Language of document : ECLI:EU:T:2023:330

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

14 juin 2023 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne verbale STONE BREWING – Marque de l’Union européenne verbale antérieure STONES – Motif relatif de refus – Usage sérieux de la marque antérieure – Risque de confusion – Article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 207/2009 [devenu article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001] »

Dans l’affaire T‑200/20,

Stone Brewing Co. LLC, établie à Escondido, Californie (États-Unis), représentée par Mes M. Kloth, R. Briske et D. Habel, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. D. Hanf, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Molson Coors Brewing Company (UK) Ltd, établie à Burton Upon Trent (Royaume-Uni), représentée par MM. G. Orchison, solicitor, et J. Abrahams, KC,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme A. Marcoulli, présidente, MM. S. Frimodt Nielsen et J. Schwarcz (rapporteur), juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Stone Brewing Co. LLC, demande l’annulation de la décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 31 janvier 2020 (affaire R 1524/2018-4) (ci-après la « décision attaquée »).

I.      Antécédents du litige

2        Le 11 mai 2016, la requérante a présenté à l’EUIPO une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne pour le signe verbal STONE BREWING.

3        La marque demandée désignait les produits relevant de la classe 32 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondant à la description suivante : « Bières et ales ».

4        Le 23 août 2016, l’intervenante, Molson Coors Brewing Company (UK) Ltd, a formé opposition à l’enregistrement de la marque demandée pour les produits visés au point 3 ci-dessus.

5        L’opposition était fondée sur les marques antérieures suivantes :

–        la marque de l’Union européenne verbale STONES, enregistrée le 13 juin 2010 sous le numéro 8 810 707, désignant les produits relevant de la classe 32 et correspondant à la description suivante : « Bières ; bière amère ; lager » ;

–        la marque verbale du Royaume-Uni STONES, enregistrée le 21 mai 1980, désignant les produits relevant de la classe 32 et correspondant à la description suivante : « Bière amère destinée à la vente en Angleterre, dans l’île de Man et dans les comtés de Clwyd et Gwynedd ».

6        Le motif invoqué à l’appui de l’opposition était celui visé à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1) [devenu article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

7        Le 17 mai 2017, l’EUIPO a rejeté la demande de la requérante tendant à ce que la procédure soit suspendue en raison des incertitudes liées au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique. À la même date, à la demande de la requérante, il a invité l’intervenante à apporter la preuve de l’usage sérieux des marques antérieures invoquées à l’appui de l’opposition. Cette dernière a déféré à ladite demande dans le délai imparti.

8        Le 30 juillet 2018, la division d’opposition a fait droit à l’opposition.

9        Le 3 août 2018, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’opposition.

10      Par la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté le recours en fondant son raisonnement uniquement sur la marque de l’Union européenne antérieure de l’intervenante. Premièrement, elle a rejeté à nouveau la demande de la requérante tendant à ce que la procédure soit suspendue en raison des incertitudes liées au retrait du Royaume-Uni de l’Union. Deuxièmement, elle a considéré que l’intervenante avait présenté, devant la division d’opposition, des preuves suffisantes de l’usage sérieux de sa marque de l’Union européenne antérieure en ce qui concerne la « bière amère ». Troisièmement, elle a constaté qu’il existait un risque de confusion au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

II.    Conclusions des parties

11      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        déclarer la validité de la marque contestée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

12      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens en cas de convocation à une audience.

13      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

III. En droit

14      À titre liminaire, il convient de relever que, compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement en cause, à savoir le 11 mai 2016, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis par les dispositions matérielles du règlement no 207/2009 (voir, en ce sens, arrêts du 8 mai 2014, Bimbo/OHMI, C‑591/12 P, EU:C:2014:305, point 12, et du 18 juin 2020, Primart/EUIPO, C‑702/18 P, EU:C:2020:489, point 2 et jurisprudence citée).

15      Par ailleurs, dans la mesure où, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45 et jurisprudence citée), le litige est régi par les dispositions procédurales du règlement 2017/1001. Toutefois, en application de l’article 82, paragraphe 2, sous d) et p), du règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001, et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1), il convient d’entendre les références faites par la requérante dans l’argumentation soulevée, par la chambre de recours et par l’intervenante à l’article 71, paragraphe 1, sous b), et à l’article 10, paragraphe 3, du règlement délégué 2018/625, comme visant, respectivement, la règle 20, paragraphe 7, sous c), et la règle 22, paragraphe 3, d’une teneur, en substance, identique, du règlement (CE) no 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement (CE) no 40/94 du Conseil sur la marque communautaire (JO 1995, L 303, p. 1).

A.      Sur la phase orale de la procédure

16      Aux termes de l’article 106 du règlement de procédure du Tribunal :

« 1. La procédure devant le Tribunal comporte, dans sa phase orale, une audience de plaidoiries organisée soit d’office soit à la demande d’une partie principale.

2. La demande d’audience de plaidoiries par une partie principale doit indiquer les motifs pour lesquels celle-ci souhaite être entendue. […]

3. En l’absence de demande visée au paragraphe 2, le Tribunal peut, s’il s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier de l’affaire, décider de statuer sur le recours sans phase orale de la procédure. […]. »

17      Il ressort ainsi des termes de l’article 106 du règlement de procédure que, en l’absence de demande d’audience de plaidoiries, par une partie principale, indiquant les motifs pour lesquels elle souhaite être entendue, le Tribunal peut, s’il s’estime suffisamment éclairé, statuer sur le recours sans phase orale de la procédure.

18      En l’espèce, la requérante a formulé, dans sa requête, une demande d’audience de plaidoiries. Elle a réitéré sa demande d’audience dans sa réponse écrite à une question posée par le Tribunal dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure.

19      Toutefois, il apparaît que ces deux demandes sont dépourvues de motivation dans la mesure où elles n’indiquent aucun motif pour lequel la requérante souhaite être entendue.

20      Par ailleurs, dans son courrier du 7 septembre 2022 informant les parties principales de la clôture de la phase écrite de la procédure, le greffe du Tribunal a notamment rappelé les dispositions de l’article 106, paragraphe 2, du règlement de procédure.

