Language of document : ECLI:EU:C:2012:294

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES Bot

présentées le 15 mai 2012 (1)

Affaire C‑502/10

Staatssecretaris van Justitie

contre

Mangat Singh

[demande de décision préjudicielle formée par le Raad van State (Pays-Bas)]

«Directive 2003/109/CE – Statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée – Champ d’application de la directive – Portée de l’exclusion visée à l’article 3, paragraphe 2, sous e) – Notion de ‘permis de séjour formellement limité’»





1.        La présente affaire offre l’occasion à la Cour de préciser le champ d’application de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (2).

2.        La directive établit un statut commun de résident de longue durée de façon à ce que tous les ressortissants de pays tiers, installés légalement et durablement dans les États membres, puissent acquérir ce statut et en bénéficier dans des conditions très largement similaires dans l’Union européenne. Elle harmonise ainsi les critères d’acquisition du statut de résident de longue durée et les droits qui y sont attachés, sur la base d’une égalité de traitement avec les citoyens de l’Union.

3.        À l’article 3, paragraphe 2, sous e), de la directive, le législateur de l’Union a exclu du champ d’application de celle-ci les ressortissants de pays tiers qui «séjournent exclusivement pour des motifs à caractère temporaire, par exemple en tant que personnes au pair ou travailleurs saisonniers, ou en tant que travailleurs salariés détachés par un prestataire de services afin de fournir des services transfrontaliers, ou en tant que prestataires de services transfrontaliers, ou lorsque leur permis de séjour a été formellement limité».

4.        Dans cette hypothèse et conformément à l’article 4, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive, les périodes de résidence des ressortissants de pays tiers sur le territoire des États membres ne sont pas prises en considération dans le cadre du calcul de la durée de séjour exigée aux fins de l’octroi du statut de résident de longue durée, fixée à cinq années (3).

5.        Dans la présente affaire, le Raad van State (Pays-Bas) demande, en substance, à la Cour de préciser le sens que le législateur de l’Union a entendu donner à la notion de permis de séjour formellement limité, de façon à mieux définir la portée de l’exclusion visée à l’article 3, paragraphe 2, sous e), de la directive.

6.        Cette demande de décision préjudicielle s’inscrit dans le cadre d’un litige opposant le Staatssecretaris van Justitie (secrétaire d’État à la Justice, ci-après le «Staatssecretaris») à M. Singh, un ressortissant indien dont le permis de séjour formellement limité a été renouvelé pendant une période d’un peu plus de sept années, au sujet du refus de délivrance d’un permis de séjour de résident de longue durée.

I –    Le droit national

7.        La directive a été transposée aux Pays-Bas par la loi procédant à une révision générale de la loi sur les étrangers (Wet tot algehele herziening van de Vreemdelingenwet), du 23 novembre 2000 (4).

8.        Aux termes de l’article 14, paragraphe 2, de cette loi, un permis de séjour à durée déterminée est assorti de conditions limitatives en rapport avec la raison pour laquelle le séjour est autorisé. D’autres conditions peuvent être imposées. En application de l’article 14, paragraphe 3, de ladite loi, ce permis est délivré pour une durée maximale de cinq années successives.

9.        Par ailleurs, conformément à l’article 21, paragraphe 1, de la loi procédant à une révision générale de la loi sur les étrangers, la demande de délivrance d’un permis de séjour à durée indéterminée peut être rejetée, notamment, si, au cours des cinq années précédant directement cette demande, l’étranger a disposé d’un droit de séjour formellement limité.

10.      Le législateur néerlandais a adopté, sur le fondement de cette loi, le décret sur les étrangers de 2000 (Vreemdelingenbesluit 2000) (5).

11.      Aux termes de l’article 3.5, paragraphe 2, sous d), de ce décret, le droit de séjour fondé sur le permis de séjour à durée déterminée est temporaire lorsque celui-ci a été accordé avec une restriction liée à l’activité salariée de chef spirituel ou de professeur de religion, à moins que ce droit de séjour ne soit fondé sur la décision no 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association (6).

