Language of document : ECLI:EU:T:2023:849

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

20 décembre 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Restrictions de circulation – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription et maintien du nom du requérant sur les listes des personnes, des entités et des organismes concernés – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation – Critère de l’homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Russie – Droit de propriété – Liberté d’entreprise – Droit au respect de la vie privée – Proportionnalité – Principe de non-discrimination – Droit d’être entendu »

Dans l’affaire T‑283/22,

Vadim Nikolaevich Moshkovich, demeurant à Tambov (Russie), représenté par Mes D. Rovetta, M. Campa, T. Bontinck, A. Guillerme, L. Burguin, M. Moretto, V. Villante et M. Pirovano, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme P. Mahnič et M. J. Rurarz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, I. Gâlea (rapporteur) et T. Tóth, juges,

greffier : Mme I. Kurme, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 27 juin 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Vadim Nikolaevich Moshkovich, demande l’annulation, premièrement, de la décision (PESC) 2022/397 du Conseil, du 9 mars 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 80, p. 31), et du règlement d’exécution (UE) 2022/396 du Conseil, du 9 mars 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 80, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux »), deuxièmement, de la décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 149), et du règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de septembre 2022 »), troisièmement, de la décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 134), et du règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2023 »), et, quatrièmement, de la décision (PESC) 2023/811 du Conseil, du 13 avril 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 101, p. 67), et du règlement d’exécution (UE) 2023/806 du Conseil, du 13 avril 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 101, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes d’avril 2023 »), en tant que ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») inscrivent et maintiennent son nom sur les listes annexées auxdits actes (ci-après les « listes litigieuses »).

I.      Antécédents du litige

2        Le requérant est un homme d’affaires de nationalité russe.

3        La présente affaire s’inscrit dans le contexte des mesures restrictives adoptées eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et, notamment, à l’agression militaire par la Fédération de Russie de celle-ci, le 24 février 2022.

4        Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16) et, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).

5        Le 25 février 2022, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté d’une part, la décision (PESC) 2022/329 modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1), et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330 modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1), afin notamment d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause.

6        L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/145, dans sa version modifiée par la décision 2022/329 (ci-après la « décision 2014/145 modifiée »), se lit comme suit :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :

a)      à des personnes physiques qui sont responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, ou qui font obstruction à l’action d’organisations internationales en Ukraine, à des personnes physiques qui soutiennent ou mettent en œuvre de telles actions ou politiques ;

[…]

d)      à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ces décideurs ;

[…]

f)      à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ce gouvernement ; ou

g)      à des femmes et hommes d’affaires influents ou des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine,

et les personnes physiques et morales, les entités ou les organismes qui leur sont associés, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent, dont la liste figure en annexe.

2. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

7        L’article 1er, paragraphe 1, sous a), b), d) et e), de la décision 2014/145 modifiée proscrit l’entrée ou le passage en transit sur le territoire des États membres des personnes physiques répondant à des critères en substance identiques à ceux énoncés à l’article 2, paragraphe 1, sous a), d), f) et g), de cette même décision.

8        Le règlement no 269/2014, dans sa version modifiée par le règlement 2022/330 (ci-après le « règlement no 269/2014 modifié »), impose l’adoption des mesures de gel de fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145 modifiée. En effet, l’article 3, paragraphe 1, sous a) à g), de ce règlement reprend pour l’essentiel l’article 2, paragraphe 1, sous a) à g), de ladite décision.

9        Dans ce contexte, le 9 mars 2022, le Conseil a adopté les actes initiaux.

10      Par les actes initiaux, le nom du requérant a été ajouté sur la ligne 728 des listes litigieuses, aux motifs suivants :

« Vadim Nikolaevich MOSHKOVICH est un entrepreneur russe ayant des intérêts commerciaux dans les secteurs de l’agriculture et de la promotion immobilière. En 2004, Vadim Moshkovich a fondé Rusagro Group qui est un grand producteur de viande porcine, de graisses et de sucre. Vadim Nikolaevich MOSHKOVICH intervient donc dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie.

Le 24 février 2022, après les premières phases de l’agression russe contre l’Ukraine, Vadim Nikolaevich MOSHKOVICH ainsi que 36 autres hommes d’affaires ont rencontré le président Vladimir Poutine et d’autres membres du gouvernement russe pour discuter de l’incidence des choix à opérer à la suite des sanctions occidentales. Le fait qu’il a été invité à participer à cette réunion montre qu’il appartient au cercle le plus proche de Vladimir Poutine et qu’il soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine. Cela montre aussi qu’il est un des hommes d’affaires influents intervenant dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. »

11      Le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne du 10 mars 2022 (JO 2022, C 114I, p. 1), un avis à l’attention des personnes, entités et organismes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2014/145 modifiée par la décision (PESC) 2022/397 du Conseil et par le règlement n° 269/2014, mis en œuvre par le règlement d’exécution (UE) 2022/396 du Conseil concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

12      Par un courriel du 13 avril 2022, le requérant a demandé l’accès aux documents ayant servi de fondement à l’adoption des mesures restrictives le concernant.

13      Par une lettre du 28 avril 2022, le Conseil a répondu à la demande du requérant visée au point 12 ci-dessus et a transmis les informations figurant dans le dossier portant la référence WK 3060/2022, daté du 8 mars 2022 (ci-après le « premier dossier WK »).

14      Le 18 mai 2022, le requérant a introduit une demande de réexamen des actes initiaux auprès du Conseil.

II.    Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

15      Le 14 septembre 2022, le Conseil a adopté les actes de septembre 2022 prolongeant les mesures prises à l’encontre du requérant jusqu’au 15 mars 2023. Lesdits actes ont maintenu le nom du requérant sur les listes litigieuses sur le fondement de motifs identiques à ceux figurant dans les actes initiaux.

16      Le 15 septembre 2022, le Conseil a procédé à la publication au Journal officiel de l’Union européenne de l’avis à l’attention des personnes et entités faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2014/145, modifiée par la décision 2022/1530, et par le règlement no 269/2014, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2022/1529 (JO 2022, C 353I, p. 1).

17      Par une lettre du 15 septembre 2022, le Conseil a répondu à la demande de réexamen du 18 mai 2022 du requérant, en rejetant cette demande. Il a notamment précisé n’avoir commis aucune erreur manifeste d’appréciation et, en particulier, qu’il n’était pas contesté que, au jour de l’adoption des actes initiaux, le requérant était le président du conseil d’administration de Rusagro Group. Le Conseil a estimé qu’il remplissait les critères prévus par l’article 1er, paragraphe 1, sous a), b), d) et e), et par l’article 2, paragraphe 1, sous a), d), f) et g), de la décision 2014/145 modifiée. Il a précisé qu’il remplissait les critères litigieux en raison de sa position au sein de Rusagro Group, une des compagnies les plus importantes du secteur agricole, secteur qui fournissait une source substantielle de revenus au gouvernement russe. Il a également indiqué que les réunions du requérant avec le président Poutine démontraient une relation étroite entre l’État russe, incarné par son président, et la compagnie du requérant ainsi que le support mutuel et la loyauté existant entre eux.

18      Le même jour, le requérant, par l’intermédiaire de son représentant, a demandé au Conseil de fournir tout nouveau document le concernant qui aurait été ajouté au dossier depuis avril 2022.

19      Le 27 octobre 2022, le Conseil a répondu ne pas avoir de tels documents.

20      Le 25 novembre 2022, le requérant a, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, déposé un premier mémoire en adaptation de la requête. Le Conseil a présenté ses observations sur ce dernier le 21 décembre 2022.

21      Le 22 décembre 2022, le Conseil a envoyé une lettre au requérant l’informant de son intention de maintenir les mesures restrictives à son égard sur le fondement de motifs d’inscription légèrement amendés, en introduisant, outre des modifications à son nom, l’indication que la société Rusagro Group était « classé[e] première parmi les sociétés agricoles en Russie en 2021 ». Il a également annexé à ladite lettre le dossier de preuves WK 17692/2022 INIT (ci-après le « deuxième dossier WK ») qui complétait le premier dossier WK. Le deuxième dossier WK est divisé en deux parties, la première partie concernant le requérant et la seconde le secteur agricole.

22      Le 20 janvier 2023, le requérant a soumis des observations sur la lettre du Conseil du 22 décembre 2022.

23      Le 13 mars 2023, le Conseil a adopté les actes de mars 2023, contenant les motifs exposés au point 21 ci-dessus et a prolongé les mesures prises à l’encontre du requérant jusqu’au 15 septembre 2023.

24      Par courrier du 14 mars 2023, le Conseil a informé le requérant de son maintien sur les listes. Ce courrier était accompagné du dossier WK 903/2023 contenant les observations du requérant de janvier 2023.

25      Le 13 avril 2023, le Conseil a adopté les actes d’avril 2023. Ces derniers n’ont apporté aucune modification à l’exposé des motifs. Toutefois, ils ont supprimé des informations d’identification l’indication selon laquelle le requérant était un actionnaire minoritaire de Sberbank.

26      Le requérant a déposé un mémoire en adaptation le 23 mai 2023. Le Conseil a présenté ses observations sur ce dernier le 16 juin 2023.

III. Conclusions des parties

27      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués en ce qu’ils le visent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

28      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

IV.    En droit

29      À l’appui du recours, le requérant invoque un premier moyen, tiré d’une violation du droit à une protection juridictionnelle effective et de l’obligation de motivation, un deuxième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation, un troisième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité ainsi que du droit de propriété, du droit au respect de la vie privée et de la liberté d’entreprise et un quatrième moyen, tiré d’une violation du principe de non-discrimination. Par ailleurs, dans les deux mémoires en adaptation, il invoque également un cinquième moyen tiré de la violation du droit d’être entendu et de l’obligation du Conseil de revoir sa décision.