21      À la suite de ce courrier, la requérante n’a pas réitéré de demande d’audience.

22      Il résulte des considérations exposées aux points 16 à 21 ci-dessus que la requérante n’a pas présenté une demande d’audience conformément aux exigences de l’article 106, paragraphe 2, du règlement de procédure et que, dans ces conditions, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, a décidé de statuer sur le recours sans phase orale de la procédure, conformément à l’article 106, paragraphe 3, dudit règlement.

B.      Sur le deuxième chef de conclusions de la requérante

23      Par son deuxième chef de conclusions, la requérante demande que le Tribunal « déclare la validité de la marque contestée ».

24      Un tel chef de conclusions, qui vise à obtenir un jugement déclaratoire, doit être rejeté comme étant porté devant une juridiction incompétente pour en connaître [voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2011, Dorma/OHMI – Puertas Doorsa (doorsa FÁBRICA DE PUERTAS AUTOMÁTICAS), T‑500/10, non publié, EU:T:2011:679, point 17 et jurisprudence citée].

C.      Sur les conclusions en annulation

25      La requérante invoque, en substance, trois moyens, tirés, le premier, de la violation de la règle 20, paragraphe 7, sous c), du règlement no 2868/95, le deuxième, de la violation de l’article 47, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 et de la règle 20, paragraphe 3, du règlement no 2868/95 et, le troisième, de l’absence de risque de confusion au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

1.      Sur le premier moyen, tiré de la violation de la règle 20, paragraphe 7, sous c), du règlement no 2868/95

26      La requérante soutient, en substance, que, en refusant de faire droit à sa demande de suspension de la procédure, la chambre de recours a violé la règle 20, paragraphe 7, sous c), du règlement no 2868/95.

27      Premièrement, la requérante fait valoir que la chambre de recours a interprété à tort sa demande de suspension comme étant formulée à titre « subsidiaire », alors que celle-ci était « indépendante et autonome ». Deuxièmement, elle reproche à la chambre de recours de ne pas avoir suffisamment pris en considération les incertitudes juridiques liées au retrait du Royaume-Uni de l’Union. Pourtant, selon elle, ces incertitudes affectaient le domaine des marques et justifiaient la suspension de la procédure devant ladite chambre.

28      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

29      Aux termes de la règle 20, paragraphe 7, sous c), du règlement no 2868/95, l’EUIPO peut suspendre la procédure d’opposition lorsque les circonstances justifient une telle suspension.

30      Selon la jurisprudence, la chambre de recours dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour suspendre ou non la procédure de recours. La suspension demeure une faculté pour la chambre de recours, qui ne la prononce que lorsqu’elle l’estime justifiée [voir arrêt du 20 septembre 2017, Jordi Nogues/EUIPO – Grupo Osborne (BADTORO), T-386/15, EU:T:2017:632, point 21 et jurisprudence citée].

31      Néanmoins, la circonstance que la chambre de recours dispose d’un large pouvoir d’appréciation afin de suspendre la procédure en cours devant elle ne soustrait pas son appréciation au contrôle du juge de l’Union. Cette circonstance restreint cependant ledit contrôle quant au fond à la vérification de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation ou de détournement de pouvoir (voir arrêt du 20 septembre 2017, BADTORO, T-386/15, EU:T:2017:632, point 22 et jurisprudence citée).

32      À cet égard, il ressort de la jurisprudence que, lors de l’exercice de son pouvoir d’appréciation relatif à la suspension de la procédure, la chambre de recours doit respecter les principes généraux régissant une procédure équitable au sein d’une Union de droit. Par conséquent, lors dudit exercice, elle doit non seulement tenir compte de l’intérêt de la partie dont la marque ou la demande de marque de l’Union européenne est contestée, mais également de celui des autres parties. La décision de suspendre ou de ne pas suspendre la procédure doit être le résultat d’une mise en balance des intérêts en cause [voir arrêts du 20 septembre 2017, BADTORO, T-386/15, EU:T:2017:632, point 23 et jurisprudence citée, et du 16 mai 2019, KID-Systeme/EUIPO – Sky (SKYFi), T‑354/18, non publié, EU:T:2019:333, point 60 et jurisprudence citée].

33      En l’espèce, la chambre de recours a rejeté la demande de suspension introduite par la requérante en la considérant comme irrecevable et, en tout état de cause, comme non fondée.

34      La chambre de recours a considéré que la demande de suspension était irrecevable au motif qu’elle a été présentée à titre « subsidiaire » par la requérante, en ce sens que celle-ci souhaitait que la chambre de recours se prononce sur le fond de l’affaire, mais uniquement si la décision de ladite chambre lui était favorable. De plus, la demande de suspension ne reposerait pas, selon la chambre de recours, sur des motifs légitimes.

35      La chambre de recours a également constaté que, en tout état de cause, la demande de suspension était dénuée de fondement, car, durant toute la période pertinente aux fins de la preuve de l’usage sérieux de la marque de l’Union européenne antérieure invoquée à l’appui de l’opposition, le Royaume-Uni était encore un État membre de l’Union.

36      Sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur l’argument de la requérante selon lequel la chambre de recours aurait interprété à tort sa demande de suspension comme étant formulée à titre subsidiaire, il y a lieu de constater que, en tout état de cause, c’est sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la chambre de recours a estimé que ladite demande était dépourvue de fondement, compte tenu du fait que, pendant la période pertinente, à savoir du 11 mai 2011 au 10 mai 2016, le Royaume-Uni faisait partie de l’Union, de sorte que l’intervenante était en droit d’invoquer sa marque de l’Union européenne antérieure et que l’usage de celle-ci dans ce pays constituait un usage dans un État membre de l’Union.

37      En effet, conformément à l’avis relatif à l’entrée en vigueur de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 189), cet accord est entré en vigueur le 1er février 2020, soit un jour après la date d’adoption de la décision attaquée.

