ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)
11 mars 1999 (1)
«Traité CECA Concurrence Accords entre entreprises, décisions
d'associations d'entreprises et pratiques concertées Fixation des prix
Répartition des marchés Systèmes d'échange d'informations»
Dans l'affaire T-138/94,
COCKERILL-SAMBRE SA, société de droit belge, établie à Bruxelles, représentée
par Me Alexandre Vandencasteele, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu
domicile à Luxembourg en l'étude de Me Ernest Arendt, 8-10, rue Mathias Hardt,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM.
Julian Currall, membre du service juridique, et Géraud Sajust de Bergues,
fonctionnaire national détaché auprès de la Commission, puis par MM. Jean-Louis
Dewost, directeur général du service juridique, Julian Currall, et Guy Charrier,
fonctionnaire national détaché auprès de la Commission, en qualité d'agents,
assistés de Me Jean-Yves Art, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile
à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service
juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
ayant pour objet principal une demande d'annulation de la décision 94/215/CECA
de la Commission, du 16 février 1994, relative à une procédure d'application de
l'article 65 du traité CECA concernant des accords et pratiques concertées
impliquant des producteurs européens de poutrelles (JO L 116, p. 1),
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),
composé de MM. C. W. Bellamy, faisant fonction de président, A. Potocki et
J. Pirrung, juges,
greffier: M. J. Palacio González, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale des 23, 24, 25, 26 et 27
mars 1998,
rend le présent
Arrêt
Faits à l'origine du recours
A Observations liminaires
- 1.
- Le présent recours tend à l'annulation de la décision 94/215/CECA de la
Commission, du 16 février 1994, relative à une procédure d'application de l'article
65 du traité CECA concernant des accords et pratiques concertées impliquant des
producteurs européens de poutrelles (JO L 116, p. 1, ci-après «Décision»), par
laquelle elle a constaté la participation de 17 entreprises sidérurgiques européennes
et d'une de leurs associations professionnelles à une série d'accords, de décisions
et de pratiques concertées de fixation des prix, de répartition des marchés et
d'échange d'informations confidentielles sur le marché communautaire des
poutrelles, en violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA, et a infligé
des amendes à quatorze entreprises de ce secteur pour des infractions commises
entre le 1er juillet 1988 et le 31 décembre 1990.
- 2.
- D'après la Décision (point 13), Cockerill-Sambre SA (ci-après «Cockerill-Sambre»)
est le principal producteur belge d'acier. Au cours de la période visée par la
Décision, la SA Steelinter (ci-après «Steelinter») était le principal distributeur de
Cockerill-Sambre qui détenait, directement ou indirectement, la totalité de son
capital. Steelinter a été absorbée par Cockerill-Sambre le 30 décembre 1989
(requête, point 6). En 1990, le chiffre d'affaires du groupe Cockerill-Sambre s'est
élevé à 203 milliards de BFR. En 1989, dernière année pour laquelle Cockerill-Sambre a produit des poutrelles, celles-ci ont représenté un montant de 5,74
milliards de BFR, soit 132 millions d'écus, dans son chiffre d'affaires
communautaire.
- 3.
- Dix autres destinataires de la Décision ont également introduit un recours devant
le Tribunal, à savoir NMH Stahlwerke GmbH (ci-après «NMH», affaire T-134/94),
Eurofer ASBL (ci-après «Eurofer», affaire T-136/94), ARBED SA (ci-après
«ARBED», affaire T-137/94), Thyssen Stahl AG (ci-après «Thyssen», affaire T-141/94), Unimétal Société française des aciers longs SA (ci-après «Unimétal»,
affaire T-145/94), Krupp Hoesch Stahl AG (ci-après «Krupp Hoesch», affaire T-147/94), Preussag Stahl AG (ci-après «Preussag», affaire T-148/94), British Steel
plc (ci-après «British Steel», affaire T-151/94), Siderúrgica Aristrain Madrid SL (ci-après «Aristrain», affaire T-156/94) et Empresa Nacional Siderúrgica SA (ci-après
«Ensidesa», affaire T-157/94).
- 4.
- Les onze affaires ayant été jointes aux fins de l'instruction et de la procédure orale
par ordonnance du Tribunal du 10 décembre 1997, il sera fait référence, dans le
présent arrêt, à un certain nombre de documents produits dans les affaires
parallèles. De même, les requérantes dans ces affaires ayant soulevé certains
arguments dans le cadre d'une plaidoirie commune à l'audience, il sera fait
référence aux «requérantes».
B Relations entre l'industrie sidérurgique et la Commission entre 1970 et 1990
Crise des années 70 et création d'Eurofer
- 5.
- A partir de 1974, une chute de la demande engendrant des problèmes d'offre
excédentaire et de surcapacités, ainsi qu'un faible niveau des prix, a durement
frappé la sidérurgie européenne.
- 6.
- Le 1er janvier 1977, la Commission a adopté, en vertu de l'article 46 du traité
CECA, le «plan Simonet», dans le cadre duquel chaque entreprise devait prendre
des engagements volontaires unilatéraux d'adapter ses fournitures aux niveaux
proposés dans les programmes prévisionnels qui sont publiés chaque trimestre,
conformément à l'article 46, troisième alinéa, sous 2), du traité. Ce système n'ayant
pas permis de stabiliser le marché, il a été remplacé en 1978 par le «plan
Davignon», qui ajoutait, notamment, aux engagements volontaires unilatéraux la
fixation de prix d'orientation et de prix minimaux (accord dit «Eurofer I»).
- 7.
- Les engagements volontaires unilatéraux des entreprises envers la Commission
étaient préalablement discutés entre elles au sein de l'association professionnelle
Eurofer, dont la Commission avait encouragé la création en 1977. En réalité, la
Commission s'est très largement appuyée sur Eurofer pour gérer la crise de la
sidérurgie, au point qu'une lettre du membre de la Commission M. Davignon au
président d'Eurofer du 13 juillet 1978 se réfère à «la gestion en commun de
l'anticrise pour laquelle Commission et producteurs ont opté» (requête dans
l'affaire T-151/94, appendice 3, document 2).
Régime des quotas instauré de 1980 à 1988
- 8.
- La situation du marché sidérurgique ayant continué à se détériorer, la Commission
a adopté la décision n° 2794/80/CECA, du 31 octobre 1980, instaurant un régime
de quotas de production d'acier pour les entreprises de l'industrie sidérurgique (JO
L 291, p. 1, ci-après «décision n° 2794/80»). Par cette décision, la Commission
constatait un état de crise manifeste au sens de l'article 58 du traité CECA et
imposait des quotas de production obligatoires pour la plupart des produits
sidérurgiques, y compris les poutrelles.
- 9.
- Ce régime de crise peut être décrit de la manière suivante. La Commission fixait
un objectif trimestriel de production communautaire pour les différentes catégories
de produits, puis attribuait à chaque entreprise un quota de production ainsi qu'un
quota de livraison au niveau communautaire (quotas «I»). En outre, il était
convenu que chaque entreprise se voyait attribuer un quota de livraison pour
chacun des marchés nationaux (quotas «i»). C'est Eurofer qui était chargée de la
répartition du quota «I» de chaque entreprise en quotas «i», dans le cadre des
accords Eurofer II à Eurofer V. Le cas échéant, la Commission intervenait en cas
de différend entre entreprises (voir l'arbitrage rendu par M. Davignon le 2 juin
1982 à l'égard des quotas «i» d'Italsider, appendice 3, document 11 à la requête
T-151/94).
- 10.
- Il importe également de relever que les membres de la Commission MM. Davignon
et Andriessen ont, par une lettre du 17 janvier 1983 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 6), adressé une mise en garde à Eurofer, qui se lit
comme suit:
«La Commission apprécie la coopération que les entreprises et leurs associations
ont apportée à la réussite des mesures anticrise, y compris en matière de politique
des prix. Elle considère cette coopération comme un élément essentiel de sa
politique sidérurgique et en souhaite la continuation.
Toutefois, elle attire l'attention des associations, et notamment d'Eurofer, sur le fait
que celles-ci doivent exercer leurs activités en respectant strictement le cadre et les
limites stipulés par l'article 48 du traité CECA.
La Commission tient à préciser qu'elle ne pourra pas accepter que les entreprises
sidérurgiques ou leurs associations anticipent ou détournent les décisions que la
Commission prendra dans l'élaboration de la politique de prix, ni que les mesures
prises par elle et les recommandations qu'elle formule dans le cadre de sa politique
anticrise soient utilisées comme prétexte à conclure des ententes ou à adopter des
décisions contraires au traité. De telles ententes ou décisions tomberaient sous le
coup de l'article 65, seraient nulles de plein droit et devraient être poursuivies par
la Commission.
[...]»
- 11.
- Le président d'Eurofer a, par une lettre du 8 février 1983, répondu à MM.
Davignon et Andriessen en ces termes (requête dans l'affaire T-151/94, appendice
3, document 7):
«Nous voudrions [...] vous rappeler que, dans le domaine quantitatif, les accords
de restriction de production et de livraisons ont été conclus à la demande pressante
de la Commission européenne et du Conseil. Votre Commission est tenue informée
de tous les détails de leur fonctionnement, et nous sommes bien décidés à
continuer d'agir de la sorte.
Dans le domaine des prix, la Commission et le Conseil n'ont cessé d'insister sur la
nécessité d'un relèvement destiné à permettre aux entreprises sidérurgiques
d'obtenir des recettes suffisantes [...]
Votre Commission est informée scrupuleusement de tous les efforts réalisés en vue
d'aboutir à l'objectif qu'elle s'est fixé, et nous sommes décidés à continuer dans
cette voie dans l'avenir.
Dans ces conditions, nous comptons que, si notre activité devait un jour risquer de
dépasser l'interprétation que la Commission donne aux dispositions du traité de
Paris, vous nous en ferez immédiatement part.»
- 12.
- L'état de crise manifeste s'étant durablement installé, les mesures de quotas
adoptées par la Commission ont été prorogées et complétées à diverses reprises,
notamment par l'adoption d'un système de prix minimaux pour les poutrelles et
d'autres produits, entre 1984 et 1986 (décision n° 3715/83/CECA de la Commission,
du 23 décembre 1983, fixant des prix minimaux pour certains produits
sidérurgiques, JO L 373, p. 1). La Commission a en outre adopté la décision
n° 3483/82/CECA, du 17 décembre 1982, relative à l'obligation pour les entreprises
de la Communauté de déclarer leurs livraisons de certains produits sidérurgiques
(JO L 370, p. 1, ci-après «décision n° 3483/82»), instaurant un «système de
surveillance», dans le cadre duquel chaque entreprise était tenue de lui déclarer
ses fournitures par pays.
- 13.
- Au début de l'année 1984, la Commission a renforcé le système des quotas en
adoptant la décision n° 234/84/CECA, du 31 janvier 1984, prorogeant le régime de
surveillance et de quotas de production de certains produits pour les entreprises
de l'industrie sidérurgique (JO L 29, p. 1, ci-après «décision n° 234/84»). Le
neuvième considérant de cette décision se réfère à une déclaration du Conseil du
22 décembre 1983, selon laquelle «la stabilité des flux traditionnels des produits
sidérurgiques dans la Communauté est un élément essentiel qui doit être préservé
pour que la restructuration du secteur sidérurgique s'effectue dans un contexte
concurrentiel compatible avec la solidarité imposée par le système des quotas de
production». En conséquence, l'article 15 B de ladite décision prévoit, au cas où
un État membre déposerait une plainte à ce sujet, que la Commission, après avoir
vérifié le bien-fondé de cette plainte, obtienne des entreprises qui auraient été à
l'origine des perturbations constatées qu'elles prennent l'engagement écrit de
compenser, au cours du trimestre suivant, le déséquilibre dans leurs livraisons
traditionnelles. Au cas où une entreprise ne voudrait pas se soumettre à ce principe
de solidarité, la Commission pourra réduire la partie de ses quotas pouvant être
livrée sur le marché commun.
- 14.
- La politique de stabilité des flux traditionnels et les efforts en vue de maintenir les
prix à un niveau acceptable ont fait l'objet de plusieurs échanges entre la
Commission et Eurofer, et notamment:
une note d'Eurofer du 2 juillet 1984, relatant les explications fournies lors
d'une rencontre entre des représentants de la Commission et de l'industrie,
qui s'est tenue à Bruxelles le 27 juin 1984 (requête dans l'affaire T-151/94,
appendice 3, document 8), qui précise, à propos de la mise en oeuvre de
l'article 15 B de la décision n° 234/84:
«La Commission a établi le système de l'article 15 B en réponse à la
préoccupation des gouvernements nationaux. Il ne peut en aucune façon
remplacer le système du petit 'i de l'accord Eurofer IV. Au contraire, la
Commission a besoin d'Eurofer pour les estimations de marché et pour le
règlement de tous les détails. Sans Eurofer, la Commission serait en
extrême difficulté [...] Généralement parlant, la Commission s'intéresse
seulement à l'analyse générale de la situation, sans entrer dans les détails
secondaires [...] Pour l'avenir, la Commission est disposée à envisager un
système à base de quotas, mais elle aurait alors besoin du soutien total
d'Eurofer»;
le compte rendu d'une réunion Commission-Eurofer du 16 décembre 1985,
en présence du membre de la Commission M. Narjes (requête dans l'affaire
T-151/94, appendice 3, document 10), qui indique, à propos des flux
traditionnels:
«La Commission a exprimé sa profonde préoccupation concernant les
développements récents du marché. Elle a regretté qu'Eurofer V n'ait pas
encore été conclu et elle a souligné la responsabilité des producteurs en ce
qui concerne les prix [...] La Commission a exhorté les participants à
réexaminer les modes de coopération entre eux, vu qu'elle considère
qu'Eurofer a joué un rôle essentiel dans la mise en oeuvre de l'article 58.
Elle a l'intention de définir les critères d'application de l'article 15 B
aussitôt que possible, afin de faire face à la situation au cas où Eurofer
échouerait, ou de faciliter un arrangement privé»;
le compte rendu d'une réunion entre M. Narjes et Eurofer du 10 mars 1986
(requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 13), qui indique, à
propos du marché espagnol:
«Narjes a rappelé la décision de la Commission concernant la limitation des
livraisons à l'Espagne [...] En ce qui concerne le partage du fardeau, il était
favorable à un accord interne entre les producteurs d'Eurofer»;
le compte rendu d'une réunion entre M. Narjes et les délégués d'Eurofer
du 16 mai 1986 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 14),
qui indique:
«La Commission a insisté sur la nécessité d'harmoniser rapidement les prix
publiés dans la Communauté au même niveau et d'éviter les différences
entre les prix publiés et les prix du marché. Les rabais sectoriels devraient
correspondre à la réalité. Confirmation a été donnée de ce que l'industrie
sidérurgique française était prête à augmenter les prix, mais aussi de la
nécessité du soutien des pénétrants à cet égard. Eurofer a exprimé l'espoir
que l'accord Eurofer V constitue la base adéquate d'un rétablissement
général des prix.»
- 15.
- A la même époque, la Commission a conclu une série d'accords internationaux
avec le royaume de Suède, le royaume de Norvège et la république de Finlande,
destinés à assurer la stabilité des flux traditionnels des échanges entre ces pays et
la Communauté (système dit des «arrangements»): voir les lettres de la
Commission, déposées à l'audience par les parties, aux autorités suédoises des 4
mars 1986, 13 février 1987 et 21 janvier 1988, aux autorités norvégiennes des 4
mars 1986, 11 mars 1987 et 10 février 1988, et aux autorités finlandaises des 4
mars 1986, 10 avril 1987 et 12 février 1988, échangées respectivement dans le cadre
de l'accord du 22 juillet 1972 entre les États membres de la Communauté
européenne du charbon et de l'acier et la Communauté européenne du charbon
et de l'acier, d'une part, et le royaume de Suède, d'autre part (JO 1973, L 350,
p. 76), de l'accord du 14 mai 1973 entre les États membres de la Communauté
européenne du charbon et de l'acier et la Communauté européenne du charbon
et de l'acier, d'une part, et le royaume de Norvège, d'autre part (JO 1974, L 348,
p. 17), et de l'accord du 5 octobre 1973 entre les États membres de la
Communauté européenne du charbon et de l'acier et la Communauté européenne
du charbon et de l'acier, d'une part, et la république de Finlande, d'autre part (JO
1974, L 348, p. 1).
- 16.
- Un arrangement semblable a été appliqué au royaume d'Espagne, pour une
période transitoire de trois ans, par le protocole numéro 10 à l'acte d'adhésion. La
Commission a ainsi fixé, pour chacune des années 1986, 1987 et 1988, le niveau des
livraisons de produits sidérurgiques d'origine espagnole sur les marchés
communautaires, à l'exception du Portugal. L'application de ces mesures
transitoires spécifiques a pris fin le 31 décembre 1988.
Événements précédant la fin du régime de crise manifeste, le 30 juin 1988
- 17.
- La Commission a commencé à préparer la sortie du régime de crise et le retour
à des conditions normales de marché dès 1985. Un document rédigé par les
services de la direction générale Marché intérieur et affaires industrielles de la
Commission (DG III) dans le courant de l'année 1985 (document III/534/FR,
requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 5) rappelle: «Le système
des quotas était largement basé sur le système volontaire qui avait été géré par
Eurofer» et souligne: «[Il importe] qu'un accord sur le futur soit conclu avant la
moitié de l'année à venir car, si cela n'est pas fait, il y aura une bataille pour les
parts de marché pendant la seconde moitié de l'année, qui pourrait bien avoir des
effets désastreux sur les prix et sur les bénéfices des entreprises.» Ce document
conclut: «Eurofer doit dès lors être encouragée à accepter ses responsabilités et à
formuler ses propositions quant à la façon dont l'industrie sidérurgique devrait
émerger d'une période de protection pour entrer dans des conditions de libre
marché.»
- 18.
- Dans sa communication au Conseil sur l'introduction d'un système de quotas sur
la base de l'article 58 du traité CECA après le 31 décembre 1985 [COM(85) 509,
requête dans l'affaire T-145/94, annexe 14], la Commission décrit en détail une
période transitoire avant le retour au jeu normal de la concurrence. Estimant que
le pire de la crise est pratiquement passé, elle conclut que:
«La restructuration de l'industrie sidérurgique communautaire n'est pas encore
achevée. [...] Une période de transition est donc nécessaire. Limitée à un maximum
de trois ans, elle permettra à l'industrie de passer progressivement des contrôles
extrêmement rigides actuellement appliqués à un marché pleinement concurrentiel,
en accord avec les objectifs du traité CECA. [...] Le système des quotas proposé
à partir du 1er janvier 1986 [...] sera le dernier avant le retour à un marché
concurrentiel. [...] La Commission n'entend pas inclure dans la prochaine décision
les dispositions de l'article 15 B de la décision 234/84/CECA dans leur forme
actuelle. [...] D'un autre côté, elle a l'intention de poursuivre, pendant la première
phase de la période de transition, la surveillance statistique des flux de produits
sidérurgiques entre les États membres, sur la base des certificats de production et
des documents d'accompagnement. Ces documents permettront de contrôler si les
flux traditionnels entre États membres font l'objet de perturbations sérieuses. Au
cas où la surveillance statistique montrerait que les flux sont perturbés, la
Commission examinerait immédiatement si les sociétés concernées ont lancé une
offensive pour recruter de nouveaux clients en violation des règles du traité, et en
particulier des règles sur les prix.»
- 19.
- Dans sa décision n° 3485/85/CECA, du 27 novembre 1985, prorogeant le système
de surveillance et de quotas de production de certains produits pour les entreprises
de l'industrie sidérurgique (JO L 340, p. 5), la Commission indique que, grâce à
l'amélioration des conditions du marché:
«Il sera possible de démanteler progressivement le régime de quotas en deux ou
trois ans au maximum. Lors de sa réunion du 25 juillet 1985, le Conseil a déjà
signalé la nécessité de revenir de façon ordonnée à un marché de libre concurrence
entre les entreprises de la Communauté.»
- 20.
- Le compte rendu de la réunion Commission/Eurofer du 16 mai 1986 (requête dans
l'affaire T-151/94, appendice 3, document 14), rédigé par Eurofer, indique, sous la
rubrique «mise en oeuvre de l'article 58 en 1987»: «En ce qui concerne l'avenir
après 1987, les représentants de la Commission ont déclaré que pour leur part ils
n'avaient pas encore d'opinion sur la question.» Le même compte rendu révèle que
les responsables d'Eurofer, réunis après le départ des représentants de la
Commission, envisageaient de leur côté diverses possibilités:
«Une discussion initiale a montré qu'un choix devait être fait entre trois
possibilités:
liberté totale et, dans ce cas, comment coopérer de la meilleure manière;
prolongation de l'article 58 et, dans ce cas, comment procéder avec la
Commission;
pas d'article 58, mais un arrangement privé.
Dans ce cas, quelle espèce d'arrangement (production, livraisons) et quelle
couverture (acier brut, certains produits, etc.).
Chaque membre a convenu que, de toute manière, l'objectif était de fixer un
niveau de prix qui corresponde à la profitabilité pour un grand nombre de sociétés.
Différentes espèces d'opinions ont été exprimées, l'une, basée sur l'existence de
surcapacités dans les quelques années à venir, a estimé que des arrangements sur
les quantités étaient inévitables, une autre, basée sur l'expérience du passé, a mis
en doute la capacité de toutes les sociétés à accepter les adaptations nécessaires
à la conclusion d'un arrangement privé après une longue période de mesures
artificielles.»
- 21.
- Dans sa décision n° 3746/86/CECA, du 5 décembre 1986, modifiant la décision
n° 3485/85 (JO L 348, p. 1), la Commission a indiqué: «L'introduction de l'article
15 B s'était imposée au moment le plus aigu de la crise de l'industrie sidérurgique.
Au stade actuel, le maintien de cette disposition ne se justifie plus. Il y a donc lieu
de le supprimer.»
- 22.
- Dans sa communication au Conseil sur la politique sidérurgique, présentée le 18
septembre 1987 [COM(87) 388 final/2, JO 1987, C 272, p. 3], la Commission a
notamment fait les déclarations suivantes:
«La Commission n'est prête à prolonger le régime de quotas, dont tout le monde
convient qu'il doit être actualisé, que si celui-ci est accompagné d'incitations à la
fermeture et d'engagements fermes de la part des entreprises et des gouvernements
concernés.
[...]
Bien que des conditions de crise subsistent pour les produits plats et les profilés
lourds, la Commission, consciente du frein que le système de quotas en lui-même
peut créer en ce qui concerne la restructuration de l'industrie, ne mettra donc en
oeuvre un tel système que dans la mesure où elle obtiendra par ailleurs des
entreprises des engagements fermes concernant un niveau satisfaisant defermetures exécutées suivant un calendrier qui ne doit pas excéder trois ans.
[...]
En particulier:
[...]
elle mettra fin au système au cours de l'année 1988 si, avant le 1er août
1988, les entreprises n'ont pas fait un effort supplémentaire [...]»
- 23.
- Le 8 octobre 1987, la Commission a confié à un groupe de trois «sages»,
MM. Colombo, Friderichs et Mayoux, le mandat de rechercher si, dans trois
catégories de produits, dont les poutrelles, les entreprises étaient prêtes à prendre
des engagements pour une réduction suffisante et rapide des capacités de
production jugées excédentaires.
- 24.
- Selon le «rapport des trois sages» (JO C 9, du 14 janvier 1988, p. 6):
«Il est évident que, protégées depuis sept ans par un système de quotas, et
habituées à le voir prolongé, les entreprises ne sont pas prêtes à prendre des
engagements de fermeture suffisants pour justifier une prolongation de ce
système [...]
Pourtant, face à la situation économique internationale, on peut prévoir que la
situation actuelle de prix relativement élevés ne durera pas longtemps et il est
certain que les surcapacités vont peser à nouveau sur le marché, obligeant les
sidérurgistes à se restructurer et à fermer des installations.
La Commission doit donc agir avec fermeté et en même temps avec un grand sens
de ses responsabilités.
L'actuel système de quotas ne peut pas être retenu sans que des engagements
fermes pour la réduction des capacités soient pris par les entreprises. En revanche,
si on s'abandonne brusquement aux forces du marché, la détérioration des prix qui
va sans doute en résulter pourrait peser sur toutes les entreprises et ainsi rendre
plus difficile la restructuration envisagée.»
- 25.
- Le rapport conclut:
«En terminant notre travail, nous tenons à souligner encore une fois la gravité de
la crise sidérurgique, beaucoup plus importante que la majorité des industriels ne
l'admet.
Cette crise appelle une attitude résolue et sans équivoque des autorités
communautaires pour mettre l'industrie devant ses responsabilités.
Il est en effet urgent que les entreprises sidérurgiques se restructurent pour faire
face à la concurrence mondiale et deviennent pleinement compétitives, dans un
marché qui sera de plus en plus ouvert.»
- 26.
- C'est également dans le courant de l'année 1987 que la Commission a abandonné
sa doctrine en matière de maintien des «flux traditionnels». Dans l'annexe I à sa
communication au Conseil du 18 septembre 1987, précitée, elle a ainsi exprimé
l'avis que «la préservation des flux commerciaux traditionnels de produits
sidérurgiques entre les États membres manque de consistance vis-à-vis de l'objectif
de la Communauté de créer un marché intérieur ouvert en 1992».
- 27.
- La nouvelle politique sidérurgique de la Communauté a été exposée dans la
communication de la Commission sur la politique sidérurgique, présentée au
Conseil le 16 juin 1988 [COM(88) 343 final, JO 1988, C 194, p. 23). Envisageant
les mesures à prendre, elle a indiqué:
«Il est à noter que le traité de Paris se base, comme situation normale, sur un
concept de libre concurrence dans le marché et ne charge la Commission, dans son
article 5, d'intervenir d'une façon directe dans la production que si les circonstances
l'exigent [...] Le traité stipule également que la concurrence doit se dérouler dans
des conditions normales.
En outre, il est à prendre en considération que la finalisation du marché intérieur
en 1992 est un objectif primordial pour le marché sidérurgique également. La
préparation à l'échéance de 1992 exigera un changement radical de stratégie des
entrepreneurs encore trop souvent empreinte de réflexions en termes de marchés
nationaux.»
- 28.
- La Commission a conclu:
«Le marché sidérurgique s'est amélioré à tel point que le système de quotas ne se
justifie plus. Ce système s'est également avéré inadéquat pour inciter les entreprises
à parachever la restructuration [...] la Commission est d'avis que l'adaptation
structurelle doit continuer selon les règles normales du marché.»
- 29.
- Lors de sa 1255e session du 24 juin 1988, le Conseil a pris acte de ce que la
Commission entendait mettre fin au régime des quotas pour l'ensemble des
produits sidérurgiques au 30 juin 1988. Se référant aux mesures d'accompagnement
et de surveillance du marché envisagées par la Commission (statistiques mensuelles
relatives à la production et aux livraisons, programmes prévisionnels, consultation
des intéressés), le Conseil a souligné que «personne ne doit utiliser le système de
surveillance pour contourner l'article 65 du traité CECA» (voir extrait du projet
de procès-verbal de la 1255e session du Conseil, annexe 3 au mémoire en défense
dans l'affaire T-151/94).
- 30.
- Le 4 mai 1988, la Commission a par ailleurs publié un communiqué de presse
[IP(88) 261, voir requête dans l'affaire T-151/94, appendice 5, document 4] relatif
à l'inspection qu'elle venait d'effectuer dans le cadre de l'affaire de l'acier
inoxydable (voir point 36 ci-après). On y lit notamment:
«C'est la première inspection en matière de cartels dans le secteur de l'acier menée
par la Commission depuis treize ans. Alors que le système officiel des quotas de
la Commission a déjà été supprimé pour certains produits, et que des propositions
ont été faites pour mettre fin au système des quotas le 30 juin 1988, il est clair que
la Commission ne peut tolérer aucune substitution du système communautaire par
des arrangements non officiels et illégaux conclus par l'industrie elle-même.»
- 31.
- Le régime de crise a pris fin officiellement, dans le cas des poutrelles, le 30 juin
1988. L'accord Eurofer V a pris fin au même moment. Le système de surveillance
des livraisons entre États membres instauré par la décision n° 3483/82 a toutefois
été maintenu en place jusqu'en novembre 1988.
Régime de surveillance mis en place à partir du 1er juillet 1988
- 32.
- Bien que le régime de crise manifeste ait pris fin le 30 juin 1988, il ressort d'une
note interne de la DG III du 24 octobre 1988, produite par la partie défenderesse
en exécution de l'ordonnance du Tribunal du 10 décembre 1997, que le Conseil et
la Commission s'étaient mis d'accord sur la nécessité de faciliter l'adaptation des
entreprises à d'éventuels changements de la demande. A cet effet, il avait été
entendu que la Commission continuerait à surveiller le marché à travers trois
mesures:
la collecte de statistiques mensuelles sur la production et sur les livraisons
de certains produits;
le suivi de l'évolution des marchés de ces produits, dans le cadre des
programmes prévisionnels trimestriels;
une consultation régulière des entreprises sur la situation et les tendances
du marché.
- 33.
- La Commission a notamment mis en oeuvre cette politique par sa décision
n° 2448/88/CECA, du 19 juillet 1988, instaurant un régime de surveillance pour
certains produits pour les entreprises de l'industrie sidérurgique (JO L 212, p. 1,
ci-après «décision n° 2448/88»), dans le cadre duquel chaque entreprise était tenue
de lui déclarer ses livraisons. Ce système a expiré le 30 juin 1990, pour être
remplacé par un régime d'information individuel et volontaire.
- 34.
- Les entreprises ont ainsi continué à entretenir des contacts réguliers et étroits avec
la DG III, à l'occasion desquels les paramètres du marché (production, livraison,
stocks, prix, exportations, importations...) étaient discutés. Ces contacts ont été
établis dans les enceintes suivantes:
a) les réunions trimestrielles officielles qui rassemblent des représentants des
producteurs, des utilisateurs et des négociants et ceux de la Commission, au
cours desquelles sont discutés, conformément à l'article 46 du traité, les
programmes prévisionnels («forward programmes»). De telles réunions ont
notamment eu lieu les 4 mai 1988, 1er septembre 1988, 3 novembre 1988,
1er février 1989, 28 avril 1989, 1er septembre 1989, 7 novembre 1989, 7
février 1990, 3 mai 1990, 4 septembre 1990 et 5 novembre 1990;
b) les «réunions de consultation» («consultation meetings»), limitées à un petit
nombre de représentants de l'industrie, membres ou non d'Eurofer, et de
la Commission, qui ont eu lieu notamment les 27 octobre 1988, 26 janvier
1989, 28 avril 1989, 27 juillet 1989, 26 octobre 1989, 25 janvier 1990 et 27
juillet 1990;
c) les «réunions restreintes» («restricted meetings»), limitées à un nombre très
restreint de représentants de l'industrie, membres ou non d'Eurofer, et de
la Commission, des 8 décembre 1988, 21 mars 1989, 15 juin 1989 et 13
décembre 1989;
d) les «déjeuners de l'acier» («steel lunches»), qui réunissaient dans un cadre
informel des représentants d'Eurofer et de la Commission, à l'occasion des
réunions de consultation ou des réunions restreintes.
- 35.
- Le but principal de ces diverses réunions était de fournir à la Commission les
informations en provenance de l'industrie nécessaires à l'application de l'article 46
du traité et du régime de surveillance instauré par la décision 2448/88. Elles
rassemblaient des fonctionnaires de la DG III (notamment MM. Ortún, Kutscher,
Evans, Drees, Aarts et Vanderseypen), le président du CDE, les présidents des
commissions de produits d'Eurofer, certains représentants d'autres associations
sidérurgiques et certains membres du personnel d'Eurofer. Les représentants de
l'industrie fournissaient à la Commission des informations générales sur la situation
économique de chaque produit. Les données, générales et par produits, échangées
à ces occasions, concernaient la consommation réelle, la consommation apparente,
les prix, les commandes, les livraisons, les importations, les exportations et l'état des
stocks. Un résumé des réunions de consultation, mieux connu sous le nom de
«speaking notes», était remis par Eurofer à la DG III en général quelques jours
après la réunion concernée.
Décision «acier inoxydable» du 18 juillet 1990
- 36.
- Le 18 juillet 1990, la Commission a adopté la décision 90/417/CECA, relative à une
procédure au titre de l'article 65 du traité CECA concernant l'accord et les
pratiques concertées des producteurs européens de produits plats en acier
inoxydable laminés à froid (JO L 220, p. 28, ci-après «décision acier inoxydable»),
par laquelle elle a infligé des amendes d'un montant allant de 25 000 à
100 000 écus à certaines entreprises sidérurgiques, parmi lesquelles British Steel,
Thyssen Edelstahlwerke AG, société soeur de Thyssen, et Ugine aciers de Châtillon
et Gueugnon, filiale d'Unimétal, pour avoir enfreint l'article 65, paragraphe 1, du
traité en concluant un accord de quotas et de prix daté du 15 avril 1986.
Réflexions menées par la Commission, à partir de 1990, sur l'avenir du traité CECA
- 37.
- La Commission a entamé une réflexion sur l'avenir du traité CECA dans le courant
de l'année 1990, comme en témoigne un projet de communication de M.
Bangemann, membre de la Commission en charge de la politique industrielle, aux
membres de la Commission sur cette question, daté du 23 octobre 1990 (annexe
10 à la requête dans l'affaire T-156/94). Dans ce document, la Commission a
privilégié l'option de l'expiration à son terme, en 2002, du traité CECA, «tout en
utilisant les flexibilités que celui-ci offre pour adapter, dans la mesure du possible,
son application à la situation des deux secteurs, et en organisant progressivement
leur reprise ('phasing in) par le traité CEE en 2002» [voir aussi la communication
de la Commission au Conseil et au Parlement européen, du 15 mars 1991, sur
l'avenir du traité CECA, SEC (91)407 final, requête dans l'affaire T-151/94,
appendice 3, document 1].
- 38.
- Dans sa communication de septembre 1991 sur la politique de la concurrence
CECA (IV/832/91) (réplique dans l'affaire T-151/94, annexe 5), la Commission a
proposé «de faire en sorte que les pratiques de concurrence CECA et CEE soient
alignées dans toute la mesure du possible à l'avenir». De même, dans sonVingtième Rapport sur la politique de concurrence, publié en 1991, la Commission a
notamment fait observer (point 122): «Le moment est venu d'aligner, dans toute
la mesure du possible, les règles de concurrence CECA sur celles du traité de
Rome.»
C Procédure administrative devant la Commission
- 39.
- Les 16, 17 et 18 janvier 1991, la Commission a, sur la base de décisions
individuelles adoptées au titre de l'article 47 du traité, effectué des vérifications
dans les bureaux de sept entreprises, dont la requérante, et de deux associations
d'entreprises. D'autres vérifications ont été effectuées les 5, 7 et 25 mars 1991. Des
informations complémentaires ont été fournies par certaines des entreprises et
associations d'entreprises en cause à la suite de demandes formulées par la
Commission au titre de l'article 47 du traité.
- 40.
- La Commission a adressé une communication des griefs aux entreprises et
associations concernées, parmi lesquelles la requérante, le 6 mai 1992. La
requérante y a répondu par écrit le 3 août 1992.
- 41.
- Les parties ont également eu la possibilité de présenter leur point de vue lors d'une
audition qui s'est tenue à Bruxelles du 11 au 14 janvier 1993, et dont le compte
rendu leur a été envoyé les 8 juillet et 8 septembre 1993. A cette occasion, le
conseiller-auditeur, eu égard aux nombreuses allusions des parties présentes à
certains contacts qu'aurait entretenus la DG III avec les producteurs de poutrelles
pendant la période couverte par la communication des griefs, les a invitées à lui
communiquer tous les éléments de preuve en leur possession à ce sujet. D'après
la défenderesse, la requérante a répondu à cette invitation.
- 42.
- Par lettre du 22 avril 1993, le conseiller-auditeur a signalé aux parties concernées
son intention de ne pas procéder à une seconde audition.
- 43.
- Le 15 février 1994, soit la veille de l'adoption de la Décision, les négociations alors
en cours entre la Commission et les représentants de l'industrie sidérurgique, visant
à la restructuration de cette industrie par la voie de réductions volontaires de
capacités de production, ont été rompues sur un constat d'échec.
- 44.
- Selon le procès-verbal de la 1189e réunion de la Commission (matin et après-midi),
produit par la partie défenderesse à la demande du Tribunal, la Décision a été
définitivement adoptée lors de la séance de l'après-midi du 16 février 1994.
- 45.
- A midi, le 16 février 1994, M. Van Miert, membre de la Commission en charge des
affaires de concurrence, a donné une conférence de presse au cours de laquelle il
a annoncé que la Commission venait d'adopter la Décision et a indiqué le montant
des amendes infligées aux requérantes British Steel, Preussag et ARBED. Ces
montants ne correspondent pas à ceux indiqués dans la Décision. Il a également
détaillé certains critères retenus pour la fixation des amendes et a répondu aux
questions des journalistes. Il a notamment nié toute connexité entre l'adoption de
la Décision et l'échec, la veille, des négociations sur les réductions volontaires des
capacités de production.
- 46.
- Le 24 février 1994, lors d'un débat au Parlement européen, certains parlementaires
se sont interrogés sur les motifs qui avaient poussé la Commission à adopter la
Décision le lendemain de l'échec des négociations sur la restructuration de
l'industrie. M. Van Miert a défendu la position de la Commission en soulignant
qu'il s'agissait là de deux dossiers distincts.
D Décision
- 47.
- La Décision, qui est parvenue à la requérante sous couvert d'une lettre de M. Van
Miert datée du 28 février 1994 (ci-après «Lettre»), comporte le dispositif suivant:
«Article premier
Les entreprises suivantes ont pris part, dans la mesure décrite dans la présente
décision, aux pratiques anticoncurrentielles indiquées sous leur nom, qui
empêchaient, restreignaient et faussaient le jeu normal de la concurrence dans le
marché commun. Lorsque des amendes sont infligées, la durée de l'infraction est
indiquée en mois, sauf dans le cas de l'harmonisation des suppléments, où la
participation à l'infraction est indiquée par 'X.
[...]
Cockerill-Sambre
a) Échange d'informations confidentielles par l'intermédiaire de la commission
poutrelles (18)
b) Fixation des prix à la commission poutrelles (18)
c) Fixation des prix sur le marché danois (12)
d) Répartition des marchés, «système Traverso» (3)
e) Répartition des marchés, France (3)
f) Répartition des marchés, Italie (3)
g) Harmonisation des suppléments (x)
h) Fixation des prix sur le marché français
i) Fixation des prix sur le marché italien
Article 2
Eurofer a enfreint l'article 65 du traité CECA en organisant un échange
d'informations confidentielles en relation avec les infractions commises par ses
membres et qui sont énumérées à l'article 1er.
Article 3
Les entreprises et associations d'entreprises visées à l'article 1er et à l'article 2
mettent immédiatement fin aux infractions visées auxdits articles si elles ne l'ont
déjà fait. A cette fin, les entreprises et associations d'entreprises s'abstiennent de
répéter ou de continuer les actes ou le comportement spécifiés à l'article 1er ou à
l'article 2 et s'abstiennent d'adopter toute mesure d'effet équivalent.
Article 4
Pour les infractions décrites à l'article 1er commises après le 30 juin 1988 (après le
31 décembre 1989(2) dans le cas d'Aristrain et d'Ensidesa), les amendes suivantes
sont infligées:
[...]
Cockerill-Sambre SA 4 000 000 écus
[...]
Article 5
Les amendes infligées conformément à l'article 4 sont payables dans un délai de
trois mois à compter de la notification de la présente décision [...]
Les montants de ces amendes portent intérêt de plein droit à compter de
l'expiration du délai précité, au taux appliqué par le Fonds européen de
coopération monétaire à ses opérations en écus le premier jour ouvrable du mois
au cours duquel la présente décision a été adoptée, majoré de 3,5 points de
pourcentage, soit 9,75 %.
Toutefois, les amendes supérieures à 20 000 écus peuvent être payées sous forme
de cinq tranches annuelles d'un montant égal,
la première devant être versée dans les trois mois suivant la date de
notification de la présente décision,
la deuxième, la troisième, la quatrième et la cinquième devant être versées
respectivement un an, deux ans, trois ans et quatre ans après la date de
notification de la présente décision. Chaque tranche est augmentée de
l'intérêt, calculé sur le montant total restant dû, en appliquant le taux utilisé
par le Fonds européen de coopération monétaire à ses opérations en écus
le mois qui précède l'échéance de chaque paiement annuel. Cette facilité
est subordonnée à la constitution à la date visée au premier tiret d'une
garantie bancaire acceptable pour la Commission couvrant le montant
principal et les intérêts.
En cas de retard de paiement, ce taux est majoré de 3,5 points de
pourcentage.
[...]
Article 6
Sont destinataires de la présente décision:
[...]
Cockerill-Sambre SA
[...]»
- 48.
- Après un rappel de l'article 5 de la Décision, la Lettre dispose:
«Si vous introduisez un recours devant les juridictions communautaires, la
Commission ne procède à aucune mesure de recouvrement tant que l'affaire est
pendante devant lesdites juridictions à la double condition:
que vous acceptiez que votre dette, entre le moment de son exigibilité et
celui du paiement devant intervenir dans le mois suivant le prononcé de
l'arrêt définitif, produise intérêts aux taux suivants:
au cas où vous aurez choisi de payer en une seule fois, au taux de
7,75 %,
au cas où vous aurez choisi de payer en tranches annuelles, pour la
première tranche au taux de 7,75 % et pour les tranches successives
au taux visé à l'article 5 pour chacune d'elles, majoré d'un point et
demi.
et que vous fournissiez à la Commission, au plus tard à la date d'expiration
du délai visé à l'article 5, premier tiret, de la décision, une garantie
acceptable pour la Commission couvrant la dette tant en principal qu'en
intérêts [...]»
Procédure devant le Tribunal, développements postérieurs à l'introduction du
recours et conclusions des parties
- 49.
- Le présent recours a été introduit par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er
avril 1994.
- 50.
- Par lettre du 7 septembre 1994 adressée au greffe, Aristrain, requérante dans
l'affaire T-156/94, a posé la question de savoir si la Commission avait, en l'espèce,
respecté les obligations que lui impose l'article 23 du statut (CECA) de la Cour (ci-après «article 23»), relatif à la transmission des pièces. Invitée à présenter ses
observations sur cette demande, la Commission a répondu en substance, par lettre
du 12 octobre 1994, qu'elle estimait avoir satisfait aux exigences dudit article 23.
- 51.
- Le greffe du Tribunal a, par lettre du 25 octobre 1994, demandé à la Commission
de bien vouloir satisfaire aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 23.
La Commission a déposé au greffe un ensemble d'environ 11 000 pièces relatives
à la Décision, sous couvert d'une lettre du 24 novembre 1994, dans laquelle elle a
notamment fait valoir que les pièces contenant des secrets d'affaires, ainsi que ses
propres documents internes, ne devraient pas être rendus accessibles aux
entreprises concernées.
- 52.
- A la suite d'une réunion informelle avec les parties qui s'est tenue le 14 mars 1995,
le Tribunal (troisième chambre élargie) a, par lettre du greffe du 30 mars 1995,
invité lesdites parties à prendre position par écrit sur les problèmes de
confidentialité ainsi soulevés, ainsi que sur une éventuelle jonction des affaires. Eu
égard aux réponses incomplètes des parties, le Tribunal leur a adressé une seconde
série de questions, par lettre du greffe du 21 (25 dans le cas de British Steel) juillet
1995. Le Tribunal a, en outre, invité la partie défenderesse à prendre position sur
une nouvelle demande de British Steel, datée du 14 juillet 1995.
- 53.
- Dans leurs réponses aux questions du Tribunal, reçues entre le 6 et le 15
septembre 1995, les parties requérantes ont, notamment, précisé leurs demandes
d'accès aux documents internes de la Commission, à la lumière d'une liste de ces
documents annexée à une lettre qu'elle a adressée au Tribunal le 25 juin 1995.
- 54.
- Par ordonnance du 19 juin 1996, NMH Stahlwerke e.a./Commission (T-134/94,
T-136/94, T-137/94, T-138/94, T-141/94, T-145/94, T-147/94, T-148/94, T-151/94,
T-156/94 et T-157/94, Rec. p. II-537, ci-après «ordonnance du 19 juin 1996»), le
Tribunal (deuxième chambre élargie, à laquelle le juge rapporteur avait été entre-temps affecté) a statué sur le droit d'accès des requérantes aux pièces du dossiertransmis par la partie défenderesse émanant, d'une part, des requérantes elles-mêmes, et, d'autre part, de parties tierces aux présentes procédures, classées par
la Commission comme confidentielles dans l'intérêt de ces parties. En revanche, le
Tribunal a réservé sa décision sur les demandes d'accès des parties requérantes aux
pièces de ce dossier classées par la partie défenderesse comme documents internes,
ainsi que sur leurs demandes visant à la production de documents qui ne figurent
pas dans ledit dossier, tout en invitant la partie défenderesse à spécifier de manière
circonstanciée et concrète les raisons pour lesquelles elle considérait que certains
documents qualifiés par elle d'«internes», parmi les pièces qui composent ce
dossier, ne pouvaient, selon elle, être communiqués aux parties requérantes.
- 55.
- La partie défenderesse a déféré à cette invitation du Tribunal par lettres datées des
11, 12 et 13 septembre 1996. Dans ces mêmes lettres, elle a suggéré le renvoi de
chacune des affaires à la formation plénière du Tribunal, en application de l'article
14 du règlement de procédure du Tribunal. Invitées à présenter leurs observations
sur cette dernière demande, les requérantes ont répondu par lettres adressées au
Tribunal entre le 4 et le 18 octobre 1996. La requérante et les requérantes dans les
affaires T-134/94, T-137/94, T-141/94, T-148/94, T-151/94 et T-157/94 se sont
opposées à un tel renvoi.
- 56.
- Par ordonnance du 10 décembre 1997, NMH Stahlwerke e.a./Commission
(T-134/94, T-136/94, T-137/94, T-138/94, T-141/94, T-145/94, T-147/94, T-148/94,
T-151/94, T-156/94 et T-157/94, Rec. p. II-2293, ci-après «ordonnance du 10
décembre 1997»), le Tribunal (deuxième chambre élargie) a statué sur les
demandes d'accès des requérantes aux documents qualifiés par la Commission
d'«internes», en ordonnant que certaines pièces transmises au Tribunal au titre de
l'article 23, relatives aux contacts établis entre la DG III et l'industrie sidérurgique
pendant la période d'infraction retenue dans la Décision aux fins de la fixation du
montant des amendes, ainsi que certaines pièces émanant de la direction générale
Relations extérieures (DG I) relatives aux contacts établis entre la Commission et
certaines autorités nationales scandinaves, soient versées au dossier de l'affaire. Le
Tribunal a également adopté certaines mesures d'instruction, en ordonnant à la
Commission de produire ses propres comptes rendus ou notes relatifs aux réunions
qui ont eu lieu entre la DG III et les représentants de l'industrie sidérurgique entre
juillet 1988 et novembre 1990. Enfin, le Tribunal a ordonné la jonction des affaires
aux fins de l'instruction et de la procédure orale, sans les renvoyer devant la
formation plénière.
- 57.
- Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale
et de poser certaines questions écrites aux parties, au titre de l'article 64 du
règlement de procédure. Il a, notamment, par lettre du greffe du 26 novembre
1997, prié la partie défenderesse de produire le texte du procès-verbal définitif de
la réunion de la Commission du 16 février 1994 (matin et après-midi), pour autant
qu'il concerne l'adoption de la Décision attaquée. Par cette même lettre, le
Tribunal a également demandé à la Commission d'indiquer, pour chaque
requérante ainsi que pour les entreprises Norsk Jernverk et Inexa Profil AB:
quel chiffre d'affaires elle avait pris en compte pour imposer l'amende à
chaque entreprise;
quels étaient les différents taux qu'elle avait appliqués au chiffre d'affaires
pour calculer l'amende de chaque entreprise concernée;
quels étaient les arguments ou considérations, détaillés pour chacune des
entreprises, qu'elle avait pris en compte en ce qui concerne les différentes
circonstances, aggravantes ou atténuantes, pour obtenir le résultat final de
l'amende.
- 58.
- La partie défenderesse a répondu à ces questions du Tribunal par lettre datée du
19 janvier 1998, déposée au greffe le 22 janvier. Sous couvert de cette lettre, elle
a transmis au Tribunal deux documents, respectivement intitulés «Projet de procès-verbal de la 1189e réunion de la Commission tenue à Bruxelles (Breydel) le
mercredi 16 février 1994 (matin et après-midi)» et «Projet de procès-verbal spécial
de la 1189e réunion de la Commission tenue à Bruxelles (Breydel) le mercredi 16
février 1994 (matin et après-midi)», en faisant valoir que ces deux documents
étaient couverts par le secret des délibérations et qu'ils ne devaient pas être
communiqués aux parties requérantes.