A.      Sur le premier moyen, tiré de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que de la violation de l’obligation de motivation et de l’article 296 TFUE

30      En premier lieu, le requérant fait valoir que la motivation formelle de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses est soit quasi absente ou contradictoire, soit non conforme à l’exigence de précision incombant au Conseil, et, en tout état de cause, incomplète.

31      En deuxième lieu, selon le requérant, la motivation ne permet pas de comprendre de manière fiable l’étendue des allégations formulées à son égard. Les exposés des motifs des actes attaqués, le premier dossier WK et le mémoire en défense présenteraient des incohérences. Il résulterait des exposés des motifs que la base juridique de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses est constituée par les critères d’inscription de l’article 1, paragraphe 1, sous a) et e), et de l’article 2, paragraphe 1, sous a) et g), de la décision 2014/145 modifiée, ainsi que de l’article 3, paragraphe 1, sous a) et g), du règlement no 269/2014 modifié. Toutefois, le premier dossier WK se réfèrerait aux critères d’inscription de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), d) et e), et de l’article 2, paragraphe 1, sous d), f) et g), de la décision 2014/145 modifiée, ainsi que de l’article 3, paragraphe 1, sous d), f) et g), du règlement no 269/2014 modifié. En outre, dans le mémoire en défense, le Conseil invoquerait l’ensemble de ces critères, à savoir ceux visés par l’article 1er, paragraphe 1, sous a), b), d) et e), et l’article 2, paragraphe 1, sous a), d), f) et g), de la décision 2014/145 modifiée, ainsi que l’article 3, paragraphe 1, sous a), d), f) et g), du règlement no 269/2014 modifié.

32      En troisième lieu, le requérant considère que les critères d’inscription de l’article 1er, paragraphe 1, sous b) et d), et de l’article 2, paragraphe 1, sous d) et f), de la décision 2014/145 modifiée, ainsi que de l’article 3, paragraphe 1, sous d) et f), du règlement no 269/2014 modifié, ne sont pas définis avec suffisamment de précision dans les exposés des motifs. Ainsi, le requérant n’aurait pas compris qu’il avait été désigné au motif qu’il avait obtenu un avantage du gouvernement ou des décideurs russes ni que le simple fait d’exercer des activités dans le secteur agricole suffisait pour constituer un soutien au gouvernement ou aux décideurs russes. De même, il n’aurait pas pu comprendre pourquoi sa simple présence à une réunion avec le président Poutine suffisait pour constituer un tel soutien. Par ailleurs, un dossier WK ne pourrait pallier l’absence d’explications dans l’exposé des motifs. Partant, étant donné les incohérences entre les critères visés, il serait impossible pour le requérant de comprendre les raisons de sa désignation.

33      Le Conseil conteste cette argumentation.

34      Selon une jurisprudence constante, le droit à une protection juridictionnelle effective, affirmé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard soit par la lecture de la décision elle-même, soit par une communication de ces motifs faite à sa demande. Cela est sans préjudice du pouvoir du juge compétent d’exiger de l’autorité en cause qu’elle les communique, afin de lui permettre de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent, ainsi que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de la décision en cause (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 100 et jurisprudence citée).

35      En outre, il convient de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications des mesures prises aux fins d’en apprécier le bien-fondé et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 25 et jurisprudence citée).

36      La motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de cet acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par ledit acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est notamment pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, ni qu’elle réponde de manière détaillée aux considérations formulées par l’intéressé lors de sa consultation avant l’adoption du même acte, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Par conséquent, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 26 et jurisprudence citée).

37      S’agissant d’un acte du Conseil imposant une mesure restrictive, la motivation doit identifier les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé doit faire l’objet d’une telle mesure (voir arrêt du 25 mars 2015, Central Bank of Iran/Conseil, T‑563/12, EU:T:2015:187, point 55 et jurisprudence citée).

38      Il convient en outre de rappeler que l’obligation de motivation à laquelle le Conseil est tenu porte, d’une part, sur l’indication de la base juridique de la mesure adoptée et, d’autre part, sur les circonstances qui permettent de considérer que l’un ou l’autre des critères d’inscription est rempli dans le cas de l’intéressé (voir arrêt du 12 février 2020, Mende Omalanga/Conseil, T‑176/18, non publié, EU:T:2020:61, point 45 et jurisprudence citée).

39      De plus, il doit être précisé que l’absence de mention explicite du critère appliqué à l’égard d’une personne n’entraîne pas nécessairement une violation de l’obligation de motivation, pourvu qu’il résulte de manière suffisamment claire de la lecture de la motivation retenue par le Conseil quel est le critère dont celui-ci a fait application s’agissant de cette personne (arrêt du 11 septembre 2019, Topor-Gilka et WO Technopromexport/Conseil, T‑721/17 et T‑722/17, non publié, EU:T:2019:579, point 79 ; voir également, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 51). Une telle référence explicite est cependant indispensable lorsque, à défaut de celle-ci, les intéressés et le juge de l’Union européenne sont laissés dans l’incertitude quant à la base juridique précise (arrêt du 25 mars 2015, Central Bank of Iran/Conseil, T‑563/12, EU:T:2015:187, point 68).

40      Enfin, il y a lieu de rappeler que la question de la motivation, qui concerne une formalité substantielle, est distincte de celle de la preuve du comportement allégué, laquelle relève de la légalité au fond de l’acte en cause et implique de vérifier la réalité des faits mentionnés dans cet acte ainsi que la qualification de ces faits comme constituant des éléments justifiant l’application de mesures restrictives à l’encontre de la personne concernée (arrêts du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 60, et du 9 décembre 2014, Peftiev/Conseil, T‑441/11, non publié, EU:T:2014:1041, point 146 ; voir également, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2011, Bank Melli Iran/Conseil, C‑548/09 P, EU:C:2011:735, point 88).

41      En l’espèce, en premier lieu, d’une part, il convient de constater que les motifs énoncés aux points 10 et 21 ci-dessus visent le critère prévu à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), et à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145 modifiée ainsi qu’à l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 269/2014 modifié [ci-après le « critère a) »] en indiquant que le requérant « soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine ». D’autre part, le critère prévu à l’article 1er, paragraphe 1, sous e), et à l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145 modifiée ainsi qu’à l’article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement no 269/2014 modifié [ci-après le « critère g) »] est également visé, en ce qu’il est énoncé que le requérant est « un des hommes d’affaires influents intervenant dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine ». Partant, même si la motivation ne fait pas expressément référence aux dispositions établissant le critère a) et le critère g), elle s’y rattache nécessairement au vu de sa formulation presque identique à celle de ces derniers.

42      En second lieu, s’agissant des critères prévus à l’article 1er, paragraphe 1, sous b), à l’article 2, paragraphe 1, sous d), de la décision 2014/145 modifiée ainsi qu’à l’article 3, paragraphe 1, sous d), du règlement no 269/2014 modifié [ci-après le « critère d) »] et à l’article 1er, paragraphe 1, sous d), à l’article 2, paragraphe 1, sous f), de la décision 2014/145 modifiée ainsi qu’à l’article 3, paragraphe 1, sous f), du règlement no 269/2014 modifié [ci-après le « critère f) »], force est de constater que, par opposition aux critères a) et g), il ne résulte pas de manière suffisamment claire de la lecture des motifs des actes attaqués que le Conseil a inscrit le nom du requérant sur les listes litigieuses au titre de ces critères.

43      En effet, il convient de rappeler que les critères d) et f) visent les personnes apportant un « soutien matériel ou financier » respectivement aux « décideurs russes » ou au « gouvernement de la Fédération de Russie » ou « qui tirent avantage » de ces décideurs ou de ce gouvernement.

44      Or, d’une part, aucun élément témoignant d’un éventuel « avantage » que tirerait le requérant des décideurs russes ou du gouvernement de la Fédération de Russie ne ressort des motifs énoncés aux points 10 et 21 ci-dessus.

45      D’autre part, s’agissant de l’éventuel « soutien matériel ou financier » qu’apporterait le requérant aux « décideurs russes » ou au « gouvernement de la Fédération de Russie », il convient de relever qu’il est invoqué dans l’exposé des motifs que « le fait qu’il a été invité à participer à cette réunion montre qu’il appartient au cercle le plus proche de Vladimir Poutine et qu’il soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine ». Comme il a été constaté au point 41 ci-dessus, cette formule est presque identique à celle du critère a) et l’intéressé établira immédiatement un lien avec ce dernier.

46      Certes, les critères énoncés dans la décision 2014/145 modifiée et dans le règlement no 269/2014 modifié ne sont pas exclusifs. Il convient également d’admettre qu’un certain recoupement ne peut être exclu entre, d’une part, le soutien aux actions et politiques compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ou à sa stabilité et à sa sécurité, visé par le critère a), et, d’autre part, le soutien matériel ou financier aux décideurs russes ou au gouvernement de la Fédération de Russie visé par les critères d) et f). Néanmoins, la reproduction littérale du critère a) au sein des exposés des motifs est de nature à exclure l’identification par le requérant d’un autre critère lié à une forme de soutien tel que cela est énoncé par les critères d) et f). Il ressort donc de ce qui précède, eu égard à la jurisprudence citée au point 39 ci-dessus, que les critères d) et f) ne peuvent être rattachés aux exposés des motifs de manière claire.

47      Partant, la motivation des actes attaqués peut uniquement être appréciée en ce qui concerne les critères a) et g).