12.      Conformément à l’article 3.33, paragraphe 1, dudit décret, ce permis n’est accordé que si l’étranger déclare, par écrit, être informé de ce que le séjour n’est autorisé que pour l’exercice des activités de chef spirituel ou de professeur de religion au profit du groupe qui doit être nommé précisément, que le séjour ne peut être autorisé que pour la durée de ces activités, que, à la fin desdites activités, il doit quitter les Pays-Bas et qu’il ne lui est pas permis, au cours de son séjour aux Pays-Bas, d’exercer des activités d’une autre nature.

13.      Le Staatssecretaris a décrit les modalités d’exercice des compétences qui lui ont été attribuées par la loi procédant à une révision générale de la loi sur les étrangers et le décret sur les étrangers de 2000 dans la circulaire sur les étrangers de 2000 (Vreemdelingencirculaire 2000).

14.      Aux termes de la section B1/2.4 de cette circulaire, le point de savoir si le droit de séjour d’un ressortissant d’un pays tiers est temporaire ou non ne se déduit pas du caractère déterminé du permis de séjour qui lui est accordé, mais ressort uniquement de l’application de l’article 3.5 de ce décret. Si le permis de séjour a été délivré sous une restriction mentionnée à l’article 3.5, paragraphe 2, dudit décret, alors le droit de séjour est, par nature, temporaire.

15.      Il faut préciser que cette réglementation a été modifiée par une loi du 7 juillet 2010 (7) et par un décret du 24 juillet 2010 (8), qui ne sont, néanmoins, pas encore entrés en vigueur. Désormais, le séjour des chefs spirituels et des professeurs de religion sur le territoire néerlandais est défini comme n’étant pas, par nature, temporaire, et peut, en conséquence, être pris en considération dans le cadre de l’octroi d’un permis de séjour de résident de longue durée.

II – Les faits du litige au principal et la question préjudicielle

16.      M. Singh a obtenu, le 22 octobre 2001, un permis de séjour à durée déterminée lié à son activité de chef spirituel ou de professeur de religion du Guru Nanak Gurudwara. Ce permis a été renouvelé à plusieurs reprises, pour une période à chaque fois déterminée. Le 30 mai 2007, soit près de cinq années et huit mois après son arrivée sur le territoire néerlandais, M. Singh a introduit une demande de délivrance d’un permis de séjour de résident de longue durée.

17.      Par décision du 15 novembre 2007, le Staatssecretaris a rejeté sa demande et a, une nouvelle fois, prolongé la validité de son permis de séjour jusqu’au 19 janvier 2009. Le Staatssecretaris a estimé que M. Singh, en tant qu’il était titulaire d’un permis de séjour formellement limité, ne relevait pas du champ d’application de la directive.

18.      Dans le cadre du recours introduit par M. Singh contre cette décision de rejet, le Staatssecretaris soutient que la notion de «permis de séjour formellement limité», visée à l’article 3, paragraphe 2, sous e), de la directive, laisse aux États membres la possibilité d’exclure du bénéfice du statut de résident de longue durée les titulaires de certains permis de séjour soumis à des restrictions formelles.

19.      Le Raad van State, devant lequel le litige a été porté, relève, quant à lui, que la marge d’appréciation permettant à un État membre d’octroyer et de renouveler des permis de séjour à durée déterminée – sans que cela confère une perspective quant à l’obtention d’un permis de séjour de résident de longue durée – pourrait porter atteinte à l’effet utile de la directive et entraver l’harmonisation des conditions d’acquisition du statut de résident de longue durée visée par celle-ci.

20.      Après avoir relevé que la notion de «permis de séjour formellement limité», visée à l’article 3, paragraphe 2, sous e), de la directive, n’était pas définie, le Raad van State a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Convient-il d’interpréter la notion de permis de séjour qui a été formellement limité, inscrite à l’article 3, paragraphe 2, […] sous e), de la directive […], en ce sens qu’elle vise un permis de séjour à durée déterminée qui, conformément au droit néerlandais, n’offre aucune perspective de permis de séjour à durée indéterminée, et cela même si la durée de la validité de ce permis de séjour peut être prolongée et même s’il en résulte qu’un groupe déterminé de personnes, tels les chefs spirituels et les professeurs de religion, est exclu de l’application de la directive?»

