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ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

11 mars 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2002/584/JAI – Mandat d’arrêt européen – Article 5, point 3 – Remise subordonnée à la condition que la personne concernée soit renvoyée dans l’État membre d’exécution afin d’y subir la peine ou la mesure de sûreté privatives de liberté qui serait prononcée à son encontre dans l’État membre d’émission – Moment du renvoi – Décision-cadre 2008/909/JAI – Article 3, paragraphe 3 – Champ d’application – Article 8 – Adaptation de la condamnation prononcée dans l’État membre d’émission – Article 25 – Exécution d’une condamnation dans le cadre de l’article 5, point 3, de la décision‑cadre 2002/584/JAI »

Dans l’affaire C‑314/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas), par décision du 1er mai 2018, parvenue à la Cour le 8 mai 2018, dans la procédure relative à l’exécution du mandat d’arrêt européen émis à l’encontre de

SF,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. M. Vilaras, président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la quatrième chambre, M. D. Šváby, Mme K. Jürimäe et M. N. Piçarra (rapporteur), juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : Mme M. Ferreira, administratrice principale,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 7 mars 2019,

considérant les observations présentées :

–        pour SF, par Mes T. E. Korff et T. O. M. Dieben, advocaten,

–        pour l’Openbaar Ministerie, par M. K. van der Schaft ainsi que par Mmes L. Lunshof et N. Bakkenes, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. Bulterman, C. S. Schillemans et M. A. M. de Ree, en qualité d’agents,

–        pour l’Irlande, par Mme G. Hodge et M. A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de Mme L. Dempsey, BL,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. S. Faraci, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement autrichien, par Mme J. Schmoll, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. S. Brandon, en qualité d’agent, assisté de M. D. Blundell, barrister,

–        pour la Commission européenne, par M. R. Troosters et Mme S. Grünheid, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 mai 2019,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 3, et de l’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), ainsi que de l’article 1er, sous a) et b), de l’article 3, paragraphes 3 et 4, de l’article 8, paragraphe 2, et de l’article 25 de la décision-cadre 2008/909/JAI du Conseil, du 27 novembre 2008, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne (JO 2008, L 327, p. 27), telles que modifiées par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après, respectivement, la « décision-cadre 2002/584 » et la « décision-cadre 2008/909 »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure relative à l’exécution, aux Pays-Bas, d’un mandat d’arrêt européen émis par le Judge of the Canterbury Crown Court (magistrat auprès de la Crown Court de Canterbury, Royaume-Uni), aux fins de l’exercice de poursuites pénales contre SF, ressortissant néerlandais.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La décision-cadre 2002/584

3        Les considérants 5 et 6 de la décision-cadre 2002/584 énoncent :

« (5)      L’objectif assigné à l’Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice conduit à supprimer l’extradition entre États membres et à la remplacer par un système de remise entre autorités judiciaires. Par ailleurs, l’instauration d’un nouveau système simplifié de remise des personnes condamnées ou soupçonnées, aux fins d’exécution des jugements ou de poursuites, en matière pénale permet de supprimer la complexité et les risques de retard inhérents aux procédures d’extradition actuelles. Aux relations de coopération classiques qui ont prévalu jusqu’ici entre États membres, il convient de substituer un système de libre circulation des décisions judiciaires en matière pénale, tant pré-sentencielles que définitives, dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

(6)      Le mandat d’arrêt européen prévu par la présente décision-cadre constitue la première concrétisation, dans le domaine du droit pénal, du principe de reconnaissance mutuelle que le Conseil européen a qualifié de “pierre angulaire” de la coopération judiciaire. »

4        Aux termes de l’article 1er de cette décision-cadre :

« 1.      Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.

2.      Les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen, sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la présente décision-cadre.

3.      La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 du traité sur l’Union européenne. »

5        Les articles 3, 4 et 4 bis de ladite décision-cadre énoncent les motifs de non-exécution obligatoire et facultative du mandat d’arrêt européen.

6        L’article 5 de la même décision-cadre, intitulé « Garanties à fournir par l’État membre d’émission dans des cas particuliers », dispose :

« L’exécution du mandat d’arrêt européen par l’autorité judiciaire d’exécution peut être subordonnée par le droit de l’État membre d’exécution à l’une des conditions suivantes :

[...]

3)      lorsque la personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuite est ressortissante ou résidente de l’État membre d’exécution, la remise peut être subordonnée à la condition que la personne, après avoir été entendue, soit renvoyée dans l’État membre d’exécution afin d’y subir la peine ou la mesure de sûreté privatives de liberté qui serait prononcée à son encontre dans l’État membre d’émission. »

 La décision-cadre 2008/909

7        Aux termes de l’article 1er de la décision-cadre 2008/909 :

« Aux fins de la présente décision-cadre, on entend par :

a)      “jugement”, une décision définitive rendue par une juridiction de l’État d’émission prononçant une condamnation à l’encontre d’une personne physique ;

b)      “condamnation”, toute peine ou mesure privative de liberté prononcée pour une durée limitée ou illimitée en raison d’une infraction pénale à la suite d’une procédure pénale ;

c)      “État d’émission”, l’État membre dans lequel un jugement est rendu ;

d)      “État d’exécution”, l’État membre auquel un jugement est transmis aux fins de sa reconnaissance et de son exécution. »

8        L’article 3 de cette décision-cadre est libellé comme suit :

« 1.      La présente décision-cadre vise à fixer les règles permettant à un État membre, en vue de faciliter la réinsertion sociale de la personne condamnée, de reconnaître un jugement et d’exécuter la condamnation.

2.      La présente décision-cadre s’applique lorsque la personne condamnée se trouve dans l’État d’émission ou dans l’État d’exécution.