48      À cet égard, la mention dans l’exposé des motifs, d’une part, de la qualité du requérant d’entrepreneur ayant des intérêts commerciaux dans les secteurs de l’agriculture et de la promotion immobilière, notamment par le biais de Rusagro Group, un grand producteur de viande porcine, de graisses et de sucre et, d’autre part, de sa participation avec 36 autres hommes d’affaires à une réunion, le 24 février 2022, en présence du président Poutine et de membres du gouvernement russe, afin de discuter de l’incidence des choix à opérer à la suite des sanctions occidentales (ci-après la « réunion du 24 février »), lui permet de comprendre l’affirmation, présente dans les motifs, selon laquelle il est un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, soit le critère g).

49      De même, s’agissant du critère a), la mention, dans les motifs des actes attaqués, de la participation du requérant à la réunion du 24 février lui a permis de comprendre la raison pour laquelle le Conseil avait considéré qu’il soutenait ou mettait en œuvre des actions ou des politiques qui compromettaient ou menaçaient l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

50      Dans la mesure où les motifs, en ce qu’ils concernent le critère a) et le critère g), fournissent une motivation autonome et suffisante aux actes attaqués, il y a lieu de conclure que le Conseil s’est acquitté de l’obligation prévue par l’article 296 TFUE.

51      Ce constat ne saurait être remis en cause par les arguments du requérant visant à contester le bien-fondé des motifs sur le fondement desquels son nom a été inscrit et maintenu sur les listes litigieuses par les actes attaqués, qui seront examinés dans le cadre du moyen tiré de l’erreur d’appréciation.

52      Dès lors, le premier moyen doit être rejeté.

B.      Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation

1.      Considérations liminaires

53      Le Tribunal estime pertinent de commencer par l’examen du bien-fondé de l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses au titre du critère g).

54      En premier lieu, il convient de souligner que le critère g) prévoit que sont inscrits sur les listes litigieuses les femmes et hommes d’affaires influents, les personnes morales et les entités ou organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine.

55      À cet égard, il convient de souligner que le critère g) doit être interprété en ce sens qu’il vise les revenus fournis par le secteur dans lequel le requérant a une activité, et non ses propres revenus ou ceux de l’entreprise dans laquelle il est impliqué. Ce constat résulte du libellé dudit critère ainsi que des objectifs poursuivis par la réglementation régissant les mesures restrictives en cause, à savoir accroître la pression sur la Fédération de Russie et le coût des actions de cette dernière visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et promouvoir un règlement pacifique de la crise.

56      En deuxième lieu, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de l’exception d’illégalité du critère g), soulevée pour la première fois au stade de la réplique par le requérant, il convient de constater qu’elle ne peut être accueillie.

57      Selon l’article 277 TFUE, toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’Union, se prévaloir des moyens prévus à l’article 263, deuxième alinéa, pour invoquer devant la Cour de justice de l’Union européenne l’inapplicabilité de cet acte.

58      De plus, selon une jurisprudence constante, les juridictions de l’Union doivent, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité FUE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union. Cette exigence est expressément consacrée à l’article 275, second alinéa, TFUE (voir arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 58 et jurisprudence citée, et du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 65 et jurisprudence citée).

59      Il n’en demeure pas moins que le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la définition générale et abstraite des critères juridiques et des modalités d’adoption des mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41 et jurisprudence citée). Par conséquent, les règles de portée générale définissant ces critères et ces modalités, telles que les dispositions des actes attaqués prévoyant les critères litigieux visés par le présent moyen, font l’objet d’un contrôle juridictionnel restreint, se limitant à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur de droit ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, EU:T:2009:266, points 44 et 45).

60      Le requérant soutient que le critère g) est imprécis et incohérent et viole ses droits fondamentaux ainsi que ses droits de la défense au motif qu’il a été sanctionné en raison du fait « objectif » de son implication dans le secteur agricole alors que de nombreuses personnes et sociétés de premier plan exerçant des activités dans ce secteur n’auraient pas fait l’objet de mesures restrictives.

61      À cet égard, tout d’abord, il importe de souligner que le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation lui permettant, le cas échéant, de ne pas soumettre une telle personne aux mesures restrictives, s’il estime que, au regard de leurs objectifs, il ne serait pas opportun de le faire (arrêt du 22 avril 2015, Tomana e.a./Conseil et Commission, T‑190/12, EU:T:2015:222, point 243).

62      Ensuite, il y a lieu de constater que le pouvoir d’appréciation conféré au Conseil par le critère g) ne heurte pas l’exigence de prévisibilité, dès lors que ledit critère est suffisamment clair et prévisible pour remplir les exigences de sécurité juridique et s’inscrit dans un cadre juridique clairement délimité par les objectifs poursuivis par la réglementation régissant les mesures restrictives en cause, rappelés au point 55 ci-dessus, en substance, la nécessité, compte tenu de la gravité de la situation, d’exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine.

63      Enfin, le critère g) vise de manière ciblée et sélective les femmes et hommes d’affaires influents et les personnes morales ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement russe. À cet égard, au vu de l’importance de certains secteurs économiques pour l’économie russe, il existe un lien logique entre le fait de cibler les femmes et les hommes d’affaires influents exerçant leurs activités dans ces secteurs fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement russe et l’objectif des mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 157).

64      Dès lors, il convient d’écarter les arguments du requérant tirés de la prétendue illégalité du critère g).

65      En troisième lieu, il importe de relever que le deuxième moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation, et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, s’il est certes vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer, au cas par cas, si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir arrêts du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, points 54 et 55 et jurisprudence citée, et du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 61 et jurisprudence citée).

66      Par ailleurs, il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

67      Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre l’entité sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 72 ; voir également, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑630/13 P, EU:C:2015:247, point 53).

68      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (voir arrêt du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 63 et jurisprudence citée).

69      C’est à la lumière de ces règles jurisprudentielles qu’il convient d’examiner le bien-fondé des arguments du requérant.

70      À cet égard, une distinction doit être faite entre les actes initiaux, les actes de septembre 2022 et les actes de mars et avril 2023.

2.      Sur les actes initiaux

71      Le requérant fait valoir que les documents produits par le Conseil n’apportent aucun élément de preuve afin d’étayer, premièrement, que le secteur agricole constitue une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, deuxièmement, que le secteur de la promotion immobilière constitue une source substantielle de revenus pour ledit gouvernement, troisièmement, qu’il intervient dans ce dernier secteur, quatrièmement, que Rusagro Group constitue une source substantielle de revenus pour ce même gouvernement et, cinquièmement, qu’il appartient à ce qui est qualifié de cercle le plus proche du président Poutine et qu’il soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine.

72      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

a)      Sur la valeur probante et la recevabilité des éléments de preuve

73      Le requérant estime que les éléments de preuve sur lesquels se fonde le Conseil pour inscrire son nom sur les listes annexées aux actes initiaux consistent en une simple compilation d’articles de presse et de messages provenant de médias sociaux et de sites Internet. Premièrement, le Conseil n’aurait pas pris la peine d’extraire une liste officielle des participants à la réunion du 24 février, mais se serait fondé sur un fil de discussion de Twitter. Il n’aurait pas davantage examiné le compte rendu officiel de ladite réunion.

74      Deuxièmement, les preuves issues de Wikileaks ne seraient pas fiables et auraient été obtenues illégalement. Ainsi, le Conseil aurait omis de vérifier non seulement l’auteur et la fiabilité de la capture d’écran, mais aussi sa date, qui remonterait à 2010. Par cet élément de preuve, le Conseil invoquerait une relation spéciale entre le requérant et Sberbank, mais n’expliquerait pas pourquoi cette information serait pertinente au regard des critères d’inscription sur la liste. En outre, cette allégation serait inexacte. Enfin, tout en admettant que le Tribunal a, par le passé, pris en considération des éléments provenant de Wikileaks, il exigerait que les éléments soient à tout le moins crédibles et celui-ci ne devrait pas être pris en considération.

75      Troisièmement, le requérant observe que le Conseil produit un communiqué de presse faisant état de la signature par Rusagro Group et Sberbank d’un accord de coopération stratégique. À cet égard, il estime que de tels accords-cadres revêtent un caractère déclaratif et que, à ce jour, aucune action n’a été entreprise dans le cadre dudit accord.

76      Quatrièmement, le requérant fait valoir dans la réplique que ni l’article produit par le Conseil dans le mémoire en défense intitulé « The importance of Russia’s agricultural sector in the MENA geopolitics » (l’importance du secteur agricole russe dans la politique de la région MENA), ni l’allégation y figurant selon laquelle le secteur agricole russe engendre 4 % du produit intérieur brut (PIB) et emploie 10 % de la main-d’œuvre n’ont été cités dans l’exposé des motifs ou au sein du dossier WK et n’ont donc pas été utilisés au moment de l’adoption des actes initiaux, de sorte qu’ils ne sauraient être invoqués par ce dernier. En outre, ledit article ne constituerait pas une preuve suffisamment fiable dès lors que les affirmations avancées ne renverraient à aucune source et que l’auteur ne serait pas indépendant.

77      Le Conseil estime, s’agissant de l’article mentionné au point 76 ci-dessus, que celui-ci témoigne de l’importance du secteur agricole pour l’économie russe. Il précise que l’article est antérieur de presque une année aux évènements ayant conduit à l’adoption des actes initiaux. En outre, le requérant ne contesterait pas le contenu de cette étude.