21.      Des observations écrites ont été déposées par M. Singh, les gouvernements néerlandais et belge ainsi que par la Commission européenne.

III – Notre analyse

22.      Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’article 3, paragraphe 2, sous e), de la directive doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui exclut du bénéfice du statut de résident de longue durée les ressortissants de pays tiers qui bénéficient d’un permis de séjour formellement limité à l’activité de chef spirituel et de professeur de religion, alors que ce permis peut être plusieurs fois renouvelé.

23.      L’enjeu de la réponse à la question posée par la juridiction de renvoi est clair.

24.      Il s’agit de préciser le champ d’application de la directive et, en particulier, de déterminer la portée que le législateur de l’Union a entendu donner à l’exclusion du bénéfice du statut de résident de longue durée des ressortissants de pays tiers titulaires d’un permis de séjour formellement limité. Cette précision est indispensable à une application cohérente et uniforme dans l’ensemble des États membres des critères d’acquisition du statut de résident de longue durée et essentielle à la sécurité juridique des ressortissants de pays tiers susceptibles de prétendre à l’octroi d’un permis de séjour de résident de longue durée.

25.      La notion de permis de séjour formellement limité n’a pas été définie par le législateur de l’Union. Celui-ci n’a pas non plus opéré de renvoi au droit des États membres en ce qui concerne la signification à retenir de ces termes. Par conséquent, aux fins de l’application de la directive, ceux-ci doivent être considérés comme désignant une notion autonome du droit de l’Union et doivent être interprétés de manière uniforme sur le territoire de l’ensemble des États membres (9). En outre, cela implique que le sens et la portée desdits termes pour lesquels le droit de l’Union ne fournit aucune définition doivent être établis, notamment, en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (10).

26.      C’est sur le fondement de ces éléments que nous proposerons à la Cour de rejeter l’interprétation que suggèrent les gouvernements néerlandais et belge dans leurs observations écrites. En effet, ces derniers soutiennent que l’article 3, paragraphe 2, sous e), de la directive permet aux États membres de qualifier certains permis de séjour de «formellement limités», indépendamment du caractère naturellement temporaire ou non des séjours, dans l’optique d’exclure leurs titulaires du champ d’application de la directive. S’il est vrai que le législateur de l’Union a laissé aux États membres une marge de manœuvre leur permettant d’apprécier dans quelle mesure certaines catégories de ressortissants, dont la situation n’est pas spécifiquement visée par la directive, peuvent être exclues du champ d’application de celle-ci, il n’en reste pas moins que la marge d’appréciation dont ils disposent trouve sa limite dans l’obligation qui leur est faite d’assurer l’effet utile de la directive.

27.      Or, pour les raisons que nous allons, à présent, exposer, il ne fait, à nos yeux, aucun doute que tant la finalité de la directive que son contenu, et notamment le libellé de l’article 3, paragraphe 2, sous e), de la directive, commandent que la notion de «permis de séjour formellement limité», figurant à cette disposition, soit interprétée en ce sens qu’elle vise les permis de séjour délivrés par les États membres en vue de l’exercice d’une profession ou d’une activité qui implique un séjour temporaire sur leur territoire.

28.      En effet, la finalité de la directive, telle qu’elle est exprimée, notamment, à ses deuxième, quatrième et douzième considérants, est de parvenir à un système axé sur l’intégration des ressortissants de pays tiers qui sont installés légalement et durablement dans les États membres de façon à contribuer à la cohésion économique et sociale qui est un objectif fondamental de l’Union.

29.      Ce système est fondé sur l’octroi d’un statut de résident de longue durée. La définition d’un statut commun à l’ensemble des États membres doit permettre de garantir un traitement équitable des ressortissants de pays tiers en situation régulière de façon à ce qu’ils puissent acquérir ce statut et en bénéficier dans des conditions très largement similaires dans toute l’Union. En ce sens, l’établissement dudit statut doit permettre d’assurer la sécurité juridique des ressortissants de pays tiers en évitant que l’acquisition d’un tel statut soit laissée à la discrétion des États membres, une fois que les conditions prévues sont effectivement remplies (11).

