Language of document : ECLI:EU:T:2022:381

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

22 juin 2022 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de déchéance – Marque de l’Union européenne verbale WATERFORD – Recours en annulation – Article 63, paragraphe 3, du règlement (UE) 2017/1001 – Recevabilité – Marque de nature à induire le public en erreur – Article 51, paragraphe 1, sous c), du règlement (CE) no 207/2009 [devenu article 58, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001] »

Dans l’affaire T‑739/20,

Unite the Union, établie à Londres (Royaume-Uni), représentée par Mes B. O’Connor et M. Hommé, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. V. Ruzek et D. Hanf, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

WWRD Ireland IPCO LLC, établie à Wilmington, Delaware (États-Unis), représentée par Mes M. Mortelé et B. Lieben, avocats,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. G. De Baere (rapporteur), président, V. Kreuschitz et Mme G. Steinfatt, juges,

greffier : Mme A. Juhász-Tóth, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

–        l’exception d’irrecevabilité soulevée par l’EUIPO par acte déposé au greffe du Tribunal le 29 mars 2021,

–        l’ordonnance de jonction de l’exception d’irrecevabilité au fond du 5 juillet 2021,

à la suite de l’audience du 31 mars 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Unite the Union, demande l’annulation et la réformation de la décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 25 septembre 2020 (affaire R 2683/2019-2) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 23 juin 2000, le prédécesseur en droit de l’intervenante, WWRD Ireland IPCO LLC, a obtenu auprès de l’EUIPO l’enregistrement sous le numéro 397521 de la marque de l’Union européenne verbale WATERFORD, en vertu du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié, lui-même remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

3        Les produits pour lesquels la marque contestée a été enregistrée relèvent des classes 3, 8, 11, 21, 24 et 34 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 3 : « Produits de parfumerie ; huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour le soin du corps et du visage, savons, produits de soin pour les cheveux, déodorants et désodorisants, pot-pourri ; huiles parfumées d’aromathérapie et sachets parfumés » ;

–        classe 8 : « Coutellerie compris dans la classe 8 » ;

–        classe 11 : « Céramiques pour l’éclairage, chandeliers, lampes, appliques murales, et leurs pièces et parties constitutives » ;

–        classe 21 : « Articles de verrerie, poterie, faïence et porcelaine » ;

–        classe 24 : « Produits textiles non compris dans d’autres classes, linge et produits en tissu compris dans la classe 24 » ;

–        classe 34 : « Cendriers, pots à tabac, briquets, porte-cigarettes et articles pour fumeurs compris dans la classe 34 ».

4        Le 24 janvier 2013, la requérante a présenté une demande en déchéance de la marque contestée pour les « articles de verrerie, poterie, faïence et porcelaine », relevant de la classe 21, au titre de l’article 51, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 [devenu article 58, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001], au motif que, par suite de son usage, cette marque était propre à induire le public en erreur sur la provenance géographique de ces produits.

5        Par décision du 25 novembre 2014, la division d’annulation a rejeté la demande en déchéance (affaire 7522 C). Elle a considéré que la requérante n’avait pas apporté la preuve d’un usage trompeur de la marque contestée ni que le public pertinent percevrait la marque contestée comme une indication de la provenance géographique des produits concernés au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009.

6        La requérante n’a pas formé de recours contre la décision de la division d’annulation, laquelle est, par conséquent, devenue définitive.

7        Le 31 mai 2017, la requérante a présenté une nouvelle demande en déchéance de la marque contestée, en vertu de l’article 51, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009, pour les « articles de verrerie, poterie, faïence et porcelaine », relevant de la classe 21. À l’appui de sa demande, la requérante a produit un sondage d’opinion, intitulé « Waterford Study », daté du 20 mars 2015 (ci-après le « sondage Waterford Study »).

8        Le 7 juin 2017, l’EUIPO a envoyé une communication aux parties, indiquant que la demande en déchéance présentée le 31 mai 2017 était irrecevable au motif qu’une demande ayant le même objet et la même cause, impliquant les mêmes parties (affaire 7522 C), avait déjà été tranchée par la division d’annulation et avait acquis l’autorité d’une décision passée en force de chose jugée. Les parties ont été invitées à présenter leurs observations.