3.      La présente décision-cadre s’applique uniquement à la reconnaissance des jugements et à l’exécution des condamnations au sens de la présente décision-cadre. Le fait que, outre la condamnation, une amende ou une décision de confiscation ait été prononcée et n’ait pas encore été acquittée, recouvrée ou exécutée n’empêche pas la transmission d’un jugement. La reconnaissance et l’exécution de ces amendes et décisions de confiscation dans un autre État membre ont lieu conformément aux instruments applicables entre les États membres, en particulier à la décision-cadre 2005/214/JAI du Conseil du 24 février 2005 concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires [(JO 2005, L 76, p. 16),] et à la décision-cadre 2006/783/JAI du Conseil du 6 octobre 2006 relative à l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions de confiscation [(JO 2006, L 328, p. 59)].

4.      La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux consacrés par l’article 6 du traité. »

9        L’article 8 de la décision-cadre 2008/909, intitulé « Reconnaissance du jugement et exécution de la condamnation », prévoit :

« 1.      L’autorité compétente de l’État d’exécution reconnaît le jugement qui lui a été transmis conformément à l’article 4 et à la procédure décrite à l’article 5, et prend sans délai toutes les mesures nécessaires à l’exécution de la condamnation, sauf si elle décide de se prévaloir d’un des motifs de non-reconnaissance et de non-exécution prévus à l’article 9.

2.      Si la durée de la condamnation est incompatible avec le droit de l’État d’exécution, l’autorité compétente de l’État d’exécution ne peut décider d’adapter cette condamnation que lorsqu’elle est supérieure à la peine maximale prévue par son droit national pour des infractions de même nature. La durée de la condamnation adaptée ne peut pas être inférieure à celle de la peine maximale prévue par le droit de l’État d’exécution pour des infractions de même nature.

[...]

4.      La condamnation adaptée n’aggrave pas la condamnation prononcée dans l’État d’émission en ce qui concerne sa nature ou sa durée. »

10      Aux termes de l’article 25 de cette décision-cadre, intitulé « Exécution des condamnations à la suite d’un mandat d’arrêt européen » :

« Sans préjudice de la décision-cadre 2002/584/JAI, les dispositions de la présente décision-cadre s’appliquent, mutatis mutandis dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions de ladite décision-cadre, à l’exécution des condamnations dans les cas où un État membre s’engage à exécuter la condamnation conformément à l’article 4, point 6), de ladite décision-cadre ou lorsque, agissant dans le cadre de l’article 5, point 3), de cette même décision-cadre, il a imposé comme condition le renvoi de la personne dans l’État membre concerné afin d’y purger la peine, de manière à éviter l’impunité de la personne concernée. »

 Le droit néerlandais

11      L’article 6, paragraphe 1, de l’Overleveringswet (loi relative à la remise) (Stb. 2004, nº 195, ci-après l’« OLW »), qui a transposé dans le droit néerlandais la décision-cadre 2002/584, prévoit :

« La remise d’un ressortissant néerlandais peut être autorisée pour autant que cette demande est adressée pour les besoins d’une enquête pénale dirigée contre lui et que l’autorité judiciaire d’exécution estime qu’il est garanti que, s’il est condamné, dans l’État membre d’émission, à une peine privative de liberté définitive pour les faits pour lesquels la remise peut être autorisée, il pourra subir cette peine aux Pays-Bas. »

12      L’article 28, paragraphe 2, de cette loi dispose :

« Si le rechtbank [tribunal] constate [...] que la remise ne peut pas être autorisée [...], il lui appartient de refuser cette remise dans sa décision. »

13      L’article 2:2, paragraphe 1, de la Wet wederzijdse erkenning en tenuitvoerlegging vrijheidsbenemende en voorwaardelijke sancties (loi sur la reconnaissance et l’exécution mutuelles de condamnations à des sanctions privatives de liberté assorties ou non d’un sursis) (Stb. 2012, nº 333, ci-après la « WETS »), qui a transposé dans le droit néerlandais la décision-cadre 2008/909, est libellé comme suit :

« Le ministre est compétent pour reconnaître une décision de justice transmise par l’un des États membres d’émission, aux fins de son exécution aux Pays-Bas. »

14      Aux termes de l’article 2:11 de cette loi :

« 1.      Le ministre transmet la décision judiciaire et le certificat à l’avocat général du parquet près la cour d’appel, à moins qu’il ne considère d’emblée qu’il existe des motifs de refus de la reconnaissance de la décision de justice.

2.      L’avocat général présente immédiatement la décision judiciaire à la chambre spécialisée du Gerechtshof Arnhem-Leeuwarden [cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden, Pays-Bas] [...]

3.      La chambre spécialisée du Gerechtshof [cour d’appel] décide :

[...]

c.      quelle est l’adaptation de la sanction privative de liberté prononcée à laquelle donne lieu le quatrième, cinquième ou sixième paragraphe.

4.      Si la durée de la sanction privative de liberté prononcée est supérieure à la durée maximale de la peine encourue dans le droit néerlandais pour l’infraction concernée, la durée de la sanction privative de liberté est réduite à cette durée maximale.

5.      Lorsque la personne condamnée est remise contre une garantie de renvoi, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de l’[OLW], le paragraphe 4 n’est pas applicable, mais il convient alors de déterminer si la sanction privative de liberté infligée correspond à la condamnation qui aurait été prononcée aux Pays‑Bas pour l’infraction concernée. Le cas échéant, la condamnation est adaptée en conséquence, compte tenu des avis émis dans l’État membre d’émission concernant la gravité de l’infraction commise.

[...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

15      Le 3 mars 2017, le Judge of the Canterbury Crown Court (magistrat auprès de la Crown Court de Canterbury) a émis un mandat d’arrêt européen à l’encontre de SF, ressortissant néerlandais, tendant à la remise de celui-ci aux fins de l’exercice de poursuites pénales pour deux infractions de conspiration en vue d’importer au Royaume-Uni, d’une part, quatre kilogrammes d’héroïne et, d’autre part, quatorze kilogrammes de cocaïne.