78      Il y a lieu de rappeler que l’activité de la Cour et du Tribunal est régie par le principe de libre appréciation des preuves et que le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. En outre, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue et tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration et de son destinataire et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable [voir arrêt du 24 novembre 2021, Al Zoubi/Conseil, T‑257/19, EU:T:2021:819, point 72 (non publié) et jurisprudence citée].

79      En outre, en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse, des rapports des services secrets ou d’autres sources d’information similaires (voir arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 59 et jurisprudence citée).

80      En outre, il importe de relever que la situation de conflit dans lequel la Fédération de Russie et l’Ukraine sont impliquées rend en pratique particulièrement difficile l’accès à certaines sources, l’indication expresse de la source primaire de certaines informations ainsi que l’éventuel recueil de témoignages de la part de personnes acceptant d’être identifiées. Les difficultés d’investigation qui s’ensuivent peuvent ainsi contribuer à faire obstacle à ce que des preuves précises et des éléments d’information objectifs soient apportés [voir, en ce sens, arrêts du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 46, et du 24 novembre 2021, Al Zoubi/Conseil, T‑257/19, EU:T:2021:819, point 73 (non publié)].

81      En l’espèce, pour justifier l’inscription du nom du requérant sur les listes annexées aux actes initiaux, le Conseil a produit le premier dossier WK comportant sept éléments de preuve. Il convient de relever qu’il s’agit d’éléments d’information publiquement accessibles, à savoir :

–        des extraits du compte Twitter d’un journaliste indiquant les participants à la réunion du 24 février (pièce no 1) ;

–        un article sur le site de Roscongress, un forum économique, présentant le requérant (pièce no 2) ;

–        un document Word rendu public par l’intermédiaire de Wikileaks (pièce no 3) ;

–        un article du site de Sberbank du 16 juin 2016 (pièce no 4) ;

–        un article du site « The Bell » du 13 mars 2021 (pièce no 5) ;

–        un article du site de Rusagro Group préfaçant le rapport annuel de l’année 2020 (pièce no 6) ;

–        un article de l’agence de presse Interfax du 29 septembre 2021 (pièce no 7).

82      En premier lieu, il convient de rejeter l’affirmation du requérant selon laquelle le Conseil se fonde, pour inscrire son nom sur les listes annexées aux actes initiaux, sur une simple compilation d’articles de presse, de messages provenant de médias sociaux et de sites Internet dès lors qu’il ressort du point 79 ci-dessus que, en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse ou d’autres sources d’information similaires.

83      En deuxième lieu, s’agissant de l’affirmation du requérant selon laquelle le Conseil n’a pas pris la peine d’extraire une liste officielle des participants à la réunion du 24 février, mais s’est fondé sur un fil de discussion de Twitter sans examiner son compte rendu officiel, il convient de constater que l’objet de la pièce no 1 est uniquement d’attester la présence du requérant parmi d’autres hommes d’affaires à ladite réunion. Partant, il suffit de constater que le requérant reconnaît y avoir assisté.

84      En troisième lieu, s’agissant de la pièce no 3 constituée par un document provenant de Wikileaks, il convient de rappeler que des câbles diplomatiques rendus publics par l’intermédiaire de cette dernière ont déjà été pris en considération au titre du principe de la libre administration des preuves. Ainsi, dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 septembre 2013, Persia International Bank/Conseil [T‑493/10, EU:T:2013:398, points 94 et 95 (non publiés)], il a été considéré que, dans la mesure où la partie requérante n’avait pas été impliquée dans la divulgation des câbles diplomatiques, le caractère éventuellement illégal de cette divulgation ne pouvait pas lui être opposé.

85      En l’espèce, il convient de souligner que le requérant a contesté l’affirmation contenue dans la pièce no 3 selon laquelle il entretenait une relation spéciale avec la banque Sberbank et était un actionnaire minoritaire de cette dernière. À cet égard, sans aborder à ce stade la question du bien-fondé de cette affirmation, il y a lieu de constater que, en dépit de son absence de date, la valeur probante de cette source ne peut être totalement écartée. Partant, dans le cadre de l’analyse au fond, il conviendra de la replacer dans le contexte des autres éléments de preuve produits par les parties.

86      En quatrième lieu, s’agissant de la pièce n o 4, il suffit de mentionner que le requérant se limite à faire valoir que des accords de coopération stratégique tels que celui signé entre Rusagro Group et Sberbank revêtent pour la plupart un caractère déclaratif, qu’aucune action n’a été entreprise dans le cadre dudit accord et que cette affirmation ne concerne pas la valeur probante de cette source.

87      En cinquième lieu, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel ni l’article « The Importance of Russia’s agricultural sector in the MENA geopolitics », ni l’allégation qui y est contenue selon laquelle le secteur agricole russe engendre 4 % du PIB et emploie 10 % de la main-d’œuvre, ne sont cités dans l’exposé des motifs ou dans le premier dossier WK et que ni l’un ni l’autre n’auraient donc été utilisés au moment de l’adoption des actes initiaux, il convient de rappeler que le contrôle de la légalité au fond qui incombe au Tribunal doit être effectué, en ce qui concerne en particulier le contentieux des mesures restrictives, à l’aune non seulement des éléments figurant dans les exposés des motifs des actes litigieux, mais également de ceux que le Conseil fournit, en cas de contestation, au Tribunal pour établir le bien-fondé des faits allégués dans ces exposés, pourvu qu’il ait disposé de ces éléments lors de l’adoption desdits actes (voir arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 52 et jurisprudence citée).

88      En l’espèce, l’article en cause, daté du 1er mars 2021, est antérieur aux actes initiaux et disponible en ligne. Toutefois, le Conseil n’a pas démontré avoir disposé de cet élément lorsqu’il a adopté lesdits actes. Or, il convient de rappeler que le Tribunal a déjà considéré dans l’arrêt du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil (T‑262/15, EU:T:2017:392, point 104), qu’il ne saurait être présumé que le Conseil avait eu connaissance de tout document concernant la partie requérante du simple fait que ce document était public. Partant, il y a lieu de constater que cet article ne fait pas partie des preuves sur lesquelles s’est fondé le Conseil pour adopter les actes initiaux et ne saurait être pris en compte pour vérifier le bien-fondé desdits actes.

b)      Sur l’application au requérant du critère g)

89      Selon le requérant, le Conseil n’a pas produit d’éléments de preuve permettant d’affirmer que le secteur agricole et son intervention dans ce secteur constituaient une source substantielle de revenus pour le gouvernement russe. Premièrement, le requérant estime que le secteur agricole ne constitue pas une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie. Il ne conteste pas que ledit secteur est important pour l’économie russe, car il vise à assurer la mise en œuvre du droit à l’alimentation. Il observe que le Conseil ne donne pas suffisamment d’indications quant à la signification des termes « substantielle » et « revenu ». Le requérant estime qu’il s’agit des recettes fiscales. Toutefois, les impôts frappant le secteur agricole ne contribueraient pas substantiellement au budget. De plus, même s’il était tenu compte de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, ce qu’il conteste, ce revenu ne serait que de 0,47 % du total des impôts versés. Il rappelle également que le Conseil n’a pas apporté la preuve spécifique et concrète que la contribution du secteur agricole était substantielle en raison de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et des droits à l’importation et à l’exportation perçus. En outre, les dépenses publiques pour le développement du secteur seraient supérieures à sa contribution fiscale. Enfin, l’imposition de mesures restrictives à l’encontre d’une personne en raison de ses activités agricoles serait en contradiction avec la politique de l’Union pour des raisons de sécurité alimentaire.

90      Deuxièmement, les intérêts commerciaux du requérant dans le secteur agricole ne constitueraient pas une source substantielle de revenus pour le gouvernement russe. Il mentionne que les documents de travail du Conseil sont inexacts s’agissant de sa participation indirecte dans Ros Agro, une société holding chypriote de Rusagro Group, qui ne serait que de 43,12 %. Il ne serait donc pas un actionnaire majoritaire. De plus, outre le fait que l’ensemble du secteur agricole n’apporterait pratiquement pas de revenus au gouvernement, la contribution fiscale directe de Rusagro Group serait insignifiante. Une experte nommée par le requérant estimerait que la plupart des revenus de Rusagro Group sont soumis à l’impôt sur les bénéfices des sociétés à un taux de 0 %. Par ailleurs, même les montants de l’impôt soumis au taux de 20 % n’iraient pas au budget fédéral dans leur intégralité. Les montants issus de la taxe sur l’eau seraient pour leur part insignifiants et la TVA serait payée par le consommateur. Partant, les montants versés à ce titre par Rusagro Group ne pourraient représenter une contribution au budget fédéral.

91      Troisièmement, le Conseil n’aurait pas prouvé que l’intervention du requérant dans le secteur de la promotion immobilière constituait une source substantielle de revenus et le fondement de cette affirmation ne serait précisé ni dans les actes initiaux ni dans le premier dossier WK. Le Conseil se serait limité à affirmer que le requérant avait fondé la société Avgur Estate en 1992 et omettrait de relever qu’il l’a revendue. En outre, l’argumentation développée dans le mémoire en défense selon laquelle il serait impossible d’acquérir une position aussi importante sur le marché foncier sans avoir d’intérêts dans ce secteur ne figurerait pas dans l’exposé des motifs.

92      Quatrièmement, s’agissant de la présence du requérant à la réunion du 24 février, le Conseil aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant de ce fait qu’il appartenait au cercle restreint du président Poutine et qu’il était un des hommes d’affaires influents intervenant dans des secteurs économiques qui constituent une source de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie. Le requérant considère que sa participation à ladite réunion ne saurait être une indication d’une relation personnelle avec le président. Il indique que la réunion était formelle et ne comprenait pas de véritable discussion sur les questions géopolitiques, mais sur la politique intérieure. La présence d’hommes d’affaires viserait à montrer l’engagement du gouvernement russe à établir un environnement commercial normal. Ce type de réunions serait courant, non seulement avec des hommes d’affaires russes et étrangers, mais également dans d’autres pays.