30.      L’octroi d’un statut de résident de longue durée doit également permettre d’offrir à ces ressortissants des droits et des obligations comparables à ceux des citoyens de l’Union dans un large éventail de domaines économiques et sociaux, tels que l’emploi, le logement, la protection sociale ou l’assistance sociale, et tend à un rapprochement aussi étroit que possible de leur statut juridique. En ce sens, ce statut tend également à leur assurer une sécurité juridique en leur faisant bénéficier d’une protection renforcée contre l’expulsion.

31.      L’intégration des ressortissants de pays tiers et le statut de résident de longue durée qui en découle sont donc fondés sur le critère de la résidence durable.

32.      Le législateur de l’Union part du principe que, après une période suffisamment longue et ininterrompue de résidence sur le territoire de l’État membre d’accueil, le ressortissant d’un pays tiers a manifesté sa volonté de s’installer durablement sur le territoire de cet État et a témoigné son ancrage dans celui-ci (12).

33.      En effet, la durée de résidence du ressortissant d’un pays tiers sur le territoire de l’État membre d’accueil est révélatrice de l’intensité des liens établis sur le territoire de cet État et donc d’une certaine intégration, celui-ci ayant développé des liens étroits avec ledit État. Plus la période de séjour sur le territoire de l’État membre d’accueil est longue, plus les liens avec celui-ci sont supposés être étroits et plus l’intégration tend à être totale, jusqu’à donner à ce ressortissant le sentiment d’être assimilé à un ressortissant national et de faire partie intégrante de la société de cet État.

34.      Le législateur de l’Union a donc entendu fonder l’octroi d’un permis de séjour de résident de longue durée sur le critère de la résidence durable dans l’État membre d’accueil, le quatrième considérant de la directive faisant, en effet, référence à la notion d’installation durable et le sixième considérant de celle-ci indiquant que le «critère principal pour l’acquisition du statut de résident de longue durée devrait être la durée de résidence sur le territoire d’un État membre».

35.      L’article 4, paragraphe 1, de la directive pose ainsi le principe selon lequel les États membres doivent accorder le statut de résident de longue durée aux ressortissants de pays tiers qui ont résidé de manière légale et ininterrompue sur leur territoire pendant les cinq années qui ont immédiatement précédé l’introduction de la demande en cause, sous réserve, il faut le rappeler, de satisfaire aux trois autres conditions visées aux articles 5 et 6 de la directive (13).

36.      La finalité et l’économie sur lesquelles se fonde l’octroi du statut de résident de longue durée expliquent la portée des exclusions visées par le législateur de l’Union à l’article 3, paragraphe 2, de la directive.

37.      Cette disposition est rédigée comme suit:

«La présente directive ne s’applique pas aux ressortissants de pays tiers qui:

a)      séjournent pour faire des études ou suivre une formation professionnelle;

b)      sont autorisés à séjourner dans un État membre en vertu d’une protection temporaire […]

c)      sont autorisés à séjourner dans un État membre en vertu d’une forme subsidiaire de protection […]

d)      sont des réfugiés ou ont demandé la reconnaissance de la qualité de réfugié et dont la demande n’a pas encore fait l’objet d’une décision définitive;

e)      séjournent exclusivement pour des motifs à caractère temporaire, par exemple en tant que personnes au pair ou travailleurs saisonniers, ou en tant que travailleurs salariés détachés par un prestataire de services afin de fournir des services transfrontaliers, ou en tant que prestataires de services transfrontaliers, ou lorsque leur permis de séjour a été formellement limité;

f)      ont un statut juridique régi par les dispositions de la convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques, de la convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires, de la convention de 1969 sur les missions spéciales ou de la convention de Vienne de 1975 sur la représentation des États dans leurs relations avec les organisations internationales de caractère universel.»

38.      L’objectif de ladite disposition, tel qu’il ressort clairement de la proposition de la Commission, est d’exclure du champ d’application de la directive les personnes n’ayant pas vocation à s’installer durablement sur le territoire des États membres (14).