16      Le 30 mars 2017, l’officier van justitie (ministère public, Pays Bas) a demandé à l’autorité judiciaire d’émission de fournir la garantie prévue à l’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584 et à l’article 6, paragraphe 1, de l’OLW.

17      Par une lettre du 20 avril 2017, le Home Office (ministère de l’Intérieur, Royaume-Uni) (ci-après le « ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni ») a répondu ce qui suit :

« [...]

Le Royaume-Uni s’engage à ce que, si une peine privative de liberté est prononcée contre SF au Royaume-Uni, il sera, conformément à la section 153C de l’Extradition Act 2003 (loi sur l’extradition de 2003) renvoyé aux Pays-Bas dès que cela sera raisonnablement possible, après la fin de la procédure pénale au Royaume-Uni et de toute autre procédure concernant l’infraction pour laquelle la remise est demandée.

Les informations détaillées relatives à la peine éventuelle prononcée contre SF seront communiquées lorsqu’il sera renvoyé aux Pays-Bas. Nous considérons qu’une remise au titre de la décision-cadre [2002/584] n’autorise pas les Pays-Bas à modifier la durée de la peine qui sera éventuellement prononcée par une juridiction du Royaume-Uni. »

18      Après qu’il lui a été demandé de préciser l’expression « toute autre procédure », au sens de la section 153C de la loi sur l’extradition de 2003, le ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni a répondu, par un courrier électronique du 19 février 2018, en ces termes :

« Je suis en mesure de vous indiquer que l’expression “autre procédure” est susceptible d’inclure :

(a)      l’examen d’une mesure de confiscation ;

(b)      la procédure visant à déterminer la durée de la peine d’emprisonnement qui devra être exécutée à défaut du paiement de la sanction pécuniaire éventuelle ;

(c)      l’épuisement des voies de recours éventuelles, et

(d)      l’expiration de tout délai de paiement d’une décision de confiscation ou d’une sanction pécuniaire. »

19      La juridiction de renvoi relève d’emblée que, selon SF, cette garantie de renvoi ne remplit pas les conditions imposées tant par la décision-cadre 2002/584 que par la décision-cadre 2008/909, et que, par conséquent, le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas) devrait refuser sa remise à l’autorité compétente du Royaume-Uni. Cette juridiction s’interroge, dans ce contexte, sur la compatibilité avec les décisions-cadres 2002/584 et 2008/909 de certains passages de ladite garantie.

20      En ce qui concerne, d’une part, le passage de la lettre du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni du 20 avril 2017, selon lequel « [le] Royaume-Uni s’engage à ce que, si une peine privative de liberté est prononcée contre SF au Royaume-Uni, il sera [...] renvoyé aux Pays-Bas dès que cela sera raisonnablement possible, après la fin de la procédure pénale au Royaume-Uni et de toute autre procédure concernant l’infraction pour laquelle la remise est demandée », la juridiction de renvoi considère qu’il soulève la question de savoir à quel moment l’État membre d’émission doit renvoyer, dans l’État membre d’exécution, la personne dont la remise est demandée, afin qu’elle y subisse la peine ou la mesure de sûreté privatives de liberté qui serait prononcée à son encontre.

21      À cet égard, la juridiction de renvoi invoque l’arrêt du 25 janvier 2017, van Vemde (C‑582/15, EU:C:2017:37), pour considérer qu’une telle obligation de renvoi dans l’État membre d’exécution ne peut exister avant qu’une décision de condamnation à une peine ou à une mesure privatives de liberté ne soit devenue définitive.

22      Cependant, cette juridiction se pose la question de savoir si l’État membre d’émission d’un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites pénales, en tant qu’État membre dans lequel le jugement sera ultérieurement rendu, peut, dans le cadre de la garantie prévue à l’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584, subordonner le renvoi de la personne concernée dans l’État membre d’exécution à la condition que non seulement la décision de condamnation à une peine ou à une mesure de sûreté privatives de liberté soit devenue définitive, mais aussi que toute autre procédure concernant l’infraction pour laquelle la remise a été demandée, telle qu’une procédure de confiscation, soit définitivement réglée.

23      Selon la juridiction de renvoi, il est possible de soutenir que l’objectif consistant à faciliter la réinsertion sociale de la personne condamnée, poursuivi tant par l’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584 que par la décision-cadre 2008/909, exige le renvoi de la personne concernée dans l’État membre d’exécution dès que la condamnation à une peine ou à une mesure de sûreté privatives de liberté est devenue définitive, sans attendre l’issue d’autres procédures concernant l’infraction pour laquelle le mandat d’arrêt européen a été émis.

24      Selon cette juridiction, il est également possible de soutenir que le renvoi de la personne concernée dans l’État membre d’exécution, dès que la condamnation à une peine ou à une mesure de sûreté privatives de liberté est devenue définitive, est susceptible de remettre en cause l’objectif visant, conformément à l’article 67, paragraphes 1 et 3, TFUE, à assurer un niveau élevé de protection au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice par des mesures de lutte contre la criminalité. La juridiction de renvoi relève, à cet égard, que, si l’État membre d’émission d’un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites pénales, en tant qu’État membre dans lequel le jugement sera ultérieurement rendu, devait mener une procédure de confiscation en l’absence de la personne concernée, cet État membre pourrait être confronté à des problèmes pratiques et de preuve liés à cette absence, qui seraient susceptibles de le contraindre à renoncer à conduire une telle procédure.

25      S’agissant, d’autre part, du passage de la lettre du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni du 20 avril 2017, selon lequel « une remise au titre de la décision-cadre [2002/584] n’autorise pas les Pays-Bas à modifier la durée de la peine qui sera éventuellement prononcée par une juridiction du Royaume-Uni », la juridiction de renvoi considère qu’il soulève la question de savoir si l’État membre d’exécution, après avoir remis la personne concernée moyennant la garantie prévue à l’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584, peut, sur la base de l’article 25 de la décision-cadre 2008/909, adapter la peine ou la mesure de sûreté privatives de liberté qui serait prononcée à l’encontre de cette personne dans l’État membre d’émission, au-delà de ce qui est permis au titre de l’article 8, paragraphe 2, de la décision-cadre 2008/909.