93      Enfin, cinquièmement, le requérant relève que le Conseil n’a pas expliqué ce qu’il fallait entendre par « cercle le plus proche » ou « cercle restreint ». Le requérant souligne ne pas appartenir à un tel cercle et ne pas avoir d’engagement politique. En outre, son désaccord avec la politique gouvernementale relative au secteur agricole, formulé lors d’une réunion du 11 mars 2021, aurait gravement affecté son activité commerciale. La critique aurait été suivie d’un nombre anormalement élevé de contrôles par les agences gouvernementales. Rusagro Group se serait également vu refuser des subventions agricoles. De plus, même avant ces déclarations, Rusagro Group aurait subi un certain degré de pression de la part des autorités avec des « descentes » dans ses locaux de la part du service fédéral de sécurité et du service fédéral des impôts. Par exemple, il aurait revendu sa société de promotion immobilière, car il n’était pas en mesure d’obtenir de la ville de Moscou (Russie) des permis.

94      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

95      Il convient d’examiner, d’une part, si le requérant est un homme d’affaires influent et, d’autre part, s’il exerce une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

1)      Sur la qualification du requérant d’« homme d’affaires influent »

96      À titre liminaire, il y a lieu de constater que, eu égard au libellé du critère g), les personnes visées par ce dernier doivent être considérées comme influentes du fait de leur importance dans le secteur dans lequel elles exercent leur activité et de l’importance pour l’économie desdits secteurs.

97      En l’espèce, il convient de souligner que le requérant indique lui-même être un homme d’affaires russe renommé et un philanthrope.

98      En premier lieu, il ressort de l’exposé des motifs et du premier dossier WK que le requérant exerce son activité dans le secteur de l’agriculture. À cet égard, le requérant ne conteste pas que, au jour de l’adoption des actes initiaux, il était président du conseil d’administration de Rusagro Group, décrit dans les pièces nos 2 et 5, respectivement, comme le plus grand groupe agro-industriel intégré verticalement de Russie et comme le plus grand groupe agricole du pays. En préface de son rapport annuel de l’année 2020 constituant la pièce no 6, le requérant présente lui-même cette entreprise comme la plus grande productrice d’huile de tournesol et de margarine ainsi que la deuxième de graisses industrielles et de mayonnaise du pays et la troisième de viande de porc et de sucre. De plus, il indique que Rusagro Group est le quatrième propriétaire foncier de Russie. En outre, le fait que la part des actions détenues par le requérant de Ros Agro, la société holding de Rusagro Group, cotée à la bourse de Londres (Royaume-Uni) et à celle de Moscou, se soit élevée, au jour de l’adoption des actes initiaux, à 43,12 %, comme le fait valoir le requérant, ou à environ 70 %, comme il ressort des pièces nos 2 et 7, témoigne en toute hypothèse du rôle essentiel et des intérêts commerciaux de ce dernier au sein de ladite société.

99      En deuxième lieu, il y a lieu de préciser que Rusagro Group ne se limite pas à être un producteur de denrées agricoles, mais diversifie ses activités en Russie. En effet, dans la pièce no 6, le requérant souligne ses réussites dans le secteur du détail en proposant des marques de sucre telles que Russkii Sakhar, Chaikofsky, Khoroshy et Mon Café, qui représentaient, en 2020, 46 % du marché du sucre blanc en morceaux, et Brauni brand, qui représentait 29 % du marché du sucre brun en morceaux. Il indique également dans cette même pièce que des marques d’huile et de mayonnaise obtiennent également des parts importantes dans des marchés locaux.

100    En troisième lieu, bien que la présence, incontestée, du requérant à la réunion du 24 février ne soit pas à elle seule déterminante, cet élément corrobore sa qualité d’homme d’affaires influent ressortant des points 96 à 99 ci-dessus. En effet, le requérant, parmi tous les hommes d’affaires actifs en Russie, fait partie des seules 37 personnes qui ont été conviées à cette réunion. Il a d’ailleurs mentionné, au point 124 de la requête, un lien vers un article de presse, dans lequel l’attaché de presse du président Poutine a annoncé ce qui suit :

« [L]e président [Poutine] a une réunion avec des représentants de la communauté d’affaires russe […] Ce sont les dirigeants de nos plus grandes entreprises, organisations, dans divers secteurs de l’économie. Ce sont les plus gros employeurs. »

101    Eu égard à l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de constater que le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles de mettre en évidence le fait que le requérant était un homme d’affaires influent.

102    Cette conclusion ne saurait être remise en cause, premièrement, par l’argument du requérant selon lequel sa participation à la réunion du 24 février ne saurait être une indication d’une relation personnelle avec le président Poutine ou du fait qu’il appartient au cercle le plus proche de ce dernier. À cet égard, il estime que son activité commerciale a été affectée en raison de son désaccord avec la politique gouvernementale relative au secteur agricole, ce qui constituerait un exemple du fait qu’il peut difficilement être considéré comme appartenant au cercle restreint dudit président. En l’espèce, il suffit de relever qu’il n’est pas nécessaire d’appartenir au cercle le plus proche du président pour être un homme d’affaires influent et que la seule présence du requérant à la réunion du 24 février réunissant les dirigeants des entreprises les plus importantes de Russie renforce ce statut, ainsi qu’il ressort du point 100 ci-dessus.

103    Par ailleurs, s’agissant de l’argument tiré du désaccord du requérant avec la politique agricole gouvernementale, il convient de constater que celui-ci a indiqué, lors d’une réunion par vidéoconférence avec le président Poutine, le 11 mars 2021, qu’il ne considérait pas les mesures du gouvernement concernant un droit à l’exportation sur l’huile de tournesol comme réellement bénéfiques. Le Conseil confirme d’ailleurs l’existence, en 2021, d’un tel désaccord ayant entraîné des conséquences sous la forme de contrôles fiscaux et des contrôles en matière de concurrence à répétition. Toutefois, l’existence de ces contrôles n’est pas de nature à démontrer que le requérant n’est pas un homme d’affaires influent. À cet égard, il y a lieu de constater que cette notion n’implique pas nécessairement la capacité de changer directement les décisions du gouvernement. Au contraire, il pourrait être affirmé que la prise de parole du requérant témoignait d’une certaine assise dans le monde des affaires l’autorisant à émettre une opinion sur la politique économique et, partant, corroborait sa qualité d’homme d’affaires influent.

104    Deuxièmement, s’agissant de l’éventuel caractère erroné de l’indication selon laquelle le requérant est un actionnaire minoritaire de Sberbank, il suffit de constater que cette information figure uniquement dans les informations d’identification du requérant et ne remet pas en cause les motifs étayant sa qualité d’homme d’affaires influent.

2)      Sur la question de savoir si les secteurs dans lesquels le requérant exerce des activités fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie

105    Il y a lieu d’examiner si le Conseil pouvait, sans commettre d’erreur d’appréciation, considérer que le requérant avait une activité dans des secteurs économiques qui fournissaient une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

106    À titre liminaire, il convient de constater que ni la décision 2014/145 modifiée ni le règlement no 269/2014 modifié ne définissent la notion de « source substantielle de revenus ». Toutefois, la définition du terme « revenu » proposée par le requérant selon laquelle ne devraient être pris en compte que les revenus fiscaux directs provenant des entreprises du secteur ne peut être admise dès lors que rien dans le libellé du critère g) ne permet d’exclure la prise en compte d’autres types de revenus.

107    Tout d’abord, il y a lieu de relever, premièrement, d’une part, qu’il ressort de la pièce no 5 que le président Poutine a déclaré, lors de son intervention du 11 mars 2021 mentionnée au point 103 ci-dessus, que la crise sur les marchés des denrées de base était terminée et que les tendances pour l’année 2021 étaient caractérisées par des sommets record impliquant des profits importants pour les exportateurs russes. D’autre part, il est précisé, dans cette pièce, que les autorités ont rencontré des difficultés afin de contrôler les prix des céréales, de l’huile végétale et du sucre qui augmentaient rapidement. Lesdites autorités ont également évoqué la mise en place de taxes sur les exportations. Deuxièmement, la pièce no 7 illustre également que le président-directeur général de Rusagro Group voyait une amélioration potentielle en 2021 des résultats en dépit du record de l’année précédente et de la régulation par le gouvernement des prix et des exportations des produits agricoles. Partant, il ressort des pièces nos 5 et 7 que les exportations dans le secteur de l’agriculture étaient florissantes, que les prix des produits agricoles avaient augmenté et que des taxes sur les exportations avaient été mises en place.

