Language of document : ECLI:EU:T:2012:425

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

13 septembre 2012 (*)

« Recours en indemnité – Instrument d’aide à la préadhésion – État tiers – Marché public national – Gestion décentralisée – Irrecevabilité – Incompétence »

Dans l’affaire T‑369/11,

Diadikasia Symbouloi Epicheiriseon AE, établie à Chalandri (Grèce), représentée par Me A. Krystallidis, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. F. Erlbacher et P. van Nuffel, en qualité d’agents,

Délégation de l’Union européenne en Turquie,

et

Central Finance & Contracts Unit (CFCU), établie à Ankara (Turquie),

parties défenderesses,

ayant pour objet une demande en réparation du préjudice découlant de la décision de la CFCU du 5 avril 2011 et de toute décision subséquente annulant l’adjudication du marché « Extension du réseau turco-européen de centres d’affaires à Sivas, à Antakya, à Batman et à Van – EuropeAid/128621/D/SER/TR » au consortium Diadikasia business Consultants SA (GR) – Wyg International Ltd (UK) – Deleeuw International Ltd (TR) – Cyberpark (TR), en raison de déclarations prétendument fausses,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de Mmes I. Pelikánová, président, K. Jürimäe (rapporteur) et M. M. van der Woude, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Cadre juridique

1        En vertu de l’article 162 du règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1), tel que modifié (ci‑après le « règlement financier »), les dispositions de la première et de la troisième partie dudit règlement s’appliquent aux actions extérieures financées par le budget, sous réserve des dérogations prévues au titre IV, intitulé « Actions extérieures », de la deuxième partie, intitulée « Dispositions particulières », du même règlement.

2        L’article 53 quater, paragraphes 1 et 2, du règlement financier, qui figurent sous la première partie dudit règlement, dispose :

« 1. Lorsque la Commission exécute le budget en gestion décentralisée, des tâches d’exécution du budget sont déléguées à des pays tiers conformément à l’article 56 et au titre IV de la deuxième partie, sans préjudice de la délégation de tâches restantes aux organismes visés à l’article 54, paragraphe 2.

2. Afin de s’assurer de l’utilisation des fonds conformément à la réglementation applicable, la Commission met en œuvre des procédures d’apurement des comptes ou des mécanismes de corrections financières lui permettant d’assumer sa responsabilité finale dans l’exécution du budget. »

3        En vertu des dispositions de l’article 1er du règlement (CE) n° 1085/2006 du Conseil, du 17 juillet 2006, établissant un instrument d’aide de préadhésion (IAP) (JO L 210, p. 82), l’Union européenne aide les pays mentionnés aux annexes I et II, parmi lesquels figure la République de Turquie, à s’aligner progressivement sur les normes et politiques de l’Union, y compris, le cas échéant, l’acquis communautaire, en vue de leur adhésion.

4        L’article 2 du règlement n° 1085/2006 prévoit que l’aide est programmée et mise en œuvre selon cinq volets, dont un se rapportant au développement régional.

5        L’article 10 du règlement n° 718/2007, intitulé « [p]rincipes généraux de la mise en œuvre de l’aide » dispose, dans son premier paragraphe :

« Sauf dispositions contraires dans les paragraphes 2, 3 et 4, la gestion décentralisée, par laquelle la Commission confie la gestion de certaines actions au pays bénéficiaire, tout en conservant la responsabilité finale de l’exécution du budget général, conformément à l’article 53 quater du règlement [financier] et aux dispositions pertinentes des traités CE, s’applique à la mise en oeuvre de l’aide au titre du règlement [n° 1085/2006].

Aux fins de l’aide au titre du règlement [n° 1085/2006], la gestion décentralisée couvre, au moins, la gestion des appels d’offres, l’adjudication et les paiements.

