Language of document : ECLI:EU:T:2012:451

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

20 septembre 2012 (*)

« Fonds structurels – Concours financier – Autoroute M43 entre Szeged et Makó – TVA – Dépense non éligible »

Dans l’affaire T‑89/10,

Hongrie, représentée initialement par Mmes J. Fazekas, K. Szíjjártó et M. M. Z. Fehér, puis par M. Fehér et Mme Szíjjártó, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. D. Triantafyllou, V. Bottka et Mme A. Steiblytė, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours en annulation formé contre la décision de la Commission du 14 décembre 2009 relative au grand projet intitulé « Tronçon Szeged-Makó de l’autoroute M43 » et faisant partie du programme opérationnel « Transports » prévoyant un soutien structurel de l’Union européenne dans le cadre de l’objectif « Convergence », par l’intermédiaire du Fonds européen de développement régional (FEDER) et du Fonds de cohésion (CCI 2008HU161PR016),

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. H. Kanninen (rapporteur), président, N. Wahl et S. Soldevila Fragoso, juges,

greffier : Mme K. Andová, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 avril 2012,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

 Réglementation européenne

1        Le règlement (CE) n° 1083/2006 du Conseil, du 11 juillet 2006, portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion, et abrogeant le règlement (CE) n° 1260/1999 (JO L 210, p. 25), tel que modifié, définit à son article 2, points 4 et 5, les notions de « bénéficiaire » et de « dépense publique » dans les termes suivants :

« 4)      ‘bénéficiaire’ : un opérateur, un organisme ou une entreprise, public ou privé, chargé de lancer ou de lancer et mettre en œuvre des opérations. Dans le cadre des régimes d’aides au titre de l’article 87 du traité, les bénéficiaires sont les entreprises publiques ou privées qui réalisent un projet individuel et reçoivent l’aide publique ;

5)      ‘dépense publique’ : toute participation publique au financement des opérations provenant du budget de l’État, des autorités régionales ou locales, du budget général des Communautés européennes relatif aux fonds structurels et au Fonds de cohésion et toute dépense similaire. Toute participation au financement des opérations provenant du budget d’organismes de droit public ou d’associations formées par une ou plusieurs autorités régionales ou locales ou des organismes de droit public agissant conformément à la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services [...] est considérée comme une dépense similaire [...] »

2        L’article 55 du même règlement, relatif aux projets générateurs de recettes, prévoit :

« 1.      Aux fins du présent règlement, on entend par ‘projet générateur de recettes’ toute opération impliquant un investissement dans une infrastructure dont l’utilisation est soumise à des redevances directement supportées par les utilisateurs ou toute opération impliquant la vente ou la location de terrains ou d’immeubles ou toute autre fourniture de services contre paiement.

2.      Les dépenses éligibles liées à un projet générateur de recettes n’excèdent pas la valeur actuelle du coût d’investissement, déduction faite de la valeur actuelle des recettes nettes de l’investissement sur une période de référence déterminée pour :

a)      les investissements dans une infrastructure ; ou

b)      d’autres projets pour lesquels il est possible d’estimer objectivement les recettes au préalable.

Lorsque le coût d’investissement n’est pas intégralement éligible à un cofinancement, les recettes nettes sont allouées sur une base proportionnelle aux parties éligibles du coût d’investissement et à celles qui ne le sont pas.

Pour ce calcul, l’autorité de gestion tient compte de la période de référence appropriée à la catégorie d’investissement concernée, de la catégorie du projet, de la rentabilité normalement escomptée compte tenu de la catégorie d’investissement concernée, de l’application du principe du pollueur-payeur et, le cas échéant, de considérations d’équité liées à la prospérité relative de l’État membre en question.

3.      Lorsqu’il n’est objectivement pas possible d’estimer les recettes au préalable, les recettes nettes générées dans les cinq années suivant l’achèvement d’une opération sont déduites des dépenses déclarées à la Commission.

4.      Lorsqu’il est établi qu’une opération a généré des recettes nettes qui n’ont pas été prises en compte au titre des paragraphes 2 et 3, ces recettes nettes sont déduites par l’autorité de certification au plus tard au moment de la soumission des documents pour le programme opérationnel visé à l’article 89, paragraphe 1, sous a). La demande de paiement du solde final est corrigée en conséquence.