108    Ensuite, il convient de constater que le requérant ne conteste pas ces constatations. Au contraire, il les confirme et les corrobore. Premièrement, le requérant soutient, dans sa lettre du 18 mai 2022, que le secteur agricole russe est l’un des plus importants producteurs de denrées agricoles au monde et un des cinq plus grands exportateurs de céréales. Deuxièmement, il a affirmé, à l’occasion de son intervention lors de la réunion du 11 mars 2021 évoquée aux points 103 et 107 ci-dessus, avoir assisté, durant la dernière décennie, non seulement à une croissance de la production agricole de manière générale, mais aussi à une augmentation de la part de tels produits dans la croissance nationale globale. Troisièmement, les articles annexés à la requête confirment l’augmentation des prix de la farine évoquée, dans le contexte d’une croissance de la démographie mondiale, de guerres et de phénomènes climatiques réduisant les récoltes dans d’autres régions productrices de céréales. Quatrièmement, le requérant souligne, à différentes occasions, que Rusagro Group a exporté à lui seul, en 2021, pour approximativement 102,6 millions de dollars des États-Unis (USD) (environ 90,2 millions d’euros) de produits agricoles à l’Union, plus de 198,35 millions d’USD (environ 174,3 millions d’euros) à la Turquie et plus encore au reste du monde. À cet égard, ces montants ne provenant que de Rusagro Group, certes leader d’un secteur agricole, qui comptait, en 2021, selon le requérant, environ 30 500 entités, il y a lieu de constater qu’ils sont d’autant plus élevés à l’échelle de l’ensemble dudit secteur.

109    Enfin, au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de constater que le secteur de l’agriculture, qui donne lieu à des exportations importantes engendrant également un afflux de liquidités, constitue une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, et ce en dépit du fait incontesté selon lequel ledit secteur bénéficie de subventions.

110    Ce constat est renforcé par la présence du requérant à la réunion du 24 février avec le président Poutine, des membres du gouvernement russe et 36 autres hommes d’affaires de premier plan. En effet, ladite réunion, ayant pour objectif de discuter de l’incidence des choix à opérer à la suite des sanctions occidentales alors que l’agression de Ukraine venait d’être déclenchée, a eu lieu à une période cruciale pour le gouvernement ainsi que pour l’économie et corrobore l’importance économique du secteur agricole dans lequel le requérant opère.

111    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments du requérant.

112    Premièrement, s’agissant du rapport du 17 mai 2022 d’une experte russe en droit fiscal produit par le requérant afin d’étayer son affirmation selon laquelle les recettes fiscales apportées par le secteur agricole au budget russe ne représenteraient qu’une contribution fiscale insignifiante par rapport aux recettes fiscales totales du budget de la Fédération de Russie, il convient de rappeler que, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information, tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration et de son destinataire et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable. Or, en l’espèce, il y a lieu d’observer que ledit rapport a été établi à la demande du requérant aux fins de sa défense dans le cadre du présent recours et, de ce fait, n’a qu’une valeur probante limitée (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 2018, Klyuyev/Conseil, T‑731/15, EU:T:2018:90, point 124).

113    En tout état de cause, quand bien même la contribution fiscale directe limitée des entreprises du secteur agricole serait établie, elle n’implique pas que ledit secteur ne fournit pas une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie. En effet, cet argument fait abstraction du paiement d’autres revenus indirects tels que la TVA perçue sur les produits du secteur, les impôts sur les revenus des employés et les cotisations de sécurité sociale. Or, quand bien même ces impôts sont payés par les consommateurs, les salariés ou les entreprises du secteur selon le cas, il n’en demeure pas moins qu’ils peuvent constituer une source substantielle de revenus et que rien dans le libellé du critère g) ne permet d’exclure leur prise en compte, ainsi qu’il ressort du point 106 ci-dessus.

114    Deuxièmement, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel le Conseil ne saurait inférer du paiement de ses impôts son soutien au régime, dans la mesure où un tel paiement constitue une obligation légale applicable à l’ensemble des contribuables (arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil, T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748, point 169), il convient de souligner que la jurisprudence invoquée à l’appui de cette affirmation visait un autre critère relatif au soutien au régime, alors que, dans les circonstances de l’espèce, le critère concerne un secteur fournissant une source substantielle de revenus. Partant, cet argument ne saurait prospérer.

115    Troisièmement, doit être rejeté comme inopérant l’argument du requérant selon lequel, en substance, ses intérêts commerciaux et ceux de Rusagro Group dans le secteur agricole ne constitueraient pas des revenus substantiels au gouvernement de la Fédération de Russie. En effet, ainsi qu’il ressort du point 55 ci-dessus, il suffit de constater que le critère g) vise les revenus fournis par le secteur dans lequel le requérant a une activité et non les siens ou ceux de l’entreprise qui lui est associée.

116    Quatrièmement, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel le Conseil n’a pas prouvé que son intervention dans le secteur de la promotion immobilière constituait une source substantielle de revenus, il convient de relever qu’il est certes indiqué dans l’exposé des motifs que le requérant détient des intérêts commerciaux dans les secteurs de l’agriculture et de la promotion immobilière. À cet égard, le Conseil admet implicitement l’allégation du requérant selon laquelle ce dernier a vendu sa société Avgur Estate, impliquée dans un projet immobilier à Moscou, élément qui ressort au demeurant de la pièce no 2. Toutefois, la référence, dans l’exposé des motifs, aux intérêts commerciaux du requérant dans le secteur de la promotion immobilière doit être lue à la lumière de la déclaration de ce dernier, mentionnée dans la pièce no 6, selon laquelle Rusagro Group est le quatrième propriétaire foncier de Russie. Par conséquent, cet élément se limite à confirmer la place de Rusagro Group et du requérant au sein du secteur agricole russe.

117    Au regard de l’ensemble des éléments qui précèdent, il y a lieu de constater que le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles de mettre en évidence le fait que le requérant était un homme d’affaires influent ayant une activité dans un secteur économique fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

118    Partant, s’agissant des actes initiaux, il convient de rejeter le deuxième moyen pour autant qu’il est fondé sur l’erreur d’appréciation du Conseil au regard du critère g).

119    Selon la jurisprudence, s’agissant du contrôle de la légalité d’une décision adoptant des mesures restrictives, et eu égard à leur nature préventive, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72 et jurisprudence citée).

120    En conséquence, il n’y a pas lieu d’examiner le moyen tiré de l’erreur d’appréciation du Conseil au regard du critère a).

3.      Sur les actes de septembre 2022

121    Le requérant fait valoir, dans son premier mémoire en adaptation, que le Conseil n’a pas tenu compte de sa démission de ses fonctions au sein de Rusagro Group le 10 mars 2022. Ainsi, il n’aurait fourni aucun élément de preuve quant à la pertinence de ses fonctions passées aux fins de la prorogation des mesures restrictives. En outre, il n’aurait pas davantage démontré, plusieurs mois après la démission du requérant et sa participation à la réunion du 24 février, l’existence d’un lien suffisant entre lui et le régime, s’agissant de la situation en Ukraine.

122    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

123    Il importe de rappeler que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures restrictives, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur la liste litigieuse ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (voir arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 67 et jurisprudence citée).

124    En outre, pour justifier le maintien du nom d’une personne sur la liste, il n’est pas interdit au Conseil de se fonder sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié l’inscription initiale, la réinscription ou le maintien précédent du nom de la personne concernée sur la liste, pour autant que, d’une part, les motifs d’inscription demeurent inchangés et, d’autre part, le contexte n’a pas évolué d’une manière telle que ces éléments de preuve seraient devenus obsolètes. Ce contexte inclut non seulement la situation du pays à l’égard duquel le système de mesures restrictives a été établi, mais également la situation particulière de la personne concernée (voir arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 78 et jurisprudence citée).

125    En l’espèce, il résulte de l’article 6 de la décision 2014/145 modifiée que les actes attaqués font l’objet d’un suivi constant et sont prorogés, ou modifiés le cas échéant, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints. L’article 14, paragraphe 4, du règlement no 269/2014 modifié prévoit quant à lui la révision à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois de la liste en annexe.

126    Dans le cadre des actes de septembre 2022, il y a lieu de relever, ainsi qu’il ressort du point 15 ci-dessus, que les motifs d’inscription sont demeurés les mêmes que ceux des actes initiaux. En outre, il convient de relever que, pour justifier le maintien du nom du requérant sur les listes, le Conseil s’est fondé sur les mêmes éléments de preuve que ceux figurant dans le premier dossier WK.

127    Il convient donc, en application de la jurisprudence citée au point 124 ci-dessus, de vérifier si le contexte, les objectifs et la situation individuelle du requérant permettaient de maintenir l’inscription de son nom sur la base de motifs inchangés.

128    S’agissant du contexte général lié à la situation de l’Ukraine, force est de constater que, à la date des actes de septembre 2022, la gravité de la situation en Ukraine demeurait.

129    De même, les mesures restrictives étaient toujours justifiées au regard de l’objectif poursuivi, à savoir de faire pression sur le gouvernement russe et d’accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

130    S’agissant de l’argument du requérant selon lequel le Conseil n’a pas tenu compte de la démission de ses fonctions au sein du groupe Rusagro, le 10 mars 2022, il convient de souligner que cette fonction figurait certes toujours dans les informations d’identification du requérant dans les actes de septembre 2022. Toutefois, cette fonction ne figure pas dans l’exposé des motifs. En outre, il y a lieu de constater que le motif selon lequel ce dernier possède des intérêts commerciaux dans le secteur de l’agriculture n’est pas affecté par cette démission. En effet, il n’est pas contesté que le requérant est un actionnaire important de Ros Agro, à tout le moins à la hauteur de 43 %. Dès lors, ladite démission ne saurait affecter la qualification du requérant d’homme d’affaires influent ayant des activités dans des secteurs économiques fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement russe. Partant, c’est à juste titre que le Conseil a estimé que la situation individuelle du requérant n’avait pas évolué d’une manière telle que les éléments du dossier de preuves dans le cadre de l’inscription initiale de son nom seraient devenus obsolètes.

131    Dès lors, compte tenu de la gravité de la situation en Ukraine et du fait que les objectifs visés par les mesures restrictives n’ont pas été atteints ainsi que de l’absence d’éléments nouveaux concernant la situation individuelle du requérant, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a maintenu son nom sur les listes litigieuses.