- 59.
- Le 14 janvier 1998, le Tribunal a tenu une réunion informelle avec les parties afin
de planifier le bon déroulement de l'audience. Il a, notamment, indiqué aux parties
qu'elles avaient un droit d'accès au dossier qui lui avait été transmis au titre de
l'article 23, dans la mesure indiquée dans les ordonnances des 19 juin 1996 et 10
décembre 1997 et selon des modalités à définir par le greffe. Il a également
demandé aux parties de lui indiquer, après avoir eu accès au dossier, à quels
documents supplémentaires spécifiques elles entendaient se référer à l'audience.
- 60.
- La requérante et les requérantes Aristrain, ARBED, British Steel, Ensidesa,
Preussag et Unimétal ont consulté ledit dossier du Tribunal et ont obtenu une
copie des documents qu'elles estimaient nécessaires à leur défense. Par lettre du
9 février 1998, Ensidesa a soumis des observations sur certains des documents en
cause.
- 61.
- Par lettres du greffe du 30 janvier 1998, le Tribunal a posé certaines questions
supplémentaires à la Commission et à Eurofer concernant le système d'échange
mensuel d'informations sur les commandes et les livraisons mis en place par cette
dernière et décrit dans la Décision sous le nom de «fast bookings». Ces parties y
ont répondu par lettres respectivement datées des 18 et 23 février 1998.
- 62.
- Par lettre du greffe du 6 février 1998, le Tribunal a également posé certaines
questions complémentaires à la partie défenderesse sur la méthode de calcul des
amendes utilisée en l'espèce, auxquelles elle a répondu par lettre datée du 20
février 1998, déposée au greffe le 24 février.
- 63.
- Par ordonnance du 16 février 1998, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a
ordonné que soit versé au dossier de l'affaire, et communiqué aux parties
requérantes, le seul document intitulé «Projet de procès-verbal de la 1189e réunion
de la Commission tenue à Bruxelles (Breydel) le mercredi 16 février 1994 (matin
et après-midi)», déposé au greffe le 22 janvier 1998.
- 64.
- Par lettres des 13 et 19 février 1998, les requérantes ont présenté des demandes
communes en vue de l'adoption de mesures d'instruction relatives, notamment, au
calcul des amendes et visant à la production des documents relatifs à l'adoption de
la Décision. La Commission y a répondu par lettre du 2 mars 1998.
- 65.
- Par lettre du greffe du 11 mars 1998, le Tribunal a prié la partie défenderesse,
d'une part, de compléter ses réponses des 19 janvier et 20 février 1998 aux
questions du Tribunal, en indiquant, pour chaque requérante, les calculs
arithmétiques précis permettant de comprendre concrètement comment les
montants des amendes ont été déterminés, et, d'autre part, de produire le procès-verbal définitif de la réunion de la Commission (matin et après-midi), au cours de
laquelle la Décision a été adoptée, ainsi que ses annexes pour autant qu'elles ont
trait à cette Décision. La partie défenderesse a répondu à cette demande par lettre
du 19 mars 1998 et a déposé au greffe le procès-verbal définitif de la réunion de
la Commission du 16 février 1994 ainsi que ses annexes.
- 66.
- Par ordonnance du 23 mars 1998, le Tribunal a ordonné que MM. Ortún et
Vanderseypen, fonctionnaires de la DG III, ainsi que M. Kutscher, ancien
fonctionnaire de la DG III, soient entendus en qualité de témoins sur les contacts
établis entre la DG III et l'industrie sidérurgique pendant la période d'infraction
retenue aux fins de la fixation du montant des amendes, soit du 1er juillet 1988 à
la fin de 1990.
- 67.
- Lors de l'audience qui s'est déroulée du 23 au 27 mars 1998, les parties ont été
entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal,
deuxième chambre élargie, composée de MM. A. Kalogeropoulos, président, C. P.
Briët, C. W. Bellamy, A. Potocki et J. Pirrung, juges. Les parties requérantes ont
présenté une plaidoirie commune sur certains points. Le Tribunal a entendu en
qualité d'expert M. le Pr Steindorff, ancien secrétaire général de la délégation
allemande lors des négociations préalables à la signature du traité CECA. Le
Tribunal a également entendu en qualité de témoins MM. Ortún, Vanderseypen
et Kutscher, ainsi que, à la demande de Preussag, ses préposés MM. Mette et
Kröll. Le Tribunal a, par ailleurs, visionné un enregistrement vidéo de la
conférence de presse de M. Van Miert du 16 février 1994, produit par Aristrain.
- 68.
- Un certain nombre de nouveaux documents ont été déposés à l'audience, soit à la
demande du Tribunal, soit avec son autorisation. Le Tribunal a également prié la
Commission de produire certains documents portant sur ses relations avec les
autorités nationales scandinaves pendant les années 1989 et 1990. Ces documents
ont été déposés au greffe sous couvert d'une lettre de la Commission du 11 mai
1998.
- 69.
- La procédure orale a été clôturée à l'issue de l'audience du 27 mars 1998. Deux
membres de la chambre étant empêchés d'assister au délibéré après l'expiration de
leur mandat le 17 septembre 1998, les délibérations du Tribunal ont été poursuivies
par les trois juges dont le présent arrêt porte la signature, conformément à l'article
32 du règlement de procédure.
- 70.
- La partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
à titre principal, annuler la Décision;
à titre subsidiaire, annuler l'article 4 de la Décision en ce qu'il lui inflige une
amende de 4 000 000 écus ou, à tout le moins, réduire l'amende à un
montant symbolique;
annuler la Lettre dans la mesure où celle-ci majore d'un point et demi de
pourcentage l'intérêt payable en cas de paiement échelonné lorsque
l'entreprise a introduit un recours devant les juridictions communautaires;
en tout état de cause, condamner la Commission aux dépens.
- 71.
- La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
rejeter le recours;
condamner la partie requérante au dépens.
Sur la demande principale tendant à l'annulation de la Décision
- 72.
- Au soutien de sa demande principale tendant à l'annulation de la Décision la
requérante invoque plusieurs arguments qui peuvent être regroupés de la manière
suivante. Elle soulève, en premier lieu, divers arguments tirés d'une violation par
la Commission, au cours de la procédure administrative, des formes substantielles.
Par une deuxième série d'arguments, la requérante invoque une violation de
l'article 65, paragraphe 1, du traité, ainsi que divers défauts de motivation.
Troisièmement, enfin, la requérante fait état de l'implication de la Commission
dans les infractions qui lui sont reprochées, et d'une violation du principe de
protection de la confiance légitime.
A Sur la violation des formes substantielles
Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante
- 73.
- A l'audience, les griefs suivants, portant sur la violation des formes substantielles
au cours de la procédure d'adoption de la Décision, ont été formulés lors d'uneprésentation commune faite au nom de toutes les requérantes.
- 74.
- Les requérantes font observer, à titre liminaire, que, lors de la conférence de
presse qu'il a donnée à midi le 16 février 1994, M. Van Miert a affirmé que la
Décision avait été adoptée, ce qui n'aurait pas été le cas, et qu'il a d'ailleurs donné
des chiffres inexacts concernant certaines amendes (voir l'appendice 1 à la requête
dans l'affaire T-151/94). Les communiqués de presse de la Commission, préparés
avant l'adoption de la Décision, auraient également contenu des erreurs,
notamment en ce qui concerne l'identité des entreprises condamnées à une
amende.
- 75.
- Dans ces circonstances, les requérantes, en invoquant l'arrêt de la Cour du 15 juin
1994, Commission/BASF e.a. (C-137/92 P, Rec. p. I-2555, ci-après «arrêt PVC»),
et les arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, BASF e.a./Commission (T-80/89, T-81/89,
T-83/89, T-87/89, T-88/89, T-90/89, T-93/89, T-95/89, T-97/89, T-99/89, T-100/89, T-101/89, T-103/89, T-105/89, T-107/89 et T-112/89, Rec. p. II-729, points 114 et 119,
ci-après «arrêt PEBD») et du 29 juin 1995, Solvay/Commission (T-31/91, Rec. p. II-1821, point 50), soulèvent quatre griefs principaux.
- 76.
- En premier lieu, le quorum de présence de neuf membres de la Commission requis
par l'article 5 du règlement intérieur de la Commission du 17 février 1993, en
vigueur à l'époque (93/492/Euratom, CECA, CEE, JO L 230, p. 15, ci-après
«règlement intérieur de 1993»), n'aurait pas été atteint. Selon les requérantes, bien
qu'il semble ressortir de la page 2 du procès-verbal de la réunion de la Commission
du 16 février 1994 que neuf membres étaient présents lors de l'adoption de la
Décision au cours de la séance de l'après-midi (point XXV, p. 43), il ressort en
réalité de la liste des personnes mentionnées comme ayant «assist[é] à la séance
en l'absence des membres de la Commission», à la page 40 dudit procès-verbal,
que six membres de la Commission seulement étaient présents lors de cette même
séance. A défaut de quorum, aucun vote valable sur l'adoption de la Décision
n'aurait pu, dès lors, intervenir conformément à l'article 6 du règlement intérieur
de 1993.
- 77.
- En deuxième lieu, les requérantes font valoir que la Décision n'a pas été adoptée
par la Commission dans la forme qui leur a été notifiée. A tout le moins, il serait
impossible de déterminer le contenu exact de la décision que la Commission a
entendu adopter le 16 février 1994.
- 78.
- En effet, selon le procès-verbal de la réunion (p. 43), la Commission aurait
approuvé «dans les langues faisant foi, la décision reprise au document
C(94)321/2 et 3», alors que la version de la Décision notifiée aux requérantes porte
le numéro C(94) 321 final. Par ailleurs, d'après la liste des documents internes
transmis au Tribunal au titre de l'article 23, annexée à la lettre de la Commission
du 27 juin 1995, il existerait une autre version de la Décision portant le numéro
C(94)321/4, datée du 25 février 1994.
- 79.
- De plus, il serait permis de nourrir certains doutes à propos des différentes versions
de la Décision déposées au greffe du Tribunal à la suite de sa demande du 11 mars
1998. Outre le fait que seules les versions espagnole et italienne portent la mention
«version faisant foi» sur leur page de garde, les documents C(94)321/2 et
C(94)321/3 sembleraient être composés de plusieurs documents préparés
séparément, rédigés avec des polices de caractères différentes et une numérotation
incohérente.
- 80.
- La Commission ayant, en cours d'audience, accepté de lever la confidentialité des
documents internes relatifs à l'adoption de la Décision qui se trouvent dans les
classeurs n°s 57, 58 et 61 du dossier transmis au Tribunal au titre de l'article 23, les
avocats des requérantes disent avoir vu leurs doutes renforcés par la découverte
d'un certain nombre de différences, qui sont résumées dans une liste déposée à
l'audience, entre les documents internes se trouvant dans ces classeurs et les
documents C(94)321/2 et C(94)321/3. De plus, il existerait des différences
importantes entre le document se trouvant dans le classeur n° 61 du dossier de la
Commission qui, selon les requérantes, constitue le document C(94)321/1 tel qu'il
a été examiné par la Commission lors de sa réunion du 16 février 1994 dans la
matinée, et les documents C(94)321/2 et C(94)321/3. Ces différences sont elles aussi
résumées dans une seconde liste déposée à l'audience. Enfin, certaines
modifications auraient été apportées manuellement à la version italienne du
document C(94)321/2 après la réception d'une télécopie des services de traduction
de la Commission entre 17 h 09 et 17 h 14 le 16 février 1994, soit après la clôture
de la réunion à 16 h 25.
- 81.
- En troisième lieu, les requérantes soutiennent que ni la version C(94) 321 final, ni
les versions C(94)321/2 et C(94)321/3 de la Décision n'ont été authentifiées
conformément à l'article 16 du règlement intérieur de 1993. En effet, aucune de
ces versions ne serait annexée au procès-verbal au sens de cette disposition, qui
exigerait qu'elles y aient été physiquement attachées. De plus, le procès-verbal ne
ferait aucune référence aux documents qui y sont annexés.
- 82.
- En tout état de cause, le procès-verbal ne saurait être considéré comme authentifié
conformément aux articles 9 et 16 du règlement intérieur de 1993, en l'absence des
signatures originales du président et du secrétaire général sur la page de garde.
- 83.
- En quatrième lieu, les requérantes font valoir que le procès-verbal ne porte pas la
date de sa signature par le président et le secrétaire général de la Commission, de
sorte qu'il ne saurait être présumé avoir été authentifié au moment de son
approbation.
- 84.
- Enfin, les requérantes prient le Tribunal d'adopter des mesures d'instruction visant,
d'une part, à leur permettre d'inspecter la version originale du procès-verbal qui
se trouve dans les archives de la Commission, et, d'autre part, à établir, par
exemple au vu des agendas des membres de la Commission et d'autres documents
semblables, lesquels parmi ces derniers étaient effectivement présents lors de
l'adoption de la Décision au cours de la séance du 16 février 1994 après-midi.
Appréciation du Tribunal
Sur la recevabilité
- 85.
- Le Tribunal rappelle que la requérante n'a pas, dans sa requête, soulevé de moyen
tiré d'irrégularités dans la procédure d'adoption de la Décision. Toutefois, le
procès-verbal de la réunion de la Commission du 16 février 1994 et ses annexes
doivent être considérés comme des éléments qui se sont révélés pendant la
procédure, à la suite des mesures d'instruction et d'organisation de la procédure
adoptées par le Tribunal. Or, l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure
n'interdit pas la production de moyens nouveaux fondés sur de tels éléments. Il
s'ensuit que le présent moyen est recevable.
Sur l'absence de quorum
- 86.
- L'article 13, premier alinéa, du traité, tel qu'inséré par l'article H, point 2, du traité
sur l'Union européenne, dispose que les délibérations de la Commission sont
acquises à la majorité du nombre de ses membres, qui était à l'époque de 17. Aux
termes de l'article 13, deuxième alinéa, du traité, la Commission ne peut siéger
valablement que si le nombre de membres fixé dans son règlement intérieur est
présent.
- 87.
- L'article 5 du règlement intérieur de 1993 disposait que «le nombre des membres
dont la présence est nécessaire pour que la Commission délibère valablement est
égal à la majorité du nombre de membres prévu par le traité». Il s'ensuit que le
quorum de présences requis pour que la Commission ait pu valablement délibérer
lors de sa réunion du 16 février 1994 était de neuf membres.
- 88.
- Aux termes de l'article 6 du même règlement: «La Commission décide sur
proposition d'un ou plusieurs de ses membres. La Commission procède à un vote
sur demande d'un de ses membres. Ce vote porte sur la proposition initiale ou sur
une proposition modifiée par le ou les membres responsables ou le président. Les
décisions de la Commission sont acquises à la majorité du nombre des membres
prévu par le traité.» Il s'ensuit également que les décisions de la Commission
étaient acquises, à l'époque, avec l'accord de neuf de ses membres.
- 89.
- Il ressort du procès-verbal de la 1189e réunion de la Commission tenue à Bruxelles
le 16 février 1994 (ci-après «procès-verbal»), transmis au Tribunal à la suite de ses
demandes des 27 novembre 1997 et 11 mars 1998, que cette réunion s'est déroulée
en deux séances, l'une le matin et l'autre l'après-midi. Le point XVII du procès-verbal, discuté lors de la séance du matin, se lit comme suit:
«XVII. CAS D'APPLICATION DE L'ARTICLE 65 DU TRAITÉ CECA [C(94) 321; SEC
(94) 267]
M. RENAUDIERE, membre du cabinet de M.VAN MIERT, assiste aux
délibérations sur ce point.
M. VAN MIERT expose à la Commission les différents éléments du cas
qui lui est soumis. Il souligne la très grande gravité des infractions
constatées. Il présente à la Commission les amendes qu'il propose
d'infliger aux entreprises en cause.
La Commission approuve la substance de la décision proposée par M.
VAN MIERT et procède à un débat approfondi sur le montant des
amendes. Elle convient de se prononcer à un moment ultérieur de sa
présente réunion sur la décision finale dont le projet lui sera soumis
par M. VAN MIERT.
Les autres délibérations de la Commission sur ce point font l'objet
d'un procès-verbal spécial.»
- 90.
- Le point XXV du procès-verbal, qui a été discuté lors de la séance de l'après-midi,
se lit comme suit:
«XXV. CAS D'APPLICATION DE L'ARTICLE 65 DU TRAITÉ CECA (SUITE DU
POINT XVII) [C(94) 321/2 et /3; SEC(94) 267]
La Commission poursuit ses délibérations entamées au cours de la
séance du matin. Elle fixe comme suit les amendes infligées aux
entreprises en cause:
ARBED SA:
11 200 000 écus
British Steel plc:
32 000 000 écus
Unimétal SA:
12 300 000 écus
Saarstahl AG:
4 600 000 écus
Ferdofin SpA:
9 500 000 écus
Thyssen Stahl AG:
6 500 000 écus
Preussag AG:
9 500 000 écus
Empresa Nacional Siderúrgica SA:
4 000 000 écus
Siderúrgica Aristrain Madrid SL:
10 600 000 écus
SA Cockerill-Sambre:
4 000 000 écus
Krupp-Hoesch Stahl AG:
13 000 écus
NMH Stahlwerke GmbH:
150 000 écus
Norsk Jernverk AS:
750 écus
Inexa Profil AB:
600 écus
La Commission décide d'autre part que les amendes supérieures à
20 000 écus pourront faire l'objet d'un paiement échelonné. Elle
approuve en conséquence, dans les langues faisant foi, la décision
reprise au document C(94) 321/2 et /3.
*
* *
La réunion est close à 16 h 25.»
- 91.
- Il résulte de la lecture combinée des points XVII et XXV du procès-verbal que la
Décision n'a pas été définitivement adoptée lors de la délibération du point XVII,
au cours de la séance du matin, mais qu'elle l'a été lors de la délibération du point
XXV, au cours de la séance de l'après-midi.
- 92.
- Il ressort par ailleurs de la liste des présences, figurant à la page 2 du procès-verbal, que neuf membres de la Commission étaient présents lors de la délibération
de la Commission sur le point XXV, à savoir: M. Delors, Sir Leon Brittan, MM.
Van Miert, Ruberti, Millan, Van den Broek, Flynn, Steichen et Paleokrassas. Le
quorum requis par l'article 5 du règlement intérieur de 1993 était donc atteint. De
même, la Décision pouvait être adoptée avec l'accord des neuf membres présents,
conformément à l'article 6 dudit règlement intérieur.
- 93.
- L'argument des requérantes est, toutefois, fondé sur une liste de présence figurant
à la page 40 du procès-verbal, qui indique que MM. Budd et Santopinto,
respectivement chefs du cabinet de Sir Leon Brittan et de M. Ruberti, ainsi que
Mme Evans, membre du cabinet de M. Flynn, ont «[a]ssist[é] à la séance en
l'absence des membres de la Commission». Les requérantes en déduisent que,
contrairement à ce qui est indiqué à la page 2 du procès-verbal, Sir Leon Brittan,
M. Ruberti et M. Flynn n'étaient pas présents lors de l'adoption de la Décision
visée au point XXV.
- 94.
- Cet argument ne saurait être retenu. En effet, il ressort de son libellé même que
la liste figurant à la page 2 du procès-verbal a pour objet de faire un relevé précis
de la présence ou de l'absence des membres de la Commission lors de la réunion
concernée. Ce relevé concerne à la fois la séance du matin et celle de l'après-midi
et constitue donc la preuve de la présence des membres de la Commission
concernés pendant ces deux séances, sauf s'il y est expressément indiqué qu'un
membre était absent lors de la discussion sur un point spécifique. En revanche, la
liste figurant à la page 40 du procès-verbal n'a pas pour objet de faire le relevé de
la présence des membres de la Commission, mais se réfère seulement aux autres
personnes éventuellement présentes, tels que les chefs de cabinet. Dans ces
circonstances, les déductions indirectes que les requérantes prétendent tirer de
ladite liste ne sauraient l'emporter sur la mention expresse, à la page 2 du procès-verbal, de la présence ou de l'absence des membres de la Commission.
- 95.
- En tout état de cause, le Tribunal estime que la mention «assistent à la séance en
l'absence des membres de la Commission», figurant à la page 40 du procès-verbal,
doit être comprise comme synonyme de «assistent, pour le cas où le membre serait
absent pour un point spécifique».
- 96.
- En effet, cette mention doit être rapprochée de l'article 8 du règlement intérieur
de 1993, qui dispose notamment: «[...] En cas d'absence d'un membre de la
Commission, son chef de cabinet peut assister à la réunion et, à l'invitation du
président, y exposer l'opinion du membre absent [...]» La liste de la page 40 du
procès-verbal n'a donc pas pour objet de remplacer celle de la page 2, mais
d'identifier les personnes qui sont autorisées à assister à la réunion conformément
audit article 8, et, le cas échéant, à y exposer l'opinion du membre absent.
- 97.
- Toutefois, le fait qu'un chef de cabinet puisse exprimer l'opinion du membre de la
Commission qu'il représente sur un point spécifique, en l'absence de ce dernier,
n'exclut pas que le membre de la Commission en question soit revenu à la réunion
lors de la discussion sur un autre point, sans pour autant que son chef de cabinet
quitte la salle de réunion après son retour. La mention, à la page 40 du procès-verbal, de la présence de MM. Budd et Santopinto et de Mme Evans pendant la
séance de l'après-midi peut donc s'expliquer par le simple fait que, selon la page
2 du procès-verbal, Sir Leon Brittan et MM. Ruberti et Flynn étaient absents lors
de la discussion de certains points de l'ordre du jour de l'après-midi, à savoir les
points XXIII.B, XXIII.C et XXIV en partie (Sir Leon Brittan), ainsi que les points
XXIII.B et XXIII.C en partie (MM. Ruberti et Flynn). Il ne s'ensuit pas pour
autant que ces trois membres de la Commission étaient absents lors de la
délibération sur le point XXV, contrairement aux termes exprès de la page 2 du
procès-verbal.
- 98.
- Cette interprétation est corroborée par la page 7 du procès-verbal où figure, pour
la séance du matin, une liste des personnes ayant assisté à la réunion «en
l'absence» des membres de la Commission, équivalente à celle de la page 40 pour
la séance de l'après-midi. Or, si l'interprétation donnée par les requérantes à la
formule «assistent à la séance en l'absence des membres de la Commission» était
correcte, il découlerait de l'indication, sur cette liste, de la présence pendant toute
la matinée de MM. Kubosch et Budd, respectivement membre du cabinet de M.
Bangemann et chef de cabinet de Sir Leon Brittan, que ces deux membres de la
Commission étaient absents pendant la totalité de la séance du matin. Tel n'est
manifestement pas le cas puisque, selon la page 2 du procès-verbal, M. Bangemann
était présent lors de la séance du matin pour les points I à XVIII, et Sir Leon
Brittan pour les points XVII à XXII.
- 99.
- Il résulte de ce qui précède que le quorum de présences requis était atteint lors de
l'adoption de la Décision, dans l'après-midi du 16 février 1994.
- 100.
- Il y a lieu d'ajouter que l'article 6 du règlement intérieur de 1993 prévoit que la
Commission décide sur proposition d'un ou plusieurs membres et ne procède à un
vote que sur demande de l'un de ses membres. A défaut d'une telle demande, il
n'était pas nécessaire que la Commission procède à un vote formel lors de la
séance de l'après-midi. En tout état de cause, étant donné que, selon ledit article
6, les décisions de la Commission sont acquises à la majorité des membres prévus
par le traité, à savoir neuf membres à l'époque, rien n'empêchait les neuf membres
présents l'après-midi du 16 février 1994 de décider, à l'unanimité, d'adopter la
Décision.
- 101.
- Il s'ensuit que le premier grief des requérantes n'est pas fondé.
Sur l'absence de correspondance formelle entre la Décision adoptée et celle
notifiée à la partie requérante
- 102.
- Il ressort de la jurisprudence de la Cour que le dispositif et la motivation de la
décision notifiée à son ou ses destinataires doivent correspondre à ceux de la
décision adoptée par le collège des membres de la Commission, abstraction faite
des adaptations purement orthographiques ou grammaticales qui peuvent encore
être apportées au texte d'un acte après son adoption finale par le collège (arrêt
PVC, points 62 à 70).
- 103.
- Il ressort du point XXV du procès-verbal que la Commission a adopté «dans les
langues faisant foi, la décision reprise au document C(94)321/2 et /3».
- 104.
- Il s'ensuit que la comparaison pertinente doit être effectuée entre les versions
C(94)321/2 et C(94)321/3 de la Décision lues conjointement, qui ont été adoptées
par la Commission l'après-midi du 16 février 1994, d'une part, et les différentes
versions de la Décision notifiées aux requérantes dans les langues faisant foi,
d'autre part.
- 105.
- Or, les requérantes n'ont pas invoqué et le Tribunal n'a pas pu déceler de
différence matérielle entre les versions C(94)321/2 et C(94)321/3 de la Décision
lues conjointement, telles qu'elles ont été déposées par la Commission au greffe du
Tribunal dans les cinq langues faisant foi, et les versions de la Décision notifiées
aux requérantes. Dans ces circonstances, le fait que la Décision a été adoptée sous
forme de deux documents, à savoir C(94)321/2 et C(94)321/3, le second apportant
quelques modifications, dont certaines manuscrites, au premier, est dépourvu de
pertinence, d'autant plus que, en substance, ces modifications ne concernent que
le paiement échelonné des amendes et la décision de ne pas infliger des amendes
d'un montant inférieur à 100 écus. De même, le fait que dans certaines versions
linguistiques les documents C(94)321/2 et C(94)321/3 ont une pagination
incohérente ou des polices de caractères différentes est dépourvu de pertinence,
dès lors que l'élément intellectuel et l'élément formel de ces documents lus
ensemble correspondent à la version de la Décision notifiée aux requérantes (arrêt
PVC, point 70).
- 106.
- Le Tribunal estime, au contraire, que les différences entre les documents
C(94)321/2 et C(94)321/3 témoignent des efforts accomplis par la Commission pour
n'adopter formellement la Décision qu'après incorporation, dans chacune des
versions linguistiques, de toutes les modifications décidées par le collège,
notamment en ce qui concerne le paiement échelonné des amendes et le fait de ne
pas infliger des amendes d'un montant inférieur à 100 écus.
- 107.
- Il découle également de ce qui précède que les arguments fondés sur une
comparaison minutieuse entre certains documents se trouvant dans les classeurs 57,
58 et 61 du dossier de la Commission et les documents C(94)321/2 et C(94)321/3
sont inopérants. Comme le Tribunal vient de le constater, la comparaison
pertinente doit être effectuée entre les documents C(94)321/2 et C(94)321/3 tels
que produits par la Commission, d'une part, et la version notifiée aux requérantes,
d'autre part, et non pas entre les documents C(94)321/2 et C(94)321/3, d'une part,
et certains projets et autres documents éventuellement antérieurs se trouvant dans
le dossier de la Commission, d'autre part. S'agissant, notamment, du document B
contenu dans le classeur 61, le Tribunal estime qu'il n'est nullement prouvé que ce
document, qui semble être un document de travail, constitue le document C(94)321
ou correspond à celui qui a été examiné par la Commission lors de la réunion du
matin du 16 février 1994. En tout état de cause, le document C(94)321 est sans
pertinence, dès lors que la version définitive de la Décision adoptée par la
Commission est constituée des documents C(94)321/2 et C(94)321/3.
- 108.
- Le fait qu'il puisse subsister une ambiguïté quant au moment précis de l'envoi de
la traduction de certaines modifications mineures dans la version italienne de la
Décision est également sans pertinence, d'autant plus que la requérante n'est pas
destinataire de la version italienne de la Décision.
- 109.
- Enfin, il est établi que le document C(94)321/4 n'est qu'une version non
confidentielle de la version C(94)321 final, dans laquelle certains chiffres
constituant des secrets d'affaires des destinataires ont été supprimés aux fins de la
notification de la Décision aux autres destinataires.
- 110.
- Il s'ensuit que le deuxième grief des requérantes n'est pas fondé.
Sur le défaut d'authentification de la Décision
- 111.
- Quant au troisième grief des requérantes, selon lequel les versions C(94)321/2 et
C(94)321/3 de la Décision n'auraient pas été dûment authentifiées conformément
à l'article 16, premier alinéa, du règlement intérieur de 1993, il convient de
rappeler que cette disposition prévoyait:
«Les actes adoptés en réunion ou par la procédure écrite sont annexés, dans la ou
les langues dans lesquelles ils font foi, au procès-verbal de la réunion de la
Commission au cours de laquelle ils ont été adoptés ou au cours de laquelle il a été
pris acte de leur adoption. Ces actes sont authentifiés par les signatures duprésident et du secrétaire général apposées à la première page de ce procès-verbal.»
- 112.
- De même, l'article 9, deuxième alinéa, du règlement intérieur de 1993 prévoyait
que les procès-verbaux de la Commission «sont authentifiés par les signatures du
président et du secrétaire général».
- 113.
- Il y a lieu de relever tout d'abord que l'article 16, premier alinéa, du règlement
intérieur de 1993 ne définissait pas de quelle façon les actes adoptés en réunion
devaient être «annexés» au procès-verbal, à la différence, par exemple, de l'article
16 du règlement intérieur de la Commission, dans sa rédaction issue de la décision
95/148/CE, CECA, Euratom du 8 mars 1995 (JO L 97, p. 82), qui prévoit que les
actes en cause sont joints «de façon indissociable» au procès-verbal.
- 114.
- En l'espèce, le procès-verbal a été reçu par le Tribunal accompagné des documents
C(94)321/2 et C(94)321/3 dans les différentes langues faisant foi, dans un même
réceptacle que les agents de la Commission ont affirmé avoir reçu tel quel du
secrétariat général de la Commission, à la suite de la demande du Tribunal du 11
mars 1998. Il y a donc lieu de présumer que ces documents ont été «annexés» au
procès-verbal en ce sens qu'ils ont été placés avec celui-ci, sans y être attachés
physiquement.
- 115.
- La finalité de l'article 16, premier alinéa, du règlement intérieur de 1993 est
d'assurer que la Commission a dûment adopté l'acte tel qu'il a été notifié au
destinataire. Or, en l'espèce, la requérante n'a établi aucune différence matérielle
entre la version de la Décision qui lui a été notifiée et la version qui, selon la
Commission, a été «annexée» au procès-verbal.
- 116.
- Dans ces circonstances, et eu égard à la présomption de validité qui s'attache aux
actes communautaires (arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, John
Deere/Commission, T-35/92, Rec. p. II-957, point 31), la requérante n'a pas
démontré que les documents C(94)321/2 et C(94)321/3 n'ont pas été «annexés» au
procès-verbal au sens de l'article 16 du règlement intérieur de 1993. Ces documents
doivent, dès lors, être considérés comme authentifiés par les signatures du président
et du secrétaire général apposées sur la première page dudit procès-verbal.
- 117.
- Quant au fait que le procès-verbal produit devant le Tribunal est lui-même une
photocopie qui ne porte pas les signatures originales du président et du secrétaire
général, il y a lieu de constater que la première page de ce document est revêtue
du cachet «ampliation certifiée conforme, le secrétaire général Carlo Trojan», et
que ce cachet porte la signature originale de M. Trojan, secrétaire général en titre
de la Commission. Le Tribunal estime que cette certification de la conformité de
l'ampliation par le secrétaire général en titre de la Commission prouve à suffisance
de droit que la version originale du procès-verbal porte les signatures originales du
président et du secrétaire général de la Commission.
- 118.
- Il s'ensuit que le troisième grief n'est pas fondé.
Sur le défaut d'indication de la date de signature du procès-verbal
- 119.
- Quant au quatrième grief des requérantes, selon lequel le procès-verbal n'indique
pas la date de sa signature par le président et le secrétaire général de la
Commission, il suffit de constater que la première page du procès-verbal déposé
au Tribunal porte l'indication «Bruxelles, le 23 février 1994», ainsi que la mention
«le présent procès-verbal a été adopté par la Commission lors de sa 1190e réunion
tenue à Bruxelles le 23 février 1994», suivie des signatures du président et du
secrétaire général et de la certification, par M. Trojan, de la conformité de
l'ampliation du procès-verbal à l'original. Il y a dès lors lieu de constater que le
procès-verbal a été dûment signé par le président et le secrétaire général,
conformément au règlement intérieur de 1993, le 23 février 1994.
- 120.
- Le quatrième grief des requérantes n'est donc pas non plus fondé.
- 121.
- Enfin, quant aux déclarations inexactes de M. Van Miert lors de sa conférence de
presse du 16 février 1994 à midi, annonçant que la Commission venait d'adopter
la Décision et mentionnant certains montants d'amende ne correspondant pas à
ceux imposés par la Décision, elles n'affectent pas en soi la régularité de l'adoption
de la Décision par le collège des membres de la Commission, dès lors que le
contrôle juridictionnel exercé par le Tribunal ne peut porter que sur la décision
adoptée par la Commission (voir arrêt du Tribunal du 12 décembre 1991,
Hilti/Commission, T-30/89, Rec. p. II-1439, point 136).
- 122.
- Il résulte de ce qui précède que les divers arguments tirés d'une violation par la
Commission, au cours de la procédure administrative, des formes substantielles
doivent être rejetés dans leur intégralité, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner les
mesures d'instruction demandées par les requérantes.
B Sur la violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité
- 123.
- Dans le cadre de ses arguments tirés d'une violation de l'article 65, paragraphe 1,
du traité, la requérante soulève trois griefs principaux. En premier lieu, la
requérante dénonce diverses erreurs manifestes d'appréciation et l'insuffisance des
preuves des faits sur la base desquels la Commission a constaté les infractions
énumérées à l'article 1er de la Décision. En deuxième lieu, elle conteste la
qualification juridique desdits faits et l'interprétation de l'article 65 du traité qui se
trouve à la base de cette qualification. En troisième lieu, elle fait valoir que, eu
égard à la mise en oeuvre de l'article 65 du traité par la Commission et à son
implication dans les pratiques incriminées, celles-ci ne sauraient être considérées
comme constitutives d'infractions à cette disposition. A cet égard, la requérante
invoque, à titre subsidiaire, une violation du principe de protection de la confiance
légitime. La requérante invoque également divers défauts de motivation.
- 124.
- Compte tenu de l'interdépendance des arguments soulevés par la requérante, le
Tribunal estime qu'il convient d'examiner tour à tour les différentes infractions qui
lui sont reprochées, en vérifiant tout d'abord que la matérialité des faits qui les
constituent est établie à suffisance de droit, puis que la qualification juridique
desdits faits retenue par la Décision est fondée en droit. La question de savoir si
les activités de la Commission sont de nature à ôter aux faits ainsi qualifiés leur
caractère infractionnel sera examinée dans la partie C ci-après.
Sur la fixation de prix (prix cibles) au sein de la commission poutrelles
1. Sur la matérialité des faits
- 125.
- Aux termes de l'article 1er de la Décision, la Commission reproche à la requérante
d'avoir participé à une infraction de fixation de prix au sein de la commission
poutrelles. La période retenue aux fins de l'amende est de 18 mois, compris entre
le 1er juillet 1988 et le 31 décembre 1989 (voir les points 13, 80 à 105, 223 à 231,
311 et 314 de la Décision).
- 126.
- En l'espèce, la requérante ne nie pas sa participation aux réunions de la
commission poutrelles décrites dans la Décision, mais fait valoir, notamment, qu'il
ne s'y concluait pas d'«accords», mais de simples échanges d'informations entre les
membres, quant à leurs «estimations des prix de marché». Elle fait valoir, en outre,
que les accords et pratiques concertées qui lui sont reprochés ne sont pas prouvés
à suffisance de droit.
Observations liminaires
- 127.
- Avant d'aborder l'examen individuel des accords et pratiques concertées dénoncés
aux points 80 à 105 et 223 à 231 de la Décision, il convient de rappeler, à titre
liminaire, que les preuves doivent être appréciées dans leur ensemble en tenant
compte de toutes les circonstances factuelles pertinentes (voir les conclusions du
juge M. Vesterdorf, faisant fonction d'avocat général, sous l'arrêt du Tribunal du
24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T-1/89, Rec. p. II-867, II-869
conclusions communes aux arrêts dits «polypropylène» du 24 octobre 1991, T-2/89,
T-3/89, Rec. p. II-1087, II-1177, du 17 décembre 1991, T-4/89, T-6/89, T-7/89, T-8/89, Rec. p. II-1523, II-1623, II-1711, II-1833, et du 10 mars 1992, T-9/89 à T-15/89, Rec. p. II-499, II-629, II-757, II-907, II-1021, II-1155, II-1275).
- 128.
- A cet égard, il est constant, en premier lieu, que la commission poutrelles, de
même que les autres «commissions de produits» d'Eurofer, a été constituée par
cette association au cours de la période de crise manifeste afin de mieux
coordonner le comportement des entreprises sidérurgiques, notamment dans le
cadre du système de quotas «I» et «i» et des accords Eurofer I à V (voir points
9 et suivants ci-dessus). Après la fin de la période de crise, cette commission, qui
réunissait les principaux producteurs de poutrelles de la Communauté et était dotée
d'un secrétariat permanent, a continué à se réunir régulièrement. En l'espèce, c'est
principalement ce système de réunions régulières qui constitue le cadre de
référence pour l'appréciation des éléments de preuve pertinents (voir points 30, 36,
37 et 212 de la Décision).
- 129.
- En deuxième lieu, il est constant que Cockerill-Sambre et/ou Steelinter ont
participé aux réunions de la commission poutrelles des 19 juillet, 18 octobre et 15
novembre 1988, 10 janvier, 7 février et 3 août 1989 [point 38, sous i), de la
Décision]. Il ressort également de l'aide-mémoire de la réunion du 11 juillet 1989
que la requérante y était présente ou représentée (voir le document n° 184 du
dossier, qui relate un commentaire de «la forge belge»). En outre, la requérante
et Steelinter ont spontanément reconnu l'existence d'indices de leur participation
à la réunion du 6 juin 1989 (voir documents n° 5521 et 5538 du dossier) Or, la
participation d'une entreprise à des réunions au cours desquelles des activités
anticoncurrentielles ont été menées suffit pour démontrer sa participation auxdites
activités, en l'absence d'indices de nature à établir le contraire (voir arrêt du
Tribunal du 10 mars 1992, Montedipe/Commission, T-14/89, Rec. p. II-1155, points
129 et 144).
- 130.
- En troisième lieu, il est constant que les décisions adoptées lors de ces réunions
étaient communiquées au groupe Eurofer/Scandinavie, qui fonctionnait de la même
manière que la commission poutrelles et réunissait les principaux producteurs
communautaires et scandinaves (voir, notamment, points 81, 84, 86 à 88, 93, 187,
189, 191 et 192 de la Décision). Il ressort également du dossier que Steelinter a
régulièrement participé, entre 1986 et 1989, aux réunions du groupe
Eurofer/Scandinavie mentionnées au point 178 de la Décision ou, à tout le moins,
à la coopération accompagnant ces réunions (voir points 387 et suivants ci-après).
- 131.
- En quatrième lieu, s'agissant plus particulièrement de l'allégation selon laquelle il
ne s'agissait pas en l'espèce d'«accords sur les prix» mais d'«échanges de vues
entre producteurs» quant à leurs «estimations des prix de marché», s'il est vrai que
les procès-verbaux concernés utilisent souvent des expressions telles que
«estimations» ou «prévisions» de prix, il y a lieu de tenir compte, dans
l'appréciation des preuves dans leur ensemble, des éléments suivants:
a) de nombreux tableaux de prix (par exemple, ceux indiquant les prix fixésaux réunions des 25 juillet 1988, 18 octobre 1988, 10 janvier 1989 et 19 avril
1989) ont été établis relativement longtemps avant le trimestre concerné et
contiennent des données très détaillées, concernant notamment les
différentes catégories de produits, les différents pays, le montant précis des
hausses envisagées et des rabais. Ce type de tableaux ne peut pas être
considéré comme reflétant simplement les «estimations» des entreprises sur
l'évolution des prix du marché;
b) dans de nombreux cas, le libellé des procès-verbaux n'est pas favorable à la
thèse de la requérante: voir, par exemple, des expressions telles que «les
hausses de prix aboutissent au niveau suivant des prix» (réunion du 18
octobre 1988); «les niveaux des prix suivants sont pressentis sur le 2e
trimestre 1989. Ces prix représentent par rapport à T1/89 des hausses: [suit
un tableau très détaillé]» (réunion du 10 janvier 1989); «Les prévisions
T2/89 sont reconduites sur le 3e trimestre 1989; soit les niveaux suivants [suit
un tableau très détaillé]» (réunion du 19 avril 1989); «les prix escomptés et
atteints sur le 3e trimestre 1989 sont dans ce contexte reconduits sur le 4e
trimestre 1989» (réunion du 11 juillet 1989);
c) les procès-verbaux contiennent également de nombreuses références au fait
que les prix «attendus» pour le trimestre en cause avaient été «obtenus»
ou «acceptés» par les clients (voir points 94, 95, 97 à 99, 101 et 102 de la
Décision);
d) les procès-verbaux des réunions de la commission poutrelles sont à lire
conjointement avec ceux des réunions du groupe Eurofer/Scandinavie, qui
ont notamment servi à transmettre aux producteurs scandinaves les
décisions arrêtées lors de la réunion de la commission poutrelles précédente
(voir points 177 et suivants de la Décision). Or, il ressort très clairement des
procès-verbaux des réunions du groupe Eurofer/Scandinavie qu'il s'agissait
en l'espèce d'accords sur les prix (voir ci-après);
e) les preuves avancées par la Commission englobent non seulement les
procès-verbaux de la commission poutrelles et du groupe
Eurofer/Scandinavie, mais aussi d'autres documents émanant des entreprises
elles-mêmes, par exemple le télex de TradeARBED SA (ci-après
«TradeARBED») à Thyssen du 22 septembre 1988, la note interne de
Peine Salzgitter du 13 janvier 1989 et les documents de British Steel cités
dans la Décision, notamment aux points 96 et 100;
f) la requérante n'a pas contesté la conclusion des accords d'harmonisation des
prix des suppléments lors des réunions de la commission poutrelles des 15
novembre 1988, 19 avril 1989 et 6 juin 1989 (voir ci-après). Vu le rapport
étroit entre les prix de base et les suppléments, il n'est pas plausible que les
participants aient conclu des accords sur les uns et pas sur les autres;
g) la requérante n'a pas contesté l'allégation de la Commission figurant au
point 37 de la Décision, selon laquelle les versions finales des
procès-verbaux de la commission poutrelles ont été rédigées avec une
certaine prudence.
- 132.
- C'est à la lumière de ces observations d'ordre général qu'il convient d'examiner
chacun des accords ou pratiques concertées de fixation de prix retenus à charge de
la requérante.
Accords prétendument conclus en 1986 et 1987
- 133.
- Au point 223 de la Décision, la Commission constate, en se référant aux points 80
à 86, que «des accords sur les prix ont été conclus à diverses occasions en 1986 et
1987».
- 134.
- Sans qu'il faille y voir une reconnaissance de leur bien-fondé, la requérante estime
inutile de contester les griefs couvrant la période qui s'étend jusqu'au 30 juin 1988,
dès lors que la Commission ne lui a pas imposé d'amendes pour son comportement
durant cette période. Elle ajoute que ce comportement s'inscrivait, en tout état de
cause, dans le cadre de la mise en oeuvre des accords Eurofer, dont la Commission
aurait été informée et qu'elle aurait d'ailleurs encouragés, afin de renforcer
l'efficacité des mesures qu'elle arrêtait dans le cadre du régime de crise manifeste.
- 135.
- Le Tribunal estime que la référence, au point 223 de la Décision, à des accords
conclus «à diverses occasions» en 1986 et 1987, est trop imprécise pour être
interprétée en ce sens que la Commission reprocherait à la requérante d'y avoir été
partie.
- 136.
- Cette constatation resterait valable même en admettant que les points 80 à 86 de
la Décision, auxquels se réfère le point 223, tendent à établir l'existence d'un
accord conclu en 1986 (points 80 et 81) et de deux autres conclus en 1987 (points
82 à 86).
- 137.
- En effet, le point 223 de la Décision n'indique aucun élément de nature à
individualiser ces prétendus accords, ce qui permet de conclure que ceux-ci
constituent uniquement, dans l'esprit de la Commission, le cadre historique des
ententes décrites, cette fois en détail, aux points 224 à 237 de la Décision.
Accord concernant les prix en Allemagne et en France prétendument conclu avant
le 2 février 1988
- 138.
- Au point 224 de la Décision, la Commission constate que, lors d'une réunion qui
s'est tenue à une date non déterminée, antérieure au 2 février 1988, la commission
poutrelles est parvenue à un accord visant à relever les prix en Allemagne et en
France. Elle s'appuie sur un extrait du procès-verbal de la réunion du groupe
Eurofer/Scandinavie du 2 février 1988, qui indique: «Au plan des prix, décision de
procéder à des relèvements au 1er avril de 20 DM sur le marché allemand en
catégories 1, 2A, 2B2 et 2B3, et de 10 DM en catégorie 2B1; de 50 FF sur le
marché français toutes catégories exception faite de la 2C.» (point 87, de la
décision, documents n° 674 à 678.)
- 139.
- Le Tribunal estime qu'il ressort de son libellé même que le procès-verbal de la
réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 2 février 1988 fait état d'un accord sur
des hausses de prix sur les marchés allemand et français. Le caractère consensuel
de ces hausses de prix ressort, d'une part, s'agissant du terme «décision» (en
français), de l'utilisation du singulier, et, d'autre part, du caractère uniforme des
hausses sur chacun des marchés concernés. L'existence des faits allégués par la
Commission est, dès lors, établie à suffisance de droit.
- 140.
- Dans la mesure, toutefois, où il ressort de la Décision que la Commission ne
reproche pas à la requérante d'avoir assisté à une réunion de la commission
poutrelles antérieure au 2 février 1988, et où il n'est pas davantage établi qu'elle
a assisté à la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 2 février 1988 (voir point
182 de la Décision), le Tribunal considère que sa participation audit accord n'a pas
été retenue à sa charge dans la Décision.
Prix cibles prétendument fixés avant le 25 juillet 1988
- 141.
- Au point 224 de la Décision toujours, la Commission constate que «d'autres prix
cibles (pour le quatrième trimestre de 1988) ont été convenus avant le 25 juillet
1988». Elle s'appuie sur un tableau annexé au procès-verbal de la réunion du
groupe Eurofer/Scandinavie du 25 juillet 1988, indiquant les «prix de marché pour
le quatrième trimestre de 1988», ventilés par catégorie, pour l'Allemagne, la France
et le marché belgo-luxembourgeois (point 88 de la Décision).
- 142.
- La requérante fait valoir que rien n'indique que ce document constitue une annexe
à ce procès-verbal, même s'il était matériellement attaché au procès-verbal trouvé
chez Usinor Sacilor. Il n'y serait fait référence ni dans le procès-verbal de la
réunion de la commission poutrelles du 19 juillet 1988, ni dans celui de la réunion
du groupe Eurofer/Scandinavie du 25 juillet 1988, lequel ferait allusion, en son
point 1, à une seule annexe dont la description ne lui correspondrait pas. La
Commission affirmerait également à tort que des annexes similaires se retrouvent
attachées à tous les procès-verbaux des réunions dudit groupe. Aucun tableau de
ce genre ne serait annexé aux procès-verbaux des réunions en question, de 1986 à
février 1988 (voir documents n°s 610 à 678 du dossier de la Commission) et du 31
juillet 1989 au 31 octobre 1990 (voir documents n°s 2453-2458, 2428-2434, 2418-2420, 2392-2399, 2338-2348 et 2335-2337 du dossier de la Commission).
- 143.
- Il est plausible, selon la requérante, que le tableau en question ait été établi au
quatrième trimestre de 1988, sur la base des prix pratiqués à cette époque, et se
soit retrouvé classé, pour une raison ou une autre, dans les dossiers d'Usinor
Sacilor, à la suite du procès-verbal de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie.
Une telle interprétation serait confirmée par la dénomination même du document,
qui se référerait aux prix pratiqués sur le marché durant le quatrième trimestre de
1988 plutôt qu'à une quelconque estimation de l'évolution de ces prix, faite en
juillet 1988.
- 144.
- Le Tribunal relève, en premier lieu, que le tableau en cause, qui se réfère aux prix
applicables pendant le quatrième trimestre de 1988, se trouvait matériellement
attaché au procès-verbal de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 25 juillet
1988, lorsqu'il a été découvert par les enquêteurs de la Commission dans les locaux
d'Usinor Sacilor. Il ressort dudit procès-verbal que les prix du quatrième trimestre
1988 ont bien été discutés au cours de cette réunion. Par ailleurs, il ne saurait être
inféré des termes de ce procès-verbal que celui-ci aurait eu une annexe unique.