5.      Les paragraphes 1 à 4 du présent article ne s’appliquent qu’aux opérations cofinancées par le FEDER ou le Fonds de cohésion dont le coût total est supérieur à 1 million d’euros.

6.      Le présent article ne s’applique pas aux projets soumis aux règles en matière d’aides d’État au sens de l’article 87 du traité. »

3        L’article 56, paragraphe 4, du même règlement, relatif à l’éligibilité des dépenses, prévoit :

« Les règles d’éligibilité des dépenses sont établies au niveau national, sous réserve des exceptions prévues dans les règlements spécifiques à chaque fonds. Elles concernent l’intégralité des dépenses déclarées au titre des programmes opérationnels. »

4        Selon le considérant 1 du règlement (CE) n° 1084/2006 du Conseil, du 11 juillet 2006, instituant le Fonds de cohésion et abrogeant le règlement (CE) n° 1164/94 (JO L 210, p. 79), le règlement n° 1083/2006 « met en place un nouveau cadre dans lequel s’inscrit l’action des fonds à finalité structurelle et du Fonds de cohésion, en fixant notamment les objectifs, les principes et les règles de partenariat, de programmation, d’évaluation et de gestion ». Le règlement n° 1084/2006 précise la mission du Fonds de cohésion par rapport au nouveau cadre d’action et par rapport à celle qui lui est assignée dans le traité.

5        Il ressort du considérant 4 du règlement n° 1084/2006 que « [l]e règlement [...] n° 1083/2006 dispose que les règles concernant l’éligibilité des dépenses doivent être établies au niveau national, hormis certaines exceptions pour lesquelles il est nécessaire de fixer des règles spécifiques ». Le règlement n° 1084/2006 précise ces règles spécifiques concernant les exceptions relatives au Fonds de cohésion.

6        L’article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 1084/2006 dispose que le Fonds de cohésion est régi par ledit règlement et par le règlement n° 1083/2006.

7        L’article 3 du règlement n° 1084/2006, relatif à l’éligibilité des dépenses, prévoit :

« Les dépenses ci-après ne sont pas éligibles à une intervention du fonds :

[…]

e)      la taxe sur la valeur ajoutée récupérable. »

8        L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1), telle que modifiée, prévoit :

« 1.      Sont soumises à la TVA les opérations suivantes :

a)      les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel,

[…] »

9        Le titre X de la directive 2006/112, relatif aux déductions, contient les dispositions détaillant les conditions dans lesquelles la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) peut être déductible ou remboursée.

 Réglementation nationale

10      L’article 29, paragraphes 1 et 3, de la közúti közlekedésről szóló 1988, évi I. törvény [loi n° 1 de 1988 sur le transport routier], Magyar Közlöny 1988/15 (IV.21.), ci-après la « loi de 1988 »], dans sa version en vigueur lors des faits en cause, prévoit :

« 1. La construction des routes nationales est confiée à une société commerciale opérant sous la forme d’une société anonyme dont la totalité du capital est détenue par l’État et qui est responsable de la fourniture des travaux de développement et de construction du réseau routier national, dénommée [Nemzeti Infrastruktúra Fejlesztő Zrt]. Le maître d’ouvrage intervient au nom et pour le compte de l’État hongrois, sauf pour les voiries réalisées au moyen de capitaux privés.

[…]

3.      [Nemzeti Infrastruktúra Fejlesztő], après la mise en circulation provisoire ou définitive des voies réalisées, réalise, au nom de l’État hongrois, le décompte des ressources utilisées et des moyens disponibles avec les institutions qui ont mis ces ressources à disposition. Lors de ce décompte, [Nemzeti Infrastruktúra Fejlesztő] transfère directement au Fonds de gestion du patrimoine national, [le Magyar Nemzeti Vagyonkezelő Zrt], avec cessation simultanée de son droit de gestion des biens concernés, les voiries, c’est-à-dire les fonds comprenant également les autres ressources disponibles ou obtenues pour chaque projet, en tant que propriété de l’État, dont [le Magyar Nemzeti Vagyonkezelő] confie la gestion à l’organisme désigné d’un commun accord par le ministre et le ministre chargé du contrôle du patrimoine de l’État et conclut avec celui-ci un contrat de gestion […] »