9        Le 8 août 2017, l’EUIPO a envoyé une nouvelle communication indiquant que, après avoir reçu les observations de la requérante le 12 juillet 2017, il maintenait ses conclusions quant à l’irrecevabilité de la demande en déchéance présentée le 31 mai 2017 et qu’une décision susceptible de recours serait bientôt adoptée.

10      Le 14 mai 2018, l’EUIPO a envoyé aux parties une communication annulant ses deux précédentes communications des 7 juin et 8 août 2017 et indiquant qu’il considérait la demande en déchéance présentée le 31 mai 2017 comme étant recevable.

11      Par décision du 18 octobre 2019, la division d’annulation a rejeté la demande en déchéance (affaire 15033 C). Elle a considéré que le principe de l’autorité de la chose jugée ne s’appliquait pas et elle a limité son examen aux faits et preuves dont l’existence ou la date étaient postérieures à la décision du 25 novembre 2014. Elle a estimé que le sondage Waterford Study ne prouvait pas que la marque contestée était ou pourrait être propre à induire le public en erreur depuis l’adoption de la décision du 25 novembre 2014. En conclusion, la division d’annulation a considéré que l’usage de la marque contestée n’était pas trompeur et qu’il n’existait pas d’indication erronée quant à la nature, à la qualité et à la provenance géographique.

12      Le 26 novembre 2019, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation.

13      Par la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté le recours. D’une part, la chambre de recours a indiqué qu’elle avait des doutes quant à la recevabilité du recours. D’autre part, elle a procédé à un examen au fond de l’application de l’article 58, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 1, sous g), du même règlement, en prenant en compte la nouvelle preuve produite par la requérante, à savoir le sondage Waterford Study.

14      La chambre de recours a conclu que la division d’annulation n’avait pas commis d’erreur en concluant qu’il n’avait pas été prouvé que la marque contestée, par suite de l’usage qui en avait été fait par l’intervenante pour les produits pour lesquels elle était enregistrée, était propre à induire le public en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique de ces produits.

 Conclusions des parties

15      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter l’exception d’irrecevabilité ;

–        annuler la décision attaquée ;

–        réformer la décision attaquée en constatant la déchéance de la marque contestée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

16      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

17      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité

18      Dans son exception d’irrecevabilité, l’EUIPO soutient que, selon l’article 63, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, les décisions qu’il prend dans les procédures de nullité et de déchéance font obstacle à de nouvelles demandes en nullité et en déchéance lorsque les conditions sont remplies. L’EUIPO fait valoir que, les conditions prévues par cette disposition étant remplies en l’espèce, le présent recours doit être rejeté comme irrecevable.

19      L’article 63, paragraphe 3, du règlement 2017/1001 prévoit qu’« [u]ne demande en déchéance ou en nullité est irrecevable lorsqu’une demande ayant le même objet et la même cause a été tranchée sur le fond entre les mêmes parties soit par l’[EUIPO] soit par un tribunal des marques de l’Union européenne visé à l’article 123 et que la décision de l’[EUIPO] ou de ce tribunal concernant cette demande est passée en force de chose jugée ».

20      Cette disposition concerne la recevabilité d’une demande en déchéance ou en nullité présentée devant l’EUIPO.

21      Or, il convient de rappeler que les conditions de recevabilité d’un recours en annulation introduit devant le Tribunal sont prévues par l’article 263 TFUE.

22      Force est de constater que, d’une part, l’EUIPO n’indique pas laquelle des conditions de recevabilité d’un recours prévues par l’article 263 TFUE ne serait pas remplie en l’espèce. Interrogé à cet égard lors de l’audience, l’EUIPO n’a pas été en mesure de préciser son argument et d’identifier la condition de recevabilité qu’il visait.

23      D’autre part, l’EUIPO n’explique pas pour quel motif le respect des conditions de l’article 63, paragraphe 3, du règlement 2017/1001 en l’espèce pourrait conduire à l’irrecevabilité du recours introduit devant le Tribunal et visant à l’annulation de la décision attaquée, dans laquelle la chambre de recours a statué sur la demande en déchéance présentée par la requérante.

