Language of document : ECLI:EU:T:2019:723

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

3 octobre 2019 (*)

« REACH – Article 11 du règlement (CE) n° 1907/2006 – Article 3, paragraphe 3, du règlement d’exécution (UE) 2016/9 – Obligation de soumission conjointe de données – Soumission conjointe avec option de dérogation complète – Pratique administrative de l’ECHA imposant un accord relatif aux conditions d’accès à une soumission conjointe avec le déclarant principal pour une substance enregistrée – Absence d’accord – Mécanisme de résolution des désaccords appliqué par analogie – Décision octroyant l’accès à une soumission conjointe – Base juridique – Pouvoir d’appréciation de l’ECHA – Erreur manifeste d’appréciation – Obligation de motivation – Sécurité juridique »

Dans l’affaire T‑805/17,

BASF SE, établie à Ludwigshafen-sur-le-Rhin (Allemagne), représentée par Mes R. Cana, D. Abrahams, E. Mullier et H. Widemann, avocats,

partie requérante,

contre

Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par Mme M. Heikkilä, M. C. Jacquet et Mme T. Basmatzi, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision DSH‑30-3-0122-2017 de l’ECHA, du 2 octobre 2017, octroyant à Sustainability Support Services (Europe) AB l’accès à la soumission conjointe déposée par REACH & colours, en tant que déclarant principal pour la substance 4,4’-bis[(4-anilino-6-morpholino-1, 3, 5-triazine-2-yl)amino]stilbène-2,2’-disulfonate de disodium, portant le numéro CE 240-245-2 et le numéro CAS 16090-02-1,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. S. Papasavvas, faisant fonction de président, D. Spielmann  et Mme O. Spineanu‑Matei (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        La présente affaire s’inscrit dans le cadre de la procédure de soumission conjointe de données pour les substances enregistrées, établie par l’article 11 du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1, rectificatif JO 2007, L 136, p. 3, ci-après le « règlement REACH »).

2        Conformément à l’article 5 du règlement REACH, sous certaines réserves, toutes les substances fabriquées ou mises sur le marché dans l’Union européenne doivent être enregistrées.

3        En vertu des articles 6 et 7 du règlement REACH, les demandes d’enregistrement sont soumises à l’ECHA.

4        Selon l’article 10 du règlement REACH, chaque enregistrement comprend un dossier technique et, quand il est exigé, un rapport sur la sécurité chimique. Cette même disposition définit les catégories d’informations que doivent contenir le dossier technique et le rapport en question.

5        Aux fins du respect du principe « une substance, un enregistrement » ressortant du règlement REACH, l’article 11 dudit règlement prévoit l’obligation, pour tous les déclarants potentiels de la même substance, de soumettre conjointement des informations à l’ECHA (ci-après l’« obligation de soumission conjointe »).

6        L’article 11, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement REACH exige, en particulier, que certaines informations et toute indication pertinente couvertes par l’obligation de soumission conjointe soient d’abord soumises par un seul déclarant, dénommé « déclarant principal », agissant avec l’assentiment du ou des autres déclarants. Chaque déclarant doit ensuite soumettre séparément les informations relatives, notamment, à l’identité de la substance, aux utilisations identifiées et à l’exposition.

7        Un déclarant peut néanmoins, en vertu de l’article 11, paragraphe 3, du règlement REACH, choisir de soumettre séparément les informations que le déclarant principal pourrait soumettre (« complete opt-out », ci-après l’« option de dérogation complète »), dans trois cas, à savoir, premièrement, si la soumission conjointe des informations engendrait pour lui des coûts disproportionnés, deuxièmement, si la soumission conjointe des informations entraînait la divulgation d’informations qu’il juge commercialement sensibles et est susceptible de lui causer un préjudice commercial substantiel ou, troisièmement, s’il est en désaccord avec le déclarant principal en ce qui concerne la sélection de ces informations. Dans ces hypothèses, le déclarant soumet, en même temps que le dossier, une explication relative aux raisons pour lesquelles les coûts seraient disproportionnés ou la communication des informations serait susceptible d’entraîner un préjudice commercial substantiel ou une explication relative à la nature du désaccord, selon le cas.

8        D’un point de vue technique, afin de soumettre les données en question, l’ECHA a mis en place un système informatique, à savoir REACH-IT. Pour pouvoir y accéder, les déclarants doivent être en possession d’un code alphanumérique (ci-après « le jeton de sécurité »).

9        Avant l’entrée en vigueur du règlement d’exécution (UE) 2016/9 de la Commission, du 5 janvier 2016, relatif à la soumission conjointe de données et au partage des données conformément au règlement REACH (JO 2016, L 3, p. 41, ci-après le « règlement d’exécution »), le jeton de sécurité était fourni par l’ECHA. Lorsque les déclarants ne parvenaient pas à un accord sur les conditions d’enregistrement d’une substance à travers une soumission conjointe, le système informatique REACH-IT leur permettait de procéder à l’enregistrement d’une telle substance de façon séparée. De plus, lorsqu’ils souhaitaient soumettre toutes les informations pertinentes séparément, à travers l’option de dérogation complète, l’ECHA les invitait à soumettre un enregistrement séparé au lieu de se joindre à une soumission conjointe existante.

10      À la suite de l’entrée en vigueur du règlement d’exécution, l’ECHA a apporté des modifications techniques au système REACH-IT, afin de garantir qu’il ne soit plus techniquement possible qu’un déclarant soumette un dossier séparé lorsqu’un enregistrement existe déjà pour la même substance. Les déclarants doivent désormais intégrer le même enregistrement, dans lequel ils peuvent soumettre des informations conjointement ou séparément. Ces modifications sont devenues effectives le 21 juin 2016.

