observations du 19 février 2002, le requérant relève que la lecture du rapport du 16 juillet 1998 confirme que ce rapport a été établi aux seules fins d'exonérer M. Gomez Reino de toute responsabilité et de faire porter à lui-même la responsabilité de tous les faits faisant l'objet du rapport de l'UCLAF du 18 mai 1998. Le rapport du 16 juillet 1998 établirait que M. Navarro a pu examiner de manière approfondie tous les documents du dossier de l'UCLAF et qu'il a procédé aux auditions des fonctionnaires et anciens fonctionnaires de l'ECHO. Il apparaîtrait ainsi que l'un des membres de l'AIPN tripartite aurait eu connaissance d'un ensemble de documents et rapports auxquels le requérant n'aurait pas eu accès et aurait pu procéder à l'audition des fonctionnaires et anciens fonctionnaires de l'ECHO sans que le requérant ait pu y assister ou ait pu prendre connaissance de leurs déclarations.

130.
    Il doit toutefois être constaté que le rapport du 16 juillet 1998 comprend les commentaires de l'ECHO sur le rapport de l'UCLAF en ce qui concerne les contrats litigieux. Le rapport du 16 juillet 1998 ne concerne nullement le grief de la décision disciplinaire qui a justifié la sanction disciplinaire, à savoir l'existence d'agissementsimputables au requérant relevant du domaine de la corruption. Le fait que M. Navarro, en tant que cosignataire du rapport, ait eu accès au dossier de l'UCLAF concernant les contrats litigieux et ait entendu des personnes dans ce contexte ne révèle donc pas d'éléments pouvant faire douter de son impartialité et de son objectivité vis-à-vis du requérant pour ce qui concerne le grief de la décision disciplinaire qui a justifié la sanction.

131.
    En ce qui concerne M. Smidt, le requérant ne prouve pas la réalité des prétendues pratiques irrégulières de la direction générale antérieurement dirigée par cette personne. En tout état de cause, même si ces pratiques étaient établies, le requérant ne démontre pas en quoi elles seraient de nature à compromettre l'impartialité et l'objectivité de M. Smidt à son égard.

132.
    Enfin, il doit être souligné que le caractère collégial - en l'occurrence tripartite - de la composition de l'AIPN déléguée constitue précisément une garantie d'impartialité et d'objectivité dans la prise de décisions disciplinaires.

133.
    Il convient par conséquent de rejeter aussi cette quatrième branche.

134.
    En conclusion, le moyen tiré de la violation des droits de la défense doit être rejeté dans son intégralité.

Sur le moyen tiré d'une violation du principe de proportionnalité

135.
    Le requérant fait valoir qu'en matière disciplinaire le principe de proportionnalité consiste à adopter une sanction juste, c'est-à-dire proportionnelle à la gravité des griefs établis et tenant compte de tous les éléments du dossier, tant à charge qu'à décharge. Il souligne que la décision disciplinaire le concernant constitue le premier cas de sanction comportant une réduction des droits à la pension d'ancienneté.

136.
    Selon le requérant, plusieurs éléments à décharge n'auraient pas été pris en compte par les autorités disciplinaires.

137.
    Il invoque, en premier lieu, l'existence d'un «état de nécessité» lié aux circonstances de la création de l'ECHO. Il relève, à cet effet, l'attitude de la Commission ayant imposé à l'ECHO des missions impossibles à exécuter en raison du manque chronique de personnel, la participation active de sa hiérarchie dans l'élaboration et la signature des contrats litigieux et l'approbation au moins tacite des membres de la Commission en charge du dossier ainsi que la nécessité de mettre en oeuvre d'extrême urgence l'aide humanitaire en ex-Yougoslavie et dans la région des grands lacs.

138.
    Le requérant se réfère en particulier au rapport que le comité des experts indépendants a établi, dans lequel il est indiqué que «M. Marin a autorisé la présence de 'sous-marins‘ [à savoir, du personnel non statutaire], qui sont restés en place pendant toute la période pendant laquelle il était responsable d'ECHO» (point 4.3.1). La Commissionn'aurait donc pu ignorer que les contrats litigieux constituaient des faux élaborés sous la responsabilité du directeur de l'ECHO dans le seul but de dégager les ressources financières indispensables au paiement des «sous-marins». Le requérant aurait agi sur instruction et sous le contrôle de son directeur, qui, lui-même, aurait informé le vice-président M. Marin et les autres membres de la Commission.

139.
    En second lieu, le requérant se réfère à l'éligibilité de la société Perry Lux pour la mise à disposition de prestataires de services à la Commission, établie par la commission consultative des achats et des marchés.