39.      Le point a) de l’article 3, paragraphe 2, de la directive vise les étudiants et les personnes admises aux fins d’une formation professionnelle. Dans la proposition de la Commission, celle-ci a relevé que ces derniers ne sont admis que pour des périodes temporaires et rentrent, en principe, dans leur pays au terme de leur formation (15). Son point b) se réfère aux personnes bénéficiant d’une protection temporaire, qui, nous le rappelons, est d’une durée maximale d’une année (16). Ses points c) et d) visent les individus bénéficiant d’une protection internationale ou dont la demande est en cours d’examen. Son point f) fait référence, enfin, aux personnes dont la situation juridique est couverte par les accords internationaux dans le domaine des relations diplomatiques, consulaires et avec les organisations internationales. L’article 3, paragraphe 2, de la directive écarte donc diverses situations dans lesquelles le séjour du ressortissant d’un pays tiers ne saurait être considéré comme relevant d’une installation durable.

40.      C’est dans ce cadre que s’insère, au point e), l’exclusion dont la portée est ici mise en question.

41.      Contrairement aux exclusions visées aux points a) à d) et f) de l’article 3, paragraphe 2, de la directive qui se réfèrent toutes à des situations très spécifiques, celle mentionnée au point e) est susceptible de recouvrir un champ d’application relativement étendu.

42.      D’une part, les termes employés à l’article 3, paragraphe 2, sous e), de la directive, que ce soit par leur portée («pour des motifs à caractère temporaire») ou en ce qu’ils invitent expressément à envisager d’autres cas que ceux visés par la disposition («par exemple»), ne permettent pas d’appréhender de manière exhaustive l’ensemble des situations énoncées par ladite exclusion.

43.      D’autre part, les situations visées par la notion de permis de séjour formellement limité ne sont pas aussi clairement identifiables que celles visant les travailleurs au pair ou saisonniers, les travailleurs salariés détachés ou les prestataires de services transfrontaliers.

44.      Pour autant, si l’exclusion figurant à l’article 3, paragraphe 2, sous e), de la directive a été prévue, c’est qu’elle a un sens, lequel ne peut être qu’en harmonie avec la finalité de la directive, que nous venons d’évoquer, et la structure de la disposition dans laquelle elle s’insère.

45.      En outre, cette exclusion ne peut faire l’objet que d’une interprétation restrictive. En effet, elle constitue une dérogation aux principes posés, d’une part, à l’article 3, paragraphe 1, de la directive en vertu duquel cette directive s’applique à tous les ressortissants de pays tiers qui résident légalement sur le territoire d’un État membre et, d’autre part, à l’article 4, paragraphe 1, de la directive en vertu duquel une résidence légale et ininterrompue de cinq années sur le territoire de l’État membre permet de prétendre à l’octroi du statut de résident de longue durée. Rappelons, en effet, que, conformément à l’article 4, paragraphe 2, de la directive, les périodes de résidence pour les raisons évoquées à l’article 3, paragraphe 2, sous e), de celle-ci ne sont pas prises, à ce titre, en considération. Seule une interprétation stricte de la notion de permis de séjour formellement limité est donc à même de garantir à ces ressortissants un niveau élevé de sécurité juridique quant à l’octroi du statut de résident de longue durée.

46.      Or, la lettre de l’article 3, paragraphe 2, sous e), de la directive nous renseigne sur le champ que doit recouvrir la notion de permis de séjour formellement limité.

47.      Cette disposition vise expressément, par les termes qui l’introduisent, la situation des ressortissants qui «séjournent exclusivement pour des motifs à caractère temporaire [(17)]». Par conséquent, les exemples que fournit le législateur de l’Union ne font qu’illustrer des situations dans lesquelles la profession ou l’activité exercée par l’intéressé dans l’État membre est, par nature, temporaire et induit un séjour à durée limitée, ne permettant donc pas aux ressortissants concernés d’établir des liens étroits avec l’État membre au sein duquel ils résident.

48.      En ce qui concerne les situations des personnes au pair, des travailleurs saisonniers, des travailleurs salariés détachés ou des prestataires de services transfrontaliers, visées dans la proposition de la Commission, cette dernière a précisé que l’élément commun et déterminant à l’ensemble de ces individus est la brièveté de leur séjour, ceux-ci n’ayant pas vocation à s’installer dans l’État membre où ils séjournent temporairement (18) comme les étudiants et les personnes en formation professionnelle.