11      Les modifications du système REACH-IT ont dès lors eu pour effet d’octroyer une position privilégiée au premier déclarant d’une substance, agissant en qualité de déclarant principal, par rapport aux déclarants ultérieurs de la même substance. En effet, un déclarant qui aurait eu l’intention de soumettre toutes les informations requises séparément, conformément à l’article 11, paragraphe 3, du règlement REACH (ci-après le « déclarant optant pour une dérogation complète »), était tenu d’obtenir le jeton de sécurité du déclarant principal afin de pouvoir se joindre à l’enregistrement de la substance dans REACH-IT et soumettre ainsi ses propres informations dans le cadre de l’enregistrement unique de cette substance (ci-après l’« ancienne pratique administrative de l’ECHA »).

12      Pour les situations dans lesquelles les déclarants ne parvenaient pas à s’accorder sur les conditions d’octroi du jeton de sécurité, l’ECHA a décidé de recourir, par analogie, au mécanisme de résolution des désaccords qu’elle avait mis en place afin d’adopter des décisions au titre des articles 27, paragraphe 6, et 30, paragraphe 3, du règlement REACH en matière de partage de données. En termes de procédure, lesdites dispositions prévoient une voie de recours devant la chambre de recours de l’ECHA. Pour décider de l’application par analogie d’un tel mécanisme aux litiges relatifs aux soumissions conjointes, l’ECHA s’est appuyée sur l’article 11 dudit règlement, tel que mis en œuvre par l’article 3, paragraphe 3, du règlement d’exécution.

13      Ainsi, l’ECHA propose un mécanisme de résolution des désaccords entre un déclarant optant pour une dérogation complète et le déclarant principal au sujet des conditions dans lesquelles le déclarant principal doit délivrer au premier le jeton de sécurité (ci-après le « mécanisme de résolution des désaccords »). Dans le cadre de ce mécanisme, l’ECHA examine les efforts déployés par les sociétés concernées et, si elle juge que le déclarant optant pour une dérogation complète a tout mis en œuvre pour parvenir à un accord avec le déclarant principal, elle lui délivre un jeton de sécurité. Dès lors, un déclarant conserve la possibilité de choisir l’option de dérogation complète tout en intégrant l’enregistrement unique de la substance concernée.

 Antécédents du litige et décision attaquée

14      La requérante, BASF SE, est le déclarant principal pour la substance 4,4’-bis[(4-anilino-6-morpholino-1,3,5-triazine-2-yl)amino]stilbène-2,2’-disulfonate de disodium, portant le numéro CE 240-245-2 et le numéro CAS 16090-02-1 (ci-après le « disodium » ou la « substance »).

15      La requérante fait partie du groupement de producteurs d’azurants optiques utilisés dans l’industrie des pâtes et papiers.

16      Le disodium est un des quatorze azurants optiques dérivés du stilbène qui ont été enregistrés par soumission conjointe au titre du règlement REACH, selon l’« approche par catégorie », par les producteurs faisant partie du groupement mentionné au point 15 ci-dessus.

17      Le 18 janvier 2017, l’ensemble des déclarants de la substance ont reçu des communications de la part de l’ECHA. Dans ces communications, l’ECHA leur demandait de présenter une soumission conjointe unique pour la substance et faisait référence aux conséquences juridiques qu’aurait entraînées la persistance de la violation de l’obligation de soumission conjointe après l’expiration du délai prévu par le règlement d’exécution, parmi lesquelles figurait l’annulation des enregistrements individuels (ci-après les « communications du 18 janvier 2017 »).

18      Les communications du 18 janvier 2017 évoquaient notamment l’enregistrement individuel de la substance par Sustainability Support Services (Europe) AB (ci-après « SSS ») et indiquaient que, en vertu du principe « une substance, un enregistrement », les déclarations devaient faire l’objet d’une soumission conjointe pour la substance au plus tard le 25 juillet 2017.

19      Le 26 janvier 2017, faisant référence aux communications du 18 janvier 2017, la requérante, en tant que déclarant principal de la substance, a contacté SSS et l’a invitée à rejoindre la soumission conjointe pour la substance ainsi qu’à contribuer aux coûts qui y étaient afférents.

20      Lors des échanges survenus entre la requérante et SSS à la suite des communications du 18 janvier 2017, cette dernière a notamment informé la requérante de son intention de choisir l’option de dérogation complète pour la substance. Elle a donc demandé à la requérante de lui fournir le jeton de sécurité lui permettant de joindre son enregistrement individuel à l’enregistrement existant pour la substance, sans contribuer aux coûts des données soumises conjointement, et de lui indiquer les coûts administratifs qui y étaient afférents.

21      Le 17 juillet 2017, ses échanges ultérieurs avec la requérante n’ayant abouti à aucun accord, SSS a engagé auprès de l’ECHA une procédure au sujet de l’accès à la soumission conjointe de la substance. Elle alléguait l’absence d’accord avec le déclarant principal et demandait à l’ECHA de lui fournir le jeton de sécurité qui aurait pu lui permettre de joindre son enregistrement individuel à l’enregistrement existant tout en choisissant l’option de dérogation complète pour la substance.

