Language of document : ECLI:EU:T:2014:776

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (huitième chambre)

3 septembre 2014 (*)

« Recours en annulation – Médicaments à usage pédiatrique – Règlement (CE) no 1901/2006 – Article 37 – Prorogation de la durée de l’exclusivité commerciale des médicaments orphelins non brevetés – Acte non susceptible de recours – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑583/13,

Shire Pharmaceutical Contracts Ltd, établie à Hampshire (Royaume-Uni), représentée par Mmes K. Bacon, barrister, M. Utges Manley et M. Vickers, solicitors,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. A. Sipos et Mme V. Walsh, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision que contiendrait la lettre de la Commission adressée à la requérante le 2 septembre 2013, telle que confirmée ultérieurement par la lettre du 18 octobre 2013, en ce qui concerne l’éligibilité du médicament Xagrid au bénéfice de la récompense prévue à l’article 37 du règlement (CE) no 1901/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relatif aux médicaments à usage pédiatrique, modifiant le règlement (CEE) no 1768/92, les directives 2001/20/CE et 2001/83/CE ainsi que le règlement (CE) no 726/2004 (JO L 378, p. 1),

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de M. D. Gratsias, président, Mme M. Kancheva (rapporteur) et M. C. Wetter, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        La requérante, Shire Pharmaceutical Contracts Ltd, est une société biopharmaceutique qui fournit des traitements dans le domaine des maladies génétiques rares. Elle est titulaire de l’autorisation de mise sur le marché relative au Xagrid, un médicament dont le principe actif est le chlorhydrate d’anagrelide et qui est utilisé pour le traitement de la thrombocytémie essentielle. Le Xagrid a été reconnu par la Commission européenne comme médicament orphelin au sens du règlement (CE) no 141/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1999, concernant les médicaments orphelins (JO L 18, p. 1), et bénéficie, jusqu’au 18 novembre 2014, d’une exclusivité commerciale de dix ans en vertu de l’article 8 du même règlement.

2        Le 1er août 2013, la requérante a adressé à la Commission une lettre sous l’intitulé « Applicabilité de l’article 37 du règlement pédiatrique aux médicaments orphelins non brevetés ; plan d’investigation pédiatrique : EMEA-000720-PIP01-09 ; nom du produit : Xagrid ® 0.5mg (chlorhydrate d’anagrelide) ; indication : thrombocytémie essentielle ». Dans cette lettre, la requérante a fait part à la Commission de son désir d’organiser une réunion pour discuter du considérant 29 et de l’article 37 du règlement (CE) no 1901/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relatif aux médicaments à usage pédiatrique, modifiant le règlement (CEE) no 1768/92, les directives 2001/20/CE et 2001/83/CE ainsi que le règlement (CE) no 726/2004 (JO L 378, p. 1), lesquels, selon elle, permettaient de considérer que les médicaments orphelins non brevetés bénéficiaient d’une prorogation de deux ans pour leur période d’exclusivité commerciale à condition notamment de réaliser des études selon un plan d’investigation pédiatrique approuvé par l’Agence européenne des médicaments (EMA) et de présenter les résultats de l’ensemble desdites études dans le résumé des caractéristiques du médicament. En outre, la requérante a indiqué que sa demande s’inscrivait, en substance, dans le contexte où le Xagrid était un médicament orphelin non breveté, pour lequel un plan d’investigation pédiatrique avait été déjà approuvé par l’EMA. Enfin, la requérante a informé la Commission que, au moment où les résultats des études à effectuer conformément audit plan seraient disponibles, elle entendait demander une extension de l’autorisation de mise sur le marché pour le Xagrid afin d’y inclure une indication pédiatrique.

3        Par lettre du 2 septembre 2013, la Commission a répondu à la lettre de la requérante. D’une part, la Commission lui a indiqué qu’elle ne partageait pas son interprétation de l’article 37 du règlement no 1901/2006 et lui a exposé son avis à cet égard, notamment quant au fait qu’aucune prorogation de la période d’exclusivité commerciale ne pouvait être reconnue aux médicaments orphelins non brevetés en vertu dudit article. D’autre part, la Commission a indiqué à la requérante que la réunion sollicitée ne semblait pas être nécessaire.

