Language of document : ECLI:EU:F:2007:227

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE DE L’UNION EUROPÉENNE (deuxième chambre)

13 décembre 2007 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Reconstitution de la carrière – Absence de rapport de notation – Examen comparatif des mérites – Demande au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut – Recevabilité du recours – Fait nouveau et substantiel »

Dans l’affaire F‑130/05,

ayant pour objet un recours introduit au titre des articles 236 CE et 152 EA,

Carlos Alberto Soares, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par Mes S. Orlandi, A. Coolen, J.-N. Louis et É. Marchal, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mmes C. Berardis-Kayser et K. Herrmann, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de M. S. Van Raepenbusch (président), Mme I. Boruta et M. H. Kanninen (rapporteur), juges,

greffier : M. S. Boni, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 juin 2007,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 31 décembre 2005 par télécopie (le dépôt de l’original étant intervenu le 6 janvier 2006), M. Soares demande l’annulation de la décision de la Commission des Communautés européennes portant rejet de sa demande visant à obtenir la reconstitution de sa carrière (ci-après la « décision attaquée »).

 Faits à l’origine du litige

2        Le 16 octobre 1994, le requérant est entré au service de la Commission comme fonctionnaire stagiaire et a été affecté à la direction générale (DG) « Agriculture » de la Commission, en tant que dactylographe de grade C 5, échelon 3.

3        Le 23 mars 1995, le supérieur hiérarchique du requérant a établi son rapport de fin de stage, recommandant sa titularisation.

4        Par décision du 3 avril 1995, qui a pris effet le 16 avril suivant, le requérant a été titularisé dans ses grade et emploi.

5        Par décision du 14 juillet 1997, qui a pris effet rétroactivement le 1er janvier 1997, le requérant a été promu au grade C 4, sans que son rapport de notation pour la période du 1er juillet 1995 au 30 juin 1997 (ci-après le « rapport de notation 1995/1997 ») n’ait été établi.

6        Le rapport de notation du requérant pour la période du 1er juillet 1999 au 30 juin 2001 a été établi le 3 juillet 2001.

7        Par décision du 7 avril 2004, qui a pris effet au 1er avril 2003, le requérant a été promu au grade C 3.

8        Le 1er mai 2004, le grade du requérant a été renommé C*4, en application de l’article 2 de l’annexe XIII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, tel que modifié par le règlement (CE, Euratom) n° 723/2004 du Conseil, du 22 mars 2004 (JO L 124, p. 1) (ci-après le « statut »).

9        Le requérant a introduit, le 12 novembre 2004, une demande, au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut, visant à obtenir la « révision » de sa carrière depuis son entrée en service au sein de la Commission.

10      Par décision du 6 avril 2005, le chef de l’unité « Structure des carrières, évaluation et promotion » de la DG « Personnel et administration » a rejeté la demande du requérant. Il a admis que le rapport de notation 1995/1997 ainsi que celui correspondant à la période du 1er juillet 1997 au 30 juin 1999 (ci-après le « rapport de notation 1997/1999 ») n’avaient pas été établis, mais a soutenu que l’absence d’établissement de ces rapports n’avait porté aucun préjudice au requérant qui avait été promu, en 1997, au grade C 4 et, en 2003, au grade C 3.

11      Par note du 6 avril 2005, le chef de l’unité « Structure des carrières, évaluation et promotion » de la DG « Personnel et administration » a demandé au chef de l’unité I/05 de la DG « Agriculture et développement rural » d’effectuer les démarches nécessaires afin que les rapports de notation 1995/1997 et 1997/1999 soient établis dans les plus brefs délais.

12      Le 9 juin 2005, le requérant a introduit une réclamation, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut contre la décision rejetant sa demande de « révision » de carrière.

13      Les rapports de notation 1995/1997 et 1997/1999 ont été établis au cours de l’année 2005. Le requérant les a signés le 11 juillet 2005 et les a transmis, par lettre du 13 juillet 2005, à la DG « Personnel et administration », en vue de compléter sa réclamation.

