Language of document : ECLI:EU:C:2024:120

ORDONNANCE DU VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR

6 février 2024 (*)

« Référé – Articles 278 et 279 TFUE – Pourvoi – Demande de sursis à exécution et d’autres mesures provisoires – Article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure de la Cour – Concurrence – Concentrations – Marché des médias – Demande de renseignements – Données personnelles »

Dans l’affaire C‑89/24 P(R)-R,

ayant pour objet une demande de sursis à exécution et d’autres mesures provisoires, au titre des articles 278 et 279 TFUE, introduite le 2 février 2024,

Lagardère SA, établie à Paris (France), représentée par Mes G. Aubron, C. Bocket et D. Théophile, avocats,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne,

partie défenderesse en première instance,

LE VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR,

l’avocat général, M. M. Szpunar, entendu,

rend la présente




Ordonnance

1        Par sa demande en référé, Lagardère SA demande à la Cour, en application des articles 278 et 279 TFUE ainsi que de l’article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure de la Cour de :

–        surseoir à l’exécution de l’ordonnance du président du Tribunal de l’Union européenne du 19 janvier 2024, Lagardère/Commission (T‑1119/23 R, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2024:16), par laquelle celui-ci a rejeté sa demande visant, d’une part, à obtenir le sursis à exécution de la décision C(2023) 6429 final de la Commission européenne, du 19 septembre 2023, relative à une procédure d’application de l’article 11, paragraphe 3, du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil (affaire M.11184 – Vivendi/Lagardère), telle que modifiée par la décision C(2023) 7464 final de la Commission, du 27 octobre 2023 (ci-après la « décision litigieuse »), ainsi que, d’autre part, à titre conservatoire, qu’il lui soit enjoint de conserver l’ensemble des documents des personnes concernées par la décision litigieuse susceptibles d’intéresser l’enquête de la Commission ;

–        suspendre l’obligation qui lui a été imposée, par la décision litigieuse, telle que modifiée par la décision C(2024) 572 final de la Commission, du 24 janvier 2014, de collecter et de communiquer à celle-ci des documents contenus dans les boîtes de courrier électronique privées ou personnelles et dans les appareils mobiles privés ou personnels des salariés et des mandataires sociaux de Lagardère jusqu’à l’adoption de l’ordonnance se prononçant sur le pourvoi dans l’affaire C-89/24 P(R), et

–        réserver les dépens.

2        Cette demande a été présentée parallèlement à l’introduction, le 2 février 2024, par Lagardère, d’un pourvoi au titre de l’article 57, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, tendant à l’annulation de l’ordonnance attaquée.

3        Conformément à l’article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en application de l’article 190, paragraphe 1, de celui-ci, le juge des référés peut faire droit à la demande en référé avant même que l’autre partie ait présenté ses observations et cette mesure peut être ultérieurement modifiée ou rapportée, même d’office.

4        Selon la jurisprudence de la Cour, en particulier lorsqu’il est souhaitable dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice d’éviter que la procédure en référé ne soit vidée de toute sa substance et de tout effet, l’article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure de la Cour autorise le juge connaissant d’une demande de mesures provisoires à arrêter de telles mesures, à titre conservatoire, soit jusqu’au prononcé de l’ordonnance mettant fin à l’instance en référé, soit jusqu’à la clôture de la procédure principale, si celle-ci a lieu plus tôt [ordonnances du vice-président de la Cour du 4 octobre 2017, Wall Street Systems UK/BCE, C‑576/17 P(R)‑R, EU:C:2017:735, point 4, et du 22 juillet 2022, Telefónica de España/Commission, C‑478/22 P(R)‑R, EU:C:2022:598, point 4].

5        Lorsqu’il examine la nécessité de rendre une telle ordonnance, ledit juge doit examiner les circonstances du cas d’espèce [ordonnances du vice‑président de la Cour du 4 octobre 2017, Wall Street Systems UK/BCE, C‑576/17 P(R)‑R, EU:C:2017:735, point 5, et du 22 juillet 2022, Telefónica de España/Commission, C‑478/22 P(R)‑R, EU:C:2022:598, point 5].

6        En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que Vivendi SE a notifié à la Commission, le 24 octobre 2022, une opération de concentration qui consistait en l’acquisition du contrôle exclusif de Lagardère. Le 25 juillet 2023, la Commission a informé Vivendi de l’ouverture d’une enquête formelle portant sur une potentielle réalisation anticipée de l’opération de concentration. Dans le cadre de cette procédure, par la décision C(2023) 6429 final, la Commission a adressé à Lagardère une demande de renseignements, assortie d’un délai expirant le 27 octobre 2023. Par la décision C(2023) 7464 final, la Commission a prorogé ce délai jusqu’au 1er décembre 2023.

7        Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 27 novembre 2023, Lagardère a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse. Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 28 novembre 2023, elle a introduit une demande en référé tendant, notamment, au sursis à exécution de cette décision.