Dans le cadre de la gestion décentralisée, les opérations sont mises en œuvre conformément aux dispositions arrêtées à l’article 53 quater du règlement [financier]. »

6        L’article 21, paragraphe 1, sous f), du règlement (CE) n° 718/2007 de la Commission du 12 juin 2007, portant application du règlement n° 1085/2006 (JO L 170, p. 1) se lit comme suit :

« Le pays bénéficiaire nomme les instances et autorités suivantes :

f) une structure d’exécution par volet ou programme IAP ; »

7        En vertu des dispositions de l’article 28, paragraphes 1 et 2, sous f), du règlement n° 718/2007 :

« 1. Pour chaque volet ou programme IAP, une structure d’exécution est établie, afin de gérer et mettre en oeuvre l’aide au titre du règlement [n° 1085/2006].

La structure d’exécution est une instance ou un ensemble d’instances relevant de l’administration du pays bénéficiaire.

2. La structure d’exécution est chargée de la gestion et de la mise en œuvre du ou des programmes concernés, conformément au principe de bonne gestion financière. Dans cette optique, elle prend en charge un certain nombre de fonctions, dont celles consistant à :

[…]

f) arranger les procédures d’appel d’offres, les procédures d’octroi de subventions et les marchés en découlant, effectuer les paiements au bénéficiaire final et les recouvrer ;

[…] »

8        Le 29 novembre 2007, la Commission des Communautés européennes a adopté la décision C(2007)5729, relative au programme opérationnel pluriannuel « Compétitivité régionale » pour l’aide à apporter par l’Union dans le cadre du volet « développement régional » de l’IAP en Turquie (ci-après le « programme pluriannuel »).

9        Le 11 juillet 2008, la Commission a conclu avec la République de Turquie un accord-cadre qui définit de manière générale les règles de coopération relatives à l’aide au titre de l’IAP (ci-après l’« accord-cadre »). En vertu des dispositions de son article 6, paragraphe 1, sous f), intitulé « Création et désignation des structures et autorités de gestion décentralisée », de la section II, intitulée « Structures de gestion et autorités », il incombait à la République de Turquie, dans le cas d’une gestion décentralisée du programme, de désigner les structures d’exécution. La section III de l’accord-cadre fixe les conditions de délégation des pouvoirs de l’Union à la République de Turquie dans le cas d’une gestion décentralisée.

10      Le paragraphe 6, sous a) et b), sixième tiret, de l’annexe A de l’accord-cadre se lit comme suit :

« a) Une structure d’exécution sera créée pour chaque volet ou programme d’IPA afin d’assurer la gestion et la mise en place de soutiens au titre de l’IPA. La structure d’exécution sera une entité ou un groupe d’entités au sein de l’administration de la [République de Turquie].

b) La structure d’exécution sera responsable de la gestion et de la mise en œuvre du programme IPA ou des programmes concernés conformément au principe de bonne gestion financière. À cette fin, la structure d’exécution exercera une série de fonctions, dont celles consistant à :

[…]

–        arranger les procédures d’appel d’offres, les procédures d’octroi de subventions et les marchés en découlant, effectuer les paiements au bénéficiaire final et les recouvrer »

11      Le 24 juillet 2009, la Commission a conclu une convention de financement avec la République de Turquie relative au programme opérationnel pluriannuel (ci-après la « convention de financement »).

12      Conformément aux dispositions de l’article 14, paragraphes 1 et 2, de la convention de financement, d’une part, la République de Turquie met en œuvre le programme pluriannuel au moyen d’une gestion décentralisée et, d’autre part, les conditions de délégation des pouvoirs de gestion sont celles fixées dans la section III de l’accord-cadre.

13      En vertu des dispositions de l’article 26, paragraphe 1, de la convention de financement, conformément aux dispositions du paragraphe 6, sous a), de l’annexe A de l’accord-cadre, les entités constituant la structure d’exécution du programme pluriannuel sont, d’une part, le « ministre de l’Industrie et du commerce, centre de coordination et de mise en œuvre du programme de compétitivité régionale » et, d’autre part, la Central Finance and Contracts Unit (CFCU). Selon les dispositions de l’article 26, paragraphe 2, de la convention de financement, les fonctions et responsabilités de la structure d’exécution sont, conformément aux dispositions de l’article 8 de l’accord-cadre, celles énumérées au paragraphe 6, sous b), de l’annexe A dudit accord.