14      Le requérant a obtenu, pour son rapport de notation 1995/1997, six appréciations « exceptionnel » et quatre appréciations « supérieur » et, pour son rapport de notation 1997/1999, sept appréciations « exceptionnel » et trois appréciations « supérieur ».

15      Par décision du 19 septembre 2005, dont le requérant a accusé réception le 23 septembre suivant, l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») a rejeté sa réclamation.

 Procédure et conclusions des parties

16      Par courrier parvenu au greffe du Tribunal le 18 avril 2006 par télécopie (le dépôt de l’original étant intervenu le 21 avril suivant), la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité, sur le fondement de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal de première instance des Communautés européennes, applicable mutatis mutandis au Tribunal à la date du dépôt de la requête, en vertu de l’article 3, paragraphe 4, de la décision 2004/752/CE, Euratom du Conseil, du 2 novembre 2004, instituant le Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne (JO L 333, p. 7), jusqu’à l’entrée en vigueur du règlement de procédure de ce dernier.

17      Le requérant a présenté ses observations sur cette exception, par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 19 mai 2006.

18      Par ordonnance du 17 juillet 2006, le Tribunal a décidé qu’il convenait de poursuivre la procédure et a joint au fond la demande de statuer sur l’irrecevabilité du recours.

19      À la suite du dépôt au greffe du Tribunal, le 15 septembre 2006, du mémoire en défense, l’avocat du requérant a demandé au Tribunal, par courrier parvenu au greffe le 14 novembre 2006, une prorogation du délai pour déposer le mémoire en réplique, dont le terme était initialement fixé à ce même 14 novembre 2006, au motif que son client éprouvait des difficultés à rassembler la documentation utile à la rédaction dudit mémoire. Le Tribunal n’a pas fait droit à cette demande.

20      En début d’audience, le Tribunal a attiré l’attention des parties sur le fait qu’il pourrait envisager, au cours de l’audience, la possibilité de rechercher un règlement amiable.

21      Une réunion informelle s’est tenue après que les parties ont plaidé. En l’absence d’accord entre les parties, l’audience a repris.

22      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

23      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme manifestement irrecevable et, en tout état de cause, comme non fondé ;

–        statuer sur les dépens comme de droit.

 Sur la recevabilité du recours

 Arguments des parties

24      La Commission conteste la recevabilité du recours aux motifs, d’une part, de l’absence d’acte faisant grief et, d’autre part, du non-respect de la procédure précontentieuse.

 Sur l’absence d’acte faisant grief

25      La Commission soutient que la note du 6 avril 2005 rejetant la demande du requérant visant à reconstituer sa carrière ne modifierait pas la situation juridique de l’intéressé. Cette décision ne ferait que confirmer une situation antérieure qui, elle seule, aurait pu être « constitutive de grief ».

26      En réalité, l’objet réel du litige consisterait en l’annulation, pour violation de l’article 45 du statut, des décisions de non-promotion du requérant prises, au titre des exercices de promotion successifs, à partir de 1999. Or, faute d’avoir été attaquées dans les délais statutaires par la voie d’une réclamation, ces décisions seraient devenues définitives. Dès lors, toujours selon la Commission, le présent recours en annulation serait irrecevable puisqu’il ne serait pas introduit contre un acte faisant grief au requérant au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut.

27      Le requérant affirme qu’il était bien recevable à demander que sa situation administrative soit régularisée par l’établissement de ses rapports de notation et par l’adoption de mesures de nature à réparer le préjudice subi dans le déroulement de sa carrière.

28      Le requérant rappelle que ce n’est qu’après l’introduction de sa réclamation que ses rapports de notation 1995/1997 et 1997/1999 ont été établis. Il ressortirait de ces rapports qu’il avait des mérites nettement supérieurs à ceux de certains fonctionnaires de son grade, promus lors des exercices de promotion s’étant déroulés entre 1995 et 2002. La Commission aurait donc été tenue de prendre toutes les mesures de nature à réparer le préjudice subi par le requérant en raison des fautes de service successives commises de par l’inexistence de ces rapports de notation.

