Language of document : ECLI:EU:T:2022:407

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)

29 juin 2022 (*) (1)

« Instrument d’aide à la préadhésion – Enquête de l’OLAF – Décision de la Commission portant sanction administrative – Exclusion des procédures de passation de marchés et d’octroi de subventions financées par le budget général de l’Union pour une durée de quatre ans – Inscription dans la base de données du système de détection rapide et d’exclusion – Règlement financier – Compétence de pleine juridiction – Proportionnalité de la sanction »

Dans l’affaire T‑609/20,

LA International Cooperation Srl, établie à Milan (Italie), représentée par Mes B. O’Connor et M. Hommé, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. R. Pethke, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (dixième chambre),

composé de MM. A. Kornezov, président, E. Buttigieg et G. Hesse (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, LA International Cooperation Srl, anciennement Lattanzio e Associati SpA, demande l’annulation de la décision de la Commission européenne du 20 juillet 2020 par laquelle celle-ci l’a exclue, pour une durée de quatre ans, de la participation aux procédures de passation de marchés et d’octroi de subventions financées par le budget général de l’Union européenne ainsi que de la participation aux procédures d’octroi de fonds dans le cadre du règlement (UE) 2015/323 du Conseil, du 2 mars 2015, portant règlement financier applicable au onzième Fonds européen de développement (JO 2015, L 58, p. 17), et a ordonné la publication de cette exclusion sur son site Internet (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 17 juillet 2006, le Conseil de l’Union européenne a adopté le règlement (CE) no 1085/2006, établissant un instrument d’aide de préadhésion (IAP) (JO 2006, L 210, p. 82). En vertu de l’article 1er de ce règlement, l’Union devait aider les pays mentionnés aux annexes I et II, parmi lesquels la République de Macédoine du Nord, à s’aligner progressivement sur ses normes et ses politiques.

3        Dans le cadre de deux programmes nationaux en faveur de la République de Macédoine du Nord, adoptés au titre du volet « aide à la transition et renforcement des institutions » de l’instrument d’aide de préadhésion (IAP), deux marchés ont été attribués à la requérante.

4        Le premier contrat, conclu le 15 avril 2013, avait pour objet l’assistance technique au ministère de la Société de l’information et de l’Administration de la République de Macédoine du Nord et la consolidation de la mise en œuvre du système national de coordination des formations. La contribution finale de l’Union versée au titre de ce marché s’élevait à 982 631,65 euros.

5        Le second contrat, conclu le 19 novembre 2015, avait pour objet l’application de la législation relative à la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles. La contribution de l’Union versée au titre de ce marché s’élevait à 771 620,20 euros.

6        Le 27 mai 2016, à la suite d’informations fournies par la délégation de l’Union européenne à Skopje (Macédoine du Nord), l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a ouvert l’enquête OF/2016/0312/A 2 quant à d’éventuels faits de fraude et de corruption commis dans le cadre de projets financés au titre de l’IAP mis en œuvre en Macédoine du Nord.

7        Les 3, 4 et 5 octobre 2017, dans le cadre de cette enquête, l’OLAF a réalisé des contrôles sur place, y compris une expertise technico-légale numérique dans les locaux de la requérante à Milan (Italie).

8        Le 18 juillet 2018, l’OLAF a rendu son rapport final. En particulier, il a constaté que, au cours de la période comprise entre octobre 2012 et janvier 2017, premièrement, les procédures de passation de marchés pour les contrats visés aux points 4 et 5 ci-dessus avaient été manipulées par la requérante et ses associés en Macédoine du Nord afin de lui garantir l’attribution de ces marchés en échange de pots-de-vin proposés et versés à des fonctionnaires de l’administration publique du pays, deuxièmement, le versement de pots-de-vin était organisé par A, directeur de la coopération internationale du groupe dont la requérante et ses associés faisaient partie, troisièmement, B, associé au sein du groupe dont la requérante faisait partie et unique administrateur de celle-ci, avait également connaissance des activités de la requérante en Macédoine du Nord et les autorisait, quatrièmement, le curriculum vitae d’un expert présenté dans le cadre de l’offre relative à la procédure de passation du marché visé au point 5 ci-dessus contenait de fausses informations en ce qui concernait ses qualifications et son expérience, cinquièmement, la requérante rendait service à des hauts responsables de l’administration publique de la République de Macédoine du Nord en acceptant d’engager les experts non clés que ces derniers recommandaient et en entretenant des relations étroites avec ces fonctionnaires, notamment en leur versant des gratifications et des paiements en espèces et, sixièmement, en conséquence, la requérante disposait d’un avantage concurrentiel injustifié par rapport aux autres soumissionnaires, faussant ainsi la concurrence (ci-après les « activités litigieuses »).

9        À la suite du rapport final de l’OLAF, l’instance visée à l’article 143 du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1) (ci-après l’« instance »), a été saisie d’une demande de recommandation au titre de l’article 143, paragraphe 6, dudit règlement.

10      Le 9 août 2019, l’OLAF a envoyé, par courrier recommandé avec accusé de réception, une lettre à la requérante, dont l’objet était intitulé « Notification aux personnes concernées de la clôture de l’enquête » (ci-après la « lettre de clôture de l’enquête »).

11      Par lettre datée du 21 février 2020, l’instance a notifié à la requérante les faits concernés, leur qualification juridique préliminaire et les sanctions administratives envisagées et lui a demandé de présenter ses observations (ci-après la « lettre de notification »). Une version expurgée des données personnelles du rapport final de l’OLAF était jointe à cette lettre.

12      Par lettre datée du 19 mars 2020, la requérante a sollicité un délai supplémentaire de huit semaines pour présenter ses observations à l’instance, ce qui lui a été accordé. Par lettre datée du 21 avril 2020, la requérante a présenté ses observations dans le délai imparti.

13      Le 3 juillet 2020, l’instance a rendu sa recommandation.

14      Par la décision attaquée, suivant en cela la recommandation de l’instance, la Commission a exclu la requérante, pour une durée de quatre ans, de la participation aux procédures de passation de marchés et d’octroi de subventions financées par le budget général de l’Union ainsi que de la participation aux procédures d’octroi de fonds dans le cadre du règlement 2015/323 et a ordonné la publication de cette exclusion sur son site Internet.

 Conclusions des parties

15      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

16      La Commission conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

17      À l’appui du recours, la requérante soulève trois catégories de griefs, la première concernant la procédure devant l’OLAF, la deuxième concernant la procédure devant l’instance et la troisième concernant le bien-fondé de la décision attaquée. Elle conteste également le caractère approprié de la sanction imposée.

 Sur les griefs relatifs à la procédure devant l’OLAF

 Sur la violation de l’obligation d’informer la personne concernée dans le cadre d’une enquête de l’OLAF

18      La requérante soutient, en substance, qu’elle n’a jamais été informée qu’elle était une personne concernée par l’enquête de l’OLAF, et ce en violation des garanties procédurales prévues à l’article 9, paragraphe 3, du règlement (UE, Euratom) no 883/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 septembre 2013, relatif aux enquêtes effectuées par l’OLAF et abrogeant le règlement (CE) n° 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil et le règlement (Euratom) n° 1074/1999 du Conseil (JO 2013, L 248, p. 1), et d’autres principes fondamentaux du droit de l’Union, à savoir le principe de bonne administration, le devoir de diligence, le droit à une procédure équitable et l’interdiction de l’abus de droit. D’une part, quand bien même l’OLAF aurait mené un contrôle sur place en 2017, ce contrôle ne constituerait pas une notification valable qu’elle était une personne concernée au sens de l’article 9 du règlement no 883/2013. D’autre part, la lettre de clôture de l’enquête ne pourrait pas non plus être considérée comme une notification valable, dans la mesure où elle était adressée à A, qui n’était pas le représentant légal de la requérante. Faute d’avoir dûment été informée qu’elle était une personne concernée, la requérante n’aurait pas pu contester en temps utile la décision du directeur général de l’OLAF de différer son droit de présenter des observations sur les faits la concernant.

19      La Commission conteste cette argumentation.

20      À titre liminaire, il convient de relever que, selon la décision attaquée, celle-ci est fondée exclusivement sur le rapport final de l’OLAF expurgé mis à la disposition de l’instance et communiqué tel quel à la requérante (point 21 de la décision attaquée). Au point 19 de la décision attaquée, la Commission a considéré que l’allégation de la requérante selon laquelle l’OLAF avait violé les garanties procédurales prévues par le règlement no 883/2013 n’était pas fondée et que, partant, elle pouvait valablement se fonder sur les informations contenues dans ce rapport pour prendre sa décision.

21      C’est cette conclusion que la requérante conteste par ses griefs tenant à la procédure devant l’OLAF.

22      En ce qui concerne plus particulièrement l’obligation d’informer la personne concernée dans le cadre d’une enquête de l’OLAF, l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 883/2013 prévoit que, dès qu’il ressort d’une enquête qu’un fonctionnaire, un autre agent, un membre d’une institution ou d’un organe, un dirigeant d’un organisme ou un membre du personnel pourrait être une personne concernée, ce fonctionnaire, cet autre agent, ce membre d’une institution ou d’un organe, ce dirigeant d’un organisme ou ce membre du personnel en est informé, pour autant que cette information ne nuise pas au déroulement de l’enquête ou de toute procédure d’enquête relevant de la compétence d’une autorité judiciaire nationale.

23      Il en va de même pour une procédure d’enquête externe de l’OLAF (voir, en ce sens, arrêt du 20 juillet 2016, Oikonomopoulos/Commission, T‑483/13, EU:T:2016:421, points 229 et 230) ainsi que lorsque la personne concernée, au sens de l’article 9 du règlement no 883/2013, est une personne morale, ainsi qu’il ressort de l’article 2, paragraphe 5, du même règlement. Dans ce cas, dès lors qu’il ressort d’une telle enquête qu’un opérateur économique pourrait être concerné par celle-ci, cet opérateur devrait en être informé, pour autant que cette information ne nuise pas au déroulement de l’enquête ou de toute procédure d’enquête relevant de la compétence d’une autorité judiciaire nationale.

