Language of document : ECLI:EU:C:2024:430

ORDONNANCE DE LA COUR (chambre d’admission des pourvois)

28 mai 2024 (*)

« Pourvoi – Règlement (CE) nº 1907/2006 (REACH) – ECHA – Admission des pourvois – Article 170 ter du règlement de procédure de la Cour – Demande ne démontrant pas l’importance d’une question pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union – Non-admission du pourvoi »

Dans l’affaire C‑79/24 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 31 janvier 2024,

Cruelty Free Europe, établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Me V. McClelland, avocate et Me. S. Vandamme, avocat,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Symrise AG, établie à Holzminden (Allemagne),

partie demanderesse en première instance,

Agence européenne des produits chimiques (ECHA),

partie défenderesse en première instance,

European Federation for Cosmetic Ingredients (EFfCI), établie à Bruxelles (Belgique),

PETA International Science Consortium Ltd, établie à London (Royaume-Uni),

PETA Science Consortium International eV, établie à Stuttgart (Allemagne),

parties intervenantes en première instance,

LA COUR (chambre d’admission des pourvois)

composée de M. L. Bay Larsen, vice‑président de la Cour, Mmes O. Spineanu-Matei et L. S. Rossi (rapporteure), juges,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la proposition de la juge rapporteure et l’avocat général, M. M. Szpunar, entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, Cruelty Free Europe demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 22 novembre 2023, Symrise/ECHA, (T‑656/20, ci-après l’« arrêt attaqué » EU:T:2023:737), par lequel celui-ci a rejeté le recours tendant à l’annulation de la décision A-009-2018 de la chambre de recours de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), du 18 août 2020, relative au contrôle de conformité du dossier d’enregistrement pour la substance homosalate, rejetant le recours formé contre la décision du 13 mars 2018 par laquelle l’ECHA avait demandé à Symrise AG de fournir, notamment, des études sur les animaux vertébrés.

 Sur la demande d’admission du pourvoi

2        En vertu de l’article 58 bis, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, l’examen des pourvois formés contre les décisions du Tribunal portant sur une décision d’une chambre de recours indépendante de l’ECHA est subordonné à leur admission préalable par la Cour.

3        Conformément à l’article 58 bis, troisième alinéa, de ce statut, le pourvoi est admis, en tout ou en partie, selon les modalités précisées dans le règlement de procédure de la Cour, lorsqu’il soulève une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union.

4        Aux termes de l’article 170 bis, paragraphe 1, du règlement de procédure, dans les situations visées à l’article 58 bis, premier alinéa, dudit statut, la partie requérante annexe à sa requête une demande d’admission du pourvoi dans laquelle elle expose la question importante que soulève le pourvoi pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union et qui contient tous les éléments nécessaires pour permettre à la Cour de statuer sur cette demande.

5        Conformément à l’article 170 ter, paragraphes 1 et 3, du règlement de procédure, la Cour statue sur la demande d’admission du pourvoi dans les meilleurs délais par voie d’ordonnance motivée.

6        À l’appui de sa demande d’admission du pourvoi, la requérante fait valoir que son pourvoi, tiré de la privation d’effet utile de l’interdiction des expérimentations animales prévue à l’article 18, paragraphe 1, sous d), du règlement (CE) no 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif aux produits cosmétiques (JO 2009, L 342, p. 59, ci‑après le « règlement cosmétiques ») et au considérant 52 de ce règlement, lus à la lumière du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1, et rectificatif JO 2007, L 136, p. 3, ci-après le « règlement REACH »), soulève une question importante pour l’unité, la cohérence et le développement du droit de l’Union.