22      Dans le cadre du mécanisme de résolution des désaccords (voir points 12 et 13 ci-dessus), l’ECHA a estimé que la requérante, en tant que déclarant principal de la substance, ne s’était pas conformée à son obligation de tout mettre en œuvre pour parvenir à un accord juste, transparent et non discriminatoire sur la fourniture des jetons de sécurité, comme le prévoyait le règlement d’exécution.

23      Ainsi, par décision du 2 octobre 2017, enregistrée sous la référence DSH‑30-3-0122-2017, l’ECHA a octroyé à SSS l’accès à la soumission conjointe déposée par la requérante, en tant que déclarant principal pour le disodium (ci-après la « décision attaquée »).

 Faits postérieurs à l’introduction du recours

24      Le 20 décembre 2017, parallèlement au présent recours introduit devant le Tribunal le 11 décembre 2017, la requérante a introduit un recours contre la décision attaquée devant la chambre de recours de l’ECHA, enregistré sous la référence A-015-2017 et fondé sur les mêmes moyens et arguments que ceux avancés dans le cadre du présent recours devant le Tribunal.

25      S’agissant de la recevabilité du recours administratif, la requérante avait fait valoir que « la décision attaquée a[vait] été adoptée sur la base de l’article 11 du règlement REACH et de l’article 3 du règlement d’exécution suivant la procédure prévue aux fins des articles 27 et 30 [dudit règlement REACH, de sorte] que l’article 91, paragraphe 1, [de ce règlement] é[tait] applicable et que la chambre de recours é[tait] compétente pour statuer sur les recours formés contre des décisions concernant des “litiges relatifs à des soumissions conjointes”, telles que la décision [contestée], dans le cadre de son pouvoir de statuer sur les décisions adoptées par l’[ECHA] sur le fondement des articles 27 et 30 du [même règlement] ».

26      Par décision du 23 mars 2018, enregistrée sous la référence A‑011‑2017 et rendue dans le contexte d’une autre affaire présentant de fortes similitudes avec la présente affaire (ci-après la « décision rendue dans l’affaire A‑011‑2017 »), la chambre de recours de l’ECHA a rejeté comme irrecevable le recours qui y était afférent.

27      En particulier, dans la décision rendue dans l’affaire A‑011‑2017, la chambre de recours a estimé, premièrement, que, le fait que l’article 11 du règlement REACH, qui était la seule base juridique invoquée à l’appui de ladite décision, ne soit pas expressément visé à l’article 91, paragraphe 1, du même règlement qui énumère les décisions susceptibles de recours devant l’ECHA, avait pour conséquence qu’elle n’était pas compétente pour se prononcer sur le recours en question.

28      En outre, dans la décision rendue dans l’affaire A‑011‑2017, s’agissant du droit à un recours effectif, la chambre de recours a affirmé que, conformément à l’article 94, paragraphe 1, du règlement REACH, le Tribunal pouvait être saisi d’un recours « dans les cas où il n’exist[ait] pas de droit de recours auprès de la chambre [de recours] » et a ajouté que sa compétence, telle qu’établie dans ledit règlement, ne saurait être modifiée par une déclaration inexacte concernant une voie de recours mentionnée dans une décision de l’ECHA.

29      Deuxièmement, dans la décision rendue dans l’affaire A‑011‑2017, la chambre de recours a considéré que l’ECHA ne disposait pas de pouvoir d’appréciation pour octroyer le jeton de sécurité à un déclarant optant pour une dérogation complète  au titre de l’article 11, paragraphe 3, du règlement REACH. Elle a indiqué que, en revanche, l’ECHA « d[eva]it, sur demande, fournir le “jeton de sécurité” à tout déclarant qui l’inform[ait] de sa décision d’opter pour [une dérogation complète] en vertu de l’article 11, paragraphe 3 ».  À cet égard, elle a constaté qu’il n’était pas nécessaire d’avoir un mécanisme de résolution des désaccords relatifs aux soumissions conjointes.

30      À la suite de la décision rendue dans l’affaire A‑011‑2017, en premier lieu, le 20 avril 2018, la chambre de recours de l’ECHA a décidé de surseoir à statuer sur le recours introduit devant elle contre la décision attaquée et enregistré sous la référence A‑015‑2017. De l’avis de ladite chambre, il était en effet nécessaire de suspendre ladite procédure dans l’attente de la décision du Tribunal dans la présente affaire.

31      En second lieu, d’après les réponses aux questions du Tribunal, de façon plus générale, l’ECHA a modifié sa procédure afin de mettre en œuvre l’intégralité des conclusions principales contenues dans la décision rendue dans l’affaire A-011-2017. À cette fin, elle délivre désormais automatiquement un jeton de sécurité à tout déclarant qui l’informe de sa décision de choisir l’option de dérogation complète afin qu’il puisse soumettre les informations requises dans le cadre de l’enregistrement existant d’une substance. Dès lors, contrairement à sa pratique antérieure, l’ECHA n’exige plus que le déclarant optant pour une dérogation complète introduise une demande de résolution d’un désaccord relatif à une soumission conjointe, dans laquelle il aurait dû démontrer avoir tout mis en œuvre pour parvenir à un accord avec le déclarant principal avant que l’ECHA ne lui délivre le jeton de sécurité.

 Procédure et conclusions des parties

32      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 décembre 2017, la requérante a introduit le présent recours.

33      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 1er mars 2018, l’ECHA a soulevé une exception au titre de l’article 130 du règlement de procédure du Tribunal. La requérante a déposé ses observations sur cette exception le 3 mai 2018.