24      En l’espèce, il ressort du dossier que, le 3 octobre 2017, l’OLAF s’est présenté au siège social de la requérante pour réaliser un contrôle sur place. Conformément à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 883/2013, les membres du personnel de l’OLAF ont effectué leurs tâches sur production d’une habilitation écrite délivrée par le directeur général de l’OLAF dans laquelle étaient indiquées leur identité et leur qualité. Ainsi qu’il ressort de l’annexe A.14 produite par la requérante, l’habilitation en question indiquait l’objet et le but de l’enquête ainsi que les bases juridiques pour effectuer cette enquête et les pouvoirs d’enquête en découlant. Selon cette habilitation, l’enquête portait sur d’éventuels irrégularités et faits de fraude et de corruption commis dans le cadre de projets financés au titre de l’IAP et mis en œuvre en Macédoine du Nord par la requérante. Le but de l’enquête était de trouver les éléments à charge ou à décharge concernant l’éventuelle implication de la requérante.

25      Le rapport rendant compte de ce contrôle sur place présenté devant le Tribunal par la requérante confirme que les enquêteurs de l’OLAF ont informé la requérante qu’une enquête était en cours concernant d’éventuels irrégularités et faits de fraude et de corruption commis dans le cadre de projets financés au titre de l’IAP et mis en œuvre en Macédoine du Nord par elle-même. Ledit rapport porte la signature du représentant légal de la requérante.

26      Dans ces circonstances, il y a lieu de constater que, dès le 3 octobre 2017, la requérante savait qu’une enquête de l’OLAF concernant les projets financés dans le cadre de l’IAP qu’elle avait mis en œuvre en Macédoine du Nord était en cours, ce qu’elle ne conteste pas.

27      En outre, le 9 août 2019, l’OLAF a envoyé, par courrier recommandé avec accusé de réception, une lettre à la requérante dans laquelle il l’informait que ladite enquête était clôturée et que, dans le cadre de celle-ci, elle était considérée comme étant une personne concernée. Dans cette lettre, l’OLAF indiquait également qu’il avait recommandé, d’une part, à la Commission de prendre certaines mesures, notamment l’inscription de la requérante dans le système de détection rapide et d’exclusion et, d’autre part, aux autorités judiciaires italiennes d’engager des poursuites à son égard et qu’il avait à ces fins transmis son rapport final à la Commission ainsi qu’au parquet de Milan. Par ailleurs, ladite lettre précisait que, en application de l’article 9, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement no 883/2013, le directeur général de l’OLAF avait décidé, le 20 juin 2018, de différer le droit de la requérante de présenter ses observations sur les faits la concernant, parce qu’il était nécessaire de préserver la confidentialité de l’enquête et que l’affaire impliquait le recours à des procédures d’enquête relevant de la compétence d’une autorité judiciaire nationale en Italie et en Macédoine du Nord.

28      Cependant, la requérante soutient que la lettre de clôture de l’enquête ne lui a pas été dûment notifiée, en violation de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 883/2013.

29      À cet égard, selon la jurisprudence, une décision – et donc a fortiori la lettre de clôture de l’enquête – est dûment notifiée dès lors qu’elle est communiquée à son destinataire et que celui‑ci est mis en mesure d’en prendre connaissance (arrêts du 21 février 2018, LL/Parlement, C‑326/16 P, EU:C:2018:83, point 48, et du 7 décembre 2018, GE.CO.P./Commission, T‑280/17, EU:T:2018:889, point 47).

30      Afin de prouver que la lettre de clôture de l’enquête a été dûment notifiée à la requérante, la Commission a produit, en annexe au mémoire en défense, ladite lettre et l’accusé de réception de cette lettre. Il ressort de cette annexe que la lettre de clôture de l’enquête a été reçue par la requérante le 14 août 2019. Il est constant que la lettre a bien atteint le siège social de la requérante. En effet, cette dernière admet dans la requête que, en février 2020, elle a consulté ses archives et a trouvé la lettre en cause. Selon la requérante, la lettre de clôture de l’enquête n’avait pas été ouverte depuis sa réception le 14 août 2019. Elle soutient, toutefois, qu’il ne saurait être considéré que ladite lettre lui a été dûment notifiée au sens de la jurisprudence mentionnée au point 29 ci-dessus, dans la mesure où cette lettre était adressée à A, qui n’était pas son représentant légal.

31      Il est vrai que, outre le nom de la requérante et l’adresse de son siège social, la lettre de clôture de l’enquête et l’accusé de réception comportaient le nom de A et la mention « directeur du projet ».

32      Toutefois, comme le fait valoir la Commission à juste titre, il résulte de la jurisprudence que, étant donné que le siège social d’une société est le seul lieu qui doit obligatoirement être mentionné sur les documents officiels de cette société et être inscrit aux registres publics, la notification d’un acte au siège social d’une société répond dans tous les cas au critère de sécurité juridique et met cette société en mesure de prendre connaissance de l’acte notifié (ordonnance du 4 juillet 2019, Daico International/EUIPO, C‑36/19 P, non publiée, EU:C:2019:568, point 5 ; voir également, en ce sens, arrêt du 15 décembre 1994, Bayer/Commission, C‑195/91 P, EU:C:1994:412, point 21). L’existence d’une notification valable d’un acte à sa destinataire n’est ainsi nullement subordonnée à la prise de connaissance effective par la personne qui, selon les règles internes de la société destinataire, est compétente en la matière. Une société, telle que la requérante, n’a donc aucun droit d’exiger la notification d’un acte à une personne déterminée [voir, en ce sens, ordonnances du 20 novembre 2012, Shahid Beheshti University/Conseil, T‑120/12, non publiée, EU:T:2012:610, point 38, et du 22 novembre 2018, Daico International/EUIPO – American Franchise Marketing (RoB), T‑356/17, non publiée, EU:T:2018:845, point 37 et jurisprudence citée].

33      En l’espèce, dans la mesure où il n’est pas contesté que la lettre de clôture de l’enquête a été remise au siège social de la requérante, il y a lieu de considérer, d’une part, que cette lettre a été dûment notifiée à cette dernière et, d’autre part, que le fait que ladite lettre mentionnait A et non le représentant légal de la requérante ne modifie pas cette conclusion. Dès lors, force est de constater que, contrairement à ce qu’elle soutient, la requérante a été informée qu’elle était une personne concernée dès que la divulgation de cette information n’était plus susceptible de nuire au déroulement de l’enquête, conformément à l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 883/2013.

34      Par ailleurs, dans la mesure où la requérante a dûment reçu la lettre de clôture de l’enquête lui indiquant que le directeur général de l’OLAF avait décidé de différer son droit de présenter des observations, l’affirmation selon laquelle il lui aurait été impossible de contester cette décision en temps utile manque en fait.

35      Par conséquent, l’ensemble des griefs tirés de la violation de l’obligation d’informer la personne concernée par une enquête de l’OLAF doivent être écartés, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les arguments de la Commission tendant à contester leur recevabilité.

36      Dans ce contexte et pour les mêmes motifs, les allégations de la requérante concernant de prétendues violations d’autres principes fondamentaux du droit de l’Union, à savoir le principe de bonne administration, le devoir de diligence, le droit à une procédure équitable et l’interdiction de l’abus de droit, qui ne sont étayées par aucun argument autonome, doivent être écartées.

 Sur la violation du droit de la personne concernée d’être entendue avant que des conclusions la concernant soient tirées

37      La requérante fait valoir, en substance, qu’elle n’a pas été mise en mesure de faire valoir ses observations sur le rapport de l’OLAF avant sa finalisation. La décision du directeur général de l’OLAF de différer le droit de la requérante de présenter ses observations sur ce rapport violerait ainsi son droit à un procès équitable et le droit qu’elle tire de l’article 9, paragraphe 4, du règlement no 883/2013 d’être entendue avant que des conclusions la concernant soient tirées. Cette décision ne serait en outre pas suffisamment motivée. La requérante estime que, dans ces circonstances, le rapport final de l’OLAF ne pouvait pas servir de fondement à la décision attaquée.

38      La Commission conteste cette argumentation.

39      Aux termes de l’article 9, paragraphe 4, du règlement no 883/2013, une personne concernée doit se voir accorder la possibilité de présenter des observations sur les faits la concernant une fois que l’enquête a été achevée et avant que des conclusions soient tirées, excepté dans les cas dûment justifiés où il est nécessaire de préserver la confidentialité de l’enquête ou qui impliquent le recours à des procédures d’enquête relevant de la compétence d’une autorité judiciaire nationale. Dans ces cas, le directeur général de l’OLAF peut décider de différer l’exécution de l’obligation d’inviter la personne concernée à présenter ses observations.

40      En l’espèce, le directeur général de l’OLAF a décidé, le 20 juin 2018, de différer le droit de la requérante de présenter ses observations sur les faits la concernant. La requérante en a été informée par la lettre de clôture de l’enquête.

41      S’agissant de la motivation de la décision du directeur général de l’OLAF contenue dans ladite lettre, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 30 avril 2014, Hagenmeyer et Hahn/Commission, T‑17/12, EU:T:2014:234, point 173 et jurisprudence citée).

42      Selon la lettre de clôture de l’enquête, la décision de différer le droit de la requérante de présenter des observations a été prise afin de préserver la confidentialité de l’enquête et en raison, notamment, du recours à des procédures d’enquête par les autorités judiciaires italiennes. À cet égard, il y a lieu de relever que cette lettre indiquait expressément que l’OLAF avait recommandé aux autorités judiciaires italiennes d’engager des poursuites à l’encontre de la requérante et leur avait transmis son rapport à cette fin.

43      Ainsi, la lecture de cette lettre permet de constater que la motivation en cause est adaptée à la nature de la décision et fait apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de son auteur, d’une manière qui a permis à la requérante de connaître les justifications de la mesure prise et au Tribunal d’exercer son contrôle. En ce qui concerne la matérialité des faits avancés dans ladite lettre, il ressort du dossier, en particulier des pièces produites par la requérante, que le parquet de Milan a effectivement reçu le rapport final de l’OLAF et a finalement décidé d’engager des poursuites à l’encontre de la requérante et d’autres personnes.

44      Au demeurant, la requérante conteste les motifs qui ont fondé la décision de différer son droit de présenter des observations, ce qui confirme que la lettre de l’OLAF lui a donné une indication suffisante pour qu’elle ait pu apprécier si cette décision était bien fondée ou si elle était éventuellement entachée d’un vice permettant d’en contester la validité.