26      La juridiction de renvoi ajoute, à cet égard, qu’il ressort des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la WETS que, selon le législateur néerlandais, l’article 25 de la décision-cadre 2008/909 offre la possibilité de maintenir la politique adoptée à l’égard des ressortissants néerlandais avant la mise en œuvre de cette décision-cadre, en vertu de laquelle les condamnations pénales étrangères étaient converties en une condamnation habituellement applicable aux Pays-Bas à une infraction similaire, cette politique étant actuellement consacrée à l’article 2:11, paragraphe 5, de ladite loi. L’objectif serait de parvenir à une égalité de traitement entre le ressortissant néerlandais qui doit être remis, qui aurait également pu être jugé aux Pays-Bas, et un ressortissant néerlandais jugé aux Pays-Bas. Cette juridiction n’est pas certaine que l’article 25 de la décision-cadre 2008/909 puisse être interprété en ce sens.

27      Dans ces conditions, le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 1er, paragraphe 3, et l’article 5, point 3, de la décision-cadre [2002/584] ainsi que l’article 1er, sous a) et b), l’article 3, paragraphes 3 et 4, et l’article 25 de la décision-cadre [2008/909] doivent-ils être interprétés en ce sens que, dans le cas où l’État membre d’exécution a subordonné la remise demandée, aux fins de poursuite, d’un ressortissant national à la condition, mentionnée à l’article 5, point 3, de la décision-cadre [2002/584], que l’intéressé, après avoir été entendu, soit renvoyé dans l’État membre d’exécution afin d’y subir la peine ou la mesure de sûreté privatives de liberté qui serait prononcée à son encontre dans l’État membre d’émission du mandat d’arrêt européen, l’État membre d’émission du mandat d’arrêt européen, en tant qu’État d’émission du jugement rendu, ne doit effectivement renvoyer l’intéressé, après que la condamnation à une peine ou à une mesure privatives de liberté est devenue définitive, que dès l’instant où “toute autre procédure concernant l’infraction pour laquelle la remise est demandée”, telle qu’une procédure de confiscation, a été définitivement réglée ?

2)      L’article 25 de la décision-cadre [2008/909] doit-il être interprété en ce sens que, lorsqu’il a remis un ressortissant national moyennant la garantie visée à l’article 5, point 3, de la décision-cadre [2002/584], un État membre peut, en tant qu’État d’exécution, lors de la reconnaissance et de l’exécution du jugement rendu à l’encontre de cette personne, et cela par dérogation à l’article 8, paragraphe 2, de la décision-cadre [2008/909], examiner si la peine privative de liberté prononcée contre cette personne correspond à la peine qui aurait été infligée dans l’État d’exécution pour l’infraction en cause et, le cas échéant, adapter en conséquence la peine privative de liberté prononcée ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

28      Le gouvernement néerlandais fait valoir que la demande de décision préjudicielle est irrecevable.

29      D’une part, ce gouvernement estime que les questions posées n’ont pas de rapport avec l’objet du litige. Dans l’affaire au principal, la juridiction de renvoi serait tenue d’apprécier si la garantie fournie par l’autorité judiciaire d’émission est conforme à l’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584. Or, cette disposition ne formulerait aucune exigence en ce qui concerne tant le moment du renvoi de la personne concernée dans l’État membre d’exécution que l’exécution, après ledit renvoi, de la peine ou de la mesure de sûreté privatives de liberté prononcée à son encontre dans l’État membre d’émission. Ainsi, l’objet desdites questions échapperait au contrôle à effectuer dans le cadre de la procédure relative à l’exécution du mandat d’arrêt européen et, s’agissant de la seconde question, relèverait du champ d’application de la décision-cadre 2008/909.

30      Le gouvernement néerlandais estime, d’autre part, que les questions posées sont de nature hypothétique. Selon ce gouvernement, au moment où la juridiction de renvoi prendra sa décision concernant la remise à l’État membre d’émission de la personne qui fait l’objet du mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites pénales, il n’est pas certain que cette personne sera condamnée et, donc, qu’il y aura lieu de la renvoyer dans l’État membre d’exécution. Ainsi, la pertinence d’autres procédures en lien avec l’infraction qui est à la base dudit mandat d’arrêt européen, ainsi que de l’adaptation de la peine ou de la mesure de sûreté privatives de liberté éventuellement prononcée, ne serait pas certaine.

31      Il convient de rappeler, à cet égard, que, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre cette dernière et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer [arrêts du 25 juillet 2018, AY (Mandat d’arrêt – Témoin), C‑268/17, EU:C:2018:602, point 24, ainsi que du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 26 et jurisprudence citée].

32      Il s’ensuit que les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées [arrêts du 25 juillet 2018, AY (Mandat d’arrêt – Témoin), C‑268/17, EU:C:2018:602, point 25, ainsi que du 24 octobre 2018, XC e.a., C‑234/17, EU:C:2018:853, point 16 et jurisprudence citée].

33      En l’occurrence, la juridiction de renvoi a fourni à la Cour les éléments de fait et de droit nécessaires pour que celle-ci réponde utilement aux questions posées et a exposé les raisons pour lesquelles elle considère que l’interprétation des dispositions visées dans les questions posées est nécessaire pour trancher le litige dont elle est saisie. Par ailleurs, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 30 de ses conclusions, les réponses de la Cour aux questions concernant la portée, d’une part, de l’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584 et, d’autre part, de l’article 25 de la décision-cadre 2008/909 sont susceptibles d’avoir une incidence directe sur la suite à donner par la juridiction de renvoi au mandat d’arrêt européen en cause au principal, de telle sorte qu’il ne saurait être considéré que ces questions n’ont aucun rapport avec l’objet du litige au principal. En outre, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 31 de ses conclusions, s’il est, à ce stade de la procédure, impossible de savoir, compte tenu notamment de la présomption d’innocence, si SF sera déclaré coupable des infractions qui lui sont reprochées et, a fortiori, de déterminer si une peine ou une mesure privatives de liberté lui sera infligée, il n’en reste pas moins que ce caractère hypothétique est inhérent au déroulement normal d’une procédure pénale et, notamment, à toute garantie fournie au titre de l’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584. Par conséquent, l’argument du gouvernement néerlandais tiré du caractère hypothétique des questions posées, en raison du fait que l’issue de la procédure pénale est incertaine, est dénué de pertinence.