4        Par lettre du 11 octobre 2013, la requérante s’est à nouveau adressée à la Commission en lui indiquant qu’elle souhaitait obtenir de plus amples clarifications sur sa position au sujet de l’article 37 du règlement no 1901/2006. À cet égard, la requérante a produit des observations supplémentaires quant à l’interprétation correcte qu’il convenait de donner, selon elle, à ladite disposition, ainsi qu’à son application à des médicaments orphelins non brevetés. La requérante a également demandé à la Commission de lui confirmer que le Xagrid serait éligible au bénéfice de la prorogation de deux ans d’exclusivité commerciale, en vertu de l’article 37 du règlement no 1901/2006, au moment où les conditions requises par cette disposition seraient satisfaites.

5        Par lettre du 18 octobre 2013, la Commission a informé la requérante qu’elle ne pouvait que maintenir la position exprimée dans la lettre du 2 septembre 2013 et que, en tout état de cause, elle ne partageait pas l’interprétation de l’article 37 du règlement no 1901/2006 proposée par la requérante.

 Procédure et conclusions des parties

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 novembre 2013, la requérante a introduit le présent recours.

7        Par acte séparé, déposé au greffe le même jour, la requérante a présenté une demande de procédure accélérée au titre de l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal.

8        Le 26 novembre 2013, la Commission a déposé ses observations sur la demande de procédure accélérée de la requérante.

9        Le 9 décembre 2013, le Tribunal a rejeté la demande de traitement accélérée de la requérante.

10      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 décembre 2013, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure.

11      Le 14 mars 2014, la requérante a présenté ses observations sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission.

12      Dans sa requête, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision, que contiendraient les lettres du 2 septembre et du 18 octobre 2013 (ci-après les « lettres litigieuses »), par laquelle la Commission aurait refusé au médicament Xagrid le bénéfice de la récompense prévue à l’article 37 du règlement no 1901/2006 ;

–        condamner la Commission aux dépens.

13      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

14      Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter l’exception d’irrecevabilité ;

–        condamner la Commission aux dépens.

 En droit

15      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide de statuer sans ouvrir la procédure orale.

16      La Commission excipe de l’irrecevabilité du recours au motif que, selon elle, les lettres litigieuses ne sont pas des actes attaquables au sens de l’article 263 TFUE, mais qu’il s’agit, au contraire, de documents à caractère purement informatif, dépourvus d’effets juridiques.

17      La requérante conteste les arguments de la Commission.

18      Il importe de rappeler, d’abord, que, selon une jurisprudence constante, constituent des actes ou des décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation, au sens de l’article 263 TFUE, les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci (voir arrêt du 26 septembre 2013, Polyelectrolyte Producers Group et SNF/ECHA, C‑626/11 P, Rec, EU:C:2013:595, point 37 et jurisprudence citée).

19      Ensuite, pour déterminer si un acte attaqué produit de tels effets, il y a lieu de s’attacher à sa substance. La forme dans laquelle des actes ou des décisions sont pris est, en principe, indifférente en ce qui concerne la possibilité de les attaquer par un recours en annulation (voir arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec, EU:C:1981:264, point 9, et ordonnance du 22 février 2008, Base/Commission, T‑295/06, EU:T:2008:48, point 56 et jurisprudence citée).

20      Enfin, les avis et les recommandations des institutions de l’Union européenne sont explicitement exclus du champ d’application de l’article 263 TFUE et ne peuvent, dès lors, pas faire l’objet d’un recours en annulation [voir ordonnance du 14 mai 2012, Sepracor Pharmaceuticals (Ireland)/Commission, C‑477/11 P, EU:C:2012:292, point 52 et jurisprudence citée].