49.      En ce qui concerne la situation des personnes titulaires d’un permis de séjour formellement limité, celle-ci a été ajoutée dans le cadre des travaux du Conseil de l’Union européenne à l’initiative du Royaume de Belgique (19).

50.      Dans la mesure où le législateur de l’Union a introduit cette notion à la suite des différents exemples susmentionnés par la conjonction de coordination «ou», celle-ci doit donc être interprétée comme faisant également référence, à l’instar des exemples qui la précèdent, à des ressortissants dont le séjour dans l’État membre est temporaire.

51.      Au vu de ces éléments, nous pensons, par conséquent, que, en excluant du bénéfice du statut de résident de longue durée les ressortissants de pays tiers qui sont titulaires, dans les États membres, d’un permis de séjour formellement limité, le législateur de l’Union a visé les situations dans lesquelles les États membres ont délivré à ces ressortissants un permis de séjour formellement limité à l’exercice d’une profession ou d’une activité qui implique un séjour temporaire sur leur territoire.

52.      En d’autres termes, l’article 3, paragraphe 2, sous e), de la directive ne permet pas, à notre sens, d’exclure du champ d’application de celle-ci les ressortissants dont le permis de séjour a été formellement limité à l’exercice d’une activité ou d’une profession qui implique, par nature ou en raison du renouvellement et/ou de la prolongation de ce permis, un séjour légal et durable sur le territoire de l’État membre.

53.      Cette dernière hypothèse vise les situations dans lesquelles le permis de séjour, bien que formellement limité à l’exercice d’une activité ou d’une profession, a été renouvelé et prolongé de telle sorte que le ressortissant d’un pays tiers a résidé durablement et de manière ininterrompue sur le territoire de l’État membre, l’activité ou la profession exercée par ce ressortissant perdant alors sa nature temporaire pour revêtir un caractère durable.

54.      Cette interprétation s’impose, à notre sens, pour garantir l’effet utile de la directive et assurer la poursuite des objectifs de celle-ci.

55.      En effet, permettre aux États membres de qualifier des permis de séjour de «formellement limités» indépendamment du caractère temporaire du séjour ou de l’activité en cause, comme le soutiennent les gouvernements néerlandais et belge, reviendrait à contourner tant les objectifs que le législateur de l’Union vise à poursuivre dans le cadre de la directive que le champ d’application de celle-ci, les États membres pouvant, dès lors, en limiter artificiellement la portée.

56.      En effet, sur le fondement de l’article 3, paragraphe 2, sous e), de la directive et sous couvert de l’octroi d’un permis de séjour formellement limité, les États membres pourraient exclure du bénéfice du statut de résident de longue durée des catégories particulières de ressortissants de pays tiers alors même que ces derniers, compte tenu de leur installation légale et durable sur le territoire de ces États, seraient éligibles à ce statut.

57.      Premièrement, cela conduirait à priver ces ressortissants des droits attachés à l’octroi d’un permis de séjour de résident de longue durée qui sont sans commune mesure avec ceux dont bénéficient les titulaires d’un permis de séjour formellement limité.

58.      Deuxièmement, cela aboutirait à priver lesdits ressortissants de la sécurité juridique que tend pourtant à conférer la directive à tout résident légalement et durablement installé sur le territoire d’un État membre, ce qui, par voie de conséquence, nuirait à leur intégration dans cet État.

59.      Troisièmement, cela conduirait à rompre le traitement équitable qui doit être accordé à tous les ressortissants de pays tiers résidant légalement et durablement sur le territoire d’un État membre. En effet, lorsque le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers dans un État membre, n’est pas, par nature, temporaire et que sa résidence atteint la durée de cinq années compte tenu du nombre et de la durée cumulée des permis de séjour formellement limités qui lui ont été accordés, rien ne justifie, à notre sens, qu’il soit privé, d’une part, de la possibilité de comptabiliser, au titre de l’article 4, paragraphe 1, de la directive, ses périodes de résidence et, d’autre part, de prétendre, sous réserve de satisfaire aux autres conditions visées par la directive, au bénéfice des droits et des garanties attachés au statut de résident de longue durée.