132    Le deuxième moyen, en ce qu’il concerne les actes de septembre 2022, pour autant qu’il est fondé sur l’erreur d’appréciation du Conseil au regard du critère g), doit donc être rejeté. En conséquence, ainsi qu’il ressort du point 120 ci-dessus, il n’y a pas lieu d’examiner le moyen tiré de l’erreur d’appréciation du Conseil au regard du critère a).

4.      Sur les actes de mars et avril 2023

133    En premier lieu, le requérant réitère n’avoir aucun lien avec l’opération militaire en Ukraine. De plus, il conteste la pertinence de sa participation à la réunion du 24 février en présence du président Poutine en ce qui concerne les actes de mars et avril 2023 en raison de son caractère obsolète. En outre, il estime qu’aucun élément du deuxième dossier WK n’étaye son implication dans le secteur de la promotion immobilière. Il souligne, d’une part, que la propriété de terres agricoles ne peut être mise à profit dans le cadre de projets immobiliers et, d’autre part, que ses intérêts passés dans des projets immobiliers devraient être rejetés aux fins tant des actes d’inscription que de maintien.

134    En deuxième lieu, le requérant réitère détenir 43,12 % des parts de Ros Agro, la société holding de Rusagro Group cotée en bourse, et estime ne pas pouvoir être assimilé à Ros Agro ou à Rusagro Group. En outre, il considère que la pièce no 6 contient des erreurs. Ainsi, les revenus évoqués au soutien de l’affirmation dans les motifs amendés selon laquelle Rusagro Group est « classé première parmi les sociétés agricoles en Russie » auraient été obtenus en 2020 et non en 2021. En outre, certaines sociétés agricoles auraient obtenu plus de revenus que Rusagro Group et cette société ne serait donc pas le premier groupe agricole de Russie. De plus, la pièce no 5 contredirait l’affirmation selon laquelle le requérant ne serait pas fortement affecté par les sanctions et celle selon laquelle Rusagro Group possèderait 637 000 hectares de terres alors que ladite pièce évoquerait 686 000 hectares.

135    En troisième lieu, le requérant rappelle qu’il n’a jamais nié l’existence de subventions supportant le secteur agricole en Russie et que ces mesures diminuent le revenu du gouvernement russe plutôt que de l’augmenter. En outre, le requérant estime que le PIB n’a aucun lien direct avec les revenus du gouvernement. De plus, il estime que le volume des exportations n’est pas indicatif des revenus du gouvernement et réitère qu’une personne ne peut faire l’objet des mesures restrictives en raison de paiements résultant d’obligations légales. Enfin, il estime que l’élément de preuve no 7 n’étant pas daté et que l’hyperlien ne fonctionnant pas, il n’est pas suffisamment crédible.

136    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

137    À titre liminaire, il convient de souligner que le deuxième dossier WK est divisé en deux parties, la première partie concernant le requérant et la seconde visant le secteur agricole.

138    S’agissant des éléments de preuve relatifs au requérant et à l’entreprise Rusagro Group, il convient de relever que sept nouveaux éléments de preuve ont été produits dans la première partie du deuxième dossier WK, à savoir :

–        un article du 10 mars 2023 du site Internet « Interfax » indiquant que le requérant a décidé de quitter le conseil d’administration ainsi que sa présidence de Rusagro Group (pièce no 1) ;

–        un article de mai 2022 sur le site Internet de PricewaterhouseCoopers indiquant que le requérant avait réduit ses parts dans Rusagro Group à moins de 50 % (pièce no 2) ;

–        un article du 3 juin 2022 du site Internet « Interfax » indiquant que le requérant a cédé ses parts dans la startup Assistagro (pièce no 3) ;

–        un article du 14 juin 2022 du site Internet russe « Business Information Agency » indiquant que Rusagro Group a changé sa procédure de participation en bourse (pièce no 4) ;

–        un article du site Internet « Korovainfo » du 14 novembre 2022 indiquant que Rusagro Group a perdu 96 % de son profit pendant les trois trimestres de l’année 2022 en raison du taux de change, de la diminution des prix et de l’augmentation des coûts et que d’autres indicateurs témoignent de la croissance du groupe tels que l’augmentation des revenus de 16 % pour cette période et la profitabilité au niveau de l’année précédente (pièce no 5) ;

–        un article du 7 juin 2022 du site Internet « theKo.ru » indiquant que, en dépit des sanctions sans précédent, les sociétés holdings agricoles sont relativement stables, que la Fédération de Russie peut compter sur la dépendance de certains pays tels que la République de Turquie et les pays du Maghreb aux céréales russes ainsi qu’au sucre et à l’huile végétale et que les sociétés holdings intégrées verticalement, telles que Rusagro Group, « qui aurait pris la première place des plus grands holdings agricoles de Russie », seraient les plus résistantes aux sanctions en raison de leur diversification (pièce no 6) ;

–        un article du 15 avril 2022 du site Internet « Organized crime and corruption reporting project » indiquant que les autorités chypriotes auraient révoqué le passeport du requérant (pièce no 7).

139    S’agissant du secteur agricole, le Conseil a produit de nouveaux éléments de preuve dans la seconde partie du deuxième dossier WK, à savoir :

–        un discours du Premier ministre russe lors d’une exposition agro-industrielle à l’automne 2022, publié sur le site du gouvernement ; le Premier ministre indique, notamment, que l’agriculture a obtenu des résultats record ; il met l’accent sur la sécurité alimentaire du pays et l’importance des exportations ; il évoque également le programme étatique de développement de l’agriculture s’élevant à 280 milliards de roubles russes (RUB) (environ 2,7 milliards d’euros) pour l’année 2022 et la volonté d’aider les exportateurs (pièce no 1) ;

–        un site Internet d’un cabinet d’avocats russes indiquant que le système fiscal a pour ambition de réduire la charge fiscale des contribuables impliqués dans la production agricole (pièce no 2) ;

–        un article du site Internet russe « Veterinary Medicine and Life » indiquant que le ministre de l’Agriculture russe a déclaré prévoir des exportations agricoles allant au-delà de 40 milliards d’USD pour l’année 2022 (environ 38 milliards d’euros), tournées vers le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Amérique du Sud ; il est également mentionné que le ministère continuera à supporter la promotion des biens russes dans les marchés à l’étranger (pièce no 3) ;

–        des données du site Internet « Trading Economics » indiquant que le PIB du secteur agricole russe s’est élevé à 638,9 milliards de RUB (environ 6,2 milliards d’euros) au deuxième trimestre 2022 et qu’il devait être de 931,4 milliards de RUB pour le trimestre suivant (environ 9 milliards d’euros) (pièce no 4) ;

–        un article de l’agence de presse Reuters du 3 octobre 2022 indiquant que le ministre de l’Agriculture russe a déclaré que la Fédération de Russie pourrait commencer à offrir des financements aux importateurs étrangers de ses céréales dès lors que les sanctions mises en place affectaient les instruments financiers (pièce no 5) ;

–        un article sur le site Internet « Poultry world » du 10 mars 2022, mis à jour le 12 mai suivant, indiquant la volonté du gouvernement russe d’investir 818 milliards de RUB (environ 8 milliards d’euros) dans des projets agricoles orientés vers l’exportation et que les exportations de produits agricoles russes devraient passer de 30,5 milliards d’USD en 2020 (environ 29 milliards d’euros) à 37 milliards d’USD en 2024 (environ 35 milliards d’euros) (pièce no 6) ;

–        un article du site Internet « Idaho Wheat », non daté, indiquant que la Fédération de Russie a obtenu 1,9 milliard d’USD (environ 1,8 milliard d’euros) de revenus de taxes sur l’exportation des céréales « cette saison » et était en train de bénéficier de la crise alimentaire mondiale (pièce no 7) ;

–        un article du 16 septembre 2022 du think tank Carnegie Endowment for International Peace indiquant que, en dépit des récoltes record, les exportations de céréales de Russie ont diminué de 22 % en juillet et août 2022 (pièce no 8) ;

–        un graphique du site Internet « statista » indiquant que, en 2021, l’agriculture russe arrivait deuxième en termes d’importance du PIB représentant 4,2 % du PIB total, après les carburants et l’énergie (pièce no 9) ;

–        un graphique du site Internet « statista » indiquant que de 2011 à 2021, l’agriculture représentait entre 3 et 4 % du PIB russe (pièce no 10).

140    En l’espèce, il y a lieu de constater que les motifs des actes de mars et avril 2023 n’ont, en substance, pas changé dès lors que l’insertion de l’affirmation selon laquelle Rusagro est « classé[e] première parmi les sociétés agricoles en Russie en 2021 » complète l’information déjà présente selon laquelle Rusagro Group est un grand producteur de viande porcine, de graisses et de sucre et que le requérant dispose d’intérêts commerciaux dans le secteur de l’agriculture. En outre, il convient de rappeler que le Conseil a produit de nouveaux éléments de preuve dans le deuxième dossier WK.

141    En premier lieu, il convient de relever que le contexte général de la situation de l’Ukraine, en ce qui concerne les menaces à son intégrité territoriale, à sa souveraineté et à son indépendance, est resté inchangé depuis l’adoption des actes initiaux.