38      Il en découle que, tant à la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée qu’à la date de la décision attaquée, le droit de l’Union restait pleinement en vigueur au Royaume-Uni et que le retrait à intervenir de cet État de l’Union devait être regardé comme sans incidence sur l’issue de la procédure [voir, en ce sens, arrêts du 29 novembre 2018, Alcohol Countermeasure Systems (International)/EUIPO, C‑340/17 P, non publié, EU:C:2018:965, points 116 à 118, et du 30 janvier 2020, Grupo Textil Brownie/EUIPO – The Guide Association (BROWNIE), T‑598/18, EU:T:2020:22, point 19].

39      Partant, contrairement à ce que soutient la requérante, il n’existait pas, à la date de la décision attaquée, des « incertitudes juridiques » liées au retrait du Royaume-Uni de l’Union qui auraient justifié la suspension de la procédure devant l’EUIPO.

40      Par ailleurs, selon la jurisprudence rappelée au point 30 ci-dessus, la suspension demeure une faculté pour la chambre de recours, qui ne la prononce que lorsqu’elle l’estime justifiée. En l’espèce, la chambre de recours a indiqué les raisons pour lesquelles elle considérait que, au vu des éléments produits par les parties, une suspension de la procédure ne pouvait être accordée, en invoquant les motifs mentionnés aux points 34 et 35 ci-dessus. Il en découle que, sur le fondement des données dont elle disposait, elle a pris la décision de ne pas accorder la suspension demandée par la requérante tout en mettant en balance, implicitement mais nécessairement, les intérêts des parties devant elle.

41      Par conséquent, la requérante n’a pas démontré que « les circonstances », au sens de la règle 20, paragraphe 7, sous c), du règlement no 2868/95, justifiaient la suspension de la procédure devant la chambre de recours et, partant, c’est à juste titre que cette dernière a considéré que la demande de suspension formulée par la requérante devait être rejetée.

42      Partant, le premier moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

2.      Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 47, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 et de la règle 22, paragraphe 3, du règlement no 2868/95

43      La requérante estime que c’est à tort que la chambre de recours a constaté que la marque de l’Union européenne antérieure invoquée par l’intervenante avait fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union. Les éléments de preuve présentés par cette dernière ne seraient pas suffisants pour prouver un tel usage durant la période pertinente, à savoir du 11 mai 2011 au 10 mai 2016.

44      En particulier, la requérante fait observer, tout d’abord, que la déclaration sous serment de la responsable des marques de l’intervenante et les factures, produites devant la division d’opposition comme éléments de preuve de l’usage sérieux concernant les produits en cause, sont des documents élaborés par l’intervenante elle-même, dont le contenu n’a pas été étayé par des preuves complémentaires provenant d’une source indépendante. Elle ajoute que les brochures de l’intervenante ne constituent pas non plus une preuve suffisante de l’usage sérieux. Ensuite, selon la requérante, le nombre d’éléments fournis est globalement trop limité, eu égard au fait que la bière est un produit de masse et que l’intervenante est l’un des plus grands brasseurs au monde. De plus, ces éléments ne montrent, selon elle, un usage que dans une zone réduite du Royaume-Uni et ne concernent que la « bière amère », alors que l’usage sérieux aurait dû être établi concernant la bière en général.

45      L’EUIPO et l’intervenante contestent l’argumentation de la requérante.

46      Aux termes de l’article 47, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, sur requête du demandeur, le titulaire d’une marque de l’Union européenne antérieure qui a formé opposition apporte la preuve que, au cours des cinq années qui précèdent la date de dépôt ou la date de priorité de la demande de marque de l’Union européenne, la marque de l’Union européenne antérieure a fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et sur lesquels l’opposition est fondée, ou qu’il existe de justes motifs pour le non-usage, pour autant que, à cette date, la marque antérieure soit enregistrée depuis cinq ans au moins. À défaut d’une telle preuve, l’opposition est rejetée. Si la marque de l’Union européenne antérieure n’a été utilisée que pour une partie des produits ou des services pour lesquels elle est enregistrée, elle n’est réputée enregistrée, aux fins de l’examen de l’opposition, que pour cette partie des produits ou des services.

47      Aux termes de la règle 22, paragraphe 3, du règlement no°2868/95, « [l]es indications et les preuves à produire afin de prouver l’usage de la marque comprennent des indications sur le lieu, la durée, l’importance et la nature de l’usage qui a été fait de la marque antérieure pour les produits et services pour lesquels elle est enregistrée et sur lesquels l’opposition est fondée, ces indications devant être fournies, preuves à l’appui, conformément au paragraphe 4 ».

48      De plus, selon la règle 22, paragraphe 4, du règlement no°2868/95, les preuves de l’usage peuvent être, par exemple, « des emballages, des étiquettes, des barèmes de prix, des catalogues, des factures, des photographies, des annonces dans les journaux, ainsi [que les] déclarations écrites visées à [l’article 97, paragraphe 1, point f), du règlement 2017/1001] », c’est-à-dire, aux termes de cette dernière disposition des « déclarations écrites faites sous serment ou solennellement ou qui ont un effet équivalent d’après le droit de l’État dans lequel elles sont faites ».

49      Aux fins de l’interprétation de la notion d’usage sérieux, il convient de prendre en compte le fait que la ratio legis de l’exigence selon laquelle la marque antérieure doit avoir fait l’objet d’un usage sérieux pour être opposable à une demande de marque de l’Union européenne consiste à limiter les conflits entre deux marques, à moins qu’il n’existe un juste motif économique à l’absence d’usage sérieux de la marque antérieure découlant d’une fonction effective de celle-ci sur le marché. En revanche, l’exigence d’un usage sérieux ne vise ni à évaluer la réussite commerciale ni à contrôler la stratégie économique d’une entreprise ou encore à réserver la protection des marques à leurs seules exploitations commerciales quantitativement importantes [voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2004, Sunrider/OHMI – Espadafor Caba (VITAFRUIT), T‑203/02, EU:T:2004:225, point 38].

50      Une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque (voir, par analogie, arrêt du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, EU:C:2003:145, point 43). De plus, la condition relative à l’usage sérieux de la marque exige que celle-ci, telle qu’elle est protégée sur le territoire pertinent, soit utilisée publiquement et vers l’extérieur (arrêt du 8 juillet 2004, VITAFRUIT, T‑203/02, EU:T:2004:225, point 39 ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, EU:C:2003:145, point 37).