 Antécédents du litige

14      La requérante, Diadikasia Symbouloi Epicheiriseon AE, est une société anonyme de droit grec qui fournit des services spécialisés à des entreprises et à des entités appartenant aux secteurs privé et public.

15      Le 21 janvier 2010, sur le fondement du règlement n° 1085/2006, un avis de marché de services en Turquie portant la référence 2010/S 14‑017006 et la référence de publication EuropeAid/128621/D/SER/TR, intitulé « TR‑Ankara : IAP – Extension du réseau de centres d’affaires turco-européen à Sivas, à Antakya, à Batman et à Van » a été publié au Supplément au Journal officiel de l’Union européenne (JO S 14) (ci-après l’« avis de marché »). Le marché concerné avait pour objet de renforcer la compétitivité des petites et moyennes entreprises en Turquie. Le projet prévoyait l’établissement de quatre centres d’affaires (deux de petite taille et deux de taille moyenne) dans des provinces turques retenues au titre du programme opérationnel pluriannuel pour la compétitivité régionale. Le pouvoir adjudicateur désigné dans ledit avis était la CFCU.

16      Au terme de la procédure de présélection, plusieurs offres, parmi lesquelles celle d’un consortium dont la requérante était membre chef de file (ci-après le « consortium »), ont été déposées. À la suite du dépôt de l’offre du consortium, la CFCU a demandé des éclaircissements spécifiques la concernant, notamment s’agissant d’un expert clé qui était proposé. En réponse à ces demandes, la requérante a, notamment par lettre du 18 octobre 2010 à la CFCU, transmis des informations concernant ledit expert clé.

17      Par lettre du 11 janvier 2011, la CFCU a informé la requérante que le marché serait attribué au consortium, sous réserve de la présentation, dans un délai de quinze jours, de preuves admissibles quant aux situations d’exclusion et/ou aux critères de sélection de la procédure d’appel d’offres en cause. La lettre précisait que lesdites pièces portaient en particulier sur la capacité financière, économique, technique et professionnelle du consortium.

18      En réponse à la lettre du 11 janvier 2011, la requérante a, par lettre du 25 janvier 2011, présenté des éléments de preuve au soutien de son offre.

19      Par lettre du 10 mars 2011, la CFCU a indiqué à la requérante que, en tant que pouvoir adjudicateur chargé de préparer le contrat, elle avait relevé des incohérences entre le curriculum vitae de l’expert clé et les éléments de preuve présentés à son sujet. Partant, la CFCU lui a demandé de lui fournir des explications sur lesdites incohérences.

20      Par lettre du 11 mars 2011, la requérante a transmis à la CFCU des preuves documentaires et des informations concernant l’expert clé.

21      Par lettre du 5 avril 2011, la CFCU a informé la requérante que, à la suite des lettres des 11 janvier, 10 mars et 11 mars 2011 et au regard d’informations, communiquées par la délégation de l’Union européenne en Turquie, concernant notamment l’expert clé, il apparaissait que l’évaluation de son offre avait été affectée par une fausse déclaration. Partant, la CFCU a, en sa qualité de pouvoir adjudicateur, indiqué que le marché ne serait pas attribué au consortium.

22      Par lettre du 12 avril 2011, la requérante a contesté le bien-fondé des allégations de fausse déclaration formulées par la CFCU dans la lettre du 5 avril 2011, fourni des informations complémentaires à ce sujet et demandé à cette dernière de réexaminer sa décision de ne pas attribuer le marché au consortium.

23      Par lettre du 20 avril 2011, la CFCU a répondu qu’elle n’était pas en mesure de réexaminer la décision de ne pas attribuer le marché au consortium. À cet égard, elle a fait valoir que, d’une part, « la délégation de l’Union en Turquie est le pouvoir adjudicateur du projet en cause (Extension des centres d’affaires turco-européens) » et, d’autre part, elle n’était pas en mesure d’approuver la signature du contrat avec le consortium pour le projet en cause.