29      Le requérant ajoute que, à tout le moins, l’établissement de ses rapports de notation 1995/1997 et 1997/1999 constituerait un fait substantiel nouveau de nature à contraindre l’AIPN à procéder, conformément à l’article 45 du statut, à un examen comparatif de ses mérites. À cet égard, il se réfère à l’arrêt du Tribunal de première instance du 15 septembre 1998, De Persio/Commission (T‑23/96, RecFP p. I‑A‑483 et II‑1413). À l’audience, le requérant a prétendu que les rapports de notation 1995/1997 et 1997/1999 constituaient des éléments nouveaux en ce que, en particulier, ils lui étaient particulièrement favorables, voire exceptionnels.

 Sur le non-respect de la procédure précontentieuse

30      La Commission affirme que le requérant n’a pas, dans le délai de trois mois prévu par l’article 90, paragraphe 2, du statut, introduit une réclamation contre la décision de ne pas le promouvoir au grade C 3 (prise sous forme de listes des fonctionnaires promus au grade C 3 sur lesquelles le nom du requérant ne figurait pas) pour la prétendue illégalité (absence d’examen comparatif régulier des mérites) existant à partir du premier exercice de promotion où sa candidature aurait pu être prise en considération sur la base de l’article 45 du statut (c’est-à-dire deux ans après sa dernière promotion en 1997). En outre, le requérant n’aurait pas demandé l’établissement de son rapport de notation 1995/1997 en 1997, ni celui du rapport de notation 1997/1999 en 1999 ou ultérieurement.

31      Ce n’est que le 12 novembre 2004, soit sept ans après la date à laquelle le rapport de notation 1995/1997 aurait dû être régulièrement établi et après sa promotion au grade C 3 en 2003, que le requérant aurait constaté, pour la première fois, un prétendu « retard » dans sa carrière dû, selon lui, à l’absence des rapports de notation 1995/1997 et 1997/1999, et aurait demandé à l’AIPN une « reconstitution de sa carrière ».

32      À cet égard, la Commission rappelle qu’il résulte d’une jurisprudence constante que, si aux termes de l’article 90, paragraphe 1, du statut, tout fonctionnaire peut demander à l’AIPN de prendre à son égard une décision, cette faculté ne permettrait cependant pas au fonctionnaire d’écarter les délais prévus par les articles 90 et 91 du statut pour l’introduction d’une réclamation et d’un recours, en mettant indirectement en cause, par le biais d’une demande, une décision antérieure qui n’a pas été contestée dans les délais.

33      Selon la Commission, le requérant estimerait que la décision de l’AIPN de ne pas avoir correctement procédé à l’examen comparatif de ses mérites pendant les exercices de promotion ayant abouti à des décisions de non-promotion prises à son égard lui ferait grief. À l’audience, la Commission a affirmé, que, eu égard à l’absence des rapports de notation 1995/1997 et 1997/1999 lors des exercices de promotion 1999 et 2000, les décisions implicites de non-promotion du requérant ont été entachées d’illégalité, ce en vertu d’une jurisprudence constante. Toutefois, le requérant n’aurait introduit dans les délais, ni réclamation ni recours contre ces décisions.

34      Faute pour le requérant d’avoir introduit une réclamation dans le délai de trois mois contre des décisions de non-promotion prises à son égard, il aurait tenté de rouvrir les délais, en détournant la procédure, par l’introduction, le 12 novembre 2004, d’une demande pour obtenir la mise en cause de décisions devenues définitives depuis de longues années.

35      La Commission fait remarquer que le requérant admet lui-même, dans sa demande du 12 novembre 2004, que, « [e]n effet, [il] n’avai[t] pas conscience de la gravité de ces erreurs, sinon, évidemment, [il] aurai[t] déjà introduit le recours ». Il serait donc, d’après la Commission, victime de sa propre ignorance.