7        La requérante indique, à titre liminaire, qu’elle reprend les arguments présentés dans sa requête.

8        À titre complémentaire, la requérante affirme, premièrement, que le Tribunal a privé d’effet utile l’interdiction des expérimentations animales prévue à l’article 18, paragraphe 1, sous d), du règlement cosmétiques, cette disposition ayant été adoptée à nouveau, sans modification de fond, dans le cadre de la réglementation consolidée postérieurement à l’adoption du règlement REACH. Or, l’interprétation de cette disposition retenue par le Tribunal porterait atteinte aux principes de séparation des pouvoirs et de l’État de droit.

9        Deuxièmement, le Tribunal n’aurait pas compris le fonctionnement du règlement REACH, dans la mesure où il aurait considéré que les annexes aux essais prévoient des critères différents pour les consommateurs et pour les travailleurs.

10      Troisièmement, en se référant au point 82 de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 22 novembre 2023, Symrise/ECHA, (T‑655/20, EU:T:2023:736), la requérante soutient qu’en se concentrant sur les adaptations prévues par le règlement REACH, le Tribunal n’a pas saisi l’élément essentiel des interdictions en matière de produits cosmétiques, à savoir que celles-ci s’appliquent indépendamment de l’existence de méthodes alternatives d’expérimentation non animales, ainsi que cela est confirmé par les conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire European Federation for Cosmetic Ingredients (C‑592/14, EU:C:2016:179) et par la Commission dans ses déclarations publiques.

11      Quatrièmement, le Tribunal aurait jugé, de manière incohérente, au point 74 de l’arrêt attaqué, « [i]l s’ensuit que l’article 18, paragraphe 1, sous d), du règlement cosmétiques doit être interprété en ce sens que seules sont interdites les expérimentations qui figurent dans le rapport sur la sécurité du produit établi conformément à l’article 10 dudit règlement pour démontrer la sécurité de ce produit. » Selon la requérante, cette disposition interdit toute expérimentation animale relevant de son champ d’application. En présence de l’interdiction des expérimentations animales, il serait évident qu’aucune donnée relative aux résultats d’expérimentations ne pourrait être légalement obtenue sur la base des expérimentations animales ni, a fortiori, incluse dans le rapport sur la sécurité du produit. Le raisonnement du Tribunal serait ainsi totalement circulaire.

12      Cinquièmement, en se référant au considérant 52, première phrase, du règlement cosmétiques, selon lequel « [i]l devrait être possible de revendiquer sur un produit cosmétique qu’aucune expérimentation animale n’a été effectuée dans l’optique de son élaboration [...] », la requérante allègue que l’arrêt attaqué rend extrêmement difficile, pour l’industrie de l’Union promouvant des produits cosmétiques non testés sur des animaux, d’éviter le recours à l’expérimentation animale. Si l’arrêt attaqué n’était pas annulé par la Cour, il serait probable que cette industrie doive fondamentalement modifier non seulement son étiquetage, mais également ses pratiques. Ledit considérant 52 du règlement cosmétiques serait ainsi vidé de sa substance.

13      Sixièmement, l’arrêt attaqué du Tribunal découragerait le développement de méthodes alternatives d’expérimentation non animales, ce qui serait contraire à l’objectif de mettre fin à l’expérimentation animale, affirmé au considérant 10 de la directive 2010/63/UE du Parlement et du Conseil du 22 septembre 2010, relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques (JO 2010, L 276, p. 33).

14      Septièmement, la requérante fait valoir que le Tribunal a également vidé de sa substance le plein respect que le législateur de l’Union a accordé au bien-être des animaux en vertu de l’article 13 TFUE, lorsqu’il a introduit les interdictions en matière de produits cosmétiques.

15      La requérante indique, pour conclure, que l’effet de l’arrêt attaqué serait de détruire la cohérence que le législateur de l’Union a cherchée à établir entre le règlement cosmétiques, le règlement REACH et la directive 2010/63, en violation d’un développement cohérent du droit de l’Union.