21      En l’espèce, il y a lieu de relever, d’emblée, que, bien que l’introduction du recours de la requérante devant le Tribunal soit motivée par la question de savoir si l’article 37 du règlement no 1901/2006 permet de considérer que les médicaments orphelins non brevetés, comme le Xagrid, sont susceptibles de bénéficier d’une prorogation de deux ans de leur exclusivité commerciale sur le marché, il n’en demeure pas moins que l’appréciation que le Tribunal est tenu d’effectuer dans le cadre de l’exception d’irrecevabilité introduite par la Commission doit se limiter à déterminer si les lettres litigieuses contiennent une décision attaquable au sens de la jurisprudence citée au point 18 ci-dessus, ou si, en revanche, elles ne constituent qu’un avis, non susceptible dès lors de faire l’objet d’un recours en annulation, conformément à l’article 263 TFUE, ainsi qu’à la jurisprudence citée au point 20 ci-dessus. Il convient de rappeler, en outre, que, selon la jurisprudence, aux fins de répondre à cette dernière question, il y a lieu d’examiner tant le contexte dans lequel les deux lettres litigieuses ont été adoptées que leur contenu (voir, en ce sens, ordonnance du 4 juillet 2011, Sepracor Pharmaceuticals/Commission, T‑275/09, EU:T:2011:327, point 16).

22      En premier lieu, s’agissant de la lettre du 2 septembre 2013, le Tribunal constate que, contrairement à ce que fait valoir la requérante, ladite lettre ne contient pas de décision de la Commission refusant le bénéfice de la récompense prévue à l’article 37 du règlement no 1901/2006 au cas concret du médicament Xagrid, mais une simple réponse de la Commission à une demande de réunion émanant de la requérante, ainsi qu’un avis informatif, formulé en termes généraux et hypothétiques, quant à la question de savoir si ladite disposition serait applicable aux médicaments orphelins non brevetés.

23      En effet, premièrement, il y a lieu de relever que la lettre du 2 septembre 2013 répond à celle que la requérante avait préalablement adressée à la Commission en date du 1er août 2013. Or, dans cette dernière lettre, la requérante s’est limitée à solliciter une réunion avec la Commission aux fins de discuter de l’« applicabilité » du considérant 29 et de l’article 37 du règlement no 1901/2006 aux médicaments orphelins non brevetés (« Shire would like to request a meeting with the European Commission to discuss the applicability of the Paediatric Regulation to non-patented, orphan medicinal products »). Même si, comme le souligne la requérante, l’intitulé de cette lettre faisait référence au médicament Xagrid, il n’y apparaît nulle part que la requérante ait également demandé à la Commission de se prononcer concrètement sur l’application du règlement no 1901/2006 audit médicament. Quant à la lettre du 2 septembre 2013, il ressort de son libellé que la Commission y a précisément répondu à la requérante que la réunion sollicitée n’apparaissait pas nécessaire, tout en exposant sa propre interprétation de l’article 37 du règlement no 1901/2006 ne permettant pas de reconnaître une prorogation de l’exclusivité commerciale sur le marché aux médicaments orphelins non brevetés (« I regret to inform you that we do not share the intepretation [of] Article 37 » et « In view of the above explanations, a meeting with the Commission services does not seem to be necessary »). Dès lors, les termes employés par la Commission dans cette lettre traduisent sans équivoque la volonté de ladite institution, d’une part, de refuser la réunion demandée et, d’autre part, d’expliquer qu’elle ne partageait pas l’interprétation proposée de l’article 37 du règlement no 1901/2006.

24      Deuxièmement, les explications contenues dans la lettre du 2 septembre 2013, loin de constituer la motivation concrète et spécifique d’un acte décisionnel appliquant l’article 37 du règlement no 1901/2006 au médicament Xagrid, ne comportent qu’un avis informatif sur l’interprétation de la Commission sur cette disposition, sous la réserve d’un arrêt futur de la Cour. À cet égard, force est de constater que lesdites explications sont formulées en des termes purement généraux et hypothétiques ne visant en aucune façon le cas concret du médicament Xagrid. Par ailleurs, le caractère hypothétique de la réponse fournie par la Commission ressort de l’adoption expresse, comme point de départ, du cas générique où une compagnie introduirait volontairement un plan d’investigation pédiatrique pour la prorogation de l’exclusivité commerciale d’un médicament orphelin non protégé par un brevet (« More specifically, you are referring to a situation where a company voluntary submitted a paediatric investigation plan for a planned extension of an already authorised orphan product, which is no longer patent protected »).