11      L’article 4, paragraphe 2, de la Magyar Köztársaság gyorsforgalmi közúthálózatának közérdekűségéről és fejlesztéséről szóló, 2003. évi CXXVIII. törvény [loi n° CXXVIII de 2003 relative au développement et à la déclaration d’utilité publique du réseau autoroutier de Hongrie, (Magyar Közlöny 2003/157. [XII.28.])], prévoit les compétences incombant à la société responsable de la fourniture des travaux de développement et de construction du réseau routier national, Nemzeti Infrastruktúra Fejlesztő Zrt (ci-après « NIF »), en matière de développement autoroutier, de la manière suivante :

« 2.      [NIF], en qualité de maître d’ouvrage [...], dans le cadre de ses tâches exclusives de développement et de construction, élabore, au nom et pour le compte de l’État hongrois, l’intégralité des projets et études nécessaires aux fins de la préparation de l’investissement ; elle participe, en tant que partie, aux procédures administratives et autres ; elle se procure, en son nom propre, les autorisations à bâtir ; il achève ou fait achever la préparation du site du chantier (y compris, en particulier, l’acquisition des terrains, la réalisation préalable des fouilles archéologiques, le remplacement et/ou l’extension des réseaux de services publics, la préparation des terrains) ; elle assure en outre le déroulement des procédures de marchés publics ; elle conclut les contrats de construction en vue de la réalisation, elle assure la supervision technique et réalise la réception de l’ouvrage. »

 Antécédents du litige

12      Il ressort du dossier que NIF est détenue à 100 % par l’État hongrois. Les droits afférents à cette participation sont exercés par le ministre des Transports, des Communications et de l’Énergie. Il incombe à NIF, compte tenu des compétences étatiques qui lui sont dévolues, d’assurer le développement des autoroutes, du réseau routier public, ainsi que du réseau ferroviaire. Les recettes de NIF destinées à la mise en œuvre de ces compétences proviennent exclusivement de subventions de l’État hongrois et de l’Union européenne.

13      NIF transfère, sans contrepartie, les ouvrages réalisés dans les limites de ladite activité de développement au Magyar Nemzeti Vagyonkezelő Zrt (MNV, Fonds de gestion du patrimoine national), qui exerce les droits de propriété au nom de l’État hongrois. À l’exception des autoroutes réalisées à l’occasion d’un partenariat public-privé, la gestion, la maintenance et l’exploitation des autoroutes restées propriété de l’État incombent à l’Állami Autópálya Kezelő Zrt (Société nationale de gestion autoroutière, ci-après l’« ÁAK ») ou à un autre exploitant choisi par l’État dans le cadre d’une procédure de passation de marché public. Selon la loi de 1988 et le règlement adopté par le ministre des Transports, des Communications et de l’Énergie, en vertu de l’habilitation prévue à cet effet, l’ÁAK perçoit une redevance grevée de la TVA en raison de l’utilisation des infrastructures, y compris pour celles dont l’ÁAK n’est pas exploitante.

14      Il ressort également du dossier que l’ÁAK a conclu un accord avec un autre organisme étatique distinct, le KözlekedésfejlesztésiV Koordinációs Központ (KKK, Centre de coordination du développement du transport), concernant la gestion, l’entretien et l’exploitation de l’autoroute en question. Pour ce projet, les redevances perçues par l’ÁAK ne constituent pas des recettes pour celle-ci, mais pour le KKK, qui finance ainsi les dépenses de l’ÁAK nécessaires à la gestion, à l’entretien et à l’exploitation de ladite autoroute.

15      Par ailleurs, l’activité de NIF consiste à créer les infrastructures autoroutières, routières et ferroviaires de l’État et à les transférer à l’État hongrois, sans contrepartie. Elle n’exerce pas à ce titre d’activité économique, de sorte que son activité n’entre pas dans le champ d’application de l’általános forgalmi adóról szóló 2007. évi CXXVII. Törvény, et de la directive 2006/112. NIF n’a pas le droit de déduire la TVA qu’elle a acquittée.

