Language of document : ECLI:EU:T:2023:378

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)

5 juillet 2023 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Personnel du SEAE – Harcèlement moral – Article 12 bis du statut – Demande d’assistance – Rejet de la demande – Article 24 du statut – Obligation de motivation – Droit d’être entendu – Notion de « harcèlement moral » – Erreur manifeste d’appréciation – Devoir de sollicitude »

Dans l’affaire T‑770/21,

OC, représentée par Mes L. Levi, N. Flandin et A. Champetier, avocates,

partie requérante,

contre

Service européen pour l’action extérieure (SEAE), représenté par MM. K. Kouri, R. Spáč et Mme A. Ireland, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (dixième chambre),

composé de Mme O. Porchia, présidente, MM. M. Jaeger et S. Verschuur (rapporteur), juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 25 janvier 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE, la requérante, [confidentiel], demande l’annulation de la décision du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) du 10 septembre 2020 par laquelle celui-ci a rejeté sa demande d’assistance (ci-après la « décision attaquée »).

I.      Antécédents du litige

2        La requérante, ancienne fonctionnaire du SEAE, a occupé le poste de cheffe d’administration au sein de la délégation de l’Union européenne en [confidentiel] (ci-après la « délégation ») du [confidentiel]au [confidentiel]. Au titre de ce poste, la requérante a également exercé la fonction de régisseuse d’avances.

3        [confidentiel] a pris ses fonctions en tant que cheffe de la délégation en octobre 2016 (ci-après la « cheffe de délégation »).

4        Durant la période de 2014 à 2016, des tensions sont survenues entre la requérante et le chef de la section « Politique, presse et information » de la délégation. En novembre 2015, ledit chef a introduit une demande d’assistance à l’encontre de la requérante, qu’il a ensuite retirée. À son tour, la requérante, en décembre 2015, a introduit une demande d’assistance à l’encontre de ce même chef, laquelle a été rejetée par l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») du SEAE le 6 avril 2016.

5        En outre, le 1er juillet 2016, l’ancien chef de délégation, sur la base de l’analyse faite par la requérante, a refusé la demande de remboursement de frais de déménagement introduite par le chef de la section « Politique, presse et information », qui a, le 12 septembre 2016, introduit une réclamation sur le fondement de l’article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») contre ledit refus. En décembre 2016, cette réclamation a été accueillie. Le 23 janvier 2017, la requérante a adressé un courrier au directeur général de la direction générale du budget et de l’administration du secrétariat général du SEAE (ci-après le « directeur général ») dans lequel elle lui faisait part de son incompréhension quant à la décision de donner une suite favorable à la réclamation du chef de section.

6        Par la suite, la requérante a été placée en congé de maladie de début janvier à mi-juin 2017.

7        Le 14 juin 2017, date de retour de congé de maladie de la requérante, celle-ci et la cheffe de délégation ont eu une réunion pendant laquelle l’activité de la section « Administration » de la délégation ainsi que la manière de travailler de la requérante ont été discutées. Le 17 juillet 2017, la requérante a envoyé un courriel à la cheffe de délégation pour répondre aux observations faites par celle-ci lors de ladite réunion.

8        Le 17 juillet 2017, la requérante a aussi rédigé une note de dossier soulevant de prétendues irrégularités concernant des demandes de paiement de cours d’espagnol introduites par l’assistante de la cheffe de délégation. Par courriel du 18 juillet 2017, la cheffe de délégation a demandé à la requérante de rédiger une note d’exception autorisant son assistante à participer à ces cours, ce que la requérante a refusé de faire. Le 19 juillet 2017, la cheffe de délégation a eu une réunion avec la requérante et ses deux assistantes. Le 16 août 2017, la cheffe de délégation a rédigé elle-même la note d’exception demandée.

9        En septembre 2017, la division de la sécurité et celle de l’audit interne du siège du SEAE à Bruxelles (Belgique) ont transmis à la délégation une demande d’information concernant un contrat portant sur des services de sécurité, qui avait été conclu par la délégation durant l’absence de la requérante, à l’issue d’une procédure de passation de marché public. La cheffe de délégation a chargé la requérante de traiter cette demande.

10      Lors de l’examen du dossier, la requérante a identifié de prétendues irrégularités dans ladite procédure.

11      Le 27 septembre 2017, la requérante a consigné ces prétendues irrégularités dans une note de dossier qu’elle a téléchargée dans le système informatique de gestion du contrôle ex post et transmise aux deux divisions concernées (sécurité et audit interne).

12      Le même jour, la requérante a sollicité un entretien avec la cheffe de délégation, au cours duquel elle l’a informée de la situation et lui a communiqué la note de dossier.

13      Le 29 septembre 2017, la requérante a adressé au directeur général un courriel dans lequel elle l’a informé des prétendues irrégularités qu’elle avait constatées et du fait qu’elle en avait avisé la cheffe de délégation. Elle a également demandé au directeur général, à titre conservatoire, la protection accordée aux lanceurs d’alerte en application des articles 22 bis et 22 ter du statut. La requérante a motivé cette demande, notamment, par la réaction de la cheffe de délégation, qui aurait menacé de la réaffecter au siège du SEAE.

14      Le 4 octobre 2017, la cheffe de délégation a demandé par courriel à la requérante la préparation d’un dossier pour le lendemain contenant les documents mentionnés dans la note de dossier du 27 septembre 2017. La requérante a indiqué ne pas pouvoir s’acquitter de cette tâche avant le 9 octobre 2017, du fait de tâches urgentes dont elle aurait eu à s’acquitter le 5 octobre 2017 au matin, et parce qu’elle était en congé le 5 octobre 2017 dans l’après-midi et le 6 octobre 2017. La requérante a été absente lors de la réunion hebdomadaire du 5 octobre 2017.

15      Le 20 octobre 2017, un entretien a eu lieu entre la requérante et le directeur général, au cours duquel ce dernier a expliqué avoir une analyse différente des événements et a proposé l’envoi d’une mission d’inspection afin d’évaluer les faits qu’elle avait révélés et de déterminer les suites appropriées en fonction de leur gravité. Lors de cet entretien, le directeur général a également souligné que le lien de confiance avec la cheffe de délégation était rompu et que, en effectuant un travail d’investigation sur ce qui s’était passé pendant son absence, la requérante était allée au-delà de son rôle, alors qu’elle aurait dû s’en remettre à sa hiérarchie en signalant ses doutes. En outre, constatant que le maintien de la requérante dans la délégation serait contreproductif, le directeur général lui a indiqué qu’il allait demander au service des ressources humaines d’examiner des possibilités de réaffectation à un autre poste dans la région, tout en précisant qu’il s’agissait d’une mesure de protection de deux personnes qui n’entretenaient pas des relations professionnelles optimales et non d’une mesure de rétorsion, ni d’une mesure disciplinaire.

16      Du 13 au 15 décembre 2017, une mission d’inspection ad hoc, ordonnée par [confidentiel], a été dépêchée auprès de la délégation avec pour mandat d’évaluer le fonctionnement de la délégation et la régularité du contrat de marché public de sécurité du site (ci-après la « mission d’inspection ad hoc »).

17      Le 21 décembre 2017, le directeur général a informé la requérante que, après avoir eu une réunion avec les inspecteurs sur l’issue de leur inspection, il avait l’intention de la muter dans l’intérêt du service auprès de la délégation de l’Union en [confidentiel].

18      Le [confidentiel], la requérante a été mutée dans l’intérêt du service auprès de ladite délégation pour une période de cinq mois.

19      Le 4 avril 2018, la mission d’inspection ad hoc a transmis, pour commentaires, un projet de rapport d’inspection à la cheffe de délégation.

20      Le 16 juillet 2018, la mission d’inspection ad hoc a transmis le rapport d’inspection final à la cheffe de délégation.

21      Le 6 août 2018, la requérante a soumis au SEAE une demande d’assistance, au titre de l’article 24 du statut, en invoquant des faits de harcèlement moral qui auraient eu lieu à son égard entre mi-juin 2017 et fin mars 2018 de la part de la cheffe de délégation et, à titre subsidiaire, de la part de l’assistante personnelle de cette dernière, au sens des articles 12 et 12 bis du statut (ci-après la « demande d’assistance »).

