Language of document : ECLI:EU:C:2000:565

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DE LA COUR

12 octobre 2000 (1)

«Référé - Sursis à exécution - Aides d'État»

Dans l'affaire C-278/00 R,

République hellénique, représentée par M. I. Chalkias, conseiller juridique adjoint au Conseil juridique de l'État, et Mme C. Tsiavou, mandataire judiciaire auprès de ce même Conseil, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de Grèce, 117, Val Sainte-Croix,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. J. Flett et D. Triantafyllou, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du même service, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l'exécution, à titre principal, de la décision C(2000) 686 final de la Commission, du 1er mars 2000, relative aux régimes d'aides mis en oeuvre par la Grèce en faveur du règlement des dettes des coopératives agricoles en 1992 et 1994, y compris les aides pour la réorganisation de la coopérative laitière AGNO, ou, à titre subsidiaire, de l'article 2 de cette même décision,

LE PRÉSIDENT DE LA COUR

rend la présente

Ordonnance

1.
    Par requête déposée au greffe de la Cour le 13 juillet 2000, la République hellénique a, en vertu de l'article 230 CE, demandé l'annulation de la décision C(2000) 686 final de la Commission, du 1er mars 2000, relative aux régimes d'aides mis en oeuvre par la Grèce en faveur du règlement des dettes des coopératives agricoles en 1992 et 1994, y compris les aides pour la réorganisation de la coopérative laitière AGNO (ci-après la «décision attaquée»).

2.
    Par acte séparé déposé au greffe de la Cour le même jour, la République hellénique a introduit, en vertu de l'article 242 CE, une demande de sursis à l'exécution, à titre principal, de la décision attaquée ou, à titre subsidiaire, de l'article 2 de cette même décision.

3.
    La Commission a présenté ses observations écrites sur la demande en référé le 10 août 2000.

4.
    Compte tenu des observations écrites des parties, il n'y a pas lieu de les entendre en leurs explications orales.

5.
    La décision attaquée dispose, à son article 1er, paragraphe 2, que sont incompatibles avec le marché commun quatre catégories d'aides, de diverse nature et contenues dans plusieurs dispositions législatives, octroyées au bénéfice de coopératives agricoles grecques et en particulier de la coopérative laitière AGNO (ci-après «AGNO»). En vertu de l'article 2, paragraphe 1, de cette même décision, les autorités grecques doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer les aides illégalesmentionnées à l'article 1er, paragraphe 2, auprès de leurs bénéficiaires, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision attaquée.

6.
    La demande de sursis à l'exécution présentée par la République hellénique contient, d'une part, un rappel du dispositif de la décision attaquée et, d'autre part, une mention de la requête en annulation, avec l'indication que cette dernière fait clairement apparaître l'objet du litige, qui est le remboursement avec intérêts d'aides qui, selon la Commission, ont été attribuées illégalement.

7.
    Ces indications sont suivies d'un exposé en trois points des circonstances de fait et de droit qui justifieraient l'urgence de la demande de sursis.

8.
    Tout d'abord, il est soutenu qu'une éventuelle exécution de la décision attaquée concernerait des centaines d'organisations coopératives comptant des milliers de membres et entraînerait des troubles sociaux et économiques très graves, mettant en péril la cohésion sociale et la restructuration réalisée dans le secteur agricole. La République hellénique prétend également que l'application immédiate de ladite décision provoquerait le dépeuplement de régions montagneuses et défavorisées, désintégrerait le tissu social et détruirait les organisations coopératives agricoles. En outre, le recouvrement des sommes à récupérer, d'un montant de 260 milliards de GRD, augmenté des intérêts, conduirait inévitablement à une exécution forcée ainsi qu'à la saisie et à la vente aux enchères des biens non seulement des organisations coopératives et d'AGNO, mais aussi, compte tenu de leur responsabilité personnelle, des membres de ces coopératives, lesquels risqueraient de perdre l'ensemble de leur patrimoine mobilier et immobilier.

9.
    Ensuite, le sursis à l'exécution devrait être octroyé en raison de la violation des principes généraux du droit et de l'atteinte aux droits des tiers qu'emporterait l'exécution immédiate de la décision attaquée.

10.
    Enfin, la récupération des aides serait en tout état de cause impossible, dès lors que, en vertu du droit national, toute somme payée abusivement, illégalement ou indûment fait l'objet d'une prescription si elle n'est pas réclamée dans un délai de cinq ans.

11.
    En outre, la République hellénique fait valoir que, si les intérêts en cause dans la présente affaire sont mis en balance, il s'avère souhaitable d'accorder le sursis demandé dans la mesure où il ne produit aucune conséquence négative. En effet, à supposer qu'elles aient existé, les incidences du règlement des dettes visé par la décision attaquée auraient cessé d'être effectives sur le marché et le maintien de cette situation jusqu'au prononcé de l'arrêt au fond ne renforcerait pas le déséquilibre du marché ni n'accroîtrait la portée de l'avantage concurrentiel prétendument accordé.

12.
    Conformément à l'article 242 CE, la Cour peut, si elle estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué dans les affaires dont elle est saisie.

13.
    L'article 83, paragraphe 2, du règlement de procédure exige que les demandes fondées sur l'article 242 CE spécifient l'objet du litige, les circonstances établissant l'urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l'octroi du sursis sollicité.