51      Quant à l’importance de l’usage qui a été fait de la marque antérieure, il convient de tenir compte, notamment, du volume commercial de l’ensemble des actes d’usage, d’une part, et de la durée de la période pendant laquelle des actes d’usage ont été accomplis ainsi que de la fréquence de ces actes, d’autre part [arrêts du 8 juillet 2004, MFE Marienfelde/OHMI – Vétoquinol (HIPOVITON), T‑334/01, EU:T:2004:223, point 35, et du 8 juillet 2004, VITAFRUIT, T‑203/02, EU:T:2004:225, point 41].

52      Pour examiner, dans un cas d’espèce, le caractère sérieux de l’usage d’une marque antérieure, il convient de procéder à une appréciation globale en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce. Cette appréciation implique une certaine interdépendance des facteurs pris en compte. Ainsi, un faible volume de produits commercialisés sous ladite marque peut être compensé par une forte intensité ou une grande constance dans le temps de l’usage de cette marque et inversement (arrêts du 8 juillet 2004, HIPOVITON, T‑334/01, EU:T:2004:223, point 36, et du 8 juillet 2004, VITAFRUIT, T‑203/02, EU:T:2004:225, point 42).

53      Un usage même minime peut être suffisant pour être qualifié de sérieux, à condition qu’il soit considéré comme justifié, dans le secteur économique concerné, pour maintenir ou créer des parts de marché pour les produits ou les services protégés par la marque. Ainsi, il n’est pas possible de fixer a priori, de façon abstraite, quel seuil quantitatif devrait être retenu pour déterminer si l’usage avait ou non un caractère sérieux, de sorte qu’une règle de minimis, qui ne permettrait pas à l’EUIPO ou, sur recours, au Tribunal d’apprécier l’ensemble des circonstances du litige qui leur est soumis, ne saurait être fixée (arrêt du 11 mai 2006, Sunrider/OHMI, C‑416/04 P, EU:C:2006:310, point 72).

54      L’usage sérieux d’une marque ne peut pas être démontré par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une utilisation effective et suffisante de la marque sur le marché concerné [arrêts du 12 décembre 2002, Kabushiki Kaisha Fernandes/OHMI – Harrison (HIWATT), T‑39/01, EU:T:2002:316, point 47, et du 6 octobre 2004, Vitakraft-Werke Wührmann/OHMI – Krafft (VITAKRAFT), T‑356/02, EU:T:2004:292, point 28].

55      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient de déterminer si la chambre de recours a conclu à juste titre que l’intervenante avait apporté la preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure de l’Union, en ce qui concerne la « bière amère ».

56      Dans la décision attaquée, la chambre de recours a examiné l’existence d’un risque de confusion en se fondant exclusivement sur la marque de l’Union européenne antérieure de l’intervenante, sans examiner l’existence d’un tel risque au regard de la marque du Royaume-Uni antérieure de celle-ci. Au préalable, elle a donc uniquement apprécié l’usage de cette marque de l’Union européenne et non celui de la marque nationale antérieure.

57      À cet égard, la chambre de recours a conclu que les preuves présentées à la division d’opposition suffisaient à prouver l’usage sérieux de la marque de l’Union européenne antérieure de l’intervenante, en ce qui concerne la « bière amère ». Par ailleurs, elle a considéré que, dans la mesure où la requérante avait allégué que le contenu de la déclaration sous serment était faux, l’intervenante était en droit d’apporter des preuves supplémentaires afin de répondre à cette allégation. Ces preuves, consistant en de nombreuses factures, confirment, selon la chambre de recours, que la marque antérieure a été utilisée à très grande échelle et dans l’ensemble du Royaume-Uni au cours de la période pertinente. La chambre de recours a également considéré que l’usage sérieux avait été prouvé dans un État membre de l’Union durant cette période et que cela était suffisant en dépit des énormes quantités de bières vendues chaque année dans l’Union.

58      À titre liminaire, il convient de relever que, la demande d’enregistrement de la marque de l’Union européenne contestée ayant été déposée le 11 mai 2016, la période pertinente de cinq années visée à l’article 47, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 s’est étendue du 11 mai 2011 au 10 mai 2016, ce qui n’est, au demeurant, contesté par aucune des parties.

59      Afin de démontrer l’usage sérieux de la marque de l’Union européenne antérieure, l’intervenante a produit les documents suivants devant la division d’opposition :

–        une déclaration, faite sous serment, de sa responsable des marques, attestant l’utilisation de la marque de l’Union européenne antérieure au Royaume-Uni durant la période pertinente, en ce qui concerne la « bière amère » ;

–        des factures de vente de 2012 et 2013, annexées à ladite déclaration de la responsable des marques, concernant notamment la « bière amère » vendue sous la marque de l’Union européenne antérieure ;

–        des brochures publicitaires concernant notamment la « bière amère » vendue sous la marque de l’Union européenne antérieure ;

–        une capture d’écran montrant un site Internet sur lequel la marque de l’Union européenne antérieure apparaît apposée sur un verre de bière.

60      En outre, en réponse aux arguments de la requérante devant la chambre de recours, l’intervenante a présenté des éléments de preuve supplémentaires, dont une autre déclaration faite sous serment par sa responsable des marques, à laquelle étaient notamment jointes plusieurs dizaines de factures datées de 2013, 2014, 2015, 2016, 2017 et 2018, concernant notamment la « bière amère » vendue par l’intervenante sous la marque de l’Union européenne antérieure. Des brochures publicitaires étaient aussi jointes à cette déclaration supplémentaire. La chambre de recours a considéré ces éléments de preuve additionnels comme étant recevables, ce qui, au demeurant, n’est pas contesté dans la présente procédure.

61      La chambre de recours ayant pris en considération l’ensemble des éléments de preuve présentés par l’intervenante à l’EUIPO, c’est-à-dire tant ceux produits devant la division d’opposition que ceux déposés pour la première fois devant ladite chambre, le Tribunal tiendra également compte de l’ensemble de ces éléments.