22      Dans cette demande d’assistance, la requérante a d’abord soutenu que les faits de harcèlement dont elle aurait fait l’objet de la part de sa supérieure hiérarchique s’étaient manifestés sous la forme d’un large éventail de comportements visant à discréditer son travail, à la rabaisser, à la marginaliser et à l’ostraciser au sein de la délégation. Elle a indiqué que ladite supérieure hiérarchique avait menacé à plusieurs reprises de la renvoyer au siège du SEAE et qu’elle avait eu recours au harcèlement comme méthode de management pour se débarrasser d’elle. Ensuite, la requérante a sollicité, dans sa demande d’assistance, que son statut de victime de harcèlement soit reconnu et que le SEAE prenne en charge tous les frais médicaux exposés par elle ainsi que ceux à venir pour se reconstruire psychologiquement et surmonter les séquelles de ladite épreuve. Elle a également demandé que tant la cheffe de délégation que son assistante personnelle assument les conséquences de leurs actes à son égard et que le SEAE l’assiste financièrement et juridiquement pour intenter une action pénale contre les prétendues harceleuses.

23      Le 6 décembre 2018, le directeur des ressources humaines du SEAE a informé la requérante que, à la suite de sa demande d’assistance, les faits allégués de harcèlement moral avaient été portés à l’attention de l’Office d’investigation et de discipline de la Commission (IDOC) pour une analyse préliminaire. À l’issue de cette analyse préliminaire, l’IDOC a considéré que les éléments du dossier ne constituaient pas un commencement de preuve du harcèlement moral allégué en ce qui concerne l’assistante personnelle de la cheffe de délégation. En revanche, s’agissant de la cheffe de délégation, l’IDOC a considéré qu’il existait un commencement de preuve de harcèlement moral potentiel ou d’un comportement inapproprié de sa part, de sorte qu’il y avait lieu d’ouvrir une enquête administrative sur les faits concernés.

24      Par une décision du même jour (ci-après la « décision d’ouverture »), le directeur général a ouvert une enquête administrative et donné mandat à l’IDOC pour la conduite de cette enquête avec comme mandat précis ce qui suit :

« Cette enquête visera à déterminer les faits et circonstances relatifs à la demande d’assistance au titre de l’article 24 du statut de la part de [la requérante]. Les allégations concernent un possible harcèlement moral ou comportement inapproprié entre juin 2017 et mars 2018 sur la personne de [la requérante] de la part de son ancienne supérieure hiérarchique […] »

25      Le 17 janvier 2019, la requérante a été entendue dans le cadre de l’enquête administrative de l’IDOC.

26      Le 27 septembre 2019, la requérante a saisi le SEAE, en application de l’article 90, paragraphe 1, du statut, d’une demande indemnitaire visant à obtenir la réparation de préjudices d’ordre moral, à hauteur de 20 000 euros, et d’ordre matériel, à hauteur de 54 641,62 euros, qu’elle aurait subis du fait de « fautes du SEAE lors de son emploi en tant que cheffe d’administration à la délégation » et « plus particulièrement durant les derniers mois qui ont précédé sa destitution de ce poste de cheffe d’administration ». Cette demande a fait l’objet de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 juillet 2022, OC/SEAE (T‑681/20, non publié, EU:T:2022:422), dans lequel le Tribunal a condamné le SEAE au paiement de 10 000 euros à la requérante au titre du préjudice moral subi en raison de la divulgation, à un nombre de parties disproportionné, du rapport d’inspection final de la mission d’inspection ad hoc. Le recours a été rejeté pour le surplus.

27      Le 10 octobre 2019, la requérante a reçu, de la part de la direction des ressources humaines de la Commission, une note reprenant les faits tels qu’ils ont été établis par l’enquête administrative de l’IDOC et a été invitée à faire valoir ses observations, ce qu’elle a fait le 25 novembre 2019.

28      Le 15 mai 2020, l’IDOC a adopté un rapport d’enquête administrative concernant les allégations de harcèlement moral ou de comportements inappropriés de la cheffe de délégation. L’IDOC a considéré que les incidents mis en avant par la requérante et étayés par les pièces du dossier, pris isolément ou dans leur ensemble, révélaient des comportements parfois maladroits de la part de la cheffe de délégation à son égard. Cependant, selon l’IDOC, ces incidents ne témoignaient pas de comportements inappropriés et encore moins d’un harcèlement moral, compte tenu d’un contexte administratif très difficile et du comportement de la requérante elle-même. En conclusion, l’IDOC a considéré que le dossier ne contenait pas d’éléments matériels pouvant conduire à considérer que la cheffe de délégation avait violé les articles 12 et 12 bis du statut.

29      Au terme de l’enquête administrative, l’AIPN du SEAE a décidé, le 28 mai 2020, de clôturer l’enquête sans suite.

30      Le 2 juillet 2020, deux documents ont été communiqués à la requérante : un document préparatoire reprenant un « aperçu des allégations et une analyse des preuves » ainsi qu’une version non confidentielle du rapport rendu à l’issue de l’enquête administrative.

31      La requérante a formulé ses observations sur ces documents le 16 juillet 2020.

32      Le 10 septembre 2020, la demande d’assistance de la requérante a été rejetée par décision du SEAE (ci-après la « décision attaquée »).

33      Le 11 février 2021, la décision attaquée a été notifiée à la requérante par courriel.

34      Le 6 mai 2021, la requérante a formé, sur la base de l’article 90, paragraphe 2, du statut, une réclamation contre la décision attaquée. Le 31 août 2021, le SEAE a rejeté la réclamation de la requérante (ci-après la « décision de rejet de la réclamation »).

II.    Conclusions des parties

35      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        annuler, en tant que de besoin, la décision de rejet de la réclamation ;

–        condamner le SEAE aux entiers dépens.

36      Le SEAE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

III. En droit

A.      Sur la recevabilité des preuves et des griefs présentés dans la prise de position sur la tenue d’une audience

37      D’une part, la prise de position sur la tenue d’une audience déposée par la requérante le 14 octobre 2022 comporte trois annexes présentées comme de nouvelles preuves au sens de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal.

38      La première annexe contient des éléments qui viseraient à corriger une « erreur typographique manifeste » du SEAE.

39      La deuxième annexe comporte des documents concernant la procédure de passation de marché public, dont certaines prétendues irrégularités attesteraient « de manière irréfutable les faits » ainsi que la réalité des « pièces sciemment omises par le défendeur ».

40      La troisième annexe contient un témoignage d’une personne tierce que la requérante produit afin d’attester le « lien entre le comportement de la [c]hef[fe] de délégation et [son] état de santé ».

41      D’autre part, dans la prise de position sur la tenue d’une audience, la requérante expose des considérations relatives aux annexes D 2 et D 4 de la duplique. Selon la requérante, l’annexe D 2 vise à la dépeindre à tort comme une personne rigide et extrêmement pointilleuse. Par ailleurs, l’annexe D 4 contiendrait une déclaration d’un fonctionnaire du SEAE indiquant que les tâches dévolues à la requérante dans la délégation entraient bien dans la description des tâches de chef d’administration.

42      La requérante justifie la soumission des preuves et des griefs produits après la clôture de la phase écrite de la procédure par le respect du principe du contradictoire, en expliquant notamment que la duplique fait état de nouveaux éléments, arguments et pièces auxquels elle souhaite répondre.

43      Le SEAE fait valoir qu’il convient de rejeter les nouvelles preuves et nouveaux griefs comme étant tardifs et que, en tout état de cause, ils ne sont pas pertinents pour l’issue de la présente affaire ou manquent en fait ou en droit.

44      S’agissant des deux premières annexes produites par la requérante dans sa prise de position sur la tenue d’une audience, il convient de constater qu’elles ont été produites en tant que preuve contraire et ampliation des offres de preuves pour répondre aux affirmations du SEAE dans la note en bas de page no 1 et aux annexes D 2 et D 4 de la duplique. Les deux annexes produites par la requérante ne sont pas visées par la règle de forclusion prévue à l’article 85, paragraphe 1, du règlement de procédure. En effet, cette disposition concerne les preuves nouvelles et doit être lue à la lumière de l’article 92, paragraphe 7, dudit règlement, qui prévoit expressément que la preuve contraire et l’ampliation des offres de preuve restent réservées (voir arrêt du 10 juin 2020, AL/Commission, T‑83/19, non publié, EU:T:2020:254, point 47 et jurisprudence citée).

