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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (première chambre)

24 juin 2024 (*)

« Recours en annulation – Désignation erronée de la partie défenderesse – Délai de recours – Tardiveté – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire T‑186/24,

Alexey Druzyagin, demeurant à Mallemort (France), représenté par Me R. Sokol, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. D. Spielmann (rapporteur), président, Mme M. Brkan et M. T. Tóth, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Alexey Druzyagin, demande l’annulation de l’article 5 duodecies, paragraphe 1, du règlement (UE) no 833/2014 du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 2023/1214 du Conseil, du 23 juin 2023 (JO 2023, L 159 I, p. 1), en ce qu’il interdit d’attribuer à une personne dont la nationalité d’origine est russe tout marché public ou contrat de concession relevant du champ d’application des directives sur les marchés publics ou d’en poursuivre l’exécution avec celle-ci (ci-après la « disposition attaquée »).

 Faits, procédure et conclusions du requérant

2        Il ressort des éléments produits par le requérant qu’il est actionnaire, par le biais de sa filiale française (Radio Technologies SAS), de la société lituanienne UAB Baltic Radiation Control. Cette société a conclu quatre contrats avec l’entreprise publique Ignalina Nuclear Power Plant (ci-après l’« INPP »), signés les 11 juillet 2022, 6 janvier, 20 janvier et 9 mars 2023.

3        Par lettre du 19 avril 2023, l’INPP a évoqué la suspension unilatérale desdits contrats, y compris de ses paiements, au motif que le propriétaire indirect d’UAB Baltic Radiation Control, à savoir le requérant, était citoyen de la Fédération de Russie.

4        Par décision de l’INPP du 22 septembre 2023, les quatre contrats ont été déclarés nuls et non avenus sur le fondement, d’une part, de l’article 7, paragraphe 1, de la loi lituanienne sur les sanctions internationales et, d’autre part, de la disposition attaquée. À la suite d’échanges entre l’INPP et l’avocat du requérant, l’INPP a confirmé sa décision le 7 février 2024. L’avocat du requérant lui a résumé cette situation dans un rapport du 26 février 2024.

5        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 mars 2024, le requérant conclut à l’annulation de la disposition attaquée, qui prévoit qu’ « il est interdit d’attribuer ou de poursuivre l’exécution de tout marché public ou contrat de concession relevant du champ d’application des directives sur les marchés publics (…) à ou avec a) un ressortissant russe, une personne physique résidant en Russie, ou une personne morale, une entité ou un organisme établi en Russie ; b) une personne morale, une entité ou un organisme dont plus de 50 % des droits de propriété sont détenus, directement ou indirectement, par une entité visée [sous] a) du présent paragraphe ; ou c) une personne physique ou morale, une entité ou un organisme agissant pour le compte ou selon les instructions d’une entité visée [sous] a) ou b) du présent paragraphe ».

6        Le requérant soutient que la disposition attaquée constitue une discrimination en raison de la nationalité et viole l’article 14 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 1er du protocole no 12, ainsi que l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

 En droit

7        Aux termes de l’article 126 du règlement de procédure du Tribunal, lorsque le recours est manifestement irrecevable, le Tribunal peut décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

8        En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de cet article, de statuer sans poursuivre la procédure.

9        Aux termes de l’article 76, sous c), du règlement de procédure, la requête visée à l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union contient la désignation de la partie contre laquelle elle est formée.

10      Or, en l’espèce, la requête est introduite contre la Commission européenne, alors qu’elle vise l’annulation de la disposition attaquée, qui figure dans un règlement émanant du Conseil de l’Union européenne.

11      Dès lors, le présent recours est irrecevable, car il a été formé à l’encontre d’une partie défenderesse à laquelle la disposition attaquée n’est pas imputable.

12      En tout état de cause, à supposer que le recours ait pu être considéré comme ayant été introduit contre le Conseil, il aurait dû être rejeté comme irrecevable en raison de sa tardiveté.

13      En effet, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, le recours en annulation doit être formé dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l’acte attaqué, de sa notification à la partie requérante ou, à défaut, du jour où celle-ci en a eu connaissance.

14      Selon l’article 59 du règlement de procédure, lorsqu’un délai pour l’introduction d’un recours contre un acte d’une institution commence à courir à partir de la publication de cet acte au Journal officiel de l’Union européenne, le délai est à compter à partir de la fin du quatorzième jour suivant la date de cette publication. Conformément à l’article 60 du même règlement, ce délai doit, en outre, être augmenté d’un délai de distance forfaitaire de dix jours.

15      Selon une jurisprudence constante, ce délai de recours est d’ordre public, ayant été institué en vue d’assurer la clarté et la sécurité des situations juridiques et d’éviter toute discrimination ou traitement arbitraire dans l’administration de la justice, et il appartient au juge de l’Union de vérifier, d’office, s’il a été respecté (arrêts du 23 janvier 1997, Coen, C‑246/95, EU:C:1997:33, point 21, et du 18 septembre 1997, Mutual Aid Administration Services/Commission, T‑121/96 et T‑151/96, EU:T:1997:132, points 38 et 39).

16      En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que la disposition attaquée a été insérée dans le règlement no 833/2014 par le règlement no 2023/1214, du 23 juin 2023, publié au Journal officiel le 23 juin 2023. Il s’ensuit que le délai pour demander son annulation court à compter de la publication de ce règlement no 2023/1214, qui a expiré le 18 septembre 2023.

17      Par ailleurs, le requérant n’a pas invoqué l’existence d’un cas fortuit ou de force majeure permettant de déroger au délai en cause sur la base de l’article 45, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53 dudit statut.

18      À cet égard, il indique n’avoir eu connaissance de l’application de la disposition attaquée à sa situation contractuelle que par le biais de la lettre du 26 février 2024 que son avocat lui a adressée.

19      Toutefois, l’application de la disposition attaquée à sa propre situation ne saurait constituer ni le point de départ du délai de recours en annulation en l’espèce, ni un cas fortuit ou de force majeure au sens de l’article 45, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

20      En tout état de cause, le requérant dispose de la possibilité de mettre en cause la légalité de la disposition attaquée devant le juge national compétent, le cas échéant par le biais d’une demande de question préjudicielle en appréciation de validité au sens de l’article 267 TFUE.

21      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté comme étant manifestement irrecevable, sans qu’il soit nécessaire de le signifier à la partie défenderesse.

 Sur les dépens

22      La présente ordonnance étant adoptée avant la signification de la requête à la partie défenderesse et avant que celle-ci n’ait pu exposer des dépens, il suffit de décider que la requérante supportera ses propres dépens, conformément à l’article 133 du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme étant manifestement irrecevable.

2)      M. Alexey Druzyagin supportera ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 24 juin 2024.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

D. Spielmann


*      Langue de procédure : l’anglais.