45      S’agissant desdits motifs, la requérante soutient que différer son droit de présenter des observations n’était pas nécessaire pour préserver la confidentialité de l’enquête étant donné qu’elle savait déjà, du fait des contrôles réalisés à son siège social, qu’une enquête était ouverte, que des documents avaient été saisis dans ses locaux et que certains de ses employés avaient été interrogés. Divulguer le rapport final de l’OLAF à la requérante n’aurait pas non plus créé un risque de fuite ou de falsification de preuves, dans la mesure où tous les documents et les témoignages avaient déjà été recueillis lors des contrôles sur place.

46      À cet égard, il y a lieu de préciser que, dans les cas nécessitant le maintien de la confidentialité d’une enquête et exigeant le recours à des moyens d’investigation relevant de la compétence d’une autorité judiciaire nationale, l’OLAF dispose d’une marge d’appréciation lorsqu’il s’agit de décider s’il y a lieu de différer le droit d’une personne concernée de présenter des observations (voir, en ce sens, arrêts du 8 juillet 2008, Franchet et Byk/Commission, T‑48/05, EU:T:2008:257, point 154, et du 6 juin 2019, Dalli/Commission, T‑399/17, non publié, EU:T:2019:384, point 135). Or, en l’espèce, la requérante ne fait que présumer que, du seul fait des contrôles sur place, le maintien de la confidentialité, au stade de la clôture de l’enquête de l’OLAF, n’était pas nécessaire et que la divulgation du rapport final de l’OLAF n’aurait pas entravé le bon déroulement de l’enquête nationale. Une telle affirmation générale n’est pas de nature à remettre en cause les motifs ayant conduit le directeur général de l’OLAF à décider de différer son droit de présenter des observations.

47      Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que fait valoir la requérante, aucune violation de l’article 9, paragraphe 4, du règlement no 883/2013, du droit à une procédure équitable et de l’obligation de motivation n’est établie.

48      Par conséquent, il y a lieu d’écarter l’ensemble des griefs tirés de la violation du droit de la personne concernée d’être entendue avant que des conclusions la concernant soient tirées, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les arguments de la Commission tendant à contester leur recevabilité.

 Sur la violation de l’obligation pour l’administration d’agir dans un délai raisonnable

49      La requérante fait valoir, en substance, que l’enquête a été excessivement longue, sans que le rapport final de l’OLAF expurgé contienne d’indications permettant de savoir si des mesures visant à accélérer l’enquête ont été prises, ce qui constituerait une violation de l’article 7, paragraphe 8, du règlement no 883/2013 et du principe de bonne administration.

50      La Commission conteste cette argumentation.

51      Le règlement no 883/2013 ne prévoit aucun délai précis et impératif pour l’accomplissement des enquêtes par l’OLAF. Cela étant, l’article 7, paragraphe 5, dudit règlement précise que les enquêtes sont conduites sans désemparer pendant une période de temps qui doit être proportionnée aux circonstances et à la complexité de l’affaire.

52      En l’espèce, il est constant que l’enquête a duré 26 mois. Durant cette période, l’OLAF a mené de nombreuses activités d’enquête. D’abord, il a collecté et analysé toutes les informations dont disposait la délégation de l’Union à Skopje. En particulier, il a examiné les documents relatifs aux passations de marchés publics fournis par la délégation. Ensuite, il a contacté le bureau du procureur spécial de Macédoine du Nord pour obtenir davantage d’informations. L’OLAF a aussi contacté le parquet de Milan et demandé l’assistance du service de coordination antifraude roumain afin de pouvoir enquêter sur certains comptes bancaires roumains liés à la requérante. Cinq réunions avec des informateurs ont également été organisées à Bruxelles (Belgique) et à Skopje. Enfin, du 3 au 5 octobre 2017, l’OLAF a effectué, avec l’assistance de la Guardia di Finanza (Garde des finances, Italie), des contrôles au siège social de la requérante à Milan. Lors de ces contrôles, l’OLAF a interrogé trois témoins et réalisé une expertise technico-légale numérique. À cette occasion, l’OLAF a pris copie d’un grand nombre de documents, notamment des courriels. Cette enquête peut donc être considérée comme présentant une certaine complexité. En effet, l’enquête a nécessité l’examen de nombreuses pièces et l’OLAF a dû se coordonner avec les autorités compétentes de deux États membres et d’un pays tiers. Dès lors, il y a lieu de constater, au regard des éléments susmentionnés, que la durée de l’enquête est, conformément à l’article 7, paragraphe 5, du règlement no 883/2013, proportionnée aux circonstances et à la complexité de l’affaire.

53      Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la requérante, aucune violation de l’obligation pour l’administration d’agir dans un délai raisonnable n’est établie.

54      Certes, comme le soutient la requérante, l’article 7, paragraphe 8, du règlement no 883/2013 prévoit que si une enquête ne peut être close dans les douze mois suivant son ouverture, le directeur général de l’OLAF soumet, à l’expiration du délai de douze mois et ensuite tous les six mois, un rapport au comité de surveillance en indiquant les raisons pour lesquelles cela n’a pas été possible ainsi que les mesures correctives envisagées en vue d’accélérer l’enquête.

55      Toutefois, à supposer même que l’OLAF n’ait pas agi conformément à l’article 7, paragraphe 8, du règlement no 883/2013, force est de constater que le non-respect de cette obligation, laquelle ne crée pas des droits à l’égard de la requérante, n’affecterait pas directement celle-ci et qu’un tel manquement serait sans conséquence sur le fait que, ainsi qu’il a été constaté, la durée de l’enquête a été proportionnée aux circonstances de l’espèce. Les arguments de la requérante fondés sur l’article 7, paragraphe 8, du règlement no 883/2013 sont donc inopérants.

56      Par conséquent, il y a lieu d’écarter l’ensemble des griefs tirés de la violation de l’obligation pour l’administration d’agir dans un délai raisonnable, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les arguments de la Commission tendant à contester leur recevabilité.

 Sur la violation de l’exigence d’une enquête à charge et à décharge

57      La requérante fait valoir, en substance, que les rapports rendant compte des contrôles sur place font état du degré de coopération qu’elle a démontré. Le rapport final de l’OLAF expurgé ne reflèterait cependant pas cette évaluation favorable, ce qui constituerait une violation de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 883/2013 ainsi que du principe de bonne administration et aurait directement influencé l’appréciation de l’instance quant à la sanction qu’il convenait d’appliquer en l’espèce.

58      La Commission conteste cette argumentation.

59      Il est vrai que, comme le soutient la requérante, les rapports rendant compte des contrôles sur place font état de la bonne et entière coopération de la requérante. Cette information ne se trouve cependant pas dans le rapport final de l’OLAF expurgé.

60      Aux termes de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 883/2013, l’OLAF enquête à charge et à décharge. Il conduit les enquêtes de façon objective et impartiale, dans le respect du principe de la présomption d’innocence et des garanties de procédure exposées dans cet article.

61      Il y a lieu de rappeler que l’OLAF exerce ses compétences d’enquête dans le cadre de la lutte contre la fraude, la corruption et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union (article 1er du règlement no 883/2013). À cette fin, l’OLAF enquête sur le caractère éventuellement irrégulier des activités qu’il contrôle (article 2, point 4, du règlement no 883/2013). À l’issue de l’enquête, il établit un rapport qui fait le point sur la base juridique de l’enquête, les phases procédurales qui ont été suivies, les faits constatés et leur qualification juridique préliminaire, l’incidence financière estimée des faits constatés, le respect des garanties de procédure conformément à l’article 9 du règlement no 883/2013 ainsi que les conclusions de l’enquête (article 11 du règlement no 883/2013).

62      Dans ces conditions, la notion d’élément « à décharge », au sens de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 883/2013, doit s’entendre comme tout élément de fait ou de droit susceptible de démontrer qu’une personne concernée n’est pas impliquée dans des faits de fraude ou de corruption ou d’autres activités illégales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.

63      Dès lors, il y a lieu de considérer que la bonne coopération ou, à l’inverse, le manque de coopération d’un opérateur économique lors des contrôles sur place n’est pas un élément à décharge ou à charge, au sens de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 883/2013, de nature à établir l’éventuel caractère irrégulier des actions commises par cet opérateur.

64      En l’espèce, doivent notamment se trouver dans le rapport final de l’OLAF tous les éléments prouvant ou réfutant le caractère irrégulier des activités de la requérante dans le contexte des projets financés au titre de l’IAP mis en œuvre en Macédoine du Nord. La bonne coopération de la requérante lors des contrôles sur place ne pouvant ni prouver ni réfuter le caractère irrégulier des activités faisant l’objet de l’enquête de l’OLAF, il ne saurait être reproché à ce dernier de ne pas l’avoir mentionnée dans son rapport final.

65      Il n’est pas non plus établi que, en omettant cette information dans son rapport final, l’OLAF aurait agi contrairement au principe de bonne administration.

66      Les considérations qui précèdent ne signifient pas que la Commission était dispensée de transmettre cette information à l’instance ou de la prendre en compte lors de la détermination de la sanction. À ce dernier égard, l’incidence de la bonne coopération de la requérante sur la sanction est examinée aux points 153 et suivants ci-après.

67      Il s’ensuit que, contrairement à ce que la requérante soutient, la seule circonstance que sa bonne coopération lors des contrôles sur place ait été omise dans le rapport final de l’OLAF n’établit ni une violation de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 883/2013 ni une violation du principe de bonne administration.

68      Dès lors, il y a lieu d’écarter les griefs tirés de la violation de l’exigence d’une enquête à charge et à décharge, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les arguments de la Commission tendant à contester leur recevabilité.

69      Par conséquent, il y a lieu d’écarter les griefs relatifs à la procédure devant l’OLAF dans leur intégralité.

 Sur les griefs relatifs à la procédure devant l’instance

70      Les griefs de la requérante visant la procédure devant l’instance sont de deux ordres.

71      En premier lieu, la requérante soutient, en substance, que l’instance a violé les « articles 41, 47, 48 et 54 » de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en ce qu’elle ne lui aurait pas permis de présenter des observations sur les faits établis dans le rapport de l’OLAF avant de lui adresser la qualification juridique préliminaire de ces faits.