24      Par lettres des 3 et 4 mai 2011, adressées respectivement à la CFCU et à la délégation de l’Union en Turquie, la requérante a de nouveau contesté le bien-fondé de la décision de ne pas attribuer le marché au consortium et a demandé de recevoir une copie de la décision que la délégation de l’Union avait communiquée à la CFCU afin d’en connaître la motivation.

25      Par lettre du 13 mai 2011, la CFCU a notamment répondu à la lettre de la requérante du 3 mai 2011 et, à ce titre, fait valoir que, d’une part, en tant que pouvoir adjudicateur et au regard de l’obligation de respect de la confidentialité, elle ne pouvait pas divulguer les correspondances relatives à des offres et, d’autre part, les motifs de refus d’approuver le contrat pouvaient être directement demandés à la délégation de l’Union en Turquie.

26      Par lettre du 3 juin 2011, la délégation de l’Union en Turquie a répondu à la lettre de la requérante du 4 mai 2011 et, à ce titre, a rappelé que, dans le cadre de la procédure décentralisée, la CFCU était le pouvoir adjudicateur et qu’elle-même avait seulement procédé à un contrôle ex ante. Elle a ajouté que, dans ce contexte, la décision de la CFCU avait été prise en tenant compte des résultats dudit contrôle.

 Procédure et conclusions des parties

27      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 juillet 2011, la requérante a introduit le présent recours en indemnité au titre du préjudice prétendument subi à la suite de l’adoption de la décision du 5 avril 2011.

28      Par acte séparé, déposé au greffe du tribunal le 21 novembre 2011, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité sur le fondement de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal. La requérante a présenté ses observations sur cette exception le 18 janvier 2012.

29      La délégation de l’Union en Turquie, après avoir reçu notification de la requête, est restée en défaut d’y répondre dans les formes et le délai prescrits.

30      La CFCU, après avoir reçu notification de la requête, a, le 11 novembre 2011, déposé un mémoire en défense au greffe du Tribunal. Ayant constaté que la CFCU n’était pas représentée ou assistée conformément aux dispositions de l’article 19 du protocole sur le statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le greffe du Tribunal lui a renvoyé son mémoire. La CFCU est, par la suite, restée en défaut de répondre à la requête dans les formes et le délai prescrits.

31      À la suite d’une demande de renseignements du Tribunal portant notamment sur le statut juridique de la CFCU, la Commission et la requérante y ont respectivement répondu les 8 et 10 mai 2012. À la suite d’une nouvelle demande de renseignements du Tribunal adressée à la Commission, concernant la convention de financement, cette dernière y a répondu le 6 juin 2012.

32      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        accorder la réparation des dommages qu’elle a subis du fait de la décision du 5 avril 2011 ;

–        condamner la Commission aux dépens.

33      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

34      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’exception d’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal.

35      En outre, aux termes de l’article 111 du règlement de procédure, lorsque le Tribunal est saisi d’un recours manifestement irrecevable, il peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

36      En l’espèce, le Tribunal estime qu’il est suffisamment éclairé par les pièces du dossier et qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

 Appréciation du Tribunal

37      En vertu des dispositions des articles 268 et 340, deuxième alinéa, TFUE, en matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.

38      En l’espèce, le recours en indemnité est dirigé à la fois contre la CFCU, la Commission et la délégation de l’Union en Turquie.

39      À titre liminaire, bien que la Commission n’ait pas explicitement soulevé d’exception d’irrecevabilité à cet égard, le Tribunal considère qu’il y a lieu d’apprécier d’office la recevabilité du recours en ce qu’il est dirigé contre la délégation de l’Union en Turquie.