36      Le fait que l’administration ait répondu à la demande de reconstitution de carrière formulée par le requérant ne saurait « valider » la méconnaissance par celui-ci de la procédure précontentieuse. En effet, l’AIPN aurait, dans la décision attaquée, attiré l’attention du requérant sur le fait qu’il avait « la faculté de saisir le comité de promotion en introduisant un recours dans les délais prescrits à chaque exercice de promotion ».

37      De même, la réclamation introduite le 9 juin 2005 contre la décision attaquée ne pourrait qu’être considérée comme manifestement irrecevable, bien que l’AIPN, dans un esprit d’ouverture et afin de trouver un règlement amiable au litige, n’ait pas relevé cette irrecevabilité dans sa réponse du 19 septembre 2005.

38      La Commission constate que, certes, d’après une jurisprudence constante, l’existence de faits substantiels nouveaux peut justifier la présentation d’une demande visant au réexamen de la carrière du requérant, c’est-à-dire au réexamen des décisions antérieures de ne pas le promouvoir qui n’ont pas été contestées dans les délais impartis. Toutefois, une telle dérogation à la règle relative aux délais prévus pour l’introduction des réclamations et des recours devrait être interprétée de manière restrictive.

39      Selon la Commission, on pourrait donc se demander si les rapports de notation 1995/1997 et 1997/1999, établis en juillet 2005, à la suite de la demande du requérant du 12 novembre 2004, en vue de reconstituer sa carrière, sont susceptibles d’être qualifiés de faits substantiels nouveaux au sens de cette jurisprudence. Toutefois, l’absence de ces deux rapports de notation aurait été connue du requérant dès 1997 pour le premier rapport, et dès 1999 pour le second rapport, mais il n’aurait rien entrepris lors de l’exercice de promotion 1997, puisqu’il a alors été promu au grade C 4 même sans ce rapport, ni ultérieurement et ce, pendant sept ans.

40      Aucune modification du cadre juridique ni aucun autre événement produisant des effets juridiques relatifs à l’importance du rapport de notation ne serait intervenu pendant cette période. Le requérant n’aurait, en outre, pas établi qu’il n’était pas en mesure de jure ou de facto, pendant toutes ces années, de faire usage des voies de recours statutaires pour mettre en cause la régularité de la procédure de promotion à son égard.

41      Par conséquent, le fait que l’AIPN ait, de bonne foi, procédé à l’établissement des rapports de notation 1995/1997 et 1997/1999 suite à une demande irrecevable du requérant qui aurait « découvert », après une période de sept ans, la possibilité de tirer parti de l’absence de ces deux rapports de notation en tant que possible moyen d’annulation des décisions de ne pas le promouvoir antérieures à cette demande ne saurait, sous peine de porter atteinte à la sécurité juridique, être assimilé à un fait nouveau susceptible de justifier une réouverture des délais de recours.

42      La Commission observe que c’est aussi dans ce sens que le Tribunal de première instance a jugé que la découverte ultérieure, par le fonctionnaire, d’un élément préexistant ne saurait, en principe, sous peine de ruiner le principe de sécurité juridique, être assimilée à un fait nouveau susceptible de justifier une réouverture des délais de recours. A fortiori, des éléments préexistants déjà connus de l’intéressé ne sauraient constituer des faits nouveaux et substantiels susceptibles de justifier une telle réouverture (ordonnance du Tribunal de première instance du 17 septembre 1998, Pagliarani/Commission, T‑40/98, RecFP p. I‑A‑515 et II‑1555, point 33).

43      Enfin, à supposer même que les deux rapports de notation puissent être qualifiés de faits nouveaux et substantiels, le requérant n’aurait pas, en l’espèce, introduit une demande de réexamen de décisions antérieures, fondée sur la survenance de ces faits nouveaux. Selon la Commission, il n’y aurait donc pas eu de demande s’appuyant sur l’établissement de ces deux rapports de notation, ni de réponse à une telle demande.