24      En particulier, l’EUIPO n’explique pas pour quel motif la décision attaquée rejetant le recours introduit par la requérante, que ce soit parce que ce recours est irrecevable ou sur le fond, ne constituerait pas un acte susceptible de recours devant le Tribunal.

25      L’argumentation de l’EUIPO visant à considérer que la recevabilité d’un recours en annulation contre une décision d’une chambre de recours serait soumise au respect d’une disposition du règlement 2017/1001 serait contraire aux principes de sécurité juridique et de protection juridictionnelle effective dans la mesure où un tel recours se verrait soumis à une condition de recevabilité non prévue expressément par l’article 263 TFUE.

26      L’article 263 TFUE régissant les conditions de recevabilité d’un recours devant le Tribunal ne saurait être interprété à la lumière d’une disposition de droit dérivé telle que l’article 63, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, qui concerne la recevabilité d’une demande en déchéance ou en nullité présentée devant l’EUIPO.

27      Or, une telle interprétation serait contraire au principe de protection juridictionnelle effective, consacré par l’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui énonce que toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union européenne ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues audit article. Il découle de la jurisprudence de la Cour que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par cette disposition exige, notamment, que l’intéressé puisse défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et décider, en pleine connaissance de cause, s’il est utile de saisir le juge compétent d’une action dirigée contre une entité donnée (voir arrêt du 29 avril 2021, Banco de Portugal e.a., C‑504/19, EU:C:2021:335, point 57 et jurisprudence citée).

28      Par ailleurs, il convient de relever que l’examen par le Tribunal du respect, dans une décision prise par une chambre de recours, des conditions prévues par une disposition du règlement 2017/1001, notamment des conditions prévues par la disposition régissant la recevabilité d’une demande en déchéance, relève de l’examen au fond et présuppose, par hypothèse, que le recours introduit contre cette décision soit recevable.

29      Partant, l’exception d’irrecevabilité doit être rejetée.

 Sur le fond

30      À l’appui de son recours, la requérante soulève, en substance, un moyen unique, tiré de la violation de l’article 58, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001.

 Sur la recevabilité des éléments de preuve produits pour la première fois devant le Tribunal

31      L’EUIPO relève que l’annexe A.6 de la requête contient des références à des vidéos disponibles sur le site Internet YouTube et vise à démontrer que la marque contestée fait l’objet d’une publicité aux États-Unis et dans l’Union sur des chaînes de télévision câblées. Il considère que, ces éléments de preuve n’ayant pas été produits au cours de la procédure administrative, ils doivent être rejetés comme irrecevables.

32      Lors de l’audience, la requérante a soutenu que les preuves figurant dans l’annexe A.6 étaient recevables, même si elles n’avaient pas été produites lors de la procédure administrative.

33      Il convient de relever qu’un recours porté devant le Tribunal en vertu de l’article 72, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 vise au contrôle de la légalité des décisions des chambres de recours. Dans le cadre dudit règlement, en application de son article 95, ce contrôle doit se faire au regard du cadre factuel et juridique du litige tel qu’il a été porté devant la chambre de recours [voir arrêt du 1er février 2005, SPAG/OHMI – Dann et Backer (HOOLIGAN), T‑57/03, EU:T:2005:29, point 17 et jurisprudence citée]. Il s’ensuit que le Tribunal ne saurait annuler ou réformer la décision objet du recours pour des motifs qui apparaîtraient postérieurement à son prononcé (arrêts du 11 mai 2006, Sunrider/OHMI, C‑416/04 P, EU:C:2006:310, point 55, et du 13 mars 2007, OHMI/Kaul, C‑29/05 P, EU:C:2007:162, point 53).

34      Dès lors, la fonction du Tribunal n’est pas de réexaminer les circonstances de fait à la lumière des preuves présentées pour la première fois devant lui. En effet, l’admission de ces preuves est contraire à l’article 188 du règlement de procédure du Tribunal, selon lequel les mémoires des parties ne peuvent pas modifier l’objet du litige devant la chambre de recours. Partant, les preuves produites pour la première fois devant le Tribunal doivent être déclarées irrecevables, sans qu’il soit nécessaire de les examiner [voir arrêt du 14 mai 2009, Fiorucci/OHMI – Edwin (ELIO FIORUCCI), T‑165/06, EU:T:2009:157, point 22 et jurisprudence citée].