34      Par lettre du 4 avril 2018, l’ECHA a informé le Tribunal de la décision rendue dans l’affaire A‑011‑2017 qu’elle estimait pertinente aux fins de la présente affaire adoptée par la chambre de recours de l’ECHA ultérieurement au dépôt de l’exception. Par décision du président de la sixième chambre, ladite lettre et la décision qui y est annexée ont été versées au dossier.

35      Dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure adoptée sur le fondement de l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal (sixième chambre) a interrogé les parties sur les conséquences qu’une telle décision auraient pu avoir sur la présente affaire. Les parties y ont déféré dans le délai imparti.

36      Par ordonnance du 13 juillet 2018, BASF/ECHA (T‑805/17, non publiée), le Tribunal (sixième chambre) a, sur le fondement de l’article 130, paragraphe 7, du règlement de procédure, joint l’exception au fond et réservé les dépens.

37      Le 31 août 2018, l’ECHA a déposé le mémoire en défense.

38      La requérante n’a pas déposé de demande visant à être entendue lors d’une audience de plaidoiries dans le délai imparti. L’ECHA a indiqué qu’elle ne souhaitait pas être entendue.

39      Dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure adoptée sur le fondement de l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal (sixième chambre) a, d’une part, invité l’ECHA à indiquer si elle maintenait son exception, et, d’autre part, interrogé les parties sur les conséquences de la nouvelle pratique administrative de l’ECHA concernant la délivrance du jeton de sécurité sur la présente affaire. Les parties ont déféré à ladite mesure dans les délais impartis.

40      En réponse à la mesure d’organisation de la procédure, l’ECHA a indiqué qu’elle renonçait à l’exception soulevée.

41      La requérante conclue à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’ECHA aux dépens de la présente procédure ;

–        ordonner toute autre mesure qui s’avèrerait appropriée.

42      Dans le mémoire en défense, l’ECHA conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

43      À l’appui du recours, la requérante invoque quatre moyens tirés, en substance, le premier, de l’absence de prise en considération des faits pertinents propres au litige, le deuxième, d’erreurs manifestes d’appréciation, le troisième, de la violation du principe de sécurité juridique et, le quatrième, de la violation de l’obligation de motivation.

44      Dans la mesure où l’argumentation présentée dans le cadre du premier moyen se recoupe avec celle invoquée à l’appui du deuxième moyen tiré d’erreurs manifestes d’appréciation, le Tribunal estime opportun de les analyser ensemble, après le quatrième moyen, qu’il convient d’examiner en premier lieu.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

45      La requérante estime que la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation, en ce que l’ECHA n’a pas fourni la moindre justification du fait qu’elle n’a pas pris en compte, dans le cadre de l’évaluation des efforts déployés par les sociétés concernées pour arriver à un accord relatif à l’accès à la soumission conjointe, de la correspondance avec SSS intervenue avant janvier 2017, malgré leurs arguments relatifs à l’importance de cette correspondance dans l’évolution des relations entre lesdites sociétés.

46      L’ECHA objecte que la décision attaquée contient les motifs pour lesquels elle a considéré que la correspondance antérieure à 2017 n’était pas pertinente pour l’évaluation qu’elle était appelée à effectuer.

47      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. En particulier, l’institution concernée n’est pas tenue de prendre position sur tous les arguments invoqués devant elle par les intéressés, mais il lui suffit d’exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (voir arrêt du 30 avril 2014, Hagenmeyer et Hahn/Commission, T‑17/12, EU:T:2014:234, point 173 et jurisprudence citée).

48      Selon une jurisprudence également constante, l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. En effet, la motivation d’une décision consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cette décision. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond de la décision, mais non sa motivation, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés. Il s’ensuit que les griefs et les arguments visant à contester le bien-fondé d’un acte sont dénués de pertinence dans le cadre d’un moyen tiré du défaut ou de l’insuffisance de motivation (voir arrêt du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 143 et jurisprudence citée).

49      En l’espèce, premièrement, il ressort clairement de la décision attaquée que la raison pour laquelle l’ECHA a décidé d’octroyer à SSS l’accès à la soumission conjointe du disodium était l’impasse dans laquelle se trouvaient les négociations entre les sociétés concernées du fait de l’absence de réponse de la requérante aux demandes successives de SSS relatives au prix d’accès à ladite soumission conjointe. Après avoir observé que l’offre de prix et la ventilation des coûts d’accès à la soumission conjointe constituait un point de départ pour les négociations, l’ECHA a précisé qu’elle considérait que l’absence de proposition de la part de la requérante concernant les coûts d’accès avait rendu impossible l’avancement des négociations. Partant, elle a indiqué que, après l’évaluation des preuves présentées par lesdites sociétés afin d’étayer les efforts déployés pour arriver à un accord relatif à l’accès à la soumission conjointe du disodium, elle était arrivée à la conclusion que la requérante ne s’était pas conformée à son obligation de tout mettre en œuvre pour parvenir à un accord juste, transparent et non discriminatoire sur la fourniture du jeton de sécurité, comme le prévoyait le règlement d’exécution.

50      Il ressort donc de la décision attaquée que l’ECHA, d’une part, a mis la requérante en mesure de comprendre la raison pour laquelle elle avait décidé d’octroyer à SSS l’accès à la soumission conjointe du disodium, et, d’autre part, a permis au Tribunal d’exercer son contrôle.

51      Deuxièmement, contrairement à ce que soutient la requérante, la décision attaquée contient également des explications relatives à l’absence de prise en considération des négociations intervenues entre les sociétés concernées avant 2017.