44      Le requérant soutient que la Commission n’avait pris, avant la décision attaquée, aucun acte lui faisant grief. À défaut de tout rapport de notation couvrant la période comprise entre son entrée en service et le 30 juin 1999 ou de toute autre information sur ses mérites pouvant être légalement prise en compte, dans le respect des principes rappelés par le Tribunal de première instance, dans son arrêt du 24 février 2000, Jacobs/Commission (T‑82/98, RecFP p. I‑A‑39 et II‑169), l’AIPN n’aurait pu procéder à l’examen comparatif de ses mérites avec ceux des fonctionnaires promouvables au titre des exercices de promotion s’étant déroulés entre 1995 et 2002. La Commission ne fournirait aucun élément établissant que la candidature du requérant aurait effectivement été prise en considération pour les exercices de promotion en question. Ainsi, la Commission resterait en défaut d’apporter la preuve qu’elle a effectivement décidé, pour ces exercices de promotion, de ne pas promouvoir le requérant et qu’elle a effectivement adopté un acte faisant grief.

45      À l’audience, le requérant a affirmé qu’il n’y avait jamais eu de décision de l’AIPN de ne pas le promouvoir. La publication d’une liste de fonctionnaires promus n’impliquerait pas qu’un fonctionnaire non promu ait fait l’objet d’une décision de non-promotion. Pour que l’AIPN puisse adopter une telle décision, il faudrait que les mérites du fonctionnaire concerné aient été examinés, même en l’absence de rapport de notation, ce qui n’aurait pas été le cas en l’espèce. À l’appui de son argumentation, le requérant a cité l’arrêt du Tribunal de première instance du 15 mars 2007, Katalagarianakis/Commission (T‑402/03, RecFP p. I‑A‑2‑0000 et II‑A‑2‑0000, point 96) aux termes duquel « la seule circonstance que la Commission ne prenne pas en considération en vue d’une promotion les fonctionnaires qui ne remplissent pas, à la date de l’exercice de promotion, les conditions pour être promus, n’a pas pu faire naître une décision fût-elle implicite ».

46      Enfin, pour justifier le fait qu’il n’avait pas réagi plus tôt à l’absence d’établissement des rapports de notation 1995/1997 et 1997/1999, le requérant a soutenu que, ayant été recruté en 1994 à un grade de base, on ne saurait s’attendre à ce qu’il ait connu les procédures de notation et de promotion, qui ne seraient pas simples et qui évolueraient rapidement. Ceci expliquerait que le requérant ne soit pas intervenu plus promptement.

 Appréciation du Tribunal

47      À titre liminaire, il y a lieu de considérer que, en contestant la décision attaquée par laquelle l’AIPN a rejeté sa demande de « réviser » sa carrière, le requérant critique certaines des décisions affectant sa promotion dans la carrière. Plus précisément, en soutenant que l’AIPN n’a pas, en l’absence de ses rapports de notation 1995/1997 et 1997/1999, procédé à un examen comparatif de ses mérites avec ceux des autres fonctionnaires, ce qui ne lui aurait pas permis de voir son nom inscrit sur la liste des fonctionnaires promus au grade C 4 au titre de l’exercice de promotion 1995, au grade C 3 au titre de l’exercice de promotion 1997, ou tout au moins au titre de l’exercice de promotion 1999, et au grade C 2 au titre d’un des exercices de promotion 2000 à 2002, le requérant conteste en réalité lesdites listes desquelles résulte sa non-promotion aux grades susmentionnés lors de chacun des exercices de promotion en question.