 Sur le moyen unique, tiré de la violation de l’article 58, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001

35      À titre liminaire, il convient de relever que la requérante, l’intervenante et l’EUIPO, dans leurs écritures, et la chambre de recours, dans la décision attaquée, se réfèrent aux dispositions du règlement 2017/1001. Toutefois, compte tenu de la date d’introduction de la demande en déchéance en cause, en l’occurrence le 31 mai 2017, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, le présent litige est régi par les dispositions matérielles du règlement no 207/2009, tel que modifié (voir, en ce sens, arrêt du 3 juillet 2019, Viridis Pharmaceutical/EUIPO, C‑668/17 P, EU:C:2019:557, point 3). Dans la mesure où l’article 58 du règlement 2017/1001 correspond à l’article 51 du règlement no 207/2009, il y a lieu d’entendre les références faites par les parties et par la chambre de recours à ce premier article comme visant ce dernier article.

36      Il est constant entre les parties que, le 24 janvier 2013, la marque contestée a fait l’objet d’une première demande en déchéance de la part de la requérante qui était fondée sur l’article 51, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 et que, par une décision du 25 novembre 2014, la division d’annulation a rejeté cette demande.

37      La décision de la division d’annulation du 25 novembre 2014 relative à la première demande en déchéance de la marque contestée présentée par la requérante n’a pas fait l’objet d’un recours et est devenue définitive, de sorte que son contenu ne saurait être remis en cause.

38      De plus, il y a lieu de rappeler que, dans sa décision du 18 octobre 2019, la division d’annulation a limité son examen aux faits et preuves dont l’existence ou la date étaient postérieures à la décision du 25 novembre 2014. Or, dans la décision attaquée, la chambre de recours a confirmé la décision de la division d’annulation. Ainsi, la division d’annulation et la chambre de recours se sont limitées à examiner les arguments de la requérante visant à établir que la marque WATERFORD était devenue trompeuse du fait de son usage à compter du 25 novembre 2014.

39      Il en ressort que les arguments de la requérante qui avaient déjà été soulevés dans le cadre de sa première demande en déchéance de la marque contestée et qui avaient déjà été tranchés de manière définitive dans la décision de la division d’annulation du 25 novembre 2014 n’ont pas été examinés par la division d’annulation dans sa décision du 18 octobre 2019 ni par la chambre de recours dans la décision attaquée. Partant, les arguments de la requérante relatifs à des faits et preuves antérieurs à la décision du 25 novembre 2014 ne sauraient être à nouveau soulevés dans le cadre de la présente procédure.

40      Or, il y a lieu de relever que, dans la requête, la requérante soulève à nouveau des arguments relatifs à des faits antérieurs au 25 novembre 2014. En effet, la requérante fait valoir que la décision de la Supreme Court (Cour suprême, Irlande) du 2 mars 1984, citée par la chambre de recours, n’est pas pertinente. Elle estime que les consommateurs et les industriels du verre associent le verre et le cristal vendus sous la marque contestée au lieu où il était fabriqué, à savoir la ville et le comté de Waterford. Or, depuis la délocalisation de la production en Europe de l’Est, l’usage de la marque contestée pour du verre et du cristal non fabriqués dans cette ville et ce comté serait propre à induire le public pertinent en erreur. Elle considère que Waterford sera compris par le public pertinent comme un nom de lieu réputé pour la fabrication du cristal et comme une référence à l’origine géographique des produits.

41      En réponse à ces arguments, au point 46 de la décision attaquée, la chambre de recours a renvoyé à la décision de la division d’annulation du 25 novembre 2014, qui avait rejeté la première demande en déchéance de la requérante.

42      Il y a lieu de constater que ces arguments ont déjà été rejetés dans la décision de la division d’annulation du 25 novembre 2014, devenue définitive, et n’ont pas fait l’objet d’une nouvelle appréciation par la chambre de recours. Ils doivent donc être rejetés comme irrecevables.