34      Il résulte de ce qui précède que la demande de décision préjudicielle est recevable.

 Sur les questions préjudicielles

 Observations liminaires

35      Afin de répondre aux questions posées, il convient, à titre liminaire, de rappeler que le droit de l’Union repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque État membre partage avec tous les autres États membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme cela est précisé à l’article 2 TUE. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre [arrêts du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 35, et du 15 octobre 2019, Dorobantu, C‑128/18, EU:C:2019:857, point 45].

36      Tant le principe de confiance mutuelle entre les États membres que le principe de reconnaissance mutuelle, qui repose sur le premier, ont, dans le droit de l’Union, une importance fondamentale, étant donné qu’ils permettent la création et le maintien d’un espace sans frontières intérieures [voir, en ce sens, arrêts du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 36, et du 15 octobre 2019, Dorobantu, C‑128/18, EU:C:2019:857, point 46].

37      À cet égard, il convient de rappeler que la décision-cadre 2002/584 a pour objet, ainsi qu’il ressort, en particulier, de son article 1er, paragraphes 1 et 2, lu à la lumière de son considérant 5, de remplacer le système d’extradition multilatéral fondé sur la convention européenne d’extradition, signée à Paris le 13 décembre 1957, par un système de remise entre les autorités judiciaires des personnes condamnées ou soupçonnées aux fins de l’exécution de jugements ou de poursuites, ce dernier système étant fondé sur le principe de reconnaissance mutuelle [voir, en ce sens, arrêts du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 39, et du 13 décembre 2018, Sut, C-514/17, EU:C:2018:1016, point 26 et jurisprudence citée].

38      Dans ce contexte, la décision-cadre 2002/584 tend, par l’instauration d’un système simplifié et plus efficace de remise des personnes condamnées ou soupçonnées d’avoir enfreint la loi pénale, à faciliter et à accélérer la coopération judiciaire en vue de contribuer à réaliser l’objectif assigné à l’Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice, en se fondant sur le degré de confiance élevé qui doit exister entre les États membres [arrêts du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 40, et du 13 décembre 2018, Sut, C‑514/17, EU:C:2018:1016, point 27 et jurisprudence citée].

39      Dans le domaine régi par la décision-cadre 2002/584, le principe de reconnaissance mutuelle, qui constitue, ainsi qu’il ressort notamment du considérant 6 de celle-ci, la « pierre angulaire » de la coopération judiciaire en matière pénale, trouve son expression à l’article 1er, paragraphe 2, de cette décision-cadre, qui consacre la règle en vertu de laquelle les États membres sont tenus d’exécuter tout mandat d’arrêt européen sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de cette même décision-cadre. Les autorités judiciaires d’exécution ne peuvent donc, en principe, refuser d’exécuter un tel mandat que pour les motifs, exhaustivement énumérés, de non-exécution prévus par la décision-cadre 2002/584. Par ailleurs, l’exécution du mandat d’arrêt européen ne saurait être subordonnée qu’à l’une des conditions limitativement prévues à l’article 5 de cette décision-cadre. Par conséquent, alors que l’exécution du mandat d’arrêt européen constitue le principe, le refus d’exécution est conçu comme une exception, qui doit faire l’objet d’une interprétation stricte [voir, en ce sens, arrêts du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 41 ; du 13 décembre 2018, Sut, C‑514/17, EU:C:2018:1016, point 28, et du 15 octobre 2019, Dorobantu, C‑128/18, EU:C:2019:857, point 48].

40      La décision-cadre 2002/584 énonce ainsi explicitement les motifs de non-exécution obligatoire (article 3) et facultative (articles 4 et 4 bis) du mandat d’arrêt européen, ainsi que les garanties à fournir par l’État membre d’émission dans des cas particuliers (article 5). Si le principe de reconnaissance mutuelle sous-tend l’économie de la décision-cadre 2002/584, cette reconnaissance n’implique cependant pas une obligation absolue d’exécution du mandat d’arrêt délivré (voir, en ce sens, arrêts du 21 octobre 2010, B., C‑306/09, EU:C:2010:626, point 50, et du 13 décembre 2018, Sut, C‑514/17, EU:C:2018:1016, points 29 et 30 ainsi que jurisprudence citée).

41      En effet, la décision-cadre 2002/584 permet, dans des situations spécifiques, aux autorités compétentes des États membres de décider qu’une peine infligée, dans l’État membre d’émission, doit être exécutée sur le territoire de l’État membre d’exécution. Il en est ainsi, en particulier, en vertu de son article 4, point 6, et de son article 5, point 3 (voir, en ce sens, arrêts du 21 octobre 2010, B., C‑306/09, EU:C:2010:626, points 51 et 52, ainsi que du 13 décembre 2018, Sut, C‑514/17, EU:C:2018:1016, point 30 et jurisprudence citée). Cette dernière disposition énonce, en tant que garantie à fournir par l’État membre d’émission dans des cas particuliers, notamment celle en cause au principal, tenant au renvoi dans l’État membre d’exécution de la personne ressortissante ou résidente de celui-ci qui a fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites pénales, afin d’y subir la peine ou la mesure de sûreté privatives de liberté qui serait prononcée à son encontre dans l’État membre d’émission.

