Language of document : ECLI:EU:T:2022:116

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

9 mars 2022 (*)

« Marque de l’Union européenne – Enregistrement international désignant l’Union européenne – Marque verbale RUGGED – Motif absolu de refus – Absence de caractère distinctif acquis par l’usage – Article 7, paragraphe 3, du règlement (CE) no 207/2009 [devenu article 7, paragraphe 3, du règlement (UE) 2017/1001] – Compétence de la chambre de recours – Article 71 du règlement 2017/1001 – Obligation de motivation – Article 94, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 »

Dans l’affaire T‑204/21,

Stryker Corp., établie à Kalamazoo, Michigan (États-Unis), représentée par Mes I. Fowler, I. Junkar et B. Worbes, avocates,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. D. Gája, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la cinquième chambre de recours de l’EUIPO du 26 janvier 2021 (affaire R 370/2020‑5), concernant l’enregistrement international désignant l’Union européenne de la marque verbale RUGGED,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme V. Tomljenović, présidente, M. F. Schalin (rapporteur) et Mme P. Škvařilová‑Pelzl, juges,

greffier : Mme J. Pichon, administratrice,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 14 avril 2021,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 28 juin 2021,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 29 novembre 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 1er septembre 2017, la requérante, Stryker Corp., avançant une date de priorité au 8 mars 2017, fondée sur la marque américaine no 87363165, a désigné l’Union européenne dans son enregistrement international. Cet enregistrement a été notifié à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

2        La marque faisant l’objet de l’enregistrement international désignant l’Union européenne est la marque verbale RUGGED.

3        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 10 et 12 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 10 : « Équipements de manipulation de patients, à savoir dispositifs médicaux à roulettes pour le transport de patients sous forme de civières, lits portatifs et chaises-civières pour le transport de patients dans des escaliers ; dispositifs de retenue de sécurité pour patients pour dispositifs à roulettes pour le transport de patients » ;

–        classe 12 : « Systèmes de fixation spécialement conçus pour être utilisés dans des véhicules ou aéronefs, se composant d’un rail et d’un chariot mobile ayant un dispositif de couplage pour la fixation solide de lits portatifs et civières à usage médical dans des véhicules ou aéronefs ».

4        La demande de marque a été publiée au Bulletin des marques de l’Union européenne no 200/2017, du 20 octobre 2017.

5        Le 10 novembre 2017, l’examinateur a notifié un refus provisoire total ex officio de protection, conformément à l’article 193 du règlement 2017/1001, indiquant que la marque demandée était descriptive et dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), et paragraphe 2, du règlement no 207/2009 [devenu article 7, paragraphe 1, sous b) et c), et paragraphe 2, du règlement 2017/1001].

6        Par lettre du 7 mai 2018, la requérante a présenté ses observations sur les objections de l’examinateur et a demandé, à titre subsidiaire, la possibilité de rapporter la preuve de l’acquisition du caractère distinctif après l’usage de la marque demandée, conformément à l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009 (devenu article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001).

7        Par décision du 20 juin 2018, l’examinateur a rejeté la demande d’enregistrement de la marque demandée, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 207/2009.

8        Le 20 août 2018, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, enregistré sous la référence R 1627/2018‑5, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de l’examinateur.

9        Par décision du 26 novembre 2018 (ci-après la « première décision »), la cinquième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours. En particulier, elle a relevé que, dans la mesure où la marque demandée était composée d’un terme anglais, il convenait de prendre en considération le public du territoire anglophone de l’Union aux fins de l’appréciation de son éligibilité à la protection, soit à tout le moins le Royaume-Uni, l’Irlande et Malte. Le terme « rugged », qui compose la marque demandée, pouvant signifier « robuste et solide et conçu pour durer longtemps, même si manipulé de façon brutale », la chambre de recours a conclu que le public anglophone du Royaume-Uni, d’Irlande et de Malte comprendrait la marque demandée comme décrivant la qualité des produits visés par celle-ci et mentionnés au point 3 ci-dessus. Dès lors, elle a confirmé la décision de l’examinateur et a considéré que la marque demandée était descriptive et dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 207/2009.