52      Ainsi, il ressort de la décision attaquée, et plus particulièrement de son annexe se référant au contexte factuel, que les éléments de preuve présentés par la requérante concernant les négociations précédentes n’étaient pas pertinents aux fins de l’accès à la soumission conjointe du disodium, car ils visaient un autre enregistrement. En outre, dans la partie « Appréciation » de ladite décision, l’ECHA a noté qu’« [i]l ressort[ait] des éléments de preuve produits par [la requérante] que les deux [sociétés concernées avaient] tenu de longues discussions, toujours en cours, concernant le règlement de factures pendantes liées à un autre enregistrement qui fai[sai]t déjà partie d’une autre soumission conjointe », mais que « ce fait n’aurait pas dû faire obstacle aux négociations actuelles, par lesquelles la requérante demandait à avoir accès aux soumissions conjointes ».

53      Il résulte de ce qui précède que la décision attaquée expose, à suffisance de droit, les motifs pour lesquels l’ECHA a estimé que les éléments de preuve attestant la tenue, avant 2017, de négociations en vue d’une soumission conjointe pour le disodium, manquaient de pertinence.

54      Il s’ensuit que le quatrième moyen doit être rejeté.

 Sur les premier et deuxième moyens, tirés d’erreurs manifestes d’appréciation

55      Les premier et deuxième moyens sont tirés de plusieurs erreurs manifestes d’appréciation. En particulier, la requérante soutient que l’ECHA a dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation, premièrement, en ce que celle-ci a omis d’évaluer l’ensemble des éléments et circonstances pertinents pour le litige en cause en violation du droit à une bonne administration énoncé à l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, deuxièmement, en ce que celle-ci a conclu que SSS avait déployé plus d’efforts que la requérante pour arriver à un accord et, troisièmement, en ce que celle-ci a omis de tenir compte de la violation, par SSS, de l’article 25 du règlement REACH..

56      L’ECHA conteste l’argumentation de la requérante.

57      S’agissant du droit à une bonne administration, la jurisprudence a précisé qu’il appartenait à l’administration, en vertu dudit principe, d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents d’une affaire et de réunir tous les éléments de fait et de droit nécessaires à l’exercice de son pouvoir d’appréciation ainsi que d’assurer le bon déroulement et l’efficacité des procédures qu’elle mettait en œuvre (arrêt du 30 janvier 2018, Przedsiębiorstwo Energetyki Cieplnej/ECHA, T-625/16, non publié, EU:T:2018:44, point 89).

58      S’agissant des pouvoirs de l’ECHA dans le cadre de l’enregistrement des substances, il convient de relever que, eu égard au considérant 15 et à l’article 75, paragraphe 1, du règlement REACH, l’ECHA a été instituée « aux fins de la gestion et, dans certains cas, de la mise en œuvre des aspects techniques, scientifiques et administratifs d[e ce] règlement et en vue d’en garantir la cohérence au niveau [de l’Union] ».

59      À cet égard, il ressort de l’article 20 du règlement REACH, relatif à ses missions dans le cadre de l’enregistrement des substances, que, dès la réception d’un dossier d’enregistrement, l’ECHA attribue à cet enregistrement un numéro de soumission correspondant à la date de réception. Ensuite, elle procède à un contrôle du caractère complet de chaque enregistrement pour vérifier que tous les éléments prescrits par les articles 10 et 12 ou les articles 17 ou 18 du même règlement ont été fournis ainsi que la redevance d’enregistrement visée à l’article 6, paragraphe 4, à l’article 7, paragraphes 1 et 5, à l’article 17, paragraphe 2, et à l’article 18, paragraphe 2, dudit règlement, a été payée. Ce contrôle du caractère complet n’inclut pas d’évaluation de la qualité ou du caractère approprié des données ou des justifications soumises. Si l’enregistrement n’est pas complet, l’ECHA fait savoir au déclarant quelles sont les autres informations à fournir pour que l’enregistrement soit complet et lui fixe un délai raisonnable à cette fin. Le déclarant complète son enregistrement et lui soumet dans le délai fixé. L’ECHA confirme au déclarant la date de transmission des informations supplémentaires. Elle procède à un nouveau contrôle du caractère complet en tenant compte des informations supplémentaires transmises. Elle refuse l’enregistrement si le déclarant ne le complète pas dans le délai fixé. Une fois que l’enregistrement est complet, elle attribue un numéro d’enregistrement à la substance concernée ainsi qu’une date d’enregistrement qui est la même que la date de soumission.

60      Bien qu’il ne ressorte ni du règlement REACH ni du règlement d’exécution que l’ECHA bénéficierait d’un quelconque pouvoir d’appréciation pour octroyer à un déclarant optant pour une dérogation complète au titre de l’article 11, paragraphe 3, dudit règlement l’accès à une soumission conjointe pour une substance, son ancienne pratique administrative (voir points 11 et 12 ci-dessus), au demeurant non contestée par les parties, l’autorisait à apprécier, dans le cadre du mécanisme de résolution des désaccords, les efforts déployés par les sociétés concernées pour parvenir à un accord relatif à l’accès à une telle soumission conjointe.

61      Toutefois, indépendamment de l’appréciation des efforts déployés par les sociétés concernées pour parvenir à un accord relatif à l’accès à une soumission conjointe pour une substance, le pouvoir d’appréciation de l’ECHA ne saurait excéder celui expressément prévu dans le règlement REACH, relatif à la vérification du caractère complet des informations soumises (voir point 59 ci-dessus).