45      En revanche, pour ce qui concerne la troisième annexe, il y a lieu de la déclarer irrecevable. En effet, cette annexe ne vise pas à répondre à des affirmations du SEAE dans la duplique. En outre, la requérante ne justifie pas l’introduction tardive de ladite annexe dans le dossier. Enfin, l’attestation produite n’est ni datée ni signée, ce qui rend difficile, voire impossible, le fait de pouvoir déterminer la date à laquelle elle a été rédigée et communiquée à la requérante ainsi que de pouvoir en confirmer la provenance.

46      S’agissant des considérations relatives aux annexes D 2 et D 4 de la duplique, celles-ci ont été développées dans le cadre d’une ampliation tendant à répondre aux arguments du SEAE concernant ces annexes. Elles doivent donc être considérées comme étant recevables.

B.      Sur l’objet du recours

47      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, des conclusions en annulation formellement dirigées contre la décision de rejet d’une réclamation ont pour effet de saisir le juge de l’acte faisant grief contre lequel la réclamation a été présentée et sont en tant que telles dépourvues de contenu autonome (voir arrêt du 6 avril 2006, Camós Grau/Commission, T‑309/03, EU:T:2006:110, point 43 et jurisprudence citée).

48      En l’espèce, étant donné que la décision de rejet de la réclamation ne fait que confirmer la décision attaquée, il convient de constater que les conclusions visant l’annulation de la décision de rejet de la réclamation sont dépourvues de contenu autonome et qu’il n’y a donc pas lieu de statuer spécifiquement sur celles-ci. Toutefois, dans l’examen de la légalité de la décision attaquée, il est nécessaire de prendre en considération la motivation figurant dans la décision de rejet de la réclamation, cette motivation étant censée coïncider avec celle de la décision attaquée (voir arrêt du 23 mars 2022, OT/Parlement, T‑757/20, EU:T:2022:156, point 52 et jurisprudence citée).

C.      Sur la demande en annulation

49      Au soutien de sa demande, la requérante soulève quatre moyens, tirés, en substance, le premier, d’une violation de l’obligation de motivation et du droit d’être entendu, le deuxième, d’une violation de la procédure et de règles de compétence en matière de répartition des pouvoirs, le troisième, d’une erreur d’appréciation des faits au regard de la définition de harcèlement moral en violation de l’article 12 bis du statut et, le quatrième, d’une violation du devoir de sollicitude.

1.      Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation et du droit d’être entendu 

50      Par son premier moyen, la requérante soutient, en substance, que la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation en ce qu’elle n’a pas pris en compte les éléments suivants :

–        les irrégularités de gestion et faux en écriture, dans lesquels la cheffe de délégation était impliquée, signalés par la requérante le 27 septembre 2017 et qui auraient été la base de la détérioration de sa relation avec cette personne ;

–        la totale anarchie administrative régnant au sein de la délégation, à laquelle la requérante, au moment de son arrivée en 2014, a voulu mettre de l’ordre, ce qui aurait suscité de nombreuses animosités ;

–        l’existence de deux témoignages retenus par le SEAE relevant le manque d’éthique de la cheffe de délégation dans la gestion des demandes administratives et l’état d’isolement et de grande détresse psychologique dans lequel se serait trouvée la requérante au sein de la délégation.

51      Par ailleurs, la requérante indique que, en vertu de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), le SEAE devait montrer avoir examiné l’ensemble du contexte et les éléments qu’elle avait soulignés comme étant majeurs. Il aurait dû également expliquer les raisons pour lesquelles les éléments susmentionnés n’ont pas été retenus.

52      Le SEAE conclut au rejet du premier moyen.

a)      Sur la violation de l’obligation de motivation

53      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’obligation de motivation a pour objet, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour apprécier le bien-fondé de l’acte lui faisant grief et l’opportunité d’introduire un recours devant le Tribunal et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de l’acte (voir arrêt du 9 juillet 2019, VY/Commission, T‑253/18, non publié, EU:T:2019:488, point 48 et jurisprudence citée).

54      Si la motivation doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, elle doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que la personne concernée peut avoir à recevoir des explications. Il n’est en outre pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, mais seulement ceux qui revêtent une importance essentielle dans l’économie de la décision (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2017, CJ/ECDC T‑692/16, non publié, EU:T:2017:894, points 115 et 116). La question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 12 septembre 2018, De Geoffroy e.a./Parlement, T‑788/16, non publié, EU:T:2018:534, point 50 et jurisprudence citée).

55      À la lumière de ces considérations, il convient tout d’abord de noter, que, au vu de la teneur et de l’exhaustivité des moyens au fond développés dans la requête, la prétendue insuffisance de motivation réside dans le fait que les éléments susmentionnés, à savoir les irrégularités de gestion, les faux en écriture, la « totale anarchie administrative » et les deux témoignages ne seraient pas suffisamment pris en compte dans la décision attaquée, ce qui relève davantage du fond que de la violation de l’obligation de motivation.

56      En tout cas, il y a lieu de constater que le SEAE a en fait analysé les trois éléments susmentionnés de façon séparée et a déterminé que ceux-ci n’étaient pas de nature à mettre en cause le sérieux des conclusions du rapport d’enquête de l’IDOC, comme cela résulte des pages 3 à 5 de la décision attaquée. L’argument de la requérante manque dès lors en fait.

57      À la lumière de ce qui précède, force est donc de constater que la décision attaquée fait apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement ayant conduit le SEAE à rejeter les éléments en cause, de sorte qu’il n’y a pas de violation de l’obligation de motivation.

b)      Sur la violation du droit d’être entendu

58      Il convient de noter que, à chaque étape de la procédure précontentieuse, la requérante a eu l’occasion de présenter des observations et de soulever des objections. Plus particulièrement, le 17 janvier 2019, la requérante a été auditionnée par l’IDOC, le 25 novembre 2019, elle a envoyé ses observations sur l’analyse des faits établis par l’enquête administrative et, le 16 juillet 2020, elle a soumis des remarques sur le document intitulé « Demande d’assistance D/449/18 Aperçu des allégations et une analyse des preuves » ainsi que sur la version non confidentielle du rapport d’enquête administrative CMS 18/045, datée du 30 juin 2020. Étant donné que ces documents établissent les résultats de l’enquête de l’IDOC, il convient de constater que la requérante a pu présenter de façon détaillée, et en temps utile, ses observations.

59      En outre, il convient de constater que, au cours de la phase écrite de la procédure devant le Tribunal, la requérante s’est limitée à indiquer que les garanties procédurales prévues par l’article 41 de la Charte devaient être effectives, sans qu’elle étaye toutefois cet argument.

60      En réponse à une question du Tribunal sur ce point lors de l’audience, la requérante a fait valoir que son droit d’être entendu était violé en ce que ses observations sur les trois points indiqués au point 50 n’auraient pas été prises en compte par le SEAE.

61      Compte tenu de cette explication, il convient de noter que le droit d’être entendu ne saurait être violé par le simple fait que certains éléments invoqués par la requérante n’auraient pas été pris en considération pour rejeter la demande d’assistance. De surcroît, il convient de constater que les éléments concernés ont été analysés par le SEAE aux pages 3 à 5 de la décision attaquée.

62      Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter le premier moyen comme étant non fondé. 

2.      Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de la procédure et des règles de compétence en matière de répartition des pouvoirs

63      La requérante fait valoir que la décision d’ouverture est un acte préparatoire qui ne peut être détaché de la décision attaquée dès lors que cette dernière décision se fonde sur le rapport issu de l’enquête administrative déclenchée par la décision d’ouverture.

64      Ensuite, elle affirme que, en violation de la procédure et des règles de compétence en matière de répartition des pouvoirs, la décision d’ouverture a été prise par le directeur général et non par la secrétaire générale du SEAE. Ce fait aurait eu un impact sur le déroulement de l’enquête dès lors que celui-ci, qui ne se serait pas montré impartial envers la requérante, non seulement a décidé de l’ouverture de l’enquête administrative, mais a également fixé le cadre dans lequel celle-ci devait se dérouler.