Quant à la seule annexe expressément mentionnée dans ce document, à savoir, une
étude comparative des écarts de dimensions et des écarts de longueurs entre les
barèmes des producteurs et scandinaves, la requérante n'a pas contesté
l'affirmation contenue dans les écritures de la Commission, selon laquelle ladite
étude se trouvait attachée à la suite du tableau litigieux, dans les annexes au
procès-verbal saisi chez Usinor Sacilor. Enfin, la requérante Unimétal, filiale
d'Usinor Sacilor, n'a invoqué aucune erreur de classement dans le cadre de son
recours dans l'affaire T-145/94.
- 145.
- Le Tribunal constate, en second lieu, que des tableaux d'une structure similaire,
présentant des listes de prix pour le trimestre suivant la réunion au cours de
laquelle ils ont été établis, sont annexés aux procès-verbaux d'autres réunions du
groupe Eurofer/Scandinavie, notamment celles des 3 novembre 1988, 1er février et
25 avril 1989. La circonstance que, à la différence du tableau litigieux, certains de
ces tableaux ne sont pas intitulés «prix de marché», mais «prévisions de prix» (voir
documents n° 2493, 2480 et 2465) est, à cet égard, sans pertinence, dès lors qu'il
est établi par ailleurs (voir ci-après) que lesdites «prévisions» résultent en réalité
d'accords de fixation de prix. Il convient de rappeler, en outre, qu'une réunion des
secrétariats des commissions de produits d'Eurofer s'est tenue vers cette époque,
avec à l'ordre du jour, notamment, l'«examen de la rédaction des procès-verbaux»
(voir point 37 de la Décision).
- 146.
- Dans ces circonstances, le Tribunal considère que l'allégation de la requérante
selon laquelle le tableau litigieux aurait été établi au cours du quatrième trimestre
de 1988 et annexé par erreur au procès-verbal de la réunion du 25 juillet 1988 n'est
étayée par aucun indice.
- 147.
- Il y a lieu de considérer, dès lors, que ledit tableau a été établi le 25 juillet 1988 ou
antérieurement, et donc relativement longtemps avant le trimestre de référence. Ce
tableau donne des prix précis, ventilés par pays et par catégorie de produits. Le
Tribunal en déduit qu'il s'agit des prix détaillés que les parties avaient l'intention
commune d'appliquer, et non pas d'un simple compte rendu des prix effectifs du
marché, actuels ou pronostiqués.
- 148.
- Ce document, compris dans son contexte factuel, doit d'ailleurs être considéré
comme portant l'information relative à un tel accord à la connaissance du groupe
Eurofer/Scandinavie. Des renseignements du même type ont été régulièrement
transmis aux membres de ce groupe, et cela plusieurs fois, au moins, sous forme
d'un tableau annexé au procès-verbal de la réunion concernée.
- 149.
- L'existence des faits allégués par la Commission est, dès lors, établie à suffisance
de droit.
Prix cibles prétendument fixés le 18 octobre 1988
- 150.
- Aux points 225 et 226 de la Décision, la Commission dénonce un accord sur les
prix cibles à atteindre au cours du premier trimestre de 1989, qui aurait été conclu
lors de la réunion de la commission poutrelles du 18 octobre 1988. Elle s'appuie
en particulier sur les éléments suivants:
le procès-verbal de cette réunion, lequel mentionne notamment les hausses
de prix qui sont «estimées» de 25 à 40 DM en République fédérale
d'Allemagne, de 50 à 100 FF en France et de 200 à 800 BFR au Benelux.
Les prix auxquels ces hausses «aboutissent» sont repris dans un tableau,
ventilés par pays et par catégorie de produits et de clients (point 89 de la
Décision);
le tableau ayant servi à établir les prix cibles pour le quatrième trimestre de
1988 (document n° 2507, annexé au procès-verbal de la réunion du groupe
Eurofer/Scandinavie du 25 juillet 1988, point 90 de la Décision);
un télex envoyé à TradeARBED par Thyssen le 22 septembre 1988 (point
91 de la Décision);
le procès-verbal de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 3
novembre 1988 (documents n° 2488 à 2493), selon lequel:
«De nouvelles hausses de prix sont envisagées sur le 1er trimestre 1989,
hausses qui sont par ailleurs attendues par le négoce. Elles conduisent à des
augmentations de l'ordre de 25 à 40 DM en Allemagne, de 50 à 100 FF en
France, de 200 à 800 BFR au Benelux»;
le fait que «des accords ont été pris pour relever les prix en harmonisant
et en augmentant les suppléments».
- 151.
- Selon la requérante, les divers éléments mentionnés au point 225 de la Décision ne
supportent pas la conclusion de la Commission, selon laquelle les échanges de vues
entre producteurs de poutrelles ont abouti à un accord sur les prix à pratiquer sur
le marché.
- 152.
- Tout d'abord, un simple examen des barèmes publiés par les producteurs
conformément à l'article 60 du traité établirait l'absence de pertinence de
l'argument tiré du fait que le procès-verbal fixe les prix «dans tous les détails», ce
qui, selon la Commission, aurait été impossible s'il ne s'était agi que de simples
estimations. Ces barèmes seraient, en effet, beaucoup plus détaillés que
l'information apparaissant dans le procès-verbal, et celle-ci aurait pu aisément être
constituée en appliquant une estimation aux éléments essentiels de la structure des
prix qui en ressort. A cet égard, l'argument de la Commission selon lequel les prix
qui ont fait l'objet des ententes ne correspondaient pas aux prix publiés serait sans
pertinence. La question ne serait pas de savoir si les estimations en cause
correspondaient aux prix publiés, mais bien de répondre à l'argument de la
Commission, selon lequel le procès-verbal fixe les prix avec tant de précision qu'il
ne pourrait s'agir de simples estimations.
- 153.
- Ensuite, le libellé du procès-verbal, qui indique des montants situés entre un
minimum et un maximum, qui conduisent («führen») à un certain niveau de prix,
ne contredirait pas l'idée que les chiffres mentionnés étaient de simples espérances
n'impliquant aucun accord entre parties.
- 154.
- Quant au télex adressé par Thyssen à TradeARBED le 22 septembre 1988, la
requérante souligne que, de l'avis même de la Commission (voir point 129 de la
communication des griefs), il concerne une augmentation du niveau des prix sur le
marché scandinave. Le fait que la hausse sur ce marché ait été parallèle à celle
attendue sur les marchés CECA ne saurait en rien changer la nature des
discussions relatives à ce dernier marché.
- 155.
- La Commission ayant, dans son mémoire en défense, interprété le terme
«intentions» employé dans ledit télex comme révélateur d'une volonté commune
d'appliquer des prix fixés de commun accord, la requérante expose, en réplique,
que cette interprétation est erronée, comme le serait celle de termes tels que «prix
estimés», «prix envisagés» ou «intentions de prix» qui figurent dans les procès-verbaux des réunions de la commission poutrelles et des réunions du groupe
Eurofer/Scandinavie, commentés aux points 95, 96, 98 et 99 de la Décision. Selon
la requérante, on ne saurait valablement admettre une interprétation de ces procès-verbaux inconciliable avec leurs termes, ce que ferait pourtant la Commission en
assimilant de simples «intentions» à des accords. A considérer même quod non
que la notion d'«intention» puisse manquer de clarté et soit dès lors sujette à
interprétation, la référence à des termes tels que «prix envisagés» ou «estimés»
empêcherait qu'il soit conclu, en l'espèce, à l'existence d'accords.
- 156.
- Pour ce qui est du contexte général, ce serait également à tort qu'il a été retenu
par la Commission à l'appui de ses affirmations, celle-ci n'ayant pas été en mesure
d'apporter la preuve de l'existence d'un accord de hausse de prix durant la seconde
moitié de 1988 (voir ci-dessus). En tout état de cause, même si un tel accord avait - quod non - été conclu en juillet 1988 pour le quatrième trimestre de 1988, cela ne
justifierait pas que soit donnée à un document postérieur une portée contraire au
sens des mots qu'il utilise.
- 157.
- Un raisonnement similaire permettrait de rejeter l'argument tiré par la Commission
de similitudes de langage avec les comptes rendus des réunions du groupe
Eurofer/Scandinavie et de l'existence d'une harmonisation des suppléments. Selon
la requérante, on ne saurait en effet déduire de la prétendue existence d'une
première infraction l'existence d'une seconde.
- 158.
- Le Tribunal estime que les éléments présentés aux points 225 et 226 de la Décision
constituent, dans leur ensemble, un faisceau d'indices cohérents et concordants de
nature à établir les faits reprochés.
- 159.
- Le Tribunal souligne, notamment, que le procès-verbal de la réunion de la
commission poutrelles du 18 octobre 1988, à laquelle la requérante a participé,
contient des prix détaillés, ventilés par produit et par marché, pour les différentes
catégories de clients, et utilise l'expression «les hausses de prix aboutissent au
niveau suivant des prix». De même, les chiffres cités correspondent à ceux indiqués
dans le procès-verbal de la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 3 novembre
1988 (point 200 de la Décision), ce qui prouve que la décision de la commission
poutrelles du 18 octobre 1988 a été également communiquée au groupe
Eurofer/Scandinavie.
- 160.
- L'argument tiré du caractère détaillé des barèmes publiés conformément à l'article
60 du traité doit par ailleurs être rejeté. Il est constant, en effet, que, à l'époque,
les prix de barème publiés étaient nettement supérieurs aux prix effectivement
pratiqués par les entreprises sur le marché, et que, plus généralement, ils ne
pouvaient pas donner une vue réaliste des conditions du marché (voir, notamment,
le document de travail de la Commission du 6 juillet 1989, joint en appendice 5,
document 1, à la requête dans l'affaire T-151/94). Par conséquent, les entreprises
en cause n'auraient pas pu élaborer des «prévisions» détaillées, du type de celles
apparaissant dans le tableau litigieux, simplement à partir de ces barèmes.
- 161.
- Par ailleurs, le télex de Thyssen à TradeARBED du 22 septembre 1988 est un
indice supplémentaire valable en faveur du caractère consensuel des prix évoqués
dans le procès-verbal de la réunion du 18 octobre 1988. Ce télex se lit somme suit:
«La discussion aura en fait le plus de sens après le rendez-vous
Eurofer/Scandinavie. Néanmoins, comme ce dernier a lieu tardivement, nous
devrions à mon avis communiquer à nos amis nos intentions pour la Communauté
en moyenne et préconiser le parallélisme, c'est-à-dire une hausse pour le
programme scandinave s'établissant comme suit:
Suède SKR 100,
Norvège NKR 100,
Finlande DM 40,
La décision concernant la catégorie 2C pourra alors être prise le 29 septembre.»
- 162.
- Si ce télex concerne une hausse des prix sur les marchés scandinaves, il se réfère
également à des «intentions pour la Communauté», communes à plusieurs
entreprises. En effet, l'auteur du télex entend préconiser, s'agissant du «programme
scandinave», le «parallélisme» entre la hausse moyenne envisagée pour la
Communauté et celle que les participants à la prochaine réunion du groupe
Eurofer/Scandinavie devaient décider d'un commun accord (cette dernière décision
ayant effectivement été adoptée le 3 novembre 1988). Au surplus, une prochaine
«décision» est proposée au destinataire du télex en ce qui concerne les prix de la
catégorie 2C, ce qui indique qu'il s'agissait de prix adoptés d'un commun accord.
- 163.
- C'est à juste titre également que la Commission a estimé, au point 225, septième
tiret, de la Décision, que, dès lors que les entreprises réunies au sein de la
commission poutrelles convenaient de suppléments harmonisés, il aurait été
surprenant qu'elles laissent au libre jeu de la concurrence le soin de décider du
montant des prix de base (voir ci-après). Or, c'est précisément au cours de la
réunion du 18 octobre 1988 qu'une proposition d'Usinor Sacilor visant à
l'harmonisation des prix des suppléments de qualité a été examinée, avant d'être
acceptée, dans son principe, lors de la réunion du 15 novembre 1988 (point 122 de
la Décision).
- 164.
- Par ailleurs, conformément au raisonnement exposé au point 226 de la Décision,
le caractère contraignant, à tout le moins moralement, des accords dénoncés par
la Commission est prouvé par le fait qu'aucun des participants à la réunion n'a
signalé son intention de ne pas appliquer les prix proposés (voir arrêt du Tribunal
du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7/89, Rec. p. II-1711,
point 232), et par les déclarations ultérieures des entreprises selon lesquelles les
prix en question avaient été acceptés par la clientèle (voir les points 94 et 95 de la
Décision).
- 165.
- La Commission a donc prouvé à suffisance de droit l'existence des faits reprochés
en ce qui concerne l'accord sur les prix cibles conclu le 18 octobre 1988.
Prix cibles prétendument arrêtés lors de la réunion du 10 janvier 1989
- 166.
- Selon le point 227 de la Décision, la commission poutrelles a arrêté, lors de sa
réunion du 10 janvier 1989, des prix cibles pour les livraisons à la France, à
l'Allemagne, aux pays du Benelux et à l'Italie, au deuxième trimestre de cette
même année.
- 167.
- La Commission s'appuie sur le procès-verbal de cette réunion (voir point 95 de la
Décision), qui indique les hausses pour le trimestre de référence, détaillées selon
les marchés et les catégories. Le même document donne ensuite les «niveaux deprix pressentis» en conséquence de ces hausses. La Commission invoque également
une note de dossier de British Steel non datée sur les résultats de cette réunion,
ainsi qu'une note interne de Peine-Salzgitter du 13 janvier 1989 (point 96 de la
Décision).
- 168.
- Le Tribunal estime que les documents cités aux points 95 et 96 de la Décision
établissent à suffisance de droit les faits reprochés.
- 169.
- Les parties se sont en effet à nouveau servies de la technique déjà adoptée lors de
la réunion du 18 octobre 1988, en consignant dans le procès-verbal du 10 janvier
1989, de façon précise et détaillée, les hausses ainsi que les nouveaux prix en
découlant, pour chaque marché et chaque catégorie de produits et de clients. Le
Tribunal considère que de telles indications supposent un accord sur les prix en
cause. Cette conclusion est confirmée par les deux autres documents cités par la
Commission au point 96 de la Décision, à savoir la note non datée de British Steel
(documents n°s 2001 à 2003) et la note de Peine-Salzgitter du 13 janvier 1989
(documents n°s 3051 et 3052). La note de British Steel donne des prix pour la
France, l'Allemagne et les pays du Benelux qui sont identiques à ceux figurant au
procès-verbal de la réunion du 10 janvier 1989. Elle parle, ensuite, d'«intentions en
matière de prix», ce qui ne peut que signifier, vu le caractère uniforme des hausses
et des nouveaux prix qui en découlaient, des intentions communes aux membres
de la commission poutrelles. Selon la note de Peine-Salzgitter du 13 janvier 1989,
les hausses avaient déjà été «envisagées» auparavant et ont été «concrétisées» lors
de la réunion. Après avoir présenté les hausses relatives à l'Allemagne, ladite note
poursuit: «Des hausses de prix sélectives ont également été décidées pour les
différentes catégories dans les principaux autres pays de la Communauté [...]»
Cette formulation indique, elle aussi, l'existence d'un concours de volontés.
Contrairement à ce qu'allègue la requérante, il ne peut pas s'agir, dans ces
conditions, d'un simple échange d'informations sur les prix.
- 170.
- Cette conclusion n'est pas affectée par le fait que les nouveaux prix pour l'Italie
indiqués dans la note non datée de British Steel dépassent de 20 000 LIT par tonne
ceux repris dans le procès-verbal de la réunion en cause. Cette divergence dans la
note de British Steel, qui ne se réfère qu'aux nouveaux prix pour l'Italie, doit en
effet être imputée à une simple erreur lors de la mise par écrit des nouveaux prix
en cause.
Prix cibles pour les marchés italien et espagnol prétendument arrêtés lors de la
réunion du 7 février 1989
- 171.
- Selon le point 227 de la Décision, la commission poutrelles a arrêté des prix cibles
pour les marchés italien et espagnol lors de sa réunion du 7 février 1989.
- 172.
- La Commission s'appuie sur le procès-verbal de cette réunion (voir point 98 de la
Décision), dont il ressortirait que des prix pour deux catégories de poutrelles en
Italie et des prix pour l'Espagne ont été fixés et sont venus compléter les données
de prix figurant dans le procès-verbal de la réunion du 10 janvier 1989 (voir point
95 de la Décision).
- 173.
- Le Tribunal estime que, malgré les termes du procès-verbal de la réunion du 7
février 1989 (documents n°s 97 à 106), qualifiant les indications en question de
«compléments aux prévisions de prix 2e trimestre de 1989», plusieurs éléments
établissent qu'il s'agissait en réalité de prix convenus.
- 174.
- En premier lieu, les prix que ces indications étaient censées compléter avaient déjà
été fixés d'un commun accord lors de la réunion du 10 janvier 1989 (voir ci-dessus).
Lors de la réunion du 7 février 1989, les participants ont d'ailleurs constaté que ces
derniers prix avaient été réalisés ou qu'ils le seraient sans difficulté (voir point 98
de la Décision).
- 175.
- En second lieu, le procès-verbal indique que le nouveau niveau des prix de la
catégorie 2C en Italie «préserve une 'harmonie entre les prix pratiqués sur
l'ensemble des marchés européens, d'une part, et prend en compte la concurrence
des profilés reconstitués soudés (prs), d'autre part». En ce qui concerne le marché
espagnol, il est indiqué que les «prix prévus» du trimestre en cours sont
«reconduits» au trimestre prochain «aux fins de consolider les niveaux atteints».
Il ressort de ces formulations qu'il existait un consensus entre les entreprises pour
réaliser, par l'application de ces prix, certains objectifs communs. Ces entreprises
étaient donc nécessairement d'accord pour appliquer ces prix.
- 176.
- L'existence des faits reprochés au point 227, deuxième alinéa, de la Décision est,
dès lors, prouvée à suffisance de droit.
Prix cibles prétendument convenus lors de la réunion du 19 avril 1989
- 177.
- Selon le point 228 de la Décision, des prix cibles à appliquer au troisième trimestre
de 1989 sur les marchés de l'Allemagne, de la France, de la Belgique, du
Luxembourg, de l'Italie et de l'Espagne, pratiquement identiques à ceux du
trimestre précédent, ont été convenus à la réunion de la commission poutrelles du
19 avril 1989.
- 178.
- La Commission s'appuie sur le procès-verbal de cette réunion qui, après avoir
indiqué que les prix prévus avaient été obtenus en Allemagne, en France et en
Italie, donne les prix du trimestre à venir (point 99 de la Décision).
- 179.
- Le Tribunal estime que la Commission a prouvé à suffisance de droit que les prix
consignés dans le procès-verbal de la réunion du 19 avril 1989 (documents n°s 125
à 145) avaient fait l'objet d'un accord. Il est également établi à suffisance de droit
que la requérante, ou du moins sa filiale Steelinter, était présente à ladite réunion
(voir point 186 ci-après).
- 180.
- En premier lieu, pour autant que le passage pertinent de ce document indique que
les «prévisions T2/89 sont reconduites sur le 3e trimestre 1989», il convient de
rappeler que ces «prévisions» constituaient, en réalité, le fruit d'un accord au sein
de la commission poutrelles, auquel les entreprises concernées étaient parvenues
lors des réunions des 10 janvier et 7 février 1989 (voir ci-dessus). La
«reconduction» de ces «prévisions» avait également le caractère d'un accord,
visant cette fois au maintien de l'ancien niveau de prix. Cette conclusion est
corroborée par le constat, consigné dans le même document, selon lequel les «prix
prévus» pour le deuxième trimestre ou les «prévisions» relatives à ce trimestre
avaient été «accepté[e]s [...] par la clientèle» (document n° 126). La mention
concernant le marché allemand, selon laquelle les «prévisions» correspondantes
avaient été «atteintes», doit être interprétée dans le même sens.
- 181.
- En second lieu, les prix du trimestre à venir sont présentés, dans le procès-verbal
de la réunion du 19 avril 1989, de la même façon précise et détaillée que l'avaient
été, dans les procès-verbaux antérieurs, les prix du quatrième trimestre de 1988 et
ceux des deux premiers trimestres de 1989. De telles présentations détaillées ne
peuvent être interprétées comme reflétant de simples prévisions ou estimations.
Fixation des prix applicables au Royaume-Uni à partir du mois de juin 1989
- 182.
- Aux points 229 et 230 de la Décision, la Commission fait état d'une pratique
concertée de fixation des prix applicables au Royaume-Uni à partir du mois de juin
1989, intervenue à l'initiative de British Steel et acceptée par ses concurrents.
- 183.
- A l'appui de ce raisonnement, la Commission invoque une note interne de British
Steel du 24 avril 1989 (voir point 100 de la Décision), ainsi que l'indication,
contenue dans les procès-verbaux des réunions de la commission poutrelles des 6
juin et 11 juillet 1989, selon laquelle, d'après British Steel, la hausse des prix avait
été acceptée par la clientèle (voir points 101 et 102 de la Décision).
- 184.
- La requérante souligne tout d'abord que ni elle-même ni Steelinter n'étaient
présentes à la réunion du 19 avril 1989, au cours de laquelle, selon le point 229 de
la Décision, British Steel a informé ses concurrents de la hausse des prix qu'elle
entendait appliquer sur le marché britannique et les a invités à facturer des prix
équivalents pour leurs exportations vers le Royaume-uni. En outre, selon la
requérante, il n'aurait pas été nécessaire pour British Steel d'informer certains de
ses concurrents des hausses qu'elle envisageait d'appliquer, et de les inciter à
respecter un tel mouvement, si les prix avaient été fixés dans le cadre de la
commission poutrelles. Loin de conforter les thèses de la Commission, l'initiative
de British Steel confirmerait l'absence de fixation en commun de prix par les
producteurs. Quant à l'argument selon lequel British Steel ne se contentait pas
d'informer les producteurs continentaux, mais demandait à ceux-ci de la suivre,
cette précision ne changerait rien au caractère unilatéral de l'attitude de British
Steel.
- 185.
- Le Tribunal estime que l'allégation de la Commission, selon laquelle British Steel
a annoncé aux autres entreprises, le 19 avril 1989, une hausse de ses prix au
Royaume-Uni et les a invitées à suivre cette hausse (point 229 de la Décision), est
prouvée à suffisance de droit par la note du 24 avril 1989 (documents n°s 1969 et
1970) citée au point 100 de la Décision.
- 186.
- Il doit également être tenu pour établi que la requérante, ou du moins sa filiale
Steelinter, était présente à la réunion du 19 avril 1989, et qu'elle a donc reçu tant
l'annonce de British Steel que son invitation à appliquer les nouveaux prix au
Royaume-Uni. D'une part, en effet, le procès-verbal de ladite réunion (documents
n° 125 à 145 du dossier) a été adressé à Steelinter (voir document n° 124 du
dossier). D'autre part, ce procès-verbal donne une série de renseignements relatifs
au marché du Benelux et fixe des prix cibles à appliquer au troisième trimestre sur
le marché belge (voir ci-dessus), ce qui, eu égard au contexte général des réunions
de la commission poutrelles, implique nécessairement la participation de la
requérante ou de sa filiale à la réunion du 19 avril 1989.
- 187.
- Le Tribunal estime également que la Commission a prouvé à suffisance de droit
son allégation selon laquelle British Steel et ses concurrents s'étaient concertés sur
les prix (point 230 de la Décision). C'est en effet à juste titre que la Commission
a exposé, au point 229 de la Décision, que la coopération dans laquelle s'insérait
le comportement litigieux avait déjà abouti à la passation d'un certain nombre
d'accords de fixation des prix pour les marchés continentaux de la CECA, auxquels
British Steel avait été partie. Dans ces circonstances, l'action de celle-ci ne saurait
être considérée comme un comportement unilatéral envers un concurrent avec
lequel elle n'avait pas de liens de coopération.
- 188.
- En effet, dès lors que British Steel avait accepté, lors de nombreuses réunions
antérieures de la commission poutrelles, de se lier, du moins moralement, en ce qui
concerne les prix continentaux, elle pouvait raisonnablement attendre de ses
concurrents que son invitation à respecter ses nouveaux prix au Royaume-Uni
serait prise en compte par ces derniers lorsqu'ils arrêteraient leur propre
comportement sur ce marché. Cette constatation s'applique également à la
requérante, dont la participation aux réunions concernées est établie par les
éléments du dossier.
- 189.
- Le Tribunal considère, enfin, que la Commission a prouvé à suffisance de droit que
les entreprises se sont effectivement conformées à l'exigence de British Steel(points 229 et 230 de la Décision). A ce propos, la requérante n'a contesté ni les
indications de British Steel selon lesquelles ses hausses de prix avaient été
acceptées par le marché britannique, ni l'affirmation de la Commission selon
laquelle, à l'époque, les prix au Royaume-Uni étaient nettement plus élevés que sur
les marchés continentaux de la CECA (point 229 de la Décision). Étant donné que,
dans ces circonstances, des offres à des prix correspondant au niveau continental
auraient empêché l'acceptation des nouveaux prix de British Steel par la clientèle
locale, le fait que ses hausses de prix ont été acceptées «sans difficulté» suffit à
établir, en l'absence d'indice du contraire, que la requérante n'a pas fait obstacle
à la réalisation par British Steel des hausses de prix en cause.
- 190.
- Il convient donc de constater que les allégations factuelles qui sous-tendent le
raisonnement développé aux points 229 et 230 de la Décision sont prouvées à
suffisance de droit.
Accord prétendument intervenu lors de la réunion du 11 juillet 1989, en vue de
reconduire au quatrième trimestre, sur le marché allemand, les prix cibles du
troisième trimestre de cette même année
- 191.
- Au point 231 de la Décision, la Commission déduit du procès-verbal de la réunion
de la commission poutrelles du 11 juillet 1989 (voir point 102 de la Décision) qu'il
a alors été convenu que les prix cibles du troisième trimestre de 1989 devaient
également être appliqués au trimestre suivant en Allemagne.
- 192.
- La requérante se réfère au point 104 de la Décision, où la Commission aurait
avoué que «les participants [à la réunion Eurofer/Scandinavie du 3 août 1989]
n'avaient prévu pour le quatrième trimestre aucune augmentation des prix de base
sur aucun des marchés en cause». Le procès-verbal de la réunion du 11 juillet 1989
indiquerait que la question des prix pour ce trimestre n'a pas été discutée, si ce
n'est pour l'Allemagne (voir point 190 de la communication des griefs). La
requérante se réfère encore au procès-verbal de la réunion du 3 août 1989, qui
indiquerait que «les différentes forges locales informent que le prix de base
escompté et atteint au troisième trimestre sera probablement reconduit au
quatrième».
- 193.
- Le Tribunal estime que le procès-verbal de la réunion du 11 juillet 1989
(documents n°s 182 à 188) prouve à suffisance de droit l'existence des faits
reprochés par la Commission, relatifs à un accord sur le maintien des prix sur le
marché allemand au cours du quatrième trimestre de 1989.
- 194.
- Le passage pertinent de ce document énonce, sous l'intitulé «Prévisions d'évolution
des prix sur le 4e trimestre 1989»:
«Du côté allemand, il est envisagé, dans la mesure où une augmentation des Extras
de dimension et de qualités de l'ordre de 20 à 25 DM/tonnes est prévue pour le 1er
octobre 1989, de ne pas procéder à des relèvements des prix de base. Les prix
escomptés et atteints sur le 3e trimestre 1989 sont dans ce contexte reconduits sur
le 4e trimestre 1989. Un échange d'informations concernant les autres marchés
communautaires aura lieu lors de la prochaine réunion de la commission
poutrelles.»
- 195.
- Il ressort de l'articulation de ce paragraphe que seuls les prix des autres marchés
devaient faire l'objet d'un «échange d'informations» ultérieur, tandis que les prix
du marché allemand ont été «reconduits» d'un commun accord lors de la réunion
en cause.
- 196.
- En particulier, l'annonce des producteurs allemands doit être considérée dans le
contexte des réunions régulières de la commission poutrelles et des autres accords
dont le Tribunal a déjà constaté l'existence ci-dessus. Ainsi, les prix «reconduits»
avaient eux-mêmes fait l'objet d'un accord au sein de la commission poutrelles le
19 avril 1989 (voir ci-dessus). Il apparaît ainsi que les dispositions prises à propos
du marché allemand s'inscrivaient dans la pratique des réunions antérieures,
consistant à fixer les prix trimestriels successifs pour les principaux marchés de la
Communauté.
- 197.
- Par ailleurs, le Tribunal estime qu'un accord pour ne pas augmenter les prix peut
constituer un accord de fixation de prix au sens de l'article 65, paragraphe 1, du
traité.
- 198.
- Enfin, il convient de relever que la Commission ne reproche pas aux entreprises
d'avoir conclu un accord de fixation de prix cibles lors de la réunion du 3 août
1989. Par conséquent, les arguments de la requérante sont sans objet pour autant
qu'ils tendent à réfuter cette hypothèse.
Conclusions
- 199.
- Il découle de tout ce qui précède que l'ensemble des faits allégués à l'appui des
développements figurant aux points 224 à 231 de la Décision, quant à la conclusion
d'accords sur les prix et aux comportements que la Commission y assimile en tant
que «pratiques concertées», sont prouvés à suffisance de droit par les documents
qu'elle invoque. L'argumentation de la requérante doit dès lors être rejetée, pour
autant qu'elle est dirigée contre les constatations de fait exposées aux points 80 à
102 et 224 à 231 de la Décision. Il en ressort également que la Commission a
motivé à suffisance de droit tant l'existence des accords et pratiques concertées
reprochés à la requérante que sa participation individuelle auxdits accords et
pratiques concertées et qu'elle a suffisamment concrétisé les infractions en cause.
2. Sur la qualification juridique des faits
- 200.
- A ce stade du raisonnement, il convient d'apprécier la qualification juridique que
la Commission a donnée aux comportements dénoncés aux points 224 à 231 de la
Décision au regard: a) des catégories d'ententes visées à l'article 65, paragraphe 1,
du traité; b) de l'objet ou de l'effet de tels comportements, et c) à la notion de jeu
normal de la concurrence au sens de cette disposition.
a) Sur la qualification des comportements incriminés au regard des catégories
d'ententes envisagées par l'article 65, paragraphe 1, du traité
- 201.
- Le Tribunal rappelle que, aux termes de l'article 4, sous d), du traité:
«Sont reconnus incompatibles avec le marché commun du charbon et de l'acier et,
en conséquence, sont abolis et interdits dans les conditions prévues au présent
traité, à l'intérieur de la Communauté:
[...]
d) Les pratiques restrictives tendant à la répartition ou à l'exploitation des
marchés.»
- 202.
- L'article 65, paragraphe 1, du traité interdit «tous accords entre entreprises, toutes
décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées qui tendraient,
sur le marché commun, directement ou indirectement, à empêcher, restreindre ou
fausser le jeu normal de la concurrence et en particulier:
a) à fixer ou à déterminer les prix;
b) à restreindre ou à contrôler la production, le développement technique ou
les investissements;
c) à répartir les marchés, produits, clients ou sources d'approvisionnement».
- 203.
- Dans le cas d'espèce, les comportements reprochés à la requérante aux points 224
à 228 et 231 de la Décision sont qualifiés par la Commission d'«accords» de
fixation de prix, au sens de cette disposition. Or, il ressort à suffisance de droit des
faits que le Tribunal vient de constater que, à chacune des occasions visées par ces
points de la Décision, les entreprises concernées, parmi lesquelles la requérante,
ne se sont pas bornées à de simples «échanges de vues entre producteurs» quant
à leurs «estimations des prix de marché», mais ont exprimé leur volonté commune
de se comporter sur le marché d'une manière déterminée en matière de prix, à
savoir, de faire en sorte que les prix convenus lors des réunions en cause soient
atteints ou, le cas échéant, maintenus. Le Tribunal estime qu'un tel concours de
volontés constitue un «accord» au sens de l'article 65, paragraphe 1, du traité. A
cet égard, le Tribunal ne voit d'ailleurs aucune raison d'interpréter la notion
d'«accord» au sens de l'article 65, paragraphe 1, du traité différemment de celle
d'«accord» au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE (voir l'arrêt Rhône-Poulenc/Commission, précité, point 120).
- 204.
- Quant au comportement reproché à la requérante, aux points 229 et 230 de la
Décision, en ce qui concerne les hausses de prix applicables sur le marché
britannique à partir du mois de juin 1989, qui est qualifié dans la Décision de
«pratique concertée» (voir points 220 et 230 in fine), le Tribunal estime que cette
notion doit être interprétée en tenant compte de la finalité de l'article 65,
paragraphe 1, et du cadre juridique du traité.
- 205.
- Dans son avis 1/61, du 13 décembre 1961 (Rec. p. 505), la Cour a souligné que le
but de l'article 4, sous d), du traité est d'empêcher les entreprises d'acquérir par
la voie de pratiques restrictives une position leur permettant la répartition ou
l'exploitation des marchés. Selon la Cour, cette prohibition, mise en oeuvre par
l'article 65, paragraphe 1, du traité, est rigide et caractérise le système instauré par
le traité (p. 519). Par ailleurs, la Cour a souligné, à propos du régime de
publication des prix prévu par l'article 60 du traité (voir ci-après), que le «traité
part de l'idée que la libre formation des prix est garantie par la liberté, accordée
aux entreprises, de fixer elles-mêmes leurs prix et de publier de nouveaux barèmes
quand elles veulent les modifier. Si la conjoncture change, les producteurs sont
forcés d'adapter leurs barèmes, et c'est de cette façon que 'le marché fait le prix»
(arrêt de la Cour du 21 décembre 1954, France/Haute Autorité, 1/54, Rec. p. 7,
31). Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que, même si le marché
de l'acier est un marché oligopolistique, caractérisé par le régime de l'article 60 du
traité qui assure, par la publication obligatoire des barèmes des prix et des tarifs
de transport, la transparence des prix pratiqués par les différentes entreprises,
l'immobilité ou le parallélisme des prix qui en résultent ne sont pas, en eux-mêmes,
contraires au traité s'ils sont le résultat non pas d'un accord, même tacite, entre les
associés, «mais du jeu sur le marché des forces et des stratégies d'unités
économiques indépendantes et opposées» (arrêt du 15 juillet 1964, Pays-Bas/Haute
Autorité, 66/63, Rec. p. 1047, 1076 et 1077).
- 206.
- Il découle de cette jurisprudence que la conception selon laquelle toute entreprise
doit déterminer de manière autonome la politique qu'elle entend suivre sur le
marché, sans collusion avec ses concurrents, est inhérente au traité CECA et
notamment à ses articles 4, sous d) et 65, paragraphe 1.
- 207.
- Dans ces circonstances, le Tribunal estime que la prohibition des «pratiques
concertées» par l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA poursuit, en principe,
le même dessein que la prohibition parallèle des «pratiques concertées» par
l'article 85, paragraphe 1, du traité CE. Elle vise, plus particulièrement, à assurer
l'effet utile de la prohibition de l'article 4, sous d), du traité en appréhendant, sous
ses interdictions, une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été
poussée jusqu'à la réalisation d'un accord proprement dit, substitue sciemment une
coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence normale visée par
le traité (voir arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48/69, Rec. p.
619, point 64).
- 208.
- S'agissant plus spécifiquement du cas de hausse des prix sur le marché britannique
que la Commission a dénoncé comme «pratique concertée», il y a lieu de rappeler
que: a) ce cas se situe dans le cadre d'une concertation régulière, au travers de
nombreuses réunions et de communications écrites entre les entreprises membres
de la commission poutrelles visant, notamment, à la coordination de leur
comportement en matière de prix sur les différents marchés nationaux; b) à cette
occasion, British Steel a dévoilé à ses concurrents, lors d'une réunion rassemblant
la plupart d'entre eux, quel serait son comportement futur sur le marché en
matière de prix, en les exhortant à adopter le même comportement, et a donc agi
avec l'intention expresse d'influencer leurs activités concurrentielles futures; c) le
contexte de coordination régulière au sein de la commission poutrelles était tel que
British Steel pouvait raisonnablement escompter que ses concurrents se
conformeraient dans une large mesure à sa demande ou, à tout le moins, qu'ils en
tiendraient compte en arrêtant leur propre politique commerciale; d) les éléments
invoqués par la Commission établissent que les entreprises en cause se sont
conformées, dans une large mesure, aux propositions de British Steel. En
particulier, la requérante n'a apporté aucun élément de nature à établir qu'elle se
serait opposée aux demandes de British Steel.
- 209.
- Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les entreprises en cause ont substitué
aux risques de la concurrence normale visée par le traité une coopération pratique
entre elles, qualifiée par la Commission, à juste titre, de «pratique concertée» au
sens de son article 65, paragraphe 1.
- 210.
- Quant à l'argument de certaines des requérantes selon lequel la notion de
«pratique concertée» au sens de l'article 65, paragraphe 1, du traité suppose que
les entreprises se soient livrées aux pratiques qui ont fait l'objet de leur
concertation, en particulier en augmentant leurs prix de façon uniforme, il ressort
de la jurisprudence du Tribunal relative au traité CE que, pour conclure à
l'existence d'une pratique concertée, il n'est pas nécessaire que la concertation se
soit répercutée, au sens où l'entendent ces requérantes, sur le comportement des
concurrents sur le marché. Il suffit de constater, le cas échéant, que chaque
entreprise a nécessairement dû prendre en compte, directement ou indirectement,
les informations obtenues lors de ses contacts avec ses concurrents (arrêt Rhône-Poulenc/Commission, précité, point 123). Cette jurisprudence n'est pas mise en
cause par les points 64, 126 et suivants de l'arrêt de la Cour du 31 mars 1993,
Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission (C-89/85, C-104/85, C-114/85, C-116/85, C-117/85 et C-125/85 à C-129/85, Rec. p. I-1307), invoqués par lesdites requérantes,
qui concernent des questions différentes.
- 211.
- Le Tribunal estime que cette jurisprudence est transposable au domaine
d'application de l'article 65 du traité CECA, dès lors que la notion de pratique
concertée y remplit la même fonction que la notion équivalente du traité CE.
- 212.
- Cette conclusion n'est pas infirmée par le libellé de l'article 65, paragraphe 5, du
traité, selon lequel la possibilité, pour la Commission, d'infliger des amendes en
raison de «pratiques concertées» n'est prévue que dans l'hypothèse où les
intéressés «se livreraient» à des pratiques contraires aux dispositions du paragraphe
1. Le Tribunal estime, en effet, que des entreprises se livrent à une pratique
concertée, au sens de cette disposition, lorsqu'elles participent effectivement à un
mécanisme tendant à éliminer l'incertitude quant à leur comportement futur sur le
marché et impliquant, nécessairement, que chacune d'elles prenne en compte les
informations obtenues de ses concurrents (voir arrêt Rhône-Poulenc/Commission,
précité, point 123). Il n'est donc pas nécessaire que la Commission démontre que
les échanges d'informations en cause ont abouti à un résultat spécifique ou à une
mise à exécution sur le marché concerné.
- 213.
- Cette interprétation est confirmée par le libellé de l'article 65, paragraphe 1, du
traité qui interdit «toutes pratiques concertées qui tendraient, sur le marché
commun, directement ou indirectement, à empêcher, restreindre ou fausser le jeu
normal de la concurrence». Le Tribunal estime que cette interdiction vise toute
pratique concertée qui «a tendance à» ou «est susceptible de» porter atteinte au
jeu normal de la concurrence, sans qu'il soit nécessaire de prouver, aux fins d'un
constat d'infraction, une atteinte effective et concrète à ce jeu. Dans son arrêt du
20 mars 1957, Geitling e.a./Haute Autorité (2/56, Rec. p. 9, ci-après «arrêt Geitling
I»), la Cour a du reste indiqué (p. 40) que, pour parvenir à la constatation qu'un
accord fausse ou restreint la concurrence, il n'est pas nécessaire d'en examiner les
effets concrets, cette constatation ressortant in abstracto de l'article 65, paragraphe
1, du traité.
- 214.
- En tout état de cause, à supposer même qu'il faille retenir l'interprétation défendue
par certaines des requérantes, selon laquelle la notion de pratique concertée
suppose un comportement sur le marché conforme au résultat de la concertation,
cette condition serait remplie en l'espèce, en ce qui concerne le mouvement de prix
sur le marché du Royaume-Uni. Il est en effet établi que les entreprises se sont
conformées dans une large mesure à la demande de British Steel, ce qui a permis
l'imposition effective des nouveaux prix.
- 215.
- Il découle de l'ensemble de ce qui précède que la requérante n'a établi l'existence
d'aucune erreur de droit dans la qualification des comportements en cause au
regard des notions d'«accord» ou de «pratique concertée» visées par l'article 65,
paragraphe 1, du traité.
b) Sur l'objet et l'effet des ententes et pratiques concertées reprochées
- 216.
- Selon le point 238 de la Décision, les accords et pratiques concertées dénoncés aux
points 223 à 231 «tendaient à» restreindre la concurrence au sens de l'article 65,
paragraphe 1, du traité. Au point 221 de la Décision, la Commission identifie
l'«objet» des comportements en cause, comme étant, entre autres, celui «de
relever et d'harmoniser les prix». Au point 222, après avoir indiqué que l'analyse
dudit objet rend superflue la démonstration d'un effet préjudiciable sur la
concurrence, la Commission estime néanmoins que cet effet était loin d'être
négligeable.
- 217.
- Dans ses écritures, la requérante n'a pas spécifiquement tiré argument de la
différence de formulation entre l'article 65 du traité CECA et l'article 85 du traité
CE, en ce que le premier interdit les accords et pratiques «... qui tendraient, sur
le marché commun, ...», alors que le second vise les accords ou pratiques ayant
«pour objet ou pour effet». Pour autant que la requérante s'est référée à une
présentation commune de cet argument lors de l'audience, il y a lieu de le rejeter
comme non fondé. Dans la mesure où l'article 65, paragraphe 1, du traité se réfère
à des ententes qui «tendraient à» fausser le jeu normal de la concurrence, le
Tribunal estime, en effet, que cette expression englobe la formule «ont pour objet»
figurant à l'article 85, paragraphe 1, du traité CE. C'est donc à juste titre que la
Commission a constaté, au point 222 de la Décision, qu'elle n'était pas tenue de
démontrer l'existence d'un effet préjudiciable sur la concurrence pour établir une
violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité. En tout état de cause, il y a lieu
de constater, au vu des nombreux indices selon lesquels les hausses de prix
convenues en l'espèce ont été atteintes, que les comportements incriminés,
impliquant les principaux producteurs communautaires de poutrelles, ont
nécessairement eu un effet non négligeable sur le marché, ainsi que la Commission
l'a constaté au point 222 de la Décision.
c) Sur la qualification des comportements incriminés au regard du critère relatif au
«jeu normal de la concurrence»
Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante
- 218.
- La requérante reproche à la Commission d'avoir, dans la Décision, commis une
erreur dans l'interprétation de l'article 65 du traité.
- 219.
- La requérante expose que le traité, en son titre troisième intitulé «dispositions
économiques et sociales», confère à la Commission des compétences et pouvoirs
étendus en matière de politique économique, en vue de la réalisation des objectifs
fondamentaux du traité (voir, en particulier, les articles 46 à 48, 58 et 60). Les
règles en matière de concurrence s'insèrent dans ce titre et ne constituent, d'après
elle, que l'un des moyens d'action au service de cette politique, à côté de la
compétence d'avis et d'orientation (articles 46 à 48), du contrôle des
investissements (articles 54 à 56), du contrôle de la production (articles 57 à 59),
du contrôle des prix (articles 60 à 64) et des transports (article 70).
- 220.
- Toutes ces dispositions auraient même force impérative et il conviendrait donc de
les interpréter de manière cohérente. C'est pourquoi, d'après la requérante,
l'application correcte de l'article 65 du traité suppose que l'on en détermine la
portée en tenant compte du système dans lequel il s'insère et, plus
particulièrement, de l'effet sur la concurrence de la mise en oeuvre par la
Commission des autres moyens d'action dont elle dispose en vue de la réalisation
des objectifs du traité.
- 221.
- Tout d'abord, l'article 60 du traité imposerait aux opérateurs économiques une
politique de prix transparente et uniforme, renforcée, notamment, par les mesures
au titre de l'article 70. Les décisions arrêtées par la Commission en vertu de
l'article 60, paragraphe 2, du traité auraient abouti à une transparence absolue des
prix par la publication de barèmes extrêmement détaillés. Ainsi, un producteur ne
pourrait pas suivre une politique de prix sélective, ni tester que le marché
supportera une hausse de prix, sans prendre à cet égard une décision
nécessairement générale et publique. Les restrictions ainsi imposées à la
concurrence sur les prix se trouveraient amplifiées par le fait que les produits
sidérurgiques sont pour l'essentiel homogènes et que la demande globale est
relativement inélastique, ainsi que par la nature oligopolistique du marché de
l'acier.
- 222.
- Les règles de prix de l'article 60 du traité introduisent ainsi, selon la requérante,
un élément de rigidité considérable qui devrait être pris en considération lorsque
l'on veut apprécier la portée de l'article 65, en cohérence avec les objectifs
fondamentaux du traité tels qu'ils sont définis par son article 3. Cette analyse se
retrouverait dans l'arrêt Pays-Bas/Commission, précité (Rec. p. 1076).
- 223.
- D'autres dispositions du traité limiteraient également le domaine laissé à la
concurrence en accroissant la transparence du marché. Ainsi, la requérante expose
que, en vertu des articles 46 à 48 du traité, la Commission peut consulter les
gouvernements, les divers intéressés et leurs associations, et recueillir les
informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission tant auprès des
entreprises qu'auprès des associations d'entreprises. Elle est tenue, en outre, de
publier les objectifs généraux et les programmes prévisionnels qu'elle a établis pour
la Communauté à l'issue des enquêtes, de même que toutes les données recueillies
auprès des entreprises qui sont susceptibles d'être utiles aux gouvernements ou à
tous autres intéressés, sous réserve des informations couvertes par le secret
professionnel.
- 224.
- L'article 58 du traité, qui reconnaît à la Commission le pouvoir d'imposer des
quotas de livraison et de production aux entreprises sidérurgiques, aurait également
pour effet de limiter la concurrence entre celles-ci.
- 225.
- Ces diverses dispositions démontreraient que le principe de concurrence de l'article
65 du traité est un principe relatif qui doit tenir compte d'autres dispositions le
limitant. La Cour aurait reconnu la nécessaire flexibilité de cette disposition dans
son arrêt Pays-Bas/Haute Autorité, précité. Cette jurisprudence ne serait d'ailleurs
que le reflet d'un principe plus général selon lequel les règles de concurrence du
traité ne sont pas une fin en soi mais ont pour but la réalisation des objectifs
fondamentaux du traité. Ainsi, dans son arrêt du 18 février 1962, Geitlinge.a./Haute Autorité (13/60, Rec. p. 165, ci-après «Geitling II»), la Cour aurait-elle
souligné que la concurrence résiduelle requise au titre de l'article 65, paragraphe
2, du traité ne saurait se mesurer de manière abstraite mais doit être «la dose de
concurrence nécessaire pour que soit sauvegardée l'exigence fondamentale de
l'article 2 (...)».
- 226.
- La requérante conclut que la référence à la notion de concurrence normale dans
l'article 65 du traité, l'existence dans le traité de nombreuses dispositions dont la
mise en oeuvre se traduit par un amoindrissement de la concurrence, et la
jurisprudence de la Cour soulignant la priorité à donner à la réalisation des
objectifs du traité, sont autant d'éléments qui justifient que l'on donne à l'article 65,
paragraphe 1, du traité une portée qui tienne compte des réalités économiques et
des contraintes qu'elles imposent à la réalisation de l'ensemble des objectifs du
traité. Il faudrait également se référer à la situation économique et à la façon dont
elle est perçue par la Commission pendant une période donnée pour apprécier la
portée de cette disposition à ce moment.
- 227.
- Une telle flexibilité des règles de concurrence au vu d'impératifs de politique
économique ne serait pas incompatible avec le caractère fondamental et rigide de
la prohibition énoncée à l'article 4, sous d), du traité, que la requérante ne met pas
en cause. Il ressortirait d'ailleurs de l'approche suivie par la Commission durant la
période 1977-1990 que celle-ci a partagé cette analyse (voir ci-après).
- 228.