60.      Quatrièmement, nous perdrions de vue ce qui constitue, à la lumière du sixième considérant et de l’article 4 de la directive, le critère principal pour l’acquisition du statut de résident de longue durée, à savoir la durée de la résidence, au profit de critères plus flous, tels que ceux liés à l’exercice d’un certain type de professions ou d’activités.

61.      La présente affaire illustre, à notre sens, parfaitement ces risques, compte tenu des circonstances particulières de celle-ci et, notamment, du nombre et de la durée cumulée des permis de séjour formellement limités qui ont été accordés à M. Singh (20).

62.      En effet, celui-ci s’est vu octroyer un permis de séjour formellement limité à compter du 22 octobre 2001, lequel a été renouvelé chaque fois pendant une période déterminée, tout d’abord jusqu’au 8 septembre 2002, puis jusqu’au 19 janvier 2005, ensuite jusqu’au 19 janvier 2008 et, enfin, jusqu’au 19 janvier 2009, soit durant une période totale de plus de sept années. Contrairement à l’article 14, paragraphe 3, de la loi procédant à une révision générale de la loi sur les étrangers, son séjour a donc été autorisé pour une durée bien supérieure à cinq années.

63.      Pendant cette période, il ne fait aucun doute que M. Singh a entendu s’installer durablement sur le territoire néerlandais, comme en témoignent, d’une part, ses activités, dont nous allons voir qu’elles ne caractérisaient pas des motifs de séjour temporaire et, d’autre part, sa demande, le 30 mai 2007, tendant à l’obtention d’un permis de séjour de résident de longue durée.

64.      Alors même que M. Singh a résidé pendant une période de plus de sept années sur le territoire néerlandais, soit bien plus que la durée de résidence requise aux fins de l’acquisition du statut de résident de longue durée, celui-ci se trouve privé, d’une part, de la possibilité de comptabiliser ces périodes de résidence au titre de l’obtention de ce statut et, par conséquent, de prétendre audit statut et, d’autre part, de la sécurité juridique que la directive tend à garantir aux ressortissants installés légalement et durablement sur le territoire des États membres.

65.      En outre, M. Singh s’est vu accorder un permis de séjour formellement limité à l’exercice d’une profession qui n’est pas, par nature, temporaire et qui la distingue donc très clairement de la situation des travailleurs au pair, de celle des travailleurs saisonniers ou encore de celle des étudiants dont la durée de séjour est bien limitée dans le temps et dont l’intention n’est pas l’intégration dans l’État membre sur le territoire duquel ils résident.

66.      Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, il est constant que la durée de validité d’un permis de séjour d’un chef spirituel ou d’un professeur de religion peut être prolongée de façon indéterminée. À cet égard, la juridiction de renvoi signale que, aux termes d’une lettre émise par le ministre de l’Immigration et de l’Intégration le 11 mai 2006, dans la pratique, beaucoup de ressortissants qui séjournent à ce titre ne quittent pas les Pays-Bas, que, dans de nombreux cas, leur séjour est de longue durée et que, entre autres, pour ces motifs, ledit ministre avait l’intention de considérer, dans le futur, la situation des chefs spirituels et des professeurs de religion comme n’étant pas, par nature, temporaire. Il est, en effet, significatif de relever, comme l’indique la juridiction de renvoi, que, depuis le 1er janvier 2002, ces ressortissants sont tenus d’apprendre la langue néerlandaise et de s’intégrer au sein de la société.

67.      Le gouvernement néerlandais reconnaît, d’ailleurs, conformément aux observations formulées par la juridiction de renvoi, que le séjour des chefs spirituels et des professeurs de religion sur le territoire du Royaume des Pays-Bas n’est pas, par nature, temporaire.

68.      De fait, et comme nous l’avons indiqué au point 15 des présentes conclusions, les autorités néerlandaises ont récemment adopté une réforme, laquelle n’est pas encore en vigueur, modifiant l’article 3.5 du décret sur les étrangers de 2000, aux fins de permettre aux chefs spirituels et aux professeurs de religion de prétendre à l’octroi d’un permis de séjour de résident de longue durée.