65      Or, selon la requérante, il ressort d’une note confidentielle que le cadre de l’enquête administrative était formulé de façon trop restreinte dès lors que l’accent aurait été mis sur les rapports conflictuels entre elle et la cheffe de délégation et sur les solutions à envisager, tandis que l’aspect des irrégularités de gestion administrative de la part de ladite cheffe n’y aurait été évoqué que de façon subsidiaire.

66      Le SEAE conclut au rejet du deuxième moyen.

67      Tout d’abord, il convient de constater, à l’instar du SEAE, que la note confidentielle dont se prévaut la requérante concerne le mandat confié à la division des inspections qui avait été chargée de la mission d’inspection ad hoc (voir point 16 ci-dessus) et non le mandat confié à l’IDOC en vue de l’enquête administrative.

68      Ensuite, il ressort du dossier que le mandat confié à l’IDOC était rédigé dans des termes très larges, correspondant ainsi au contenu de la demande d’assistance de la requérante. En effet, le texte dudit mandat prévoyait que « [c]ette enquête visera à déterminer les faits et circonstances relatifs à la demande d’assistance au titre de l’article 24 du statut de [la requérante] » et que « [l]es allégations concernent un possible harcèlement moral ou comportement inapproprié entre juin 2017 et mars 2018 sur la personne de [la requérante] de la part de son ancienne supérieure hiérarchique ».

69      De tels termes ne démontrent pas que le directeur général aurait donné un cadre restreint à l’enquête administrative. Au demeurant, interrogée à cet égard lors de l’audience, la requérante n’a pas été en mesure d’apporter des éléments complémentaires tendant à prouver la portée étroite du mandat confié à l’IDOC.

70      Enfin, en ce qui concerne le fait que le directeur général était le signataire du mandat d’enquête au lieu de la secrétaire générale, la requérante n’a pas davantage été en mesure d’apporter des éléments démontrant en quoi ce fait aurait pu vicier le déroulement de l’enquête et les conclusions auxquelles celle-ci a abouti.

71      Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter le deuxième moyen comme étant non fondé, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la violation de la règle de concordance et sur la question de savoir si la requérante avait un intérêt à soulever ledit moyen.

3.      Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation des faits au regard de la définition de harcèlement moral en violation de l’article 12 bis du statut

72      Dans son troisième moyen, lequel peut être divisé en deux branches, en premier lieu, la requérante estime que le SEAE a commis une erreur dans la définition du harcèlement.

73      En second lieu, la requérante estime que le SEAE a commis une erreur dans l’appréciation des faits en ce que certains agissements de la cheffe de délégation à son égard sont bien des actes constitutifs de harcèlement au sens de l’article 12 bis du statut. Elle invoque les sept griefs suivants :

–        la cheffe de délégation aurait essayé de la transférer sur un poste au siège du SEAE ;

–        son isolement professionnel aurait résulté du micromanagement exercé par la cheffe de délégation au sein de la section « Administration », des instructions données à son insu, de la tenue de réunions organisées en son absence et de la réduction de ses missions ;

–        la suppression de ses droits d’accès, d’une part, aux différents dossiers gérés par les autres sections de la délégation et, d’autre part, au système Sysper pour l’encodage des congés ;

–        les réunions bilatérales entre elle et la cheffe de délégation du 14 juin et du 24 novembre 2017 ;

–        le refus de report d’heures supplémentaires ainsi que la validation tardive des demandes de congés ;

–        les consultations injustifiées de ses rapports de notation par la cheffe de délégation ;

–        la réunion du 5 octobre 2017 et le compte rendu stigmatisant qui en aurait été fait à son égard, en ce qu’il mentionnait explicitement « absence sans justification », en caractères gras, alors que la cheffe de délégation savait qu’elle travaillait sur les tâches urgentes qu’elle venait de lui confier.

a)      Sur la première branche

74      En vertu de l’article 12 bis, paragraphes 1 et 3, du statut, aux termes duquel « [t]out fonctionnaire s’abstient de toute forme de harcèlement moral et sexuel », la notion de « harcèlement moral » englobe « toute conduite abusive se manifestant de façon durable, répétitive ou systématique par des comportements, des paroles, des actes, des gestes et des écrits qui sont intentionnels et qui portent atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité physique ou psychique d’une personne ».

75      Dans ces conditions, il a été admis que la notion de « harcèlement » est définie, au sens de l’article 12 bis, paragraphe 3, du statut, comme une « conduite abusive » qui, premièrement, se matérialise par des comportements, des paroles, des actes, des gestes ou des écrits manifestés « de façon durable, répétitive ou systématique », ce qui implique que le harcèlement moral doit être compris comme un processus s’inscrivant nécessairement dans le temps et qui suppose l’existence d’agissements répétés ou continus et qui sont « intentionnels », par opposition à « accidentels ». Deuxièmement, pour relever de cette notion, ces comportements, paroles, actes, gestes ou écrits doivent avoir pour effet de porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychique d’une personne (voir arrêt du 12 octobre 2022, Paesen/SEAE, T‑88/21, EU:T:2022:631, point 238 et jurisprudence citée).

76      Ainsi, il n’est pas nécessaire d’établir que les comportements, les paroles, les actes, les gestes ou les écrits en cause ont été commis avec l’intention de porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychique d’une personne. En d’autres termes, il peut y avoir harcèlement moral sans qu’il soit démontré que le harceleur a entendu, par ses agissements, discréditer la victime ou dégrader intentionnellement ses conditions de travail. Il suffit que ces agissements, dès lors qu’ils ont été commis volontairement, aient entraîné objectivement de telles conséquences (voir arrêt du 12 octobre 2022, Paesen/SEAE, T‑88/21, EU:T:2022:631, point 239 et jurisprudence citée).

77      Enfin, la qualification de « harcèlement » est subordonnée à la condition que celui-ci revête une réalité objective suffisante, au sens où un observateur impartial et raisonnable, doté d’une sensibilité normale et placé dans les mêmes conditions, considérerait le comportement ou l’acte en cause comme étant excessif et critiquable (voir, en ce sens, arrêt du 12 octobre 2022, Paesen/SEAE, T‑88/21, EU:T:2022:631, point 240 et jurisprudence citée).

78      En l’espèce, il ne ressort pas de la décision de rejet de la réclamation que le SEAE a commis une quelconque erreur dans la définition du harcèlement moral, dès lors qu’il s’est limité à rappeler une formule ressortant de la jurisprudence et utilisée notamment au point 104 de l’arrêt du 13 décembre 2017, HQ/OCVV (T‑592/16, non publié, EU:T:2017:897).

79      En outre, selon la requérante, il n’était pas nécessaire de démontrer que la cheffe de délégation avait l’intention, par ses agissements, de la discréditer ou de dégrader intentionnellement ses conditions de travail. Or, il ne ressort nullement de la décision attaquée, ni de la décision de rejet de la réclamation qu’une prétendue intentionnalité de la cheffe de délégation a joué un rôle dans l’analyse du SEAE.

80      La première branche du troisième moyen doit, dès lors, être rejetée, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la violation de la règle de concordance.

b)      Sur la deuxième branche 

81      Il convient d’examiner la deuxième branche du troisième moyen en procédant, d’abord, à un examen individuel des sept griefs soulevés par la requérante, puis en déterminant, le cas échéant, s’ils sont susceptibles, seuls ou dans leur ensemble, eu égard à l’article 12 bis du statut, de constituer des manifestations d’un harcèlement moral.

1)      Sur le premier grief, relatif à la tentative de la cheffe de délégation d’obtenir une réaffectation de la requérante sur un poste au siège du SEAE

82      La requérante fait valoir que la cheffe de délégation a tout mis en œuvre pour la faire rappeler au siège du SEAE en invoquant auprès de sa hiérarchie une « rupture de confiance ».