62      En effet, l’article 11 du règlement REACH impose seulement aux déclarants d’une même substance certaines obligations relatives à l’enregistrement et ne saurait être interprété comme permettant à l’ECHA de refuser l’accès à une soumission conjointe pour une substance déjà enregistrée à un nouveau déclarant de la même substance.

63      C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il y a lieu d’examiner les arguments de la requérante relatifs aux erreurs manifestes d’appréciation prétendument commises par l’ECHA et entachant la décision attaquée.

64      En premier lieu, la requérante soutient que, dans la décision attaquée, l’ECHA n’a pas tenu compte, en violation de l’article 25 du règlement REACH, de la règle de non-répétition des essais. Il convient de relever à cet égard que, en vertu du système REACH, bien qu’il revienne à l’ECHA d’entamer le contrôle de conformité d’un dossier d’enregistrement, ce contrôle n’intervient que dans le cadre de l’évaluation de ce dossier conformément à l’article 41 du même règlement et non au moment de la soumission dudit dossier, voire de l’appréciation des efforts déployés par les sociétés concernées pour parvenir à un accord relatif à l’accès à la soumission conjointe dans le cadre du mécanisme de résolution des désaccords.

65      En effet, le législateur a mis en place un mécanisme spécifique pour l’examen de la conformité des dossiers d’enregistrement aux exigences de l’article 25 du règlement REACH, à savoir celui prévu à l’article 41 dudit règlement. Ainsi, en vertu du paragraphe 1 de ce dernier article, l’ECHA peut examiner tout enregistrement afin de contrôler si les conditions relatives, notamment, aux informations contenues dans les dossiers techniques et aux explications soumises conformément à l’article 11, paragraphe 1, de ce règlement, sont conformes aux règles s’y rapportant. Si elle estime que le dossier sous contrôle n’est pas en conformité avec les exigences en matière d’information s’y rapportant, il lui incombe d’entamer la procédure prévue à l’article 41, paragraphe 3, du même règlement, en vertu de laquelle elle peut rédiger un projet de décision invitant le ou les déclarants à communiquer toute information nécessaire pour mettre l’enregistrement en conformité avec les exigences pertinentes en matière d’information. Selon cette même disposition, la décision finale en la matière, qui doit également préciser les délais de production des informations considérées comme nécessaires, est arrêtée conformément à la procédure prévue aux articles 50 et 51 du règlement en question.

66      En revanche, dans le cadre du mécanisme de résolution des désaccords (voir points 12 et 13 ci-dessus), l’ECHA met en balance les efforts déployés par les sociétés concernées pour parvenir à un accord relatif à l’accès à la soumission conjointe. L’allégation de la requérante selon laquelle la décision attaquée a fait, à tort, abstraction de l’interdiction de répéter des essais sur des animaux ne saurait donc constituer un facteur pertinent.

67      Partant, l’argument de la requérante relatif à une erreur d’appréciation commise par l’ECHA en omettant de tenir compte de la violation par SSS de l’article 25 du règlement REACH, doit être rejeté comme étant inopérant.

68      En second lieu, en ce qui concerne les autres arguments de la requérante relatifs à l’appréciation par l’ECHA des circonstances de l’espèce et des efforts déployés par les sociétés concernées pour parvenir à un accord relatif à l’accès à la soumission conjointe, ils doivent également être rejetés. En effet, il y a lieu de rappeler que le motif principal sur lequel l’ECHA a fondé la décision attaquée est le constat de l’impasse à laquelle les négociations intervenues entre lesdites sociétés ont abouti, du fait de l’absence de réponse de la requérante aux demandes successives de SSS relatives au prix d’accès à la soumission conjointe du disodium pour son enregistrement individuel.

69      En effet, ainsi qu’il a été exposé dans le cadre de l’analyse du quatrième moyen (voir point 49 ci-dessus), la conclusion de l’ECHA selon laquelle la requérante ne s’était pas conformée à son obligation de tout mettre en œuvre pour parvenir à un accord juste, transparent et non discriminatoire sur la fourniture du jeton de sécurité, comme le prévoyait le règlement d’exécution, est fondée sur l’absence de proposition de la part de celle-ci à la suite des demandes de SSS concernant les coûts d’accès à la soumission conjointe du disodium pour son enregistrement individuel rendant impossible l’avancement des négociations.

70      À cet égard, il convient de souligner que la requérante ne soutient à aucun moment avoir envoyé une proposition concernant les coûts d’accès à la soumission conjointe du disodium à SSS pour son enregistrement individuel. Elle insiste, en revanche, premièrement, sur la pertinence et l’importance dans l’économie des relations des sociétés concernées, d’une part, de ses démarches datant de 2010 et de 2011, effectuées en tant que déclarant principal du disodium et contemporaines avec l’enregistrement de cette substance, et, d’autre part, des relations existantes entre lesdites sociétés découlant d’un accord relatif à un autre enregistrement du disodium par SSS, dans le cadre duquel cette dernière ne se serait pas acquittée de ses obligations contractuelles envers la requérante. Deuxièmement, s’agissant des efforts déployés après les communications du 18 janvier 2017, la requérante estime que, le nombre de messages envoyés par les ces sociétés ayant été le même (quatre messages envoyés par la requérante et quatre messages envoyés par SSS) et les sociétés en question ayant chacune demandé des informations complémentaires que l’autre n’avait pas fournies, le manque de communication durant une certaine période ne devrait pas être imputé à une seule d’entre elles.