72      La Commission conteste cette argumentation.

73      À cet égard, il importe de rappeler qu’il appartient aux autorités destinataires du rapport final de l’OLAF qui ont l’intention d’adopter des actes faisant grief aux personnes concernées en se fondant sur des éléments contenus dans ce rapport de donner accès à ces éléments afin que ces personnes puissent exercer leurs droits de la défense (voir arrêt du 28 novembre 2018, Le Pen/Parlement, T‑161/17, non publié, EU:T:2018:848, point 67 et jurisprudence citée).

74      Le droit d’être entendu est aujourd’hui consacré non seulement par les articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux, qui garantissent le respect des droits de la défense ainsi que du droit à un procès équitable dans le cadre de toute procédure juridictionnelle, mais également par l’article 41 de celle-ci, qui assure le droit à une bonne administration. L’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux prévoit que ce droit à une bonne administration comporte, notamment, le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement soit prise à son égard.

75      En vertu de ce principe, qui trouve à s’appliquer dès lors que l’administration se propose de prendre à l’encontre d’une personne un acte qui lui fait grief, les destinataires de décisions qui affectent de manière sensible leurs intérêts doivent être mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue quant aux éléments sur lesquels l’administration entend fonder sa décision (voir arrêt du 3 juillet 2014, Kamino International Logistics et Datema Hellmann Worldwide Logistics, C‑129/13 et C‑130/13, EU:C:2014:2041, point 30 et jurisprudence citée). Le droit d’être entendu s’impose même lorsque la réglementation applicable ne prévoit pas expressément une telle formalité (voir, en ce sens, arrêt du 3 juillet 2014, Kamino International Logistics et Datema Hellmann Worldwide Logistics, C‑129/13 et C‑130/13, EU:C:2014:2041, points 31 et 39 et jurisprudence citée).

76      En l’espèce, la réglementation applicable prévoit, à l’article 143, paragraphe 5, du règlement 2018/1046 et à l’article 13, paragraphe 2, de la décision (UE) 2018/1220 de la Commission, du 6 septembre 2018, relative au règlement intérieur de l’instance visée à l’article 143 du règlement 2018/1046 (JO 2018, L 226, p. 7, ci-après le « règlement intérieur »), que, avant d’adopter sa recommandation, l’instance respecte le droit de la personne concernée de présenter ses observations sur les faits et la qualification juridique préliminaire de ces faits.

77      Il est constant que la requérante a bien reçu la lettre de notification de l’instance l’invitant à présenter ses observations (voir points 11 et 12 ci-dessus). Cette lettre contenait les faits concernés, leur qualification juridique préliminaire et les sanctions administratives envisagées ainsi que le rapport final de l’OLAF mis à la disposition de l’instance. La requérante a demandé un délai supplémentaire de huit semaines pour présenter ses observations, ce qui lui a été accordé. La requérante a donc été mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue quant aux éléments sur lesquels l’administration entendait fonder sa décision. La requérante a présenté ses observations dans le délai imparti, ainsi qu’il ressort du point 11 de la décision attaquée.

78      Ce faisant, l’instance a agi dans le respect du droit de la requérante d’être entendue tel qu’il est consacré par l’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux. Dès lors que les faits concernés, leur qualification juridique préliminaire, les sanctions administratives envisagées et le rapport final de l’OLAF dont disposait l’instance lui avaient été communiqués, la requérante disposait des éléments sur lesquels la Commission entendait fonder la décision attaquée, et ce avant qu’elle l’adopte. En effet, la qualification juridique préliminaire des faits adressée à la personne concernée, en vertu de l’article 143, paragraphe 5, du règlement 2018/1046, intervient avant que l’instance adopte sa recommandation et avant que la Commission prenne sa décision. En d’autres termes, la qualification juridique préliminaire des faits contenue dans la lettre de notification, sur laquelle la requérante a présenté ses observations, n’était que « préliminaire » et pouvait donc, le cas échéant, être revue en fonction des arguments et des éléments de preuve que la requérante présentait.

79      Il s’ensuit que le fait que la requérante n’a pas pu commenter le rapport final de l’OLAF avant que l’instance lui adresse la qualification juridique préliminaire des faits ne constitue pas une violation de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux.

80      Par ailleurs, concernant les prétendues violations alléguées des articles 47, 48 et 54 de la charte des droits fondamentaux, la requérante ne présente aucune argumentation autonome susceptible de justifier l’applicabilité de ces dispositions au cas d’espèce et encore moins d’établir leur violation. Ces allégations doivent donc être écartées.

81      Par conséquent, il y a lieu d’écarter l’ensemble des griefs reprochant à l’instance de ne pas avoir donné la possibilité à la requérante de présenter ses observations sur les faits établis dans le rapport final de l’OLAF avant de les qualifier juridiquement.

82      En second lieu, la requérante fait valoir, en substance, que l’instance a violé l’article 13, paragraphe 2, de son règlement intérieur et n’a pas respecté ses droits de la défense en ce qu’elle lui aurait communiqué des informations très largement expurgées et aurait disposé de plus d’informations qu’elle.

83      La Commission conteste cette argumentation.

84      Aux termes de l’article 13, paragraphe 2, du règlement intérieur, l’instance adresse à l’opérateur économique concerné une lettre de communication des faits et de leur qualification juridique préliminaire dans laquelle elle ne prend en considération que les pièces dont cet opérateur a pu prendre connaissance.

85      En l’espèce, il s’agit de la lettre de notification. Au point 6 de ladite lettre, l’instance a informé la requérante que le rapport final de l’OLAF avait été expurgé. Selon cette lettre, la version expurgée du rapport final de l’OLAF était aussi celle qui avait été mise à la disposition de l’instance. En ce qui concerne les parties expurgées du rapport, la lettre précisait que les omissions se limitaient à ce qui était nécessaire pour protéger les droits légitimes des tiers et la confidentialité des procédures judiciaires et des enquêtes de l’OLAF.

86      Il s’ensuit que l’instance et la requérante ont eu accès à la même version du rapport final de l’OLAF, à savoir la version expurgée. Contrairement à ce que soutient la requérante, elle disposait, à tout le moins, des mêmes informations que l’instance.

87      En ce qui concerne les informations occultées dans le rapport, il y a lieu de relever, tout d’abord, que la requérante ne reproche ni à l’instance ni à la Commission de s’être fondées sur des éléments à charge qui ne lui auraient pas été communiqués lors de la procédure administrative.

88      Ensuite, il importe de préciser que, ainsi qu’il ressort du rapport final de l’OLAF expurgé, les preuves recueillies et sur lesquelles l’instance s’est appuyée sont principalement des extraits de courriels. Ces courriels ont été saisis par l’OLAF lors de l’expertise technico-légale numérique ayant eu lieu dans les locaux de la requérante. La requérante dispose de cette correspondance électronique sur ses serveurs. Il lui est donc possible, en principe, de retrouver les courriels en question et de les consulter si elle a des doutes sur la véracité des faits rapportés dans le rapport final de l’OLAF expurgé. L’occultation de certaines données dans ledit rapport n’a dès lors pas empêché la requérante de comprendre les faits qui lui étaient reprochés dans la lettre de notification, leur qualification juridique préliminaire et les preuves qui appuyaient ces reproches. Force est de constater que la requérante disposait de toutes les informations nécessaires à sa défense.

89      Enfin, à supposer même que des éléments à décharge aient été occultés ou omis dans le rapport final de l’OLAF expurgé, la requérante, ayant accès à l’ensemble de la correspondance électronique en question sur ses serveurs, pouvait saisir l’opportunité qui lui était donnée par l’instance de faire valoir ses observations pour produire les éventuels courriels à décharge. Elle n’a toutefois produit aucun élément à décharge devant l’instance ou devant le Tribunal (voir points 116 et suivants ci-après).

90      Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que la procédure devant l’instance n’est pas entachée d’une irrégularité en ce que celle-ci aurait méconnu les droits de la défense de la requérante ou violé l’article 13, paragraphe 2, du règlement intérieur. Au contraire, il y a lieu de constater que l’instance a respecté ce principe et cette disposition, dès lors que la lettre de notification contenant les faits concernés et leur qualification juridique préliminaire était uniquement fondée sur des informations dont la requérante avait pu prendre connaissance.

91      Le fait que l’instance ait mentionné la date du rapport final de l’OLAF au point 9 de la lettre de notification alors que celle-ci ne serait pas divulguée dans la version expurgée de ce rapport ne remet pas en cause cette conclusion. En effet, la seule circonstance que l’instance ait eu connaissance de la date de remise du rapport final de l’OLAF n’est, contrairement à ce que soutient la requérante, pas suffisante en soi pour considérer qu’elle a eu accès à d’autres informations que celles contenues dans la version expurgée dudit rapport. La requérante n’a en outre identifié aucun élément de nature à démontrer que l’instance, puis la Commission se seraient fondées sur des informations auxquelles elle n’aurait pas eu accès.

92      De même, le seul fait que l’article 9 du règlement intérieur prévoit que l’instance consulte l’OLAF avant d’envoyer la lettre de notification à l’opérateur économique concerné ne permet pas, en tant que tel, de conclure que, en l’espèce, l’instance a eu accès à la version confidentielle du rapport final de l’OLAF. En effet, contrairement à ce que prétend la requérante, il ne peut être déduit du libellé de cette disposition que l’instance aurait d’abord eu accès à l’ensemble du rapport final et que, seulement après consultation de l’OLAF, ledit rapport aurait été expurgé. Le libellé de cette disposition permet seulement de conclure que l’instance a vraisemblablement communiqué la lettre de notification contenant la qualification juridique préliminaire des faits à l’OLAF avant de la communiquer à la requérante.

93      Eu égard à ce qui précède, ni la violation de l’article 13, paragraphe 2, du règlement intérieur ni la violation des droits de la défense de la requérante ne sont établies. Les griefs de la requérante à cet égard doivent être écartés.

94      Par conséquent, il y a lieu d’écarter les griefs relatifs à la procédure devant l’instance dans leur intégralité.

 Sur les griefs relatifs au bien-fondé de la décision attaquée

 Sur la compréhension par l’instance du rapport final de l’OLAF expurgé et des preuves annexées à ce rapport

95      En premier lieu, la requérante fait valoir, en substance, que l’instance n’était pas à même d’apprécier, indépendamment de l’OLAF, les preuves annexées au rapport final parce qu’elles étaient en italien.