83      À l’appui de ce grief, la requérante invoque :

–        premièrement, l’objet de la mission d’inspection ad hoc, qui aurait été de justifier administrativement une décision de limogeage déjà prise par le siège à la demande de la cheffe de délégation ;

–        deuxièmement, la partialité des personnes interrogées lors de la mission d’inspection ad hoc, à savoir des personnes qui auraient été insatisfaites des réponses reçues à la suite de demandes qu’elles avaient adressées à la requérante, d’une part, et les deux chefs d’administration qui étaient venus remplacer la requérante durant la période où les irrégularités avaient été commises, d’autre part. En revanche, les deux collaboratrices de la requérante n’auraient pas fourni leur témoignage par peur de représailles ;

–        troisièmement, les comportements de la cheffe de délégation envers la requérante, qui auraient visé à collecter et à diffuser des informations sur elle en vue d’un transfert, telles que les deux visites auprès du médecin-conseil qui auraient eu pour but d’évaluer les possibilités de transfert de la requérante, eu égard à son congé médical ;

–        quatrièmement, la réunion avec la cheffe de délégation du 27 septembre 2017, lors de laquelle cette dernière aurait élevé la voix et aurait proféré des menaces de transférer la requérante sur un poste au siège du SEAE ;

–        cinquièmement, d’autres réunions et échanges entre la cheffe de délégation et sa hiérarchie, notamment, la réunion que la cheffe de délégation a eue avec le directeur général le 9 octobre 2017, et un échange de correspondance entre la cheffe de délégation et sa hiérarchie, notamment, avec le directeur général et le secrétaire général du SEAE.

84      Le SEAE conteste l’argumentation de la requérante.

85      À cet égard, il convient de rappeler que la requérante n’a pas été réaffectée au siège du SEAE. Du [confidentiel] au [confidentiel], elle a été réaffectée à la délégation en [confidentiel], auprès de sa famille. Son contrat avec la délégation arrivant à échéance le [confidentiel], la requérante aurait dû, en tout état de cause et sauf changement de sa part, rentrer au siège du SEAE à Bruxelles à partir du [confidentiel].

86      Par ailleurs, les indices invoqués par la requérante pour démontrer que la cheffe de délégation a tenté de la réaffecter au siège du SEAE ne sauraient prouver ni l’existence d’une telle tentative ni un harcèlement.

87      Premièrement, l’objet de la mission d’inspection ad hoc ne saurait être imputé à la cheffe de délégation, dès lors qu’il a été ordonné par le siège du SEAE agissant à cet égard en toute indépendance. Au demeurant, il convient de noter que la mission d’inspection ad hoc  concernait également la cheffe de délégation.

88      En outre, le 8 octobre 2017, la cheffe de délégation a envoyé un courriel au directeur général pour lui demander son opinion en vue de trouver la meilleure solution à envisager afin que la délégation puisse continuer à travailler de manière efficace. Dans ledit courriel, la réaffectation de la requérante était envisagée comme une solution potentielle, mais les possibilités d’engager des employés volants ou de demander l’aide d’un médiateur étaient également évoquées. Ces propos ne sauraient dès lors être interprétés comme un indice qui pourrait justifier une décision de réaffectation déjà prise au préalable.

89      Par ailleurs, le mandat de mission d’inspection ad hoc indique clairement qu’il n’est pas limité à l’évaluation des relations difficiles entre la cheffe de délégation et la requérante, mais qu’il vise aussi à vérifier les questions soulevées par la requérante s’agissant de la gestion de certains dossiers pendant son congé de maladie.

90      De surcroît, la portée du rapport de la mission d’inspection ad hoc ne se limite pas au conflit entre la cheffe de délégation et la requérante, mais il analyse également la situation globale de la délégation et met en évidence d’autres problèmes rencontrés au sein de celle-ci à l’époque de l’inspection. Il ressort également de ce document que la façon de travailler de la requérante avait un impact négatif sur plusieurs aspects de la gestion de la délégation. La réaffectation (même hypothétique) de la requérante n’est toutefois aucunement mentionnée dans ledit rapport.

91      Enfin, il est de jurisprudence constante que des difficultés relationnelles internes, lorsqu’elles causent des tensions préjudiciables au bon fonctionnement du service, peuvent justifier, dans l’intérêt de ce dernier, le transfert d’un fonctionnaire, dans le but de mettre fin à une situation administrative devenue intenable (voir, en ce sens, arrêt du 12 octobre 2022, Paesen/SEAE, T‑88/21, EU:T:2022:631, point 213 et jurisprudence citée). Une telle réaffectation, décidée dans l’intérêt du service, ne requiert pas le consentement du fonctionnaire considéré (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 1998, De Persio/Commission, T‑23/96, EU:T:1998:203, point 138).

92      Deuxièmement, s’agissant de la prétendue partialité des personnes interrogées, il convient de noter que leurs témoignages ne concernent pas la cheffe de délégation, ni le comportement de cette dernière. En outre, les dires et perceptions desdites personnes proviennent de témoins et ne sauraient être attribués à ladite cheffe.

93      S’agissant de l’allégation selon laquelle deux collaboratrices de la requérante auraient renoncé à témoigner en sa faveur par peur de représailles, il y a lieu de constater que la requérante reste en défaut de prouver que lesdites collaboratrices auraient pu raisonnablement avoir des craintes de subir des représailles en cas de témoignage ou qu’elles auraient fait l’objet de pressions afin de ne pas témoigner.

94      Par ailleurs, si une simple allégation de crainte de représailles suffisait à discréditer un témoignage, cela impliquerait que, chaque fois qu’un membre du personnel de direction d’une institution est mis en cause par une demande d’assistance, l’administration serait empêchée de s’appuyer sur les témoignages des membres de l’unité administrative placée sous la responsabilité de ce membre du personnel de direction (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2012, Donati/BCE, F‑63/09, EU:F:2012:193, point 183).

95      Troisièmement, quant aux visites de la cheffe de délégation au médecin-conseil de l’institution, il convient de noter que le SEAE, interrogé à cet égard lors de l’audience, a assuré qu’il n’y avait pas eu de partage d’informations médicales concernant la requérante avec la cheffe de délégation. Ni dans ses écrits ni à l’audience, la requérante n’a réussi à apporter la preuve du contraire.

96      En tout état de cause, ce ne saurait être une visite de la cheffe de délégation auprès du médecin-conseil qui pourrait entraîner la réaffectation de la requérante, car seuls les professionnels de santé du service médical, soumis aux règles déontologiques de la profession de médecin, sont habilités à poser un diagnostic médical et à communiquer au SEAE les informations dont ce dernier peut avoir besoin en vue d’exercer les pouvoirs qui lui sont dévolus par le statut et le régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2019, DQ e.a./Parlement, T‑730/18, EU:T:2019:725, point 67).

97      Quatrièmement, en référence à la réaction prétendument violente de la cheffe de délégation lors de la réunion du 27 septembre 2017, les preuves qui ressortent de l’enquête de l’IDOC ne permettent pas d’établir qu’une telle réaction de la cheffe de délégation, telle qu’elle est alléguée par la requérante, a eu lieu. En effet, le seul élément qui a pu être établi par l’investigation de l’IDOC est que la cheffe de délégation aurait haussé la voix pendant la réunion. Le SEAE explique à cet égard que la cheffe de délégation aurait brièvement perdu la maîtrise d’elle-même. Or, des paroles et des gestes accidentels sont exclus du champ d’application de l’article 12 bis du statut (voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, PV/Commission, T‑786/16 et T‑224/18, non publié, EU:T:2020:17, point 246).

98      Cinquièmement, le fait que la cheffe de délégation ait discuté avec sa hiérarchie de la situation de la délégation en ce qui concerne la requérante représente en principe une approche managériale normale et non constitutive d’un harcèlement moral.

99      De plus, il convient de rappeler à cet égard que, le 8 octobre 2017, la cheffe de délégation a envoyé un courriel au directeur général pour lui demander son opinion en vue de trouver la meilleure solution à envisager afin que la délégation puisse continuer à travailler de manière efficace. Le jour suivant, la cheffe de délégation et le directeur général se sont rencontrés pour discuter de la situation. Bien que la possibilité de réaffecter la requérante au siège du SEAE ait été considérée, il ne s’agissait pas de la seule option envisagée par la cheffe de délégation.

100    Il résulte de tout ce qui précède que le grief concerné ne saurait, en lui-même, être considéré comme un élément constitutif du harcèlement moral allégué.