40      Tout d’abord, il convient de rappeler que, en vertu des dispositions de l’article 18, paragraphe 4, TUE, « [l]e haut représentant [de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité] est l’un des vice-présidents de la Commission. Il veille à la cohérence de l’action extérieure de l’Union. Il est chargé, au sein de la Commission, des responsabilités qui incombent à cette dernière dans le domaine des relations extérieures et de la coordination des autres aspects de l’action extérieure de l’Union. Dans l’exercice de ces responsabilités […], et pour ces seuls responsabilités, le haut représentant est soumis aux procédures qui régissent le fonctionnement de la Commission, dans la mesure où cela est compatible avec les paragraphes 2 et 3 ».

41      En vertu des dispositions de l’article 27, paragraphe 3, TUE, « [d]ans l’accomplissement de son mandat, le haut représentant s’appuie sur un service européen pour l’action extérieure […] »

42      L’article 221, TFUE, dispose ce qui suit :

« 1. Les délégations de l’Union dans les pays tiers et auprès des organisations internationales assurent la représentation de l’Union.

2. Les délégations de l’Union sont placées sous l’autorité du [haut représentant]. […] »

43      Ensuite, ainsi que cela ressort des dispositions du règlement n° 1085/2006, et notamment de son article 3, paragraphe 2, la Commission est chargée de veiller à la coordination et à la cohérence des aides accordées au titre des différents volets de l’aide à la préadhésion.

44      Enfin, en vertu des dispositions de l’article 5, paragraphe 3, second alinéa, de la décision 2010/427/UE du Conseil du 26 juillet 2010 fixant l’organisation et le fonctionnement du service européen pour l’action extérieure (JO L 201, p. 30), « [d]ans les domaines où elle exerce les attributions que lui confèrent les traités, la Commission peut […], conformément à l’article 221, paragraphe 2, TFUE, donner aux délégations des instructions qui sont exécutées sous la responsabilité générale du chef de délégation. »

45      Dans la mesure où les délégations de l’Union ne disposent pas de la personnalité juridique et où le présent recours concerne la mise en œuvre, par la délégation de l’Union en Turquie, de l’aide au titre de l’IAP, dont la Commission est chargée de veiller à la coordination et à la cohérence, cette dernière est responsable des actions et omissions susceptibles d’être imputées à cet égard à ladite délégation. Partant, il y a lieu de considérer que le présent recours doit être rejeté comme manifestement irrecevable en tant qu’il est dirigé contre la délégation de l’Union en Turquie.

46      À titre principal, il convient d’examiner les deux fins de non-recevoir soulevées par la Commission.

47      S’agissant de la première fin de non-recevoir prise de ce que le recours devrait être déclaré irrecevable en tant qu’il est formé contre la CFCU, il suffit de rappeler que, selon la jurisprudence, le terme « institution », employé à l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, ne doit pas être compris comme visant les seules institutions de l’Union énumérées par l’article 13, paragraphe 1, TUE, mais comme recouvrant également, eu égard au système de responsabilité non contractuelle établi par le TFUE, les organismes de l’Union (arrêt de la Cour du 2 décembre 1992, SGEEM et Etroy/BEI, C‑370/89, Rec. p. I‑6211, point 16).

48      En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que la CFCU est une autorité régie par le droit turc et rattachée au gouvernement de la République de Turquie. Cette caractéristique statutaire ressort clairement des dispositions de l’article 26, paragraphe 1, de la convention de financement. En effet, la CFCU y est expressément désignée comme étant l’une des deux entités constituant la structure d’exécution du programme pluriannuel. Or, en vertu des dispositions tant de l’article 21, paragraphe 1, sous f), du règlement n° 718/2007, que du paragraphe 6, sous a), de l’annexe A de l’accord-cadre, il appartient au pays bénéficiaire, à savoir en l’espèce la République de Turquie, de nommer une structure d’exécution par volet ou programme IAP. Dès lors, la CFCU ne saurait être considérée ni comme une institution ni comme un organisme de l’Union européenne, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE.

49      Il résulte des constatations qui précèdent que le Tribunal n’a pas compétence pour statuer sur le présent recours en indemnité, en ce qu’il est dirigé contre la CFCU.