48      Or, conformément à une jurisprudence constante, constituent des actes ou des décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation les seules mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant, de façon caractérisée, la situation juridique de celui-ci. Lorsqu’il s’agit d’actes ou de décisions dont l’élaboration s’effectue en plusieurs phases, notamment au terme d’une procédure interne, ne constituent des actes attaquables que les mesures qui fixent définitivement la position de l’institution au terme de cette procédure, à l’exclusion des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale (arrêts du Tribunal de première instance du 15 juillet 1993, Camara Alloisio e.a./Commission, T‑17/90, T‑28/91 et T‑17/92, Rec. p. II‑841, point 39, et du 3 octobre 2000, Cubero Vermurie/Commission, T‑187/98, RecFP p. I‑A‑195 et II‑885, point 28).

49      Plus particulièrement, il convient de rappeler que la procédure de promotion s’achève par l’établissement de la liste des fonctionnaires promus. Cette décision finale identifie les fonctionnaires qui sont promus à l’occasion de l’exercice de promotion en cours. Dès lors, c’est au moment de la publication de cette liste que les fonctionnaires qui s’estimaient en mesure d’être promus prennent connaissance, d’une manière certaine et définitive, de l’appréciation de leurs mérites et que leur position juridique est affectée (arrêts du Tribunal de première instance du 21 novembre 1996, Michaël/Commission, T‑144/95, RecFP p. I‑A‑529 et II‑1429, point 30, et du 19 mars 2003, Tsarnavas/Commission, T‑188/01 à T‑190/01, RecFP p. I‑A‑95 et II‑495, point 73).

50      En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que le requérant conteste les décisions de non-promotion intervenues au titre des exercices de promotion qui se sont déroulés entre 1995 et 2002, en ce que, en l’absence des rapports de notation 1995/1997 et 1997/1999, l’AIPN ne pouvait procéder à un examen comparatif de ses mérites avec ceux des autres fonctionnaires en vue de son éventuelle promotion.

51      Or, le requérant n’a introduit de réclamation à l’encontre d’aucune des listes de fonctionnaires promus à l’issue des exercices de promotion en question. Il a seulement introduit auprès de l’AIPN, le 12 novembre 2004, une demande au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut, visant à la reconstitution de sa carrière.

52      Selon la jurisprudence, lorsque l’autorité compétente a pris une décision faisant grief à l’égard de l’intéressé, celui-ci n’est plus recevable à entamer la phase précontentieuse au stade de la demande et doit directement présenter une réclamation dirigée contre cet acte, comme le prescrit l’article 90, paragraphe 2, du statut (arrêt du Tribunal de première instance du 23 avril 1996, Mancini/Commission, T‑113/95, RecFP p. I‑A‑185 et II‑543, point 28 ; ordonnance du Tribunal de première instance du 1er avril 2003, Mascetti/Commission, T‑11/01, RecFP p. I‑A‑117 et II‑579, point 33). Un fonctionnaire ne saurait, en effet, en saisissant l’AIPN d’une demande au sens de l’article 90, paragraphe 1, du statut, faire renaître, à son profit, la possibilité d’introduite une réclamation et un recours contre une décision devenue définitive à l’expiration des délais prescrits par le statut (arrêt du Tribunal de première instance du 22 septembre 1994, Carrer e.a./Cour de justice, T‑495/93, RecFP p. I‑A‑201 et II‑651, point 20 ; ordonnance du Tribunal de première instance du 29 avril 2002, Hilden/Commission, T‑70/98, RecFP p. I‑A‑57 et II‑265, point 39). Seule l’existence d’un fait nouveau et substantiel peut justifier la présentation d’une demande tendant au réexamen d’une telle décision (arrêt de la Cour du 26 septembre 1985, Valentini/Commission, 231/84, Rec. p. 3027, point 14 ; ordonnance Hilden/Commission, précitée, point 39).

53      À cet égard, le requérant fait valoir que ce n’est que le 11 juillet 2005, date à laquelle il a reçu ses rapports de notation 1995/1997 et 1997/1999, qu’il disposait d’éléments lui permettant de demander une reconstitution de sa carrière.