71      Or, à l’instar de ce que l’ECHA a mentionné dans la décision attaquée, la présentation de l’offre de prix pour l’accès à la soumission conjointe constituait le point de départ pour les négociations concernant l’enregistrement individuel de SSS pour le disodium. Partant, en l’absence d’une telle offre, les démarches de la requérante, même en admettant qu’elles eussent été plus anciennes et plus nombreuses que celles de SSS, perdent leur pertinence s’agissant du résultat auquel les sociétés concernées étaient tenues, conformément aux communications du 18 janvier 2017, d’intégrer tous les enregistrements séparés du disodium dans l’enregistrement unique de cette substance pour le 25 juillet 2017 au plus tard.

72      En outre, bien que la procédure appliquée en l’espèce par l’ECHA et ayant abouti à l’adoption de la décision attaquée ait suivi, par analogie, les étapes de la procédure que l’ECHA avait conçue aux fins d’adopter des décisions sur les désaccords relatifs au partage de données au titre notamment de l’article 30, paragraphe 3, du règlement REACH, il n’en demeure pas moins que les droits et les obligations des sociétés concernées découlant dudit article sont différents de ceux découlant de l’article 11 du même règlement qui constitue le fondement juridique de ladite décision.

73      Ainsi, l’article 30 du règlement REACH régit le partage de données concernant les essais sur des animaux en vue d’éviter tout double emploi et, notamment, de réduire les essais sur les animaux vertébrés, conformément aux considérants 49 à 51 de ce règlement. Le partage desdites données doit, s’il est demandé par un déclarant, avoir lieu dans des conditions assurant une indemnisation équitable au déclarant qui a effectué les essais, en particulier dans le cas des données concernant des essais sur des animaux vertébrés. Lorsque les sociétés concernées n’arrivent pas à un accord sur les conditions de partage de ces données, l’ECHA peut décider, au titre de l’article 30, paragraphe 3, dudit règlement, le cas échéant, soit que l’essai doit être répété, soit d’autoriser les autres membres du forum d’échange d’informations sur les substances (FEIS) à faire référence auxdites données dans leurs dossiers d’enregistrement. Dans ce dernier cas, le déclarant qui a effectué les essais possède sur les autres membres une créance représentant une partie égale au coût dont le recouvrement peut être poursuivi devant les juridictions nationales, à condition qu’il communique le rapport d’étude complet aux autres participants.

74      En revanche, l’article 11 du règlement REACH, placé sous le chapitre 1, intitulé « Obligation générale d’enregistrement et exigences en matière d’informations », du titre II relatif à l’enregistrement des substances de ce règlement, institue une obligation d’enregistrement unique de substances qui présente une portée plus large et plus générale que l’obligation relative au partage de données concernant les essais, instaurée par l’article 30 dudit règlement, qui est placé sous le titre III relatif à l’échange des données et prévention des essais inutiles du même règlement.

75      Bien que l’obligation de soumission conjointe prévue à l’article 11 du règlement REACH puisse coexister avec l’obligation de partage de données existantes au titre des articles 27 et 30 du même règlement et que les déclarants d’une même substance doivent parvenir à un accord sur les conditions, d’une part, de ladite soumission, et, d’autre part, du partage de données à l’occasion de cette soumission, les deux obligations ont toutefois un contenu autonome et interviennent à des moments successifs dans la procédure d’enregistrement de substances.

76      En effet, si l’obligation de soumission conjointe précède nécessairement l’obligation de partage de données, elle ne l’implique cependant pas. Ainsi, dans l’hypothèse d’une option de dérogation complète au titre de l’article 11, paragraphe 3, du règlement REACH, comme en l’espèce, le déclarant optant pour une dérogation complète n’est pas censé trouver un accord avec le déclarant principal de la substance déjà enregistrée sur les conditions du partage de données, car un tel partage est, en toute hypothèse, exclu en raison de la dérogation elle-même.

77      Par conséquent, même si l’accès à une soumission conjointe implique, dans la pratique administrative de l’ECHA (voir point 11 ci-dessus), que les déclarants optant pour une dérogation complète obtiennent le jeton de sécurité leur permettant l’accès aux soumissions du déclarant principal, il n’en demeure pas moins que ce dernier ne pourra avoir aucun droit de créance envers lesdits déclarants et que, dès lors, il ne pourra en aucun cas s’opposer à un tel accès. La seule prétention que le déclarant principal pouvait, dans le cadre de l’ancienne pratique administrative de l’ECHA, applicable en l’espèce, réclamer envers un déclarant optant pour une dérogation complète, était celle liée aux coûts administratifs du jeton de sécurité.

78      Dans ces circonstances et dans la mesure où, lors des échanges survenus entre les sociétés concernées à la suite des communications du 18 janvier 2017, SSS a informé la requérante de son intention de choisir l’option de dérogation complète et demandé à cette dernière notamment de lui indiquer les coûts administratifs afférents au jeton de sécurité lui permettant de joindre son enregistrement individuel à l’enregistrement existant pour disodium (voir point 20 ci-dessus), la requérante ne peut pas valablement prétendre que l’ECHA aurait dû rejeter la demande d’accès à la soumission conjointe de SSS en l’absence de réponse relative auxdits couts d’accès et dans la perspective des sanctions que SSS pouvait subir conformément auxdites communications (voir point 17 ci-dessus).