16      À titre liminaire, il convient de relever que c’est au requérant qu’il incombe de démontrer que les questions soulevées par son pourvoi sont importantes pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union (ordonnances du 10 décembre 2021, EUIPO/The KaiKai Company Jaeger Wichmann, C‑382/21 P, EU:C:2021:1050, point 20, et du 11 juillet 2023, EUIPO/Neoperl, C‑93/23 P, EU:C:2023:601, point 18).

17      En outre, ainsi qu’il ressort de l’article 58 bis, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lu en combinaison avec l’article 170 bis, paragraphe 1, et l’article 170 ter, paragraphe 4, du règlement de procédure, la demande d’admission du pourvoi doit contenir tous les éléments nécessaires pour permettre à la Cour de statuer sur l’admission du pourvoi et de déterminer, en cas d’admission partielle de ce dernier, les moyens ou les branches du pourvoi sur lesquels le mémoire en réponse doit porter. En effet, étant donné que le mécanisme d’admission préalable des pourvois visé à l’article 58 bis de ce statut tend à limiter le contrôle de la Cour aux questions revêtant une importance pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union, seuls les moyens soulevant de telles questions et établis par le requérant doivent être examinés par la Cour dans le cadre du pourvoi (ordonnances du 10 décembre 2021, EUIPO/The KaiKai Company Jaeger Wichmann, C‑382/21 P, EU:C:2021:1050, point 21, et du 11 juillet 2023, EUIPO/Neoperl, C‑93/23 P, EU:C:2023:601, point 19).

18      Ainsi, une demande d’admission du pourvoi doit, en tout état de cause, énoncer de façon claire et précise les moyens sur lesquels le pourvoi est fondé, identifier avec la même précision et la même clarté la question de droit soulevée par chaque moyen, préciser si cette question est importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union et exposer de manière spécifique les raisons pour lesquelles ladite question est importante au regard du critère invoqué. En ce qui concerne, en particulier, les moyens du pourvoi, la demande d’admission du pourvoi doit préciser la disposition du droit de l’Union ou la jurisprudence qui aurait été méconnue par l’arrêt ou l’ordonnance sous pourvoi, exposer de manière succincte en quoi consiste l’erreur de droit prétendument commise par le Tribunal et indiquer dans quelle mesure cette erreur a exercé une influence sur le résultat de l’arrêt ou de l’ordonnance sous pourvoi. Lorsque l’erreur de droit invoquée résulte de la méconnaissance de la jurisprudence, la demande d’admission du pourvoi doit exposer, de façon succincte mais claire et précise, premièrement, où se situe la contradiction alléguée, en identifiant tant les points de l’arrêt ou de l’ordonnance sous pourvoi que le requérant met en cause que ceux de la décision de la Cour ou du Tribunal qui auraient été méconnus, et, deuxièmement, les raisons concrètes pour lesquelles une telle contradiction soulève une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union (ordonnances du 10 décembre 2021, EUIPO/The KaiKai Company Jaeger Wichmann, C‑382/21 P, EU:C:2021:1050, point 22, et du 8 avril 2024, Sattvica/EUIPO, C‑12/24 P, EU:C:2024:285, point 12).

19      En effet, une demande d’admission du pourvoi ne contenant pas les éléments énoncés au point précédent de la présente ordonnance ne saurait être, d’emblée, susceptible de démontrer que le pourvoi soulève une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union justifiant son admission (ordonnances du 24 octobre 2019, Porsche/EUIPO, C‑613/19 P, EU:C:2019:905, point 16, et du 11 mai 2023, Heinze/L’Oréal et EUIPO, C‑15/23 P, EU:C:2023:407, point 17).

20      En l’occurrence, s’agissant, tout d’abord, du renvoi opéré aux arguments présentés dans la requête, tel qu’exposé au point 7 de la présente ordonnance, il importe de relever que ce simple renvoi ne permet pas de répondre à l’exigence imposée par la jurisprudence de la Cour selon laquelle la demande d’admission du pourvoi doit contenir tous les éléments nécessaires pour permettre à la Cour de statuer sur l’admission du pourvoi. En effet, cette exigence indiquée au point 18 de la présente ordonnance ou celle relative à la longueur de sept pages de la demande d’admission, telle que prévue à l’article 170 bis, paragraphe 2, du règlement de procédure, ne sauraient être contournées par un simple renvoi aux arguments présentés dans la requête.