16      Le 30 septembre 2008, lors de la réunion annuelle à Budapest (Hongrie), dans le cadre du programme opérationnel « Transports », les représentants de la Commission européenne ont indiqué que les dépenses liées à des versements de TVA ne pouvaient pas être considérées comme des dépenses éligibles à une subvention par le Fonds de cohésion, dans la mesure où les bénéficiaires pouvaient les récupérer par quelque moyen que ce soit.

17      Le 3 décembre 2008, la Hongrie a introduit auprès de la Commission une demande de financement relative au grand projet intitulé « Tronçon Szeged-Makó de l’autoroute M43 ». Dans cette demande, les autorités hongroises ont indiqué, comme dépenses éligibles, la TVA se rapportant audit projet, au motif que NIF, chargée de la construction du tronçon autoroutier et en tant que bénéficiaire final du soutien, ne pouvait ni déduire ni récupérer cette TVA.

18      Après plusieurs échanges de lettres, la Commission a, le 12 juin 2009, indiqué que la Commission considérait la TVA payée dans le cadre du projet en cause comme une dépense non éligible. Cette position a été réitérée à plusieurs reprises jusqu’à la décision de la Commission du 14 décembre 2009 relative au grand projet intitulé « Tronzon Szeged-Makó de l’autoroute M43 » et faisant partie du programme opérationnel « Transports » prévoyant un soutien structurel de l’Union dans le cadre de l’objectif « Convergence » par l’intermédiaire du Fonds européen de développement régional (FEDER) et du Fonds de cohésion (ci-après la « décision attaquée »).

19      L’article 1er de la décision attaquée dispose :

« 1.      La Commission approuve la contribution financière du Fonds de cohésion au grand projet ‘Tronçon Szeged-Makó de l’autoroute M43’ et faisant partie du programme opérationnel ‘Transports’ prévoyant un soutien structurel de l’Union dans le cadre de l’objectif ‘Convergence’ par l’intermédiaire du FEDER et du Fonds de cohésion.

2.      L’objet physique du grand projet est décrit en annexe I.

3.      Le montant auquel il y a lieu d’appliquer le taux de cofinancement destiné à l’axe prioritaire 1 du programme opérationnel, intitulé ‘améliorer l’accessibilité internationale au réseau routier et aux centres régionaux du pays’, au titre du grand projet est fixé à 197 194 646 [euros].

4.      Le plan annualisé de la contribution financière du Fonds de cohésion au grand projet figure en annexe II. »

20      Le point 3.3 de l’annexe I de la décision attaquée énonce en ce qui concerne les dépenses non éligibles :

« Conformément à l’article 3, sous e), du règlement (CE) n° 1084/2006 et à la lumière des informations fournies par les autorités hongroises à la demande des services de la Commission, la Commission rejette la thèse des autorités hongroises selon laquelle il conviendrait d’inclure, dans le cas du projet en question, les dépenses liées à la taxe sur la valeur ajoutée acquittée, parce que la taxe sur la valeur ajoutée pèsera sur les utilisateurs sous forme de droits [de péage], ce pourquoi elle considère que ces dépenses sont récupérables, de sorte qu’il n’est pas possible d’en tenir compte dans le calcul du montant maximal auquel le taux de cofinancement est à appliquer au grand projet en question. »

21      L’annexe II de la décision attaquée contient le plan annualisé de la contribution financière du Fonds de cohésion au grand projet pour les années 2007 à 2012.

22      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 février 2010, la requérante a introduit le présent recours.

23      Le 24 février 2010, la requérante a également introduit une demande de procédure accélérée, qui a été rejetée le 25 mars 2010.

 Conclusions des parties

24      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 1er, paragraphes 3 et 4, ainsi que l’annexe I, point 3.3, et l’annexe II de la décision attaquée, dans la mesure où ces dispositions excluent des dépenses éligibles certaines dépenses représentant des paiements au titre de la TVA ;

–        condamner la Commission aux dépens.