10      La première décision n’a pas fait l’objet d’un recours devant le Tribunal.

11      Le 9 avril 2019, l’examinateur a informé la requérante que la première décision était devenue définitive et qu’il allait prendre une décision au regard de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009 uniquement et l’a invitée, à cet égard, à présenter les preuves de l’obtention par la marque demandée d’un caractère distinctif acquis par l’usage.

12      Par décision du 16 décembre 2019, l’examinateur a rejeté la demande d’enregistrement de la marque demandée, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009. Il a, en particulier, considéré que la requérante n’avait pas suffisamment prouvé l’existence d’un caractère distinctif acquis par l’usage de la marque demandée au Royaume-Uni, en Irlande et à Malte.

13      Le 14 février 2020, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, enregistré sous la référence R 370/2020‑5, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de l’examinateur du 16 décembre 2019.

14      Par communication du 14 août 2020, la chambre de recours a informé la requérante que, compte tenu des produits en cause, le public pertinent était un public professionnel doté d’une expertise dans le domaine médical qui possédait des meilleures connaissances et une meilleure compréhension de l’anglais que le grand public. Elle en a conclu que la majorité du public professionnel de toute l’Union comprendrait le sens du terme « rugged » comme se rapportant à une des caractéristiques des produits visés par la marque demandée et, par conséquent, que la requérante devait prouver que la marque demandée possédait un caractère distinctif acquis par l’usage dans l’ensemble de l’Union. La requérante a été invitée à présenter ses observations sur cette communication.

15      Par lettre du 19 octobre 2020, la requérante a présenté ses observations sur la communication de la chambre de recours et a contesté devoir rapporter la preuve d’un caractère distinctif acquis par l’usage de la marque demandée pour l’ensemble de l’Union au motif qu’il n’appartenait pas à celle-ci de redéfinir le territoire pertinent au cours de cette procédure, cette question ayant déjà été tranchée par la première décision, devenue définitive.

16      Par décision du 26 janvier 2021 (ci-après la « décision attaquée »), la cinquième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours. En premier lieu, elle a relevé que l’allégation de la requérante selon laquelle la portée de la procédure R 370/2020‑5 se limitait uniquement à la question de savoir si la marque RUGGED avait acquis un caractère distinctif, au sens de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, au Royaume-Uni, en Irlande et à Malte était dénuée de fondement. En second lieu, elle a considéré que la requérante n’avait pas prouvé l’existence d’un caractère distinctif acquis par la marque demandée dans l’ensemble de l’Union.

 Conclusions des parties

17      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

18      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

19      À titre liminaire, il y a lieu de constater que, compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement en cause, à savoir le 1er septembre 2017, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis par les dispositions matérielles du règlement no 207/2009 (voir, en ce sens, arrêts du 8 mai 2014, Bimbo/OHMI, C‑591/12 P, EU:C:2014:305, point 12, et du 18 juin 2020, Primart/EUIPO, C‑702/18 P, EU:C:2020:489, point 2 et jurisprudence citée). Par ailleurs, dans la mesure où, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45 et jurisprudence citée), le présent litige est régi par les dispositions procédurales du règlement 2017/1001.

20      Par suite, en l’espèce, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références faites à l’article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001 par la chambre de recours dans la décision attaquée et par les parties à l’instance dans leurs écritures comme visant l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, d’une teneur identique.

21      À l’appui de son recours, la requérante invoque trois moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation de l’article 71, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, en ce que la chambre de recours aurait outrepassé les limites de sa compétence. Le deuxième moyen est tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, en ce que la chambre de recours aurait erronément considéré que les éléments de preuve du caractère distinctif acquis par l’usage de la marque demandée étaient insuffisants. Le troisième moyen est tiré d’une violation de l’article 94, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, en ce que la chambre de recours n’aurait pas motivé la décision attaquée.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 71, paragraphe 1, du règlement 2017/1001

22      Dans le cadre du premier moyen, la requérante soutient, en substance, que, puisque la première décision était devenue définitive, l’EUIPO n’avait pas la compétence pour examiner les motifs absolus de refus au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement 2017/1001 et, donc, pour redéfinir le territoire pertinent au cours de la présente procédure, relative uniquement à l’article 7, paragraphe 3, du même règlement. À cet égard, il ne ressortirait pas clairement et de façon non équivoque de la première décision que, lorsque qu’il y était indiqué qu’il convenait de prendre en considération le « public du territoire anglophone de l’Union, soit à tout le moins le Royaume-Uni, l’Irlande et Malte », cela signifiait que le territoire pertinent n’avait pas été défini de manière approfondie et exhaustive.