96      La Commission conteste cette argumentation.

97      Aucun élément ne permet de comprendre à quel titre le fait que les preuves annexées au rapport final de l’OLAF expurgé étaient en italien aurait privé l’instance de toute possibilité d’en apprécier le contenu. Ce grief doit donc être écarté.

98      En second lieu, la requérante fait valoir, en substance, que l’instance n’a pas été à même de dûment apprécier les faits qui lui étaient reprochés, dès lors qu’elle n’avait accès qu’à une version expurgée du rapport final de l’OLAF et de ses annexes. Selon la requérante, l’instance n’a pas pu comprendre si les noms occultés dans le rapport final de l’OLAF et ses annexes étaient ceux de ses salariés, de lobbyistes ou de fonctionnaires de l’administration publique de Macédoine du Nord. L’instance aurait travaillé sur des preuves incomplètes et aurait été contrainte de s’en remettre à l’interprétation donnée par l’OLAF des preuves confidentielles connues uniquement de lui. Ce faisant, l’instance aurait violé les « articles 135 à 143 » du règlement 2018/1046, le principe de bonne administration, le devoir de diligence et le droit à une procédure équitable.

99      La Commission conteste cette argumentation.

100    À titre liminaire, il importe de relever que la requérante fonde ce grief sur le règlement 2018/1046, tant pour les règles de procédure que pour les règles de fond.

101    À cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante que les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur, à la différence des règles de fond qui sont habituellement interprétées comme ne visant pas, en principe, des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur (voir arrêt du 14 février 2008, Varec, C‑450/06, EU:C:2008:91, point 27 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 27 juin 2017, NC/Commission, T‑151/16, EU:T:2017:437, points 35 et 36).

102    En d’autres termes, la Commission devait adopter la décision attaquée selon la procédure et dans les formes prescrites par les dispositions en vigueur à la date de ladite décision, soit celles prévues par le règlement 2018/1046. En revanche, en vue de garantir le respect des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, le droit matériel applicable demeure celui en vigueur au moment où les activités litigieuses ont été commises. Cette règle découle notamment du principe de légalité des délits et des peines consacré à l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux.

103    Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que les activités litigieuses avaient eu lieu entre le 17 octobre 2012 et le 12 janvier 2017.

104    Les règles de fond appliquées, selon la période pertinente, par la Commission dans la décision attaquée sont :

–        l’article 93 du règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO 2002, L 248, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE, Euratom) no 1995/2006 du Conseil, du 13 décembre 2006 (JO 2006, L 390, p. 1), applicable à partir du 22 août 2006, qui prévoit que des sanctions administratives peuvent être infligées à un opérateur économique qui a commis une faute professionnelle grave ;

–        l’article 106, paragraphe 1, du règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement no 1605/2002 (JO 2012, L 298, p. 1), applicable à partir du 1er janvier 2013, qui prévoit que des sanctions administratives peuvent être infligées à un opérateur économique qui a commis une faute professionnelle grave ;

–        et l’article 106, paragraphe 1, du règlement no 966/2012, tel que modifié par le règlement (UE, Euratom) 2015/1929 du Parlement européen et du Conseil, du 28 octobre 2015 (JO 2015, L 286, p. 1), applicable à partir du 1er janvier 2016, qui prévoit que des sanctions administratives peuvent être infligées à un opérateur économique qui s’est rendu coupable de corruption et à celui qui a commis une faute professionnelle grave.

105    Par suite, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références faites par la requérante aux dispositions du règlement 2018/1046 comme visant les dispositions mentionnées au point 104 ci-dessus.

106    En ce qui concerne la question de savoir si l’instance et la Commission étaient à même de comprendre et d’apprécier les éléments contenus dans le rapport final de l’OLAF expurgé et ses annexes malgré l’occultation des données à caractère personnel, il convient de rappeler que les preuves en question sont pour la plupart des courriels qui ont été collectés sur les serveurs de la requérante. Outre les résumés fournis par l’OLAF dans son rapport final, l’instance et la Commission disposaient des courriels eux-mêmes, quand bien même ils étaient expurgés de certaines données à caractère personnel. Il importe de relever que ces courriels impliquent systématiquement A et B, dont les noms et les fonctions au sein de la requérante sont divulgués. Ces informations ainsi que le contenu même desdits courriels sont suffisants pour en comprendre la teneur et en apprécier la valeur probante, indépendamment des données à caractère personnel occultées. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de considérer que l’instance ou la Commission se seraient fondées sur des preuves qu’elles n’étaient pas à même de comprendre.

107    Au demeurant, la requérante n’a présenté aucun élément de preuve ni aucune offre de preuve susceptibles de mettre en doute l’exactitude ou la véracité des faits appréciés dans la décision attaquée, que ce soit devant l’instance ou devant le Tribunal (voir points 122 et 123 ci-après). Dès lors, en l’absence de tels éléments, il n’y a pas lieu de douter de la crédibilité des éléments retenus à charge ni de reprocher à l’instance ou à la Commission d’en avoir tenu compte.

108    Par conséquent, il y a lieu d’écarter le grief de la requérante tiré de l’incapacité de l’instance et de la Commission à comprendre et à apprécier le contenu du rapport final de l’OLAF expurgé et de ses annexes, du fait de l’occultation de certaines données.

109    Dans ce contexte et pour les mêmes motifs, les allégations de la requérante concernant de prétendues violations du principe de bonne administration et du devoir de diligence, qui ne sont étayées par aucun argument autonome, doivent être écartées. Les allégations concernant une prétendue violation des droits de la défense de la requérante ont, quant à elles, déjà été examinées et écartées aux points 82 à 90 ci-dessus.

110    Il s’ensuit que l’ensemble des griefs concernant la compréhension par l’instance du rapport final de l’OLAF expurgé et des preuves annexées à ce rapport doit être écarté.

 Sur les faits de corruption et de faute professionnelle grave commis par la requérante

111    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, dans la décision attaquée, la Commission a constaté que, entre le 17 octobre 2012 et le 12 janvier 2017, la requérante avait manipulé les procédures de passation de deux marchés financés par le budget de l’Union en versant des pots-de-vin à des fonctionnaires de l’administration publique de Macédoine du Nord, en engageant des experts non essentiels que ces fonctionnaires recommandaient et en présentant de fausses informations sur les qualifications et l’expérience  d’un expert dans le cadre de l’une de ces procédures d’attribution de marché. Le versement des pots-de-vin aurait été organisé par A, ce dont B, associé au sein du groupe dont la requérante faisait partie et unique administrateur de celle-ci, aurait eu connaissance. En conséquence, la requérante aurait obtenu un avantage concurrentiel injustifié par rapport aux autres soumissionnaires, faussant ainsi la concurrence (points 7 à 27 de la décision attaquée).

112    La faute professionnelle grave est définie, dans la décision attaquée, comme étant, notamment, le comportement par lequel un opérateur économique viole des dispositions législatives ou réglementaires applicables ou des normes de déontologie de la profession à laquelle il appartient, ou adopte une conduite fautive qui a une incidence sur sa crédibilité professionnelle, dès lors que cette conduite dénote une intention fautive ou une négligence grave.

113    La Commission a considéré que, compte tenu du comportement de la requérante exposé au point 111 ci-dessus, celle-ci avait commis une faute professionnelle grave et, partant, devait être exclue de la participation aux procédures de passation de marchés et d’octroi de subventions financées par le budget général de l’Union conformément à l’article 93 du règlement no 1605/2002, tel que modifié par le règlement no 1995/2006, à l’article 106, paragraphe 1, du règlement no 966/2012 et à l’article 106, paragraphe 1, du règlement no 966/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1929.

114    En outre, dans la décision attaquée, la Commission a considéré, au regard de l’article 106, paragraphe 1, du règlement no 966/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1929, qu’un opérateur économique devait être regardé comme s’étant rendu coupable de corruption dès lors qu’il avait commis des actes définis comme tels par la loi du pays dans lequel il était établi. La Commission a relevé que la loi pertinente en l’espèce était le code pénal italien. À cet égard, selon la décision attaquée, l’article 319 du code pénal italien prévoit, en particulier, que le fonctionnaire qui, afin d’accomplir un acte contraire aux devoirs de son office, reçoit, pour lui-même ou pour un tiers, de l’argent ou d’autres avantages, ou en accepte la promesse, est puni d’une peine d’emprisonnement de six à dix ans. L’article 319 bis du code pénal italien prévoit, en outre, que la sanction est aggravée si l’acte visé à l’article 319 a pour objet la conclusion de contrats auxquels participe l’administration à laquelle ce fonctionnaire appartient. L’article 321 du code pénal italien prévoit que les peines prévues à l’article 318, premier alinéa, et aux articles 319, 319 bis, 319 ter dudit code ainsi qu’à l’article 320 de ce code en ce qui concerne les hypothèses visées aux articles 318 et 319, s’appliquent également à ceux qui donnent ou promettent de l’argent ou d’autres avantages à un fonctionnaire ou à la personne chargée d’un service public. Enfin, l’article 322 bis du code pénal italien prévoit notamment que les dispositions de l’article 319 quater, deuxième alinéa, de l’article 321 et de l’article 322, premier et deuxième alinéas, de ce code s’appliquent également si l’argent ou les autres avantages sont accordés, offerts ou promis aux personnes qui exercent des fonctions ou des activités correspondant à celles des fonctionnaires et des personnes chargées d’un service public au sein d’autres États étrangers ou d’organisations internationales publiques. Les personnes visées au premier alinéa  de cet article 322 bis sont assimilées à des fonctionnaires lorsqu’ils exercent des fonctions correspondantes et à des personnes chargées d’un service public dans les autres cas.

115    La Commission a conclu que, par le comportement décrit au point 111 ci-dessus, qui a été continu durant toute la période concernée, la requérante s’était rendue coupable de faits de corruption et, par conséquent, devait être exclue de la participation aux procédures de passation de marchés et d’octroi de subventions financées par le budget général de l’Union conformément à l’article 106, paragraphe 1, du règlement no 966/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1929. À ce dernier égard, la Commission a estimé que, si elle ne pouvait pas, en principe, imposer des sanctions pour des faits de corruption commis avant le 1er janvier 2016, le caractère continu du comportement fautif jusqu’au 12 janvier 2017 lui permettait d’adopter une décision portant sanction administrative pour de tels motifs.