43      Il s’ensuit qu’il convient d’examiner les deux griefs de la requérante visant l’appréciation effectuée par la chambre de recours dans la décision attaquée.

44      Par un premier grief, la requérante fait valoir que la chambre de recours a fait une application erronée du critère prévu à l’article 51, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009. Elle considère que, selon cette disposition, le critère juridique à appliquer pour déterminer si le titulaire de la marque doit être déchu de ses droits sur la base de l’usage est de rechercher si la marque est « propre à induire le public en erreur ». Or, la chambre de recours aurait estimé, de manière incorrecte, que le demandeur en déchéance devait démontrer l’existence d’une tromperie effective ou d’un risque suffisamment grave de tromperie du consommateur. Elle soutient que la chambre de recours a appliqué ce critère en se fondant à tort sur l’arrêt du 30 mars 2006, Emanuel (C‑259/04, EU:C:2006:215), qui concernait une situation factuelle distincte de celle de l’espèce et que le Tribunal doit écarter l’application de cet arrêt.

45      Aux termes de l’article 51, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009, le titulaire de la marque de l’Union européenne est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l’EUIPO ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon, si, par suite de l’usage qui en est fait par le titulaire ou avec son consentement pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, la marque est propre à induire le public en erreur notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique de ces produits ou de ces services.

46      Au point 39 de la décision attaquée, la chambre de recours a indiqué que les cas de déchéance visés par l’article 7, paragraphe 1, sous g), du règlement no 207/2009 supposaient que l’on puisse retenir l’existence d’une tromperie effective ou d’un risque suffisamment grave de tromperie du consommateur (arrêt du 30 mars 2006, Emanuel, C‑259/04, EU:C:2006:215, point 47).

47      Au point 53 de l’arrêt du 30 mars 2006, Emanuel (C‑259/04, EU:C:2006:215), la Cour a constaté que les conditions de la déchéance prévues à l’article 12, paragraphe 2, sous b), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1), étaient identiques à celles du refus d’enregistrement fondé sur l’article 3, paragraphe 1, sous g), de la même directive et que ces deux dispositions devaient recevoir la même interprétation.

48      Or, il suffit de constater que l’article 12, paragraphe 2, sous b), de la première directive 89/104 correspond à l’article 51, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 et que l’article 3, paragraphe 1, sous g), de cette directive correspond à l’article 7, paragraphe 1, sous g), de ce règlement.

49      Dès lors, l’appréciation de la Cour demeure pertinente pour l’interprétation de l’article 51, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 et de l’article 7, paragraphe 1, sous g), du même règlement. L’affirmation de la requérante selon laquelle cette affaire concernait une situation factuelle distincte de celle de l’espèce est inopérante, dans la mesure où l’interprétation faite par la Cour ne s’appuyait pas sur les circonstances factuelles de cette affaire.

50      En outre, il convient de relever que cette interprétation a été confirmée par la jurisprudence selon laquelle la cause de déchéance visée par l’article 51, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 suppose l’existence d’une tromperie effective ou d’un risque suffisamment grave de tromperie du consommateur [voir arrêt du 18 mai 2018, Mendes/EUIPO – Actial Farmaceutica (VSL#3), T‑419/17, EU:T:2018:282, point 54 et jurisprudence citée].

51      L’applicabilité de l’article 51, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 est subordonnée à l’utilisation trompeuse de la marque après son enregistrement. Une telle utilisation trompeuse doit être dûment prouvée par la partie requérante (voir arrêt du 18 mai 2018, VSL#3, T‑419/17, EU:T:2018:282, point 55 et jurisprudence citée).

52      Par ailleurs, la requérante ne saurait s’appuyer sur l’arrêt du 14 mai 2009, ELIO FIORUCCI (T‑165/06, EU:T:2009:157), pour soutenir que, dans cette affaire, la question de la déchéance n’a pas été déterminée sur la base d’une tromperie effective. Il suffit de constater que, au point 37 de cet arrêt, cité par la requérante, le Tribunal s’est contenté de constater que, dans la mesure où aucune preuve de l’usage de la marque en cause après son enregistrement n’avait été apportée, il ne saurait être question d’un usage susceptible d’induire le public en erreur au sens de l’article 50, paragraphe 1, sous c), du règlement no 40/94 [devenu article 51, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009]. Le Tribunal a donc uniquement indiqué que cette disposition n’était pas applicable.