23      De plus, en vertu des limites au principe de continuité fonctionnelle entre les différentes instances de l’EUIPO, il n’appartiendrait pas à celui-ci de réexaminer le caractère distinctif de la marque demandée au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement 2017/1001. Cela ressortirait clairement de l’arrêt du 6 février 2013, Maharishi Foundation/OHMI (TRANSCENDENTAL MEDITATION) (T‑412/11, non publié, EU:T:2013:62, point 24). En procédant de la sorte dans la décision attaquée, l’EUIPO aurait violé le principe de reformatio in peius.

24      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.

25      Premièrement, compte tenu des circonstances juridiques et factuelles de la présente affaire, l’examen du bien-fondé du premier moyen requiert l’examen de la mesure dans laquelle le territoire pertinent doit être identifié pour l’examen de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement no 207/2009 et pour celui de l’article 7, paragraphe 3, du même règlement.

26      À cet égard, s’agissant de l’appréciation de l’existence de motifs absolus de refus, au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, il ressort du libellé de l’article 7, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 que l’enregistrement d’un signe doit être refusé même si les motifs de refus n’existent que dans une partie de l’Union (arrêt du 20 septembre 2001, Procter & Gamble/OHMI, C‑383/99 P, EU:C:2001:461, point 41).

27      Il en résulte que, pour refuser l’enregistrement d’un signe au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement no 207/2009, il n’est pas nécessaire d’identifier l’ensemble du territoire pertinent sur lequel s’exercent ces motifs, dès lors qu’il suffit de constater que ceux-ci existent dans une partie seulement de l’Union.

28      S’agissant de l’acquisition par une marque d’un caractère distinctif à la suite de l’usage qui en a été fait, au sens de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, il convient de rappeler que les motifs absolus de refus, visés à l’article 7, paragraphe 1, sous b) à d), de ce règlement, ne s’opposent pas à l’enregistrement d’une marque si celle-ci a acquis, pour les produits ou les services pour lesquels l’enregistrement est demandé, un caractère distinctif après l’usage qui en a été fait.

29      De plus, il ressort du caractère unitaire de la marque de l’Union européenne que, pour être admis à l’enregistrement, un signe doit posséder un caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l’usage, dans l’ensemble de l’Union [arrêts du 25 juillet 2018, Société des produits Nestlé e.a./Mondelez UK Holdings & Services, C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P, EU:C:2018:596, point 68, et du 21 avril 2015, Louis Vuitton Malletier/OHMI – Nanu-Nana (Représentation d’un motif à damier marron et beige), T‑359/12, EU:T:2015:215, point 86].

30      À cet égard, la Cour a déjà jugé qu’un signe ne peut être enregistré en tant que marque de l’Union européenne, en vertu de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, que si la preuve est rapportée qu’il a acquis, par l’usage qui en a été fait, un caractère distinctif dans la partie de l’Union dans laquelle il n’avait pas, ab initio, un tel caractère, au sens du paragraphe 1, sous b), du même article (voir arrêt du 25 juillet 2018, Société des produits Nestlé e.a./Mondelez UK Holdings & Services, C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P, EU:C:2018:596, point 75 et jurisprudence citée).

31      Il s’ensuit que, contrairement à l’examen de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement no 207/2009, l’examen de l’article 7, paragraphe 3, du même règlement exige d’identifier la partie de l’Union dans laquelle le signe était dépourvu, ab initio, d’un tel caractère et donc d’identifier l’ensemble du territoire pertinent dans lequel s’exerçait l’un des motifs absolus de refus prévus à l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement no 207/2009.

32      Deuxièmement, il convient d’examiner si, comme le prétend la requérante, revenir sur l’examen du territoire pertinent fait dans la première décision au titre de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement no 207/2009, dans le cadre de l’examen de l’article 7, paragraphe 3, du même règlement, serait contraire en l’espèce au principe de continuité fonctionnelle des instances de l’EUIPO, au sens de l’article 71, paragraphe 2, du règlement 2017/1001.