116    La requérante conteste ces conclusions. Elle fait valoir, en substance, que l’instance et la Commission ont commis plusieurs erreurs en appréciant les faits établis dans le rapport final de l’OLAF expurgé, violant ainsi le principe de bonne administration et le devoir de diligence.

117    La Commission conteste cette argumentation.

118    Le droit à une bonne administration figure parmi les garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives et se trouve consacré à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux. Le devoir de diligence est inhérent au principe de bonne administration et exige de l’administration de l’Union qu’elle agisse avec soin et prudence [voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2008, Masdar (UK)/Commission, C‑47/07 P, EU:C:2008:726, points 92 et 93].

119    À titre liminaire, il convient de rappeler que, ainsi que l’expose le point 104 ci-dessus, en vertu du droit matériel applicable ratione temporis, les faits de corruption ne pouvaient être retenus à l’encontre de la requérante qu’à partir du 1er janvier 2016, tandis que la faute professionnelle grave pouvait être retenue à son égard pour toute la durée de la période litigieuse.

120    En premier lieu, la requérante fait valoir que les activités visées dans l’échange de courriels joint en annexe 11 du rapport final de l’OLAF expurgé auraient été qualifiées, à tort, de faits de fraude et de corruption. L’annexe A.19 produite par la requérante montrerait qu’il s’agissait d’activités de lobbying, de « primes de réussite », de problèmes liés aux dépenses d’un bureau local et au personnel nécessaire à l’accomplissement des activités de la requérante en Macédoine du Nord et plus généralement dans les Balkans. Ces activités ne seraient pas illégales et estimer le contraire violerait le principe de bonne administration.

121    À cet égard, il y a lieu de relever que le rapport final de l’OLAF expurgé indique, au point 2.3.6.2, que, en juillet 2015, A a informé ses collègues qu’un fonctionnaire de l’administration publique de la République de Macédoine du Nord souhaitait que la requérante lui offre des vacances en Espagne pour un montant s’élevant à 2 500 euros. A aurait alors indiqué à ses collègues que s’ils voulaient garder contact avec ce fonctionnaire, ils n’avaient pas vraiment le choix. Selon ce rapport, la requérante a bien pris la décision de payer lesdites vacances.

122    Or, force est de constater que l’annexe A.19, produite par la requérante, confirme en tout point ce qui précède. Il ressort en effet des échanges de courriels contenus dans ladite annexe que le contact principal de la requérante en Macédoine du Nord était C, un haut fonctionnaire du ministère de la Société de l’information et de l’Administration de la République de Macédoine du Nord. En particulier, les échanges révèlent non seulement que C souhaitait que la requérante lui paie des vacances en Espagne et que cette dernière a accepté, mais aussi que la requérante lui avait déjà payé un voyage l’année précédente.

123    Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que ces activités peuvent être qualifiées, au regard des définitions énoncées aux points 112 et 114 ci-dessus, de faits de corruption et de faute professionnelle grave.

124    En deuxième lieu, la requérante soutient que la Commission s’est contentée de présumer que les « primes de réussite » qu’elle avait versées à des fonctionnaires de l’administration publique de la République de Macédoine du Nord étaient des paiements destinés à obtenir des faveurs de la part de ces fonctionnaires, quand en réalité ces primes étaient destinées à rémunérer les lobbyistes qui travaillaient directement pour elle dans les Balkans. La Commission se serait contentée de reprendre les constats de l’OLAF sans examiner cette question de manière indépendante. Ce faisant, la Commission aurait violé le principe de bonne administration et le devoir de diligence.

125    À cet égard, il importe de préciser d’emblée que, contrairement à ce que soutient la requérante, il ressort des points 13 à 33 de la décision attaquée que la Commission a apprécié de manière indépendante, en prenant en considération les observations de la requérante, les preuves réunies et les constats opérés par l’OLAF, y compris ceux concernant la question des « primes de réussite ».

126    Ensuite, même en admettant que certains paiements – ou « primes de réussite » – étaient destinés à des lobbyistes au service de la requérante, il n’en demeure pas moins que d’autres paiements étaient indubitablement destinés à des fonctionnaires, ainsi que l’illustre le point 121 ci-dessus. Il ressort également du rapport final de l’OLAF expurgé que, en 2015, A a avalisé, pour le compte de la requérante, le versement de 1 500 euros répartis entre trois fonctionnaires travaillant au sein du ministère impliqué dans la procédure de passation d’un des marchés en cause. Outre ces paiements, la décision attaquée relève les faveurs que la requérante était disposée à accorder à certains fonctionnaires. Il résulte par exemple de l’enquête de l’OLAF que, en 2012, A s’est engagé auprès d’un fonctionnaire à trouver pour l’un de ses amis un emploi d’expert dans le cadre d’un des marchés en cause. Or, la requérante ne conteste pas la matérialité de ces faits.

127    Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de conclure que, contrairement à ce que soutient la requérante, il est établi que certains paiements – ou « primes de réussite » – ainsi que des faveurs étaient destinés à des fonctionnaires de l’administration publique de Macédoine du Nord impliqués directement ou indirectement dans les procédures de passation des marchés en cause. Ces paiements et ces faveurs, accordés par la requérante dans le but d’obtenir des informations privilégiées quant aux procédures de passation des marchés en cause, constituent, au regard des définitions énoncées aux points 112 et 114 ci-dessus, des faits de corruption et de faute professionnelle grave. La Commission n’a donc pas violé le principe de bonne administration et le devoir de diligence, comme le fait valoir la requérante.

128    En troisième lieu, la requérante fait valoir, en ce qui concerne les courriels échangés entre décembre 2016 et janvier 2017, que la version expurgée du rapport final de l’OLAF n’a pas pu permettre à la Commission de savoir à qui était destiné le paiement de janvier 2017 mentionné au point 2.3.1.3 dudit rapport. Elle soutient que si la Commission avait eu accès à toutes les informations, elle aurait su que ce paiement était destiné à D, son lobbyiste dans les Balkans. La conclusion selon laquelle les faits de corruption auraient duré jusqu’en janvier 2017 serait inexacte.

129    À cet égard, il y a lieu de relever que, au point 2.3.1.1 du rapport final de l’OLAF expurgé, il est indiqué que, en 2014 et 2015, A était en contact avec un fonctionnaire du ministère de la Société de l’information et de l’Administration qui avait accès à des personnes clés du ministère de l’Éducation, à savoir le ministère impliqué dans la procédure de passation du marché mentionné au point 5 ci-dessus. Le fonctionnaire en question donnait à la requérante des informations privilégiées sur cette procédure de passation de marché.

130    Il ressort ensuite du point 2.3.1.2 du rapport final de l’OLAF expurgé que, après la signature du marché en cause, des négociations ont débuté entre la requérante et ce fonctionnaire quant au montant de sa « prime de réussite ». Il peut être déduit du contexte de ce rapport final que les noms occultés appartiennent tantôt au fonctionnaire en question, tantôt à une personne travaillant pour le compte de la requérante. Cette personne était supposée recevoir 5 000 euros pour son rôle d’intermédiaire. Compte tenu des affirmations de la requérante reprises au point 128 ci-dessus, cet intermédiaire était D, le « lobbyiste » de la requérante. Toujours selon ce rapport final, en décembre 2015, la requérante a trouvé un accord avec ledit fonctionnaire pour ce qui est des termes et du calendrier des paiements. Lesdits paiements étaient supposés se faire en espèces. Le rapport final de l’OLAF expurgé décrit alors les difficultés de la requérante à trouver le moyen de retirer des espèces à moindres frais et sans être détectée par les autorités responsables de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. En parallèle, de nouvelles négociations avaient lieu pour inciter le fonctionnaire à accepter de réduire le montant de la « prime de réussite ». Le point 2.3.1.3 du rapport final de l’OLAF expurgé fait état des discussions entre A et B en vue de résoudre le problème lié au paiement de cette « prime de réussite ». Finalement, la requérante a décidé, après avoir reçu les fonds au titre du marché en cause, qu’un premier transfert vers un compte roumain aurait lieu en janvier 2016 et un autre en mars 2016. A, qui avait procuration pour ce compte, a fait un premier retrait d’espèces sur ledit compte en janvier 2016 immédiatement après le premier transfert, puis un second retrait en mars 2016 selon la même procédure. Dans son rapport final, l’OLAF conclut que ces deux sommes étaient destinées au fonctionnaire en question.

131    Enfin, le passage du rapport final de l’OLAF expurgé mentionné par la requérante, qui concerne le paiement de janvier 2017 à D, indique que ce dernier a contacté A en août 2016 au sujet de la somme de 5 000 euros qui lui était due. De nouveaux courriels auraient été échangés à ce sujet en décembre 2016 car le paiement n’avait toujours pas eu lieu. Au cours de ces échanges, il aurait été rappelé que D avait versé des sommes à des tiers afin que la requérante puisse obtenir le marché en cause. Le paiement en cause a finalement été fait le 12 janvier 2017.

132    Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de conclure que, contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission était tout à fait à même de comprendre, sur la base du rapport final de l’OLAF expurgé, que, quand bien même le paiement de janvier 2017 était destiné à un « lobbyiste » au service de la requérante, ce paiement visait à rémunérer le concours apporté par cette personne à l’accomplissement des activités litigieuses. Ainsi au regard des éléments exposés aux points 129 à 131 ci-dessus, si le pacte de corruption entre la requérante et le fonctionnaire s’est noué en 2015, le dernier acte d’exécution de ce pacte est le paiement versé en janvier 2017 par la requérante à D pour son rôle d’intermédiaire.

133    Dans ce contexte, contrairement à ce que fait valoir la requérante, le fait que le paiement de janvier 2017 ait été destiné à un « lobbyiste » travaillant à son service n’est pas de nature à modifier la conclusion selon laquelle ce comportement, qui a été continu, constituait des faits de corruption et de faute professionnelle grave, dans la mesure où il s’inscrivait dans un plan d’ensemble poursuivant un seul objectif – à savoir obtenir un avantage concurrentiel sur les autres soumissionnaires.