62      Premièrement, s’agissant du lieu de l’usage de la marque de l’Union européenne antérieure, il convient de relever que les factures jointes aux deux déclarations sous serment présentées par l’intervenante sont rédigées en anglais et le prix de la « bière amère » y est indiqué en livres sterling. En outre, les factures sont destinées à des clients dont les adresses postales sont situées au Royaume-Uni. Au demeurant, il est constant entre les parties que les éléments produits par l’intervenante établissent que cette marque a été utilisée au Royaume-Uni.

63      Deuxièmement, en ce qui concerne la durée de l’usage, il convient de rappeler que tombent sous le coup des sanctions prévues par l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 [devenu article 18, paragraphe 1, du règlement 2017/1001] les seules marques dont l’usage sérieux a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans. Partant, il suffit qu’une marque ait fait l’objet d’un usage sérieux pendant une partie de cette période pour qu’elle échappe auxdites sanctions [arrêt du 15 juillet 2015, TVR Automotive/OHMI – TVR Italia (TVR ITALIA), T‑398/13, EU:T:2015:503, point 52]. En l’espèce, la période pertinente a commencé le 11 mai 2011 et s’est terminée le 10 mai 2016 (voir point 58 ci-dessus). Or, parmi les factures jointes aux deux déclarations sous serment présentées par l’intervenante, plus de trente d’entre elles sont datées entre 2012 et 2016 et sont comprises dans la période pertinente. Dès lors, l’usage de la marque de l’Union européenne antérieure pendant au moins une partie de la période pertinente a été démontré.

64      Troisièmement, concernant l’importance de l’usage, il y a lieu de relever que les deux déclarations sous serment font état de ventes ayant eu lieu pendant la période pertinente et s’élevant à plusieurs dizaines de milliers d’hectolitres de « bière amère » vendue sous la marque de l’Union européenne antérieure. Comme l’exige la jurisprudence (voir arrêt du 30 janvier 2020, BROWNIE, T‑598/18, EU:T:2020:22, point 76 et jurisprudence citée), les déclarations sous serment sont corroborées par d’autres éléments, notamment les factures qui leur sont jointes et qui sont comprises dans la période pertinente. Ainsi, la combinaison des déclarations et des factures permet d’établir le caractère suffisant du volume et de la fréquence des ventes de « bière amère » au cours de la période pertinente, de sorte que la chambre de recours a pu valablement constater qu’un usage symbolique de la marque de l’Union européenne antérieure était exclu et que l’usage sérieux de celle-ci était démontré.

65      Quatrièmement, s’agissant de la nature de l’usage, il convient de relever que les factures, les brochures et les autres documents présentés devant la division d’opposition et la chambre de recours, de même que ceux produits à titre complémentaire devant ladite chambre, démontrent que la marque de l’Union européenne antérieure a été utilisée durant la période pertinente pour garantir que la « bière amère » vendue sous cette marque provenait de l’intervenante. En effet, ces factures, brochures et autres documents, tels qu’une capture d’écran montrant un site Internet sur lequel la marque de l’Union européenne antérieure apparaît apposée sur un verre de bière, ou d’autres captures d’écran ou des brochures montrant des cannettes de bière sur lesquelles cette marque est aussi apposée, ou encore une photographie d’un robinet de bière sur lequel ladite marque figure également, mettent suffisamment en relief ladite marque pour qu’il soit conclu que celle-ci était utilisée publiquement et vers l’extérieur (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2004, VITAFRUIT, T‑203/02, EU:T:2004:225, point 39).

66      Cette constatation n’est pas remise en cause par le fait que les brochures produites comme éléments de preuve comportent des dates manuscrites, ainsi que le fait valoir la requérante. En effet, il convient de rappeler que c’est la prise en considération de l’ensemble des éléments soumis à l’appréciation de la chambre de recours qui doit permettre d’établir la preuve de l’usage sérieux d’une marque [voir, en ce sens, arrêt du 13 février 2015, Husky CZ/OHMI – Husky of Tostock (HUSKY), T‑287/13, EU:T:2015:99, point 67]. Partant, même s’il est fait abstraction des dates manuscrites sur les brochures publicitaires ainsi produites, celles-ci étayent les autres éléments de preuve présentés par l’intervenante en montrant, elles aussi, que la marque de l’Union européenne antérieure était utilisée publiquement et vers l’extérieur.

67      Il résulte des considérations qui précèdent que la chambre de recours a conclu à juste titre que l’intervenante avait démontré l’usage sérieux de la marque de l’Union européenne antérieure au cours de la période pertinente, en ce qui concerne la « bière amère ».

68      Aucun des arguments de la requérante ne saurait infirmer cette conclusion.

69      En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la déclaration sous serment et les factures présentées à la division d’opposition sont des documents élaborés par l’intervenante elle-même, dont le contenu n’a pas été étayé par des preuves complémentaires de source indépendante, il convient de rappeler qu’il résulte expressément des dispositions de la règle 22, paragraphe 4, du règlement no°2868/95, rappelées au point 48 ci-dessus, que, en principe, des documents ayant la nature de factures ou d’une déclaration faite sous serment, tels que ceux produits dans la présente affaire devant la division d’opposition, constituent des pièces justificatives de l’usage qui ne sauraient être dépourvues de valeur probante du seul fait qu’elles ont été élaborées par l’intervenante elle-même.

70      Ensuite, il y a lieu de rappeler que, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut, en premier lieu, vérifier la vraisemblance et la véracité de l’information qui y est contenue. À cet égard, il faut tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration, de son destinataire, et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable [arrêt du 23 septembre 2009, Cohausz/OHMI – Izquierdo Faces (acopat), T‑409/07, non publié, EU:T:2009:354, point 49].

71      En l’espèce, la déclaration présentée à la division d’opposition a été établie par la responsable des marques de l’intervenante aux fins de démontrer l’usage sérieux de ses marques antérieures STONES, y compris sa marque de l’Union européenne antérieure invoquée dans la présente affaire. Cette déclaration indique le volume des ventes annuelles, de 2011 à 2016, de « bière amère » sous ces marques au Royaume-Uni et son contenu est corroboré notamment par les factures qui lui sont jointes, mais aussi par les factures jointes à la seconde déclaration sous serment, produite devant la chambre de recours. De plus, toutes ces factures sont adressées à des revendeurs, comme des supermarchés, dont l’indépendance par rapport à l’intervenante n’a pas été contestée.