- Cette flexibilité ne serait pas non plus incompatible avec l'objectif avoué de la
Commission d'appliquer mutatis mutandis les mêmes principes au traité CECA et
au traité CE. A cet égard, la requérante ne conteste pas la communauté
d'inspiration existant entre les deux traités mais insiste sur le fait que, s'agissant de
deux traités distincts, il ne peut être question d'une assimilation des articles 85 du
traité CE et 65 du traité CECA. Ce serait précisément ce qu'omet de faire la
Commission dans la Décision, lorsqu'elle refuse d'examiner la portée de l'article 65,
paragraphe 1, du traité CECA en tant que tel, et se borne à invoquer des principes
dégagés en application de l'article 85 du traité CE. La requérante, pour sa part,
relève que les termes mêmes des deux dispositions diffèrent; que l'article 65 du
traité CECA s'insère dans un ensemble de règles destinées à réglementer un
marché très spécifique, à savoir celui du charbon et de l'acier; et que la nature et
l'étendue des pouvoirs dévolus aux autorités communautaires diffèrent également
dans les deux traités, la Commission se voyant plus particulièrement reconnaître,
dans le traité CECA, un ensemble de pouvoirs lui permettant d'agir en période de
crise. La requérante conclut que, si la Commission peut, dans une affaire relevant
du traité CECA, avoir égard aux principes dégagés par les autorités
communautaires en application de l'article 85 du traité CE, elle ne peut se limiter
à ceux-ci. Cette affirmation serait confirmée par la jurisprudence de la Cour, qui
ne se serait jamais prononcée en faveur d'une application identique des deux
traités.
- 229.
- La requérante se réfère, par ailleurs, aux règles de concurrence du traité CE en
matière d'agriculture et de transport, dont l'applicabilité peut être limitée dans la
mesure nécessaire à la réalisation des objectifs généraux poursuivis par la
Communauté dans ces secteurs. Il existerait ainsi, dans les secteurs où les
Communautés ont une compétence économique, un principe général selon lequel
la portée des règles de concurrence peut et doit être adaptée à la réalisation des
objectifs généraux. La mise en oeuvre de ce principe différerait selon les traités.
Dans le cadre du traité CE, des procédures spécifiques auraient été mises en place,
permettant à la Commission de se prononcer sur l'inapplicabilité des règles de
concurrence. De telles procédures ne seraient normalement pas prévues dans le
cadre de l'article 65 du traité CECA. Il s'ensuivrait que la nécessaire flexibilité qu'il
convient de donner à cet article doit résulter de l'application d'une règle de raison
qui permette de tenir compte, dans la mise en oeuvre des principes que cette
disposition énonce, des réalités économiques et des contraintes que celles-ci
imposent. Dans un tel contexte, la pratique administrative de la Commission serait
d'une extrême importance. Elle servirait de guide aux entreprises et leur
permettrait d'apprécier la portée à donner à l'article 65 du traité.
- 230.
- Or, la requérante fait valoir que la déclaration de crise manifeste impliquait par
elle-même la reconnaissance de l'absence de concurrence normale, et que le régime
des quotas réduisait sévèrement la portée reconnue à l'article 65 du traité. Certes,
ce régime n'a pas été prorogé en juillet 1988, mais cette non-prorogation n'aurait
pas été liée à une modification du contexte économique ou de l'appréciation de la
portée de l'article 65 du traité par la Commission. Elle trouverait son origine dans
la volonté de la Commission de sanctionner les entreprises pour ne pas s'être
entendues sur une réduction concertée de leurs capacités de production.
- 231.
- La requérante soutient, dès lors, que les pratiques auxquelles elle a participé
n'étaient pas contraires à l'article 65 du traité, tel que celui-ci devait être interprété,
et a effectivement été interprété, par la Commission, durant la période concernée.
- 232.
- Selon elle, les caractéristiques du marché et l'existence d'une crise profonde, de
graves problèmes structurels et la nécessité de préserver tout début de
redressement du marché, ont amené la Commission et les entreprises à reconnaître
à l'article 65 du traité une portée qui tienne compte des contraintes économiques
et de leur impact sur la concurrence normale. Cette approche aurait permis la mise
en oeuvre d'un strict régime de quotas jusqu'au milieu de l'année 1988 et, ensuite,
d'un régime de transparence destiné à faciliter un comportement rationnel des
entreprises tenant compte des conditions de marché.
- 233.
- Durant toute la période concernée par la Décision, l'attitude des entreprises aurait
été calquée sur celle de la Commission, aurait été encouragée par celle-ci, et se
serait inscrite dans la poursuite des objectifs du traité CECA, en ce compris le
maintien de la concurrence normale visée à l'article 65 (voir, pour un exposé plus
détaillé des arguments de la requérante sur ces questions, la partie C ci-après).
- 234.
- En condamnant ces pratiques, et en imposant à la requérante une amende de
4 000 000 écus, la Commission aurait donc violé l'article 65 du traité.
- 235.
- Cette présentation a été complétée, à l'audience, par une plaidoirie commune ainsi
que par un exposé du Pr Steindorff.
- 236.
- Dans le cadre de leur plaidoirie commune, les requérantes ont notamment souligné
que le principe d'économie de marché inhérent au traité CE doit être opposé au
principe d'économie gérée du traité CECA. Elles ont cité, à ce propos, l'ouvrage
du Pr Paul Reuter, La Communauté européenne du charbon et de l'acier (Paris,
LGDJ, 1953), selon lequel «la concurrence établie par le traité n'est pas et ne peut
pas être la libre concurrence, mais seulement une concurrence loyale et réglée»
(p. 143), selon des règles «qui rapprochent [les] conditions de fonctionnement [des
entreprises] de celles des services publics» (p. 205). La concurrence «normale» du
traité CECA n'aurait qu'un caractère subordonné, comme le démontreraient les
dispositions relatives à la publication des barèmes en fonction de points de parité
déterminés (article 60, paragraphe 2), à l'obligation de transparence (articles 46 à
48) et à la possibilité de suspendre la concurrence (articles 61, 53 et 58). Dans le
cadre de ce traité, la concurrence ne constituerait qu'un instrument parmi d'autres
(voir arrêt de la Cour du 13 avril 1994, Banks, C-128/92, Rec. p. I-1209). Dans la
mesure où la Commission a pour tâche de concilier les objectifs du traité et, ainsi,
de déterminer l'application et le contenu des règles de concurrence (voir le
Vingtième Rapport sur la politique de concurrence, point 120), elle serait censée agir
en étroite coopération avec les entreprises.
- 237.
- Dans son exposé, le Pr Steindorff a conclu à la nécessité d'une appréciation
restrictive de l'article 65, à la lumière de l'ensemble du traité CECA, qui se
caractériserait par certains objectifs politiques liés aux spécificités du secteur. Les
discussions entre entreprises relevant du système prévu par les articles 46 à 48 du
traité n'auraient jamais été considérées comme une infraction à l'article 65 (voir le
rapport de la délégation française sur le traité CECA et la convention relative aux
dispositions transitoires, 1951, et l'ouvrage du Pr Paul Reuter, précité). Elles
feraient en effet partie du jeu normal de la concurrence à la condition que la
Commission les dirige ou, en cas d'initiative propre aux entreprises, que celles-ci
agissent de bonne foi et en vue de préparer leurs discussions avec la Commission.
L'article 60 du traité aurait été conçu de manière à limiter les sous-cotations et à
protéger les relations existantes entre les fabricants et les clients. Replacé dans le
cadre du traité CE, un tel système serait incompatible avec son article 85. Compte
tenu des difficultés liées à la mise en oeuvre de l'article 60 du traité, reconnues par
la Commission, un échange sur des prix qui, de toute façon, sont censés être
publiés ne serait pas contraire à l'article 65, paragraphe 1, du traité.
Appréciation du Tribunal
- 238.
- L'argumentation de la requérante se fonde sur trois éléments principaux: le
contexte législatif de l'article 65, paragraphe 1, l'article 60 du traité et les articles
46 à 48 du traité.
Contexte dans lequel s'inscrit l'article 65, paragraphe 1, du traité
- 239.
- Il convient de rappeler tout d'abord que, en l'espèce, les entreprises ont conclu
divers accords relatifs aux prix à appliquer au cours d'un trimestre donné ou, à tout
le moins, qui devaient être considérés comme l'objectif qu'elles s'efforçaient
d'atteindre d'un commun accord (voir point 225, second alinéa, de la Décision).
Quant à la pratique concertée relative aux prix sur le marché du Royaume-Uni, elle
a permis d'assurer que le niveau des prix des producteurs continentaux ne
compromettrait pas les hausses annoncées par British Steel. Il ne s'agit donc pas
de simples «échanges de vues entre producteurs» quant à leurs «estimations des
prix de marché», comme le prétend la requérante.
- 240.
- Au regard de la finalité de l'article 65, paragraphe 1, du traité, qui est de
sauvegarder l'exigence d'autonomie des entreprises sur le marché afin de faire
respecter la prohibition, imposée par l'article 4, sous d), des «pratiques restrictives
tendant à la répartition ou à l'exploitation des marchés», une telle coordination des
comportements, réalisée par la voie d'un accord ou d'une pratique concertée en
vue d'atteindre des objectifs de prix déterminés, doit être considérée comme
tendant «à fixer [...] les prix» au sens dudit article 65, paragraphe 1, et donc
comme contraire à cette disposition.
- 241.
- L'argument de la requérante selon lequel l'article 65, paragraphe 1, du traité aurait
un contenu «souple» ou «flexible» et devrait être interprété en fonction,
notamment, de la situation économique ou de l'effet de l'action de la Commission
sur la concurrence à un moment donné, ne sauraient justifier une lecture de cette
disposition contraire à sa finalité objective, telle qu'elle se dégage de son libellé et
de son contexte normatif. Par ailleurs, la déclaration du gouvernement français du
9 mai 1950, qui a précédé la rédaction du traité, indique: «A l'opposé d'un cartelinternational tendant à la répartition et à l'exploitation des marchés nationaux par
des pratiques restrictives et le maintien de profits élevés, l'organisation projetée
assurera la fusion des marchés et l'expansion de la production.»
- 242.
- S'il est vrai que le caractère oligopolistique des marchés visés par le traité peut,
dans une certaine mesure, atténuer les effets de la concurrence (voir arrêt Geitling
II, p. 211 et 212), cette considération ne justifie pas une interprétation de l'article
65 autorisant des comportements d'entreprises qui, comme en l'espèce, réduisent
encore davantage la concurrence, par le biais notamment des activités de fixation
de prix. Au vu des conséquences que peut avoir la structure oligopolistique du
marché, il est d'autant plus nécessaire de protéger la concurrence résiduelle (voir,
en ce qui concerne l'application de l'article 65, paragraphe 2, du traité, l'arrêt
Geitling II, p. 212). Le même raisonnement s'applique aux autres facteurs invoqués
par la requérante, tels que le caractère homogène des produits ou le fait que la
demande soit relativement inélastique.
- 243.
- Quant aux orientations planificatrices du traité, le Tribunal a déjà rappelé que son
article 4, sous d), qui est notamment mis en oeuvre par l'article 65, paragraphe 1,
comporte une prohibition rigide qui caractérise le système instauré par le traité
(avis 1/61, précité, p. 519; arrêt Banks, précité, points 11, 12 et 16). L'objectif de
libre concurrence présente donc, au sein du traité, un caractère autonome, et il a
donc la même force impérative que les autres objectifs fondamentaux du traité fixés
aux articles 2 à 4 (voir arrêts de la Cour France/Haute Autorité, précité, p. 23, et
du 21 juin 1958, Groupement des hauts fourneaux et aciéries belges/Haute
Autorité, 8/57, Rec. p. 223, 242).
- 244.
- Pareillement, la nécessité de concilier en permanence les objectifs de l'article 3 du
traité (arrêt de la Cour du 18 mars 1980, Valsabbia e.a./Commission, 154/78,
205/78, 206/78, 226/78, 227/78, 228/78, 263/78 et 264/78, 31/79, 39/79, 83/79 et 85/79,
Rec. p. 907, points 53 à 55), de même que la thèse selon laquelle l'article 65,
paragraphe 1, doit être appliqué uniquement dans une mesure compatible avec les
objectifs de politique industrielle consacrés par le traité, n'affectent pas la portée
de l'article 4, sous d), ni celle de l'article 65, paragraphe 1, disposition qui prohibe
de façon générale les ententes tendant à fausser le jeu normal de la concurrence
(voir arrêt de la Cour du 15 juillet 1960, Präsident e.a./Haute Autorité, 36/59, 37/59,
38/59 et 40/59, Rec. p. 857, 891).
- 245.
- L'argumentation de la requérante tirée d'un prétendu «alignement» du traité
CECA sur le traité CE est donc dépourvue de pertinence, étant donné que les
accords et pratiques concertées de fixation de prix dont il est question en l'espèce
sont, en eux-mêmes, clairement interdits par l'article 65, paragraphe 1,
indépendamment d'un quelconque «alignement» des deux traités.
- 246.
- Il en va de même de l'argumentation de la requérante, tirée d'une comparaison
avec les règles de concurrence du traité CE en matière d'agriculture et de
transport.
- 247.
- La question de savoir si, durant la période visée par la Décision, les entreprises
concernées ont calqué leur attitude sur celle de la Commission, ou ont été
encouragées par celle-ci à se livrer aux pratiques en cause, fera l'objet d'un examen
détaillé dans la partie C ci-après.
Article 60 du traité
- 248.
- S'agissant des arguments de la requérante fondés sur l'article 60 du traité, il
convient de rappeler que cette disposition, qui met en oeuvre les dispositions de
l'article 4, sous b), du traité, interdit en son paragraphe 1:
« les pratiques déloyales de concurrence, en particulier les baisses de prix
purement temporaires ou purement locales tendant, à l'intérieur du marché
commun, à l'acquisition d'une position de monopole;
les pratiques discriminatoires comportant, dans le marché commun,
l'application par un vendeur de conditions inégales à des transactions
comparables, notamment suivant la nationalité des acheteurs».
- 249.
- L'article 60, paragraphe 2, sous a), du traité rend obligatoire, aux fins énoncées ci-dessus, la publication des barèmes des prix et des conditions de vente appliqués sur
le marché commun. Selon l'article 60, paragraphe 2, sous b), les modes de cotation
appliqués ne doivent pas avoir pour effet d'introduire dans les prix pratiqués par
une entreprise sur le marché commun, ramenés à leur équivalent au départ du
point de parité choisi pour l'établissement de son barème, des majorations par
rapport au prix prévu par ledit barème pour une transaction comparable, ni des
rabais sur ce prix dont le montant excède notamment la mesure permettant
d'aligner l'offre faite sur le barème, établi sur la base d'un autre point de parité,
qui procure à l'acheteur les conditions les plus avantageuses au lieu de livraison.
- 250.
- Selon une jurisprudence constante, la publicité obligatoire des prix prévue par
l'article 60, paragraphe 2, du traité a pour but, premièrement, d'empêcher autant
que possible les pratiques interdites, deuxièmement, de permettre aux acheteurs de
se renseigner exactement sur les prix et de participer également au contrôle des
discriminations et, troisièmement, de permettre aux entreprises de connaître
exactement les prix de leurs concurrents, pour leur donner la possibilité de s'aligner
(voir les arrêts de la Cour France/Haute Autorité, précité, p. 24, et du 12 juillet
1979, Rumi/Commission, 149/78, Rec. p. 2523, point 10).
- 251.
- Il y a lieu d'admettre que le régime visé par l'article 60 du traité, et en particulier
l'interdiction de s'écarter du barème, même temporairement, constitue une
restriction importante de la concurrence.
- 252.
- Le Tribunal estime toutefois que, dans le cas d'espèce, l'article 60 du traité est
dépourvu de pertinence pour l'appréciation, au regard de l'article 65, paragraphe
1, des comportements reprochés à la requérante.
- 253.
- En premier lieu, dans la mesure où les arguments de la requérante se fondent sur
l'idée qu'il s'agit en l'espèce de simples «échanges de vues entre producteurs»
quant à leurs «estimations des prix de marché», ils sont inopérants dès lors que,
comme le Tribunal vient de le constater, la requérante a participé à des accords
et pratiques concertées visant à fixer les prix.
- 254.
- En deuxième lieu, il est de jurisprudence constante que les prix qui figurent dans
les barèmes doivent être fixés par chaque entreprise de façon indépendante, sans
accord, même tacite, entre elles (voir arrêts France/Haute Autorité, précité, p. 31,
et Pays-Bas/Haute Autorité, précité, p. 1077). En particulier, le fait que les
dispositions de l'article 60 ont tendance à restreindre la concurrence n'empêche pas
l'application de l'interdiction des ententes prévue par l'article 65, paragraphe 1, du
traité (arrêt Pays-Bas/Haute Autorité, précité).
- 255.
- En troisième lieu, l'article 60 du traité ne prévoit aucun contact entre les
entreprises, préalable à la publication des barèmes, aux fins d'une information
mutuelle sur leurs prix futurs. Or, dans la mesure où de tels contacts empêchent
que ces mêmes barèmes soient fixés de façon indépendante, ils sont susceptibles
de fausser le jeu normal de la concurrence, au sens de l'article 65, paragraphe 1,
du traité.
- 256.
- Au surplus, à supposer même qu'à l'époque le système de l'article 60 du traité n'ait
pas fonctionné comme le prévoit le traité (voir, notamment, le document de travail
de la Commission joint en appendice 5, document 2, à la requête dans l'affaire T-151/94), il ressort de l'économie de ses articles 4, 60 et 65 que le traité protège à
la fois l'intérêt à l'application de prix non discriminatoires et publics, d'une part, et
celui d'une concurrence non faussée par des arrangements collusoires, d'autre part.
Le Tribunal ne saurait donc accepter que le non-respect par les entreprises
concernées des règles protégeant le premier intérêt entraîne l'inapplicabilité de
celles protégeant le second. Il incombait du reste aux entreprises de respecter elles-mêmes les dispositions de l'article 60 du traité, plutôt que d'établir entre elles une
coordination privée en matière de prix, en prétendue substitution de cette
disposition dont la mise en oeuvre relève de la responsabilité de la Commission.
- 257.
- En tout état de cause, des accords entre producteurs ne sauraient être assimilés au
système de l'article 60 du traité, ne serait-ce que parce qu'ils ne permettent pas aux
acheteurs de se renseigner exactement sur les prix ni de participer au contrôle des
discriminations (voir arrêts France/Haute Autorité, précité, p. 24, et
Rumi/Commission, précité, point 10).
Articles 46 à 48 du traité
- 258.
- Quant aux arguments développés sur la base des articles 5 et 46 à 48 du traité, il
convient de rappeler que, aux termes de l'article 5, deuxième alinéa, premier tiret,
du traité, la Communauté éclaire et facilite l'action des intéressés en recueillant des
informations, en organisant des consultations et en définissant des objectifs
généraux. Selon l'article 5, deuxième alinéa, troisième tiret, la Communauté assure
l'établissement, le maintien et le respect de conditions normales de concurrence et
n'exerce une action directe sur la production et le marché que lorsque les
circonstances l'exigent. L'article 46 du traité dispose, notamment, que la
Commission doit, en recourant aux consultations avec les entreprises, effectuer une
étude permanente de l'évolution des marchés et des tendances des prix et établir
périodiquement des programmes prévisionnels de caractère indicatif portant sur la
production, la consommation, l'exportation et l'importation. L'article 47 du traité
dispose que la Commission peut recueillir les informations nécessaires à
l'accomplissement de sa mission, dans le respect du secret professionnel. L'article
48 du traité dispose, notamment, que les associations d'entreprises peuvent exercer
toute activité qui n'est pas contraire aux dispositions du traité, qu'elles sont en droit
de soumettre à la Commission les observations de leurs membres dans les cas où
le traité prévoit la consultation du Comité consultatif institué par l'article 18 du
traité et qu'elles sont tenues de fournir à la Commission les informations que celle-ci estime nécessaires sur leur activité.
- 259.
- Aucune des dispositions précitées ne permet aux entreprises d'enfreindre la
prohibition de l'article 65, paragraphe 1, du traité en concluant des accords ou en
se livrant à des pratiques concertées de fixation de prix du type de celles dont il est
question en l'espèce.
- 260.
- Pour le surplus, les arguments relatifs à la prétendue nécessité, pour les entreprises,
d'échanger des informations entre elles, dans le cadre de leur coopération avec la
DG III après le 1er juillet 1988, seront traités d'une façon détaillée dans la partie
C ci-après.
- 261.
- Sous cette réserve, il découle de ce qui précède que la Commission n'a pas
méconnu la portée de l'article 65, paragraphe 1, du traité, ni appliqué à tort les
dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE aux faits de la présente
espèce. De même, les explications que la Commission a données aux points 239 à
241 de la Décision constituent une motivation suffisante de cet aspect de la
Décision.
- 262.
- Il en résulte que, sous cette même réserve, l'ensemble des arguments développés
à l'encontre de la qualification des comportements reprochés à la requérante
comme accords ou pratiques concertées de fixation de prix cibles, aux points 224
à 231 de la Décision, doivent être rejetés.
Sur les accords portant sur l'harmonisation des suppléments (extras)
- 263.
- A l'article 1er de la Décision, la Commission reproche à la requérante d'avoir
participé à un comportement qualifié d'«harmonisation des suppléments». D'après
les points 122 à 129 (pour la partie en fait) et 244 à 246 (pour l'appréciation
juridique) de la Décision, les entreprises en cause ont passé, lors des réunions de
la commission poutrelles des 15 novembre 1988, 19 avril 1989 et 6 juin 1989, trois
accords successifs d'harmonisation des suppléments.
- 264.
- Sans nier qu'il s'agisse bien d'accords portant sur l'harmonisation des prix des
suppléments, la requérante fait valoir que, en participant, jusqu'à la fin de 1989,
aux travaux relatifs à l'harmonisation des suppléments, elle n'a jamais eu pour
objectif de restreindre la concurrence, mais bien au contraire de préserver l'effet
utile de l'article 60 du traité. Selon elle, la multiplication des extras par les
producteurs risque de rendre toute comparaison de prix par le consommateur
excessivement complexe, voire pratiquement impossible, tandis que l'harmonisation
des écarts permet une comparaison aisée des offres des différents producteurs.
- 265.
- La requérante ajoute que, dans le cadre d'une inspection faite au titre de l'article
65 du traité auprès du groupement belge de la sidérurgie, au début de l'année
1976, les fonctionnaires de la DG IV ont accepté des explications semblables à
celles actuellement fournies, et n'ont manifesté aucun intérêt pour les documents
relatifs à un certain nombre de réunions, que le groupement offrait de leur fournir
(voir annexe 5 à la requête). Les entreprises auraient été en droit de déduire de
cette entrevue que les fonctionnaires de la Commission n'étaient pas préoccupés
par la problématique d'harmonisation des extras, et ne souhaitaient pas en
connaître l'étendue exacte. Cet élément, ajouté au caractère public de l'exercice,
les aurait amenées à conclure, en l'absence de réaction négative de la Commission,
que celui-ci était parfaitement légal. La requérante aurait donc, en toute bonne foi,
pu considérer que sa participation aux harmonisations des écarts, en 1989, était
compatible avec l'article 65 du traité, et même souhaitable au titre de l'article 60
du traité. La mise en oeuvre de cette pratique se serait d'ailleurs faite au travers
de la publication des barèmes communiqués à la Commission. La Commission
arguerait, par ailleurs, en vain, compte tenu de la parfaite similarité des barèmes
des extras qui lui étaient communiqués, qu'ils ne lui permettaient pas d'apprécier
qu'ils résultaient d'une concertation.
- 266.
- Le Tribunal relève que la requérante ne conteste aucune des constatations de fait
et déductions de fait opérées aux points 122 à 129 et 244 à 246 de la Décision,
concernant la conclusion des accords qui y sont dénoncés et l'identification de leur
objet, qui était non seulement d'harmoniser mais aussi de relever les prix des
suppléments. Elle se borne à affirmer que la Commission avait connaissance de ces
comportements, dont le but aurait été de préserver l'effet utile de l'article 60 du
traité, et qu'elle-même était donc en droit de conclure que les accords en question
n'étaient pas contraires à l'article 65, paragraphe 1, du traité.
- 267.
- Le Tribunal rappelle que les suppléments sont un élément constitutif du prix des
poutrelles. Les documents cités aux points 122 à 129 de la Décision reflètent
d'ailleurs le souci constant des participants d'éviter que le relèvement du prix des
suppléments ne provoque une chute des prix de base, ce qui établit la
complémentarité des accords portant fixation des prix des uns et des autres.
- 268.
- Il s'ensuit que leur fixation de commun accord est interdite par l'article 65,
paragraphe 1, du traité.
- 269.
- Par ailleurs, à supposer même que l'harmonisation de la structure des suppléments
(dimensions, qualités, etc.) puisse avoir une certaine utilité dans le contexte de la
publication des barèmes conformément à l'article 60 du traité, force est de
constater qu'il s'agit en l'espèce d'accords portant non seulement sur la structure,
mais sur les prix des suppléments et, notamment, sur l'augmentation de ces prix à
trois reprises entre le 15 novembre 1988 et le 6 juin 1989. Étant donné que l'article
60 du traité n'autorise nullement des accords en matière de prix, les arguments de
la requérante fondés sur cette disposition sont inopérants.
- 270.
- Force est de constater, en outre, qu'aucun élément du dossier soumis au Tribunal
ne permet d'établir que la Commission a toléré des accords de fixation de prix sous
forme d'une harmonisation des montants des suppléments, ou en a simplement eu
connaissance. Après avoir examiné, en particulier, les speaking notes invoquées par
les requérantes à l'audience, le Tribunal constate qu'elles ne contiennent que des
informations générales sur les tendances probables des prix des suppléments ou sur
l'acceptation des nouveaux suppléments par le marché. Elles ne permettaient donc
pas à la Commission de conclure à l'existence d'accords ou de pratiques concertées
en la matière (voir aussi partie C ci-après).
- 271.
- De même, le fait que la Commission ait pu constater des similarités dans les
barèmes des entreprises ne suffit pas, à lui seul, à établir qu'elle avait connaissance
des accords concernés, et encore moins qu'elle les a approuvés.
- 272.
- Dans la mesure où la requérante se réfère à l'enquête menée par la Commission
auprès du groupement belge de la sidérurgie, évoquée dans une note du 24 février
1976 (annexe 5 à la requête), ce document n'est pas de nature à confirmer ses
allégations. Il en ressort, en effet, que le représentant du groupement avait
présenté les réunions faisant l'objet de l'enquête comme «indispensables pour
amener une certaine transparence du marché et une homogénéité dans les
qualités». Aucun de ces objectifs ne supposait une harmonisation des montants des
suppléments, et encore moins une augmentation de ces montants. Au surplus, le
même document fait état, dans le domaine des contacts internationaux entre
entreprises, d'une déclaration de la même personne selon laquelle ces contacts ne
donnaient pas lieu à des «accords de prix».
- 273.
- En conséquence, et sous réserve de l'argumentation examinée dans la partie C ci-après, les griefs de la requérante relatifs à la constatation par la Commission, aux
points 122 à 129 et 244 à 246 de la Décision, d'accords portant sur l'harmonisation
des suppléments en violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité doivent être
rejetés dans leur ensemble.
Sur la répartition des marchés opérée dans le cadre de la «méthodologie Traverso»
- 274.
- A l'article 1er de la Décision, la Commission reproche à la requérante d'avoir
participé à une répartition des marchés qu'elle appelle «système Traverso». La
période retenue aux fins de l'amende infligée en raison de cette participation est
de trois mois. Les motifs qui sous-tendent ce reproche figurent aux points 72 à 79
(pour la partie en fait) et 254 à 259 (pour l'appréciation juridique) de la Décision.
- 275.
- Aux points 254 à 259 de la Décision, la Commission expose notamment que le
système litigieux «a été mis en place le 19 juillet 1988 ou peu avant cette date» et
qu'il a «fonctionné pour le quatrième trimestre de 1988». A l'aide de ce système,
les entreprises participantes, à savoir Peine-Salzgitter, Thyssen, Klöckner, Saarstahl,
Unimétal, Ferdofin, TradeARBED, British Steel et la requérante, se seraient
«efforcées d'ajuster l'offre et la demande» (point 254).
- 276.
- Selon la Commission, les entreprises notifiaient leurs plans en matière de livraisons
à M. Traverso, alors président du CDE (voir point 31 de la Décision). Celui-ci était
en mesure de proposer à n'importe laquelle de ces entreprises des modifications
lorsqu'il le jugeait utile (point 256). Distribués ensuite aux entreprises participantes,
ces chiffres prenaient la forme de «plans de livraison» pour chaque société et
chacun des marchés concernés (points 256 et 257). La Commission affirme par
ailleurs que le président du CDE et Eurofer prenaient contact avec les entreprises
qui ne se conformaient pas à ces chiffres et leur enjoignaient de respecter la
structure traditionnelle des échanges. Les entreprises participantes se seraient ainsi
livrées à une pratique concertée interdite par l'article 65, paragraphe 1, du traité
«[e]n se révélant mutuellement leurs plans en matière de livraison et en mettant
en pratique les recommandations du président du CDE» (point 258 de la
Décision).
- 277.
- Selon la requérante, le système Traverso n'avait ni pour objet ni pour effet de
restreindre la concurrence. Il n'impliquait pas la communication d'informations aux
concurrents, les recommandations restant confidentielles, et il ne comportait aucune
obligation pour l'entreprise destinataire. Il aurait été envisagé au début de la
période de transition qui a succédé à la fin du régime des quotas, dans le contexte
du régime de surveillance mis en place par la Commission dans sa décision
n° 2448/88.
- 278.
- La requérante admet que, à l'occasion d'une tentative de mise en place d'un tel
système pour le quatrième trimestre de 1988, les intentions de livraison pour ce
trimestre, communiquées au secrétaire du CDE, furent, par erreur, transmises aux
entreprises participantes. Cet incident n'aurait cependant eu aucune répercussion
sur les livraisons effectuées par elles compte tenu de l'absence de caractère
obligatoire du système, ce que démontreraient les importants écarts entre les
chiffres des intentions de vente et ceux des livraisons effectuées (voir tableau repris
au point 100 de la communication des griefs).
- 279.
- Les conclusions tirées par la Commission, au point 257 de la Décision, de la
correspondance échangée entre British Steel et Unimétal à la fin de l'année 1988
(voir point 77 de la Décision), seraient la généralisation abusive d'une conclusion
qui ne vaut que pour les deux sociétés concernées, ainsi que la Commission l'aurait
admis au point 105 de la communication des griefs. A ce propos, la requérante
souligne que les termes «sociétés en cause», employés audit point 105, visent
clairement les deux sociétés mentionnées dans la correspondance sur laquelle
s'appuie la Commission, à savoir British Steel et Unimétal, et non l'ensemble des
«entreprises concernées», comme le soutient la Commission dans son mémoire en
défense. Par ailleurs, même si l'on admet que la Commission visait, au point 105
de la communication des griefs, l'ensemble des entreprises, la requérante souligne
que la Commission ne dispose en l'espèce d'aucun élément de preuve pour étendre
le comportement de British Steel et d'Unimétal à l'ensemble des entreprises
concernées par la Décision. Elle ajoute que l'importance des écarts entre les
livraisons et les estimations démontre que la crainte de mesures de rétorsion,
mentionnée au point 77 de la Décision, était inopérante. La Commission aurait
également reconnu que le système ne fonctionnait pas très efficacement (voir point
76 de la Décision) et qu'il a été abandonné au début de 1989 (voir point 78 de la
Décision). A cet égard, la requérante fait valoir que, si la méthodologie Traverso
avait été perçue par l'ensemble ou une majorité des producteurs comme
importante, ceux-ci auraient tout mis en oeuvre pour en assurer l'efficacité.
Appréciation du Tribunal
- 280.
- Les conclusions de la Commission, selon lesquelles la requérante a participé à une
pratique concertée dénommée «système Traverso» pendant le quatrième trimestre
de 1988, s'appuient sur les preuves suivantes:
un extrait du procès-verbal de la réunion de la commission poutrelles du 19
juillet 1988 (voir point 72 de la Décision, document n° 2207);
une télécopie d'Eurofer aux sociétés ARBED/TradeARBED, British Steel,
Cockerill-Sambre, Usinor Sacilor, Ferdofin, Klöckner, Saarstahl, Thyssen et
Peine-Salzgitter, reçue par cette dernière le 4 août 1988, qui évoque un
«tableau donnant les intentions de livraisons finales réunies à la fin de ladernière réunion du CDE des 27 et 28 juillet 1988 à Paris» (point 74 de la
Décision, document n° 3380);
une note interne (non datée) de Peine-Salzgitter qui compare les intentions
de vente de Peine-Salzgitter, Thyssen, Klöckner, Saarstahl, Unimétal,
Ferdofin, Cockerill-Sambre, TradeARBED et British Steel pour le
quatrième trimestre de 1988 par rapport aux livraisons effectuées (point 75
de la Décision);
un télex d'Unimétal à British Steel du 28 novembre 1988 et la réponse de
British Steel du 6 décembre 1988 (point 77 de la Décision, documents
n°s 1989 et 1986).
- 281.
- Le Tribunal estime que les pièces susvisées prouvent, à suffisance de droit, que les
entreprises concernées se sont livrées à une pratique concertée pendant le
quatrième trimestre de 1988, en se révélant mutuellement leurs plans de livraison
avec l'intention de mettre en pratique les recommandations du président du CDE,
de façon à ajuster l'offre à la demande. En effet, la communication des «intentions
de ventes» à Eurofer est expressément prévue dans le schéma consigné dans le
procès-verbal de la réunion du 19 juillet 1988, de même que l'examen de ces
chiffres au regard des estimations de marché et des modifications consécutives, à
proposer par M. Traverso, au cas où les intentions communiquées «[s'écarteraient]
de façon significative des données historiques» (point 72, document n° 2207).
Conformément à cette idée, des «intentions de livraisons finales» ont été «réunies»
lors de la réunion du CDE des 27 et 28 juillet suivants à Paris (télécopie du 4 août
1988, point 74 de la Décision, document n° 3380). Par ailleurs, dans le tableau visé
dans cette télécopie (voir point 75 de la Décision, documents n°s 3383 et 3384), la
somme des «intentions de livraison» pour chaque marché correspond au chiffre
indiqué à titre de «nouvelle estimation de marché». Dans la télécopie elle-même,
il est expliqué: «En plus des chiffres examinés à Paris, quelques ajustements de
moindre importance ont été effectués pour les marchés anglais et danois.»
- 282.
- Le Tribunal relève d'ailleurs que, lors de la réunion du 19 juillet 1988, il a été fait
référence à «l'équilibre qui s'impose» (voir point 72 de la Décision). Dans le même
sens, la télécopie du 4 août 1988 fait part de l'attente du président du CDE de voir
les sociétés concernées ne pas dépasser le niveau des «intentions» alors
communiquées et auxquelles, comme il y est dit, «est liée la stabilité des prix». Ces
indications démontrent que les entreprises concernées ont accepté lesdites
intentions et que l'objectif du système était bien de faire coïncider les «intentions
de livraison» avec les «estimations de marché» (voir le point 72 ainsi que le
tableau cité au point 75 de la Décision).
- 283.
- Or, cet objectif n'aurait guère pu être atteint si les entreprises, ne connaissant pas
les chiffres définitifs retenus dans le cas de leurs concurrents, n'avaient pas pu en
contrôler le respect. Un tel contrôle a d'ailleurs été effectué, après la diffusion du
tableau litigieux, tant par Peine-Salzgitter (voir sa note interne citée au point 75 de
la Décision) que par British Steel et Unimétal (voir les télex cités au point 77 de
la Décision). Au surplus, rien n'indique que ces entreprises ont considéré comme
anormale cette diffusion de données individuelles entre concurrents. Il s'ensuit que,
contrairement à l'affirmation de la requérante, le système Traverso impliquait bien
la communication d'informations entre concurrents.
- 284.
- Il s'ensuit également que la «méthodologie Traverso» ne constituait pas un simple
échange d'information, sans obligation à charge des participants. La télécopie du
4 août 1988 est rédigée en termes contraignants, à tout le moins moralement
(«Notre président attend de toutes les sociétés qu'elles ne dépassent pas le niveau
de ces intentions de vente, auxquelles est liée la stabilité des prix»). De même, le
procédé en cause ne peut pas s'expliquer par la coopération avec la Commission
dans le cadre du «monitoring» mis en place par la décision n° 2448/88, laquelle
prévoyait des déclarations à adresser à la Commission elle-même (et non à des
instances ou interlocuteurs privés), concernant les livraisons effectives pendant une
période antérieure à chaque déclaration (et non les «intentions» des entreprises
intéressées).
- 285.
- Enfin, le fait que la requérante n'ait pas été partie à l'échange de correspondance
entre Unimétal et British Steel (point 77 de la Décision) n'empêche pas que cet
échange puisse être pris en compte en tant qu'indice sérieux tendant à établir
l'objet du système Traverso. Cette correspondance témoigne en effet de l'idée que
les chiffres distribués étaient censés être respectés par les participants au système.
Il convient par ailleurs de rejeter l'argument de la requérante selon lequel
l'expression «les sociétés en cause», figurant au point 105 de la communication des
griefs, ne viserait que British Steel et Unimétal. Il ressort en effet clairement de la
seconde phrase dudit point, qui fait notamment référence aux «autres
participants», que la Commission y vise l'ensemble des entreprises ayant adhéré au
système Traverso.
- 286.
- En ce qui concerne la requérante, il convient de rappeler qu'elle a participé à la
réunion de la commission poutrelles du 19 juillet 1988 [point 38, sous i), de la
Décision], qu'elle était destinataire de la télécopie du 4 août 1988 et que ses
propres intentions de livraisons figuraient au tableau qui y était joint. Sa
participation à la pratique concertée en cause est donc prouvée à suffisance de
droit.
- 287.
- Par ailleurs, le fait que le système Traverso ne fonctionnait pas très efficacement
(voir point 76 de la Décision), comme le démontrerait l'écart entre les chiffres des
intentions de vente et ceux des livraisons effectuées, n'empêchait pas la
Commission de constater l'infraction dans son principe.
- 288.
- Sous réserve des considérations examinées dans la partie C ci-après, il y a donc lieu
de rejeter l'ensemble des arguments de la requérante en rapport avec le système
Traverso.
Sur l'accord portant répartition du marché français au quatrième trimestre de 1989
- 289.
- L'article 1er de la Décision retient, à charge de la requérante, une répartition du
marché français et indique, à titre de référence pour l'amende, une période de trois
mois.
- 290.
- Au soutien de ce reproche, la Commission fait état, aux points 63 à 71 (partie en
fait) et 260 à 262 (partie en droit) de la Décision, d'un accord de répartition des
livraisons sur le marché français, relatif au quatrième trimestre de 1989. Cet accord
aurait été conclu lors de la réunion de la commission poutrelles du 21 septembre
1989 ou aux environs de cette date, entre les sociétés Peine-Salzgitter, Thyssen,
Saarstahl, Ferdofin, Cockerill-Sambre, TradeARBED, British Steel, Ensidesa et
Unimétal. Selon la Commission, Ensidesa n'a pas participé activement à
l'élaboration du système, mais s'y est conformée.
- 291.
- La requérante nie toute participation à l'accord en cause.
- 292.
- Elle fait tout d'abord valoir qu'il n'existe aucune preuve de sa participation à la
réunion du 13 septembre 1989 dans les locaux de la Walzstahl-Vereinigung qui,
selon la Commission, aurait eu pour objet de trouver une clé de répartition du
marché français (voir points 63 et 261 de la Décision), mais dont la Commission
ne posséderait aucun compte rendu officiel (voir point 199 de la communication
des griefs). Elle admet avoir participé à une réunion à Düsseldorf le 13 septembre
1989, mais nie que cette réunion l'ait impliquée dans la mise au point de l'accord
en question. A cet égard, il ressortirait de la description des faits reprise au point
198 de la communication des griefs que ce n'est pas une mais deux réunions qui
se sont tenues ce jour-là à Düsseldorf. L'une de ces réunions serait celle d'un
groupe appelé «VA Profilstahl» qui, de l'avis même de la Commission (voir point
289 de la communication des griefs), regroupe les membres de la Walzstahl-Vereinigung, association dont la requérante n'était pas membre. Rien n'indiquerait
que cette dernière réunion n'ait pas été celle au cours de laquelle les livraisons
individuelles sur le marché français ont été discutées, d'autant que le document
auquel se réfère la Commission au point 63 de la Décision a été rédigé par la
Walzstahl-Vereinigung.
- 293.
- La requérante concède que le document en question, découvert par la Commission
dans les bureaux de Peine-Salzgitter, mentionne des tonnages pour Cockerill-Sambre. Elle fait toutefois valoir que ces tonnages auraient pu être calculés en son
absence, puisqu'ils se fondaient sur des pourcentages se rapportant à des livraisons
antérieures.
- 294.
- En tout état de cause, de l'aveu même de la Commission (voir point 200 de la
communication des griefs), la réunion du 13 septembre 1989 n'aurait pas permis
aux participants de parvenir à un accord.
- 295.
- La requérante renvoie ensuite aux points 66 et 67 de la Décision, où la Commission
affirme qu'un accord, dont le contenu serait confirmé par un télex du 26 septembre
1989, a été obtenu par la suite. La Commission reconnaîtrait, au point 67, que ce
télex a été adressé à toutes les entreprises pour lesquelles des tonnages sont
mentionnés, à l'exception de Cockerill-Sambre. Il s'ensuivrait logiquement que
celle-ci ne participait pas aux discussions, attitude qui s'inscrirait d'ailleurs dans le
cadre général de son désengagement du secteur des poutrelles à la fin de 1989.
- 296.
- En réponse au point 69 de la Décision, où la Commission souligne que seules trois
entreprises ont largement dépassé les quantités prévues pour le marché français
dans le télex du 26 septembre 1989, la requérante renvoie au point 210 de la
communication des griefs, qui reprend l'ensemble des tonnages effectivement livrés
par les entreprises. Il en ressortirait que les ventes de Cockerill-Sambre ont été
substantiellement inférieures (de plus de 10 %) à ce qui était mentionné dans ledit
télex, ce qui confirmerait son absence de participation à la pratique alléguée.
- 297.
- Le Tribunal relève que la Commission invoque, à l'appui de ses conclusions:
a) une réunion du 13 septembre 1989 entre les représentants de
Peine-Salzgitter, Thyssen, Saarstahl, British Steel, Unimétal, TradeARBED
et Cockerill-Sambre/Steelinter, convoquée à l'initiative de Peine-Salzgitter
et consacrée à la question des livraisons de poutrelles sur le marché français
au quatrième trimestre de 1989 (point 63 de la Décision, voir aussi point
197 de la communication des griefs et document n° 3022);
b) un document rédigé par la Walzstahl-Vereinigung et retrouvé dans les
bureaux de Peine-Salzgitter (point 63 de la Décision, documents n°s 3140 et
3141), ainsi qu'une note manuscrite (document n° 3138) jointe à ce
document par Peine-Salzgitter;
c) une note interne de Peine-Salzgitter datée du 19 septembre 1989 (point 64
de la Décision, document n° 3139);
d) le procès-verbal de la réunion de la commission poutrelles du 21 septembre
1989 (point 65 de la Décision, documents n°s 211 à 217);
e) une note datée du 25 septembre 1989, rédigée par la Walzstahl-Vereinigung
et consignant les conclusions de la réunion du 21 septembre 1989 (point 66
de la Décision, documents n°s 207 à 210);
f) un télex du 26 septembre 1989 envoyé par la Walzstahl-Vereinigung à
Peine-Salzgitter, Thyssen, Saarstahl, Ferdofin, TradeARBED, British Steel,
Ensidesa et Unimétal (points 67 et 261 de la Décision, document n° 3136);
g) le compte rendu sommaire des conclusions de la réunion de la commissionpoutrelles du 7 novembre 1989, qui fait état d'un «souhait que le 'système
des tonnages T4-89 marché français soit reconduit sur T1-90 et sur
l'ensemble des marchés CECA» (points 68 et 261, dernier tiret, de la
Décision, documents n° 224 à 229), ainsi que le procès-verbal de la même
réunion (point 71 de la Décision, documents n°s 230 à 235).
- 298.
- Par ailleurs, la Commission constate, sur la base des données issues du monitoring
des livraisons effectuées au quatrième trimestre de 1989, que la plupart des sociétés
participantes soit se sont conformées au plan de livraison établi, soit ont livré des
quantités inférieures à celles qui y étaient prévues. Seules trois entreprises
(Thyssen, Ferdofin et British Steel) auraient dépassé ces quantités dans des
proportions importantes (points 262 et 69 de la Décision).
- 299.
- Le Tribunal estime que les considérations développées aux points 261 et 262 de la
Décision, sur la base des éléments de preuve énumérés aux points 63 à 71,
justifient à suffisance de droit la conclusion de la Commission selon laquelle un
accord relatif à la répartition du marché français a été conclu, par référence aux
quantités figurant dans le télex du 26 septembre 1989 cité au point 67, pour le
quatrième trimestre de 1989.
- 300.
- En premier lieu, il ressort des éléments évoqués aux points 63 et 64 de la Décision
que, à la suite de la réunion du 13 septembre 1989 consacrée, notamment, aux
livraisons sur le marché français et dès avant la réunion du 21 septembre 1989, les
entreprises concernées s'efforçaient de parvenir à un tel accord.
- 301.
- En effet, la note interne de Peine-Salzgitter datée du 19 septembre 1989 (point 64,
document n° 3139) révèle que ces entreprises avaient engagé des pourparlers afin
de trouver, sur la base de deux propositions, une clé de répartition. Le document
préparé par la Walzstahl-Vereinigung (document n° 3141), auquel se réfère l'auteur
de la note, présente les livraisons antérieures des entreprises concernées et, sur
cette base, deux clés de répartitions différentes. La première figure sous l'intitulé
«Marché français poutrelles quatrième trimestre de 1989», la seconde sous la
dénomination «Alternative Gaillard». Selon la note précitée, Peine-Salzgitter était
«d'accord» pour que le pourcentage correspondant aux chiffres de livraison
antérieurs lui soit appliqué, en fonction du «document établi par la [Walzstahl-Vereinigung]», qu'elle reconnaissait comme «base de la répartition des fournisseurs
Eurofer». Estimant que «la base doit toutefois être de 33 000 tonnes», elle s'est
exprimée en faveur de la première clé de répartition, à l'exclusion de la seconde
(à savoir l'«alternative Gaillard»), proposée par un collaborateur d'Unimétal. Ce
point de vue figure également dans la note manuscrite de la même société citée au
point 63, dernier alinéa, de la Décision (document n° 3138). Il ressort de ces deux
documents que les autres sociétés concernées partageaient le refus de l'«alternative
Gaillard».
- 302.
- S'agissant, en deuxième lieu, des documents relatifs à la réunion qui s'est tenue le
21 septembre 1989, soit deux jours après la date de la note précitée de Peine-Salzgitter du 19 septembre 1989, s'il est vrai que le procès-verbal de cette réunion
ne mentionne que les livraisons à effectuer par Unimétal, il apparaît toutefois que
toutes les usines concernées, membres ou non d'Eurofer, avaient «annoncé des
intentions de livraisons réduites» (voir la note rédigée par la Walzstahl-Vereinigung, point 66 de la Décision, documents n°s 207 à 210). Le Tribunal estime
que cette dernière mention ne peut être raisonnablement interprétée que comme
révélant l'aboutissement des efforts déployés seulement quelques jours auparavant
et visant à parvenir à un accord sur les quantités à livrer sur le marché français. Eu
égard au contexte de ces discussions préalables, il peut être exclu avec une
certitude suffisante que les annonces faites par les entreprises concernées à propos
de leurs livraisons correspondaient à des décisions qu'elles auraient prises de façon
autonome.
- 303.
- Le Tribunal estime, en troisième lieu, que le télex de la Walzstahl-Vereinigung du
26 septembre 1989 (point 67 de la Décision, document n° 3136) communiquait le
détail de l'accord ainsi obtenu aux parties à celui-ci. Les entreprises pour lesquelles
une quantité de livraison y est indiquée sont celles pour lesquelles une telle
quantité avait été prévue dans les documents préparatoires établis par la Walzstahl-Vereinigung, à la seule exception de Klöckner qui (avec une quantité insignifiante)
n'apparaît que dans ces documents préparatoires (point 63 de la Décision). Un
examen attentif des chiffres fait par ailleurs apparaître que les deux pourcentages
historiques utilisés dans ces derniers documents pour sept des entreprises
concernées (Peine-Salzgitter, Thyssen, Saarstahl, Ferdofin, Cockerill-Sambre,
TradeARBED et British Steel) ont apparemment servi de base pour déterminer
la part définitive qui revenait à chacune d'elles dans la quantité totale qui leur était
attribuée. Ainsi, ces pourcentages historiques s'élevaient, dans le cas de la
requérante, à 21,4 et 20,5 %, et sa part définitive, communiquée par le télex du 26
septembre 1989, à 20,9 %.
- 304.
- Le fait que les quantités indiquées dans le télex en question y sont qualifiées
d'«approximatives» n'empêche pas de conclure que ces quantités ont fait l'objet
d'un accord entre les entreprises concernées.