134    Par ailleurs, outre ces paiements, il peut être relevé que, en août 2016, soit après la mise en application du règlement 2015/1929 qui prévoit des sanctions pour les opérateurs se rendant coupables de faits de corruption, la requérante a cherché à employer plusieurs personnes recommandées par un fonctionnaire afin de lui rendre service. Selon le rapport final de l’OLAF expurgé, ces recrutements visaient plus à garder de bonnes relations avec ce fonctionnaire qu’à servir au mieux les intérêts du projet financé par le budget de l’Union. De tels faits, non contestés par la requérante, constituent également, au regard des définitions énoncées aux points 112 et 114 ci-dessus, des faits de corruption et de faute professionnelle grave.

135    En quatrième lieu, la requérante conteste que les activités litigieuses puissent lui être imputées. En substance, B n’aurait pas eu connaissance dans le détail de tous les actes de A et ne les aurait pas autorisés. Selon la requérante, rien n’indique que B savait que les paiements étaient autre chose que des « dépenses commerciales normales ».

136    À cet égard, il doit être noté que la requérante reconnaît, dans la requête, que A agissait pour son compte en Macédoine du Nord. Malgré cela, la requérante conteste que tous les actes de A puissent lui être imputés. Pourtant, à l’époque des faits, A était le directeur de la coopération internationale du groupe dont la requérante faisait partie ainsi que le directeur de projets pour les deux marchés en cause. À ce titre, il avait d’ailleurs signé un des marchés en cause pour le compte de la requérante. En outre, il ressort sans aucun doute possible des pièces du dossier que les courriels envoyés par A l’étaient pour le compte de la requérante afin que celle-ci obtienne les marchés en cause.

137    Il y a donc lieu de conclure, à l’instar de la Commission dans la décision attaquée, que la requérante ne saurait éluder sa responsabilité en déclarant que A agissait de manière autonome et que B, son directeur, pensait avoir à faire à des « dépenses commerciales normales ». Dès lors que A agissait pour le compte de la requérante, ses actes doivent être considérés comme étant ceux de la requérante (voir, par analogie, arrêt du 7 février 2013, Slovenská sporiteľňa, C‑68/12, EU:C:2013:71, point 25).

138    Par ailleurs, en dépit des allégations de la requérante, il ressort des points 2.3.1.3 et 2.3.8 du rapport final de l’OLAF expurgé que, outre l’annexe 11 dudit rapport, plusieurs autres preuves recueillies au cours de l’enquête, non contestées par la requérante, démontrent que B avait connaissance des agissements de la requérante en Macédoine du Nord et les autorisait. Le seul fait que le directeur de la requérante n’ait pas eu connaissance dans le détail de toutes les actions de A ne peut modifier cette conclusion.

139    En toute hypothèse, l’annexe A.19 produite par la requérante démontre, à tout le moins, que B a examiné et a avalisé le paiement par la requérante des vacances d’un haut fonctionnaire du ministère de la Société de l’information et de l’Administration de la République de Macédoine du Nord susceptible d’avoir des informations sur les procédures de passation des marchés en cause (voir point 121 ci-dessus). La requérante ne saurait donc être suivie lorsqu’elle affirme que B pensait que les paiements en cause étaient des « dépenses commerciales normales ».

140    Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de constater que, contrairement à ce que fait valoir la requérante, les activités litigieuses lui sont imputables.

141    En cinquième lieu, la requérante soutient que, s’agissant de l’accusation de falsification du curriculum vitae d’un expert, la Commission s’est fondée sur des informations erronées. En effet, dans son rapport final, l’OLAF n’aurait pas apporté de preuves concrètes de la prétendue falsification. Le principe de bonne administration, le devoir de diligence et ses droits de la défense n’auraient donc pas été respectés.

142    À cet égard, et en toute hypothèse, même si ces allégations de la requérante étaient fondées et si ce motif de la décision attaquée était entaché de vices, cela ne suffirait pas, en soi, à remettre en cause la légalité de la décision attaquée compte tenu du fait que les autres motifs de celle-ci, dont le bien-fondé a été confirmé aux points 121 à 123, 126, 127 et 129 à 134 ci-dessus, sont de nature à justifier son dispositif (voir, en ce sens, arrêt du 14 janvier 2009, Kronoply/Commission, T‑162/06, EU:T:2009:2, point 62 et jurisprudence citée). En outre, pour les raisons exposées aux points 153 et suivants ci-après, même si ces allégations étaient avérées, cela n’aurait pas non plus d’incidence sur la durée de la sanction adoptée dans la décision attaquée. Il n’est donc pas besoin de se prononcer sur ce grief.

143    En sixième lieu, la requérante fait valoir que la Commission a insuffisamment motivé la décision attaquée sur certains points.

144    D’une part, la requérante estime que le point 31 de la décision attaquée est trop vague en ce qu’il mentionne les activités de « lobbying » de la requérante « dans la région ».

145    Toutefois, la question de savoir si la motivation d’une décision satisfait aux exigences de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte (voir, en ce sens, arrêts du 13 décembre 2016, European Dynamics Luxembourg et Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑764/14, non publié, EU:T:2016:723, point 99, et du 16 février 2017, Roumanie/Commission, T‑145/15, EU:T:2017:86, point 44 et jurisprudence citée). Or, en l’espèce, le point 31 de la décision attaquée doit être lu à la lumière de son contexte, à savoir le reste de la décision attaquée et le rapport final de l’OLAF expurgé dont la requérante avait connaissance. Ce point de la décision attaquée se réfère expressément à l’annexe 11 dudit rapport. Force est de constater que, lorsque ce point mentionne les activités de « lobbying » de la requérante « dans la région », il reprend le vocabulaire employé par la requérante dans ses courriels et se réfère sans aucun doute possible aux activités litigieuses telles que le paiement des vacances de C, examiné, avalisé et organisé par A et B. L’emploi d’un tel vocabulaire n’a rendu le raisonnement qui sous-tend la décision attaquée ni abscons ni équivoque. Dans son ensemble, la décision attaquée a permis au Tribunal d’exercer son contrôle et à la requérante de connaître les justifications de la mesure prise ainsi que de faire valoir ses droits, comme le démontre le fait qu’elle a contesté à plusieurs reprises que ladite annexe 11 était susceptible d’établir que son directeur avait connaissance des activités litigieuses.

146    D’autre part, la requérante soutient que la décision attaquée ne répond pas suffisamment à son argumentation concernant la confidentialité, l’occultation de certaines données du rapport final de l’OLAF et la nécessité de l’informer des faits d’une manière qui lui permette d’exercer ses droits de la défense et son droit à une procédure équitable.

147    À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Commission n’est pas tenue de prendre position sur tous les arguments invoqués devant elle par la personne concernée, mais qu’il lui suffit d’exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (arrêt du 30 avril 2014, Hagenmeyer et Hahn/Commission, T‑17/12, EU:T:2014:234, point 173).

148    Cela étant, en l’espèce, la lecture des points 21 à 23 de la décision attaquée permet de constater que la Commission a répondu à l’argumentation de la requérante mentionnée au point 146 ci-dessus. Ce grief de la requérante manque donc en fait.

149    Les griefs tirés d’une insuffisance de motivation et l’ensemble des griefs relatifs aux faits de corruption et de faute professionnelle grave commis par la requérante doivent donc être écartés.

150    Par conséquent, il y a lieu d’écarter les griefs relatifs au bien-fondé de la décision attaquée dans leur intégralité.

 Sur le caractère approprié de la sanction

151    La requérante fait valoir que sa bonne coopération lors de l’enquête de l’OLAF aurait dû être prise en compte par l’instance aux fins de la détermination de la sanction appropriée qu’il convenait d’appliquer en l’espèce. Elle ajoute que, conformément au droit italien, elle a adopté en avril 2016 un modèle d’organisation, de gestion et de contrôle assorti d’un code d’éthique et d’un système disciplinaire qui y est afférent. Elle aurait aussi démis A et B de leurs fonctions en 2019.

152    La Commission fait valoir que, en vertu de ses obligations contractuelles et de l’article 5 du règlement (Euratom, CE) no 2185/96 du Conseil, du 11 novembre 1996, relatif aux contrôles et vérifications sur place effectués par la Commission pour la protection des intérêts financiers des Communautés européennes contre les fraudes et autres irrégularités (JO 1996, L 292, p. 2), la requérante était tenue de coopérer et de permettre l’accès à ses locaux afin de faciliter les contrôles et les vérifications de l’OLAF pour son compte. L’argument de la requérante selon lequel sa bonne coopération aurait dû avoir une incidence sur l’appréciation faite par l’instance de la sanction appropriée doit, selon elle, être rejeté. La Commission précise que l’instance a eu accès aux rapports rendant compte des contrôles sur place, dans lesquels il était mentionné que la requérante et ses représentants avaient coopéré avec l’OLAF.

153    À titre liminaire, il importe de rappeler que, pour les faits antérieurs au 1er janvier 2016, la Commission a relevé, dans la décision attaquée, que l’article 133 bis, paragraphe 2, sous b), de son règlement (CE, Euratom) no 2342/2002, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du règlement no 1605/2002 (JO 2002, L 357, p. 1), tel que modifié, et l’article 145, paragraphe 1, de son règlement délégué (UE) no 1268/2012, du 29 octobre 2012, relatif aux règles d’application du règlement no 966/2012 (JO 2012, L 362, p. 1), avant sa modification par son règlement délégué (UE) 2015/2462, du 30 octobre 2015 (JO 2015, L 342, p. 7), prévoyait que la durée maximale d’exclusion d’une entité était de cinq ans.

154    Pour les faits commis après le 1er janvier 2016, la Commission a relevé que l’article 106, paragraphe 14, sous c), du règlement no 966/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1929, prévoyait que la durée de l’exclusion ne pouvait pas excéder trois ans dans les cas de faute professionnelle grave visés à l’article 106, paragraphe 1, sous c), dudit règlement et cinq ans dans les cas de corruption visés à l’article 106, paragraphe 1, sous d), du même règlement.

155    Dans ce contexte, la Commission a exclu la requérante sur le fondement d’une qualification juridique préliminaire du comportement de celle-ci, compte tenu des faits établis et des constatations figurant dans la recommandation émise par l’instance, conformément à l’article 106, paragraphe 2, du règlement no 966/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1929. Elle a estimé que la gravité du comportement fautif, le caractère intentionnel de ce comportement, sa durée et les montants élevés en jeu justifiaient une exclusion d’une durée de quatre ans.