72      La combinaison des deux déclarations sous serment et des factures qui leur sont jointes confirme des volumes de vente suffisants pour démontrer un usage sérieux, bien que, comme la requérante et l’intervenante le relèvent, il s’agisse d’un produit vendu au grand public.

73      S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel les éléments présentés par l’intervenante ne concernent qu’une zone réduite du Royaume-Uni, dont la pertinence est d’autant moindre en raison de son retrait de l’Union, celui-ci doit être écarté, et ce pour deux motifs. D’une part, comme cela a été exposé aux points 36 à 38 ci-dessus, étant donné que, pendant toute la période pertinente, le Royaume-Uni faisait partie de l’Union, son retrait ultérieur n’avait aucune incidence, en l’espèce, sur l’appréciation de l’usage de la marque de l’Union européenne antérieure. D’autre part, il convient de rappeler que l’importance territoriale de l’usage n’est qu’un des facteurs devant être pris en compte, parmi d’autres, pour déterminer s’il est sérieux ou non (voir, en ce sens, arrêt du 11 mai 2006, Sunrider/OHMI, C‑416/04 P, EU:C:2006:310, point 76) et que le caractère sérieux de l’usage d’une marque antérieure s’apprécie globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce, cette appréciation impliquant une certaine interdépendance des facteurs pris en compte (voir, en ce sens, arrêts du 8 juillet 2004, HIPOVITON, T‑334/01, EU:T:2004:223, point 36, et du 8 juillet 2004, VITAFRUIT, T‑203/02, EU:T:2004:225, point 42). Or, comme il résulte de l’appréciation globale effectuée aux points 58 à 67 ci-dessus, les éléments de preuve présentés par l’intervenante à l’EUIPO démontrent l’usage sérieux de la marque de l’Union européenne antérieure invoquée à l’appui de l’opposition, en ce qui concerne la « bière amère ».

74      S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel les éléments de preuve produits par l’intervenante ne concernent que la « bière amère » alors que l’usage sérieux aurait dû être établi concernant la « bière » en général, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 47, paragraphe 2 in fine, du règlement 2017/1001, si la marque de l’Union européenne antérieure n’a été utilisée que pour une partie des produits ou des services pour lesquels elle est enregistrée, elle n’est réputée enregistrée, aux fins de l’examen de l’opposition, que pour cette partie des produits ou des services. Or, la chambre de recours a fait une correcte application de cette disposition en examinant l’ensemble des éléments de preuve qui lui avaient été présentés et en concluant que l’intervenante avait prouvé le caractère sérieux de l’usage de sa marque de l’Union européenne antérieure uniquement en ce qui concerne la « bière amère ». La chambre de recours pouvait alors valablement se fonder sur cette conclusion pour procéder à l’analyse du risque de confusion, sans devoir exiger de la part de l’intervenante la preuve d’un usage sérieux de cette marque en ce qui concerne la « bière » en général.

75      Quant aux décisions de l’EUIPO et aux arrêts du Tribunal invoqués au point 37 de la requête, ceux-ci ne sont pas pertinents en l’espèce.
À cet égard, il convient d’indiquer que l’EUIPO est appelé à décider en fonction des circonstances de chaque cas d’espèce et qu’il n’est pas lié par des décisions antérieures prises dans d’autres affaires. En effet, la légalité des décisions des chambres de recours de l’EUIPO doit être appréciée uniquement sur le fondement du règlement no 207/2009 ou du règlement 2017/1001, et non sur celui d’une pratique décisionnelle antérieure à celles-ci [voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2022, Eurol/EUIPO – Pernsteiner (eurol LUBRICANTS), T‑636/21, non publié, EU:T:2022:804, point 76 et jurisprudence citée].

76      Il résulte de ce qui précède que le deuxième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

3.      Sur le troisième moyen, tiré de l’absence de risque de confusion au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009

77      La requérante soutient que, dans la décision attaquée, la chambre de recours a fait une application erronée de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 en jugeant qu’il existait un risque de confusion.

78      Aux termes de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, sur opposition du titulaire d’une marque antérieure, la marque demandée est refusée à l’enregistrement lorsque, en raison de son identité ou de sa similitude avec une marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public du territoire sur lequel la marque antérieure est protégée. Le risque de confusion comprend le risque d’association avec la marque antérieure.

79      Selon une jurisprudence constante, constitue un risque de confusion le risque que le public puisse croire que les produits ou les services en cause proviennent de la même entreprise ou d’entreprises liées économiquement. Le risque de confusion doit être apprécié globalement, selon la perception que le public pertinent a des signes et des produits ou des services en cause, et en tenant compte de tous les facteurs pertinents en l’espèce, notamment de l’interdépendance de la similitude des signes et de celle des produits ou des services désignés [voir arrêt du 9 juillet 2003, Laboratorios RTB/OHMI – Giorgio Beverly Hills (GIORGIO BEVERLY HILLS), T‑162/01, EU:T:2003:199, points 30 à 33 et jurisprudence citée].

80      Lorsque la protection de la marque antérieure s’étend à l’ensemble de l’Union, il y a lieu de prendre en compte la perception des marques en conflit par le consommateur des produits et services en cause sur ce territoire. Toutefois, il convient de rappeler que, pour refuser l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne, il suffit qu’un motif relatif de refus au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 existe dans une partie de l’Union [voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2006, Mast-Jägermeister/OHMI – Licorera Zacapaneca (VENADO avec cadre e.a.), T‑81/03, T‑82/03 et T‑103/03, EU:T:2006:397, point 76 et jurisprudence citée].

a)      Sur le public pertinent

81      Dans la décision attaquée, la chambre de recours a considéré, en substance, que le territoire pertinent était l’Union, et s’est fondée plus particulièrement sur le public anglophone de l’Union. Elle a estimé que le public pertinent avait un niveau d’attention tout au plus moyen, étant donné que les produits en cause étaient destinés au grand public, relativement bon marché et consommés quotidiennement ou très fréquemment.