25      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

26      Au soutien de son recours, la requérante invoque une violation de l’article 56, paragraphe 4, du règlement n° 1083/2006, tel que modifié, et de l’article 3 du règlement n° 1084/2006.

27      Selon elle, il découle de l’article 3, sous e), du règlement n° 1084/2006 que seule la TVA récupérable est mentionnée comme n’étant pas éligible à une intervention du Fonds de cohésion et qu’il y a lieu de considérer que la TVA non récupérable est éligible à une telle intervention, de sorte que la Commission ne pouvait pas exclure les dépenses correspondant à la TVA facturée en amont à NIF. La requérante ajoute que c’est aux États membres d’établir les règles d’éligibilité des dépenses et que, par la décision attaquée, la Commission retire aux États membres ce pouvoir.

28      Par ailleurs, si, toujours selon la requérante, l’interprétation littérale de ladite disposition ne donne pas d’indication claire pour la solution du litige, une interprétation systématique et téléologique de cette même disposition devrait conduire à considérer que la TVA acquittée pour la construction du tronçon d’autoroute en cause n’est pas récupérable et est donc éligible à l’intervention du Fonds de cohésion. Selon la requérante, la réglementation relative aux fonds structurels et au Fonds de cohésion ne crée aucun contexte spécifique pour l’interprétation de la notion de TVA récupérable au sens de l’article 3, sous e), du règlement n° 1084/2006. Cette notion devrait être interprétée de la même manière que la notion de droit de l’assujetti à déduire la TVA. Par conséquent, la requérante fait observer que, comme NIF n’est pas un assujetti au sens fiscal et ne percevra pas de redevances, cette dernière ne peut pas déduire de la TVA dont elle est redevable la TVA qu’elle a acquittée pour les biens qui lui sont livrés ou les services qui lui sont fournis pour la construction du tronçon d’autoroute concerné.

29      Dans la décision attaquée, la Commission a déclaré non éligible à l’intervention du Fonds de cohésion la TVA acquittée par NIF pour le projet de construction du tronçon autoroutier en cause. La Commission invoque le motif que cette TVA est récupérable au sens de l’article 3, sous e), du règlement n° 1084/2006.

30      Selon la Commission, la TVA payée initialement par NIF pour la construction du tronçon d’autoroute en cause sera récupérable car la société chargée de l’exploitation dudit tronçon percevra des redevances grevées de la TVA acquittées par les utilisateurs de ce même tronçon.

31      Tout d’abord, il convient de rappeler que, selon l’article 55, paragraphe 1, du règlement n° 1083/2006, est compris « par ‘projet générateur de recettes’ toute opération impliquant un investissement dans une infrastructure dont l’utilisation est soumise à des redevances directement supportées par les utilisateurs ou toute opération impliquant la vente ou la location de terrains ou d’immeubles ou toute autre fourniture de services contre paiement ».

32      Or, en l’espèce, il est constant que le projet en cause est un projet générateur de recettes au sens de ladite disposition.

33      D’une part, ainsi qu’il ressort des points 10 à 15 ci-dessus, le tronçon d’autoroute concerné, une fois construit, est transféré, sans contrepartie, par NIF au MNV, qui exerce les droits de propriété au nom de l’État hongrois et, à l’exception des autoroutes réalisées dans le cadre d’un partenariat public-privé, la gestion, la maintenance et l’exploitation des autoroutes restées propriété de l’État incombent à l’ÁAK ou à un autre exploitant choisi par l’État dans le cadre d’une procédure de passation de marché public. Selon la loi de 1988 et le règlement adopté par le ministre des Transports, des Communications et de l’Énergie, en vertu de l’habilitation prévue à cet effet, l’ÁAK perçoit une redevance, grevée de la TVA, en raison de l’utilisation des infrastructures, y compris pour celles dont l’ÁAK n’est pas exploitante. S’agissant de l’autoroute concernée, l’ÁAK a conclu un accord avec le KKK, concernant la gestion, l’entretien et l’exploitation de l’autoroute en question.

34      D’autre part, la requérante a indiqué avoir tenu compte d’une gestion financière unique des phases de construction et d’exploitation et avoir procédé à une analyse coûts/avantages propres aux projets générateurs de recettes. Il ressort de la demande de financement communiquée en annexe 2 de la requête que la requérante a pris en compte, pour le calcul du besoin de financement, les redevances qui devraient être perçues lors de l’exploitation du tronçon d’autoroute.