8        Par l’ordonnance du 29 novembre 2023, Lagardère/Commission (T‑1119/23 R), adoptée sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, le président du Tribunal a ordonné le sursis à exécution de la décision litigieuse jusqu’à l’adoption de l’ordonnance mettant fin à la procédure dans l’affaire T‑1119/23 R, sans préjudice de l’obligation de Lagardère de poursuivre la collecte des informations et de conserver en sa possession, sur un support électronique, l’ensemble des documents concernés par cette décision susceptibles d’intéresser l’enquête de la Commission.

9        Par l’ordonnance attaquée, le président du Tribunal a rejeté la demande en référé introduite par Lagardère devant le Tribunal et a rapporté son ordonnance du 29 novembre 2023 (T‑1119/23 R).

10      Par la décision C(2024) 572 final, la Commission a prorogé le délai visé au point 6 de la présente ordonnance jusqu’au 7 février 2024 et a imposé à Lagardère, en cas d’inexécution de la demande de renseignement imposée par la décision C(2023) 6429 final, une astreinte n’excédant pas 5 % de son chiffre d’affaires total journalier moyen, par jour de retard à compter du premier jour ouvrable suivant le 7 février 2024.

11      Selon Lagardère, il conviendrait que la Cour fasse droit à la présente demande en référé afin de prévenir la survenance d’un préjudice grave et irréparable.

12      Lagardère fait valoir, en particulier, que, en l’absence de suspension des effets de la décision litigieuse, telle que modifiée par la décision C(2024) 572 final, elle serait obligée, sous peine de se voir imposer une astreinte d’un montant considérable, de collecter, de traiter et de transmettre à la Commission des documents qui relèvent de la sphère personnelle de certains de ses salariés et de ses mandataires sociaux. Or, si elle se conformait à cette obligation, elle s’exposerait, ainsi que ses commettants, à des sanctions pénales et porterait une atteinte caractérisée et irrémédiable au droit au respect de la vie privée des personnes concernées.

13      Par ailleurs, toujours selon Lagardère, l’appréciation de la condition relative à l’urgence opérée dans l’ordonnance attaquée serait, en substance, entachée de violations du droit au respect de la vie privée et de ses droits de la défense, ainsi que d’une erreur manifeste d’appréciation.

14      À cet égard, au vu notamment des moyens dirigés contre cette appréciation, il ne saurait être exclu, à ce stade de la procédure, que la collecte, le traitement et la transmission à la Commission de l’ensemble des documents visés par la décision litigieuse puisse exposer Lagardère et ses commettants à des sanctions pénales ou conduire à une sérieuse violation du droit à la vie privée des personnes concernées par ces documents, qui pourraient éventuellement constituer un préjudice grave et irréparable.

15      En outre, étant donné que Lagardère est tenue, sous peine d’astreinte, de transmettre lesdits documents à la Commission au plus tard le 7 février 2024, ce préjudice risque de se réaliser avant même que la Cour n’ait été en mesure d’apprécier, après avoir entendu la Commission, s’il est nécessaire d’accorder des mesures provisoires.

16      Pour autant, en vue de maintenir le statu quo ante, il incombe à Lagardère de prendre toutes les mesures utiles pour assurer la conservation de l’ensemble des documents visés par la décision litigieuse.

17      En conséquence, il est dans l’intérêt de la bonne administration de la justice d’ordonner, avant même que l’autre partie ait présenté ses observations, la suspension de l’obligation imposée à Lagardère, par la décision litigieuse, de collecter et de communiquer à la Commission des documents contenus dans les boîtes de courrier électronique privées ou personnelles et dans les appareils mobiles privés ou personnels de certains salariés et des mandataires sociaux de Lagardère jusqu’à l’adoption de l’ordonnance qui interviendra le plus tôt entre celle mettant fin à la présente procédure de référé et celle se prononçant sur le pourvoi dans l’affaire C‑89/24 P(R), sans préjudice de l’obligation, pour Lagardère, de prendre toutes les mesures utiles pour assurer la conservation de l’ensemble de ces documents.


Par ces motifs, le vice-président de la Cour ordonne :

1)      L’obligation imposée à Lagardère SA, par la décision C(2023) 6429 final de la Commission européenne, du 19 septembre 2023, relative à une procédure d’application de l’article 11, paragraphe 3, du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil (affaire M.11184 – Vivendi/Lagardère), telle que modifiée par la décision C(2023) 7464 final de la Commission, du 27 octobre 2023, de collecter et de communiquer à la Commission des documents contenus dans les boîtes de courrier électronique privées ou personnelles et dans les appareils mobiles privés ou personnels de certains salariés et des mandataires sociaux de Lagardère, est suspendue jusqu’à l’adoption de l’ordonnance qui interviendra le plus tôt entre celle mettant fin à la présente procédure de référé et celle se prononçant sur le pourvoi dans l’affaire C89/24 P(R), sans préjudice de l’obligation, pour Lagardère, de prendre toutes les mesures utiles pour assurer la conservation de l’ensemble de ces documents.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 6 février 2024.

Le greffier

 

Le vice-président

A. Calot Escobar

 

L. Bay Larsen


*      Langue de procédure : le français.