2)      Sur les deuxième et troisième griefs, relatifs à l’isolement professionnel de la requérante

101    Par ses deuxième et troisième griefs, qu’il convient d’examiner ensemble, la requérante indique, en substance, que le SEAE n’a pas examiné sérieusement l’argument selon lequel le caractère répétitif de certains comportements de la cheffe de délégation n’était pas seulement le signe d’actes de gestion maladroits de sa part, mais aussi la preuve d’une volonté délibérée de cette dernière de la marginaliser. Plus précisément, la requérante fait valoir que, à la suite de son retour de congé de maladie, après la note sur les prétendues irrégularités et l’introduction de la demande d’assistance, la cheffe de délégation ne s’adressait plus directement à elle au sujet des affaires gérées par la section « Administration », mais donnait des instructions directement à ses deux collaboratrices ou à son assistante. En outre, la requérante aurait été mise à l’écart dans la mesure où elle n’était plus invitée à certaines réunions et ne participait plus à certaines activités.

102    La requérante soutient, en outre, que ces changements ne pouvaient pas être justifiés par les retards du traitement des demandes du personnel de la délégation. Lesdits retards, dont elle était accusée, ne seraient étayés par aucun élément matériel, mais uniquement par des témoignages de collègues mécontents ou insatisfaits. De plus, ces retards auraient été accumulés pendant son congé de maladie.

103    Enfin, la requérante indique que, à partir de septembre 2017, tant elle-même que l’ensemble de la section « Administration » n’avaient plus accès au dossier informatique « ADMIN » sur le serveur partagé de la délégation. De plus, la requérante se plaint de la perte de ses droits d’accès au système Sysper pour l’encodage des congés, accès qu’elle aurait eu lorsqu’elle travaillait avec le prédécesseur de la cheffe de délégation. Cette situation démontrerait publiquement la perte de confiance, l’isolement et la relégation de la requérante du fait des agissements de la cheffe de délégation.

104    Le SEAE conteste l’argumentation de la requérante.

105    Il est admis par la jurisprudence que le fait de ne plus se voir confier des tâches que son grade lui donne vocation à assumer est en principe susceptible de porter atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique du fonctionnaire (arrêt du 16 avril 2008, Michail/Commission, T‑486/04, EU:T:2008:111, point 77). Cela étant, comme le soutient à juste titre le SEAE, s’il est vrai que l’administration a tout intérêt à affecter les fonctionnaires ou agents en considération de leurs aptitudes et de leurs préférences personnelles, il ne saurait leur être reconnu pour autant le droit d’exercer ou de conserver des fonctions spécifiques (voir arrêt du 7 juin 2018, OW/AESA, T‑597/16, non publié, EU:T:2018:338, point 44 et jurisprudence citée).

106    En l’espèce, il ne saurait découler du simple fait que la requérante avait la charge de certaines tâches avant son départ en congé de maladie que la cheffe de délégation ne pouvait pas confier certaines tâches aux assistantes de sa section ou les exercer elle-même.

107    De plus, s’agissant du fait que la requérante n’aurait pas été présente à certaines réunions et n’aurait pas pu participer à certaines activités, il n’est pas contesté que la requérante était en mission ou en congé lors de ces événements, de sorte que son absence ne saurait révéler un isolement professionnel de la part de la cheffe de délégation à son égard.

108    En ce qui concerne la perte de son accès au dossier informatique « ADMIN », le SEAE a expliqué, sans que cela soit contesté par la requérante, qu’il s’agissait d’une mesure organisationnelle qui ne visait pas seulement la requérante, mais aussi tous les membres de la section « Administration ».

109    Enfin, s’agissant de la perte des droits d’accès au système Sysper de la requérante, le SEAE a expliqué, sans que cela soit davantage contesté par la requérante, que cette dernière n’avait jamais eu de tels droits d’accès lorsqu’elle travaillait avec la cheffe de délégation. Il convient de noter que, lors de sa prise de fonctions, un chef de délégation se voit automatiquement attribuer l’accès au système Sysper en ce qui concerne l’ensemble du personnel placé sous son autorité hiérarchique. Dans ce cadre, le prédécesseur de la cheffe de délégation avait délégué certains droits dans le système Sysper à la requérante à la suite d’une demande en ce sens de cette dernière, tandis que la cheffe de délégation, dès sa prise de fonctions, avait fait un choix différent à cet égard. Par conséquent, le choix fait par la cheffe de délégation n’a pas privé la requérante d’un droit quelconque.

110    Il résulte de tout ce qui précède que les griefs en question ne sauraient, en eux-mêmes, être considérés comme des éléments constitutifs du harcèlement moral allégué.

3)      Sur le quatrième grief, relatif aux réunions bilatérales des 14 juin et 24 novembre 2017

111    La requérante reproche au SEAE de ne pas avoir considéré comme des éléments constitutifs d’un harcèlement moral le déroulement des réunions qui se sont tenues entre elle et la cheffe de délégation les 14 juin et 24 novembre 2017, au cours desquelles elle aurait été attaquée et aurait reçu des menaces de renvoi au siège du SEAE.

112    Plus particulièrement, la requérante fait valoir que, le jour de son retour de congé de maladie, le 14 juin 2017, elle a eu une réunion avec la cheffe de délégation qui lui aurait, à cette occasion, fait plusieurs reproches non justifiés.

113    S’agissant de la réunion du 24 novembre 2017, la requérante affirme que ladite réunion était un prétexte afin de la déstabiliser préalablement à la venue de la mission d’inspection ad hoc. Lors de cette réunion, la cheffe de délégation aurait à nouveau exprimé la menace de la renvoyer au siège du SEAE. En outre, le fait que la cheffe de délégation a demandé qu’un représentant du personnel soit présent lors de cette « simple réunion de travail » constituerait un autre indice de harcèlement.

114    Le SEAE conteste l’argumentation de la requérante.

115    À cet égard, il convient de constater, à titre liminaire, que les deux parties ont des versions divergentes du déroulement de ces réunions et que, en l’absence de témoins, certaines des affirmations de la requérante n’ont pas pu être confirmées par l’enquête de l’IDOC.

116    S’agissant de la réunion du 14 juin 2017, il ressort du compte rendu fait par la requérante et envoyé par courriel à la cheffe de délégation le 17 juillet 2017 que la requérante et la cheffe de délégation ont débattu du fonctionnement du service ainsi que de la façon de travailler de la requérante. Cette dernière n’a toutefois apporté aucun élément de preuve à l’appui de son allégation selon laquelle la cheffe de délégation aurait fait des remarques de nature dégradante lors de ladite réunion.

117    Ainsi, la requérante a apparemment interprété les remarques formulées par la cheffe de délégation lors de la réunion du 14 juin 2017, relatives au fonctionnement du service, en général, et à sa manière de travailler, en particulier, comme des offenses personnelles. Quand bien même l’opportunité d’avoir une telle discussion le jour de son retour de congé de maladie pourrait être remise en cause, des messages dont le contenu entre dans le cadre habituel d’un rapport hiérarchique ne sauraient constituer un harcèlement moral. Dans l’hypothèse contraire, la critique du travail d’un subordonné deviendrait très compliquée, ce qui rendrait la gestion d’un service pratiquement impossible (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2007, Lo Giudice/Commission, T‑154/05, EU:T:2007:322, point 104).

118    S’agissant de la réunion du 24 novembre 2017, laquelle a eu lieu après la découverte par la requérante de prétendues irrégularités concernant la passation du marché public pendant son congé de maladie, l’information donnée par la requérante de ces irrégularités au directeur général du SEAE et sa demande de protection en tant que lanceur d’alerte selon les articles 22 bis et 22 ter du statut, il convient de constater que la requérante n’a fourni aucune preuve des prétendues menaces de renvoi au siège du SEAE à son égard.

119    Quant au fait que la cheffe de la délégation s’était fait accompagner par un témoin, il convient de relever que ladite cheffe a offert la possibilité à la requérante d’être également accompagnée par un témoin, ce que cette dernière a refusé.

120    Il résulte de tout ce qui précède que le grief concerné ne saurait, en lui-même, être considéré comme un élément constitutif du harcèlement moral allégué.