42      C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu de répondre aux questions posées.

 Sur la première question

43      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 3, de celle-ci, ainsi qu’avec l’article 1er, sous a), l’article 3, paragraphes 3 et 4, et l’article 25 de la décision-cadre 2008/909, doit être interprété en ce sens que, lorsque l’État membre d’exécution subordonne la remise de la personne qui, étant ressortissante ou résidente de celui-ci, fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites pénales, à la condition que cette personne lui soit renvoyée, après avoir été entendue, afin d’y subir la peine ou la mesure de sûreté privatives de liberté qui serait prononcée à son encontre dans l’État membre d’émission, cet État n’est tenu audit renvoi qu’à partir du moment où non seulement la condamnation de la personne concernée y est devenue définitive, mais aussi où toute autre étape procédurale s’inscrivant dans le cadre de la procédure pénale portant sur l’infraction qui est à la base du mandat d’arrêt européen est définitivement réglée.

44      Il y a lieu de relever que l’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584 ne précise pas le moment où la personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen, dont l’exécution est soumise à la fourniture d’une garantie au sens de cette disposition, doit être renvoyée dans l’État membre d’exécution afin d’y subir la peine ou la mesure de sûreté privatives de liberté qui serait prononcée à son encontre dans l’État membre d’émission.

45      En effet, le libellé de cette disposition se borne à prévoir, à cet égard, que le renvoi de la personne concernée dans l’État membre d’exécution, afin d’y subir la peine ou la mesure de sûreté privatives de liberté qui serait prononcée à son encontre dans l’État membre d’émission, s’effectue après que la personne concernée, ressortissante ou résidente de l’État membre d’exécution, a été entendue dans l’État membre d’émission.

46      Il convient donc, conformément à une jurisprudence constante, d’interpréter l’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584 en tenant compte de son contexte et des objectifs poursuivis par cette décision-cadre.

47      En premier lieu, il y a lieu de rappeler, à cet égard, que, ainsi qu’il a été relevé au point 38 du présent arrêt, la décision-cadre 2002/584 vise à instaurer un nouveau système simplifié et plus efficace de remise des personnes condamnées ou soupçonnées d’avoir enfreint la loi pénale. En effet, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, de cette décision-cadre, l’objet du mécanisme du mandat d’arrêt européen est de permettre l’arrestation et la remise d’une personne recherchée afin que, eu égard à l’objectif poursuivi par ladite décision-cadre, l’infraction commise ne demeure pas impunie et que cette personne soit poursuivie ou purge la peine privative de liberté prononcée contre elle [arrêt du 6 décembre 2018, IK (Exécution d’une peine complémentaire), C‑551/18 PPU, EU:C:2018:991, point 39].

48      Cela étant, le législateur de l’Union a également reconnu, à l’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584, une importance particulière à la possibilité d’accroître les chances de réinsertion sociale du ressortissant ou du résident de l’État membre d’exécution, en lui permettant de subir, sur le territoire de celui-ci, la peine ou la mesure de sûreté privatives de liberté qui, à la suite de sa remise, en exécution d’un mandat d’arrêt européen, serait prononcée à son encontre dans l’État membre d’émission (voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 2009, Wolzenburg, C‑123/08, EU:C:2009:616, point 62, et du 21 octobre 2010, B., C‑306/09, EU:C:2010:626, point 52).

49      En second lieu, il convient de tenir compte des dispositions de la décision-cadre 2008/909, l’article 25 de cette dernière prévoyant que ces dispositions s’appliquent, mutatis mutandis, dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions de la décision-cadre 2002/584, à l’exécution des condamnations, notamment, lorsque, agissant dans le cadre de l’article 5, point 3, de cette dernière décision-cadre, un État membre impose, comme condition pour l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, le renvoi de la personne concernée dans cet État, afin qu’elle y subisse la peine ou la mesure de sûreté privatives de liberté qui serait prononcée à son encontre dans l’État membre d’émission.

50      À cet égard, il ressort de l’article 3, paragraphe 1, de la décision-cadre 2008/909 que celle-ci vise à fixer les règles permettant à un État membre, en vue de faciliter la réinsertion sociale de la personne condamnée, de reconnaître un jugement et d’exécuter une condamnation prononcée par une juridiction d’un autre État membre.

51      Ainsi, l’articulation prévue par le législateur de l’Union entre la décision-cadre 2002/584 et la décision-cadre 2008/909 doit contribuer à atteindre l’objectif consistant à faciliter la réinsertion sociale de la personne concernée. Au demeurant, une telle réinsertion est dans l’intérêt non seulement de la personne condamnée, mais également de l’Union européenne en général (voir, en ce sens, arrêts du 23 novembre 2010, Tsakouridis, C‑145/09, EU:C:2010:708, point 50, ainsi que du 17 avril 2018, B et Vomero, C‑316/16 et C‑424/16, EU:C:2018:256, point 75).

52      Par ailleurs, il convient de relever que, selon l’article 3, paragraphe 3, première phrase, de la décision-cadre 2008/909, celle-ci s’applique uniquement à la reconnaissance des jugements et à l’exécution des condamnations, au sens de cette même décision-cadre (arrêt du 25 janvier 2017, van Vemde, C‑582/15, EU:C:2017:37, point 23). Or, l’article 1er, sous a), de la décision-cadre 2008/909 définit le « jugement » comme étant une décision définitive rendue par une juridiction de l’État membre d’émission prononçant une condamnation à l’encontre d’une personne physique. La circonstance que cette disposition fasse référence au caractère « définitif » du jugement concerné souligne l’importance particulière accordée au caractère inattaquable dudit jugement, à l’exclusion des décisions faisant l’objet d’un recours (voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2017, van Vemde, C‑582/15, EU:C:2017:37, points 23, 24 et 27).