- 305.
- Il apparaît par ailleurs que, lors de la réunion du 7 novembre 1989, les entreprises
ont considéré que les chiffres de commandes pour livraison au cours du trimestre
litigieux se situaient à un niveau «raisonnable» (voir le compte rendu sommaire,
cité au point 68 de la Décision, ainsi que le procès-verbal cité au point 71,
documents n°s 230 à 235) et ont exprimé le «souhait que le 'système des tonnages
T4-89 marché français soit reconduit sur T1-90 et sur l'ensemble des marchés
CECA». Lue dans son contexte, cette mention implique qu'un tel système, portant
sur la répartition des tonnages pour le marché et le trimestre visés, avait bien été
mis en place.
- 306.
- L'existence de l'accord dénoncé par la Commission est, dès lors, prouvée à
suffisance de droit.
- 307.
- Pour les raisons exposées dans l'arrêt rendu ce jour dans l'affaire
Preussag/Commission, T-148/94, cette conclusion n'est pas affectée par le
témoignage de MM. Mette et Kröll, collaborateurs de Preussag, lors de l'audience.
- 308.
- S'agissant de la participation de la requérante à cet accord, il convient de souligner
tout d'abord que, dans leur réponse du 7 novembre 1991 à une demande de
renseignements au titre de l'article 47 du traité (documents n°s 5519 à 5521 et 5536
à 5538), tant Cockerill-Sambre que Steelinter ont reconnu avoir assisté à
Düsseldorf, le 13 septembre 1989, à une réunion «Poutrelles marché français».
L'argument selon lequel la question des livraisons sur le marché français au
quatrième trimestre 1989 n'aurait pas été discutée lors de cette réunion, mais plutôt
lors d'une réunion tenue, le même jour et dans la même ville, par le groupe dit
«VA Profilstahl», ne résiste pas à l'examen. D'une part, la requérante n'a fourni
aucune précision sur l'objet de la réunion à laquelle elle reconnaît avoir elle-même
assisté ce jour-là à Düsseldorf. D'autre part, la lettre de Peine-Salzgitter invitant
Steelinter à assister à une réunion le 13 septembre 1989, à 17 heures, dans les
locaux de la Walzstahl-Vereinigung (document n° 3022), indique notamment,
comme ordre du jour de cette réunion, la discussion des «perspectives quantitatives
pour le quatrième trimestre 1989, plus particulièrement sur le marché français des
poutrelles». Il est dès lors établi que la requérante a participé, le 13 septembre
1989, à une discussion portant sur la question des livraisons de poutrelles sur le
marché français au quatrième trimestre de 1989.
- 309.
- Il est également établi que des chiffres de livraison concernant la requérante sont
repris dans les documents préparatoires de l'accord, établis par la Walzstahl-Vereinigung.
- 310.
- Par ailleurs, si le nom de la requérante n'est pas repris dans la liste des
destinataires du télex de la Walzstahl-Vereinigung du 26 septembre 1989 visé au
point 67 de la Décision (document n° 3036), force est néanmoins de constater qu'il
apparaît dans le tableau contenu dans ce dernier document, assorti d'un chiffre de
livraison correspondant à celui qui lui avait été réservé au cours des discussions
préparatoires. Il ressort également du dossier que les livraisons de la requérante
sur le marché français, au cours du quatrième trimestre 1989, n'ont été que
légèrement inférieures audit chiffre (16.326 tonnes au lieu de 18.100 tonnes: voir
point 210 de la communication des griefs).
- 311.
- Au vu de l'ensemble de ces éléments concordants, le Tribunal conclut que la
requérante était partie à l'accord litigieux. Cet accord tendait à une répartition des
marchés au sens de l'article 65, paragraphe 1, sous c), du traité et était donc
interdit par cette disposition, sous réserve des questions qui seront examinées dans
la partie C ci-après.
Sur les échanges d'informations au sein de la commission poutrelles (monitoring des
commandes et des livraisons)
- 312.
- Selon l'article 1er de la Décision, la requérante a participé, pendant une période de
18 mois, à un «[é]change d'informations confidentielles par l'intermédiaire de la
commission poutrelles». Aux points 39 à 60 pour la partie en fait, et 263 à 271
pour la partie en droit, la Commission expose les détails de ce système.
- 313.
- L'échange d'informations par l'intermédiaire de la commission poutrelles,
communément appelé «monitoring», comportait deux branches relatives,
respectivement, aux commandes et aux livraisons des entreprises participantes
(point 263). Il était organisé par le secrétariat de la commission poutrelles (point
47), assuré à l'époque par Usinor Sacilor (point 33), qui collectait les chiffres et les
rediffusait sous forme de statistiques (point 40).
- 314.
- Le monitoring des commandes, établi en 1984, permettait aux entreprises
participantes de s'informer régulièrement sur les commandes qu'elles avaient reçues
en vue d'une livraison pour un trimestre précis (point 39), dans les pays suivants:
France, Allemagne, Belgique/Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni, Italie, Espagne,
Portugal et Grèce/Irlande/Danemark. Depuis le début de 1989 au moins, ces
statistiques étaient réunies et diffusées chaque semaine par le secrétariat de la
commission poutrelles (point 40).
- 315.
- Le monitoring des livraisons, qui a fonctionné depuis le début de 1989 pour les
statistiques relatives au quatrième trimestre de 1988, portait sur les livraisons
trimestrielles des participants sur les marchés de la CECA (point 41). Des
statistiques ventilées par entreprise ont été échangées pour les marchés suivants:
la CECA dans son ensemble, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, le Benelux,
l'Italie, la Grèce/l'Irlande/le Danemark, le Portugal et l'Espagne. Ces statistiques
étaient distribuées un mois ou deux après la fin du trimestre considéré (point 42).
- 316.
- Aux points 49 à 60 et 268 de la Décision, la Commission allègue que ces échanges
d'informations ont été fréquemment accompagnés de discussions au sein de la
commission poutrelles, au cours desquelles les entreprises se plaignaient du
comportement de leurs concurrents en matière de commandes ou d'exportations,
ainsi que d'écarts entre les commandes annoncées et les livraisons effectuées.
Résumé sommaire de l'argumentation des parties
- 317.
- La requérante admet avoir participé au monitoring des commandes jusque «vers
la fin de 1989» (voir point 50 de la Décision) et, à partir du dernier trimestre de
1988, au monitoring des livraisons, mais soutient que la description faite par la
Commission de ces échanges d'informations purement statistiques en méconnaît la
nature.
- 318.
- Elle fait tout d'abord valoir que les informations échangées n'étaient pas des
«informations précises», contrairement à ce qui est soutenu au point 271 de la
Décision. Selon elle, les chiffres étaient individualisés par entreprise, mais globalisés
au niveau des produits, un seul chiffre étant fourni pour l'ensemble des poutrelles
produites par chaque entreprise, alors que celles-ci comportaient pas moins de sept
catégories et trois ou quatre sous-catégories (voir point 3 de la Décision). La
requérante ajoute que les informations échangées avaient un caractère historique
et un degré très relatif de fiabilité, en l'absence d'un système de contrôle et de
sanctions.
- 319.
- Quant aux discussions qui pouvaient avoir lieu au sein de la commission poutrelles
concernant ces échanges d'informations statistiques, la requérante commence par
relever qu'elle ne saurait être concernée par les discussions postérieures au 3 août
1989, date de la dernière réunion à laquelle elle a assisté. A cet égard, il convient
de préciser que, dans son mémoire en défense, la Commission confirme que c'est
à la suite d'une erreur typographique qu'il est fait état, au point 38, sous i), de la
Décision, de la participation de Cockerill-Sambre à une réunion du 6 juin 1990.
- 320.
- Pour le surplus, la requérante estime que c'est à tort que la Commission prétend,
au point 50 de la Décision, qu'à la réunion du 6 juin 1989 les producteurs
allemands s'étaient plaints du niveau élevé des exportations espagnoles. Une telle
plainte ne serait pas rapportée dans l'aide-mémoire de cette réunion qui constitue
les documents n° 155 à 170 du dossier de la Commission.
- 321.
- La requérante ajoute que les explications fournies par certains participants lors des
réunions des 6 juin et 11 juillet 1989, qui seraient les seules la concernant, étaient
tout à fait générales et n'accroissaient donc en rien la transparence toute relative
à laquelle pouvait aboutir l'échange statistique lui-même. Il en irait plus
particulièrement ainsi des explications fournies par la requérante au cours de la
réunion du 11 juillet 1989. Le procès-verbal de cette réunion ne comporterait qu'un
exposé purement factuel de la situation atypique du marché belge et une
explication vague et d'ailleurs inexacte fournie par la requérante, à savoir la
nécessité de reconstituer les stocks de Steelinter.
- 322.
- La Commission estime que l'échange d'informations pratiqué en l'espèce par les
entreprises était incompatible avec l'article 65 du traité, pour les raisons exposées
aux points 263 à 271 de la Décision.
- 323.
- Dans sa réponse du 19 janvier 1998 à une question écrite du Tribunal, la
Commission a toutefois fait valoir que les systèmes d'information litigieux ne
constituaient pas une infraction autonome à l'article 65, paragraphe 1, du traité,
mais faisaient partie d'infractions plus vastes consistant, notamment, en des accords
de fixation de prix et de répartition de marchés. Ils auraient donc violé l'article 65,
paragraphe 1, du traité dans la mesure où ils ont facilité la perpétration de ces
autres infractions. A l'audience, la Commission, tout en exprimant certains doutes
quant à la question de savoir si la jurisprudence de la Cour et du Tribunal dite
«Tracteurs» (arrêt de la Cour du 28 mai 1998, Deere/Commission, C-7/95 P, Rec.
p. I-3111, points 88 à 90; arrêt du Tribunal Deere/Commission, précité, point 51)
est directement transposable au traité CECA, a souligné qu'il s'agit en l'espèce non
seulement d'un échange d'informations, mais aussi de l'utilisation de ces
informations à des fins collusoires, ainsi qu'il ressort notamment des points 49 à 60
de la Décision.
Appréciation du Tribunal
Sur la nature de l'infraction reprochée à la requérante
- 324.
- Eu égard aux arguments présentés par la Commission dans sa réponse écrite du
19 janvier 1998 et à l'audience, il convient d'établir tout d'abord si l'infraction
reprochée à la requérante aux points 263 à 271 de la Décision constitue une
infraction autonome à l'article 65, paragraphe 1, du traité, ou si, au contraire, le
caractère infractionnel des systèmes d'échange d'informations litigieux tient au fait
qu'ils ont facilité la perpétration des autres infractions retenues dans la Décision.
Cette question importe non seulement pour la qualification juridique des
comportements en cause, mais aussi pour l'appréciation du bien-fondé de
l'imposition d'une amende distincte sanctionnant lesdits comportements (voir ci-après).
- 325.
- Au point 267 de la Décision, la Commission considère que les entreprises en cause
sont allées au-delà des limites admissibles en matière d'échange d'informations en
ce que, premièrement, les informations échangées sur les livraisons et les
commandes reçues par chaque société à livrer sur les différents marchés sont
généralement considérées comme strictement confidentielles, et, deuxièmement, les
chiffres des commandes étaient mis à jour chaque semaine et diffusés rapidement
parmi les participants, tandis que les chiffres des livraisons étaient diffusés peu
après l'expiration du trimestre considéré. La Commission en déduit que «chacune
des sociétés participantes connaissait donc de manière complète et détaillée les
livraisons que ses concurrents avaient l'intention d'effectuer ainsi que leurs
livraisons réelles. Ces sociétés étaient donc en mesure de s'assurer du
comportement que leurs concurrents se proposaient d'adopter ou avaient adopté
sur le marché et d'y adapter le leur».
- 326.
- Ensuite, la Commission affirme, aux points 267 et 268 de la Décision, que telle était
la raison d'être de l'échange, en ce que les informations échangées ont servi de
base aux discussions sur les courants d'échanges décrites aux points 49 à 60 de la
Décision. Selon la Commission, les entreprises suivaient de près ces statistiques et
vérifiaient si les livraisons correspondaient aux commandes annoncées. Lors de ces
discussions, les parties seraient parvenues à un «degré remarquable de
transparence dans leurs relations». La Commission ajoute que, s'il s'était agi d'un
échange limité à des statistiques purement rétrospectives sans effet possible sur la
concurrence, de telles discussions auraient été inexplicables.
- 327.
- La Commission conclut, au point 269 de la Décision, que les parties ont ainsi établi
un «système de solidarité et de coopération destiné à coordonner [leurs] activités
commerciales» et qu'elles ont donc «substitué une coopération pratique aux risques
normaux de la concurrence, coopération aboutissant à des conditions de
concurrence qui ne correspondent pas aux conditions normales du marché».
- 328.
- Aux points 270 et 271 de la Décision, la Commission souligne que les échanges
d'informations individuelles qui sont susceptibles d'influencer le comportement des
entreprises sur le marché ne sont pas couverts par sa communication relative aux
accords, décisions et pratiques concertées concernant la coopération entre
entreprises, publiée le 29 juillet 1968 (JO C 75, p. 3, ci-après «communication de
1968»). Invoquant ses décisions 87/1/CEE, du 2 décembre 1986, relative à une
procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/31.128 Fatty Acids, JO
1987, L 3, p. 17, ci-après «décision acides gras») et 92/157/CEE, du 17 février 1992,
relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/31.370 et
31.446 UK Agricultural Tractor Registration Exchange, JO L 68, p. 19, ci-après
«décision UK Agricultural Tractor Registration Exchange»), adoptées dans le cadre
du traité CE, elle considère que l'échange d'informations intervenu en l'espèce, qui
comprenait des informations précises et à jour concernant les commandes et les
livraisons des producteurs, permettant de déterminer le comportement des
différentes entreprises dans un oligopole étroit, était contraire à l'article 65,
paragraphe 1, du traité.
- 329.
- Il résulte de ce qui précède que la Commission a fondé son appréciation juridique,
aux points 263 à 271 de la Décision, sur les caractéristiques propres du monitoring,
y compris les discussions sur les courants d'échanges qui ont eu lieu sur la base des
informations échangées, exposées aux points 49 à 60 de la Décision.
- 330.
- Même s'il ressort également de la Décision que le monitoring a en réalité facilité
certaines autres infractions retenues à l'encontre des entreprises concernées,
notamment la «méthodologie Traverso» et l'accord relatif au marché français au
quatrième trimestre de 1989, rien dans ladite Décision n'indique que ce fait a été
pris en compte dans l'appréciation juridique du système d'échange d'informations
litigieux au regard de l'article 65, paragraphe 1, du traité.
- 331.
- Il y a donc lieu de conclure que, aux points 263 à 271 de la Décision, les systèmes
d'échange d'informations litigieux ont été considérés comme des infractions
autonomes à l'article 65, paragraphe 1, du traité. Il convient, dès lors, de rejeter les
arguments avancés par la Commission dans sa réponse du 19 janvier 1998 et à
l'audience, dans la mesure où ils cherchent à modifier cette appréciation juridique.
Sur le caractère anticoncurrentiel du monitoring
- 332.
- Le Tribunal rappelle que l'article 65, paragraphe 1, du traité est fondé sur la
conception selon laquelle tout opérateur doit déterminer de manière autonome la
politique qu'il entend suivre sur le marché commun.
- 333.
- Le Tribunal constate, en l'espèce, que les données diffusées, relatives aux
commandes et aux livraisons des participants sur les principaux marchés de la
Communauté, étaient ventilées par entreprises et par États membres. Elles
permettaient donc de connaître la position qu'occupait chaque entreprise par
rapport à l'ensemble des ventes effectuées par les participants, sur tous les marchés
géographiques concernés.
- 334.
- Grâce à l'actualité et à la fréquence de communication des données, les entreprises
étaient en mesure de suivre de près chaque étape de l'évolution des parts des
participants sur les marchés en cause.
- 335.
- Ainsi, les chiffres relatifs aux commandes à livrer au cours d'un trimestre donné
(monitoring des commandes) étaient réunis et diffusés chaque semaine par le
secrétariat de la commission poutrelles (point 40 de la Décision). Il ressort
également des documents identifiés à l'appendice 1 de la Décision que le temps qui
s'écoulait entre la date de référence d'un tableau et celle à laquelle il était établi
ou mis à la disposition des entreprises était normalement inférieur à trois semaines.
De même, les tableaux de commandes énumérés à l'appendice 1 de la Décision
étaient, à une seule exception près (à savoir le tableau cité au point 26 dudit
appendice, dont la date se situe environ deux mois après le trimestre de référence),
diffusés soit avant la fin du trimestre de référence, parfois même plusieurs semaines
avant, soit quelques jours après celle-ci.
- 336.
- Les chiffres des livraisons, quant à eux, étaient diffusés, en tout état de cause,
moins de trois mois après la fin du trimestre concerné.
- 337.
- L'ensemble de la coopération ainsi caractérisée était limité aux seuls producteurs
qui y avaient adhéré, à l'exclusion des consommateurs et des autres concurrents.
- 338.
- Il n'est par ailleurs pas contesté que l'échange concernait des produits homogènes
(voir point 269 de la Décision), de sorte que la concurrence par les caractéristiques
des produits ne jouait qu'un rôle limité.
- 339.
- S'agissant de la structure du marché, le Tribunal constate que, en 1989, dix des
entreprises ayant participé au monitoring de la commission poutrelles couvraient
deux tiers de la consommation apparente (point 19 de la Décision). En présence
d'une telle structure oligopolistique du marché, susceptible de réduire par elle-même la concurrence, il est d'autant plus nécessaire de protéger l'autonomie de
décision des entreprises ainsi que la concurrence résiduelle.
- 340.
- Les éléments exposés aux points 49 à 60 de la Décision confirment que, compte
tenu de toutes les circonstances de l'espèce, en particulier de l'actualité et de la
ventilation des données, destinées aux seuls producteurs, des caractéristiques des
produits et du degré de concentration du marché, les systèmes litigieux affectaient
nettement l'autonomie de décision des participants.
- 341.
- En général, les informations diffusées ont fait l'objet de discussions régulières au
sein de la commission poutrelles. Il apparaît, au vu notamment des éléments
résumés au point 268 de la Décision, que des critiques ont été formulées à l'égard
des niveaux de commandes jugés excessifs (point 51) et des livraisons des
intéressés, en particulier vers d'autres États membres (points 51, 53 et 60), étant
entendu que, dans certains cas, les livraisons entre deux pays ou deux zones ont été
analysées (points 53, 55 et 57). Dans ce contexte, les entreprises se sont
régulièrement référées aux chiffres du passé (points 51, 53, 57 et 58), employant
à cet égard le terme de «flux traditionnels» (point 57). A l'occasion de ces
discussions, des menaces ont été formulées en raison de comportements jugés
excessifs (point 58) et, à plusieurs occasions, les entreprises critiquées ont tenté
d'expliquer leur comportement (points 52 et 56). Enfin, il apparaît que la diffusion
des chiffres des livraisons servait également à détecter d'éventuelles différences par
rapport aux commandes annoncées (point 54). De cette façon, le monitoring des
livraisons renforçait l'efficacité du monitoring des commandes (voir le point 268 de
la Décision).
- 342.
- Le Tribunal relève, en particulier, que, si l'aide-mémoire de la réunion du 6 juin
1989 ne se réfère pas à une «plainte» des producteurs allemands à l'encontre de
leurs homologues espagnols, il indique néanmoins, sous la rubrique «Situation des
marchés de la Communauté R.F.A.», que «si les pénétrations espagnoles ont été
importantes en mars 1989 (21.000 tonnes), les forges hispaniques signalent avoir
eu des retards dans leurs livraisons et assurent de tous leurs efforts pour étaler à
l'avenir leurs expéditions» (voir document n° 155). Il apparaît ainsi que les
producteurs espagnols ont tenté de justifier l'importance de leurs exportations et
ont pris l'engagement de les étaler à l'avenir.
- 343.
- Il ressort par ailleurs du procès-verbal de la réunion du 11 juillet 1989 (document
n°s 182 à 188) que tant Ensidesa que la requérante ont apporté des réponses
précises visant à justifier leur comportement sur le marché, la première en
indiquant ne pas avoir augmenté son volume habituel d'exportations vers le marché
français, la seconde en justifiant par le faible niveau des stocks de sa filiale
Steelinter l'augmentation constatée de ses commandes sur le marché belgo-luxembourgeois au cours du deuxième trimestre de 1989, qui était jugée comme
susceptible de perturber les marchés limitrophes par l'intermédiaire des marchands
de fer belges.
- 344.
- Il s'ensuit que les informations que recevaient les entreprises dans le cadre des
systèmes litigieux étaient capables d'influencer leur comportement de façon
sensible, en raison tant du fait que chaque entreprise se savait surveillée de près
par ses concurrents que du fait qu'elle-même pouvait, le cas échéant, réagir au
comportement de ceux-ci, sur la base d'éléments nettement plus récents et plus
précis que ceux qui étaient disponibles par d'autres moyens. Ce dernier constat est
tout particulièrement confirmé par la note d'information de Peine-Salzgitter du 10
septembre 1990 citée au point 59 de la Décision, selon laquelle «un échange de
chiffres qui se borne aux chiffres agrégés n'a pour nous (presque) aucun intérêt
(avis du groupe germano-luxembourgeois du 30.8.1990), étant donné que le
comportement sur le marché des différentes entreprises ne peut plus être déduit»].
Bien que cette note soit postérieure à la période d'infraction reprochée à la
requérante, elle peut valablement lui être opposée dans la mesure où elle se réfère
indirectement à l'échange de chiffres individuels qui avait cours pendant ladite
période.
- 345.
- C'est également à juste titre que, au point 267 de la Décision, la Commission a pu
considérer que les informations dont il est question en l'espèce sont normalement
considérées comme strictement confidentielles. Le Tribunal considère que de telles
données, révélatrices des parts de marché très récentes des participants, et non
disponibles dans le domaine public, sont de par leur nature même des données
confidentielles, ce qui est confirmé par le fait que d'éventuelles entreprises
intéressées ne pouvaient bénéficier des données diffusées par le secrétariat que sur
une base réciproque (voir point 45 de la Décision).
- 346.
- Le Tribunal constate, par ailleurs, que ce contrôle mutuel s'opérait, du moins
implicitement, par référence aux chiffres du passé, dans un contexte où, jusqu'en
janvier 1987, la politique de la Commission tendait au maintien des «flux
traditionnels» des échanges, terme qui a été expressément utilisé par les
participants. L'échange tendait donc au cloisonnement des marchés par référence
auxdits flux traditionnels.
- 347.
- Il s'ensuit que les systèmes d'échange d'informations litigieux ont sensiblement
réduit l'autonomie de décision des producteurs participants en substituant une
coopération pratique entre eux aux risques normaux de la concurrence. De tels
systèmes tendent, par leur nature, à empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal
de la concurrence, au sens de l'article 65, paragraphe 1, du traité.
- 348.
- Il en résulte également que le comportement reproché à la requérante n'est pas
couvert par le point II, paragraphe 1, de la communication de 1968 qui, selon ses
termes mêmes, ne s'applique pas aux échanges d'informations qui réduisent
l'autonomie de décision des participants ou est de nature à faciliter un
comportement coordonné sur le marché. Par ailleurs, il s'agit en l'espèce d'un
échange de données individualisées, dans le cadre d'un marché oligopolistique de
produits homogènes, qui tendait au cloisonnement des marchés par référence aux
flux traditionnels.
- 349.
- Dans la mesure où, pour justifier les systèmes litigieux et sa participation à ceux-ci,
la requérante s'est ralliée aux arguments de certaines des requérantes, fondés sur
les règles de prix de l'article 60 du traité, son argumentation ne saurait être
retenue. D'une part, cette disposition se limite au domaine des prix et ne concerne
pas les informations sur les quantités mises sur le marché. D'autre part, la
publication des prix, telle que prévue par l'article 60, paragraphe 2, du traité, est
censée bénéficier, entre autres, aux consommateurs (voir, notamment, arrêt
France/Haute Autorité, précité, p. 23), alors que le bénéfice des systèmes litigieux
était limité aux seuls producteurs participants. De même, l'article 47 du traité
n'autorise en aucun cas la divulgation d'informations par la Commission sur le
comportement concurrentiel des entreprises dans le domaine des quantités au seul
bénéfice des producteurs. Pour ces mêmes raisons, la requérante ne saurait
invoquer un principe général de transparence inhérent au traité CECA, d'autant
qu'il s'agit, en l'espèce, de données confidentielles qui, par leur nature même,
constituent des secrets d'affaires.
- 350.
- Quant aux arguments de certaines des requérantes, auxquels la requérante s'est
ralliée à l'audience, relatifs à la nécessité d'échanger des informations dans le cadre
de la coopération avec la Commission, tirés des articles 5 et 46 à 48 du traité
CECA ainsi que de la décision n° 2448/88, il y a lieu de constater que rien dans ces
dispositions ne permet expressément un échange d'informations entre entreprises
tel que celui de l'espèce. La question de savoir si un tel échange a été
implicitement autorisé par le comportement de la DG III sera examinée dans la
partie C ci-après.
- 351.
- Sous cette réserve, et eu égard notamment au principe de base du traité selon
lequel la concurrence qu'il vise consiste dans le jeu sur le marché de forces et de
stratégies économiques indépendantes et opposées (arrêt Pays-Bas/Haute Autorité,
précité), le Tribunal considère que la Commission n'a pas commis d'erreur de droit
en se référant, au point 271 de la Décision, à certaines décisions qu'elle a adoptées
dans le domaine du traité CE dans le cas de marchés oligopolistiques. S'agissant,
en particulier, de la décision UK Agricultural Tractor Registration Exchange, il y
a lieu de rappeler que tant le Tribunal que la Cour ont jugé que, sur un marché
oligopolistique fortement concentré, l'échange d'informations sur le marché est de
nature à permettre aux entreprises de connaître la position sur le marché et la
stratégie commerciale de leurs concurrents et, ainsi, à altérer sensiblement la
concurrence qui subsiste entre les opérateurs économiques (arrêt du Tribunal
Deere/Commission, précité, point 51; arrêt de la Cour Deere/Commission, précité,
points 88 à 90). Le Tribunal estime qu'il en va a fortiori ainsi lorsque, comme en
l'espèce, les informations échangées ont fait l'objet de discussions régulières entre
les entreprises participantes.
- 352.
- Le Tribunal souligne, enfin, que, eu égard, d'une part, à la nature des discussions
qui ont eu lieu au sein de la commission poutrelles et des données échangées dans
ce cadre, et, d'autre part, aux termes de la communication de 1968, les entreprises
en cause n'ont pas pu avoir de doutes raisonnables quant au fait que les échanges
concernés tendaient à empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la
concurrence ni, par conséquent, quant au caractère interdit des échanges concernés
au regard de l'article 65, paragraphe 1, du traité. La même conclusion ressort par
ailleurs des considérations exposées par le Tribunal dans la partie C ci-après. En
tout état de cause, les prétendues difficultés qu'il peut y avoir à apprécier le
caractère interdit d'un comportement n'affectent pas l'interdiction elle-même,
laquelle a un caractère objectif. Le Tribunal considère, par ailleurs, que, aux points
266 à 271 de la Décision, la Commission a motivé à suffisance de droit son point
de vue selon lequel les systèmes litigieux étaient contraires au jeu normal de la
concurrence.
Sur la durée de la participation de la requérante à l'infraction en cause
- 353.
- Bien qu'il ne soit pas allégué que la requérante ait assisté aux réunions de la
commission poutrelles postérieures à celle du 3 août 1989 [voir point 38, sous i),
de la Décision], il est constant qu'elle a participé aux échanges d'informations
litigieux jusqu'à son retrait du marché des poutrelles, à la fin de 1989 (voir, outre
les documents relatifs au monitoring cités en appendice à la Décision, le point 29
de la requête).
- 354.
- A cet égard, le Tribunal estime que, si les discussions menées au sein de la
commission poutrelles décrites aux points 49 à 60 de la Décision ont donné un
reflet fidèle de la valeur d'information des données diffusées par le secrétariat de
ladite commission, la nature anticoncurrentielle de l'échange reproché réside dans
le caractère même des données diffusées, qui étaient des informationsconfidentielles chiffrées et à jour, portant sur les commandes et les livraisons
ventilées par pays et par entreprise, étant entendu que le marché concerné avait
un caractère oligopolistique. Par conséquent, le fait que la requérante n'ait pas
participé aux discussions au sein de la commission poutrelles, entre août et
décembre 1989, n'altère pas le caractère de l'infraction qui lui est reprochée. C'est
à juste titre, dès lors, que la Commission a retenu à sa charge, dans la Décision,
une durée d'infraction de 18 mois.
- 355.
- Il ressort de tout ce qui précède que les arguments de la requérante relatifs à
l'échange d'informations au sein de la commission poutrelles doivent être rejetés
dans leur ensemble, sous réserve des constatations effectuées par le Tribunal dans
la partie C, ci-après.
Sur les pratiques relatives aux différents marchés
1. Répartition du marché italien
- 356.
- A l'article 1er de la Décision, la Commission reproche à la requérante d'avoir
participé à une répartition du marché italien. La période retenue aux fins de
l'amende est de trois mois.
- 357.
- A cet égard, la Commission expose, au point 275, sixième tiret, de la Décision, qu'il
a été décidé, le 21 juin 1988, de reconduire l'accord de répartition des marchés
pour le troisième trimestre de 1988. Cet accord aurait été passé par Ferdofin,
TradeARBED, British Steel, Cockerill-Sambre, Peine-Salzgitter, Saarstahl, Thyssen
et Unimétal. La Commission se réfère aux points 167 et 168 de la Décision.
- 358.
- La requérante fait valoir qu'un tel accord de répartition des marchés n'a jamais
existé. Les discussions auxquelles se réfère la Commission au point 167 de la
Décision auraient eu lieu avant l'adoption de la décision n° 2448/88 et se seraient
inscrites dans le cadre d'une éventuelle prorogation du régime des quotas. En
discutant des quotas pour le troisième trimestre de 1988, à un moment où la
Commission avait annoncé son intention de proroger le système, à tout le moins
en cas d'accord sur un plan de réduction des capacités, les entreprises n'auraient
fait que créer les conditions rendant une telle prorogation possible, le bon
fonctionnement du régime des quotas exigeant, en effet, que ceux-ci fussent arrêtés
avant le trimestre où ils devaient être d'application.
- 359.
- La requérante estime, dès lors, que ces discussions étaient parfaitement légales, et
ajoute que le grief est devenu sans fondement dès lors que la Commission
reconnaît, au point 27 de son mémoire en défense, qu'elle n'a pas mis en oeuvre
les quotas envisagés, après qu'il fut décidé de ne pas proroger le régime des quotas.
- 360.
- Le Tribunal relève que la constatation de l'accord litigieux se fonde sur les
documents suivants:
la télécopie de Saarstahl à la Walzstahl-Vereinigung du 21 juin 1988
(document n° 4);
la télécopie de la Walzstahl-Vereinigung au secrétariat de la commission
poutrelles du 22 juin 1988 (document n° 5);
le télex de Ferdofin à Peine-Salzgitter du 28 juin 1988 (document n° 4084);
et
le télex de Ferdofin à Peine-Salzgitter du 4 août 1988 (document n° 4085).
- 361.
- Selon la télécopie de Saarstahl à la Walzstahl-Vereinigung du 21 juin 1988 (point
167 de la Décision, document n° 4), les entreprises d'Eurofer se déclaraient
disposées à continuer au troisième trimestre de 1988 les «ententes sur les
quantités» passées à propos du marché italien pour le trimestre précédent. En
l'absence d'indices du contraire, ce renvoi doit être interprété comme visant
l'accord de répartition de marché conclu pour le trimestre précédent (voir les
points 275, quatrième tiret, ainsi que 163 et 164 de la Décision). Or, la preuve de
ce dernier accord est dûment rapportée tant par ladite télécopie que par le procès-verbal de la réunion relative au marché italien du 13 mars 1988, cité par extraits
aux points 163 et 164 de la Décision (documents n° 6 à 9 du dossier). La
circonstance que ledit accord a été conclu à une époque où le régime des quotas
était encore en vigueur, et en vue de son éventuelle prorogation, n'est pas de
nature à infirmer cette constatation, d'autant que, d'après le procès-verbal de la
réunion du 13 mars 1988, cet accord, qualifié de «gentlemen's agreement», avait
pour objet une auto-limitation temporaire des livraisons des participants sur le
marché italien, le cas échéant dans une mesure plus stricte que ce que leur
permettaient leurs quotas «i», afin de permettre une hausse effective des prix.
- 362.
- De même, la télécopie de la Walzstahl-Vereinigung au secrétariat de la commission
poutrelles du 22 juin 1988 (point 167 de la Décision, document n° 5) relève qu'une
«décision» avait été adoptée la veille. Cette télécopie fait état de certains chiffres
de commandes de Peine-Salzgitter, de Thyssen et de Saarstahl pour le troisième
trimestre de 1988.
- 363.
- La conclusion de l'accord est par ailleurs confirmée par le télex de Ferdofin à
Peine-Salzgitter du 28 juin 1988 (point 167 de la Décision, document n° 4084).
Ferdofin y déclare que «les quotas du 3e trimestre ne doivent en aucun cas être
relevés». Enfin, le télex de Ferdofin à Peine-Salzgitter du 4 août 1988 (document
n° 4085, point 8) permet de déduire l'existence d'un quota de plus de 2 000 tonnes
en faveur de Saarstahl pour le trimestre en cause.
- 364.
- Bien que les documents susvisés prouvent à suffisance de droit l'existence de
l'accord litigieux relatif aux quotas applicables au marché italien pour le troisième
trimestre de 1988, le Tribunal estime que la preuve de la participation de la
requérante audit accord n'est pas rapportée à suffisance de droit. En effet, les
documents invoqués par la Commission n'établissent pas que la requérante aurait
assisté à une réunion relative au marché italien en juin 1988. Par ailleurs, ces
documents ne se réfèrent pas à la requérante. Dans ces circonstances, le seul fait
que la requérante a été partie à un accord antérieur, relatif au deuxième trimestre
de 1988, et la circonstance que la télécopie de Saarstahl du 21 juin 1988 se réfère
aux «usines d'Eurofer» ne suffisent pas à établir sa participation à l'accord litigieux.
Dans cette mesure, l'article 1er de la Décision doit être annulé.
2. Fixation de prix sur le marché français
- 365.
- A l'article 1er de la Décision, la Commission fait grief à la requérante d'avoir
participé à une fixation de prix sur le marché français. Le constat de cette
infraction, qui n'a pas été retenue aux fins du calcul de l'amende, se fonde sur deux
notes internes de Peine-Salzgitter des 14 et 18 mai 1987 (documents n°s 3184-3185
et 3177-3179 du dossier; voir points 155 et 274 de la Décision).
- 366.
- La requérante n'a pas contesté expressément cette infraction, dont la preuve est
rapportée à suffisance de droit sur la base des deux notes internes invoquées par
la Commission.
3. Fixation de prix sur le marché italien
- 367.
- A l'article 1er de la Décision, la Commission fait grief à la requérante d'avoir
participé à une fixation de prix sur le marché italien. Cette infraction n'a pas été
retenue aux fins du calcul de l'amende. Au point 275 de la Décision, la Commission
fait état d'un certain nombre de pratiques restrictives sur le marché italien. Aux
troisième et quatrième tirets de ce passage, elle expose ce qui suit:
« lors d'une réunion tenue le 25 novembre 1987, TradeARBED, Peine-Salzgitter, Unimétal, British Steel, Aristrain, Ensidesa, Ferdofin, Stefana,
Thyssen, Saarstahl et Cockerill-Sambre ont conclu un accord sur les prix
pour le premier trimestre de 1988 (voir points 160 à 161) [...]
au cours d'une réunion tenue le 13 mars 1988, TradeARBED, British Steel,
Peine-Salzgitter, Saarstahl, Thyssen, Unimétal, Cockerill-Sambre, Ferdofin
et Stefana ont fixé les prix pour le deuxième trimestre de 1988 [...] (voir
points 162 à 163)».
- 368.
- La requérante n'a pas contesté expressément ces infractions, dont la preuve est
rapportée à suffisance de droit par les documents invoqués par la Commission aux
points 160 à 163 de la Décision.
Sur la fixation de prix sur le marché danois, dans le cadre des activités du groupe
Eurofer/Scandinavie
- 369.
- L'article 1er de la Décision dénonce une participation de la requérante à une
infraction de fixation de prix sur le marché danois. La période retenue aux fins de
l'amende est de 12 mois.
- 370.
- Les motifs qui sous-tendent ce reproche figurent aux points 177 à 205 (pour la
partie en fait) et 284 à 296 (pour la partie en droit) de la Décision. En se fondant
principalement sur des procès-verbaux de réunions, la Commission décrit une série
de comportements qualifiés par elle d'accords de fixation de prix cibles relatifs aux
marchés scandinaves, qui auraient été conclus de trimestre en trimestre lors des
réunions du groupe Eurofer/Scandinavie, sur fond d'un accord-cadre unique et
permanent (points 288, 289, 291 et 294). Dans la mesure où ces accords concernent
le marché danois, elle les considère comme visés par l'article 65, paragraphe 1, du
traité (points 286, 287, 292 et 293).
Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante
- 371.
- La requérante fait valoir que sa filiale Steelinter n'a joué qu'un rôle tout à fait
marginal dans les activités du groupe Eurofer/Scandinavie. Elle n'aurait participé
qu'à une réunion en 1987 (document n° 653 du dossier) et à trois réunions en 1989.
Aucun autre document dont dispose la Commission ne la mentionnerait et son nom
n'apparaîtrait d'ailleurs pas sur une liste non datée des membres du groupe
Eurofer/Scandinavie (point 357 de la communication des griefs et document
n° 2731).
- 372.
- Quant au télex de TradeARBED à la Walzstahl-Vereinigung du 24 octobre 1988
(document n° 2498) et à l'annexe au compte rendu de la réunion du groupe
Eurofer/Scandinavie du 25 juillet 1988, invoqués par la Commission, dans son
mémoire en défense, pour établir la participation régulière de Steelinter aux
réunions de ce groupe, la requérante fait valoir que ces deux documents n'ont été
invoqués à sa charge ni dans la communication des griefs (voir point 353) ni dans
la Décision (voir point 182). La Commission ne serait pas en droit de motiver ainsi,
a posteriori, sa Décision.
- 373.
- La requérante ajoute que, en tout état de cause, la référence à la position des
«Belgolux works», dans le télex du 24 octobre 1988, pourrait être comprise comme
une référence au groupe ARBED qui possède des filiales en Belgique, susceptibles
d'être impliquées dans les activités du groupe Eurofer/Scandinavie. Quant au
tableau annexé au procès-verbal de la réunion du 25 juillet 1988, la Commission
elle-même admettrait qu'il constitue la preuve d'un accord de fixation de prix sur
le marché européen, et non pas sur le marché scandinave (voir points 88 et 224 de
la Décision). Tout en contestant ce fait, la requérante estime que la communication
d'un tel document aux participants de réunions du groupe Eurofer/Scandinavie ne
démontre en rien qu'elle-même participait aux activités de ce groupe.
- 374.
- La Commission resterait, par ailleurs, en défaut de démontrer que, en cas
d'absence aux réunions du groupe Eurofer/Scandinavie, Steelinter était informée
des décisions qui y avaient été prises (voir point 290 de la Décision). Ainsi,
Steelinter ne figurerait pas parmi les destinataires du télex de la Walzstahl-Vereinigung du 27 juillet 1988 informant les entreprises des prix applicables au
Danemark (voir point 374 de la communication des griefs et document n° 2007).
Ce fait serait d'autant plus important qu'il est indiqué, dans d'autres documents,
que seuls les participants aux réunions du groupe Eurofer/Scandinavie doivent être
informés du suivi (voir document n° 2500). Quant au télex du secrétariat du groupe
Eurofer/Scandinavie du 2 novembre 1989 (document n° 2074), invoqué par la
Commission dans son mémoire en défense, la requérante réplique qu'il se rapporte
à la réunion du 30 octobre 1989, alors que les griefs de la Commission concernent
«la participation de Steelinter aux arrangements de fixation de prix sur le marché
danois pour une période de douze mois à compter de juin 1988».
- 375.
- Le manque d'intérêt de Steelinter pour les réunions du groupe Eurofer/Scandinavie
ne ferait d'ailleurs que refléter son absence du marché danois, où elle n'aurait
écoulé que des tonnages non significatifs (432 tonnes en 1986, 336 tonnes en 1987,
rien en 1988 et 11 tonnes en 1989).
- 376.
- En conséquence, la requérante estime que la participation de Steelinter aux
activités du groupe Eurofer/Scandinavie postérieures au 30 juin 1988 ne peut être
retenue que pour les deux premiers trimestres de 1989.
- 377.
- En ce qui concerne l'objet de ces réunions, la requérante se réfère au point 486 de
la communication des griefs et au point 296 de la Décision. Elle fait valoir que les
pièces du dossier ne confirment nullement la thèse de la Commission et ne font
effectivement référence, pour la période concernée, soit de janvier à juillet 1989,
qu'à des prévisions de prix, au demeurant très approximatives (tous types de
produits confondus), et qui seraient restées identiques sur toute la période en
question. Ainsi, le procès-verbal de la réunion du 1er février 1989 (document
n° 2475) parlerait de relèvements «envisagés» (et non «convenus», comme
l'écrirait erronément la Commission au point 381 de la communication des griefs);
le procès-verbal de la réunion du 25 avril 1989 parlerait de «prix prévus»
(document n° 2460); l'annexe du procès-verbal de la réunion du 31 juillet 1989
mentionnerait uniquement des «supputations de prix» (document n° 2453); et le
procès-verbal de la réunion du 30 octobre 1989 se référerait, au conditionnel, aux
prix qui «devraient» être reconduits (document n° 2431).
- 378.
- La requérante ajoute qu'il ne saurait être question de se référer, comme le fait la
Commission, à des comptes rendus de réunions postérieures pour établir l'existence
d'activités antérieures qui ne sont pas mentionnées dans ces comptes rendus, et à
l'égard desquelles la Commission ne disposerait même pas d'un commencement de
preuve.
- 379.
- En outre, lors d'une présentation commune à l'audience, les requérantes ont fait
valoir, en se référant à certains documents relatifs aux contacts établis entre la
DG I de la Commission et les autorités scandinaves, transmis au Tribunal au titre
de l'article 23 et versés au dossier de l'affaire à la suite de l'ordonnance du 10
décembre 1997, ainsi qu'aux documents, déposés à l'audience, relatifs aux
«arrangements» entre la Communauté, d'une part, et la Norvège, la Suède et la
Finlande, d'autre part (point 15 ci-dessus), que tant la Commission que les autorités
scandinaves étaient au courant des activités du groupe Eurofer/Scandinavie et les
encourageaient même, ces activités étant essentielles pour la mise en oeuvre desdits
«arrangements». Dans ces circonstances, estime la requérante, il ne peut y avoir
eu de violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité.
Appréciation du Tribunal
Sur la nature et l'objet des activités du groupe Eurofer/Scandinavie
- 380.
- Le Tribunal constate, en premier lieu, que les documents cités aux points 184 à 205
de la Décision, à savoir les procès-verbaux et autres documents concernant les
réunions des 5 février 1986, 22 avril 1986, 30 juillet 1986, 28 octobre 1986, 3 février
1987, 28 avril 1987, 4 août 1987, 4 novembre 1987, 2 février 1988, 26 avril 1988, 25
juillet 1988, 3 novembre 1988, 1er février 1989, 25 avril 1989, 31 juillet 1989 et 30
octobre 1989, prouvent à suffisance de droit l'existence d'un système de réunions
au cours desquelles ont été conclus des accords sur les prix cibles applicables au
Danemark pendant cette période.
- 381.
- Le Tribunal relève, en particulier, l'existence de nombreux documents qui se
réfèrent à la «programmation» des prix (points 184, 192, 193 et 195), à la
«fixation» de prix ou aux prix «fixés» ou «décidés» ou «convenus» (points 184,
186, 187, 189, 190, 191, 192, 200, 201 et 204). Le Tribunal relève également
l'existence de nombreux documents faisant état des prix qui devaient être
«maintenus» ou «reconduits» (points 204 et 205), de propositions destinées à être
entérinées lors d'une réunion à venir (point 199), de demandes adressées aux
entreprises pour qu'elles s'abstiennent d'indiquer des prix aux clients avant une
réunion à venir (points 198 et 201), d'informations sur les décisions prises en
matière de prix lors de certaines réunions (points 187, 188, 189, 190, 191, 197 et
205) et d'informations sur la réalisation des prix décidés lors d'une réunion
antérieure (points 184, 193, 195, 200, 202, 203 et 204 de la Décision).
- 382.
- S'agissant plus particulièrement de la réunion du 3 novembre 1988 à Oslo, il ressort
du télex de TradeARBED à la Walzstahl-Vereinigung du 7 octobre 1988 (voir
point 198 de la Décision) que cette société n'était «nullement disposé[e]» à
accepter des tonnages ou à donner des prix à ses clients scandinaves «avant que
les usines Eurofer aient fixé avec les usines scandinaves, le 3 novembre, la politique
de prix à suivre en Scandinavie». Par ailleurs, dans son télex à la Walzstahl-Vereinigung du 17 novembre 1988 (voir point 200 de la Décision), TradeARBED
a indiqué que les «prix fixés à la réunion d'Oslo» avaient été «réalisés» et a
demandé que les participants en soient informés «afin que tous restent calmes et
ne s'écartent en aucun cas des conditions».
- 383.
- S'agissant plus particulièrement de la réunion du 1er février 1989, il est vrai que son
procès-verbal ne mentionne que des relèvements «envisagés». Toutefois, ce procès-verbal doit être lu à la lumière du télex de la Walzstahl-Vereinigung du 23 janvier
1989 (point 201 de la Décision), qui, rédigé en des termes presque analogues à
ceux du télex de TradeARBED du 7 octobre 1988, annonce que la réunion du 1er
février 1989, comme auparavant celle du 3 novembre 1988, serait consacrée à la
fixation de «la politique des prix à suivre pour la Scandinavie».
- 384.
- De même, s'il est vrai que l'annexe au procès-verbal de la réunion du 31 juillet
1989 parle uniquement de «supputations de prix», ce document doit être lu
conjointement avec la note interne de British Steel du 3 août 1989 qui en fait le
compte rendu et qui indique qu'il «a été convenu» que les prix «obtenus» pendant
le trimestre en cours seraient «maintenus» au trimestre suivant (point 204 de la
Décision).
- 385.
- A titre d'illustration supplémentaire, le Tribunal estime que la teneur des réunions
du groupe Eurofer/Scandinavie se trouve amplement confirmée par la note du
président de ce groupe du 1er février 1990 citée au point 206 de la Décision qui,
bien que rédigée à une date postérieure à l'arrêt de la participation de la
requérante aux réunions dudit groupe, concerne également le passé:
«[...] Jusqu'à maintenant les échos qu'on pouvait avoir de nos rencontres étaient
bons et certains représentants d'autres produits nous envient même les résultats et
l'entente de notre club.
Je ne dis pas ces mots sans raison, car pour le premier trimestre, tout le monde n'a
pas joué fair play et cela spécialement en aciers marchands. Je vous demande de
ce fait, en tant que représentants du club Eurofer/Scandinavie et pour le bien de
nos entreprises, de tout faire pour qu'on puisse sortir de cette salle avec la ferme
volonté de stabiliser le marché et, avec cela, sauver l'honneur de notre club.»
- 386.
- A la lumière de ce qui précède, l'argument de la requérante selon lequel les
entreprises se seraient bornées à débattre de la situation du marché, à discuter de
prévisions de prix et, plus généralement, à échanger des informations, ne saurait
être retenu. Le fait que certains documents ont pu utiliser des expressions plus
prudentes, telles que «prévisions», n'est pas de nature à affecter la conclusion qu'il
s'agissait d'accords visant à la fixation de prix, au sens de l'article 65, paragraphe
1, sous a), du traité, et donc interdits par cette disposition.
Sur la participation de la requérante aux activités du groupe Eurofer/Scandinavie
et aux accords de fixation de prix sur le marché danois
- 387.
- La requérante admet avoir participé, par l'intermédiaire de sa filiale Steelinter, aux
réunions du groupe Eurofer/Scandinavie des 1er février, 25 avril et 31 juillet 1989.
- 388.
- Il ressort par ailleurs du dossier qu'un représentant de la requérante a assisté, le
4 février 1986, à une réunion du groupe Eurofer/Scandinavie à Berlin (voir la liste
des délégués à cette réunion, document n° 610), et qu'elle s'est fait excuser pour
la suite de cette réunion le lendemain, 5 février 1986 (voir la liste des participants
et l'aide-mémoire de cette réunion, documents n°s 611 et 612).
- 389.