69.      Par conséquent, force est de constater que le séjour de ces ressortissants aux Pays-Bas n’est pas, par nature, temporaire, de sorte que le permis de séjour pour une période déterminée qui leur est octroyé, assorti d’une restriction liée à l’exercice d’une activité de chef spirituel ou de professeur de religion, ne peut être qualifié de «formellement limité» au sens de l’article 3, paragraphe 2, sous e), de la directive.

70.      Au vu de l’ensemble de ces éléments, nous estimons, par conséquent, que l’article 3, paragraphe 2, sous e), de la directive doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui exclut du bénéfice du statut de résident de longue durée les ressortissants de pays tiers qui bénéficient d’un permis de séjour formellement limité à l’exercice d’une activité ou d’une profession qui implique, par nature ou en raison du renouvellement et/ou de la prolongation de ce permis, un séjour légal et durable sur le territoire de cet État.

IV – Conclusion

71.      Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante au Raad van State:

«L’article 3, paragraphe 2, sous e), de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui exclut du bénéfice du statut de résident de longue durée les ressortissants de pays tiers qui bénéficient d’un permis de séjour formellement limité à l’exercice d’une activité ou d’une profession qui implique, par nature ou en raison du renouvellement et/ou de la prolongation de ce permis, un séjour légal et durable sur le territoire de cet État.»


1 –      Langue originale: le français.


2 – JO 2004, L 16, p. 44, ci-après la «directive». La directive a été modifiée, postérieurement aux faits du litige au principal, par la directive 2011/51/UE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2011 (JO L 132, p. 1).


3 – Conformément à l’article 4, paragraphe 1, de la directive, «[l]es États membres accordent le statut de résident de longue durée aux ressortissants de pays tiers qui ont résidé de manière légale et ininterrompue sur leur territoire pendant les cinq années qui ont immédiatement précédé l’introduction de la demande en cause».


4 – Stb. 2000, no 495.


5 – Stb. 2000, no 497.


6 – Le conseil d’association a été institué par l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé le 12 septembre 1963 à Ankara, par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part. Cet accord a été conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963 (JO 1964, 217, p. 3685).


7 – Stb. 2010, no 2009.


8 – Stb. 2010, no 307.


9 –      Voir arrêt du 21 décembre 2011, Ziolkowski et Szeja (C‑424/10 et C‑425/10, Rec. p. I‑14035, point 32 ainsi que jurisprudence citée).


10 – Ibidem (point 34 et jurisprudence citée).


11 –      Voir point 5.2 de la proposition de directive du Conseil relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée [COM(2001) 127 final, ci-après la «proposition de la Commission»].


12 –      Sixième considérant de la directive.


13 – En vertu de ces dispositions, le ressortissant d’un pays tiers doit disposer de ressources stables, régulières et suffisantes ainsi que d’une assurance maladie et ne doit pas représenter une menace pour l’ordre public et la sécurité publique.


14 – Proposition de la Commission (point 5.3).


15 – Voir commentaire de l’article 3, paragraphe 2 (p. 14).


16 –      Voir articles 2, sous a), et 4, paragraphe 1, de la directive 2001/55/CE du Conseil, du 20 juillet 2001, relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil (JO L 212, p. 12).


17 –      Souligné par nos soins.


18 –      Voir proposition de la Commission, commentaire de l’article 3, paragraphe 2, sous d) (p. 14).


19 –      Voir résultats des travaux du comité stratégique sur l’immigration, les frontières et l’asile [COM(2001) 127 final] (p. 4, note en bas de page 2). Ce document est disponible sur le site Internet du Conseil sous la référence 8408/03.


20 –      Pour une autre illustration, voir communication aux membres du 26 octobre 2009 relative à la pétition 0118/2008 déposée devant la commission des pétitions du Parlement européen, au sujet de l’application de l’exclusion visée à l’article 3, paragraphe 2, sous e), de la directive à Chypre, disponible sur le site Internet du Parlement. Dans le cadre de cette pétition, il est reproché aux autorités nationales compétentes d’avoir refusé d’accorder le statut de résident de longue durée à une ressortissante d’un pays tiers titulaire d’un permis de séjour formellement limité à l’activité d’aide ménagère, alors que son permis a été plusieurs fois renouvelé de sorte que celle-ci résidait légalement et depuis neuf années sur le territoire chypriote.