33      Au titre de l’article 71, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, si la chambre de recours renvoie l’affaire, en vue de la poursuite de la procédure, à l’instance qui a pris la décision attaquée, cette instance est liée par les motifs et le dispositif de la décision de la chambre de recours pour autant que les faits de la cause sont les mêmes.

34      Il en ressort, d’après la requérante, que la chambre de recours, dans la décision attaquée, était liée par les motifs et le dispositif de la première décision et invoque à cet égard l’arrêt du 6 février 2013, TRANSCENDENTAL MEDITATION (T‑412/11, non publié, EU:T:2013:62, point 24).

35      Toutefois, cet arrêt n’est pas déterminant en l’espèce.

36      En effet, dans cette affaire, la chambre de recours avait examiné à la fois l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement no 207/2009 et l’article 7, paragraphe 3, du même règlement avant de renvoyer l’affaire en première instance pour l’examen du caractère distinctif acquis. Devant examiner l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, la chambre de recours avait déterminé avec précision l’étendue territoriale de la preuve du caractère distinctif acquis de la marque demandée, appréciation qui, ainsi que l’avait relevé le Tribunal, liait l’examinateur.

37      Or, en l’espèce, dans la première décision, la chambre de recours n’était pas saisie d’examiner l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, mais uniquement l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du même règlement. Celle-ci n’était donc pas tenue d’identifier l’ensemble du territoire pertinent.

38      De plus, même si l’appréciation effectuée dans la première décision liait la chambre de recours dans la décision attaquée, il ne saurait toutefois être exigé qu’il en aille de même du caractère incomplet d’une telle appréciation.

39      En effet, ainsi qu’il ressort des points 26 à 31 ci-dessus, la logique de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement no 207/2009 et de l’article 7, paragraphe 3, du même règlement plaide en faveur du fait qu’on ne saurait reprocher à la chambre de recours, lorsqu’elle examine uniquement l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, de ne pas définir avec précision le territoire pertinent et donc que cette appréciation puisse se faire dans le cadre de l’examen de l’article 7, paragraphe 3, du même règlement.

40      Or, si le territoire sur lequel les motifs de refus relevant de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement no 207/2009 n’est pas entièrement identifié et qu’il serait refusé à la chambre de recours de pouvoir compléter l’examen de celui-ci lorsqu’elle examine l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, il en ressortirait qu’une marque pourrait être enregistrée alors même qu’elle serait dépourvue, ab initio, d’un caractère distinctif dans d’autres parties de l’Union. Cela reviendrait à méconnaître l’effet utile de cette disposition.

41      Troisièmement, ces considérations prévalant sur toute prétendue violation du principe de sécurité juridique, il convient de déterminer si, en l’espèce, l’analyse du territoire pertinent effectuée dans la première décision présentait un caractère incomplet.

42      Il ressort du point 16 de la première décision qu’il a été considéré, s’agissant du public pertinent, que « la marque demandée consist[ait] en un mot anglais [et qu’]il y a[vait] lieu de tenir compte du public des territoires anglophones de l’Union […], soit à tout le moins au Royaume-Uni, en Irlande et à Malte, pour l’appréciation de son éligibilité à la protection ».

43      À cet égard, s’il est vrai que la chambre de recours s’est référée dans la première décision au « territoire anglophone de l’Union », lequel désigne, comme le constate à juste titre la requérante, uniquement les pays dont la langue officielle est l’anglais, il n’en ressort pas pour autant que la chambre de recours n’avait pas entendu considérer que le territoire pertinent puisse aller au-delà de ces trois pays.