79      En tout état de cause, force est de constater que, en octroyant à SSS l’accès à la soumission conjointe pour le disodium, l’ECHA n’a fait que s’assurer de la mise en œuvre de l’article 11, paragraphe 3, du règlement REACH, dans l’exercice de ses tâches de gestion des aspects techniques et administratifs de l’enregistrement des substances. La solution contraire aurait signifié, indépendamment de la légalité du mécanisme de résolution des désaccords, qui n’a d’ailleurs pas été contesté en l’espèce, que l’ECHA restreigne sans aucune base légale l’accès de SSS à la soumission conjointe de disodium.

80      Il découle de tout ce qui précède que c’est sans commettre d’erreur et sans violer le droit à une bonne administration que l’ECHA a décidé d’octroyer à SSS l’accès à la soumission conjointe pour le disodium et, partant, les premier et deuxième moyens doivent être écartés.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation du principe de sécurité juridique

81      La requérante estime que l’ECHA a enfreint le principe de sécurité juridique dans la mesure où il n’est pas certain que le jeton de sécurité fourni à SSS, qui doit lui servir à devenir membre de la soumission conjointe pour le disodium, permette à cette dernière de consulter tout ou partie des informations contenues dans le dossier de soumission conjointe de la requérante. Elle soutient que la décision attaquée ne fait pas référence à l’enregistrement de SSS sous la forme d’une dérogation complète et n’exclut pas les données de son dossier d’enregistrement de l’accès accordé à SSS. Selon elle, cette situation les place dans une position intenable d’insécurité juridique, car, dès lors que l’étendue et la portée des droits accordés à SSS restent opaques, elle ne sait pas comment protéger ses droits et sa position, alors même que SSS a expressément fait part de son renoncement audit accès lors des négociations.

82      L’ECHA conteste la position de la requérante.

83      Il convient de rappeler que le principe de sécurité juridique, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les règles du droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union (voir arrêt du 8 décembre 2011, France Télécom/Commission, C‑81/10 P, EU:C:2011:811, point 100 et jurisprudence citée).

84      Le principe de sécurité juridique requiert que tout acte visant à créer des effets juridiques emprunte sa force obligatoire à une disposition du droit de l’Union qui doit expressément être indiquée comme base juridique et qui prescrit la forme juridique dont l’acte doit être revêtu (voir arrêt du 14 juin 2016, Commission/McBride e.a., C‑361/14 P, EU:C:2016:434, point 47 et jurisprudence citée).

85      Or, il convient de constater que la décision attaquée énonce non seulement la base juridique, mais également tous les paramètres nécessaires pour identifier l’accès octroyé en cause, et ce d’une façon claire et précise permettant ainsi à la requérante d’en connaître sans ambiguïté la portée.

86      Une violation du principe de sécurité juridique ne saurait être déduite du fait que, ainsi que l’invoque la requérante, la décision attaquée ne faisait pas état de l’étendue de l’accès octroyé à SSS. En effet, ainsi qu’il a été souligné dans le cadre de l’analyse du deuxième moyen (voir points 58 à 61 ci-dessus), au titre du règlement REACH, d’une part, l’ECHA ne pouvait qu’octroyer l’accès à une soumission conjointe à un déclarant optant pour une dérogation complète sans avoir aucun pouvoir d’appréciation à cet égard et, d’autre part, l’accès à une soumission conjointe pouvait uniquement permettre à un tel déclarant de soumettre séparément les informations visées à l’article 10, sous a), iv), vi), vii) ou ix), de ce règlement, dans le cadre de l’enregistrement de la même substance effectué par le déclarant principal, sans toutefois lui permettre de se référer aux informations soumises par ce dernier au titre de l’article 11, paragraphe 1, dudit règlement.

87      En ce qui concerne la prétendue position d’insécurité créée par la qualité des informations soumises par SSS dans le cadre de la soumission conjointe pour le disodium, il y a lieu de souligner, à l’instar de l’ECHA, que, dans le système REACH, c’est à l’ECHA qu’il revient d’apprécier la qualité desdites informations dans le cadre de l’évaluation des dossiers d’enregistrement, conformément à l’article 41 du règlement REACH. À cet égard, si elle estime qu’un déclarant a répété inutilement des essais sur des animaux en violation des articles 13 et 25 du même règlement, elle en informe les autorités des États membres chargées de faire appliquer la législation, lesquelles peuvent adopter des mesures appropriées. L’étape de l’évaluation des dossiers suit cependant l’étape de l’enregistrement, dans le cadre de laquelle le système REACH ne permet ni à l’ECHA de refuser un enregistrement pour des motifs autres que ceux liés au caractère incomplet du dossier d’enregistrement (voir point 61 ci-dessus), ni au déclarant principal de s’opposer à une demande d’accès à la soumission conjointe formulée par un déclarant optant pour une dérogation complète ou de contester la conformité des informations fournies par ledit déclarant à l’appui de sa demande.

88      Il résulte des considérations qui précèdent que le troisième moyen ne saurait non plus être accueilli et que, partant, le recours doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

89      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, aux termes de l’article 135, paragraphe 1, du même règlement, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe supporte, outre ses propres dépens, uniquement une fraction des dépens de l’autre partie, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

90      En l’espèce, bien que la requérante ait succombé en ses conclusions visant le fond du recours, il n’en demeure pas moins que la fin de non-recevoir soulevée par l’ECHA dans son exception à laquelle elle a renoncé à la suite des mesures d’organisation de la procédure adoptées par le Tribunal, a été à l’origine de la grande majorité des échanges entre les parties. Partant, le Tribunal estime qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en décidant que chaque partie supporte ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      BASF SE et l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) supporteront leurs propres dépens.

Papasavvas

Spielmann

Spineanu-Matei

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 3 octobre 2019.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.