25      Troisièmement, il y a lieu de considérer, à l’instar de la Commission, que le caractère hypothétique des explications contenues dans la lettre du 2 septembre 2013 était d’autant plus manifeste au regard du fait que la Commission n’aurait, en tout état de cause, pas été en mesure d’adopter une décision produisant des effets juridiques à l’égard de la requérante concernant la prorogation de l’exclusivité commerciale du médicament Xagrid en vertu de l’article 37 du règlement no 1901/2006. À cet égard, il convient de relever que cette disposition soumet le bénéfice de la récompense de deux ans de prorogation de l’exclusivité commerciale des médicaments orphelins à la condition, notamment, de réaliser des études selon un plan d’investigation pédiatrique approuvé par l’EMA et de présenter les résultats de l’ensemble desdites études dans le résumé des caractéristiques du médicament. Or, il ressort des explications fournies par la requérante dans la lettre du 1er août 2013 et, au demeurant, de la requête, que le plan d’investigation pédiatrique relatif au médicament Xagrid faisait l’objet d’une demande de modification en cours d’évaluation auprès de l’EMA et, de surcroît, que la vérification de conformité audit plan concernant le Xagrid n’était pas encore achevée. Dans ces circonstances, même à supposer que la requérante eût souhaité que la Commission se prononçât sur l’application de l’article 37 du règlement no 1901/2006 au cas concret du médicament Xagrid, ladite institution n’aurait pas pu adopter une décision à cet égard, la requérante n’ayant même pas respecté, au préalable, les conditions requises par cette disposition.

26      Il ressort de ce qui précède que la lettre du 2 septembre 2013 ne saurait être considérée comme constituant un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE.

27      En second lieu, s’agissant de la lettre du 18 octobre 2013, rien dans son libellé ne laisse supposer non plus que la Commission y ait adopté une décision relative à l’application de l’article 37 du règlement no 1901/2006 au cas concret du médicament Xagrid, modifiant ainsi la situation juridique de la requérante.

28      À cet égard, premièrement, il convient de relever que cette lettre répond à la lettre du 11 octobre 2013, dans laquelle la requérante souhaitait obtenir de plus amples clarifications sur la position de la Commission au sujet de l’article 37 du règlement no 1901/2006, assortie d’observations supplémentaires quant à l’interprétation correcte qu’il convenait, selon elle, d’apporter à cette disposition (« We note that the Commission considers that Article 37 is not applicable to a ‘voluntary’ paediatric investigation plan. We would like to seek further clarification on the Commission stated position, and its application to Shire’s product Xagrid »). Dans la lettre du 18 octobre 2013, la Commission s’est, dès lors, limitée à informer la requérante qu’elle ne pouvait que confirmer son avis exprimé dans la lettre du 2 septembre 2013 et que, en tout état de cause, elle ne partageait pas l’interprétation de l’article 37 du règlement no 1901/2006 proposée par la requérante.

29      Deuxièmement, même si la requérante a demandé à la Commission, dans la lettre du 11 octobre 2013, de lui confirmer l’éligibilité du Xagrid au bénéfice de la prorogation prévue à l’article 37 du règlement no 1901/2006, force est de constater qu’une telle demande a été formulée de manière conditionnelle et par référence à la situation hypothétique où les conditions requises par cette disposition seraient satisfaites à l’égard dudit médicament. Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer, d’une part, que la lettre du 18 octobre 2013 ne peut être considérée comme une décision, mais comme une réponse d’information de la Commission à une demande hypothétique effectuée par la requérante et, d’autre part, que, comme indiqué au point 25 ci-dessus, au vu des circonstances de l’espèce, la Commission n’aurait, en tout état de cause, pas été en mesure d’adopter un acte décisionnel à l’égard du médicament Xagrid.

30      Il ressort de ce qui précède que la lettre du 18 octobre 2013 ne saurait être considérée comme constituant un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE.

31      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le recours comme étant irrecevable.

 Sur les dépens

32      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

33      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      Shire Pharmaceutical Contracts Ltd est condamnée aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 3 septembre 2014.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

      D. Gratsias


* Langue de procédure : l’anglais.