156    À cet égard, le Tribunal relève que l’article 133 bis, paragraphe 1, du règlement no 2342/2002, tel que modifié par le règlement (CE, Euratom) n° 478/2007 de la Commission, du 23 avril 2007 (JO L 111, p. 13), et l’article 106, paragraphe 3, du règlement no 966/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1929, exigent du pouvoir adjudicateur qui exclut un opérateur économique qu’il respecte le principe de proportionnalité. En particulier, ledit article 106, paragraphe 3, prévoit que la décision du pouvoir adjudicateur doit tenir compte, notamment, de la gravité de la situation, y compris l’incidence sur les intérêts financiers et la réputation de l’Union, du temps écoulé depuis la constatation de la conduite en cause, de sa durée et de sa répétition éventuelle, de l’intention ou du degré de négligence, ou de toute autre circonstance atténuante, telle que la coopération de l’opérateur économique avec l’autorité compétente concernée et sa contribution à l’enquête, telles qu’attestées par le pouvoir adjudicateur.

157    Conformément à l’article 108, paragraphe 11, du règlement n° 966/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1929, le Tribunal « a une compétence de pleine juridiction pour réexaminer une décision par laquelle le pouvoir adjudicateur exclut un opérateur économique et/ou lui impose une sanction financière, y compris pour ce qui est de réduire ou d’allonger la durée de l’exclusion et/ou d’annuler la sanction financière imposée ou d’en diminuer ou d’en augmenter le montant ». Au-delà du simple contrôle de légalité, qui ne permet que de rejeter le recours en annulation ou d’annuler l’acte attaqué, cette compétence de pleine juridiction habilite le Tribunal à réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation, en tenant compte de toutes les circonstances de fait, afin, par exemple, de modifier la durée de l’exclusion. Dans ces conditions, le Tribunal peut, le cas échéant, porter des appréciations différentes de celles retenues par la Commission dans la décision attaquée pour ce qui concerne la durée de l’exclusion.

158    En l’espèce, l’argumentation par laquelle la requérante fait valoir que la bonne coopération qu’elle a montrée lors de l’enquête et les mesures de réorganisation qu’elle a adoptées auraient dû avoir une incidence sur l’appréciation de la sanction appropriée qu’il convenait de lui appliquer doit être interprétée comme invitant le Tribunal à apprécier, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, la durée de l’exclusion en tenant compte des circonstances atténuantes invoquées.

159    Dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal constate que la requérante a commis les faits de corruption et de faute professionnelle grave exposés aux points 121 à 123, 126, 127 et 129 à 134 ci-dessus. Ces faits sont très graves par leur nature même, le comportement de la requérante ayant eu pour objet de soudoyer des fonctionnaires de l’administration publique de la République de Macédoine du Nord afin d’obtenir un avantage concurrentiel sur les autres soumissionnaires. Il y a lieu de constater que la requérante a intentionnellement cherché à corrompre des fonctionnaires de l’administration publique de la République de Macédoine du Nord. Ce comportement a duré un peu plus de quatre années, pendant lesquelles plusieurs personnes internes et externes à la requérante ont été impliquées.

160    Il y a également lieu de tenir compte de la gravité de l’incidence de ces faits sur les intérêts financiers de l’Union, dans la mesure où ils concernent une somme dépassant 1,7 million d’euros.

161    Ensuite, en ce qui concerne les éléments invoqués par la requérante, il est vrai que les rapports rendant compte des contrôles sur place font état de sa « très bonne » et de son « entière » coopération lors de ces contrôles. Toutefois, il est tout aussi vrai que, comme le soutient la Commission, la requérante avait l’obligation légale de coopérer avec l’OLAF. En toute hypothèse, il y a lieu de constater que, dans le cas présent, le comportement de la requérante au moment de l’enquête ne peut avoir qu’une faible incidence sur le degré de sévérité de la sanction compte tenu de la gravité des faits en cause.

162    Quant au modèle organisationnel adopté par la requérante en 2016, le Tribunal fait siennes les appréciations effectuées par la Commission à cet égard dans la décision attaquée. En effet, d’une part, ce modèle a été adopté en avril 2016, mais n’a pas pour autant fait cesser le comportement fautif de la requérante, qui a continué jusqu’en janvier 2017. D’autre part, si ce nouveau modèle pourra éventuellement avoir un effet sur le comportement de la requérante à l’avenir, il n’en a eu aucun pendant la période pertinente. De même, l’éviction de A et de B en 2019 ne pourra avoir un effet que sur le comportement futur de la requérante. Dès lors, le Tribunal estime qu’il n’y a pas lieu d’en tenir compte.

163    Enfin, il peut être souligné que la durée d’exclusion maximale prévue par le législateur était, avant le 1er janvier 2016, de cinq ans pour les fautes professionnelles graves et, après le 1er janvier 2016, de trois ans pour les fautes professionnelles graves et de cinq ans pour les faits de corruption. Or, en l’espèce, le Tribunal a constaté, aux points 121 à 123, 126, 127 et 129 à 134 ci-dessus, que le comportement de la requérante constituait tant des faits de faute professionnelle grave que des faits de corruption.

164    Eu égard à l’ensemble des constats et des circonstances énumérés ci-dessus, il y a lieu de considérer qu’une exclusion d’une durée de quatre ans est appropriée et proportionnelle dans le cas présent.

 Sur les demandes de mesures d’organisation de la procédure des parties

165    La requérante demande au Tribunal d’ordonner diverses mesures d’organisation de la procédure, à savoir de produire la lettre de l’OLAF, de produire la motivation de la décision du 20 juin 2018 du directeur général de l’OLAF de différer son droit de présenter des observations sur les faits la concernant, de démontrer les mesures prises par l’OLAF pour accélérer l’enquête, d’indiquer la nationalité et les connaissances linguistiques des membres de l’instance et de produire toutes les communications échangées entre l’OLAF et l’instance. Dans la réplique, la requérante fait une nouvelle demande, relative à la production de la version non expurgée des « deux courriels du 2 et du 17 novembre figurant à l’annexe 11 » du rapport final de l’OLAF.

166    La Commission demande au Tribunal de prendre toutes les mesures d’organisation de la procédure qui s’imposent pour que la requérante verse au dossier les documents relatifs à l’accord qu’elle a conclu avec le ministère public italien dans le cadre de la procédure ouverte à son égard sur le fondement des conclusions de l’enquête de l’OLAF. La Commission demande, le cas échéant, au Tribunal de demander à la République italienne de produire ces documents au titre de l’article 24 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

167    À cet égard, il convient de rappeler que c’est au Tribunal qu’il appartient d’apprécier l’utilité de mesures d’organisation de la procédure et de mesures d’instruction (voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2015, Deutsche Börse/Commission, T‑175/12, non publié, EU:T:2015:148, point 417 et jurisprudence citée).

168    En l’espèce, s’agissant, premièrement, de la demande visant la production de la lettre de l’OLAF, force est de constater que la Commission l’a produite à l’annexe B.2 du mémoire en défense. Il a donc été fait droit à la demande en cause.

169    S’agissant, deuxièmement, de la demande visant, en substance, la production de la décision du 20 juin 2018 du directeur général de l’OLAF de différer le droit de la requérante de présenter des observations sur les faits la concernant, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il ressort du point 43 ci-dessus, la motivation à laquelle la requérante a eu accès était suffisante pour lui permettre de comprendre les raisons sous-tendant la mesure prise et pour permettre au Tribunal d’exercer son contrôle. Il n’y a donc pas lieu d’ordonner la mesure sollicitée.

170    S’agissant, troisièmement, de la demande visant à ce que la Commission démontre que des mesures ont été prises par l’OLAF pour accélérer l’enquête, il y a lieu de relever que, dans la mesure où cette enquête n’a pas été excessivement longue (voir points 52 et 53 ci-dessus), des informations supplémentaires sur le sujet ne sont pas nécessaires. Il n’y a donc pas lieu d’ordonner la mesure sollicitée.

171    S’agissant, quatrièmement, de la demande visant à ce que la Commission indique la nationalité et les connaissances linguistiques des membres de l’instance, faute pour la requérante de produire des éléments de nature à établir que cette instance a fait des contresens ou n’a effectivement pas compris certaines preuves précises, il n’y a pas lieu d’ordonner la mesure sollicitée.

172    S’agissant, cinquièmement, de la demande visant la production de toutes les communications échangées entre l’OLAF et l’instance, l’indice présenté par la requérante, à savoir la circonstance que l’instance connaissait la date du rapport final de l’OLAF expurgé, n’est pas suffisant pour considérer la mesure sollicitée comme étant nécessaire à la résolution du litige. Dès lors, il n’y a pas lieu d’ordonner la mesure sollicitée.

173    S’agissant, sixièmement, de la demande visant la production de la version non expurgée des « deux courriels du 2 et du 17 novembre figurant à l’annexe 11 » du rapport final de l’OLAF, il y a lieu de constater que l’intérêt de cette demande pour la solution du litige n’est pas établi. En effet, la requérante ne demande la production de ces courriels que pour faire valoir que les « primes de réussite » étaient versées à des lobbyistes travaillant pour elle. Or, comme il a déjà été relevé au point 126 ci-dessus, même en admettant que certains paiements – ou « primes de réussite » – aient été destinés à des lobbyistes au service de la requérante, il n’en demeure pas moins que d’autres paiements visaient indubitablement des fonctionnaires qui avaient des informations privilégiées sur les procédures de passation des marchés en cause. Dès lors, il n’y a pas lieu d’ordonner la mesure sollicitée.

174    S’agissant, septièmement, des demandes de la Commission visant la production de l’accord de règlement conclu par la requérante avec le ministère public italien, il y a lieu de constater que les éléments contenus dans le dossier, y compris les annexes C.1 à C.3, sont suffisants pour permettre au Tribunal de se prononcer. Dès lors, il n’y a pas lieu d’ordonner la mesure sollicitée.

175    Par conséquent, les demandes de mesures d’organisation de la procédure présentées par les parties sont rejetées.

 Sur les dépens

176    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il convient de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      LA International Cooperation Srl est condamnée aux dépens.

Kornezov

Buttigieg

Hesse

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 juin 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.