4)      Sur le cinquième grief, relatif au refus de report des heures supplémentaires et à la validation tardive des demandes de congés

121    La requérante reproche au SEAE de ne pas avoir considéré comme des éléments constitutifs d’un harcèlement moral le refus de la cheffe de délégation de reporter les heures supplémentaires que la requérante aurait effectuées en septembre 2017 et la validation tardive des demandes de congés formulées par la requérante le 29 novembre 2017.

122    À cet égard, la requérante fait valoir que le refus de reporter lesdites heures supplémentaires a fait l’objet d’une décision administrative non motivée. Selon la requérante, la cheffe de délégation ne lui a même pas demandé la nature desdites heures supplémentaires. De plus, ce refus serait chronologiquement lié à la note de dossier du 27 septembre 2017, dans laquelle la requérante a mis en évidence de prétendues irrégularités commises par la cheffe de délégation.

123    En ce qui concerne les demandes de congés, la requérante fait valoir que, en temps normal (c’est-à-dire en période non conflictuelle), les validations de telles demandes étaient traitées rapidement. De plus, toutes les demandes suspendues de la requérante auraient été validées lorsque cette dernière s’en est plainte et cette circonstance aurait démontré à l’équipe de la mission d’inspection ad hoc qu’elle faisait l’objet de représailles.

124    Le SEAE conteste l’argumentation de la requérante.

125    Concernant le prétendu refus de report des heures supplémentaires par la cheffe de délégation, force est de constater que la requérante n’a pas contesté l’affirmation du SEAE selon laquelle la cheffe de délégation avait jugé que la charge de travail de la requérante ne justifiait pas que de telles heures supplémentaires aient été effectuées. La requérante s’est limitée à expliquer que ledit refus avait été opposé à la suite de la production par elle de la note de dossier mettant en évidence les prétendues irrégularités du service. Il convient d’ajouter que la requérante n’a pas contesté ledit refus par la voie d’une réclamation administrative au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut.

126    S’agissant de la validation tardive des congés de la requérante, il y a lieu de noter que les demandes de congés de celle-ci ont été validées et acceptées par sa hiérarchie, respectivement 15 et 17 jours après qu’elles ont été soumises.

127    À cet égard, si, en vertu de l’article 57, premier alinéa, du statut, le fonctionnaire a droit, par année civile, à un congé annuel (de 24 jours ouvrables au minimum et de 30 jours ouvrables au maximum), cette disposition n’impose toutefois pas de délai de rigueur à l’administration dans le traitement des demandes de congés des fonctionnaires et agents (arrêt du 17 septembre 2014, CQ/Parlement, F‑12/13, EU:F:2014:214, point 112).

128    En l’occurrence, les délais de 15 et de 17 jours dans lesquels les demandes de congés de la requérante ont été approuvées ne semblent pas déraisonnablement longs, étant donné que, comme cela est souligné par le SEAE, la cheffe de délégation était souvent en mission à l’étranger dans l’exercice de ses fonctions de représentation diplomatique.

129    Il résulte de tout ce qui précède que le grief concerné ne saurait, en lui-même, être considéré comme un élément constitutif du harcèlement moral allégué.

5)      Sur le sixième grief, relatif aux consultations injustifiées des rapports de notation de la requérante par la cheffe de délégation

130    La requérante soutient que la cheffe de délégation a consulté de manière injustifiée les rapports de notation la concernant relatifs à plusieurs années ([confidentiel] à [confidentiel], [confidentiel] et [confidentiel]). Selon elle, ces agissements révèlent un manque d’éthique et une tentative de « pêche aux informations » de la part de la cheffe de délégation.

131    Plus particulièrement, s’agissant des rapports de notation concernant les années [confidentiel] à [confidentiel], la requérante souligne que, durant ces années, la cheffe de délégation n’était pas sa supérieure hiérarchique. En outre, ces consultations auraient été effectuées les jours précédant son retour de congé de maladie.

132    S’agissant des consultations des rapports de notation de la requérante concernant les années [confidentiel] et [confidentiel], celles-ci auraient eu lieu le 20 janvier 2019, c’est-à-dire quelques jours avant l’audition de la cheffe de délégation par les inspecteurs de l’IDOC. Ces consultations ne seraient pas justifiables pour trois raisons : les exercices d’évaluation étaient clôturés de longue date ; la cheffe de délégation n’était plus la supérieure hiérarchique de la requérante depuis le [confidentiel] et elle n’avait pas besoin de connaître (need to know) les informations contenues dans ces rapports.

133    Le SEAE conteste l’argumentation de la requérante.

134    À cet égard, il convient de constater que, lors de la première consultation des rapports de notation relatifs aux années [confidentiel] à [confidentiel] en juin 2017, quand bien même la cheffe de délégation n’aurait pas été l’auteure desdits rapports, elle était bien la supérieure hiérarchique de la requérante. Ainsi que le relève le SEAE à juste titre, il peut dès lors être considéré que la consultation des rapports de notation émanait d’un besoin de savoir (need to know) de la part de la cheffe de délégation, afin de comprendre, avant son retour de congé de maladie, les difficultés personnelles et professionnelles rencontrées par la requérante lors de sa carrière professionnelle. Enfin, il n’y a aucune indication selon laquelle la cheffe de délégation aurait utilisé des informations provenant de ces rapports de notation contre la requérante ou autrement de façon inappropriée.

135    S’agissant de la consultation des rapports de notation concernant les années [confidentiel] et [confidentiel], il convient de noter que, bien que la cheffe de délégation ne fût plus la supérieure hiérarchique de la requérante à cette période, elle avait rédigé ces rapports, de sorte qu’elle en connaissait déjà le contenu. De plus, leur consultation se serait inscrite dans la préparation par la cheffe de délégation de son audition par l’IDOC, afin de se remémorer les événements, ce qui semble légitime.

136    Étant donné que la cheffe de délégation soit était l’auteure des rapports de notation en cause, soit avait besoin d’en connaître le contenu, sans pour autant qu’il ne soit prouvé qu’elle en ait fait un usage inapproprié, ces éléments ne sauraient, en eux-mêmes, être considérés comme étant constitutifs du harcèlement moral allégué.

6)      Sur le septième grief, relatif à la réunion du 5 octobre 2017

137    La requérante indique que le compte rendu de la réunion du 5 octobre 2017, laquelle s’inscrivait dans le cadre des réunions hebdomadaires du personnel organisées par la cheffe de délégation, l’a stigmatisée et désavouée publiquement aux yeux des collègues de la délégation. Elle invoque à cet égard l’indication, sur ce compte rendu, de la mention « absence sans justification », en caractère gras, la concernant, alors que normalement les personnes absentes seraient simplement notées comme « absentes ».

138    En outre, la requérante soutient qu’elle était absente à cette réunion pour travailler sur des tâches urgentes qui lui avaient été confiées par la cheffe de délégation. Elle ajoute qu’elle était censée être en congé ce jour-là, mais que, pour accomplir ces tâches, elle avait dû annuler une partie de ses congés annuels.

139    La requérante estime que le comportement de la cheffe de délégation à l’occasion de cet incident est révélateur de l’état d’esprit empreint d’hostilité de celle-ci à son égard.

140    Le SEAE conteste l’argumentation de la requérante.

141    En premier lieu, il y a lieu de noter que la requérante n’a pas fourni de preuve du fait que le compte rendu en cause avait été rédigé par la cheffe de délégation.

142    En réponse à une question posée à cet égard par le Tribunal dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure au titre de l’article 88 du règlement de procédure, le SEAE a précisé que c’était l’assistante personnelle de la cheffe de délégation qui avait rédigé ledit compte rendu. Lors de l’audience, le SEAE a précisé que la même assistante y avait ajouté la mention « absence sans justification ». La requérante n’a pas contesté ces explications du SEAE.

143    En outre, le SEAE a expliqué, sans que cela soit contesté par la requérante, que ledit compte rendu n’avait jamais été approuvé par la cheffe de délégation, ni même partagé par courriel avec le reste des participants à la réunion. Le compte rendu aurait été sauvegardé sous forme de « projet » dans le dossier informatique « ADMIN », auquel ni la requérante ni les autres membres de la délégation n’avaient accès depuis septembre 2017, ce qui n’a pas été contesté par la requérante.