14.
    En ce qui concerne l'urgence de la demande, c'est à la partie qui se prévaut d'un dommage grave et irréparable d'en établir l'existence (ordonnance du 25 juillet 2000, Pays-Bas/Parlement et Conseil, C-377/98 R, non encore publié au Recueil, point 50).

15.
    S'il est exact que, pour établir l'existence d'un tel dommage, il n'est pas nécessaire d'exiger que la survenance du préjudice soit établie avec une certitude absolue et qu'il suffit que celui-ci soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant, il n'en reste pas moins que le requérant demeure tenu de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d'un dommage grave et irréparable [ordonnances du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C-335/99 P(R), Rec. p. I-8705, point 67, et Pays-Bas/Parlement et Conseil, précité, point 51].

16.
    En l'espèce, il convient de constater que, pour établir l'urgence de sa demande de sursis à l'exécution de la décision attaquée, la requérante s'est bornée à émettre des considérations générales, telles qu'elles sont reproduites aux points 8 à 10 de la présente ordonnance, sans invoquer d'élément concret à l'appui de ses allégations.

17.
    En effet, s'agissant tout d'abord des conséquences qu'emporterait l'exécution de la décision attaquée pour les coopératives concernées et leurs membres, ainsi que pour AGNO, la demande ne contient pas la moindre information concernant la situation financière des intéressés et les montants, même approximatifs, que chacun d'eux serait appelé à rembourser, non plus que sur la durée et les autres modalités des procédures qui devraient être suivies par les autorités nationales pour obtenir le recouvrement des sommes concernées.

18.
    De même, aucune indication quelconque n'est fournie en ce qui concerne l'éventualité des graves événements, censés affecter la cohésion sociale de l'État membre concerné, dont la demande de sursis fait état en cas d'application immédiate de la décision attaquée.

19.
    Accorder le sursis sollicité dans de telles circonstances reviendrait donc, en fait, à attribuer un caractère suspensif au recours en annulation introduit à l'encontre de la décision attaquée, dans la mesure où toute décision de la Commission exigeant la récupération d'une aide d'État illégale et incompatible avec le marché commun est, en raison de son objet même, de nature à provoquer des difficultés dans le chef du bénéficiaire d'une telle aide.

20.
    Ensuite, le gouvernement hellénique soutient que l'exécution de la décision attaquée porterait atteinte aux droits de tiers, à savoir la Banque agricole de Grèce, AGNO et les organisations coopératives agricoles.

21.
    À cet égard, il convient de relever de nouveau qu'une atteinte aux droits des personnes considérées comme étant les bénéficiaires d'aides étatiques incompatibles avec le marché commun est inhérente à toute décision de la Commission exigeant la récupération de telles aides et ne saurait être regardée comme constitutive en soi d'un préjudice grave et irréparable, indépendamment d'une appréciation concrète de la gravité et du caractère irréparable de l'atteinte spécifique alléguée dans chaque cas considéré.

22.
    Par ailleurs, s'agissant plus particulièrement de la Banque agricole de Grèce, il ressort de la décision attaquée que, selon la Commission, l'État peut exercer une influence déterminante sur sa direction et que l'utilisation des ressources de ladite banque peut être assimilée à une mesure prise par l'État grec. La demande de sursis ne remettant pas en cause cette appréciation, la situation propre de la Banque agricole de Grèce en tant que tierce personne ne saurait donc être prise en considération. Au demeurant, la requérante n'explique pas la raison pour laquelle l'exécution de la décision attaquée serait susceptible d'entraîner un préjudice grave et irréparable dans le chef de l'entreprise qui est considérée par ladite décision comme étant le dispensateur des aides à récupérer.

23.
    Enfin, aucun préjudice grave et irréparable ne saurait davantage être déduit des considérations du gouvernement hellénique au sujet de l'impossibilité de récupération des aides qui découlerait des dispositions du droit national, et ce sans préjudice de la compatibilité de telles dispositions avec les obligations qui incombent aux États membres en la matière en vertu du droit communautaire.

24.
    La requérante n'ayant ainsi nullement étayé ses affirmations quant au dommage grave et irréparable qui découlerait de l'exécution de la décision attaquée, l'urgence de la demande de sursis de celle-ci n'est pas établie à suffisance de droit.

25.
    Au surplus, il convient de constater que cette demande ne satisfait pas non plus aux exigences de l'article 83, paragraphe 2, du règlement de procédure, en vertu duquel la demande spécifie notamment les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l'octroi du sursis auquel elle conclut.

26.
    En effet, la requérante se borne à se référer à son recours aux fins d'annulation de la décision attaquée et à affirmer que ce recours sera probablement accueilli.

27.
    Or, la simple référence à la requête en annulation de la décision attaquée ne saurait pallier l'absence de toute explicitation des motifs de la requête en annulation qui établissent le fumus boni juris de la demande de sursis à l'exécution (voir, en ce sens, ordonnance du 10 juin 1988, Sofrimport/Commission, 152/88 R, Rec. p. 2931, point 12).

28.
    Il résulte de ce qui précède que la demande de sursis à l'exécution de la décision attaquée doit être rejetée.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DE LA COUR

ordonne:

1)    La demande en référé est rejetée.

2)    Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 12 octobre 2000.

Le greffier

Le président

R. Grass

G. C. Rodríguez Iglesias


1: Langue de procédure: le grec.