- Steelinter a également été représentée à la réunion du 28 avril 1987 à Paris (voir
l'aide-mémoire de cette réunion, document n° 653).
- 390.
- Il apparaît, en outre, que la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 4 novembre
1987 s'est tenue à Bruxelles (voir le procès-verbal de cette réunion, documents
n°s 670 à 673). Le Tribunal estime que la tenue de cette réunion en Belgique
implique nécessairement la participation de la requérante, même si aucune liste des
participants n'a pu être retrouvée. Au demeurant, le procès-verbal de ladite
réunion indique que le marché belge «suivra l'augmentation des prix de base et des
suppléments pour les petites catégories» de poutrelles, ce qui confirme la présence
de la requérante qui, en tant qu'unique producteur belge de poutrelles, était seule
à même de communiquer cette information.
- 391.
- De même, l'indication précise des niveaux de prix «parité Charleroi» obtenus au
cours du quatrième trimestre de 1988, dans le procès-verbal de la réunion du 3
novembre 1988 à Oslo (documents n°s 2488 à 2491), ne peut que signifier que la
requérante a assisté à cette réunion. Sa participation est, du reste, confirmée par
le télex adressé par TradeARBED à la Walzstahl-Vereinigung le 24 octobre 1988,
en vue de cette réunion (document n° 2498), aux termes duquel «les forges
allemandes, françaises et belgo-luxembourgeoises proposent pour le Danemark les
prix suivants...». A cet égard, il convient de rejeter l'argument de la requérante,
selon lequel la mention «Belgolux works» pourrait tout aussi bien désigner des
usines d'ARBED situées en Belgique. Il resssort en effet clairement du dossier
(voir, par exemple, les documents cités aux points 52 et 60 de la Décision) que,
dans la terminologie utilisée par les producteurs, ARBED était toujours désignée
comme le producteur luxembourgeois, sans référence à la Belgique. En outre, il n'a
pas été contesté qu'ARBED ne produit pas de poutrelles dans ses usines belges,
et que Cockerill-Sambre est le seul producteur belge de poutrelles à avoir été
impliqué dans les pratiques en cause. Dès lors, la référence aux «Belgolux works»
visait nécessairement la requérante.
- 392.
- En tout état de cause, il ressort du libellé du télex de TradeARBED à la Walzstahl-Vereinigung du 24 octobre 1988 que les forges allemandes, françaises et belgo-luxembourgeoises ont entendu communiquer une proposition de prix sur le marché
danois, qui devait servir de base pour la décision attendue lors de la réunion du 3novembre 1988. Dès lors que la requérante a collaboré à cette proposition, il y a
lieu de conclure qu'elle était intéressée à l'adoption de la décision envisagée. Par
ailleurs, les prix qui ont été décidés pour le marché danois lors de la réunion du
3 novembre 1988, tels qu'ils apparaissent dans un tableau annexé à son procès-verbal (document n° 2492, cité au point 378 de la communication des griefs), sont
identiques à ceux proposés dans le télex susvisé. La requérante a donc nécessairement souscrit à la décision adoptée sur ce point lors de la réunion du 3 novembre
1988, indépendamment du point de savoir si elle a participé à ladite réunion.
- 393.
- Il convient de rejeter l'argument de la requérante selon lequel certains des
documents susvisés ne lui seraient pas opposables, au motif qu'ils ne sont
expressément invoqués à sa charge ni dans la communication des griefs, ni dans la
Décision. En effet, la Commission a indiqué, au point 353 de la communication des
griefs et au point 182 de la Décision, que «Les documents disponibles prouvent
que Steelinter doit avoir participé à ces réunions ou tout au moins à la coopération
accompagnant ces réunions au moins depuis 1986». A cet égard, le Tribunal
rappelle que la Décision, si elle doit préciser les éléments de preuve qui emportent
la conviction de la Commission, ne doit pas énumérer de manière exhaustive tous
les éléments de preuve disponibles et peut s'y référer globalement (arrêt du
Tribunal du 24 octobre 1991, Petrofina/Commission, T-2/89, Rec. p. II-1087, point
39). Par ailleurs, la requérante a eu accès aux documents en question et a donc été
mise en mesure de faire valoir ses observations sur les griefs de la Commission.
- 394.
- Il ressort de surcroît du dossier que Steelinter a été tenue informée des résultats
de la réunion du 30 octobre 1989, à laquelle elle n'avait pu assister (voir le télex
du secrétariat du 2 novembre 1989, documents n°s 2074 à 2079 du dossier). Ce
document constitue une preuve pertinente de la participation régulière de
Steelinter aux activités du groupe Eurofer/Scandinavie, quand bien même il se
rapporterait à une période postérieure à la période d'infraction de 12 mois visée
à l'article 1er de la Décision.
- 395.
- La preuve de la participation directe ou indirecte de la requérante à huit des seize
réunions tenues par le groupe Eurofer/Scandinavie entre le début de l'année 1986
et la fin de l'année 1989 est ainsi rapportée à suffisance de droit.
- 396.
- Eu égard à l'ensemble de ce qui précède, le Tribunal estime que la Commission
était en principe en droit de retenir, aux point 180, 182 et 285 de la Décision, la
participation régulière de la requérante ou de Steelinter aux réunions du groupe
Eurofer/Scandinavie ou, tout au moins, à la «coopération entourant ces réunions»,
entre le début de l'année 1986 et la fin de l'année 1989.
- 397.
- Bien que la Décision n'indique pas quelle est, à l'intérieur de cette période de trois
ans, la période de 12 mois pour laquelle une amende est infligée à la requérante,
il ressort des points 182 et 314, lus conjointement, que cette période est comprise
entre le 1er juillet 1988 et le 30 juin 1989. La Commission l'a expressément confirmé
dans son mémoire en défense, sans donner aucune explication sur les raisons pour
lesquelles la durée d'infraction assortie d'une amende a ainsi été limitée au 30 juin
1989, alors que, d'un part, la requérante a notamment reconnu sa participation aux
réunions des 25 avril et 31 juillet 1989, qui ont servi à fixer les prix sur le marché
danois pour les troisième et quatrième trimestres de 1989, et, d'autre part, selon
le raisonnement exposé aux points 288 et 290 de la Décision, la Commission a
conclu à l'existence d'un «accord» unique et permanent au sens de l'article 65,
paragraphe 1, du traité, dans le cadre duquel «il [était] indifférent que certains
participants aient pu manquer certaines réunions».
- 398.
- A l'intérieur de cette période infractionnelle de 12 mois, le Tribunal estime, pour
les raisons exposées ci-dessus, que la participation de la requérante est dûment
établie pour ce qui concerne le premier semestre de 1989. En effet, il est établi,
d'une part, que la requérante a été partie à l'accord relatif au premier trimestre de
1989, conclu lors de la réunion du 3 novembre 1988 (voir points 391 et 392 ci-dessus), et, d'autre part, qu'elle a assisté aux réunions des 1er février, 25 avril et 31
juillet 1989, et qu'elle a été partie aux accords qui y ont été conclus.
- 399.
- En revanche, pour ce qui concerne les accords de fixation de prix sur le marché
danois relatifs au second semestre de 1988, le seul indice révélant la participation
de la requérante, entre le 4 novembre 1987 et le 3 novembre 1988, est le tableau
annexé au procès-verbal de la réunion du 25 juillet 1988 (document n° 2507) qui,
dans le cadre d'une présentation intitulée «CECA [...] Prix de marché T4-88»,
contient une mention relative à la «parité Charleroi». Or, si ce document constitue
bien la preuve d'un accord de fixation de prix conclu au sein de la commission
poutrelles, dont la teneur a été communiquée aux producteurs scandinaves lors de
la réunion du groupe Eurofer/Scandinavie du 25 juillet 1988 (voir points 141 et
suivants ci-dessus), il ne revêt aucun caractère probant quant à la conclusion d'un
accord de fixation de prix sur le marché danois au cours de cette dernière réunion.
Par conséquent, ce document n'est pas de nature à étayer la thèse de la
Commission.
- 400.
- L'absence de participation de la requérante au système, à l'époque, est corroborée
par le fait que son nom est le seul à ne pas figurer parmi les destinataires du télex
de la Walzstahl-Vereinigung du 27 juillet 1988 communiquant aux intéressés, à
savoir l'ensemble des producteurs d'Eurofer mis en cause dans le présent contexte,
les prix des poutrelles arrêtés, pour le marché danois, lors de la réunion du groupe
Eurofer/Scandinavie du 25 juillet 1988 (point 197 de la Décision, document
n° 2498).
- 401.
- Au surplus, dans son mémoire en défense, la requérante a indiqué, sans être
contredite sur ce point par la Commission, que, pendant l'année 1988, elle n'avait
fait aucune livraison de poutrelles au Danemark, à la différence de ce qui avait été
le cas en 1986, 1987 et 1989. Le Tribunal estime qu'il n'est pas exclu, dès lors, que
la requérante se soit complètement désintéressée des activités du groupe
Eurofer/Scandinavie en 1988, avant d'y participer à nouveau à partir de la réunion
du 2 novembre de cette année.
- 402.
- Il s'ensuit que l'article 1er de la Décision doit être annulé dans la mesure où il
retient la participation de la requérante à une infraction de fixation de prix sur le
marché danois, pour la période comprise entre le 1er juillet et le 3 novembre 1988.
Sur l'implication de la Commission dans les activités du groupe Eurofer/Scandinavie
- 403.
- Quant aux griefs avancés à l'audience, et tirés de la connaissance des activités du
groupe Eurofer/Scandinavie qu'avait, ou aurait dû avoir, la DG I, dans le cadre des
«arrangements» alors en vigueur entre la Communauté et la Norvège, la Suède et
la Finlande, le Tribunal relève, liminairement, que les documents n°s 9773 à 9787,
versés au dossier de l'affaire en vertu de l'ordonnance du 10 décembre 1997,
constituent des éléments apparus en cours d'instance, de sorte que l'article 48,
paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal n'empêche pas la requérante
d'avancer des moyens nouveaux fondés sur ces documents.
- 404.
- A cet égard, s'agissant tout d'abord de la période comprise entre 1986 et 1988, il
ressort des lettres et aide-mémoires échangés entre la Communauté et les autorités
norvégiennes, suédoises et finlandaises que, au cours de cette période, certains
«arrangements», visant au maintien des courants commerciaux traditionnels, étaient
en vigueur entre les parties concernées [voir le point c) des lettres échangées avec
la Norvège les 4 mars 1986, 11 mars 1987 et 10 février 1988; point c) des lettres
échangées avec la Finlande les 4 mars 1986, 10 avril 1987 et 12 février 1988; points
13 à 15 de la lettre du 4 mars 1986 et points 8 à 10 des lettres du 13 février 1987
et du 5 février 1988, échangées avec la Suède]. Selon le point V.10 de la décision
acier inoxydable, cela signifiait en pratique que les exportations des entreprises
sidérurgiques scandinaves vers la Communauté devaient être maintenues à leur
niveau antérieur et qu'aucune modification n'était autorisée sur le plan de leur
distribution régionale, de leur composition par produits ou de leur calendrier
(«triple clause»).
- 405.
- Le Tribunal a plus particulièrement fait porter son examen sur: la communication
de la Commission au Conseil, du 13 novembre 1986, sur la politique commerciale
externe dans le secteur sidérurgique [COM(86) 585 final], déposée par les
requérantes lors de l'audience; une note de dossier du 30 mai 1985 (document
n° 9774), relative à une réunion du 29 mai 1985 avec les autorités suédoises
concernant certaines livraisons suédoises de barres en fer et acier au Danemark,
qui indique qu'un représentant de la DG I avait saisi l'occasion pour attirer
l'attention des autorités suédoises sur l'intérêt que la Commission attachait au
maintien du «gentlemen's agreement» entre Eurofer et l'association des forges
suédoises pour garantir le développement harmonieux des échanges de produits
sidérurgiques entre la Communauté et la Suède; le mémorandum du 30 mai 1985
produit lors de la procédure administrative par les entreprises suédoises Ovako
Profiler AB et SSAB Svenskt Stål AB, qui se trouve dans le dossier transmis au
Tribunal au titre de l'article 23 et a été rendu accessible aux parties requérantes
par l'ordonnance du 10 juin 1996; la note manuscrite d'une réunion entre la DG I
et les autorités suédoises, qui a apparemment eu lieu le 4 décembre 1985 ou 1986;
la note d'une réunion de consultation entre les autorités communautaires et
suédoises qui a eu lieu le 20 novembre 1986 (documents n°s 9777 à 9784) et la note
d'une réunion du «Contact Group ECSC-Sweden» des 11 et 12 juin 1987.
- 406.
- Eu égard aux éléments révélés par ces documents, le Tribunal estime, en premier
lieu, qu'il ne peut être exclu que les activités du groupe Eurofer/Scandinavie aient
trouvé leur origine dans le souci commun des autorités communautaires et
scandinaves de limiter les exportations de produits sidérurgiques à leur niveau
traditionnel, dans le cadre des «arrangements» précités. Il ressort en effet du
dossier que cet objectif n'aurait pas pu être atteint sans la coopération des
entreprises concernées, notamment dans le cadre des «gentlemen's agreements»
conclus entre les entreprises membres d'Eurofer et les entreprises sidérurgiques
scandinaves.
- 407.
- En deuxième lieu, il ressort également du dossier que tant les autorités
communautaires que les autorités scandinaves ont encouragé la conclusion de tels
«gentlemen's agreements» ou, à tout le moins, des prises de contact directes entre
les entreprises concernées, afin de résoudre les problèmes qui se présentaient dans
le cadre desdits arrangements. Par ailleurs, au point X.12, sous a), de la décision
acier inoxydable, la Commission a expressément admis que lesdits arrangements
avaient limité la liberté des entreprises concernées de vendre les tonnages qu'elles
souhaitaient et que la DG I, par le biais d'un échange de lettres, avait
indirectement encouragé les entreprises scandinaves à conclure certains accord
bilatéraux avec les entreprises communautaires.
- 408.
- Il est vrai que les arrangements en cause ne visaient pas des accords sur les prix,
mais une simple limitation des tonnages. Toutefois, étant donné que, d'une part,
le marché danois était à l'époque considéré comme faisant traditionnellement
partie du marché scandinave de l'acier, et, d'autre part, la sous-cotation des prix
aurait eu pour effet d'augmenter les tonnages vendus, il ne peut pas être exclu que
les accords de prix sur le marché danois conclus au sein du groupe
Eurofer/Scandinavie aient été conçus, au moins en partie, comme un soutienapproprié aux arrangements conclus entre la Commission et les pays scandinaves
concernés pour les années 1986, 1987 et 1988, en vue du maintien des courants
commerciaux traditionnels.
- 409.
- Il convient néanmoins de rappeler qu'aucune disposition du traité n'autorise de tels
accords en matière de prix et que ni le Conseil, ni la Commission, ni les entreprises
ne sont autorisés à ignorer les dispositions de l'article 65, paragraphe 1, du traité
ou à s'exonérer de leur obligation de les respecter.
- 410.
- Il en résulte que, à supposer même que les accords de prix conclus au sein du
groupe Eurofer/Scandinavie pendant les années 1986, 1987 et 1988 l'aient été dans
le cadre des arrangements limitant les courants d'échange entre la Communauté
et les pays scandinaves, et que la Commission et/ou les autorités scandinaves les
aient encouragés ou tolérés, au moins indirectement, ces accords n'en violaient pas
moins l'article 65, paragraphe 1, du traité dans la mesure où ils portaient fixation
de prix sur le marché danois.
- 411.
- Toutefois, étant donné que les arrangements en question entre la Communauté et
les pays scandinaves ont été maintenus en vigueur jusqu'au 31 décembre 1988, il
y a lieu de constater que les malentendus qui, d'après la Décision (point 311),
peuvent avoir existé avant le 30 juin 1988 sont susceptibles d'avoir persisté, au
moins jusqu'au 31 décembre 1988, pour ce qui est des accords Eurofer/Scandinavie.
Pour autant que la requérante reste concernée par les accords de fixation de prix
sur le marché danois conclus ou mis en oeuvre au cours de l'année 1988 (voir point
402 ci-dessus), cette circonstance sera prise en considération par le Tribunal au
moment de la fixation de l'amende (voir ci-après, sur la demande subsidiaire,
tendant à l'annulation ou, à tout le moins, à la réduction du montant de l'amende).
- 412.
- Quant à la période qui suit le 31 décembre 1988, il ressort de la lettre de la
Commission du 5 avril 1989, échangée avec les autorités norvégiennes, et de celles
des 4 avril 1989 et 28 mai 1990, échangées avec les autorités suédoises, qui ont été
produites par la partie défenderesse, à la demande du Tribunal, sous le couvert
d'une lettre du 11 mai 1998, qu'après le 1er janvier 1989 il n'existait plus aucune
disposition visant à maintenir les courants commerciaux traditionnels entre la
Communauté et les pays concernés. Il en résulte que, en tout état de cause, rien
ne justifiait, à partir du 1er janvier 1989, la conclusion d'accords privés de fixation
de prix sur le marché danois entre les entreprises concernées.
- 413.
- S'agissant, enfin, du document n° 9323, du 17 juin 1989, invoqué à l'audience par
les requérantes, le Tribunal constate qu'il concerne une plainte des autorités belges
à propos d'une prétendue violation par certaines entreprises norvégiennes de
l'article 60 du traité, applicable aux produits concernés en vertu de l'article 20 de
l'accord de libre-échange entre la Norvège et la Communauté, et qu'il n'a donc rien
à voir avec l'infraction reprochée à la requérante dans le cadre des accords
Eurofer/Scandinavie.
- 414.
- Dans ces conditions, les arguments de la requérante relatifs à la constatation, dans
la Décision, d'accords de fixation de prix sur le marché danois doivent être rejetés,
sous réserve de l'appréciation portée par le Tribunal au point 402 ci-dessus.
Conclusions
- 415.
- Sous réserve des constatations opérées par le Tribunal aux points 364 et 402 ci-dessus, et de l'argumentation examinée dans la partie C ci-après, l'examen des
arguments tirés d'une violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité n'a révélé
aucune erreur de fait ou de droit commise par la Commission dans la constatation
des infractions à cet article retenues dans la Décision. De même, l'examen du
Tribunal n'a révélé aucun défaut de motivation, notamment en ce qui concerne la
participation de la requérante aux infractions reprochées.
- 416.
- Il s'ensuit que lesdits arguments doivent être rejetés dans leur ensemble.
C Sur l'implication de la Commission dans les infractions reprochées à la partie
requérante
Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante
- 417.
- Tout en soulignant qu'il n'est pas nécessaire d'examiner en détail l'évolution de
l'attitude de la Commission au cours de l'année 1990, dès lors que la requérante
a cessé toute activité dans le secteur des poutrelles à la fin de l'année 1989, celle-ci
fait valoir dans sa requête que, durant toute la période visée par la Décision, la
Commission a accepté et même encouragé en pleine connaissance de cause des
pratiques similaires à celles incriminées dans la Décision, sans jamais mettre en
doute leur légalité. La requérante estime, dès lors, que ces activités, qui selon elle
étaient parallèles à celles de la Commission et tendaient à la réalisation des mêmes
objectifs, ne sauraient constituer des infractions à l'article 65, paragraphe 1, du
traité. Elle invoque, à titre subsidiaire, une violation du principe de protection de
la confiance légitime.
- 418.
- Des moyens semblables ayant été soulevés par d'autres requérantes, le rôle joué
par la DG III dans la présente espèce a fait l'objet d'une présentation commune
à l'audience. La requérante a ainsi fait sienne l'argumentation développée sur ce
point au nom des requérantes concernées. Il convient, dès lors, de regrouper ces
divers moyens et arguments, pour les examiner ensemble aux fins du présent arrêt.
- 419.
- Les requérantes développent, sur la base d'un historique de l'implication de la
Commission dans la gestion de la crise sidérurgique depuis les années 70 et de ses
interventions après la fin de la période de crise, une argumentation selon laquelle
la Commission elle-même aurait initié puis encouragé ou, à tout le moins, eu
connaissance des et toléré les comportements incriminés dans la Décision.
- 420.
- Invoquant, à des degrés divers, une violation par la Décision des principes de
sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, la doctrine de l'estoppel
ou l'adage «nemo auditur turpitudinem suam allegans», les requérantes estiment
que, dans ces conditions, la Commission n'était pas fondée à sanctionner les
comportements d'entreprises visés par la Décision.
- 421.
- S'agissant de la période de crise, les requérantes se réfèrent tout d'abord aux
diverses mesures adoptées par la Commission, à partir de 1974, sur le fondement
des articles 46, 47, puis 58 et suivants du traité, afin de faire face à la crise de la
sidérurgie européenne. Elles se réfèrent notamment au plan Simonet de 1977 et
au plan Davignon de 1978, puis à la décision n° 2794/80 instaurant un régime
obligatoire de quotas de production, ainsi qu'à ses diverses mesures
d'accompagnement (voir points 5 et suivants, ci-dessus).
- 422.
- Elles font plus particulièrement valoir que le système des quotas instauré par la
décision n° 2794/80 fut conçu dès le départ comme faisant partie d'un ensemble
plus vaste, fondé sur la collaboration horizontale des entreprises, notamment en ce
qui concerne l'instauration des quotas nationaux «i» que la Commission voulait voir
appliqués par les producteurs pour mettre en oeuvre son propre régime de quotas
«I» prévu à l'échelle de la Communauté.
- 423.
- L'association Eurofer aurait été, à cette occasion, la principale interface entre la
Commission et les producteurs, notamment dans le cadre des accords Eurofer II
à Eurofer V qui, tout au long du régime de crise manifeste et jusqu'en juillet 1988,
auraient consisté, pour l'essentiel, en l'établissement et en la gestion du système de
quotas de livraison «i» sur les marchés nationaux, ainsi qu'en la fourniture de
données sur la production et les livraisons. Les accords Eurofer auraient également
prévu que les participants s'engageaient à respecter les objectifs de prix fixés en
coordination avec la Commission.
- 424.
- Les requérantes soulignent également que les échanges d'informations étaient
courants dans tout le secteur de l'acier depuis que la crise s'était déclarée, en se
référant à l'affaire à l'origine de l'arrêt de la Cour du 10 juillet 1985,
Wirtschaftsvereinigung Eisen- und Stahlindustrie/Commission (27/84, Rec. p. 2385),
dans laquelle la Commission aurait reconnu qu'une certaine transparence était déjà
de mise entre les grandes entreprises sidérurgiques membres d'Eurofer, de sorte
que certaines informations émanant de ces dernières n'étaient pas couvertes par
le secret professionnel au sens de l'article 47 du traité.
- 425.
- Pour ce qui est de la période de crise, les requérantes étayent plus particulièrement
leur exposé par des extraits des documents suivants, dont certains sont cités aux
points 5 et suivants ci-dessus: la demande par la Commission d'un avis conforme
du Conseil sur l'instauration d'un régime de quotas de production pour la
sidérurgie [COM(80) 586 final, requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3,
document 3]; la résolution du Conseil, du 3 mars 1981, sur la politique de
redressement de la sidérurgie (voir communiqué de presse du Conseil des 26 et 27
mars 1981, requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 4); l'annexe IV
au document III/534/85/FR de la Commission approuvant les accords Eurofer
(requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 5); la lettre adressée le 17
janvier 1983 par MM. Andriessen et Davignon à Eurofer (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 6); la réponse adressée le 8 février 1983 par M.
Etchegaray, président d'Eurofer, à MM. Andriessen et Davignon (requête dans
l'affaire T-151/94, appendice 3, document 7); la décision n° 3483/82; le point 302
du Dix-neuvième Rapport général sur l'activité des Communautés; la décision
n° 234/84; le procès-verbal d'une réunion qui s'est tenue à Bruxelles le 27 juin 1984
entre la Commission et des experts d'Eurofer (requête dans l'affaire T-151/94,
appendice 3, document 8); une note établie par Eurofer à la suite d'une réunion
entre le membre de la Commission M. Narjes et les présidents d'Eurofer qui s'est
tenue à Düsseldorf le 26 septembre 1985 (requête dans l'affaire T-151/94,
appendice 3, document 9); le procès-verbal d'une réunion qui s'est tenue le 16
décembre 1985 entre M. Narjes et Eurofer (requête dans l'affaire T-151/94,
appendice 3, document 10); diverses lettres révélant l'implication de la Commission
dans l'arbitrage de litiges entre producteurs à propos du système des quotas «i»
(requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, documents 11 et 12); le procès-verbal
de la réunion du 10 mars 1986 entre M. Narjes et Eurofer (requête dans l'affaire
T-151/94, appendice 3, document 13); le «rapport des trois sages», précité; le
procès-verbal de la réunion qui s'est tenue le 16 mai 1986 entre M. Narjes et les
dirigeants d'Eurofer (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 14)
et la communication de la Commission au Conseil sur la politique sidérurgique du
16 juin 1988, précitée.
- 426.
- Bien que le régime de crise manifeste ait pris fin le 30 juin 1988, le XXIe Rapport
général sur l'activité des Communautés indiquerait, en son point 278, que la
Commission était prête à envisager, pour une durée de trois ans à partir du 1er
janvier 1988, la prolongation du régime des quotas et la mise en oeuvre d'un plan
concerté de réduction des capacités, suggéré par Eurofer à la fin de l'année 1986.
Cependant, la Commission n'ayant pas reçu les engagements minimaux de
fermetures fixés en décembre 1987 comme condition d'un prolongement éventuel
du système, elle n'aurait pas proposé sa reconduction au Conseil. Les requérantes
en déduisent qu'il fut mis fin, en juillet 1988, au régime des quotas non pas parce
que la Commission considérait qu'il n'y avait plus de crise manifeste, mais afin de
sanctionner les entreprises pour leur manque de collaboration. Ces faits
démontreraient également qu'au milieu de l'année 1988 la Commission estimait
qu'il n'était pas contraire à l'article 65 du traité de demander aux entreprises deconclure un accord portant sur une réduction concertée de leurs capacités, lequel
serait pourtant tout aussi interdit que les mesures en matière de prix, si l'on suivait
l'interprétation rigide dudit article défendue dans la Décision. La Commission
aurait donc accepté que l'article 65, paragraphe 1, du traité puisse faire l'objet
d'une application flexible.
- 427.
- Pour ce qui est de la période postérieure au 30 juin 1988, la Commission aurait
maintenu, jusqu'en novembre 1988, le régime de surveillance des livraisons mis en
place par la décision n° 3483/82. Elle aurait également arrêté le régime de
surveillance mis en place par la décision n° 2448/88, qui imposait aux entreprises
la déclaration mensuelle de la production et de la livraison de certains de leurs
produits. Cette décision aurait cessé d'être en vigueur en juin 1990, mais la
situation ne se serait pas modifiée, in concreto, comme le démontreraient deux
lettres adressées à Eurofer, les 10 et 12 septembre 1990, par deux fonctionnaires
de la Commission (annexes 7 et 8 à la requête). Toutes ces mesures auraient eu
pour but d'accroître la transparence du marché en vue de faciliter l'adaptation des
entreprises aux modifications éventuelles de la demande, sans que cette
transparence soit perçue comme contraire à l'article 65 du traité.
- 428.
- Dans ce cadre, et notamment celui des articles 46 à 48 du traité et du régime de
surveillance établi par la décision n° 2448/88, les contacts entre la DG III et les
producteurs de poutrelles se seraient même intensifiés pendant la période
postérieure au régime de crise manifeste, les réunions «restreintes» et «de
consultation» ainsi que les «déjeuners de l'acier» venant s'ajouter aux réunions
trimestrielles officielles au cours desquelles sont discutés, conformément aux articles
46 à 48 du traité, les programmes prévisionnels.
- 429.
- En s'appuyant sur divers extraits des «speaking notes» et d'autres procès-verbaux
de réunions tenues après la fin du régime de crise (voir appendice 3 à la requête
dans l'affaire T-151/94), ainsi que sur les notes internes de la DG III produites par
la Commission à la suite de l'ordonnance du 10 décembre 1997, les requérantes
soutiennent que la Commission connaissait et même encourageait l'activité de
collecte et d'échange d'informations sur les commandes, les livraisons, le niveau
réel des prix et le niveau estimé des prix futurs, menée par Eurofer et la
commission poutrelles, de même que l'harmonisation des suppléments et les autres
pratiques retenues dans la Décision à la charge des entreprises.
- 430.
- Dans ce cadre, les divers accords et pratiques reprochés aux requérantes, à
supposer qu'ils soient établis, devraient être considérés comme des activités licites,
au vu notamment des dispositions des articles 46 à 48 du traité et du régime de
surveillance établi par la décision n° 2448/88.
- 431.
- Il ressortirait de ces documents que la Commission, et plus particulièrement la
DG III, appréciait grandement ses entretiens avec les producteurs et les
informations qui lui étaient fournies à cette occasion; sous le couvert d'échanges
assez généraux, la Commission incitait ou, à tout le moins, approuvait les initiatives
fréquentes des producteurs en vue de stabiliser les prix et la production; à l'instar
de la pratique suivie pendant la période de crise manifeste pour la répartition des
quotas «I», sur une base trimestrielle, entre les marchés nationaux (quotas «i»),
la Commission communiquait aux producteurs ses vues sur l'évolution souhaitée du
marché et laissait à Eurofer le soin de régler les détails pratiques des actions sur
le marché qu'elle préconisait; la Commission a elle-même, dans le cadre de son
action d'assainissement du marché, joué un rôle déterminant dans l'effort de
maîtrise des variations des prix et de la production entrepris par les producteurs
et rien ne pouvait être tenté par ceux-ci sans le concours ou, à tout le moins,
l'approbation de la Commission. Tout en concédant que les «speaking notes» ne
révèlent pas les informations détaillées échangées au sein de la commission
poutrelles et utilisées pour établir les tendances des prix et les prévisions de
quantités, les requérantes soutiennent que la Commission savait, ou devait savoir,
que de tels échanges d'informations entre producteurs étaient indispensables pour
préparer les discussions avec elle, comme cela avait été le cas dans un passé récent,
et qu'elle aurait, dès lors, dû conseiller aux producteurs de modifier la méthode
d'élaboration de leurs prévisions. Les «speaking notes» contiendraient également
de nombreuses allusions très claires aux discussions sur les prix et au désir partagé
de la Commission et des producteurs de maintenir leur niveau. La Commission
aurait même essayé de renforcer directement la discipline des prix, par exemple en
envisageant d'introduire, en 1989, un système obligeant les producteurs à s'informer
mutuellement des rabais appliqués (voir requête dans l'affaire T-151/94,
appendice 5).
- 432.
- Bien qu'un jeu complet des procès-verbaux et notes relatifs aux nombreuses
réunions entre la Commission et les entreprises sidérurgiques durant cette période
ait été communiqué au conseiller-auditeur, il ressortirait du point 312 de la
Décision que la Commission a évité tout examen détaillé de cette documentation,
dont elle nierait en bloc la pertinence.
- 433.
- Les requérantes ne contestent pas que la Commission a périodiquement fait
allusion à l'article 65 du traité, notamment pour rappeler qu'il restait intégralement
applicable pendant la période de crise. Toutefois, à défaut d'orientations pratiques
de sa part, ces simples références auraient été dépourvues de toute signification.
- 434.
- Ainsi, par exemple, la déclaration aux termes de laquelle la Commission ne
pourrait pas accepter de concertations sur les prix ou les quantités contraires à
l'article 65 du traité, intégrée à la demande de M. Kutscher au procès-verbal de la
«réunion de consultation» du 26 janvier 1989 (requête dans l'affaire T-151/94,
appendice 3, document 16) n'aurait pas fourni de lignes directrices aux producteurs
quant à la manière dont il leur appartenait d'élaborer les prévisions relatives au
marché, nécessaires à la Commission, tout en s'abstenant de procéder à la
«surveillance» des commandes et des livraisons ou d'échanger des informations sur
les modifications de prix.
- 435.
- La Décision elle-même reconnaîtrait, au point 311, qu'il a pu y avoir des
«malentendus» quant à l'application de l'article 65 du traité au cours de la période
de crise. Selon les requérantes, la confusion n'a pas été dissipée après le 30 juin
1988. Elle aurait au contraire été accrue par la poursuite des interventions de la
Commission dans le secteur, combinée avec les déclarations de cette dernière
affirmant, sans autre explication, que les dispositions de l'article 65 du traité
s'appliquaient.
- 436.
- Dans ces circonstances, le communiqué de presse publié par la Commission le 4
mai 1988 à l'occasion de l'ouverture de la procédure «acier inoxydable», indiquant
qu'elle «ne tolérerait pas d'accords illégaux» (voir point 305 de la Décision), aurait
été dépourvu d'utilité pratique. Le membre de la Commission M. Van Miert aurait
d'ailleurs reconnu, lors de la conférence de presse du 16 février 1994, qu'une
certaine ambiguïté avait pu exister au cours de la période qui a suivi la période de
crise manifeste. Des lignes directrices claires auraient, dès lors, dû être publiées
pour dissiper tout malentendu (voir, pour un exemple dans le cadre du traité CE,
les lignes directrices concernant l'application des règles de concurrence de la
Communauté au secteur des télécommunications, JO 1991, C 233, p. 2).
- 437.
- Ce ne serait que dans sa décision acier inoxydable, adoptée le 18 juillet 1990, que
la Commission aurait, pour la première fois, manifesté sa désapprobation à l'égard
du comportement des entreprises pendant la période concernée, en condamnant
des pratiques analogues à celles qu'elle avait acceptées et même encouragées.
Cette condamnation serait donc en contradiction avec l'attitude antérieure de la
Commission, qui avait amené les entreprises à croire que leurs pratiques étaient
conformes à l'article 65 du traité.
- 438.
- Les requérantes soutiennent que la Commission a modifié son interprétation des
règles de concurrence du traité CECA à la fin de 1990 (voir points 37 et 38 ci-dessus). Elles considèrent, néanmoins, que la Commission ne saurait, sans violer le
principe de confiance légitime, appliquer rétroactivement aux entreprises l'article
65 du traité alors que, pendant la période en cause, elle avait accepté de ne pas
l'appliquer aux pratiques litigieuses et avait, au contraire, encouragé de telles
pratiques, ou du moins développé avec les entreprises des pratiques similaires.
- 439.
- En réponse à l'argument de principe de la Commission, selon lequel une tolérance
administrative ne saurait en aucun cas légitimer ou justifier une infraction, les
requérantes invoquent les arrêts de la Cour du 12 novembre 1987, Ferriere San
Carlo/Commission (344/85, Rec. p. 4435), et du 24 novembre 1987,
RSV/Commission (223/85, Rec. p. 4617).
- 440.
- Les requérantes critiquent, en revanche, l'application au présent cas d'espèce de
la ligne de jurisprudence résultant des arrêts de la Cour des 11 décembre 1980,
Lucchini/Commission (1252/79, Rec. p. 3753, point 9), et 28 mars 1984,
Bertoli/Commission (8/83, Rec. p. 1649, point 21), selon laquelle le laxisme de la
Commission en matière de poursuites ne peut légitimer une infraction. En l'espèce,
la Commission n'aurait pas simplement fait preuve de laxisme à l'égard des
producteurs de poutrelles, mais aurait toléré, voire encouragé, en pleine
connaissance de cause les comportements incriminés dans la Décision.
- 441.
- A l'audience, les requérantes ont également présenté une analyse détaillée des
«speaking notes» et des documents de la DG III produits à la demande du
Tribunal. Elles ont en outre invoqué les témoignages recueillis par le Tribunal, et
notamment celui de M. Kutscher.
Compte rendu de l'audition des témoins
- 442.
- Par ordonnance du 23 mars 1998, le Tribunal a ordonné l'audition en qualité de
témoins de MM. Pedro Ortún, Guido Vanderseypen et Hans Kutscher,
respectivement fonctionnaires et ancien fonctionnaire de la DG III, sur les contacts
établis entre ladite DG III et l'industrie sidérurgique pendant la période d'infraction
retenue par la Décision aux fins de la fixation du montant des amendes, soit de
juillet 1988 à la fin de 1990. Les témoins ont été entendus par le Tribunal à
l'audience du 23 mars 1998 et ont prêté le serment prévu à l'article 68, paragraphe
5, du règlement de procédure.
- 443.
- Dans sa déposition et ses réponses aux questions du Tribunal, M. Ortún, à l'époque
directeur de la direction E «Acier» (ultérieurement dénommée «Marché intérieur
et affaires industrielles III») de la DG III, a indiqué que les réunions de
consultation avec l'ensemble de l'industrie sidérurgique, mises en place après le 30
juin 1988, conformément au mandat donné par le Conseil à la Commission le 24
juin 1988, de même que les réunions restreintes aux membres d'Eurofer, avaient
pour objectif de donner à la Commission une vision aussi précise que possible de
la situation et des tendances des marchés des différents produits, de façon à en
permettre la surveillance dans le cadre de la décision n° 2448/88 et à faciliter
l'élaboration des programmes prévisionnels, et complétaient l'information reçue
d'autre sources, telles que les producteurs non membres d'Eurofer, les
consommateurs, les négociants et les experts indépendants mandatés par la
Commission. Lors de ces réunions, un représentant de l'industrie intervenait
normalement comme porte-parole du secteur pour chaque groupe de produits et
donnait des informations sur l'évolution de la demande, de la production, des
livraisons, des stocks, des prix, des exportations, des importations et des autres
paramètres du marché pour les mois à venir. Selon M. Ortún, ces échanges de vues
permanents avec l'industrie sur les principaux paramètres du marché impliquaientque les producteurs se réunissaient préalablement à leurs rencontres avec la
DG III, afin d'échanger leurs sentiments et opinions sur les tendances futures du
marché des différents produits, y compris en matière de prix, mais la DG III, qui
ne recevait pas de comptes rendus de ces réunions internes, ignorait quelles
informations étaient échangées à cette occasion, de même que l'usage qu'en
faisaient les producteurs, et ne s'en préoccupait d'ailleurs pas particulièrement. En
réponse aux questions du Tribunal, M. Ortún a précisé que, après juin 1988, la
Commission ne poursuivait ni une politique de stabilité des flux traditionnels des
échanges entre États membres, ni un objectif de hausse ou de maintien des prix,
mais cherchait seulement à éviter que les fluctuations de la conjoncture donnent
lieu à des variations brusques et importantes des prix, sans relation directe avec
l'évolution de la demande. Il a également souligné que la DG III, tout en n'ayant
pas pour objectif ni pour responsabilité principale de vérifier ou de veiller à ce que
les pratiques liées aux échanges d'informations entre producteurs, préalables à leurs
réunions avec elle, soient conformes aux règles de concurrence du traité, leur a
rappelé à diverses reprises qu'ils devaient se conformer aux dispositions de son
article 65, et supposait, dès lors, qu'ils les respectaient.
- 444.
- Dans sa déposition et ses réponses aux questions du Tribunal, M. Kutscher, à
l'époque conseiller principal à la direction E de la DG III, a notamment exposé
que c'est à la demande de M. Narjes, à l'époque membre de la Commission en
charge des affaires industrielles, qu'il a fait intégrer au procès-verbal de la réunion
de consultation du 26 janvier 1989 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3,
document 16) l'avertissement aux termes duquel «si la Commission devait découvrir
l'existence d'un accord au sein de l'industrie, en ce qui concerne les quantités et les
prix, contraire aux termes de l'article 65 du traité CECA, elle ne manquerait pas
d'entreprendre les mesures appropriées, comme le prévoient les dispositions de cet
article». Cette mise en garde, que M. Kutscher a affirmé avoir déjà formulée en
des termes plus ou moins identiques devant le Comité consultatif CECA, les 1er et
20 juin 1988 ainsi qu'en octobre 1988, était destinée à indiquer clairement à
l'industrie que le jeu de la libre concurrence devait pleinement s'appliquer au sortir
du régime des quotas, dans le strict respect des dispositions de l'article 65 du traité,
et à éviter la répétition d'une entente telle que celle dont l'existence a été
constatée dans la décision acier inoxydable.
- 445.
- M. Kutscher a également admis que la DG III savait que les entreprises membres
d'Eurofer se réunissaient préalablement à leurs réunions avec la Commission et
qu'elles discutaient à cette occasion de l'évolution des divers paramètres du marché,
au point de parvenir à une sorte de consensus sur les tendances futures du marché,
dont la teneur faisait ensuite l'objet des discussions avec la DG III. D'après son
témoignage, il aurait été pratiquement impossible pour la Commission, ou pour une
association professionnelle telle qu'Eurofer, d'interroger individuellement chaque
producteur. Afin de fournir à la Commission les informations dont elle avait besoin,
les producteurs devaient donc se réunir pour échanger leurs opinions et leurs
prévisions sur les tendances des prix, des stocks, des importations, etc. Il revenait
ensuite au président de la réunion concernée de faire la synthèse des informations
échangées et de les communiquer à la Commission, au cours des réunions de
consultation.
- 446.
- En particulier, M. Kutscher a expressément reconnu que, dans le cadre de leurs
réunions, les entreprises échangeaient leurs prévisions respectives quant aux prix
futurs des différents produits, voire leurs intentions individuelles en la matière.
D'après lui, un échange de vues entre producteurs sur leurs intentions individuelles
futures en matière de prix ne tombe pas sous le coup de l'interdiction des pratiques
concertées visée à l'article 65, paragraphe 1, du traité, même s'il est effectivement
suivi d'un mouvement général des prix conforme aux prévisions échangées, pour
autant que cet échange de vues demeure de l'ordre des constatations de nature
conjoncturelle et ne débouche sur aucun accord, concertation ou collusion quant
à ce mouvement. M. Kutscher a souligné, à cet égard, que, sur un marché comme
celui de l'acier, lorsque la conjoncture est bonne, comme c'était le cas en 1988-1989, une augmentation de prix décidée de façon autonome par un producteur est
connue très rapidement et suivie de façon quasi automatique et autonome par la
plupart de ses concurrents, sans que soit nécessaire une entente entre eux si cette
augmentation est conforme à l'évolution conjoncturelle, chacun de ceux-ci voulant
profiter de la situation favorable.
- 447.
- M. Kutscher a toutefois souligné que la DG III n'avait aucune connaissance
d'accords ou de pratiques concertées allant au-delà d'un tel échange d'informations
entre entreprises et que les doutes personnels qu'il a pu de temps à autre nourrir
à cet égard ont été dissipés par ses interlocuteurs. Sur ce point, M. Kutscher s'est
plus particulièrement référé à la réunion de consultation du 27 juillet 1989 (voir
l'aide-mémoire de cette réunion, du 3 août 1989, produit par la défenderesse en
exécution de l'ordonnance du 10 décembre 1997), au cours de laquelle, en réaction
à une annonce de M. Meyer, président de la commission poutrelles, selon laquelle
le marché était «en équilibre et permettra[it] même encore de légères hausses de
prix à partir du 1er octobre 1989», il a «rappelé l'attachement de la Commission au
respect intégral des règles de prix de l'article 65 du traité». M. Kutscher a affirmé
avoir été rassuré par la réponse du représentant de l'industrie, selon laquelle,
«dans ce cas précis, les entreprises concernées se sont limitées à informer le négoce
et les clients de leurs intentions respectives d'augmenter les prix». Il aurait
d'ailleurs été de pratique courante, à l'époque, que les producteurs d'acier
communiquent à l'avance, à leurs clients importants, leurs intentions individuelles
futures en matière de prix. M. Kutscher a également souligné que, en l'espèce, les
augmentations de prix modestes annoncées en cours de réunions par les
producteurs, en 1988-1989, étaient conformes à l'évolution favorable de la
conjoncture et qu'elles ne permettaient donc pas à la DG III de soupçonner
qu'elles étaient le résultat d'une concertation. Il a encore ajouté que, au cours de
ses nombreuses discussions avec les représentants de l'industrie sidérurgique,
hormis l'incident avec M. Meyer, précité, ceux-ci ne lui avaient jamais donné la
moindre indication qui pût lui donner à penser que l'industrie se concertait sur les
prix ou les quantités, que ce soit pour les poutrelles ou pour les autres produits
sidérurgiques.
- 448.
- Dans sa déposition et ses réponses aux questions du Tribunal, M. Vanderseypen,
à l'époque affecté à la direction E de la DG III, a notamment exposé que la
DG III avait connaissance, comme l'atteste sa note de dossier du 7 avril 1989,
produite par la partie défenderesse en exécution de l'ordonnance du 10 décembre
1997, de la collecte, effectuée par Eurofer auprès de ses membres, de statistiques
rapides consistant en des données mensuelles agrégées portant sur les commandes
et les livraisons, disponibles entre dix et vingt jours après le mois écoulé, mais pas
du système de monitoring des commandes et des livraisons individuelles des
entreprises participantes qui avait été mis en place au sein d'Eurofer à peu près
à la même époque. Il a confirmé que les statistiques rapides en question, agrégées
au niveau des entreprises, étaient ventilées par produit et par marché national de
destination, de sorte qu'aucune entreprise déclarante ne pouvait calculer la part de
marché de ses concurrentes. Il a précisé que la Commission n'a jamais reçu
d'Eurofer des chiffres ventilés par entreprise, qu'elle n'avait pas connaissance de
la circulation de tels chiffres au sein d'Eurofer et que, en réponse à la question de
savoir si Eurofer procédait à de tels échanges, ses interlocuteurs lui ont encore
répondu par la négative en juillet 1990.
- 449.
- Quant aux indications chiffrées sur les tendances des prix données lors des réunions
en cause, M. Vanderseypen a précisé que, en général, les commandes de produits
sidérurgiques se transforment en livraisons dans un délai de trois mois. Ces
indications auraient donc souvent pu être faites sur la base des premières
commandes rentrées pour le trimestre suivant. Les propos sur les prix contenus
dans les «speaking notes» ne reflétaient donc pas nécessairement des intentions,
mais peut-être un début de réalité, à savoir les prix retenus dans les premières
commandes qui commençaient à entrer.
Appréciation du Tribunal
Observations liminaires
- 450.
- Il convient de préciser tout d'abord que, de par leur nature même, les arguments
des requérantes ne sauraient porter que sur les infractions qui leur sont reprochées
dans le cadre des activités de la commission poutrelles. A cet égard, leur
argumentation comporte, en substance, quatre volets principaux:
a) pendant la période de crise manifeste, la Commission aurait encouragé une
étroite coopération horizontale entre les entreprises, notamment dans le
cadre de la gestion du système de quotas «i» sur les marchés nationaux,
des accords en matière de prix et des tentatives d'accords volontaires de
réduction des capacités. Elle aurait ainsi donné l'impression soit que de tels
comportements ne sont pas contraires à l'article 65, paragraphe 1, du traité,
soit que cette disposition a un contenu flexible qui dépend de la politique
de la Commission à un moment donné. A tout le moins, la Commission
aurait placé les entreprises dans un état d'incertitude quant à la question de
savoir quels comportements sont interdits par l'article 65, paragraphe 1, du
traité;
b) à la fin de la période de crise, la Commission n'aurait pas donné
d'orientations pratiques ni de lignes directrices de nature à dissiper les
malentendus en question, de sorte que les entreprises ne pouvaient pas
connaître la portée exacte de l'article 65, paragraphe 1, du traité. Au
surplus, la Commission n'aurait pas adopté de mesures de transition mais
aurait, au contraire, aligné les règles de concurrence du traité CECA sur
celles du traité CE, de façon rétroactive, sans aucun avertissement
préalable;
c) en tout état de cause, après la fin de la période de crise, la Commission
aurait eu connaissance et aurait même encouragé l'activité de collecte et
d'échange d'informations, notamment sur les commandes, les livraisons, le
niveau réel des prix et le niveau estimé des prix futurs, dans le cadre des
nombreuses réunions qui ont eu lieu entre les entreprises et la DG III pour
assurer la mise en oeuvre des articles 46 à 48 du traité et du régime de
surveillance établi par la décision n° 2448/88. La Commission aurait ainsi eu
connaissance des, voire aurait toléré les pratiques reprochées aux
entreprises dans la Décision;
d) il en résulterait que les pratiques en cause étaient licites au vu, notamment,
des articles 46 à 48 du traité.
Sur le comportement de la Commission pendant la période de crise
- 451.
- Ainsi qu'il ressort des points 6 et suivants ci-dessus, la Commission a, depuis le
début de la crise de la sidérurgie dans le milieu des années 70, poursuivi activement
une politique d'ajustement de l'offre à la demande, de maintien de la stabilité des
flux traditionnels des échanges, tant intra- qu'extra communautaires, et de soutien
des prix, dans le but de permettre les restructurations nécessaires, en termes de
réductions de capacités, tout en assurant le maintien en vie du plus grand nombre
possible d'entreprises. L'offre excédant de loin la demande, la Commission a été
amenée à gérer la pénurie de commandes par l'imposition de quotas sur la base
des principes du «burden-sharing» et de l'«equality of sacrifice», expression d'une
certaine solidarité entre les entreprises face à la crise, censée favoriser les
adaptations structurelles d'une manière ordonnée.