53      Il s’ensuit que, lorsque l’autorité judiciaire d’exécution, agissant dans le cadre de l’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584, a imposé comme condition, pour l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, que la personne qui en fait l’objet et qui est ressortissante ou résidente de l’État membre d’exécution soit renvoyée dans celui-ci afin d’y subir la peine ou la mesure de sûreté privatives de liberté qui serait prononcée à son encontre dans l’État membre d’émission, ledit renvoi, par ce dernier, ne peut avoir lieu qu’après que la décision prononçant ladite condamnation est devenue définitive, au sens de la jurisprudence citée au point précédent du présent arrêt.

54      Par ailleurs, l’objectif consistant à faciliter la réinsertion sociale de la personne concernée, poursuivi tant à l’article 5, point 3, de cette décision-cadre que par les dispositions de la décision-cadre 2008/909 applicables, en vertu de l’article 25 de celle-ci, impose, lorsque la garantie prévue à l’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584 est mise en œuvre, que le renvoi de la personne concernée dans l’État membre d’exécution ait lieu le plus tôt possible après que la décision prononçant ladite condamnation est devenue définitive.

55      Cette interprétation est corroborée par l’article 3, paragraphe 3, deuxième phrase, de la décision-cadre 2008/909, aux termes duquel le fait que, outre la condamnation, une amende ou une décision de confiscation ait été prononcée et n’ait pas encore été acquittée, recouvrée ou exécutée, n’empêche pas la transmission d’un jugement de l’État membre d’émission à l’État membre d’exécution, au sens de l’article 1er, sous c) et d), de cette décision-cadre.

56      Toutefois, dans l’hypothèse où il s’avérerait que la présence de la personne à l’encontre de laquelle une peine ou une mesure de sûreté privatives de liberté a été prononcée dans l’État membre d’émission, alors que le jugement ayant infligé cette peine ou cette mesure ne peut plus faire l’objet d’un recours juridictionnel, est requise dans cet État membre en raison d’autres étapes procédurales s’inscrivant dans le cadre de la procédure pénale concernant l’infraction qui est à la base du mandat d’arrêt européen, telles que la fixation d’une peine ou d’une mesure complémentaire, l’objectif consistant à faciliter la réinsertion sociale de la personne condamnée, poursuivi à l’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584, doit être mis en balance avec tant l’effectivité des poursuites pénales, aux fins de garantir une répression complète et efficace de l’infraction qui est à la base du mandat d’arrêt européen, que le respect des droits de la défense de la personne concernée.

57      Il y a lieu de rappeler, par ailleurs, ainsi qu’il ressort de l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584 et de l’article 3, paragraphe 4, de la décision-cadre 2008/909, que ces décisions-cadres ne sauraient avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union.

58      En effet, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, les règles du droit dérivé de l’Union doivent être interprétées et appliquées dans le respect des droits fondamentaux, dont fait partie intégrante le respect des droits de la défense, qui dérivent du droit à un procès équitable, consacré aux articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi qu’à l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (arrêt du 10 août 2017, Tupikas, C‑270/17 PPU, EU:C:2017:628, point 60).

59      Ainsi, dans le cadre de la mise en balance mentionnée au point 56 du présent arrêt, il appartient à l’autorité judiciaire d’émission d’apprécier si des motifs concrets ayant trait au respect des droits de la défense de la personne concernée ou à la bonne administration de la justice rendent indispensable la présence de celle-ci dans l’État membre d’émission, après que la décision de condamnation est devenue définitive et jusqu’à ce qu’il soit statué définitivement lors d’autres étapes procédurales s’inscrivant dans le cadre de la procédure pénale concernant l’infraction qui est à la base du mandat d’arrêt européen.

60      En revanche, il n’est pas loisible à l’autorité judiciaire de l’État membre d’émission, dans le cadre de la garantie prévue à l’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584, lu à la lumière de l’objectif consistant à faciliter la réinsertion sociale de la personne condamnée, de reporter systématiquement et automatiquement le renvoi de la personne concernée dans l’État membre d’exécution au moment où les autres étapes procédurales s’inscrivant dans le cadre de la procédure pénale concernant l’infraction qui est à la base du mandat d’arrêt européen auront été définitivement réglées.

61      Dans ce contexte, l’autorité judiciaire d’émission doit prendre en compte, aux fins de la mise en balance qu’elle est tenue d’effectuer, la possibilité de mettre en œuvre des mécanismes de coopération et d’assistance mutuelle existant en matière pénale en vertu du droit de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C‑182/15, EU:2016:630, point 47). À cet égard, il convient de relever, notamment, que, ainsi qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 3, troisième phrase, de la décision-cadre 2008/909, la reconnaissance et l’exécution de sanctions pécuniaires et de décisions de confiscation dans un autre État membre ont lieu conformément, en particulier, à la décision-cadre 2005/214 et à la décision-cadre 2006/783. En outre, la directive 2014/41/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, concernant la décision d’enquête européenne en matière pénale (JO 2014, L 130, p. 1), dont l’objectif consiste à faciliter et à accélérer la coopération judiciaire entre les États membres sur la base des principes de confiance et de reconnaissance mutuelles (arrêt du 24 octobre 2019, Gavanozov, C‑324/17, EU:C:2019:892, point 35), prévoit, à son article 24, l’émission d’une décision d’enquête européenne en vue de la réalisation d’une audition d’un suspect ou d’une personne poursuivie par vidéoconférence ou par un autre moyen de transmission audiovisuelle, les autorités d’émission et d’exécution fixant les modalités pratiques de cette audition d’un commun accord.

62      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 3, de celle-ci, ainsi qu’avec l’article 1er, sous a), l’article 3, paragraphes 3 et 4, et l’article 25 de la décision-cadre 2008/909, doit être interprété en ce sens que, lorsque l’État membre d’exécution subordonne la remise de la personne qui, étant ressortissante ou résidente de celui-ci, fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites pénales à la condition que cette personne lui soit renvoyée, après avoir été entendue, afin d’y subir la peine ou la mesure de sûreté privatives de liberté qui serait prononcée à son encontre dans l’État membre d’émission, cet État membre doit procéder audit renvoi dès que cette décision de condamnation est devenue définitive, à moins que des motifs concrets ayant trait au respect des droits de la défense de la personne concernée ou à la bonne administration de la justice ne rendent indispensable la présence de celle-ci dans ledit État, jusqu’à ce qu’il ait été statué définitivement lors d’autres étapes procédurales s’inscrivant dans le cadre de la procédure pénale concernant l’infraction qui est à la base du mandat d’arrêt européen.