50      S’agissant de la seconde fin de non-recevoir prise de ce que la lettre de la CFCU du 5 avril 2011 ne serait pas un acte de l’Union, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêts du Tribunal du 11 juillet 1997, Oleifici Italiani/Commission, T‑267/94, Rec. p. II‑1239, point 20, et du 4 octobre 2006, Tillack/Commission, T‑193/04, Rec. p. II‑3995, point 116) et que, dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours en indemnité doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions d’engagement de ladite responsabilité (arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, Rec. p. I‑4199, point 81 ; arrêts du Tribunal du 20 février 2002, Förde-Reederei/Conseil et Commission, T‑170/00, Rec. p. II‑515, point 37, et Tillack/Commission, précité, point 119).

51      En l’espèce, premièrement, il convient de relever, d’office, que dans le cadre du présent recours, la requérante demande réparation du préjudice qui résulterait non seulement de la lettre de la CFCU du 5 avril 2011, mais aussi de toute décision subséquente. S’agissant du préjudice prétendument causé par toute décision subséquente à la première, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante, aux termes de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, une requête doit indiquer l’objet du litige, ce qui implique que cet objet soit défini avec suffisamment de précision pour permettre à la partie défenderesse de faire valoir utilement ses moyens en défense à cet égard et au Tribunal de comprendre l’objet des demandes du requérant (arrêts du Tribunal du 11 juillet 1996, Bernardi/Parlement, T‑146/95, Rec. p. II‑769, points 25 et 26, et du 14 juillet 1998, Lebedef/Commission, T‑192/96, RecFP p. I‑A‑363 et II‑1047, points 33 et 34). Or, force est de constater que le présent recours, en ce qu’il tend à obtenir la réparation du préjudice qui résulterait de toute décision subséquente à ladite lettre, dans la mesure où il ne permet au Tribunal d’identifier une quelconque décision subséquente à cette lettre, ne satisfait pas aux exigences de précision suffisante qui découlent des dispositions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal et doit, à cet égard, être déclaré manifestement irrecevable.

52      Deuxièmement, s’agissant de la demande de réparation du préjudice qui résulterait de la lettre de la CFCU du 5 avril 2011, il ressort de la jurisprudence que les marchés publics passés par des pays tiers et susceptibles de bénéficier d’une aide au titre de l’IAP, soumis au principe de la gestion décentralisée, demeurent des marchés nationaux, que seul le pouvoir adjudicateur national chargé de leur suivi a la responsabilité de préparer, négocier et conclure, les interventions des représentants de la Commission dans la procédure de passation de ces marchés tendant uniquement à constater que les conditions de financement par l’Union sont ou non réunies. En outre, les entreprises soumissionnaires attributaires des marchés en cause n’entretiennent des relations juridiques qu’avec l’État tiers responsable du marché et les actes des représentants de la Commission ne peuvent avoir pour effet de substituer à leur égard une décision de l’Union à la décision dudit État (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 14 janvier 1993, Italsolar/Commission, C‑257/90, Rec. p. I‑9, point 22).

53      Il s’ensuit que la décision d’attribution du marché elle-même relève de la compétence réservée à l’État tiers par la convention de financement, le représentant de la Commission se limitant à cet égard à approuver, aux fins de la régularité financière de l’opération, la proposition d’attribution du marché émanant du représentant de l’État tiers concerné (voir, par analogie, arrêt Italsolar/Commission, point 52 supra, point 23).

54      Dans le cas d’espèce, il n’est pas contesté entre les parties que, ainsi que cela découle notamment des dispositions de l’article 10 du règlement n° 718/2007, le principe de la gestion décentralisée s’applique à la mise en œuvre du volet développement régional de l’aide au titre de l’IAP en cause et que cette compétence de l’État tiers, à savoir la République de Turquie, qui en découle, est confirmée par l’avis de marché qui désignait la CFCU comme le pouvoir adjudicateur.