140.
    Le requérant invoque encore une série d'autres éléments à décharge, qui n'auraient pas été pris en considération par les autorités disciplinaires. Il s'agirait notamment de la qualité des services qu'il a fournis pour la Commission pendant 40 ans, de l'inégalité de traitement par rapport à ses collègues qui se seraient rendus coupables de fautes parfois plus graves, de son respect scrupuleux du devoir de réserve tout au long de la procédure et de la violation manifeste de ses droits de la défense au cours de la procédure.

141.
    Le Tribunal rappelle que le choix de la sanction adéquate appartient à l'AIPN, lorsque la réalité des faits retenus à la charge du fonctionnaire est établie (arrêts de la Cour du 30 mai 1973, De Greef/Commission, 46/72, Rec. p. 543, points 44 à 46; M./Conseil, cité au point 96 ci-dessus, point 9, et F./Commission, cité au point 96 ci-dessus, point 34; arrêt du Tribunal du 7 mars 1996, Williams/Cour des comptes, T-146/94, RecFP p. I-A-103 et II-329, point 106). Le juge communautaire ne saurait censurer le choix de la sanction disciplinaire par l'AIPN, à moins que la sanction infligée ne soit disproportionnée par rapport aux faits relevés à la charge du fonctionnaire (arrêt Van Eick/Commission, cité au point 96 ci-dessus, points 24 et 25).

142.
    Pour apprécier la proportionnalité de la sanction disciplinaire par rapport à la gravité des faits retenus, il convient de relever que la détermination de la sanction est fondée sur une évaluation globale par l'AIPN de tous les faits concrets et circonstances propres à chaque cas individuel, les articles 86 à 89 du statut ne prévoyant pas de rapport fixe entre les sanctions qui y sont indiquées et les différentes sortes de manquements commis par les fonctionnaires et ne précisant pas dans quelle mesure l'existence de circonstances aggravantes ou atténuantes doit intervenir dans le choix de la sanction (arrêt de la Cour du 5 février 1987, F./Commission, 403/85, Rec. p. 645, point 26; arrêt Williams/Cour des comptes, cité au point précédent, point 107). L'examen du Tribunal est dès lors limité à la question de savoir si la pondération des circonstances aggravantes et atténuantes par l'AIPN a été effectuée de façon proportionnée, étant précisé que, lors de cet examen, le Tribunal ne saurait se substituer à l'AIPN quant aux jugements de valeur portés à cet égard par celle-ci (arrêt Williams/Cour des comptes, cité au point précédent, point 108).

143.
    C'est dans ce cadre juridique qu'il convient d'apprécier les arguments du requérant relatifs à une prétendue violation du principe de proportionnalité. Le requérant prétenden effet que la sanction infligée est disproportionnée dès lors que la Commission n'a pas tenu compte de plusieurs circonstances atténuantes ou éléments à décharge.

144.
    S'agissant, en premier lieu, des prétendues circonstances atténuantes regroupées sous le qualificatif d'«état de nécessité» (connaissance et tolérance des irrégularités, extrême urgence), le Tribunal constate qu'elles ne portent que sur les contrats litigieux et non sur le grief qui a donné lieu à la sanction disciplinaire, à savoir «l'acceptation par [le requérant], par l'intermédiaire de sa femme, d'un avantage financier très substantiel indu de la part de sociétés du groupe Perry constitu[ant] un agissement relevant du domaine de la corruption».

145.
    S'agissant, en deuxième lieu, de l'approbation de la société Perry Lux par la commission consultative des achats et des marchés, le Tribunal rappelle qu'il s'agit simplement de l'une des premières étapes de la procédure permettant à la Commission d'avoir recours à des prestataires de services extérieurs. Outre le fait que cette formalité préalable n'est pas exigée dans tous les cas, il convient de souligner que son respect n'est certainement pas de nature à atténuer la gravité des irrégularités commises.

146.
    S'agissant, en troisième lieu, de la durée et de la qualité des états de service du requérant que l'AIPN doit prendre en compte, il y a lieu d'observer que celle-ci a effectivement tenu compte de cet élément mais, à juste titre, en tant que circonstance aggravante (neuvième considérant de la décision disciplinaire). La longue expérience du requérant au service de l'institution tout autant que l'ampleur des pouvoirs qui lui ont été accordés et dont il a abusé montraient, en effet, de façon particulière les rapports de profonde confiance de l'institution envers la personne du requérant.

147.
    S'agissant, en quatrième lieu, de la prétendue violation du principe d'égalité de traitement en ce que la Commission aurait réservé un sort plus favorable aux collègues ou supérieurs du requérant, il doit être rappelé que chaque procédure disciplinaire étant autonome, le requérant ne saurait utilement invoquer le fait qu'aucune sanction n'ait été infligée, ou qu'une sanction moindre ait été infligée, à d'autres fonctionnaires, pour contester la sanction dont il a fait l'objet lui-même (voir arrêts de la Cour du 2 juin 1994, de Compte/Parlement, C-326/91 P, Rec. p. I-2091, points 51, 52 et 112, et du 6 mars 2001, Connolly/Commission, C-273/99 P, Rec. p. I-1575, point 43).