44      En effet, ainsi qu’il ressort des points 26 et 27 ci-dessus, la chambre de recours n’était pas tenue dans la première décision d’identifier tout le territoire sur lequel s’exerçaient les motifs absolus de refus au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement no 207/2009 et a d’ailleurs rejeté l’enregistrement de la marque demandée sur le fondement de ces dispositions et de l’article 7, paragraphe 2, du même règlement. De plus, il convient de souligner que la question déterminante lorsqu’il s’agit d’examiner ces dispositions est d’identifier si le public pertinent peut comprendre la signification d’une marque par rapport aux produits qu’elle vise. À cet égard, il ressort de la jurisprudence que, lorsque les motifs absolus de refus invoqués par l’examinateur et la chambre de recours sont relatifs à la signification du signe dont l’enregistrement est demandé dans une langue de l’Union, le public pertinent à prendre en compte pour leur appréciation est la partie du public pertinent, au sein de l’Union, qui comprendra cette signification [voir, en ce sens, arrêt du 7 mai 2019, Fissler/EUIPO (vita), T‑423/18, EU:T:2019:291, point 17 et jurisprudence citée].

45      Ainsi, la chambre de recours a fait référence au territoire anglophone de l’Union uniquement pour la compréhension de l’anglais qu’en a le public pertinent dans ce territoire, et cela par économie de procédure. L’expression « à tout le moins » n’a d’ailleurs de sens que dans ce contexte dans la mesure où tous les pays anglophones de l’Union sont déjà mentionnés.

46      Or, il est notoire que l’anglais est compris et parlé ailleurs que dans les pays dont il est la langue officielle. La marque demandée étant composée d’un terme anglais, la chambre de recours a pu considérer à juste titre, ainsi qu’elle l’a dûment motivé aux points 27 à 30 de la décision attaquée, que, même si la première décision ne faisait référence qu’au public du territoire anglophone de l’Union, il pourrait également être tenu compte du public du reste de l’Union ayant une bonne compréhension de l’anglais et donc que l’analyse du territoire pertinent dans la première décision n’était pas exhaustive.

47      Ainsi, il y a lieu de considérer que la chambre de recours était fondée, dans la décision attaquée, à poursuivre l’analyse du territoire pertinent effectuée dans la première décision et n’a pas excédé les limites de sa compétence en considérant qu’il y avait lieu de tenir compte du public pertinent professionnel de l’ensemble de l’Union ayant une meilleure connaissance et compréhension de l’anglais et, plus particulièrement, de celui des pays scandinaves et des Pays-Bas.

48      La circonstance que la première décision était devenue définitive est donc, à cet égard, indifférente.

49      Par ailleurs, s’agissant du principe d’interdiction de la reformatio in peius, soulevé par la requérante, à supposer même qu’un tel principe puisse être invoqué dans une procédure de contrôle de la légalité d’une décision d’une chambre de recours de l’EUIPO, il y a lieu de relever que, en rejetant le recours de la requérante, la chambre de recours a maintenu en vigueur la décision de l’examinateur du 16 décembre 2019. Dès lors, pour autant que la décision attaquée n’a pas fait droit aux prétention de la requérante, cette dernière ne se trouve pas, à la suite de celle-ci, dans une position juridique moins favorable qu’avant l’introduction du recours [arrêt du 8 mai 2018, Luxottica Group/EUIPO – Chen (BeyBeni), T‑721/16, non publié, EU:T:2018:264, point 27].

50      Il convient par conséquent de rejeter le premier moyen.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009

51      En premier lieu, la requérante considère que, dans la mesure où la première décision, devenue définitive, constatait l’absence de caractère distinctif de la marque demandée uniquement au Royaume-Uni, en Irlande et à Malte, la chambre de recours aurait violé l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009 en estimant qu’elle n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve établissant le caractère distinctif acquis par l’usage de la marque demandée pour l’ensemble de l’Union.

52      En second lieu, la requérante conteste la conclusion de la chambre de recours selon laquelle le public professionnel pertinent de toute l’Union a une connaissance approfondie de l’anglais et comprendrait forcément le terme « rugged ». À cet égard, il ne s’agirait pas d’un mot anglais de base et, comme il ne s’agirait pas d’un terme couramment utilisé dans la profession médicale ou faisant partie du vocabulaire de celle-ci, la chambre de recours ne pouvait considérer, sans commettre d’erreur, que le public pertinent comprendrait la signification de la marque demandée au seul motif qu’elle désignerait des qualités pouvant intéresser les professionnels de ce domaine.

53      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.