35      Par ailleurs, la Commission a fait valoir à juste titre que, si NIF avait perçu les redevances grevées de la TVA, il y aurait lieu d’admettre que la TVA versée par NIF eût été récupérable. La requérante n’a pas contesté, devant le Tribunal, la conséquence d’une telle hypothèse.

36      Or, il ne ressort pas des dispositions combinées des règlements n° 1083/2006 et n° 1084/2006V, dans une situation comme celle de l’espèce, où la requérante a choisi la structure institutionnelle étatique chargée du projet générateur de recettes, que, compte tenu de ce choix, la responsabilité de la construction n’incombant pas au même organisme public que celui chargé de son exploitation, la décision de répartir les recettes et les dépenses entre plusieurs organismes publics relevant de l’État hongrois ainsi qu’entre plusieurs responsables du projet générateur de recettes puisse modifier l’appréciation du caractère éligible des dépenses, notamment de celui de la TVA acquittée pour la réalisation dudit projet.

37      À cet égard, l’argument de la requérante selon lequel, par sa décision, la Commission empiète sur les compétences de l’État membre ne saurait être retenu.

38      En effet, il ressort de l’article 56, paragraphe 4, du règlement n° 1083/2006 que, si les règles d’éligibilité des dépenses sont établies au niveau national sous réserve des exceptions prévues par les règlements spécifiques à chaque fonds, c’est précisément le règlement n° 1084/2006 qui, selon son considérant 4, établit des exceptions et précise celles-ci pour le Fonds de cohésion.

39      À ce titre, l’article 3, sous e), du règlement n° 1084/2006 prévoit que la TVA récupérable n’est pas éligible à l’intervention du Fonds de cohésion.

40      Ensuite, n’est pas fondé l’argument de la requérante selon lequel la notion de TVA récupérable doit être strictement déterminée à la lumière des dispositions du droit fiscal, notamment celles relatives au droit à déduction dont dispose un assujetti à la TVA.

41      L’article 3, sous e), du règlement n° 1084/2006, dans sa version hongroise, retient que la « TVA qui peut être réclamée » n’est pas éligible. Dans d’autres versions linguistiques, telles que, notamment les versions espagnole, danoise, anglaise, française, italienne ou finnoise, il est prévu que c’est la « TVA récupérable » qui n’est pas éligible.

42      Ladite disposition ne définit toutefois pas ce qu’il convient d’entendre par TVA qui peut être réclamée ou par TVA récupérable.

43      Il y a lieu de rappeler que toutes les versions linguistiques d’un texte du droit de l’Union doivent, par principe, se voir reconnaître la même valeur, laquelle ne saurait varier en fonction, notamment, de l’importance de la population des États membres qui pratique la langue en cause. Afin de préserver l’unité d’interprétation du droit de l’Union, il importe dès lors, en cas de divergences entre ces versions, d’interpréter la disposition concernée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (voir arrêt de la Cour du 20 novembre 2003, Kyocera, C‑152/01, Rec. p. I‑13821, points 32 et 33, et la jurisprudence citée).

44      Compte tenu de la divergence des versions linguistiques de l’article 3, sous e), du règlement n° 1084/2006, il convient d’interpréter cette disposition en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation en question.

45      La requérante soutient que, en hongrois, la notion de TVA qui peut être réclamée doit être rapprochée de la notion de TVA déductible, telle que retenue par les dispositions de la directive 2006/112.

46      Le titre X de la directive 2006/112 prévoit en effet les cas de déduction ou de remboursement de la TVA au profit de l’assujetti à la TVA.

47      Toutefois, le droit à déduction ne recouvre pas forcément l’hypothèse de la TVA récupérable, telle qu’elle apparaît dans des versions linguistiques du règlement n° 1084/2006 autres que la version hongroise. Cela est particulièrement clair si la définition de la TVA récupérable est reprise telle qu’elle figurait ou figure dans la réglementation relative aux fonds structurels et au Fonds de cohésion, comme la Commission le souligne.