- 452.
- Cette politique a été mise en oeuvre en étroite collaboration avec l'industrie, en
particulier par l'intermédiaire d'Eurofer, que ce soit par la voie des engagements
volontaires des entreprises envers la Commission, caractéristiques des années 1977
à 1980, ou par la voie du régime des quotas «I» et «i» et des accords Eurofer desannées 1980 à 1988.
- 453.
- A cette occasion, les entreprises ont développé, avec le soutien et en tout cas au
su de la DG III, des pratiques analogues, à plusieurs égards, à certaines de celles
qui leur sont reprochées dans la Décision. Elles se sont notamment livrées à la
surveillance des flux traditionnels des échanges, dont le maintien, qui impliquait la
division des marchés selon des lignes nationales, était d'ailleurs expressément
consacré, jusqu'en 1986, par l'article 15 B de la décision n° 234/84. Elles ont
également mis en place des mécanismes de détection et de prévention des
comportements perturbateurs par la surveillance des commandes et des livraisons,
ainsi que des systèmes d'ajustement de l'offre à la demande et de soutien des prix.
- 454.
- La Commission a ainsi été amenée à autoriser, cautionner ou encourager des
comportements en apparence contraires aux règles normales de fonctionnement du
marché commun, qui sont empruntées au principe de l'économie de marché (arrêt
Valsabbia e.a./Commission, précité, point 80), et dès lors susceptibles de tomber
sous le coup de l'interdiction des ententes visée à l'article 65 du traité. Ainsi, à un
moment où la Commission souhaitait une harmonisation et un relèvement général
des prix dans la Communauté, elle n'a soulevé aucune objection à l'encontre d'un
appel des représentants de l'industrie sidérurgique française à la conclusion d'un
accord de fixation de prix sur le marché français (voir le compte rendu de la
réunion entre le membre de la Commission M. Narjes et les représentants
d'Eurofer du 16 mai 1986, précité). Il ressort également de certains documents
officiels (voir, par exemple, la décision n° 1831/81/CECA de la Commission, du 24
juin 1981, instaurant un régime de surveillance et un nouveau régime de quotas de
production de certains produits pour les entreprises de l'industrie sidérurgique, JO
L 180, p. 1, et le compte rendu de la réunion entre M. Narjes et Eurofer du 10
mars 1986, précité) que la Commission favorisait ouvertement certains
«arrangements privés», «concertations», «accords internes» et «systèmes
volontaires» mis au point par les entreprises.
- 455.
- Durant cette période, la Commission a apparemment considéré que ces accords,
pratiques et systèmes privés ne relevaient pas de l'interdiction de l'article 65 du
traité, pour autant qu'ils ne constituaient que des mesures d'exécution ou
d'accompagnement adoptées par les entreprises en accord avec sa politique
générale. La doctrine de la Commission à cet égard se trouve déjà exposée dans
la lettre de MM. Davignon et Andriessen au président d'Eurofer du 17 janvier
1983, précitée (point 10, ci-dessus). Le système des quotas complémentaires «I»
et «i», dans le cadre des accords Eurofer, en est l'illustration la plus manifeste.
- 456.
- Le point VIII.13 de la décision acier inoxydable confirme qu'il existe, d'après la
Commission, une «différence fondamentale entre, d'une part, des accords entre
entreprises conclus après consultation de la Commission et destinés essentiellement
à rendre des mesures prises par la Commission plus efficaces et plus faciles à
surveiller, et, d'autre part, des accords conclus par des entreprises de leur propre
initiative, sans consultation de la Commission (qui avait simplement été informée
de manière informelle de l'existence de ceux-ci) et qui étaient destinés non pas à
encadrer des restrictions existantes, mais à en créer de nouvelles produisant des
effets économiques supplémentaires».
- 457.
- De même, la Commission indique, au point 309 de la Décision, que «le fait que la
concurrence ait été limitée à certains égards par l'action de la Communauté ne
permet pas aux entreprises d'imposer des restrictions supplémentaires ou de
restreindre la concurrence à d'autres égards. Il est essentiel, dans ces conditions,
que les entreprises ne prennent pas d'autres mesures pour réduire la concurrence».
- 458.
- Toutefois, il y a lieu de relever que la Commission n'a pas établi, à l'encontre de
la requérante, d'infraction liée aux activités de la commission poutrelles pour la
période antérieure au 1er juillet 1988. Il ressort en effet de la Décision que les
accords au sein de la commission poutrelles prouvés par la Commission et portant
sur la fixation des prix, l'harmonisation des suppléments, la méthodologie Traverso
et le marché français sont postérieurs au 30 juin 1988. De même, il ressort de la
Décision que les infractions liées au monitoring des commandes et des livraisons
et à l'échange d'informations par l'intermédiaire de la Walzstahl-Vereinigung se
rapportent à la période postérieure au 30 juin 1988, étant donné, notamment, que
le monitoring des livraisons n'a commencé qu'après le 18 octobre 1988 (point 41
de la Décision) et que toutes les preuves invoquées par la Commission pour
démontrer l'objet et l'effet des échanges d'informations sont postérieures au 30 juin
1988 (voir points 49 à 60 et appendice I de la Décision).
- 459.
- Il convient toutefois d'ajouter que, en dépit de la lettre de MM. Davignon et
Andriessen à Eurofer du 17 janvier 1983, précitée, la pratique de la Commission
pendant la période de crise manifeste était telle qu'il n'était pas aisé de déterminer
ce qu'elle considérait alors être la portée exacte de l'article 65 du traité. C'est, dès
lors, à juste titre que, au point 311 de la Décision, la Commission a indiqué que
«eu égard aux malentendus qui auraient pu surgir quant à l'application de l'article
65 au cours de la période de crise manifeste et à la mise en oeuvre du système des
quotas», elle avait «décidé de ne pas infliger d'amendes aux entreprises pour leur
comportement jusqu'au 30 juin 1988».
Sur la persistance, après la période de crise manifeste, des malentendus sur
l'interprétation ou l'application de l'article 65, paragraphe 1, du traité
- 460.
- Le Tribunal relève tout d'abord que, à supposer même qu'il ait pu subsister, après
la fin de la période de crise manifeste, un certain doute quant à la portée réelle de
l'article 65, paragraphe 1, du traité ou quant à la position de la Commission à cet
égard, vu l'attitude ambiguë qui avait été la sienne jusqu'au 30 juin 1988, cette
circonstance n'est pas de nature à affecter la qualification d'infractions des
comportements reprochés à la requérante pour ce qui est de la période postérieure
à cette date.
- 461.
- En tout état de cause, le Tribunal estime que, après la fin de la période de crise
manifeste, la requérante n'a pas pu nourrir de doutes sérieux quant à l'attitude de
la Commission à l'égard de l'application de l'article 65, paragraphe 1, du traité, ni
quant à la portée de cette disposition par rapport aux infractions qui lui sont
reprochées.
- 462.
- A cet égard, il convient de relever que la Commission s'est aperçue, vers le milieu
des années 80, que le régime des quotas et ses mesures d'accompagnement, loin
de favoriser les adaptations structurelles jugées indispensables à un assainissement
durable du secteur, avaient installé les entreprises dans une sorte de position
protégée (voir, sur ces questions, le «rapport des trois sages», point 24, ci-dessus).
La Commission a alors conclu à l'échec du système des quotas tel qu'il avait été
mis en oeuvre depuis 1980 et elle a décidé de planifier, sur une durée de deux ou
trois ans, le retour à un régime de concurrence normale selon les règles du traité.
Elle escomptait, en effet, que les forces du marché permettraient d'accomplir ce
qui n'avait pu l'être par des mesures interventionnistes, le rétablissement du jeu de
la libre concurrence devant nécessairement, dans un secteur en état de surcapacité
structurelle, entraîner à plus ou moins brève échéance la disparition des unités les
moins performantes (points 27 et 28 ci-dessus).
- 463.
- La Commission était autorisée à mettre fin au régime de crise manifeste, dès lors
que les conditions formelles prescrites par l'article 58, paragraphe 3, du traité
étaient réunies. Par conséquent, les règles normales de fonctionnement du marché
commun du charbon et de l'acier, qui sont «empruntées au principe de l'économie
de marché» (arrêt Valsabbia e.a./Commission, précité, point 80), redevenaient
automatiquement d'application à dater de la fin de ce régime.
- 464.
- Le Tribunal considère, en outre, que ce changement de politique de la Commission
a été clairement porté à la connaissance des intéressés et a été accompagné de
mesures de transition appropriées.
- 465.
- La suppression du régime des quotas a été annoncée publiquement plusieurs
années avant qu'elle ne devienne effective, à savoir dès l'année 1985. Elle se trouve
clairement exposée dans de nombreux documents officiels datant de 1985 à 1988
et elle a de surcroît été spécifiquement portée à la connaissance des milieux
concernés, notamment dans le cadre des réunions Commission/Eurofer (voir points
17 et suivants ci-dessus).
- 466.
- En particulier, les entreprises savaient, dès septembre 1985 sinon plus tôt, qu'elles
étaient entrées dans un régime de transition. La Commission a ainsi accepté de
proroger pendant plusieurs années le régime des quotas, afin de permettre à
l'industrie de s'adapter progressivement à un retour à des conditions de
concurrence normale. Elle a fait réaliser une étude par un groupe de trois sages,
qui a confirmé ses vues et l'état d'aveuglement des industriels quant à la gravité de
la crise et à la nécessité pour eux de s'adapter à la concurrence mondiale. En 1988
encore, elle était disposée à proroger ce régime jusqu'à la fin de 1990, pour autant
que les sidérurgistes lui donnent des engagements de fermeture pour au moins 75
% des excédents évalués par elle. Enfin, même après le retour au régime de
concurrence normale, la Commission a adopté diverses mesures destinées à
accompagner la transition, et notamment le régime de surveillance instauré, entre
le 1er juillet 1988 et le 30 juin 1990, par la décision n° 2448/88. On ne saurait dès
lors prétendre, comme le font certaines requérantes, que la Commission a
fautivement placé les entreprises dans une situation impossible en les abandonnant
brutalement et sans préparation au libre jeu du marché.
- 467.
- Le Tribunal relève du reste qu'Eurofer examinait de son côté les moyens de faire
face à la nouvelle politique de la Commission, ainsi qu'il ressort du compte rendu
de la réunion du 16 mai 1986, cité par extraits au point 20 ci-dessus.
- 468.
- En outre, l'attention des entreprises a été attirée à diverses reprises sur le
nécessaire respect des règles de concurrence du traité, et plus particulièrement sur
le prescrit impératif de son article 65. Des signaux très clairs leur ont été adressés,
notamment à l'occasion du communiqué de presse du 4 mai 1988 et au cours de
la procédure administrative dans l'affaire acier inoxydable. Par ailleurs, des
déclarations ou mises en garde ont été officiellement mentionnées dans les procès-verbaux de certaines réunions entre les représentants de la Commission et de
l'industrie, à la demande expresse des fonctionnaires de la Commission (voir points
488 et 489 ci-après).
- 469.
- Il convient de souligner, par ailleurs, que, comme le Tribunal vient de le constater,
la présente affaire concerne des accords ou pratiques concertées portant sur la
fixation des prix, la répartition des marchés et l'échange d'informations sur les
commandes et les livraisons des entreprises participantes, ventilées par pays et par
entreprise, destiné à coordonner leurs activités commerciales et à influencer les
courants d'échanges après la fin de la période de crise. Le Tribunal estime que les
entreprises ne pouvaient pas avoir des doutes sérieux quant à la question de savoir
si de tels comportements violaient l'article 65, paragraphe 1, du traité.
- 470.
- S'agissant de violations claires de l'article 65, paragraphe 1, du traité, le Tribunal
considère également qu'il n'était nullement nécessaire que la Commission «aligne»les règles de concurrence du traité CECA sur celles du traité CE pour pouvoir les
constater, de sorte que les arguments des requérantes fondés sur les réflexions
qu'elle a entamées sur l'avenir du traité CECA à partir de 1990 sont inopérants.
- 471.
- Il résulte de ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à invoquer de
prétendus malentendus quant à l'application ou à la portée de l'article 65,
paragraphe 1, du traité après la fin du régime de crise manifeste.
Sur l'implication de la DG III dans les infractions constatées après la fin du régime
de crise manifeste
- 472.
- Afin d'instruire plus particulièrement cet aspect du recours, le Tribunal a, par
ordonnance du 10 décembre 1997, ordonné la production des notes, aide-mémoires
ou procès-verbaux rédigés par les fonctionnaires de la DG III, en rapport avec
leurs réunions avec les représentants de l'industrie sidérurgique durant la période
d'application du système de surveillance instauré par la décision n° 2448/88. Le
Tribunal a également entendu, en qualité de témoins, MM. Ortún, Vanderseypen
et Kutscher, sur les contacts établis entre la DG III et l'industrie sidérurgique
pendant la période d'infraction retenue par la Décision aux fins de la fixation du
montant de l'amende.
- 473.
- Ni les pièces du dossier soumis au Tribunal par les parties, ni les mesures
d'instruction et d'organisation de la procédure qu'il a ordonnées n'ont permis
d'établir que la DG III avait connaissance des infractions à l'article 65 du traité
imputées à la requérante, ni, a fortiori, qu'elle les a initiées, encouragées ou
tolérées.
- 474.
- En particulier, rien ne démontre que la Commission ait eu connaissance des
accords et pratiques concertées de fixation de prix cibles et de répartition des
marchés mis en cause dans la Décision, ni de systèmes d'échange d'informations
allant au-delà de ceux qu'elle-même organisait dans le cadre des réunions de
préparation des programmes prévisionnels et, plus spécifiquement, du système de
monitoring des commandes et des livraisons décrit aux points 39 à 60 et 263 à 271
de la Décision, ou du système d'échange de statistiques individuelles organisé par
l'intermédiaire d'Eurofer, décrit aux points 143 et 144 de la Décision.
- 475.
- A cet égard, il convient de rappeler que, lors de sa 1255e session, tenue à
Luxembourg le 24 juin 1988 (voir annexe 3 au mémoire en défense dans l'affaire
T-151/94), le Conseil a:
pris acte de ce que la Commission entendait mettre fin au régime des
quotas pour l'ensemble des produits sidérurgiques au 30 juin 1988;
préconisé certaines mesures pour permettre aux entreprises de s'adapter
plus facilement à d'éventuels changements de la demande, à savoir: la
collecte de statistiques mensuelles relatives à la production et aux livraisons
sur la base de l'article 47 du traité; le suivi régulier, dans le cadre des
programmes prévisionnels visés à l'article 46 du traité, de l'évolution des
marchés et la consultation régulière des intéressés sur la situation et les
tendances du marché;
souligné, par la même occasion, que personne ne devait utiliser le système
de surveillance pour contourner l'article 65 du traité.
- 476.
- La Commission a, dès lors, mis en place un mécanisme de surveillance du marché,
en association avec Eurofer, sur la base de la décision n° 2448/88.
- 477.
- Il est vrai que, dans ce cadre, la Commission poursuivait un objectif général de
préservation de l'équilibre entre l'offre et la demande et, par conséquent, de
stabilité du niveau général des prix, destiné à permettre aux entreprises
sidérurgiques de renouer avec les profits (voir, par exemple, la note interne de la
DG III du 24 octobre 1988 relative à la réunion avec l'industrie du 27 octobre 1988,
l'aide-mémoire de la DG III du 10 mai 1989 relatif à la réunion de consultation du
27 avril 1989, l'aide-mémoire de la DG III du 28 octobre 1989 relatif à la réunion
de consultation du 26 octobre 1989 et la note interne de la DG III du 8 novembre
1989 relative à une réunion avec les producteurs du 7 novembre 1989).
- 478.
- La Commission favorisait, dès lors, la consultation des producteurs sur le marché,
dans le but d'obtenir des informations directes sur les tendances du marché et de
créer ainsi une meilleure transparence de l'information disponible (voir la note
interne de la DG III du 24 octobre 1988, précitée), de manière à faciliter
l'adaptation des entreprises à d'éventuels changements de la demande.
- 479.
- Ces échanges d'informations étendus et détaillés, impliquant les responsables des
ventes des entreprises, jugés plus en contact avec la réalité commerciale (voir la
note interne du 24 octobre 1988, précitée), portaient notamment sur les paramètres
de l'offre et de la demande ainsi que sur le niveau et l'évolution passée et future
des prix des différents produits sidérurgiques sur les divers marchés nationaux. La
Commission faisait aussi régulièrement appel au sens de la modération ou de
l'autodiscipline des producteurs, par exemple en les incitant à restreindre l'offre en
cas d'évolution conjoncturelle défavorable.
- 480.
- Toutefois, comme le démontre l'analyse qui suit, aucun élément du dossier
n'indique que la Commission a encouragé ou toléré, à cette occasion, les différents
comportements collusoires reprochés à la requérante dans la Décision.
Accords de fixation de prix
- 481.
- S'agissant tout d'abord des accords de fixation de prix reprochés à la requérante,
le Tribunal a déjà constaté qu'il ne s'agissait pas en l'espèce, comme celle-ci le
prétend, de simples échanges d'informations sur des «prévisions» de prix, mais bien
d'accords portant fixation de prix. Aucun élément du dossier ne permet de croire
que la Commission avait connaissance de tels accords.
- 482.
- Il est vrai que de nombreux documents relatifs aux réunions entre l'industrie et la
DG III font état de prévisions en matière de prix.
- 483.
- Il est également vrai qu'il ressort, a posteriori, de l'ensemble des documents
produits devant le Tribunal que certaines des informations données à la DG III
quant aux prix futurs des poutrelles résultaient des accords intervenus au sein de
la commission poutrelles (voir, notamment, les procès-verbaux des réunions de la
commission poutrelles du 18 octobre 1988, des 10 janvier, 19 avril, 6 juin et 11
juillet 1989 en rapport avec les comptes rendus et «speaking notes» relatifs aux
réunions de consulation du 27 octobre 1988, des 26 janvier, 27 avril et 27 juillet
1989).
- 484.
- Le Tribunal estime toutefois que, à l'époque, les fonctionnaires de la DG III
n'étaient pas en mesure de déceler que, parmi les nombreuses informations que
leur procurait Eurofer à propos, notamment, de la situation générale du marché,
des stocks, des importations et exportations et des tendances de la demande, les
informations en matière de prix résultaient d'accords entre entreprises.
- 485.
- A cet égard, il convient de souligner que, en dépit du nombre très élevé de
réunions et de contacts entre les entreprises et la DG III, aucune des requérantes
n'a soutenu qu'elle avait informé la DG III, même officieusement, de sa
participation aux comportements qualifiés d'infractions dans la Décision. De même,
aucun procès-verbal des réunions de la commission poutrelles n'a été communiqué
à la DG III, alors que les entreprises devaient pourtant savoir que la DG III aurait
grandement apprécié les informations détaillées contenues dans ces procès-verbaux.
- 486.
- Tout au plus ressort-il des pièces du dossier, et notamment des «speaking notes»
relatives aux réunions entre la Commission et l'industrie, ainsi que des mesures
d'instruction et d'organisation de la procédure ordonnées par le Tribunal, que la
DG III savait que les entreprises membres d'Eurofer tenaient des réunions,
préalablement à leurs réunions avec la Commission, et qu'elles discutaient à cette
occasion de l'évolution des divers paramètres du marché, jusqu'au point de parvenir
à une sorte de consensus à propos des tendances futures du marché, dont la teneur
faisait ensuite l'objet des discussions avec la DG III.
- 487.
- S'il est vrai que la DG III avait connaissance du fait que, dans le cadre de ces
réunions, les entreprises échangeaient leurs prévisions respectives quant aux prix
futurs, voire leurs intentions individuelles en la matière, comme M. Kutscher l'a
expressément reconnu lors de son audition en qualité de témoin, celui-ci a
également exprimé l'avis qu'un tel échange de vues entre producteurs ne tombait
pas sous le coup de l'article 65, paragraphe 1, du traité, même s'il était
effectivement suivi d'un mouvement général des prix conforme aux prévisions
échangées, pour autant que cet échange de vues demeurait de l'ordre de
constatations de nature conjoncturelle et ne débouchait sur aucun accord ou
collusion quant à ce mouvement.
- 488.
- Par ailleurs, le procès-verbal de la réunion de consultation du 26 janvier 1989
(requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 16) comporte un
avertissement exprès de M. Kutscher, aux termes duquel il est indiqué que, si la
Commission devait découvrir l'existence d'un accord au sein de l'industrie, en ce
qui concerne les quantités et les prix, contraire aux termes de l'article 65 du traité,
elle ne manquerait pas de prendre les mesures appropriées. Lors de son audition
en qualité de témoin, M. Kutscher a expliqué qu'il avait fait acter cette déclaration
à la demande expresse du membre de la Commission M. Narjes, en vue d'indiquer
clairement à l'industrie que le jeu de la libre concurrence devait pleinement
s'appliquer au sortir du régime des quotas, dans le strict respect des dispositions
de l'article 65 du traité, et d'éviter la répétition d'une entente telle que celle de
l'acier inoxydable.
- 489.
- M. Kutscher a également exposé, sans être contredit sur ce point par les
requérantes, qu'il avait fait trois déclarations analogues devant le Comité consultatif
CECA, les 1er et 20 juin 1988 ainsi qu'en octobre 1988.
- 490.
- Il ressort encore de l'aide-mémoire de la DG III relatif à la réunion de consultation
du 27 juillet 1989 que, en référence à une annonce de hausse de prix qui lui
paraissait suspecte, M. Kutscher avait «rappelé l'attachement de la Commission au
respect intégral des règles de l'article 65 du traité». La réponse du représentant de
la commission poutrelles, selon laquelle les entreprises concernées par cette hausse
s'étaient «limitées à informer le négoce et les clients de leurs intentions respectives
d'augmenter les prix», a donné l'apparence qu'il s'agissait d'un comportement
autonome.
- 491.
- Il résulte de ce qui précède que les requérantes n'ont pas établi que les
fonctionnaires de la DG III avaient connaissance des accords et pratiques
concertées de fixation de prix qui leur sont reprochés dans la Décision ni, a fortiori,
qu'ils les ont tolérés ou encouragés.
Accords sur l'harmonisation des prix des suppléments
- 492.
- Il a déjà été établi, aux points 270 et suivants ci-dessus, que la Commission n'avait
pas connaissance des pratiques d'harmonisation des prix des suppléments
auxquelles se livraient les entreprises. Cette constatation ne saurait être mise en
cause par le fait que la speaking note d'Eurofer relative à la réunion de
consultation du 27 juillet 1989 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3,
document 18) indique que «les suppléments de dimensions et de qualités vont
probablement augmenter», et que ce pronostic a apparemment servi de base à
l'observation de la Commission, dans le programme prévisionnel acier pour le
troisième trimestre de 1989 (JO 1989, C 178, p. 2 à 9), selon laquelle «rien ne
permet de conclure à la poursuite [des augmentations des prix des profilés lourds]dans les mois à venir, sauf les extras qui sont généralement harmonisés au niveau
européen».
Accords de répartition des marchés
- 493.
- Les pièces du dossier n'établissent pas que les entreprises ont été encouragées par
la Commission à se concerter dans le but de réguler ou de stabiliser le marché,
notamment par la conclusion d'accords relevant de la méthodologie Traverso ou
relatifs au marché français au quatrième trimestre de 1989.
- 494.
- Quant à la méthodologie Traverso, aucun élément du dossier ne permet d'inférer
que la Commission avait connaissance de ce système, dont la mise en place initiale
en juillet 1988 est intervenue avant le début des réunions de consultation, à partir
d'octobre 1988.
- 495.
- Quant à l'accord relatif au marché français pour le quatrième trimestre de 1989,
les requérantes se sont notamment référées au procès-verbal de la réunion de
consultation du 1er septembre 1989 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3,
document 32), qui indique, à propos de la discussion sur la situation du marché
français, qu'«un appel a été lancé aux producteurs nationaux pour qu'ils fassent
preuve de modération afin de ne pas déstabiliser les autres marchés de la
Communauté». Il convient toutefois de souligner que, à la différence des speaking
notes qui étaient transmises pour information à la Commission, le procès-verbal en
question est un document unilatéralement rédigé par Eurofer, dont la Commission
n'avait pas connaissance avant la présente procédure, et que la note interne de la
DG III relative à la même réunion ne fait aucunement référence à un tel appel à
la modération. Le Tribunal estime, dès lors, que le document en question manque
de valeur probante. En tout état de cause, l'appel à la modération dont il fait état
est exprimé en termes généraux qui ne donnent pas lieu à penser qu'il était sous-tendu par un accord de répartition du marché français.
- 496.
- Dans la mesure où les requérantes se sont référées, dans leur plaidoirie commune,
à l'indication, dans ledit procès-verbal, selon laquelle «le président [de la réunion]
a convenu que le programme prévisionnel devrait être considéré comme une ligne
directrice pour un comportement raisonnable sur le marché», le Tribunal relève
que le même document fait état, immédiatement avant la remarque en question,
d'un autre commentaire selon lequel «en l'absence d'un système de quotas, il est
seulement possible de faire appel à un comportement raisonnable, sans garantie
quant au résultat». Ce commentaire est révélateur de ce que, dans l'esprit de la
Commission, le comportement raisonnable ou l'autodiscipline qu'elle attendait de
la part de l'industrie devaient être le fait de chaque acteur pris isolément, et non
le produit d'une quelconque concertation entre producteurs.
- 497.
- Il est vrai que la speaking note relative à la réunion de consultation du 27 avril
1989 (requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 17) indique, à propos
de la situation du marché des barres de renforcement (p. 8): «Certains
changements dans les flux traditionnels du commerce qui se produisent suite à des
offres faites par des producteurs italiens sur les marchés allemand et français
menacent fortement la stabilité des prix dans ce secteur, étant donné l'effet
immédiat de ces offres sur le niveau des prix. Ceci pourrait aisément entraîner des
dommages sérieux pour le fil machine et doit donc être surveillé attentivement.»
De même, la speaking note relative à la réunion de consultation du 27 juillet 1989
(requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 18) mentionne elle aussi,
parmi un certain nombre de «facteurs négatifs» influençant l'évolution des prix sur
le marché des produits longs, l'«augmentation des interpénétrations».
- 498.
- Ces indications ne suffisent toutefois pas à établir que la Commission poursuivait,
à l'époque, son ancienne politique de maintien des flux traditionnels des échanges,
ni qu'elle approuvait, fût-ce tacitement, une politique semblable menée par les
producteurs eux-mêmes. D'une part, en effet, il s'agit de mentions isolées, et par
là même atypiques, dans les speaking notes et procès-verbaux des très nombreuses
réunions de l'époque. D'autre part, elles sont de nature essentiellement descriptive,
se bornent à refléter l'appréciation de l'industrie sur la situation conjoncturelle, et
débouchent, au mieux, sur une simple prescription de «surveillance attentive», sans
que soit même envisagée une quelconque action sur le marché en réponse à la
«menace» dont il est question.
Échanges d'informations sur les commandes et les livraisons
- 499.
- Il ressort du dossier non seulement que la Commission n'avait pas connaissance de
l'échange d'informations sur les commandes et livraisons opéré par la commission
poutrelles, mais également qu'Eurofer a dissimulé à la DG III l'existence de
systèmes d'échange d'informations portant sur des données individualisées.
- 500.
- Il convient de relever, à ce propos, que, lors de la réunion restreinte entre les
représentants de la DG III et de l'industrie du 21 mars 1989 (voir le procès-verbal
de cette réunion, requête dans l'affaire T-151/94, appendice 3, document 24), M.
von Hülsen, directeur général d'Eurofer, a informé la DG III de la mise en place,
au sein de cette association, d'un système d'enquêtes statistiques accélérées portant
sur des données mensuelles agrégées concernant les commandes et les livraisons,
mais pas de la mise en place du monitoring des commandes et des livraisons, dont
les premiers résultats avaient pourtant été discutés pour la première fois entre les
entreprises participantes lors de la réunion de la commission poutrelles du 9 février
1989.
- 501.
- M. Vanderseypen, entendu en qualité de témoin à l'audience, a confirmé que les
statistiques rapides en question, agrégées au niveau des entreprises, étaient
ventilées par produit et par marché national de destination, de sorte qu'aucune
entreprise ne pouvait calculer la part de marché de ses concurrentes. Il a précisé
que la Commission n'avait jamais reçu d'Eurofer des chiffres ventilés par entreprise
et qu'elle n'avait pas connaissance de la circulation de tels chiffres au sein
d'Eurofer.
- 502.
- Or, il ressort des documents énumérés aux appendices 1 et 2 de la Décision que,
tant dans le cadre du monitoring décrit aux points 39 à 60 de la Décision que dans
le cadre de l'échange d'informations par l'intermédiaire d'Eurofer décrit aux points
143 à 146 de la Décision, des statistiques individualisées par entreprise et par
marché national ont été échangées pour les commandes et les livraisons,
notamment, des entreprises Peine-Salzgitter, Thyssen, Usinor Sacilor, Cockerill-Sambre, TradeARBED, British Steel, et Ensidesa.
Autres accords
- 503.
- La requérante n'a pas prétendu, et encore moins établi, que la DG III avait
connaissance des autres accords qui lui sont reprochés dans la Décision, sous
réserve des accords Eurofer/Scandinavie, qui ont fait l'objet d'un examen distinct
du Tribunal.
Conclusions
- 504.
- Le Tribunal conclut de l'ensemble de ce qui précède que, à partir de 1988, les
entreprises sidérurgiques et leur association professionnelle Eurofer ont adressé à
la Commission des indications relativement générales et imprécises, tout en ayant
de leur côté, en complément de leurs accords restrictifs de la concurrence, des
discussions très précises et détaillées, individualisées au niveau des entreprises, dont
elles ont caché l'existence et la teneur à la DG III. Les entreprises avaient
pleinement conscience de la différence de nature entre ces deux catégories
d'informations et ont fait en sorte que les unes, mais pas les autres, soient portées
à la connaissance de la Commission.
- 505.
- Le Tribunal estime, en conséquence, que les entreprises ont violé les règles de
concurrence du traité tout en dressant un écran destiné à les protéger de la
vigilance des fonctionnaires de la DG III chargés de la surveillance du marché.
Elles ne sauraient, dès lors, exciper de la prétendue connaissance que ceux-ci
auraient eue, ou auraient dû avoir, de leurs pratiques pour s'affranchir de leur
obligation de respect de l'article 65, paragraphe 1, du traité.
- 506.
- En tout état de cause, les dispositions de l'article 65, paragraphe 4, du traité, qui
déclarent «nuls de plein droit» les accords ou décisions interdits en vertu du
paragraphe 1, ont un contenu objectif et s'imposent tant aux entreprises qu'à la
Commission, qui ne saurait en exonérer ces dernières (voir l'avis 1/61 de la Cour,
précité). Dans ces circonstances, une tolérance ou un laxisme administratif ne
saurait affecter le caractère infractionnel d'une violation de l'article 65, paragraphe
1, du traité (arrêts Lucchini/Commission et Bertoli/Commission, précités).
- 507.
- Il en va tout particulièrement ainsi lorsque la tolérance en cause, à la supposer
même établie, émane de la direction générale de la Commission chargée des
affaires industrielles, et non de celle chargée des affaires de concurrence. Si les
entreprises avaient le moindre doute sur la légalité de leurs comportements, il leur
incombait de prendre contact avec les services de la DG IV pour clarifier la
situation.
- 508.
- La lettre du président d'Eurofer à M. Davignon du 8 février 1983 (point 11 ci-dessus) n'est évidemment pas de nature à les exonérer de leur responsabilité pour
des comportements remontant à une autre époque et soumis à un régime
radicalement différent. Elle ne saurait davantage faire peser sur la Commission une
obligation implicite de réagir immédiatement au moindre soupçon de
comportement anticoncurrentiel. En tout état de cause, ladite lettre est fondée sur
la prémisse que la Commission était «informée scrupuleusement» de «tous les
détails» des pratiques d'Eurofer, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.
Sur la licéité des activités reprochées à la partie requérante au regard, notamment,
des articles 46 à 48 du traité
- 509.
- Le Tribunal a déjà constaté que les dispositions des articles 46 à 48 du traité
n'autorisaient pas la conclusion des accords et pratiques concertées dont il est
question en l'espèce (points 258 à 262 ci-dessus).
- 510.
- Par ailleurs, les requérantes ont reconnu elles-mêmes, notamment dans leur
plaidoirie commune, en se référant à l'avis du Pr Reuter, que, si les mesures
adoptées par la Commission dans le cadre de ces articles, en «collaboration» avec
les intéressés et avec leur accord, «constituent manifestement des pratiques
concertées», c'est uniquement dans la mesure où «la Haute Autorité fait partie du
concert et même le dirige» qu'elles ne tombent pas sous le coup de l'article 65 du
traité.
- 511.
- De même, dans la présentation orale qu'il a faite à l'audience au nom des
requérantes, le Pr Steindorff a indiqué, à propos des échanges d'informations entre
entreprises intervenus en préparation des réunions avec la Commission, que de tels
échanges préalables n'échappent à l'interdiction de l'article 65, paragraphe 1, du
traité que pour autant que ce soit la Commission qui les dirige. Selon le Pr
Steindorff, les entreprises doivent agir de bonne foi et penser que, dans ces
échanges, elles ne font que préparer la discussion avec la Commission qui, elle,
travaille dans le cadre de l'article 46 du traité.
- 512.
- Le Tribunal estime que tel n'a pas été le cas en l'espèce. Au contraire, il ressort
du dossier que, lorsqu'elles ont réalisé que la Commission n'entendait plus exercer
aucune action pour maintenir la stabilité des courants traditionnels des échanges,
les entreprises visées par la Décision ont choisi de se substituer à elle et ontcommencé à agir en cartel privé. C'est ainsi que, après l'expiration du système des
quotas, le 30 juin 1988, les entreprises en cause se sont efforcées de remplacer les
mécanismes publics mis en place pendant le régime de crise par des mesures
privées adoptées conjointement, notamment dans le cadre de la commission
poutrelles.
- 513.
- Cette réaction n'était nullement requise, et n'a nullement été provoquée, ou
suscitée, par le régime de surveillance et de consultation instauré par la DG III
après juillet 1988.
- 514.
- Par ailleurs, le Tribunal constate que les infractions, et notamment les échanges
d'informations mis en cause dans la Décision, étaient secrètes et qu'il n'existe aucun
indice de nature à établir que les acheteurs, les autres producteurs ou la
Commission en auraient été informés. Au contraire, les éléments du dossier déjà
analysés indiquent que les entreprises ont pris soin de dissimuler leurs agissements
à la Commission, au point notamment d'organiser une réunion spéciale des
commissions d'Eurofer consacrée à la rédaction des procès-verbaux des réunions.
- 515.
- Force est, dès lors, de conclure que, au sortir du régime de crise manifeste, les
producteurs de poutrelles mis en cause dans la Décision, agissant de concert et à
l'encontre de la volonté expresse de la Commission, exprimée notamment dans le
communiqué de presse du 4 mai 1988 relatif à l'affaire acier inoxydable, ont
secrètement substitué à la gestion publique du secteur leur propre système
d'organisation collective du marché, dans le but de prévenir ou d'atténuer les effets
du jeu normal de la concurrence. Un tel comportement est interdit par l'article 65,
paragraphe 1, du traité.
- 516.
- Par ailleurs, la question de savoir si des entreprises se livreraient à une pratique
concertée interdite par l'article 65, paragraphe 1, du traité en se bornant à une
discussion générale et à un échange mutuel d'intentions en matière de prix, du type
décrit par M. Kutscher, afin d'informer la Commission des tendances du marché,
n'est pas pertinente aux fins du présent arrêt. En premier lieu, en effet, tel n'était
pas l'objectif des accords et pratiques concertées litigieux. En deuxième lieu, la
Commission n'a pas incriminé ce type de comportements dans la Décision. En
troisième lieu, dans le cas d'espèce, les contacts entre producteurs préalables aux
échanges de vues avec la Commission sur les principaux paramètres et les
tendances du marché n'impliquaient nullement la perpétration des infractions
constatées dans la Décision. Enfin, dans la mesure où les requérantes n'ont pas
dévoilé leurs agissements à la Commission en toute franchise, elles ne sauraient
prétendre échapper à l'interdiction de l'article 65, paragraphe 1, du traité.
- 517.
- Il y a donc lieu de rejeter l'ensemble des moyens et arguments des requérantes
tirés des activités de la DG III, invoqués au soutien des conclusions tendant à
l'annulation de l'article 1er de la Décision.
D Sur le détournement de pouvoir
- 518.
- Lors d'une présentation commune faite à l'audience, les requérantes ont soulevé
un moyen tiré d'un détournement de pouvoir en ce que, au lieu d'exercer ses
responsabilités au titre du traité, et notamment de son article 58, la Commission
aurait entendu «contraindre» les producteurs à procéder aux restructurations
qu'elle-même jugeait indispensables et aurait «sanctionné» leur refus par
l'imposition de lourdes amendes dans la Décision, adoptée le lendemain de la
rupture des négociations en question.
- 519.
- Or, la requérante n'a pas avancé de moyen tiré d'un détournement de pouvoir dans
ses mémoires écrits. Aucun élément nouveau de nature à établir un détournement
de pouvoir n'ayant été révélé au cours de la procédure devant le Tribunal, ce grief
doit être rejeté comme irrecevable en ce qui concerne la requérante.
Sur la demande subsidiaire, tendant à l'annulation de l'article 4 de la Décision ou,
à tout le moins, à la réduction du montant de l'amende
Observations liminaires
- 520.
- L'article 4 du dispositif de la Décision inflige à la requérante une amende de
4 000 000 écus pour les infractions décrites à l'article 1er. Les critères pris en
compte pour déterminer le niveau général des amendes et le montant des amendes
individuelles figurent, respectivement, aux points 298 à 317 et 319 à 324 de la
Décision.
- 521.
- En réponse aux questions du Tribunal, la Commission a donné certaines
explications quant au mode de calcul des amendes et a produit divers tableaux
explicitant ce calcul pour chacune des entreprises concernées (voir l'annexe 6 à sa
réponse du 19 janvier 1998, sa réponse du 20 février 1998 et les tableaux produits
le 19 mars 1998).
- 522.
- Il ressort de ces éléments que la Commission a déterminé l'amende en fonction
d'un «taux de base» représentant 7,5 % des ventes communautaires de poutrelles
de l'entreprise concernée au cours de l'année 1990. Ce pourcentage est réparti
entre les trois types d'infraction visés au point 300 de la Décision, selon la clé
suivante: fixation de prix: 3 %, dont 2,5 % pour les ententes sur les prix de base
et 0,5 % pour celles portant harmonisation des suppléments; répartition des
marchés: 3 %; échanges d'informations: 1,5 %.
- 523.
- La Commission a pondéré ces pourcentages en fonction, notamment, de la durée
et de la portée géographique de chaque infraction.
- 524.
- Ainsi, pour moduler les amendes en fonction de la durée de chaque infraction, la
Commission a appliqué un coefficient obtenu en divisant le nombre de mois
effectifs retenus à titre de période infractionnelle par le nombre maximal de 30
mois, sauf en ce qui concerne les accords d'harmonisation des prix des
suppléments. De même, pour moduler les amendes en fonction de la portée
géographique de chaque infraction, dans la mesure où certaines infractions portent
uniquement sur un ou plusieurs marchés nationaux, la Commission a appliqué un
pourcentage correspondant à la part revenant au(x) marché(s) en cause dans la
consommation apparente communautaire totale (Allemagne: 21 %; France: 17 %;
Royaume-Uni: 17 %; Espagne: 15 %; Italie: 14 %; Pays-Bas: 7 %; Union
économique belgo-luxembourgeoise: 6 %; Danemark: 2 %).
- 525.
- A chaque infraction ont ensuite été appliqués, le cas échéant, certains coefficients
de majoration ou de réduction visant à tenir compte d'éventuelles circonstances
aggravantes ou atténuantes. C'est ainsi que l'amende infligée à la requérante au
titre de l'harmonisation des suppléments, qui n'est pas modulée en fonction de la
durée de l'infraction, a néanmoins été réduite de 60 % pour tenir compte du fait
que Cockerill-Sambre avait quitté le marché à la fin de l'année 1989.
- 526.
- Enfin, le montant total issu du calcul détaillé ci-dessus a été majoré d'un tiers, dans
le cas de Thyssen, de British Steel et d'Unimétal, pour cause de «récidive».
- 527.
- D'après la réponse de la Commission du 19 mars 1998, l'amende de la requérante
a été calculée comme suit, sur la base d'un chiffre d'affaires pertinent de 132
millions d'écus:
a) Accords de fixation de prix
|
|
|
|
|
|
|
Millions écus
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Commission poutrelles
|
132
|
x
|
2,5 %
|
|
|
x
|
18/30
|
1,9800
|
Marché danois
|
132
|
x
|
2,5 %
|
x
|
2 %
|
x
|
12/30
|
0,0264
|
Harmonisation des
suppléments
|
132
|
x
|
0,5 %
|
|
|
|
|
0,6600
|
Circonstance atténuante
|
- 60%
|
|
|
|
|
|
(0,3960)
|
|
|
|
|
|
|
|
Total
|
2,2704
|
b) Accords de répartition de marchés
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Méthodologie Traverso
|
132
|
x
|
3%
|
|
|
x
|
3/30
|
0,3960
|
Marché français
|
132
|
x
|
3%
|
x
|
17%
|
x
|
3/30
|
0,0673
|
Marché italien
|
132
|
x
|
3%
|
x
|
15%
|
x
|
3/30
|
0,0594
|
|
|
|
|
|
|
|
Total
|
0,5227
|
c) Échange d'informations
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Infraction de base
|
132
|
x
|
1,5%
|
|
|
x
|
18/30
|
1,1880
|
|
|
|
|
|
|
|
Total
|
1,1880
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Total a)+b)+c)
|
|
|
|
|
|
|
|
3,9811
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Montant final de
l'amende
|
|
|
|
|
|
|
|
4,0000
|
Résumé sommaire de l'argumentation des parties
- 528.
- La requérante fait valoir que l'amende que lui inflige la Décision n'est pas fondée
et invoque, à cet égard, outre un défaut de motivation, quatre arguments.
- 529.
- Elle soutient, en premier lieu, que les éléments sur lesquels la Commission s'est
appuyée, aux points 300 et 303 de la Décision, pour justifier la gravité des
infractions, et par conséquent l'imposition de lourdes amendes, sont sans
fondement.
- 530.
- Tout d'abord, en admettant même qu'il ait existé, entre les principaux producteurs
de poutrelles, une coopération contraire à l'article 65, paragraphe 1, du traité, la
requérante expose que cette coopération a évolué au cours des années et que sa
portée s'est constamment réduite. Pendant la période courant du milieu de l'année
1988 à la fin de l'année 1989, l'unique préoccupation des entreprises aurait été de
maintenir, après une longue période de déséquilibre, l'équilibre entre l'offre et la
demande. Leur comportement n'aurait donc pas eu pour objet une restriction de
concurrence, sous quelque forme que ce soit.
- 531.
- S'agissant, ensuite, de l'effet de ces pratiques, et plus particulièrement des
avantages économiques que les participants auraient tirés des accords de fixation
de prix, la requérante soutient que la Commission n'apporte aucune preuve d'une
hausse artificielle des prix. Pendant la période allant du 1er janvier 1985 au 31
décembre 1989, les volumes de livraison et les prix des poutrelles sur les marchés
communautaires auraient en réalité évolué de façon concurrentielle, de sorte que,
à supposer même qu'il y ait eu des accords et pratiques restrictifs, ceux-ci
n'auraient guère eu de succès. Cette période se serait caractérisée par une
tendance à la réduction de la part des entreprises communautaires sur leurs
marchés nationaux respectifs, avec une augmentation corrélative des
interpénétrations communautaires, ainsi que par une orientation générale des prix
à la baisse.
- 532.
- En deuxième lieu, la requérante considère que la Commission ne pouvait appliquer
dans la présente affaire une politique différente de celle suivie dans l'affaire acier
inoxydable, dans laquelle les amendes avaient été considérablement réduites en
raison des doutes pouvant exister «sur les effets de l'article 65» du traité, et ce,
bien que les produits en cause n'aient jamais été soumis au régime de crise
manifeste. Selon la requérante, il aurait fallu a fortiori tenir compte d'un
«argument de proximité» similaire à l'égard de produits qui, comme en l'espèce,
avaient été soumis à un tel régime et venaient à peine d'en sortir, dans des
circonstances où la Commission considérait toujours le secteur des poutrelles
comme touché par une grave crise structurelle et où, loin de manifester un regain
d'intérêt pour une application littérale de l'article 65 du traité, elle proposait aux
entreprises de se concerter sur une réduction de leurs capacités, entraînant ainsi
une confusion dans leur chef quant à la portée de cet article, dont le paragraphe
1 vise expressément les accords portant restriction de la production. La requérante
relève également que la durée de sa participation, telle qu'alléguée dans la
Décision, est nettement plus brève que celle retenue à l'encontre des parties en
cause dans l'affaire acier inoxydable.
- 533.
- La requérante ajoute que, même s'il fallait considérer que la décision acier
inoxydable a clarifié la portée de l'article 65 du traité pour ce qui est des pratiques
concernées par la présente Décision, aucune amende ne devrait être imposée pour
la période précédant ladite décision.
- 534.
- En troisième lieu, pour le cas où le Tribunal accepterait l'argument de la
Commission, selon lequel la politique d'alignement des règles de concurrence du
traité CECA sur celles du traité CE était claire dès le mois de juillet 1988, la
requérante soutient que l'amende sanctionne alors un comportement directement
postérieur à une prétendue clarification de la portée de l'article 65 du traité, après
que la Commission eut, pendant plusieurs années, donné à tout le moins
l'impression de retenir une interprétation souple de cette disposition. Selon la
requérante, la sanction aurait dès lors dû être comparable à celles imposées pour
violation de l'article 85 du traité CEE dans les années 1970, lorsqu'il fut tenu
compte des difficultés des entreprises à s'adapter à des dispositions réglementaires
dont la portée leur était mal connue en raison de leur introduction récente.
- 535.
- A cet égard, et à supposer établis, pour les besoins de l'argumentation, les
différents griefs invoqués par la Commission, la procédure d'application de l'article
85 du traité CE offrant le plus de similitudes avec la présente affaire serait celle
relative aux affaires «polypropylène». La requérante relève que, dans ces affaires,
les amendes imposées furent nettement inférieures à celles infligées dans la
présente espèce, alors que la durée des infractions prises en compte pour leur
calcul était plus de deux fois supérieure à celle retenue à l'encontre des entreprises
sidérurgiques, et que les entreprises en cause avaient disposé d'une période bien
plus longue pour adapter leur comportement à la pratique administrative de la
Commission.
- 536.
- Ces données démontreraient que la Commission n'a pas correctement transposé
au cas d'espèce, en tenant compte de ses spécificités, les principes qu'elle prône,
et la pratique qu'elle suit, en matière d'imposition d'amendes pour violation de
l'article 85 du traité CE.
- 537.
- En quatrième lieu, enfin, la requérante fait état de trois éléments du dossier qui
permettraient d'établir que, en tout état de cause, le montant de l'amende qui lui
a été imposée est disproportionné par rapport aux manquements qui lui sont
reprochés.
- 538.
- Le premier élément serait l'absence, en ce qui la concerne, de toute circonstance
aggravante. A cet égard, la Commission n'établirait pas que la requérante a, en
pleine connaissance de cause, violé l'article 65 du traité pendant la période
concernée. Les éléments de preuve repris au point 307 de la Décision, qui
établiraient que certaines entreprises savaient que leurs comportements étaient
constitutifs d'une violation dudit article, ne la concerneraient en aucune façon.
- 539.
- Le deuxième élément serait l'absence de participation de la requérante à une série
de pratiques qui lui sont reprochées par la Commission. La requérante ajoute que,si le Tribunal devait néanmoins retenir sa participation à une infraction à l'article
65, paragraphe 1, du traité jusqu'à la fin de l'année 1989, il devrait tenir compte
non seulement de ce que la durée de l'infraction est plus courte que celle
reprochée à d'autres entreprises, mais aussi du fait que cette infraction a été
commise au moment où la confusion sur la portée reconnue par la Commission à
l'article 65 du traité était la plus grande.
- 540.
- Le troisième élément serait l'existence de preuves démontrant le comportement
concurrentiel, et même agressif d'après ses concurrents, de Cockerill-Sambre sur
le marché. Ce serait à tort, et en contradiction avec la pratique de la Commission
elle-même, que celle-ci refuserait d'en tenir compte.
- 541.
- En dehors de ces considérations générales, la requérante souligne la coopération
dont elle aurait fait preuve dans le contexte de l'enquête menée par la Commission.