21      S’agissant, ensuite, des arguments résumés aux points 8, 9 et 12 à 15 de la présente ordonnance, il convient de relever, d’une part, que la requérante n’identifie pas les points de l’arrêt attaqué qu’elle entend remettre en cause, privant, en l’occurrence, les moyens invoqués dans sa demande d’admission du pourvoi, tels que résultant desdits points, de leur contexte propre et les rendant, dès lors, insuffisamment précis (voir, par analogie, ordonnances du 27 janvier 2022, Acciona/EUIPO, C‑557/21 P, EU:C:2022:68, point 17, et du 13 juin 2023, Grupa « LEW »/EUIPO, C‑38/23 P, EU:C:2023:494, point 17). D’autre part, la requérante se borne à énoncer les conséquences, à son avis, incohérentes et préjudiciables pour le développement du droit de l’Union qu’entraînerait, de manière générale, le résultat auquel est parvenu le Tribunal dans l’arrêt attaqué, sans plus de précisions. Or, de telles allégations sont trop générales pour être de nature à démontrer l’importance de la question de droit soulevée pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union (voir, par analogie, ordonnance du 15 juin 2022, Chypre/EUIPO, C‑120/22 P, EU:C:2022:493, point 18).

22      Enfin, en ce qui concerne les arguments de la requérante résumés aux points 10 et 11 de la présente ordonnance, portant sur l’application des interdictions en matière de produits cosmétiques indépendamment de l’existence de méthodes alternatives d’expérimentation non animales ainsi que sur l’interprétation de manière prétendument incohérente de l’article 18, paragraphe 1, sous d), du règlement cosmétiques, il y a lieu de relever que la requérante n’explique pas, même de manière succincte, en quoi les appréciations du Tribunal seraient affectées d’une erreur de droit. D’une part, ne répondent manifestement pas à cette exigence les critiques adressées par la requérante à l’appréciation effectuée au point 82 de l’arrêt du Tribunal rendu dans l’affaire Symrise/ECHA, (T‑655/20, EU:T:2023:736), dès lors qu’une appréciation identique ne soutient pas les motifs de l’arrêt attaqué. D’autre part, la requérante reste en défaut d’exposer, même sommairement, en quoi l’interprétation de l’article 18, paragraphe 1, sous d), du règlement cosmétiques, retenue au point 74 de l’arrêt attaqué, que le Tribunal a déduite en guise de conclusion de ses développements précédents serait entachée d’une erreur de droit. De surcroît, la requérante n’explique pas à suffisance de droit en quoi ces prétendues erreurs auraient une influence sur le résultat de l’arrêt attaqué.

23      Il s’ensuit que, en l’espèce, la requérante n’a pas respecté l’ensemble des exigences énoncées au point 18 de la présente ordonnance.

24      Dans ces conditions, il convient de constater que la demande présentée par la requérante n’est pas de nature à établir que le pourvoi soulève une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union.

25      Eu égard aux considérations qui précèdent, il n’y a pas lieu d’admettre le pourvoi.

 Sur les dépens

26      Aux termes de l’article 137 du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, il est statué sur les dépens dans l’ordonnance qui met fin à l’instance.

27      La présente ordonnance étant adoptée avant que le pourvoi n’ait été signifié aux autres parties à la procédure et, par conséquent, avant que celles-ci n’aient pu exposer des dépens, il convient de décider que la requérante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (chambre d’admission des pourvois) ordonne :

1)      Le pourvoi n’est pas admis.

2)      Cruelty Free Europe supporte ses propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.