148.
    S'agissant, en cinquième lieu, du respect scrupuleux du devoir de réserve par le requérant, il y a lieu de souligner qu'il s'agit d'une obligation imposée à tous les fonctionnaires communautaires par le statut et que le requérant ne saurait invoquer le respect d'une de ses obligations statutaires pour atténuer la méconnaissance d'autres obligations statutaires.

149.
    S'agissant, en dernier lieu, des prétendues atteintes à ses droits de la défense, cet argument doit être rejeté pour les motifs exposés aux points 85 à 134 ci-dessus.

150.
    Il s'ensuit qu'aucun élément ne permet de conclure que la sanction infligée est disproportionnée par rapport au comportement reproché. Le présent moyen doit donc être rejeté.

151.
    Il résulte de tout ce qui précède que - eu égard à la gravité des griefs retenus sans qu'il ait été établi que la Commission aurait commis une erreur manifeste d'appréciation des faits ou aurait omis de prendre en considération des circonstances atténuantes - la Commission a pu raisonnablement infliger au requérant la sanction disciplinaire de révocation avec réduction d'un tiers de ses droits à pension d'ancienneté.

152.
    Le juge communautaire a, en effet, déjà considéré que la révocation est une sanction proportionnée pour sanctionner des agissements relevant du domaine de la corruption (arrêt du Tribunal du 18 décembre 1997, Daffix/Commission, T-12/94, RecFP p. I-A-453 et II-1197, points 90 à 92). En outre, même s'il peut être considéré que le Tribunal a une compétence de pleine juridiction au titre de l'article 91 du statut dans la mesure où le litige porte notamment sur la réduction des droits à pension, comme la Commission l'a d'ailleurs reconnu à l'audience, le Tribunal estime que la Commission a pu, compte tenu de la gravité des griefs retenus, raisonnablement réduire d'un tiers les droits à pension d'ancienneté du requérant, étant donné que cette réduction, en raison du grade et du nombre d'annuités acquises, ne le prive pas de moyens de subsistance réels.

153.
    Le moyen tiré d'une violation du principe de proportionnalité ne peut donc pas non plus être accueilli.

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 25 du statut

154.
    Le requérant fait valoir que la Commission a méconnu l'obligation de motivation édictée par l'article 25 du statut. La Commission n'aurait pas répondu à tous les arguments et moyens de défense qu'il a développés au cours de la procédure disciplinaire.

155.
    Il doit être rappelé que, en vertu de l'article 25 du statut, «[t]oute décision faisant grief doit être motivée».

156.
    L'obligation de l'article 25 du statut a pour but, d'une part, de fournir à l'intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est ou non fondée et, d'autre part, d'en rendre possible le contrôle juridictionnel. La question de savoir si la motivation de l'acte en cause satisfait aux exigences du statut doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais également de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt Y/Parlement, cité au point 76 ci-dessus, point 22). Il y a lieu de souligner, à cet égard, que, si la motivation de la décision de l'AIPN doit indiquer de manière précise les faits retenus à la charge du fonctionnaire ainsi que les considérations qui ont amené l'AIPN à prononcer la sanctionchoisie (arrêt V/Commission, cité au point 107 ci-dessus, point 36), il n'est pas pour autant exigé qu'elle discute tous les points de fait et de droit qui ont été soulevés par l'intéressé au cours de la procédure (arrêt du Tribunal du 19 mai 1999, Connolly/Commission, T-34/96 et T-163/96, RecFP p. I-A-87 et II-463, point 93).

157.
    Or, force est de constater que le requérant n'indique même pas les arguments et moyens de défense auxquels la Commission n'aurait pas répondu dans la décision disciplinaire.

158.
    En tout état de cause, il ressort de la décision disciplinaire que la Commission a respecté les exigences de l'article 25 du statut. En effet, la Commission y indique les faits litigieux et les considérations qui l'ont amenée à infliger la sanction choisie (voir, ci-dessus, points 20 à 23).

159.
    Il s'ensuit que ce moyen n'est pas non plus fondé.

Sur les dépens

160.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe doit être condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, aux termes de l'article 88 du règlement de procédure, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Le requérant ayant succombé en ses conclusions, chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    Chaque partie supportera ses propres dépens.

Jaeger

Lenaerts
Azizi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 mai 2002.

Le greffier

Le président

H. Jung

M. Jaeger


1: Langue de procédure: le français.