Bien qu'ayant arrêté toute activité dans le secteur concerné et ayant complètement
restructuré ses services près de deux ans avant la réception de la demande de
renseignements de la Commission, elle se serait livrée à un examen détaillé de ses
archives et aurait obtenu l'assistance de l'organisme financier qui, à l'époque,
intervenait dans le paiement des frais de voyage des employés du groupe afin de
pouvoir répondre aussi complètement que possible aux questions posées.
- 542.
- Lors de leur plaidoirie commune à l'audience, les requérantes ont de surcroît fait
valoir que:
a) la Commission n'aurait pas suffisamment exposé dans quelle mesure les
comportements litigieux ont eu un effet anticoncurrentiel, alors que l'article
65 du traité requiert la preuve d'un tel effet. En particulier, les explications
données aux points 302 et 303 de la Décision, à propos des bénéfices
supplémentaires prétendument obtenus en conséquence des hausses de prix
convenues, seraient contredites par celles avancées par M. Kutscher dans
son témoignage. Selon ce dernier, en effet, de telles hausses pouvaient
procéder de la situation conjoncturelle de l'époque;
b) la Commission aurait dû tenir compte, à titre de circonstances atténuantes,
d'une part, du fait que les comportements litigieux ne visaient pas à
restreindre la production, le développement technique ou les
investissements, au sens de l'article 65, paragraphe 5, du traité et, d'autre
part, des différences entre le traité CECA et le traité CE;
c) la Commission aurait à tort infligé une amende distincte pour les systèmes
d'échange d'informations, dès lors que, devant le Tribunal, ceux-ci ont été
qualifiés d'accessoires à d'autres infractions;
d) la Commission aurait, sans justification, infligé des amendes d'un niveau
général supérieur à celui choisi dans sa décision acier inoxydable et dans sa
décision 94/815/CE, du 30 novembre 1994, relative à une procédure
d'application de l'article 85 du traité CE (affaire IV/33.126 et 33.322
Ciment) (JO L 343, p. 1, ci-après «décision Ciment» ou «affaire Ciment»);
e) la Commission aurait doublement appliqué, une première fois à l'échelle
communautaire et une seconde fois à l'échelle des divers marchés nationaux,
les taux partiels attribués aux divers éléments d'infraction concernant, d'une
part, les accords de fixation de prix et, d'autre part, les accords de
répartition des marchés, de sorte que le taux de base effectif de l'amende
serait de 13 % et non pas, comme elle le prétend, de 7,5 %.
Appréciation du Tribunal
- 543.
- Selon l'article 65, paragraphe 5, du traité:
«La Commission peut prononcer contre les entreprises qui auraient conclu un
accord nul de plein droit, appliqué ou tenté d'appliquer, [...] un accord ou une
décision nuls de plein droit [...] ou qui se livreraient à des pratiques contraires aux
dispositions du paragraphe 1, des amendes et astreintes au maximum égales au
double du chiffre d'affaires réalisé sur les produits ayant fait l'objet de l'accord, de
la décision ou de la pratique contraires aux dispositions du présent article, sans
préjudice, si cet objet est de restreindre la production, le développement technique
ou les investissements, d'un relèvement du maximum ainsi déterminé à concurrence
de 10 % du chiffre d'affaires annuel des entreprises en cause, en ce qui concerne
l'amende, et de 20 % du chiffre d'affaires journalier, en ce qui concerne les
astreintes.»
Sur la motivation générale de la Décision en ce qui concerne l'amende
- 544.
- Il ressort de la jurisprudence que la motivation prescrite par l'article 15 du traité
doit, d'une part, permettre à l'intéressé de connaître les justifications de la mesure
prise, afin de faire valoir, le cas échéant, ses droits et de vérifier si la décision est
ou non bien fondée, et, d'autre part, mettre le juge communautaire à même
d'exercer son contrôle. L'exigence de motivation doit être appréciée en fonction des
circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte en cause, de la nature
des motifs invoqués et du contexte dans lequel il a été adopté (arrêt du Tribunal
du 24 septembre 1996, NALOO/Commission, T-57/91, Rec. p. II-1019, points 298
et 300).
- 545.
- Pour ce qui est d'une décision infligeant des amendes à plusieurs entreprises pour
une infraction aux règles communautaires de la concurrence, la portée de
l'obligation de motivation doit être notamment appréciée à la lumière du fait que
la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre
d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son
contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste
contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte
(ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C-137/95 P, Rec.
p. I-1611, point 54). En outre, lors de la fixation du montant de chaque amende,
la Commission dispose d'un pouvoir d'appréciation et elle ne saurait être
considérée comme tenue d'appliquer, à cet effet, une formule mathématique
précise (arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150/89, Rec.
p. II-1165, point 59).
- 546.
- En l'espèce, le Tribunal estime que la Décision contient, aux points 300 à 312, 314
et 315, un exposé suffisant et pertinent des facteurs pris en compte pour juger de
la gravité, en général, des différentes infractions constatées. Ces indications sont
d'ailleurs complétées, en ce qui concerne chacune des infractions retenues à
l'article 1er de la Décision, par la description détaillée qui en est faite aux points 30
à 205 ainsi que par l'appréciation juridique exposée aux points 210 à 296.
- 547.
- La Commission a, par ailleurs, conclu, au point 314 de la Décision, à l'existence
d'une infraction de longue durée, qualification que la requérante n'a pas contestée
en tant que telle. L'article 1er de la Décision détaille la durée prise en compte pour
chaque infraction et exprime ainsi le principe selon lequel les amendes partielles
correspondant aux différentes infractions sont ventilées en fonction de la durée de
celles-ci. Le Tribunal estime qu'il s'agit là d'une motivation suffisante.
- 548.
- Le Tribunal a précisé, dans son arrêt du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission (T-148/89, Rec. p. II-1063, point 142), qu'il était souhaitable que les entreprises afin
de pouvoir arrêter leur position en toute connaissance de cause puissent
connaître en détail, selon tout système que la Commission jugerait opportun, le
mode de calcul de l'amende qui leur a été infligée par une décision pour infraction
aux règles de concurrence, sans être obligées, pour ce faire, d'introduire un recours
juridictionnel contre ladite décision.
- 549.
- Il en va d'autant plus ainsi lorsque, comme en l'espèce, la Commission a utilisé des
formules arithmétiques détaillées aux fins du calcul des amendes. Dans un tel cas,
il est souhaitable que les entreprises concernées et, le cas échéant, le Tribunal,
soient mis en mesure de contrôler que la méthode employée et les étapes suivies
par la Commission sont exemptes d'erreurs et compatibles avec les dispositions et
principes applicables en matière d'amendes, et notamment avec le principe de non-discrimination.
- 550.
- Il y a toutefois lieu de relever que de telles données chiffrées, fournies à la
demande d'une partie, ou du Tribunal, en application des articles 64 et 65 du
règlement de procédure, ne constituent pas une motivation supplémentaire et a
posteriori de la Décision, mais la traduction chiffrée des critères énoncés dans la
Décision lorsque ceux-ci sont eux-mêmes susceptibles d'être quantifiés.
- 551.
- En l'espèce, bien que la Décision ne comporte pas d'indications relatives au calcul
de l'amende, la Commission a fourni en cours d'instance, à la demande du
Tribunal, les données chiffrées relatives, notamment, à la ventilation de l'amende
entre les différentes infractions mises à charge des entreprises.
- 552.
- Il en résulte que les arguments de la requérante tirés d'un défaut général de
motivation doivent être rejetés.
Sur l'incidence économique des infractions
- 553.
- L'argument de la requérante, selon lequel les pratiques incriminées en l'espèce
n'ont eu aucun effet sur le marché, est à rapprocher de l'argument d'autres
requérantes dans les affaires parallèles, qui reprochent également à la Commission,
en substance, de ne pas avoir sérieusement étudié les effets économiques du cartel
sur le marché et de s'être fondée sur de simples conjectures, alors que la
Commission serait tenue d'examiner les incidences économiques des infractions
pour en apprécier la gravité et de prendre en compte, le cas échéant, le caractère
limité de ces incidences (arrêts de la Cour du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico
Italiano et Commercial Solvents/Commission, 6/73 et 7/73, Rec. p. 223, points 51
et suivants, et du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73,
50/73, 54/73, 55/73, 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, points 614 et
suivants), surtout dans le cadre d'un marché réglementé comme celui de la CECA.
- 554.
- Dans leur plaidoirie commune consacrée à cet aspect de l'affaire, les requérantes
ont combiné cette argumentation avec la thèse selon laquelle l'article 65,
paragraphe 5, du traité ne viserait que les comportements ayant un effet
anticoncurrentiel, et non pas ceux ayant seulement un tel objet.
- 555.
- Les requérantes se sont également référées au témoignage de M. Kutscher selon
lequel, en période de conjoncture économique favorable, comme c'était le cas entre
1988 et 1990, il est normal et quasiment automatique de voir les prix des
entreprises augmenter, chacune d'elles cherchant à profiter des hausses décidées
par ses concurrentes, de sorte qu'il ne pouvait être inféré des profits réalisés à
l'époque par les entreprises que celles-ci se concertaient sur les prix. Selon les
requérantes, ce témoignage contredit les développements exposés aux points 302
à 304 de la Décision.
- 556.
- Comme le Tribunal l'a déjà indiqué (points 213 et 217 ci-dessus), il n'est pas
nécessaire, pour constater une infraction à l'article 65, paragraphe 1, du traité,
d'établir que le comportement en cause a eu un effet anticoncurrentiel. Il en va de
même en ce qui concerne l'imposition d'une amende au titre de l'article 65,
paragraphe 5, du traité.
- 557.
- Il s'ensuit que l'effet qu'a pu avoir un accord ou une pratique concertée sur le jeu
normal de la concurrence n'est pas un critère déterminant dans l'appréciation du
montant adéquat de l'amende. Comme l'a relevé à juste titre la Commission, des
éléments relevant de l'aspect intentionnel, et donc de l'objet d'un comportement,
peuvent en effet avoir plus d'importance que ceux relatifs à ses effets (voir les
conclusions du juge M. Vesterdorf, faisant fonction d'avocat général sous les arrêts
polypropylène, Rec. 1991, p. II-1022 et suivants), surtout lorsqu'ils ont trait à des
infractions intrinsèquement graves, telles que la fixation des prix et la répartitiondes marchés. Le Tribunal estime que ces éléments sont présents en l'espèce.
- 558.
- La partie défenderesse reconnaît toutefois que l'appréciation des effets d'une
infraction peut être pertinente, en matière d'amendes, lorsque la Commission se
fonde expressément sur un effet et ne parvient pas à le prouver ou à fournir de
bonnes raisons d'en tenir compte (voir, également en ce sens, les conclusions du
juge M. Vesterdorf, faisant fonction d'avocat général, sous les arrêts polypropylène,
Rec. p. II-1023).
- 559.
- A cet égard, la Commission a expliqué, aux points 222 et 293 de la Décision, que
les entreprises en cause représentaient une grande partie du marché
communautaire des poutrelles, tous les grands producteurs étant impliqués, et que
l'effet des infractions était dès lors loin d'être négligeable. La
Commission s'est
également référée, notamment au point 222, aux propres documents des
producteurs, qui reflètent leur opinion, selon laquelle les hausses de prix dont il est
question avaient été acceptées par les consommateurs. Au point 303 de la Décision,
la Commission a chiffré l'augmentation totale des recettes ainsi obtenue à au moins
20 millions d'écus pour les deux premiers trimestres de 1989.
- 560.
- Dans ces circonstances, le Tribunal estime que la Commission a pu légitimement
tenir compte de l'incidence économique appréciable des infractions sur le marché
lors du calcul de l'amende.
- 561.
- Toutefois, il y a lieu de relever que, dans son témoignage à l'audience, M.
Kutscher, qui a acquis une expérience considérable du secteur de l'acier dans ses
fonctions à la DG III, a exprimé l'avis selon lequel des hausses de prix de l'ordre
de grandeur de celles constatées en l'espèce sur le marché, à l'époque des faits,
étaient normalement à attendre, vu la conjoncture économique favorable de
l'époque. M. Kutscher a indiqué que cet état de fait était l'une des raisons pour
lesquelles il n'avait pas soupçonné l'existence d'un cartel organisé par les
producteurs.
- 562.
- Force est de constater, en outre, que la méthode de travail adoptée par la
Commission dans le cadre de la préparation des programmes prévisionnels et du
régime de surveillance de la décision n° 2448/88 a amené les entreprises à devoir
se réunir préalablement à leurs réunions avec la DG III et à échanger leurs vues
sur la situation économique du marché et les tendances futures, notamment en
matière de prix, afin de pouvoir en présenter une synthèse à la DG III. De telles
réunions préparatoires, impliquant les principaux responsables commerciaux des
entreprises concernées, étaient d'ailleurs nécessaires à la réussite du régime de
surveillance, la Commission n'étant pas elle-même en mesure de recueillir et de
faire analyser, en temps utile, les données individuelles fournies par les entreprises,
ainsi que M. Kutscher l'a confirmé à l'audience. Il est également constant que les
données fournies par les entreprises lors de ces réunions étaient utiles à la DG III,
notamment aux fins de la préparation des programmes prévisionnels.
- 563.
- Il ressort par ailleurs du témoignage de M. Kutscher que, à l'époque, la DG III
voyait d'un assez bon oeil que, après une longue période de pertes, l'industrie
sidérurgique, encore fragile, renoue avec les bénéfices, réduisant ainsi le risque d'un
retour au régime de crise manifeste.
- 564.
- Le Tribunal estime que, en se comportant de la sorte dans le cadre du régime de
surveillance, entre le milieu de l'année 1988 et la fin de 1990, la DG III a introduit
une certaine ambiguïté dans la portée du concept de «jeu normal de la
concurrence» au sens du traité CECA. Même s'il n'est pas nécessaire, aux fins du
présent arrêt, de se prononcer sur la question de savoir jusqu'à quel point les
entreprises pouvaient échanger des données individuelles en vue de préparer des
réunions de consultation avec la Commission sans, de ce fait, enfreindre l'article 65,
paragraphe 1, du traité, tel n'étant pas l'objet des réunions de la commission
poutrelles, il n'en demeure pas moins que les effets des infractions commises en
l'espèce ne peuvent pas être déterminés en comparant simplement la situation
découlant des accords restrictifs de la concurrence avec celle qui aurait existé en
l'absence de toute prise de contact entre les entreprises. En l'espèce, il est plus
pertinent de comparer la situation découlant des accords restrictifs de la
concurrence, d'une part, et la situation envisagée et acceptée par la DG III, dans
laquelle les entreprises étaient censées se réunir et engager des discussions
généralisées, notamment à propos de leurs prévisions de prix futurs, d'autre part.
- 565.
- A cet égard, on ne saurait exclure que, même en l'absence d'accords du type de
ceux qui ont été conclus en l'espèce au sein de la commission poutrelles, des
échanges de vues entre entreprises sur leurs «prévisions» de prix, du type de ceux
qui étaient considérés comme légitimes par la DG III, auraient pu faciliter
l'adoption, par les entreprises concernées, d'un comportement concerté sur le
marché. Ainsi, à supposer que les entreprises se soient bornées à un échange de
vues généralisé et non contraignant à propos de leurs attentes en matière de prix,
aux seules fins de préparer les réunions de consultation avec la Commission, et
aient dévoilé à celle-ci la nature précise de leurs réunions préparatoires, il n'est pas
exclu que de tels contacts entre entreprises, acceptés par la DG III, auraient pu
renforcer un certain parallélisme de comportement sur le marché, notamment en
ce qui concerne les hausses de prix provoquées, au moins partiellement, par la
conjoncture économique favorable de 1989.
- 566.
- Le Tribunal estime, dès lors, que, au point 303 de la Décision la Commission a
exagéré l'incidence économique des accords de fixation de prix constatés en
l'espèce par rapport au jeu de la concurrence qui aurait existé en l'absence de
telles infractions, eu égard à la conjoncture économique favorable et à la latitude
laissée aux entreprises pour mener des discussions généralisées en matière de
prévisions de prix, entre elles et avec la DG III, dans le cadre de réunions
régulièrement organisées par cette dernière.
- 567.
- En tenant compte de ces considérations, le Tribunal estime, dans le cadre de
l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, qu'il y a lieu de réduire de 15 %
l'amende infligée à la requérante au titre des divers accords et pratiques concertées
de fixation de prix. En revanche il n'y a pas lieu d'opérer la même réduction pour
les accords de répartition de marché ni pour les échanges d'informations sur les
commandes et les livraisons, auxquels les mêmes considérations ne s'appliquent pas.
Sur l'appréciation de la gravité des infractions
- 568.
- Dans la mesure où la requérante soutient que l'amende qui lui a été infligée est
excessive eu égard, d'une part, à la gravité des infractions commises et, d'autre
part, au comportement de la Commission, il convient tout d'abord de relever
qu'elle ne pouvait ignorer l'illégalité des comportements concernés, à tout le moins
après le 30 juin 1988, ainsi qu'il ressort des raisons exposées dans la partie C ci-dessus et, en particulier, des trois éléments de preuve spécifiquement mentionnés
au point 307 de la Décision. A cet égard, le Tribunal estime que les notes internes
respectivement rédigées par Usinor Sacilor, Peine-Salzgitter et Eurofer ne sont pas
invoquées à titre de circonstance aggravante spécifique à charge des trois
intéressées, mais tendent plutôt à démontrer, conjointement avec les points 305 et
306, que l'ensemble des entreprises destinataires de la Décision avaient conscience
d'enfreindre l'interdiction de l'article 65, paragraphe 1, du traité.
- 569.
- Il convient de rappeler encore une fois que les infractions que constituent des
accords de fixation de prix et de répartition de marchés, tels que ceux auxquels la
participation de la requérante a été dûment établie, sont explicitement visées à
l'article 65, paragraphe 1, du traité et présentent donc un caractère patent.
- 570.
- Quant aux échanges d'informations confidentielles, il résulte des appréciations du
Tribunal (voir points 346 et 348 ci-dessus) qu'ils avaient un objet analogue à une
répartition de marchés par référence aux flux traditionnels. La requérante ne
pouvait pas raisonnablement penser que de tels échanges ne relevaient pas de
l'article 65, paragraphe 1, du traité. Au contraire, le fait que les membres de la
commission poutrelles avaient conscience de leur illégalité peut être déduit du
double système de monitoring mis en place au sein d'Eurofer, dont l'un, portant sur
des données agrégées, a été spontanément porté à la connaissance de la DG III,
tandis que l'autre, portant sur des données individualisées, était réservé aux seules
entreprises participantes, dont la requérante (voir points 499 et suivants ci-dessus).
- 571.
- C'est à juste titre, dès lors, que la Commission a considéré que ces infractions
justifiaient l'imposition de lourdes amendes, au point 300 de la Décision.
- 572.
- Quant à l'argument que la requérante tire de son comportement prétendument
concurrentiel, voire agressif sur le marché, il convient de rappeler que le fait qu'une
entreprise, dont la participation à une concertation avec ses concurrents en matière
de prix est établie, ne se soit pas comportée sur le marché d'une manière conforme
à celle convenue avec ses concurrents ne constitue pas nécessairement un élément
devant être pris en compte, en tant que circonstance atténuante, lors de la
détermination du montant de l'amende à infliger (voir arrêts du Tribunal
Petrofina/Commission, précité, point 173, et du 14 mai 1998, Cascades/Commission,
T-308/94, Rec. p. II-925, point 230). En effet, une entreprise qui poursuit, malgré
la concertation avec ses concurrents, une politique plus ou moins indépendante sur
le marché peut simplement tenter d'utiliser l'entente à son profit. En l'espèce, les
éléments fournis par la requérante ne permettent pas de considérer que son
comportement réel sur le marché a été susceptible de contrarier les effets
anticoncurrentiels des infractions constatées.
- 573.
- Par ailleurs, le Tribunal a déjà constaté que la prétendue participation de la
Commission aux infractions reprochées à la requérante n'est nullement établie en
l'espèce (voir partie C ci-dessus). Le Tribunal a également constaté que la
Commission n'a pas «aligné» de manière illégale le traité CECA sur le traité CE,
et qu'elle n'était pas tenue de prévoir des mesures de transition particulières après
l'expiration du régime de crise le 30 juin 1988.
- 574.
- En outre, le Tribunal a constaté, dans la partie C ci-dessus, que le communiqué de
presse du 4 mai 1988 auquel se réfère le point 305 de la Décision constitue un
avertissement clair rappelant aux entreprises qu'elles étaient tenues de respecter
les dispositions de l'article 65, paragraphe 1, du traité. La Commission était en droit
de tenir compte de cette circonstance aux fins du calcul de l'amende.
- 575.
- Dans ces circonstances, le Tribunal estime, dans le cadre de l'exercice de sa
compétence de pleine juridiction, que la Commission n'a commis aucune erreur
dans son appréciation de la gravité des infractions en cause en l'espèce.
- 576.
- Il convient, par ailleurs, de rejeter l'argument selon lequel la Commission n'aurait
pas tenu compte de ce que l'étendue de la coopération entre entreprises s'est
progressivement réduite au fil du temps, de même que l'argument tiré de la plus
courte durée de l'infraction reprochée à la requérante, comparée à celle des
infractions commises par les autres entreprises en cause . En effet, l'amende
infligée à la requérante est, en principe, modulée en fonction de l'étendue
géographique et de la durée des diverses infractions retenues à sa charge, et tient
donc dûment compte tant de la durée plus limitée de sa participation que de laportée, variable dans le temps et dans l'espace, de la coopération entre entreprises.
Quant à l'amende infligée à la requérante au titre de l'harmonisation des
suppléments, il suffit de rappeler qu'elle a été réduite de 60 % pour tenir compte
du fait qu'elle a quitté le marché à la fin de l'année 1989.
- 577.
- Plus généralement, le Tribunal considère que les accords et pratiques concertées
de fixation de prix reprochés à la requérante, sur la base des constatations de fait
exposées aux points 80 à 105 et 223 à 231 de la Décision, s'insèrent dans le cadre
de réunions régulières et de contacts constants entre producteurs, qui ont été
l'occasion d'une coopération continue entre eux au sein de la commission
poutrelles. Il ressort également des procès-verbaux de ces réunions que les
participants ont eu en permanence des discussions collusoires sur les prix à
appliquer sur les principaux marchés communautaires.
- 578.
- C'est à juste titre, dès lors, que la Commission a constaté, au point 221 de la
Décision, que les intéressés se sont livrés à une collusion permanente dans le but,
notamment, de relever et d'harmoniser les prix dans les différents États membres
de la CECA, et, au point 242 de la Décision, que la responsabilité des accords et
pratiques concertées de fixation de prix au sein de la commission poutrelles décrits
dans la Décision doit être supportée par les entreprises pour toute la période au
cours de laquelle elles ont participé aux réunions et à la coopération qui y était
liée.
Sur l'amende infligée à la requérante pour sa participation aux systèmes d'échanges
d'informations
- 579.
- Pour les raisons exposées aux points 324 et suivants ci-dessus, le Tribunal a déjà
constaté que la participation de la requérante aux systèmes d'échange
d'informations décrits aux points 263 à 271 de la Décision doit être considérée
comme une infraction autonome à l'article 65, paragraphe 1, du traité. Il s'ensuit
que c'est à juste titre que la Commission a tenu compte de cette infraction distincte
dans le calcul de l'amende infligée à la requérante.
Sur la double application du taux de base retenu aux fins de l'amende
- 580.
- A l'audience, les requérantes ont fait valoir que la mise en oeuvre du taux de base
de 7,5 % du chiffre d'affaires a effectivement donné lieu à l'application d'un taux
de base réel de 13 %, à savoir 2,5 % pour les accords de prix au sein de la
commission poutrelles, plus 0,5 % pour l'harmonisation des suppléments, plus
2,5 % pour les accords de prix sur les divers marchés nationaux individuels, plus
3 % pour les accords de répartition de marchés conclus au sein de la commission
poutrelles, plus 3 % pour les accords de répartition des divers marchés nationaux,
plus 1,5 % pour l'échange d'informations.
- 581.
- Il ressort effectivement des indications fournies par la Commission en cours
d'instance que, comme l'ont fait valoir les requérantes, l'amende pouvait
théoriquement s'élever à 13 % du chiffre d'affaires, par suite de l'addition des
divers taux mentionnés au point 522 ci-dessus. Toutefois, dans ses calculs, la
Commission a également modulé le montant des amendes en fonction de la durée
et de l'étendue géographique de chaque infraction, de sorte que, dans la pratique,
les amendes infligées aux entreprises sont loin d'atteindre le taux de base de 7,5 %,
et plus encore un taux de 13 %. Par conséquent, l'argument des requérantes est
sans incidence sur le montant des amendes qui leur ont effectivement été infligées.
- 582.
- Dans ces conditions, à supposer même que certaines des infractions se chevauchent
partiellement (par exemple, les accords sur les prix au sein de la commission
poutrelles et certains accords de prix sur les différents marchés nationaux) et qu'il
y ait une relation entre certaines infractions (par exemple entre le monitoring des
commandes et des livraisons et certains accords de répartition de marché), le
Tribunal estime, dans le cadre de l'exercice de sa compétence de pleine juridiction,
qu'il n'y a pas lieu de réduire, à ce titre, l'amende infligée à la requérante, dès lors
que le montant global de l'amende, tel que fixé ci-après, constitue une sanction
appropriée pour l'ensemble des infractions en cause.
Sur le niveau général des amendes retenu par la Décision par rapport à d'autres
décisions CECA de la Commission et par rapport aux dispositions de l'article 65,
paragraphe 5, du traité
- 583.
- Dans sa requête et dans le cadre de la plaidoirie commune à l'audience, la
requérante s'est référée, pour contester le niveau général des amendes, à la
décision acier inoxydable. Cette argumentation ne saurait être retenue.
- 584.
- En premier lieu, les infractions prises en compte pour l'amende infligée dans la
décision acier inoxydable avaient toutes été commises au cours de la période de
crise manifeste. En deuxième lieu, les entreprises n'ont pas établi, en l'espèce, que
les fonctionnaires de la DG III avaient connaissance des comportements dénoncés
dans la Décision, de sorte que la circonstance atténuante correspondante, reconnue
dans la décision acier inoxydable, ne saurait être retenue dans la présente affaire.
En troisième lieu, compte tenu des divers avertissements adressés à l'industrie
sidérurgique au sortir de la période de crise et, notamment, du communiqué de
presse cité au point 305 de la Décision, il ne saurait être question, comme ce le fut
à l'époque de l'adoption de la décision acier inoxydable, d'un malentendu éventuel
sur la portée de l'article 65, paragraphe 1, du traité.
- 585.
- Il y a, par ailleurs, lieu de rejeter l'argument fondé sur les prétendues difficultés des
entreprises à s'adapter à des dispositions réglementaires dont la portée leur aurait
été mal connue en raison de leur introduction récente. D'une part, en effet, les
infractions consistant en la fixation de prix et en la répartition de marchés sont
expressément mentionnées à l'article 65, paragraphe 1, du traité. D'autre part, le
Tribunal a déjà relevé que les échanges d'informations réalisés en l'espèce avaient
un objet similaire à une répartition des marchés par référence aux flux traditionnels
et que les requérantes ne pouvaient ignorer leur illégalité.
- 586.
- Ne saurait davantage être retenu l'argument développé à l'audience, selon lequel
le niveau général des amendes est excessif eu égard aux différences entre le traité
CE et le traité CECA. Bien que certaines dispositions du traité CECA, notamment
l'article 60, restreignent par elles-mêmes le libre jeu de la concurrence, le plafond
absolu de 10 % du chiffre d'affaires annuel de l'entreprise en cause, prévu par
l'article 65, paragraphe 5, dudit traité pour les restrictions les plus graves à la
concurrence, est identique au plafond absolu prévu par l'article 15, paragraphe 2,
du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application
des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204). Le Tribunal rappelle, en outre,
que dans le cas d'espèce l'article 65, paragraphe 5, du traité permet d'infliger des
amendes pouvant atteindre le double du chiffre d'affaires relatif au produit
concerné.
- 587.
- Pour autant que, dans leur plaidoirie commune, les requérantes ont souligné le fait
que les infractions ne visaient pas à restreindre la production, le développement
technique ou les investissements, au sens de l'article 65, paragraphe 5, du traité, le
Tribunal constate que c'est à bon droit que la Commission n'en a pas tenu compte
en tant que circonstance atténuante. En effet, de telles restrictions ont, dans
l'économie de l'article 65, paragraphe 5, du traité, la fonction de circonstances
aggravantes permettant de dépasser le plafond normal du double du chiffre
d'affaires du produit concerné. Or, en l'espèce, l'amende est de loin inférieure à ce
plafond.
Sur la comparaison des amendes infligées par la Décision avec celles infligées par
la décision Ciment
- 588.
- Dans le cadre de la plaidoirie commune, il a également été soutenu que, dans la
décision Ciment, la Commission a infligé des amendes de l'ordre de 4 % du chiffre
d'affaires pour des infractions considérées comme graves et ayant duré dix ans. Les
requérantes en déduisent, sur la base d'une communication récente de la
Commission (Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application
de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l'article 65, paragraphe 5,
du traité CECA, JO 1998, C 9, p. 3, ci-après «lignes directrices») que, dans ladite
affaire Ciment, celle-ci a appliqué, avant de faire intervenir des augmentations liées
à la durée des infractions, une amende de base de 2 %. Or, sur la base du même
calcul, le taux de base s'élèverait, en l'espèce, à 6 %. Le montant des amendes doit
donc, selon les requérantes, être divisé par trois.
- 589.
- Le Tribunal estime qu'aucune comparaison directe ne saurait être opérée entre le
niveau général des amendes retenu dans la Décision et celui retenu dans la
décision Ciment.
- 590.
- En premier lieu, le calcul opéré dans la Décision, qui est antérieure aux lignes
directrices, n'a pas été effectué en recourant à la méthode qui y est prévue et qui
implique une amende de base et des augmentations en fonction de la durée.
- 591.
- En deuxième lieu, la décision Ciment est elle aussi antérieure auxdites lignes
directrices et n'indique pas qu'elle aurait suivi la méthode qu'elles prévoient.
- 592.
- En troisième lieu, le Tribunal estime que le cadre factuel et juridique du cas
d'espèce est trop éloigné de celui de l'affaire Ciment pour qu'une comparaison
détaillée entre les deux décisions soit utile aux fins de l'appréciation de l'amende
qui doit être infligée à la requérante en l'espèce.
Sur la prétendue coopération de la requérante avec la Commission au cours de la
procédure administrative
- 593.
- S'agissant de la prétendue «totale et particulière coopération» dont la requérante
aurait fait preuve au cours de l'enquête menée par la Commission, il y a tout
d'abord lieu de relever que, dans leur réponse du 7 novembre 1991 à une demande
de renseignements qui leur avait été adressée au titre de l'article 47 du traité, tant
la requérante que Steelinter ont affirmé ne disposer d'aucune liste des participants
aux réunions de la commission poutrelles et du groupe Eurofer/Scandinavie, ni
d'aucun des comptes rendus, procès-verbaux ou rapports relatifs à un certain
nombre de ces réunions, visés par la demande de la Commission, alors qu'il est
attesté par les éléments du dossier qu'elles recevaient régulièrement de tels
documents.
- 594.
- Il y a lieu de rappeler également que, hormis sa participation à certaines des
réunions en cause, la requérante n'a admis le bien-fondé d'aucune des allégations
de fait dirigées contre elle.
- 595.
- La Commission a estimé à bon droit que, en répondant de la sorte, la requérante
ne s'est pas comportée d'une manière justifiant la réduction de l'amende au titre
d'une coopération lors de la procédure administrative. En effet, une réduction à ce
titre n'est justifiée que si le comportement a permis à la Commission de constater
une infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d'y mettre fin (voir arrêt
Cascades/Commission, précité, points 255 et suivants).
- 596.
- Il résulte de ce qui précède que, sous réserve de ce qui sera dit ci-après, l'ensemble
des arguments de la requérante portant sur le montant des amendes doivent être
rejetés.
Sur l'exercice par le Tribunal de son pouvoir de pleine juridiction
- 597.
- Il convient de rappeler que le Tribunal a déjà annulé l'article 1er de la Décision en
ce qu'il constate la participation de la requérante à un accord de répartition dumarché italien (voir point 364 ci-dessus). L'amende infligée par la Commission pour
cette infraction a été évaluée à 59 400 écus.
- 598.
- Pour les raisons exposées aux points 402 et 411 ci-dessus, il y a par ailleurs lieu
d'exclure la période comprise entre le 1er juillet et le 31 décembre 1988 aux fins du
calcul de l'amende relative à l'infraction de fixation de prix sur le marché danois,
ce qui implique, dans le cas de la requérante, une réduction de l'amende de 13 200
écus, selon la méthodologie suivie par la Commission.
- 599.
- Enfin, pour les raisons exposées aux points 561 et suivants ci-dessus, le Tribunal
estime qu'il y a lieu de réduire de 15 % le montant total de l'amende infligée pour
les accords et pratiques concertées de fixation de prix, en raison du fait que la
Commission a, dans une certaine mesure, exagéré les effets anticoncurrentiels des
infractions constatées. En tenant compte des réductions déjà évoquées en ce qui
concerne les accords de prix sur le marché danois, cette réduction s'élève à 338 600
écus, selon la méthode de calcul utilisée par la Commission.
- 600.
- En application de la méthodologie de la Commission, l'amende infligée à la
requérante devrait donc être réduite de 411 200 écus.
- 601.
- Par nature, la fixation d'une amende par le Tribunal, dans le cadre de l'exercice de
son pouvoir de pleine juridiction, n'est pas un exercice arithmétique précis. Par
ailleurs, le Tribunal n'est pas lié par les calculs de la Commission, mais doit
effectuer sa propre appréciation, en tenant compte de toutes les circonstances de
l'espèce.
- 602.
- Le Tribunal estime que l'approche générale retenue par la Commission pour
déterminer le niveau des amendes (points 522 et suivants ci-dessus) est justifiée par
les circonstances de l'espèce. En effet, les infractions consistant à fixer des prix et
à répartir des marchés, qui sont expressément interdites par l'article 65, paragraphe
1, du traité, doivent être considérées comme particulièrement graves dès lors
qu'elles comportent une intervention directe dans les paramètres essentiels de la
concurrence sur le marché concerné. De même, les systèmes d'échange
d'informations confidentielles reprochés à la requérante ont eu un objet analogue
à une répartition des marchés selon les flux traditionnels. Toutes les infractions
prises en compte aux fins de l'amende ont été commises, après la fin du régime de
crise, après que les entreprises eurent reçu des avertissements pertinents. Comme
le Tribunal l'a constaté, l'objectif général des accords et pratiques en cause était
précisément d'empêcher ou de fausser le retour au jeu normal de la concurrence,
qui était inhérent à la disparition du régime de crise manifeste. En outre, les
entreprises avaient connaissance de leur caractère illégal et les ont sciemment
cachés à la Commission.
- 603.
- Compte tenu de tout ce qui précède, d'une part, et, de la prise d'effet, à compter
du 1er janvier 1999, du règlement (CE) n° 1103/97 du Conseil, du 17 juin 1997,
fixant certaines dispositions relatives à l'introduction de l'euro (JO L 162, p. 1),
d'autre part, le montant de l'amende doit être fixé à 3 580 000 euros.
Sur la demande tendant à l'annulation de la Lettre
- 604.
- Au soutien de ses conclusions tendant à l'annulation de la Lettre, dans la mesure
où celle-ci majore d'un point et demi le taux d'intérêt applicable en cas de
paiement échelonné lorsque le destinataire de la Décision introduit un recours
devant les juridictions communautaires, la requérante invoque une violation de ses
droits de la défense.
- 605.
- La Lettre accompagnant la Décision maintiendrait, en cas d'introduction d'un
recours devant les juridictions communautaires, la faculté, prévue à l'article 5 de
ladite Décision, de payer les amendes supérieures à 20 000 écus en cinq tranches
annuelles auxquelles s'ajoute un intérêt calculé au taux FECOM, mais majorerait
ce taux d'un point et demi. Les entreprises introduisant un recours seraient ainsi
soumises à des conditions plus sévères que celles qui s'appliquent aux entreprises
qui n'introduisent pas de recours. Une telle «sanction» serait de nature à paralyser
leurs droits, tout justiciable étant en droit d'introduire un recours contre une
décision dont il fait l'objet, sans être pénalisé de ce fait.
- 606.
- La défenderesse ayant expliqué que la différence de taux d'intérêt prévue par la
Lettre n'a aucun rapport avec l'éventuelle introduction d'un recours, mais
seulement avec la question de savoir si l'amende - ou la tranche - a ou non été
payée à l'échéance, la requérante réplique qu'il subsiste une différence de
traitement pour ce qui est de la période se situant entre la date d'exigibilité des
différentes tranches et le prononcé de l'arrêt définitif. Selon elle, l'entreprise aura
à payer, durant cette période, un taux d'intérêt variable et présentement
indéterminé (FECOM à la date d'exigibilité de la tranche + 1,5 %), alors que le
taux appliqué aux entreprises qui ne font pas usage de la possibilité de paiement
échelonné est fixe (7,75 %). Il s'agirait là d'un désavantage imposé aux entreprises
qui introduisent un recours et décident de faire usage des possibilités de paiement
échelonné.
- 607.
- Il ressort du libellé de l'article 5 de la Décision et de la Lettre, ainsi que des
explications fournies en cours d'instance par la partie défenderesse, qu'une
entreprise ayant choisi de payer l'amende par tranches et d'introduire un recours
est soumise au taux de base FECOM jusqu'à l'échéance de chaque tranche, après
quoi elle a le choix soit de payer la tranche échue, soit de passer, pour cette
tranche, au taux FECOM majoré de 1,5 % jusqu'au prononcé de l'arrêt. Par
conséquent, l'application d'un taux d'intérêt majoré d'un point et demi de
pourcentage ne dépend pas de l'introduction d'un recours devant le Tribunal, mais
uniquement de l'éventuel retard dans le paiement de l'amende, lié au fait que
l'intéressée n'a pas payé à l'échéance et a préféré accepter l'offre, faite par la
Commission dans la Lettre, de suspendre la perception de l'amende jusqu'au
prononcé de l'arrêt.
- 608.
- A cet égard, il convient de souligner que, aux termes de l'article 39 du traité, les
recours formés devant le Tribunal n'ont pas d'effet suspensif. Il s'ensuit que la
Commission ne saurait être tenue de traiter de la même manière une entreprise
qui, ayant ou non introduit un recours, s'acquitte du paiement de l'amende à sa
date normale d'exigibilité, le cas échéant en se prévalant des modalités de paiement
par tranches au taux d'intérêt préférentiel qui, comme en l'espèce, peuvent lui avoir
été offertes par la Commission, et une entreprise qui souhaite différer ledit
paiement jusqu'au prononcé d'un arrêt définitif. Sauf circonstances exceptionnelles,
l'application d'intérêts moratoires au taux normal doit en effet être considérée
comme justifiée dans ce dernier cas (voir arrêt de la Cour du 25 octobre 1983,
AEG-Telefunken/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, point 141, et ordonnances du
président de la Cour du 6 mai 1982, AEG/Commission, 107/82 R, Rec. p. 1549, et
du 7 mars 1986, Finsider/Commission, 392/85 R, Rec. p. 959).
- 609.
- Il convient de relever également que la possibilité offerte aux entreprises
concernées de payer leur amende sous forme de cinq tranches annuelles soumises,
jusqu'à leur date d'exigibilité, au taux de base FECOM, combinée avec la
possibilité d'obtenir une suspension des mesures de recouvrement en cas de
recours, constitue un avantage par rapport à la formule traditionnellement utilisée
par la Commission en cas de recours formé devant le juge communautaire. En
effet, il ressort de la ligne de conduite générale adoptée par la Commission que le
taux d'intérêt qu'elle exige en cas de suspension du paiement de l'amende est égal
au taux appliqué par le FECOM à ses opérations en écus le mois qui précède
l'adoption de la décision en cause, majoré d'un point et demi. Or, le choix du
paiement échelonné, en retardant la date d'exigibilité des quatre cinquièmes de
l'amende, a pour effet de reporter dans le temps l'application de ce taux.
- 610.
- Enfin, il convient de relever que le recours à un taux d'intérêt variable est inhérent
à la formule de paiement échelonné proposée en l'espèce par la Commission, celle-ci n'étant pas en mesure de prévoir le taux qui sera utilisé par le FECOM pour ses
opérations en écus le mois précédant la date d'échéance de chacune des tranches.
Au demeurant, ce taux variable n'est pas nécessairement désavantageux pour
l'entreprise qui choisit cette formule, les taux étant tout aussi susceptibles de
baisser que de monter.
- 611.
- Le chef de conclusions visant à l'annulation de la Lettre doit dès lors être rejeté
comme non fondé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la question de savoir
si ladite Lettre constitue une décision autonome, attaquable dans le cadre d'un
recours en annulation.
Sur les dépens
- 612.
- Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal
peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens
si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Le recours
n'ayant été que partiellement accueilli, le Tribunal fera une juste appréciation des
circonstances de la cause en décidant que la partie requérante supportera ses
propres dépens et les quatre cinquièmes des dépens de la partie défenderesse.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)
déclare et arrête:
1) L'article 1er de la décision 94/215/CECA de la Commission, du 16 février
1994, relative à une procédure d'application de l'article 65 du traité CECA
concernant des accords et pratiques concertées impliquant des producteurs
européens de poutrelles, est annulé pour autant qu'il retient à charge de la
requérante sa participation, d'une part, à un accord de répartition du
marché italien d'une durée de trois mois, et, d'autre part, à une infraction
de fixation de prix sur le marché danois, pour la période comprise entre le
1er juillet et le 3 novembre 1988.
2) Le montant de l'amende infligée à la requérante par l'article 4 de la
décision 94/215/CECA est fixé à 3 580 000 euros.
3) Le recours est rejeté pour le surplus.
4) La partie requérante supportera ses propres dépens ainsi que les quatre
cinquièmes des dépens de la partie défenderesse. La partie défenderesse
supportera le cinquième de ses propres dépens.
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 mars 1999.
Le greffier
Le président
H. Jung
C. W. Bellamy
Table des matières
Faits à l'origine du recours
II - 2
A Observations liminaires
II - 2
B Relations entre l'industrie sidérurgique et la Commission entre 1970 et 1990
II - 3
Crise des années 70 et création d'Eurofer
II - 3
Régime des quotas instauré de 1980 à 1988
II - 4
Événements précédant la fin du régime de crise manifeste, le 30 juin 1988
II - 8
Régime de surveillance mis en place à partir du 1er juillet 1988
II - 12
Décision «acier inoxydable» du 18 juillet 1990
II - 14
Réflexions menées par la Commission, à partir de 1990, sur l'avenir du traité
CECA
II - 14
C Procédure administrative devant la Commission
II - 15
D Décision
II - 16
Procédure devant le Tribunal, développements postérieurs à l'introduction du recours et
conclusions des parties
II - 19
Sur la demande principale tendant à l'annulation de la Décision
II - 23
A Sur la violation des formes substantielles
II - 24
Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante
II - 24
Appréciation du Tribunal
II - 26
Sur la recevabilité
II - 26
Sur l'absence de quorum
II - 26
Sur l'absence de correspondance formelle entre la Décision adoptée et celle
notifiée à la partie requérante
II - 30
Sur le défaut d'authentification de la Décision
II - 32
Sur le défaut d'indication de la date de signature du procès-verbal
II - 33
B Sur la violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité
II - 33
Sur la fixation de prix (prix cibles) au sein de la commission poutrelles
II - 34
1. Sur la matérialité des faits
II - 34
Observations liminaires
II - 34
Accords prétendument conclus en 1986 et 1987
II - 37
Accord concernant les prix en Allemagne et en France prétendument conclu
avant le 2 février 1988
II - 37
Prix cibles prétendument fixés avant le 25 juillet 1988
II - 38
Prix cibles prétendument fixés le 18 octobre 1988
II - 40
Prix cibles prétendument arrêtés lors de la réunion du 10 janvier 1989
II - 43
Prix cibles pour les marchés italien et espagnol prétendument arrêtés lors de
la réunion du 7 février 1989
II - 44
Prix cibles prétendument convenus lors de la réunion du 19 avril 1989
II - 45
Fixation des prix applicables au Royaume-Uni à partir du mois de juin
1989
II - 46
Accord prétendument intervenu lors de la réunion du 11 juillet 1989, en vue
de reconduire au quatrième trimestre, sur le marché allemand, les prix
cibles du troisième trimestre de cette même année
II - 48
Conclusions
II - 49
2. Sur la qualification juridique des faits
II - 49
a) Sur la qualification des comportements incriminés au regard des
catégories d'ententes envisagées par l'article 65, paragraphe 1, du
traité
II - 50
b) Sur l'objet et l'effet des ententes et pratiques concertées reprochées
II - 53
c) Sur la qualification des comportements incriminés au regard du critère
relatif au «jeu normal de la concurrence»
II - 54
Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante
II - 54
Appréciation du Tribunal
II - 58
Contexte dans lequel s'inscrit l'article 65, paragraphe 1, du traité
II - 59
Article 60 du traité
II - 60
Articles 46 à 48 du traité
II - 62
Sur les accords portant sur l'harmonisation des suppléments (extras)
II - 63
Sur la répartition des marchés opérée dans le cadre de la «méthodologie
Traverso»
II - 65
Appréciation du Tribunal
II - 67
Sur l'accord portant répartition du marché français au quatrième trimestre de
1989
II - 69
Sur les échanges d'informations au sein de la commission poutrelles (monitoring des
commandes et des livraisons)
II - 74
Résumé sommaire de l'argumentation des parties
II - 75
Appréciation du Tribunal
II - 76
Sur la nature de l'infraction reprochée à la requérante
II - 76
Sur le caractère anticoncurrentiel du monitoring
II - 78
Sur la durée de la participation de la requérante à l'infraction en cause
II - 82
Sur les pratiques relatives aux différents marchés
II - 83
1. Répartition du marché italien
II - 83
2. Fixation de prix sur le marché français
II - 85
3. Fixation de prix sur le marché italien
II - 85
Sur la fixation de prix sur le marché danois, dans le cadre des activités du groupe
Eurofer/Scandinavie
II - 85
Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante
II - 86
Appréciation du Tribunal
II - 88
Sur la nature et l'objet des activités du groupe Eurofer/Scandinavie
II - 88
Sur la participation de la requérante aux activités du groupe
Eurofer/Scandinavie et aux accords de fixation de prix sur le marché
danois
II - 89
Sur l'implication de la Commission dans les activités du groupe
Eurofer/Scandinavie
II - 92
Conclusions
II - 95
C Sur l'implication de la Commission dans les infractions reprochées à la partie
requérante
II - 96
Résumé sommaire de l'argumentation de la partie requérante
II - 96
Compte rendu de l'audition des témoins
II - 101
Appréciation du Tribunal
II - 105
Observations liminaires
II - 105
Sur le comportement de la Commission pendant la période de crise
II - 106
Sur la persistance, après la période de crise manifeste, des malentendus sur
l'interprétation ou l'application de l'article 65, paragraphe 1, du traité
II - 108
Sur l'implication de la DG III dans les infractions constatées après la fin du
régime de crise manifeste
II - 110
Accords de fixation de prix
II - 112
Accords sur l'harmonisation des prix des suppléments
II - 114
Accords de répartition des marchés
II - 114
Échanges d'informations sur les commandes et les livraisons
II - 115
Autres accords
II - 116
Conclusions
II - 116
Sur la licéité des activités reprochées à la partie requérante au regard,
notamment, des articles 46 à 48 du traité
II - 117
D Sur le détournement de pouvoir
II - 119
Sur la demande subsidiaire, tendant à l'annulation de l'article 4 de la Décision ou, à tout le
moins, à la réduction du montant de l'amende
II - 119
Observations liminaires
II - 119
Résumé sommaire de l'argumentation des parties
II - 122
Appréciation du Tribunal
II - 125
Sur la motivation générale de la Décision en ce qui concerne l'amende
II - 125
Sur l'incidence économique des infractions
II - 127
Sur l'appréciation de la gravité des infractions
II - 130
Sur l'amende infligée à la requérante pour sa participation aux systèmes
d'échanges d'informations
II - 132
Sur la double application du taux de base retenu aux fins de l'amende
II - 132
Sur le niveau général des amendes retenu par la Décision par rapport à d'autres
décisions CECA de la Commission et par rapport aux dispositions de l'article
65, paragraphe 5, du traité
II - 133
Sur la comparaison des amendes infligées par la Décision avec celles infligées par
la décision Ciment
II - 134
Sur la prétendue coopération de la requérante avec la Commission au cours de
la procédure administrative
II - 135
Sur l'exercice par le Tribunal de son pouvoir de pleine juridiction
II - 136
Sur la demande tendant à l'annulation de la Lettre
II - 137
Sur les dépens
II - 139