53      Partant, le premier grief doit être rejeté.

54      Par un second grief, la requérante conteste l’appréciation de la chambre de recours relative au sondage Waterford Study figurant aux points 53 et 54 de la décision attaquée.

55      La requérante soutient que la distinction opérée par la chambre de recours entre une « enquête » et un « sondage d’opinion » n’est pas fondée et qu’ils ont la même valeur probante. Il n’existerait pas de méthodologie obligatoire pour réaliser une enquête ou un sondage d’opinion et le fait que le sondage Waterford Study ait été réalisé par le biais de « panels d’accès en ligne » ne serait pas un motif pour le rejeter. Elle fait valoir que la circonstance que le sondage Waterford Study a été réalisé sur la base d’un panel de personnes ayant participé à des enquêtes en échange de récompenses ne signifie pas que leurs réponses auraient été influencées. Selon la pratique de l’EUIPO, la validité d’un sondage d’opinion ou d’une enquête serait déterminée par le statut et l’indépendance de l’entité qui l’effectue. Le sondage Waterford Study aurait été réalisé par une agence spécialisée, auprès de 1 000 personnes.

56      Selon une jurisprudence constante, le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre appréciation des preuves, dont il découle, notamment, que le seul critère pertinent pour apprécier la force probante des éléments régulièrement produits réside dans leur crédibilité. Ainsi, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut tenir compte, notamment, de son origine, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable [voir arrêts du 24 octobre 2018, Bayer/EUIPO – Uni-Pharma (SALOSPIR), T‑261/17, non publié, EU:T:2018:710, point 60 et jurisprudence citée, et du 9 septembre 2020, Glaxo Group/EUIPO (Nuance de couleur pourpre), T‑187/19, non publié, EU:T:2020:405, point 92 et jurisprudence citée].

57      Pour ce qui concerne en particulier les enquêtes, leur valeur probante dépend de la méthode d’enquête employée [arrêt du 12 juillet 2006, Vitakraft-Werke Wührmann/OHMI – Johnson’s Veterinary Products (VITACOAT), T‑277/04, EU:T:2006:202, point 38]. Ainsi, les résultats d’une enquête peuvent manquer de force probante lorsque l’enquête en question n’est pas assortie de suffisamment d’éléments permettant de s’assurer de sa fiabilité (voir arrêts du 24 octobre 2018, SALOSPIR, T‑261/17, non publié, EU:T:2018:710, point 61 et jurisprudence citée, et du 9 septembre 2020, Nuance de couleur pourpre, T‑187/19, non publié, EU:T:2020:405, point 95 et jurisprudence citée).

58      Au point 53 de la décision attaquée, la chambre de recours a relevé que le sondage Waterford Study ne relevait pas d’une enquête, mais d’un sondage d’opinion réalisé en ligne. Elle a indiqué que les sondages d’opinion réalisés au moyen de panels d’accès en ligne avaient une valeur probante limitée, étant donné que l’échantillon de consommateurs, dans de nombreux cas, n’était pas représentatif, puisqu’il reposait sur une « auto‑sélection » et qu’il ne tenait pas compte du segment de la population qui ne connaissait pas l’environnement en ligne et qui n’était pas un utilisateur actif de l’internet. Elle a estimé que la différence essentielle résidait dans la sélection des personnes interrogées. À cet égard, elle a indiqué que les participants à des sondages d’accès ouverts n’étaient pas du tout choisis, mais se sélectionnaient eux-mêmes, tandis que les personnes participant à des enquêtes scientifiques étaient généralement activement et systématiquement choisies, de sorte que la composition de l’échantillon reflétait en définitive une partie représentative de la population.