82      Il n’y a pas lieu de remettre en cause ces constatations qui, au demeurant, ne sont pas contestées par la requérante.

b)      Sur la comparaison des produits

83      La chambre de recours a relevé que les « bières et ales », visées par la marque demandée, incluaient le produit couvert par la marque de l’Union européenne antérieure invoquée à l’appui de l’opposition, à savoir la « bière amère », pour lequel l’usage sérieux de cette marque avait été démontré. Elle en a déduit que les produits en cause étaient identiques.

84      Cette conclusion, au demeurant non contestée par la requérante, est conforme à la jurisprudence selon laquelle des produits peuvent être considérés comme identiques lorsque les produits que désigne la marque antérieure sont inclus dans une catégorie plus générale visée par la demande de marque [voir, en ce sens, arrêts du 7 septembre 2006, Meric/OHMI – Arbora & Ausonia (PAM-PIM’S BABY-PROP), T‑133/05, EU:T:2006:247, point 29 et jurisprudence citée, et du 19 avril 2016, 100 % Capri Italia/EUIPO – IN.PRO.DI (100 % Capri), T‑198/14, non publié, EU:T:2016:222, point 51]. Ladite conclusion doit donc être approuvée.

c)      Sur la comparaison des signes

85      La chambre de recours a comparé le signe contesté STONE BREWING au signe antérieur STONES.

1)      Sur les éléments distinctifs et dominants de la marque demandée

86      La requérante fait valoir que la chambre de recours a commis une erreur en fondant son raisonnement sur le terme « brewery » au lieu du terme « brewing » contenu dans le signe demandé.

87      Dans la décision attaquée, s’agissant du signe contesté, la chambre de recours l’a identifié comme étant STONE BREWERY et a expliqué que, en ce qui concerne les produits en cause, le public anglophone percevrait le mot « brewery » comme une simple description du fait que l’entreprise qui fabriquait et vendait le produit était une brasserie. Elle en a déduit que ce mot avait un caractère distinctif faible, voire nul, et que l’élément « stone » était le plus distinctif du signe.

88      Il y a lieu de constater que le signe contesté et le signe antérieur sont tous les deux verbaux. Le premier est composé des éléments « stone » et « brewing », le second du seul élément « stones ».

89      S’il est vrai que, aux points 37 et 39 de la décision attaquée, la chambre de recours s’est référée à tort au mot « brewery », au lieu du mot « brewing », comme étant le second élément verbal du signe contesté, sa conclusion selon laquelle, en substance, le second élément du signe contesté a un caractère distinctif faible, voire nul, compte tenu des produits en cause et du public pertinent n’aurait pas été différente en l’absence d’une telle erreur. En effet, la requérante elle-même a rappelé que, selon le dictionnaire anglais Collins, le mot « brewing » signifiait le fait de « préparer (une boisson telle que le thé) par ébullition ou infusion » ou de « concevoir ou planifier ». Par conséquent, eu égard aux produits concernés, à savoir les « bières et ales », visées par la marque demandée, et la « bière amère » pour laquelle l’usage sérieux de la marque de l’Union européenne antérieure a été démontré, il existe un rapport descriptif entre ces produits et les deux mots « brewery » et « brewing », le premier se référant au lieu dans lequel le procédé décrit par le second se déroule pour fabriquer de la bière.

90      Il en découle que la constatation selon laquelle le mot « brewery » a un caractère distinctif faible, voire nul, est, en tout état de cause, également valable concernant l’élément « brewing », de sorte que l’erreur ainsi commise par la chambre de recours à cet égard est sans incidence sur sa conclusion selon laquelle l’élément « stone » était l’élément le plus distinctif du signe contesté.

91      Cette conclusion est également exempte d’erreur d’appréciation dans la mesure où, comme la chambre de recours l’a à juste titre constaté, l’élément « stone » ne sera pas compris par le public anglophone comme décrivant les produits en cause.

2)      Sur les comparaisons visuelle et phonétique des signes

92      Sur les plans visuel et phonétique, la requérante fait valoir que, même si le signe contesté et le signe antérieur commencent tous les deux par les lettres « s », « t », « o », « n » et « e », l’unique élément du second signe comporte une lettre additionnelle, à savoir « s », après ces lettres, ce qui n’est pas le cas dans le premier signe. La requérante fait également observer que le signe demandé comprend un second élément verbal, à savoir « brewing ».

93      Dans la décision attaquée, la chambre de recours a constaté que l’élément « stones » du signe antérieur était quasiment identique à l’élément « stone » du signe contesté et que l’élément supplémentaire « brewery », non distinctif dans ce dernier, ne serait probablement pas prononcé par le public pertinent. Elle en a donc conclu à une similitude visuelle et phonétique élevée.

94      Comme cela a été exposé aux points 89 et 90 ci-dessus, l’erreur que la chambre de recours a commise en considérant que le second élément verbal du signe contesté était « brewery » au lieu de « brewing » est sans incidence sur sa conclusion selon laquelle l’élément « stone » était l’élément le plus distinctif du signe contesté.

95      S’agissant de l’élément verbal « stone », il convient de constater que, tant dans le signe contesté que dans le signe antérieur, il est constitué des lettres « s », « t », « o », « n » et « e », dans le même ordre. La seule différence consiste en la lettre « s », ajoutée après ces lettres, dans le signe antérieur.

96      Cette forte similitude, tant visuelle que phonétique, entre l’élément « stone » de la marque demandée et l’élément « stones » de la marque de l’Union européenne antérieure n’est pas contrebalancée par l’élément supplémentaire « brewing » de la marque demandée, celui-ci ayant un caractère distinctif faible, voire nul, comme cela a été constaté aux points 87 à 90 ci-dessus.

97      Dans ces conditions, les différences visuelles et phonétiques entre les deux signes seront minimes pour le public anglophone. La conclusion de la chambre de recours selon laquelle il existe une similitude visuelle et phonétique élevée entre les deux signes n’est donc pas entachée d’erreur d’appréciation.