54      En premier lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la chambre de recours aurait, dans la décision attaquée, violé l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, en considérant qu’il y avait lieu de prouver le caractère distinctif acquis de la marque demandée pour l’ensemble de l’Union, force est de constater que celui-ci est, en substance, identique à celui avancé dans le cadre du premier moyen. Par conséquent, il convient de rejeter cet argument pour les mêmes motifs que ceux exposés dans le cadre de celui-ci.

55      En second lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel le public pertinent ne faisant pas partie du Royaume-Uni, de l’Irlande et de Malte ne pourrait pas comprendre la signification du terme « rugged », il convient de rappeler que la chambre de recours a considéré, à juste titre, que le public pertinent était un public professionnel issu du secteur médical et, plus particulièrement, du domaine de la sécurité des patients.

56      De plus, comme l’a fait remarquer la requérante lorsqu’elle a formé son recours contre la décision du 16 décembre 2019, l’anglais est très souvent utilisé dans les communications commerciales et est bien connu des profanes au sein de l’Union. À cet égard, il ressort également de la jurisprudence que le public professionnel est en mesure de comprendre certains termes anglais susceptibles de faire partie du vocabulaire professionnel [voir, en ce sens, arrêt du 29 mars 2012, Kaltenbach & Voigt/OHMI (3D eXam), T‑242/11, non publié, EU:T:2012:179, point 26].

57      Il convient donc de considérer, à l’instar de la chambre de recours, que, dès lors que le public professionnel pertinent, qui possède une expertise et des connaissances médicales approfondies en matière de sécurité des patients, a un intérêt spécifique et pratique pour les produits présentant des caractéristiques de solidité, de robustesse ou de durabilité, celui-ci peut comprendre le vocabulaire anglais décrivant ou signalant ces caractéristiques [voir, en ce sens, arrêt du 31 janvier 2019, DeepMind Technologies/EUIPO (STREAMS), T‑97/18, non publié, EU:T:2019:43, points 30 à 38].

58      Or, dans la mesure où il ressort du point 9 ci-dessus et du point 57 de la décision attaquée que le terme « rugged », qui constitue la marque demandée, disposait d’une signification suffisamment claire et non équivoque en anglais par rapport aux produits en cause, la chambre de recours pouvait valablement en conclure que la signification du signe RUGGED, en rapport avec les produits en cause, serait perçue par la majorité du public professionnel pertinent dans l’ensemble de l’Union.

59      Partant, le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, doit être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’article 94, paragraphe 1, du règlement 2017/1001

60      La requérante soutient que, en premier lieu, la chambre de recours n’a pas suffisamment motivé, dans la décision attaquée, en quoi la marque demandée serait perçue comme descriptive et dépourvue de caractère distinctif dans l’ensemble de l’Union. Elle n’aurait pas non plus expliqué pourquoi les éléments de preuve se rapportant au Royaume-Uni, à l’Irlande et à Malte, qu’elle n’a même pas examinés, ne suffiraient pas à prouver le caractère distinctif acquis au sens de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009. En second lieu, en exigeant à un stade avancé de la procédure que la requérante apporte les preuves d’un caractère distinctif acquis dans 25 pays supplémentaires sans lui laisser le temps de les produire, la chambre de recours aurait violé l’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement 2017/1001. En effet, contrairement à ce que soutiendrait la chambre de recours dans la décision attaquée, la communication du 14 août 2020 n’aurait pas invité la requérante à produire d’autres éléments de preuve et n’indiquerait pas non plus que la décision d’étendre à l’ensemble de l’Union la portée territoriale de la preuve du caractère distinctif acquis serait devenue définitive.

61      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.

62      Aux termes de l’article 94, paragraphe 1, première phrase, du règlement 2017/1001, les décisions de l’EUIPO doivent être motivées. Cette obligation a la même portée que celle découlant de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, lequel exige que la motivation fasse apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte, sans qu’il soit nécessaire que cette motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait auxdites exigences devant cependant être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Cette obligation, qui découle également de l’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, a pour objectif de permettre, d’une part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et, d’autre part, au juge de l’Union d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision concernée (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2018, EUIPO/Puma, C‑564/16 P, EU:C:2018:509, points 64 et 65 et jurisprudence citée).