54      Se pose dès lors la question de savoir si l’établissement des rapports de notation 1995/1997 et 1997/1999 constitue un fait nouveau et substantiel au sens de la jurisprudence précitée. À cet égard, il convient de faire une distinction entre les exercices de promotion qui se situent à des dates antérieures aux dates auxquelles les rapports de notation 1995/1997 et 1997/1999 auraient dû être régulièrement établis et ceux postérieurs à ces dernières dates.

55      S’agissant des exercices de promotion qui se sont déroulés avant 1997 et qui sont antérieurs aux dates auxquelles les rapports de notation 1995/1997 et 1997/1999 auraient dû être régulièrement établis, il y a lieu d’observer que le requérant ne peut avoir été affecté par l’absence desdits rapports. Dès lors, il ne peut invoquer l’établissement de ces rapports, le 11 juillet 2005, comme un fait nouveau et substantiel lui permettant d’attaquer une décision devenue définitive.

56      Quant aux exercices de promotion postérieurs aux dates auxquelles les rapports de notation 1995/1997 et 1997/1999 auraient dû être établis, à savoir les exercices qui se sont déroulés entre 1997 et 2002, il ressort de la jurisprudence que constitue un fait nouveau et substantiel la modification du rapport de notation si, lors de l’examen comparatif des mérites, l’AIPN avait tenu compte de la première version du rapport de notation, à savoir celle dans laquelle l’évaluation du requérant lui était plus défavorable. En effet, dans cette hypothèse, et au vu de la modification postérieure du rapport de notation, l’AIPN aurait alors dû réexaminer sa décision de non-promotion du requérant car elle aurait été prise au vu d’éléments et d’informations manifestement inexacts (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal de première instance du 26 octobre 1994, Marcato/Commission, T‑18/93, RecFP p. I‑A‑215 et II‑681, point 28 ; du 26 octobre 2000, Verheyden/Commission, T‑138/99, RecFP p. I‑A‑219 et II‑1001, point 42, et du 23 novembre 2006, Lavagnoli/Commission, T‑422/04, non publié au Recueil, point 93).

57      En dehors de cette hypothèse, il convient de rappeler que la liste des fonctionnaires promus fixe définitivement la position de l’AIPN de ne pas promouvoir le requérant au titre de l’exercice de promotion concerné et, par conséquent, constitue la décision qui lui fait grief (voir, en ce sens, arrêt Tsarnavas/Commission, précité, point 79). En conséquence, si le requérant s’estime lésé par une décision de l’AIPN de ne pas le promouvoir, il peut contester sa non-promotion même en l’absence de rapport de notation. S’il pense que l’absence de son rapport de notation a influencé le déroulement de la procédure de promotion à son détriment, il peut introduire un recours en annulation contre la décision de non-promotion (voir, en ce sens, arrêt Verheyden/Commission, précité, point 43).

58      En l’espèce, le requérant avait connaissance de ce que les rapports de notation 1995/1997 et 1997/1999 n’avaient pas été établis et que, dès lors, ils ne pouvaient pas être pris en compte lors des exercices de promotion litigieux. Rien n’empêchait le requérant d’introduire une réclamation contre l’une ou plusieurs des décisions de non-promotion le concernant, en s’appuyant sur le fait qu’il avait été désavantagé par le non-établissement de ses rapports de notation.

59      Pour justifier qu’il n’ait réagi qu’à la fin de l’année 2004, le requérant ne saurait invoquer le fait qu’il avait été initialement classé au grade C 5 et qu’il ne connaissait pas les procédures de notation et de promotion. En effet, selon la jurisprudence, les fonctionnaires sont censés connaître le statut (arrêt du Tribunal de première instance du 18 décembre 1997, Daffix/Commission, T‑12/94, RecFP p. I‑A‑453 et II‑1197, point 116). Or, les procédures de notation et de promotion sont visées par le statut et les dispositions générales d’exécution prévues par celui-ci. Il ressort également de la jurisprudence que les délais de réclamation et de recours fixés par les articles 90 et 91 du statut, destinés à assurer la clarté et la sécurité des situations juridiques, sont d’ordre public, de sorte qu’ils ne peuvent être laissés à la disposition des parties (voir arrêt de la Cour du 23 janvier 1997, Coen, C‑246/95, Rec. p. I‑403, point 21 ; arrêt du Tribunal de première instance du 15 novembre 2001, Van Huffel/Commission, T‑142/00, RecFP p. I‑A‑219 et II‑1011, point 28).