55      Or, tout d’abord, ainsi qu’il a été constaté au point 48 ci-dessus, la CFCU était l’une des deux structures d’exécution du programme pluriannuel, créée en vertu de dispositions de droit turc et rattachée exclusivement au gouvernement de la République de Turquie. Partant, elle était, conformément aux dispositions de l’article 28 du règlement n° 718/2007, chargée de la mise en œuvre du volet développement régional en Turquie de l’aide au titre de l’IAP et, plus précisément, ainsi que cela découle également des dispositions du paragraphe 6, sous b), sixième point, de l’accord‑cadre, d’arranger les procédures d’appel d’offres, les procédures d’octroi de subventions et les marchés en découlant, d’effectuer les paiements au bénéficiaire final et de les recouvrer.

56      Ensuite, la lettre de la CFCU du 5 avril 2011 a été adressée par celle-ci uniquement en sa qualité de pouvoir adjudicateur, qualité qu’elle a au demeurant expressément rappelée dans la conclusion de ladite lettre en informant la requérante de la décision de ne pas lui attribuer le marché.

57      Enfin, cette considération ne saurait être remise en cause au regard des termes de la lettre de la CFCU du 20 avril 2011, dans laquelle elle indiquait à la requérante que « la délégation de l’Union en Turquie [était] le pouvoir adjudicateur du projet en cause (Extension des centres d’affaires turco-européens) ». Une telle indication de la part de la CFCU s’avère manifestement erronée. En effet, ainsi que cela ressort expressément des dispositions légales et contractuelles rappelées ci-dessus et applicables en l’espèce, et ainsi que la CFCU, dans la lettre du 13 mai 2011, et ladite délégation, dans la lettre du 3 juin 2011, l’ont expressément rappelé, seule la CFCU disposait en l’espèce de la qualité de pouvoir adjudicateur et, partant, était compétente, pour le compte de la République de Turquie, en vertu du mode de gestion décentralisée retenu pour la mise en œuvre du volet « développement régional » de l’IAP, pour adopter la décision d’attribution du marché en cause, la Commission étant uniquement compétente pour vérifier si les conditions de financement du projet par l’Union étaient remplies.

58      Troisièmement, il convient également d’écarter l’argumentation de la requérante fondée sur le renvoi à la jurisprudence de la Cour de l’Union concernant les actes susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation, au sens de l’article 263 TFUE, afin d’identifier les actes visés par l’article 340, deuxième alinéa, TFUE. En effet, ainsi que rappelé au point 50 ci-dessus, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions qui sont autonomes des conditions de recevabilité d’un recours en annulation.

59      Quatrièmement, contrairement à ce que soutient la requérante, les dispositions du PRAG (Practical Guide to contract procedures for EU external actions) ne soutiennent pas sa thèse selon laquelle la décision de ne pas retenir l’offre du consortium a été prise par la délégation de l’Union en Turquie. À ce titre, il suffit de relever que, ainsi que cela est expressément rappelé sous le point 2.9.2 du PRAG, dans le cadre d’une gestion décentralisée, les contrôles effectués ex ante par la délégation de l’Union au stade de la signature des originaux des contrats sont destinés à approuver le contrat aux fins de confirmer que l’Union financera le projet concerné. Ce principe ressort tout aussi clairement des termes du point 2.2 du PRAG qui détaille les différents modes de gestion. S’agissant de la gestion décentralisée, il en ressort de manière explicite, ainsi qu’il est indiqué dans le cadre intitulé « quelques clarifications concernant la gestion décentralisée », que, dans ce mode de gestion, « [l]es interventions des représentants de la Commission européenne lors des procédures décentralisées de conclusion ou d’exécution des contrats financés dans le cadre des actions extérieures se limitent au contrôle du respect des conditions du financement de l’UE ».