 Sur la seconde question

63      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 25 de la décision-cadre 2008/909 doit être interprété en ce sens que, lorsque l’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis aux fins de poursuites pénales est subordonnée à la condition prévue à l’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584, l’État membre d’exécution, pour exécuter la peine ou la mesure de sûreté privatives de liberté prononcée dans l’État membre d’émission à l’encontre de la personne concernée, peut, par dérogation à l’article 8, paragraphe 2, de la décision-cadre 2008/909, adapter la durée de cette condamnation afin de la faire correspondre à celle qui aurait été infligée pour l’infraction concernée dans l’État membre d’exécution.

64      Il convient de rappeler, à cet égard, que l’article 8, paragraphe 2, de la décision-cadre 2008/909 permet à l’autorité compétente de l’État membre d’exécution d’adapter la condamnation prononcée dans l’État membre d’émission, si la durée de celle-ci est incompatible avec le droit de l’État membre d’exécution. Néanmoins, cette autorité ne peut décider d’adapter une telle condamnation que lorsqu’elle est supérieure à la peine maximale prévue par son droit national pour des infractions de même nature, la durée de la condamnation adaptée ne pouvant pas être inférieure à celle de la peine maximale prévue par le droit de l’État membre d’exécution pour des infractions de même nature. Dans ce contexte, l’article 8, paragraphe 4, de la décision-cadre 2008/909 précise que la condamnation adaptée ne peut aggraver la condamnation prononcée dans l’État membre d’émission en ce qui concerne notamment sa durée.

65      L’article 8 de la décision-cadre 2008/909 prévoit donc des conditions strictes pour l’adaptation, par l’autorité compétente de l’État membre d’exécution, de la condamnation prononcée dans l’État membre d’émission, lesquelles constituent les seules exceptions à l’obligation de principe, qui pèse sur ladite autorité en vertu de l’article 8, paragraphe 1, de cette décision-cadre, de reconnaître le jugement qui lui a été transmis et d’exécuter la condamnation dont la durée et la nature correspondent à celles prévues dans le jugement rendu dans l’État membre d’émission (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2016, Ognyanov, C‑554/14, EU:C:2016:835, point 36).

66      Il en résulte que l’interprétation avancée par le gouvernement néerlandais, selon laquelle l’article 25 de la décision-cadre 2008/909 autoriserait, dans le cas d’une personne remise à l’État membre d’émission moyennant une garantie de renvoi, une adaptation de la peine par l’État membre d’exécution en dehors des hypothèses prévues à l’article 8 de ladite décision-cadre, ne saurait être retenue, sous peine de priver cette disposition et, notamment, le principe de la reconnaissance du jugement et de l’exécution de la condamnation, consacré à son paragraphe 1, de tout effet utile.

67      Par conséquent, l’État membre d’exécution ne peut, en raison du simple fait que l’État membre d’émission émet, dans la garantie qu’il fournit au titre de l’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584, une réserve quant à la possibilité d’adaptation, par le premier de ces États membres, de la condamnation éventuellement prononcée dans le second État membre, allant au-delà des hypothèses visées à l’article 8 de la décision-cadre 2008/909, refuser la remise de la personne concernée.

68      Dans ces conditions, il convient de répondre à la seconde question que l’article 25 de la décision-cadre 2008/909 doit être interprété en ce sens que, lorsque l’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis aux fins de poursuites pénales est subordonnée à la condition prévue à l’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584, l’État membre d’exécution, pour exécuter la peine ou la mesure de sûreté privatives de liberté prononcée dans l’État membre d’émission à l’encontre de la personne concernée, ne peut adapter la durée de cette condamnation que dans les conditions strictes prévues à l’article 8, paragraphe 2, de la décision-cadre 2008/909.

 Sur les dépens

69      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 3, de celle-ci, ainsi qu’avec l’article 1er, sous a), l’article 3, paragraphes 3 et 4, et l’article 25 de la décision-cadre 2008/909/JAI du Conseil, du 27 novembre 2008, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne, telles que modifiées par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, doit être interprété en ce sens que, lorsque l’État membre d’exécution subordonne la remise de la personne qui, étant ressortissante ou résidente de celui-ci, fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites pénales à la condition que cette personne lui soit renvoyée, après avoir été entendue, afin d’y subir la peine ou la mesure de sûreté privatives de liberté qui serait prononcée à son encontre dans l’État membre d’émission, cet État membre doit procéder audit renvoi dès que cette décision de condamnation est devenue définitive, à moins que des motifs concrets ayant trait au respect des droits de la défense de la personne concernée ou à la bonne administration de la justice ne rendent indispensable la présence de celle-ci dans ledit État, jusqu’à ce qu’il ait été statué définitivement lors d’autres étapes procédurales s’inscrivant dans le cadre de la procédure pénale concernant l’infraction qui est à la base du mandat d’arrêt européen.

2)      L’article 25 de la décision-cadre 2008/909, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299, doit être interprété en ce sens que, lorsque l’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis aux fins de poursuites pénales est subordonnée à la condition prévue à l’article 5, point 3, de la décision-cadre 2002/584, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299, l’État membre d’exécution, pour exécuter la peine ou la mesure de sûreté privatives de liberté prononcée dans l’État membre d’émission à l’encontre de la personne concernée, ne peut adapter la durée de cette condamnation que dans les conditions strictes prévues à l’article 8, paragraphe 2, de la décision-cadre 2008/909, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.