48      La Commission a invoqué l’article 11, paragraphe 1, de son règlement (CE) n° 16/2003, du 6 janvier 2003, portant modalités particulières d’exécution du règlement (CE) n° 1164/94 du Conseil en ce qui concerne l’éligibilité des dépenses dans le cadre des actions cofinancées par le Fonds de cohésion (JO L 2, p. 7), qui prévoit :

« La [TVA] ne constitue pas une dépense éligible sauf si elle est réellement et définitivement supportée par l’organisme responsable de la mise en œuvre. La TVA qui est récupérable, par quelque moyen que ce soit, ne peut pas être considérée comme éligible même si elle n’est pas effectivement récupérée par l’organisme responsable de la mise en œuvre ou par le destinataire ultime.»

49      La Commission a invoqué, dans le même sens, la règle n° 7 de son règlement (CE) n° 448/2004, du 10 mars 2004, modifiant le règlement (CE) n° 1685/2000 portant modalités d’exécution du règlement (CE) n° 1260/1999 du Conseil en ce qui concerne l’éligibilité des dépenses dans le cadre des opérations cofinancées par les fonds structurels et abrogeant le règlement (CE) n° 1145/2003 (JO L 72, p. 66), qui prévoit :

« La TVA ne constitue pas une dépense éligible, sauf si elle est réellement et définitivement supportée par le bénéficiaire final ou par le destinataire ultime dans le cadre des régimes d’aide relevant de l’article 87 du traité et dans le cas des aides octroyées par les organismes désignés par les États membres. La TVA qui est récupérable, par quelque moyen que ce soit, ne peut pas être considérée comme éligible, même si elle n’est pas effectivement récupérée par le bénéficiaire final ou par le destinataire ultime. Le statut, public ou privé, du bénéficiaire final ou du destinataire ultime n’entre pas en ligne de compte pour déterminer si la TVA constitue une dépense éligible en vertu des dispositions de la présente règle.»

50      Les définitions rappelées aux points 48 et 49 ci-dessus confortent la thèse selon laquelle la notion de TVA récupérable ne dépend pas nécessairement de la faculté de l’assujetti à déduire ou non la TVA.

51      Cela conduit à préciser que, dans le contexte des règlements n° 1083/2006 et n° 1084/2006, il est fait référence, pour l’éligibilité de la TVA, au bénéficiaire de l’intervention du fonds et non à l’assujetti au sens de la directive 2006/112.

52      La Commission relève à juste titre qu’il ressort de l’article 2, paragraphe 4, du règlement n° 1083/2006 que le terme « bénéficiaire », défini comme l’opérateur, l’organisme ou l’entreprise, public ou privé, chargé de lancer ou de lancer et de mettre en œuvre des opérations, ne recouvre pas le terme « assujetti » au sens de la directive 2006/112.

53      Enfin, au point 22 de sa requête, la requérante invoque le paragraphe 57 du document du Conseil du 19 décembre 2005 relatif aux perspectives financières 2007-2013 au soutien de son interprétation de la notion de TVA récupérable. Or, comme le soutient à juste titre la Commission, le passage de ce document dans lequel il est fait mention de la TVA récupérable et de la directive 2006/112 n’a pas été repris dans le règlement n° 1084/2006.

54      Dès lors que, dans les règlements n° 1083/2006 et n° 1084/2006, la notion de TVA récupérable est associée à celle de bénéficiaire et non à celle d’assujetti, il apparaît difficile de conclure que cette notion doit être interprétée au regard du droit fiscal, à l’instar de la notion de TVA déductible ou remboursable.

55      La requérante n’a en conséquence pas démontré, par ses arguments, que la Commission n’était pas en droit d’estimer, dans le cas d’espèce, que la structure institutionnelle publique choisie pour le projet générateur de recettes concerné devait conduire à considérer la TVA acquittée pour la réalisation dudit projet comme étant inéligible.

56      Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur les dépens

57      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Hongrie ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La Hongrie est condamnée aux dépens.

Kanninen

Wahl

Soldevila Fragoso

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 septembre 2012.

Signatures


* Langue de procédure : le hongrois.