60      Cinquièmement, il convient de constater que, dans sa réponse du 10 mai 2012 aux demandes de renseignements du Tribunal, la requérante a communiqué au Tribunal une copie du « Protocole d’accord portant création d’une [CFCU] entre le gouvernement turc et la Commission européenne » signé le 14 février 2002, ainsi qu’une copie d’une page du site Internet de la CFCU décrivant les grands axes du système de gestion décentralisée en Turquie. Or, force est de relever que ces deux documents reprennent expressément les termes et dispositions figurant notamment dans l’accord-cadre et la convention de financement et dont il ressort que, d’une part, la gestion décentralisée impliquait un transfert à la CFCU des compétences quant à la passation des marchés et, d’autre part, que la compétence de la Commission consistait uniquement à vérifier si les conditions de financement par l’Union étaient ou non réunies.

61      Partant, ainsi que cela ressort des constatations rapportées aux points 51 à 60 ci-dessus, dès lors que la compétence de la Commission se limitait à vérifier si les conditions de financement de l’Union étaient ou non réunies, il ne lui incombait pas d’adopter une quelconque décision d’attribution du marché concerné à l’un des soumissionnaires (voir, par analogie, arrêt Italsolar/Commission, point 52 supra, point 34).

62      Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que, d’une part, le présent recours, en ce qu’il est dirigé contre la Commission, est irrecevable, dans la mesure où elle n’est pas l’auteur de la lettre du 5 avril 2011, et, d’autre part, la lettre de la CFCU du 5 avril 2011 ayant été adoptée par une autorité, régie par le droit turc, exclusivement rattachée à République de Turquie et chargée, en tant que pouvoir adjudicateur, d’exécuter dans son ensemble la procédure de passation du marché public en cause en l’espèce, le Tribunal n’est pas compétent, au regard des dispositions du traité FUE, pour statuer sur la réparation des dommages que ledit acte aurait éventuellement pu causer à la requérante. De tels dommages éventuellement causés par des institutions nationales ne sont susceptibles de mettre en jeu que la responsabilité de ces institutions et les juridictions nationales, à savoir en l’espèce les juridictions turques, demeurent seules compétentes pour en assurer la réparation (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 26 février 1986, Krohn Import-Export/Commission, 175/84, Rec. p. 753, point 19, et du 7 juillet 1987, L’Étoile commerciale et CNTA/Commission, 89/86 et 91/86, Rec. p. 3005, point 17).

63      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument de la requérante selon lequel, la Commission finançant les projets et initiatives qui promeuvent ses priorités en matière de politique et relations extérieures avec les pays tiers, chaque projet financé par l’Union produirait des conséquences juridiques imputables à la Commission. En effet, il convient de constater que ledit argument n’est pas étayé et, partant, doit, au regard des dispositions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du tribunal, être déclaré manifestement irrecevable.

64      De même, s’agissant de la remarque de la requérante quant au fait que, dans ses observations formulées à la suite de la plainte que cette dernière a déposée devant le médiateur européen, la Commission n’a soulevé aucune des exceptions d’irrecevabilité qu’elle a soulevées dans la présente affaire, il suffit de relever que le recours en indemnité constitue une voie de recours contentieuse autonome prévue par le traité FUE et que l’appréciation de la recevabilité d’un tel recours par le Tribunal porte exclusivement sur les éléments de fait et de droit spécifiques audit recours, sans qu’il y ait lieu de tenir compte à un quelconque titre des arguments éventuellement soulevés par une des parties dans une autre procédure, a fortiori à la suite d’une plainte déposée devant le médiateur européen, qui constitue une voie de recours non contentieuse.

65      Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de rejeter le présent recours en indemnité, premièrement, comme manifestement irrecevable, en ce qu’il est dirigé contre la délégation de l’Union en Turquie et en ce qu’il repose sur toute décision subséquente à la lettre du 5 avril 2011, deuxièmement, comme irrecevable, en ce qu’il est dirigé contre la Commission et, troisièmement, pour défaut de compétence, en ce qu’il est dirigé contre la CFCU et en ce qu’il repose sur la lettre de celle-ci du 5 avril 2011.

 Sur les dépens

66      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens, ainsi que les dépens exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Diadikasia Symbouloi Epicheiriseon AE supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

Fait à Luxembourg, le 13 septembre 2012.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

      I. Pelikánová


* Langue de procédure : l’anglais.