63      En outre, l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. En effet, la motivation d’une décision consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cette décision. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond de la décision, mais non la motivation de celle-ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés. Il s’ensuit que les griefs et les arguments visant à contester le bien-fondé d’un acte sont dénués de pertinence dans le cadre d’un moyen tiré du défaut ou de l’insuffisance de motivation [voir arrêt du 19 septembre 2018, Volkswagen/EUIPO – Paalupaikka (MAIN AUTO WHEELS), T‑623/16, non publié, EU:T:2018:561, point 71 et jurisprudence citée].

64      Tout d’abord, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la chambre de recours n’aurait pas suffisamment motivé les raisons pour lesquelles la marque demandée serait perçue comme descriptive et dépourvue de caractère distinctif dans l’ensemble de l’Union, il convient de constater qu’il ressort des points 52 et 55 à 59 ci-dessus que la motivation de la décision attaquée concernant l’étendue territoriale de la preuve d’un caractère distinctif acquis par la marque demandée est claire et non équivoque et apparaît suffisante pour permettre à la requérante de comprendre le raisonnement de la chambre de recours et de le contester et au juge de l’Union d’exercer son contrôle. Dès lors, il ne peut être soutenu que ce raisonnement souffre d’un défaut de motivation.

65      Ensuite, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la chambre de recours n’aurait pas justifié que les éléments de preuve relatifs au caractère distinctif acquis par la marque demandée au Royaume-Uni, en Irlande et à Malte n’étaient pas suffisants pour prouver le caractère distinctif acquis de ladite marque, il y a lieu de relever que la chambre de recours a indiqué, au point 71 de la décision attaquée, que, par économie de procédure, elle commencerait l’examen du caractère distinctif acquis revendiqué pour l’ensemble de l’Union à l’exception du Royaume-Uni et de l’Irlande. Or, dans la mesure où la requérante devait prouver le caractère distinctif acquis de la marque demandée pour l’ensemble de l’Union et où, pour les pays scandinaves, la chambre de recours a constaté qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments de preuve, cette dernière pouvait rejeter la revendication de la requérante fondée sur l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, sans qu’il eût été nécessaire d’examiner les preuves se rapportant au Royaume-Uni, à l’Irlande et à Malte.

66      Enfin, s’agissant d’une prétendue violation du droit à être entendue de la requérante, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement 2017/1001, les décisions de l’EUIPO ne peuvent être fondées que sur des motifs ou des preuves au sujet desquels les parties ont pu prendre position.

67      À cet égard, il convient de noter qu’il ressort de la communication de la chambre de recours du 14 août 2020 que celle-ci a indiqué à la requérante qu’« [elle devait] démontrer que la marque a[vait] acquis un caractère distinctif dans l’ensemble de l’Union » et qu’« [elle était] invitée à présenter ses observations sur la[dite] communication ». Contrairement à ce que prétend la requérante, cette communication impliquait donc qu’elle produisît d’autres éléments de preuve et lui a permis de se prononcer sur l’appréciation de l’étendue de la preuve du caractère distinctif acquis par la marque demandée.

68      De plus, il convient de relever que la requérante a compris qu’elle devait présenter d’autres éléments de preuve puisque, par lettre du 8 octobre 2020 adressée à la chambre de recours, elle a notamment indiqué, en réponse à la communication du 14 août 2020, vouloir compléter ses éléments de preuve pour prouver le caractère distinctif acquis par la marque demandée et a requis, à cette fin, un délai supplémentaire de deux mois, qui lui a été accordé par notification de la chambre de recours du 14 octobre 2020. Ce délai supplémentaire lui a, en outre, permis de disposer d’un délai suffisant pour présenter des preuves supplémentaires en réponse à la communication du 14 août 2020.

69      Il ressort de ce qui précède que la chambre de recours n’a pas violé l’article 94, paragraphe 1, du règlement 2017/1001.

70      Il convient par conséquent de rejeter le troisième moyen de la requérante et, partant, le recours dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le grief de celle-ci, soulevé lors de l’audience, tiré de l’irrecevabilité, en tant qu’élément nouveau, de l’annexe B. 1 jointe au mémoire en réponse de l’EUIPO.

 Sur les dépens

71      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Stryker Corp. est condamnée aux dépens.

Tomljenović

Schalin

Škvařilová-Pelzl

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 mars 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.