60      De surcroît, il y a lieu de constater que la demande du requérant a été introduite avant que ne soient établis les rapports de notation 1995/1997 et 1997/1999. En effet, les rapports de notation, dont le requérant fait valoir qu’ils constituent des faits nouveaux, ont été établis le 11 juillet 2005, soit plus de six mois après l’introduction de la demande de reconstitution de carrière, qui est datée du 12 novembre 2004. Or, comme il a déjà été rappelé, un fonctionnaire ne saurait, en saisissant l’AIPN d’une demande au sens de l’article 90, paragraphe 1, du statut, faire renaître, à son profit, un droit de recours contre une décision devenue définitive que si un fait nouveau et substantiel est intervenu préalablement à l’introduction de la demande.

61      De l’ensemble des considérations qui précèdent, il résulte que, en l’espèce, seules les listes des fonctionnaires promus au titre des exercices qui se sont déroulés entre 1995 et 2002 ont fixé définitivement la position de l’AIPN de ne pas promouvoir le requérant au titre de ces exercices de promotion et, par conséquent, constituent les décisions qui lui font grief. Conformément à l’article 90, paragraphe 2, et à l’article 91, paragraphe 2, du statut, en l’absence de réclamation introduite dans les délais contre ces décisions, le recours n’a pas été introduit régulièrement.

62      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument pris de ce qu’aucune décision de non-promotion n’aurait été prise à l’égard du requérant, en l’absence d’un examen comparatif des mérites de celui-ci et des autres fonctionnaires. Il est en effet de jurisprudence constante, comme précédemment rappelé, que c’est au moment de la publication de la liste des fonctionnaires promus que les fonctionnaires qui s’estimaient en mesure d’être promus prennent connaissance d’une manière certaine et définitive de l’appréciation de leurs mérites et que leur position juridique est affectée (arrêt Michaël/Commission, précité, point 30).

63      Sur ce dernier point, l’arrêt Katalagarianakis/Commission, précité, invoqué par le requérant à l’appui de sa démonstration n’est pas pertinent en l’espèce, dès lors que, dans cette affaire, le requérant ne remplissait pas les conditions pour être promu. Si une décision, fût-elle implicite, ne peut naître de l’absence de prise en compte par l’administration, en vue d’une promotion, des fonctionnaires qui ne remplissent pas les conditions pour être promus, il en est autrement des listes de fonctionnaires promus à l’égard des fonctionnaires non promus qui remplissent les conditions d’accès à la promotion. En l’espèce, il n’a pas été soutenu que le requérant ne remplissait pas les conditions pour être promu.

64      Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté comme irrecevable.

 Sur les dépens

65      En vertu de l’article 122 du règlement de procédure, les dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, relatives aux dépens et frais de justice, ne s’appliquent qu’aux affaires introduites devant le Tribunal à compter de l’entrée en vigueur de ce règlement de procédure, à savoir le 1er novembre 2007. Les dispositions du règlement de procédure du Tribunal de première instance pertinentes en la matière continuent à s’appliquer mutatis mutandis aux affaires pendantes devant le Tribunal avant cette date.

66      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal de première instance, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l’article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Le requérant ayant succombé en son recours, il y a lieu de décider que chaque partie supporte ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Chaque partie supporte ses propres dépens.

Van Raepenbusch

Boruta

Kanninen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 décembre 2007.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

      S. Van Raepenbusch


* Langue de procédure : le français.