144    En deuxième lieu, la requérante n’a pas fourni de preuve de la justification de son absence à la réunion du 5 octobre 2017. Elle se limite à invoquer le fait qu’elle n’a pas pu participer à ladite réunion, qui a eu lieu dans la matinée, en raison de certaines tâches urgentes à effectuer qui lui avaient été confiées par la cheffe de délégation.

145    Il convient de noter à cet égard qu’il ressort du dossier que, le 4 octobre 2017 à 22 h 19, la cheffe de délégation a envoyé un courriel à la requérante contenant les tâches à accomplir. Le 5 octobre 2017 à 7 h 48, la requérante a répondu à la cheffe de délégation en lui indiquant que, étant en congé le 5 octobre dans l’après-midi ainsi que le lendemain, elle ne serait en mesure d’achever lesdites tâches que le lundi suivant.

146    Interrogée à cet égard lors de l’audience, la requérante a expliqué qu’elle se trouvait dans les locaux de la délégation durant une partie de la matinée du 5 octobre 2017, puis qu’elle était rentrée à son domicile et que les documents demandés par la cheffe de délégation se trouvaient à son domicile.

147    Il convient ainsi de constater que la requérante n’a pas été en mesure de fournir une explication convaincante concernant son incapacité à accomplir les tâches qui lui avaient été confiées, avant son congé dans l’après-midi du 5 octobre 2017, ni d’expliquer son absence à la réunion du 5 octobre 2017 dans la matinée.

148    En outre, la requérante allègue qu’elle a dû annuler ses congés prévus pour le 5 octobre 2017 pour s’acquitter des tâches que lui avait confiées la cheffe de délégation et soumet, à cet égard, des extraits du système Sysper indiquant les différents encodages des demandes de congés ainsi que leur annulation ou leur modification.

149    Il ressort toutefois du dossier que la requérante a annulé ces congés bien avant que la cheffe de délégation n’ait envoyé son courriel le 4 octobre 2017 contenant les tâches à accomplir, ce qui ne permet pas d’écarter l’idée que la requérante a annulé son congé annuel pour une autre raison que pour l’exécution de ces tâches.

150    En troisième lieu, la requérante n’a fourni aucune preuve à l’appui de l’affirmation selon laquelle, au sein de la délégation, les comptes rendus font, en principe, seulement mention de la circonstance qu’une personne est absente à une réunion, sans pour autant ajouter si cette absence est justifiée ou pas.

151    De plus, il ressort du compte rendu de la réunion en question que l’utilisation de caractères gras est faite dans tout le document. En effet, le terme « [p]resent », suivi des noms des membres de la délégation qui étaient présents lors de la réunion, était également écrit en caractères gras, comme d’ailleurs le titre, l’objet du compte rendu et chaque sous-titre dans le document.

152    Étant donné que l’absence de la requérante pouvait être considérée comme injustifiée et que le compte rendu, lu dans son ensemble, ne présente pas de caractère stigmatisant, ces éléments ne sauraient, en eux-mêmes, être considérés comme étant constitutifs du harcèlement moral allégué.

7)      Sur l’examen global des griefs invoqués

153    Enfin, la requérante fait valoir que le SEAE n’aurait examiné, dans la décision attaquée, que de façon individuelle les différents griefs au soutien de sa demande, n’ayant, de la sorte, pas procédé à un examen global de ceux-ci. La requérante estime qu’une telle approche aurait été adoptée par le SEAE pour morceler les actions de la cheffe de délégation afin de dissimuler leur nature durable et continue.

154    Le SEAE conteste l’argumentation de la requérante.

155    À cet égard, il convient de constater que, pris dans leur globalité, les griefs soulevés par la requérante et qui viennent d’être examinés isolément révèlent certes une relation conflictuelle dans un contexte administratif difficile, mais ne témoignent pas d’actes présentant un caractère abusif ou volontaire (voir arrêt du 3 octobre 2019, DQ e.a./Parlement, T‑730/18, EU:T:2019:725, point 99 et jurisprudence citée).

156    L’examen des griefs pris dans leur ensemble ne permet pas non plus de dégager des éléments permettant de conclure à un harcèlement de la part de la cheffe de délégation. En effet, l’examen global de ces griefs ne révèle aucun élément additionnel qui pourrait justifier une qualification de cet ensemble de faits comme étant constitutif d’un harcèlement imputable à la cheffe de délégation à l’encontre de la requérante.

157    De plus, la requérante a omis d’expliquer spécifiquement de quelle manière l’examen individuel des différents griefs, ainsi que le résultat qui en découle, avait conduit à une conclusion différente de celle qui aurait dû être tirée si ceux-ci avaient été appréciés globalement.

158    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le Tribunal considère que c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le SEAE a retenu, dans la décision attaquée, que les comportements mis en cause ne pouvaient être considérés, ni individuellement, ni pris ensemble, comme des manifestations de harcèlement moral au sens de l’article 12 bis du statut.

159    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le troisième moyen comme étant non fondé.

4.      Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation du devoir de sollicitude

160    Par son quatrième et dernier moyen, la requérante fait valoir que le comportement de l’administration à son égard constitue une violation du devoir de sollicitude.

161    En effet, elle fait valoir que le SEAE a réfuté tout lien de causalité entre son état de santé et les faits de harcèlement dénoncés, alors même que l’administration connaissait bien les répercussions que le comportement de la cheffe de délégation avait eu sur sa santé. [confidentiel].

162    Le SEAE conclut au rejet du quatrième moyen.

163    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler la jurisprudence constante selon laquelle le devoir de sollicitude de l’administration reflète l’équilibre des droits et obligations réciproques que le statut a créé dans les relations entre l’administration et ses fonctionnaires. Cet équilibre implique notamment que, lorsqu’elle statue à propos de la situation d’un fonctionnaire, l’administration prenne en considération l’ensemble des éléments susceptibles de déterminer sa décision et, ce faisant, qu’elle tienne compte non seulement de l’intérêt du service, mais aussi de celui du fonctionnaire concerné (voir arrêt du 6 juillet 2022, OC/SEAE, T‑681/20, non publié, EU:T:2022:422, point 100 et jurisprudence citée).

164    En outre, même dans l’hypothèse où il existerait un lien de causalité entre les faits dénoncés par la requérante et son état de santé, celui-ci ne serait pas de nature à entraîner l’annulation poursuivie par la requérante (voir arrêt du 1er septembre 2021, KN/CESE, T‑377/20, EU:T:2021:528, point°203 et jurisprudence citée).

165    Or, il y a lieu de rappeler que l’objet de la décision attaquée est de rejeter la demande d’assistance de la requérante présentée au titre de l’article 24 du statut, invoquant des faits de harcèlement moral qui auraient eu lieu à son égard entre mi-juin 2017 et fin mars 2018 de la part de la cheffe de délégation.

166    En l’espèce, la requérante reproche au SEAE de ne pas avoir pris en considération son état de santé et l’impact que les faits de harcèlement dénoncés auraient eu sur celui-ci. Or, le présent recours en annulation se limite à la question de savoir si le SEAE a, à juste titre, conclu que les faits dénoncés par la requérante n’étaient pas constitutifs d’un harcèlement moral, qui est une notion de nature objective. À cet égard, il y a lieu de noter que, ainsi qu’il ressort de l’examen du troisième moyen, la requérante n’a pas présenté de preuve tendant à démontrer que les comportements de la cheffe de délégation mis en cause pouvaient être considérés comme des manifestations de harcèlement moral et que, de ce fait, le SEAE aurait dû accueillir sa demande d’assistance.

167    En outre, la requérante n’a nullement étayé son affirmation selon laquelle le refus par le SEAE d’admettre tout lien de causalité entre son état de santé et les faits de harcèlement dénoncés pourrait en tant que tel constituer une violation du devoir de sollicitude.

168    Il en découle qu’il convient de rejeter ce moyen.

169    Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter le recours de la requérante.

IV.    Sur les dépens

170    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

171    En l’espèce, la requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du SEAE.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      OC est condamnée aux dépens.

Porchia

Jaeger

Verschuur

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 juillet 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.