59      La chambre de recours a relevé que la requérante avait soutenu que le sondage d’opinion avait été réalisé sur la base d’un panel de personnes qui complétaient des enquêtes en échange de points de récompense, qu’elle n’avait pas divulgué la méthodologie suivie pour la sélection des membres dudit panel, que l’éventail des participants était limité aux personnes âgées de 25 à 65 ans, omettant ainsi les plus jeunes et les plus âgés, et que le sondage d’opinion ne révélait pas la marge d’erreur.

60      Il en ressort que, contrairement à ce que soutient la requérante, la chambre de recours n’a pas rejeté le sondage Waterford Study au motif qu’il s’agirait d’un sondage d’opinion et non pas d’une enquête ou qu’il aurait été réalisé au moyen d’un panel d’accès en ligne. En effet, la chambre de recours s’est fondée sur le fait qu’elle ignorait la méthodologie utilisée dans ce sondage et a remis en cause la représentativité du panel de personnes y ayant participé.

61      À cet égard, contrairement à ce que soutient la requérante, la chambre de recours n’a pas considéré que le fait que le sondage Waterford Study a été réalisé sur la base d’un panel de personnes ayant participé à des enquêtes en échange de récompenses signifiait que leurs réponses auraient été influencées. La chambre de recours a considéré que, de ce fait, les participants au sondage s’étaient sélectionnés eux-mêmes et n’avaient pas été choisis comme constituant un échantillon représentatif de la population.

62      L’argument de la requérante selon lequel le sondage Waterford Study a été réalisé auprès de 1 000 personnes ne saurait remettre en cause le fait, constaté par la chambre de recours, que la méthodologie utilisée pour sélectionner ce panel n’était pas déterminée et que ce panel n’était pas représentatif de l’ensemble de la population, notamment eu égard à l’âge des participants.

63      De même, l’argument de la requérante selon lequel il suffirait que le sondage ait été réalisé par une entité indépendante est inopérant dans la mesure où, la méthodologie suivie n’étant pas connue, il n’était pas possible d’apprécier la représentativité de l’échantillon choisi.

64      Il s’ensuit que la requérante n’a soulevé aucun argument susceptible de remettre en cause l’appréciation de la chambre de recours selon laquelle elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments permettant de s’assurer de la représentativité du panel utilisé dans le sondage Waterford Study et, partant, de la fiabilité de celui-ci.

65      Dans la mesure où, en application de la jurisprudence citée au point 57 ci-dessus, la chambre de recours a pu considérer sur la base de ce seul constat que les résultats de ce sondage manquaient de force probante, c’est à juste titre qu’elle a conclu que le sondage Waterford Study ne prouvait pas que la ville de Waterford jouissait d’une renommée en rapport avec la production de cristal ou de verre.

66      Il en ressort que l’argument de la requérante concernant l’appréciation de la chambre de recours selon laquelle la première question posée dans ce sondage était orientée doit être rejeté comme inopérant.

67      Pour le même motif, sont également inopérants les arguments de la requérante concernant les résultats du sondage Waterford Study et visant à établir que ces résultats montrent que la ville et le comté de Waterford jouissent d’une renommée pour les articles de verrerie ; que le nom géographique de Waterford est associé à la production d’articles de verrerie ; que le public croit à tort que le cristal WATERFORD est toujours fabriqué dans la ville de Waterford et que, dans la mesure où les articles de verrerie commercialisés sous la marque WATERFORD ne sont pas fabriqués à Waterford, le public pertinent serait induit en erreur quant à la véritable origine géographique des produits.

68      Partant, il convient de rejeter le second grief et, dès lors, le moyen unique.

69      Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur l’appréciation de la chambre de recours relative à la recevabilité du recours porté devant elle.

 Sur les dépens

70      Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, le Tribunal peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

71      En l’espèce, eu égard à l’ensemble des circonstances du litige et, notamment, au fait que l’EUIPO a succombé quant à l’exception d’irrecevabilité qu’il a soulevée et que la requérante a succombé quant au fond, il y a lieu de condamner l’EUIPO à supporter ses propres dépens et la requérante à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Unite the Union est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par WWRD Ireland IPCO LLC.

3)      L’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) supportera ses propres dépens.

De Baere

Kreuschitz

Steinfatt

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 juin 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.