3)      Sur la comparaison conceptuelle des signes

98      Dans son analyse des signes sur le plan conceptuel, la requérante ajoute un second élément verbal « bitter » au signe antérieur et, après avoir comparé la signification de cet élément, en anglais, avec celle du second élément verbal « brewing » du signe demandé, elle soutient que les signes sont conceptuellement différents. En outre, selon elle, il existe une autre différence conceptuelle dans la mesure où l’élément « stones » de la marque de l’Union européenne antérieure évoque dans une partie du public anglais le groupe de musique « The Rolling Stones » ou le nom de famille « Stones », alors que la marque demandée STONE BREWING est perçue comme une référence à l’objet « pierre ».

99      Dans la décision attaquée, la chambre de recours a relevé que l’élément « stones » du signe antérieur désignait en anglais un certain nombre de pierres et que le mot quasiment identique « stone » dans le signe contesté se référait à une seule pierre. Elle a donc considéré que les signes en conflit présentaient une similitude conceptuelle élevée.

100    Il convient d’indiquer que la requérante ne saurait ajouter un second élément verbal « bitter » au signe antérieur pour modifier la forme sous laquelle celui-ci a été enregistré, puis pour le comparer au signe contesté. En effet, selon la jurisprudence, la comparaison doit s’effectuer entre les signes tels qu’ils ont été enregistrés ou tels qu’ils figurent dans la demande d’enregistrement, indépendamment de leur usage isolé ou conjoint avec d’autres marques ou mentions [voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2021, Asolo/EUIPO – Red Bull (FLÜGEL), T‑509/19, non publié, EU:T:2021:225, point 95 et jurisprudence citée].

101    Le signe antérieur se limite donc à l’élément « stones », sans que l’ajout du mot « bitter », par exemple sur des factures, ait une incidence sur la comparaison de ce signe avec le signe contesté.

102    Par ailleurs, l’argument de la requérante selon lequel l’élément « stones » du signe antérieur ferait penser à une partie du public anglais au groupe de musique « The Rolling Stones » ou au nom de famille « Stones », alors que, dans le signe demandé, l’élément « stone » serait perçu comme signifiant l’objet « pierre », il ne saurait prospérer. En effet, la requérante n’explique pas la raison pour laquelle, concernant le signe contesté, le public anglais comprendrait la signification la plus simple et immédiate de l’élément « stone », tandis que, s’agissant du signe antérieur, le même élément au pluriel serait compris différemment, comme un nom propre. De plus, quand bien même une partie du public pertinent pourrait considérer que l’élément « stones » renvoie à ce groupe de musique ou à un nom de famille, il n’en demeure pas moins qu’une autre partie pourrait estimer qu’il fait référence à des « pierres ».

103    En conclusion, il y a lieu de constater que la chambre de recours a considéré à juste titre que les signes en cause présentaient un degré élevé de similitude visuelle, phonétique et conceptuelle.

d)      Sur le caractère distinctif de la marque antérieure

104    La requérante fait observer que les clients de l’intervenante se trouvent pratiquement tous dans une zone restreinte du Royaume-Uni, de telle sorte qu’ils ont vraisemblablement connaissance de la marque de l’Union européenne antérieure et qu’il n’existe pas de risque de confusion dans leur esprit. Néanmoins, elle affirme que cette marque a un faible caractère distinctif, alors que la marque demandée a un caractère distinctif élevé.

105    Dans la décision attaquée, la chambre de recours constate que la marque antérieure présente un caractère distinctif normal, du fait que le public anglophone ne comprendra pas l’élément « stones » comme décrivant les produits couverts par cette marque.

106    La requérante insiste sur un prétendu caractère local de la marque antérieure, qui permettrait aux clients de la reconnaître aisément, tout en affirmant que ladite marque présente un faible caractère distinctif. Elle semble ainsi soutenir que la marque antérieure revêt un caractère distinctif fort au niveau local, tout en lui niant, de manière générale, une telle qualité. Un tel argument, intrinsèquement contradictoire, ne peut qu’être écarté.

107    Par ailleurs, en tout état de cause, la requérante n’ayant apporté aucun élément démontrant que la marque de l’Union européenne antérieure avait une renommée au niveau local, l’appréciation du caractère distinctif de cette marque reposait sur son caractère distinctif intrinsèque.

108    Dans ces conditions, la chambre de recours n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant que la marque antérieure présentait un caractère distinctif normal.

109    Quant à l’allégation de la requérante selon laquelle le caractère distinctif de la marque demandée est élevé, celle-ci est inopérante, puisque, dans le cadre des procédures d’opposition, le caractère distinctif de la marque demandée dans son ensemble n’est pas pertinent aux fins de l’appréciation du risque de confusion [voir, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2022, Diego/EUIPO – Forbo Financial Services (WOOD STEP LAMINATE FLOORING), T‑498/20, non publié, EU:T:2022:26, point 69 et jurisprudence citée].

e)      Sur le risque de confusion

110    La requérante soutient que, même si les produits en cause sont identiques, les signes sont différents sur les plans visuel, phonétique et conceptuel, si bien que tout risque de confusion est exclu.

111    La chambre de recours a conclu, dans la décision attaquée, que, compte tenu du degré élevé de similitude visuelle, phonétique et conceptuelle des signes en conflit, de l’identité des produits concernés et du caractère distinctif intrinsèque normal de la marque antérieure, il existait un risque de confusion au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

112    En l’espèce, eu égard à l’ensemble des développements qui précèdent concernant le troisième moyen, la requérante n’est pas parvenue à remettre en cause l’appréciation globale du risque de confusion effectuée par la chambre de recours.

113    Partant, le troisième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

114    Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

IV.    Sur les dépens

115    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

116    L’intervenante a conclu à la condamnation de la requérante aux dépens. L’EUIPO a conclu dans le même sens en cas d’ouverture de la phase orale de la procédure.

117    La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens exposés par l’intervenante, conformément aux conclusions de cette dernière. En revanche, l’EUIPO n’ayant conclu à la condamnation de la requérante aux dépens qu’en cas de convocation à une audience, il convient, en l’absence de l’organisation d’une audience, de décider que l’EUIPO supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Stone Brewing Co. LLC supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par Molson Coors Brewing Company (UK) Ltd.

3)      L’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) supportera ses propres dépens.

Marcoulli

Frimodt Nielsen

Schwarcz

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 juin 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.