142    En deuxième lieu, s’agissant de la situation du requérant, il convient de constater que ce dernier demeure un homme d’affaires influent. En effet, premièrement, il soutient toujours détenir 43,12 % des actions de Ros Agro, la société holding de Rusagro Group. Deuxièmement, ainsi qu’il ressort des points 98 et 99 ci-dessus, les pièces nos 2, 5 et 6 du premier dossier WK décrivent Rusagro Group comme le plus grand groupe agro-industriel intégré verticalement de Russie, le plus grand groupe agricole du pays, la plus grande entreprise de Russie productrice d’huile de tournesol et de margarine, la deuxième de graisses industrielles et de mayonnaise et la troisième de viande de porc et de sucre. Troisièmement, ces affirmations sont corroborées par les pièces nos 5 et 6 de la première partie du deuxième dossier WK.

143    À cet égard, d’une part, il ressort de la pièce no 5 de la première partie du deuxième dossier WK que Rusagro Group est une société agro-industrielle incluant six raffineries de sucre, deux usines produisant de la nourriture animale, treize complexes dédiés à la viande porcine et des terres sur plus de 686 000 hectares. De plus, il est mentionné que les ventes de viande porcine, de sucre, de maïs et d’huile de tournesol de Rusagro Group ont augmenté en 2022, ce qui a permis une augmentation des revenus du groupe de 16 % pour atteindre 182,3 milliards de RUB (environ 1,8 milliards d’euros), tout en ayant maintenu la profitabilité du groupe au niveau de l’année précédente.

144    D’autre part, il ressort de la pièce no 6 figurant dans la première partie du deuxième dossier WK que les sociétés agricoles intégrées verticalement telles que Rusagro Group sont les plus résistants aux sanctions en raison de leur succès en matière de diversification. Par ailleurs, s’agissant de l’affirmation contenue dans la pièce no 6, selon laquelle, « dans le classement des plus grands groupes agricoles pour l’année 2021, Rusagro a pris la première place avec des revenus de 159 milliards de RUB », dont la validité est contestée par le requérant, il convient de constater que ladite pièce précise que la force de Rusagro Group ne consiste pas en cette affirmation, mais en sa spécialisation dans les produits de première nécessité et dans l’orientation vers le marché chinois où il y a moins de problèmes logistiques. Partant, à supposer même que l’indication, dans les motifs, selon laquelle Rusagro est « classé[e] première parmi les sociétés agricoles en Russie en 2021 » soit erronée, il convient de souligner que les motifs selon lesquels le requérant a « des intérêts commerciaux dans l’agriculture » et que Rusagro Group est un « grand producteur de viande porcine, de graisses et de sucre » reposent sur un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants mettant en évidence le statut d’homme d’affaires influent du requérant.

145    Ce constat ne saurait être remis en cause par les arguments du requérant. Premièrement, s’agissant de l’argument tiré de la pièce no 5 figurant dans la première partie du deuxième dossier WK selon lequel le profit de Rusagro Group a diminué de 96 %, il convient de souligner que l’entreprise dégage encore des profits substantiels et que cette diminution ne concerne que le troisième trimestre de l’année 2022.

146    Deuxièmement, s’agissant de l’argument du requérant tiré du caractère obsolète de la réunion du 24 février, il y a lieu de rappeler que cet élément n’est pas déterminant, mais corrobore le caractère d’homme d’affaires influent du requérant. De plus, il n’apparaît pas obsolète eu égard à l’absence d’évolution du contexte international.

147    Troisièmement, le fait que Rusagro Group possède 637 000 ou 686 000 hectares de terres, comme il ressort, respectivement des pièces nos 6 et 5, importe peu eu égard à l’écart proportionnellement faible et, partant, non significatif existant entre ces deux données.

148    En second lieu, s’agissant du secteur économique dans lequel le requérant est actif, il y a lieu de relever que les considérations exposées aux points 107 à 109 ci-dessus sont applicables. En outre, premièrement, le fait que le secteur agricole fournit une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie est étayé par le PIB de ce secteur. Contrairement à ce que fait valoir le requérant, qui estime que le PIB n’a aucun lien direct avec les revenus du gouvernement, il y a lieu de constater que le PIB constitue une donnée pertinente dès lors qu’il vise la mesure standard de la valeur ajoutée créée grâce à la production de biens et de services dans un pays pendant une période donnée. Partant, il y a lieu de constater que les informations issues des pièces nos 4, 9 et 10 figurant dans la deuxième partie du deuxième dossier WK attestent de l’importance et des revenus substantiels issus du secteur agricole. En effet, le PIB de ce secteur s’est élevé à 638,9 milliards de RUB (environ 6,2 milliards d’euros) au deuxième trimestre 2022, il devait être de 931,4 milliards de RUB (environ 9 milliards d’euros) pour le trimestre suivant et il représentait, en 2021, le deuxième secteur le plus important de l’économie de la Fédération de Russie en s’élevant entre 3,5 et 4,2 % du PIB total.

149    Deuxièmement, il y a lieu de constater que les pièces nos 3 et 6 figurant dans la deuxième partie du deuxième dossier WK témoignent de la source substantielle de revenus issus de l’exportation. Ainsi, il ressort de la pièce no 3 que le ministre de l’Agriculture russe envisageait des exportations agricoles allant au-delà de 40 milliards d’USD (environ 38 milliards d’euros) pour l’année 2022 avec des exportations vers le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Amérique du Sud. En outre, selon les prévisions évoquées dans la pièce no 6, les exportations de produits agricoles russes devraient passer de 30,5 milliards d’USD (environ 29 milliards d’euros) en 2020 à 37 milliards d’USD (environ 35 milliards d’euros) en 2024. De plus, si la pièce no 7 n’est certes pas datée, elle corrobore le profit tiré des exportations de produits agricoles par le gouvernement russe. Par ailleurs, ainsi qu’il ressort des points 106 et 113 ci-dessus, les revenus indirects de l’ensemble du secteur agricole tels que les droits sur les exportations, la TVA perçue sur les produits du secteur, les impôts sur le revenu et les cotisations de sécurité sociale, constituent, en l’espèce, une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, et ce en dépit des subventions dont bénéficient certaines entreprises du secteur.

150    Ce constat ne saurait être remis en cause par les arguments du requérant.

151    Premièrement, il est vrai que la pièce no 8 indique que les exportations de céréales ont diminué de 22 % en juillet et août 2022. Cependant, cette diminution ne représente pas l’ensemble des exportations du secteur agricole et, en dépit de cette diminution, lesdites exportations demeurent une source de revenus substantielle ainsi qu’il ressort du point 149 ci-dessus.

152    Deuxièmement, s’agissant des arguments du requérant tirés du fait que le nom d’une personne ne peut faire l’objet d’une inscription sur la liste des mesures restrictives en raison de paiements résultant d’obligations légales et du caractère non étayé des intérêts du requérant au sein du secteur immobilier, il convient de les écarter pour les mêmes raisons que celles exposées aux points 114 et 116 ci-dessus, qui sont également valables pour les actes de maintien.

153    Troisièmement, s’agissant de l’absence de lien alléguée entre le requérant et l’opération militaire en Ukraine, il convient de rappeler que le critère g) n’implique pas la démonstration d’un tel lien. Il est suffisant qu’il soit un homme d’affaires influent ayant des activités dans un secteur qui fournit une source substantielle de revenus au gouvernement russe.

154    Dès lors, il convient de rejeter le deuxième moyen en ce qu’il concerne les actes de mars et avril 2023, pour autant qu’il est fondé sur une erreur d’appréciation du Conseil dans l’application du critère g). Partant, ainsi qu’il ressort du point 120 ci-dessus, il n’y a pas lieu d’examiner le moyen tiré d’une erreur d’appréciation du Conseil dans l’application du critère a).

155    À la lumière des points 118, 132 et 154 ci-dessus, il convient donc de rejeter le deuxième moyen dans son entièreté.

C.      Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité ainsi que du droit de propriété, du droit au respect de la vie privée et de la liberté d’entreprise

156    Le requérant estime que les mesures restrictives violent le principe de proportionnalité. L’interprétation par le Conseil du critère g) équivaudrait à ce que toutes les personnes ayant déjà assisté à une réunion avec des représentants du gouvernement russe ou payant des impôts puissent être sanctionnées à ce seul titre. Cette approche entrerait en contradiction avec la politique des mesures restrictives ciblées. De plus, eu égard à l’objectif d’imposer des sanctions à ceux qui menacent la souveraineté de l’Ukraine ou qui soutiennent ceux qui la menacent, le requérant estime que les mesures introduites sont inappropriées. Ainsi, il serait disproportionné de sanctionner une personne uniquement en raison de sa contribution fiscale étant donné que le non-respect de telles obligations fiscales peut entraîner des sanctions sévères. En outre, les mesures restrictives iraient à l’encontre de la politique de l’Union visant à assurer la sécurité alimentaire mondiale. Enfin, l’absence de proportionnalité serait renforcée par le profil de philanthrope du requérant.

157    Par ailleurs, les actes attaqués entraveraient les droits fondamentaux du requérant, en particulier son droit au respect de la vie privée, son droit de propriété et la liberté d’entreprise. Ainsi, il ne pourrait plus voyager dans les États membres ou utiliser ses biens dans l’Union. Il craindrait également de ne plus pouvoir se rendre aux États-Unis, où résident ses enfants, et au Royaume-Uni. De plus, les mesures affecteraient une société qu’il détient partiellement bien que celle-ci ne soit pas visée par les sanctions. En outre, le requérant affirme que la nationalité chypriote lui a été retirée ainsi qu’à son épouse et à ses enfants. Par conséquent, il ne serait pas en mesure de jouir de ses droits de citoyen de l’Union, en particulier de la liberté d’établissement et de circulation. Or, aucune des ingérences évoquées ne serait légitime au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte. D’une part, les restrictions introduites ne respecteraient pas le contenu essentiel de ses droits à la liberté et auraient été imposées sur le fondement de la culpabilité collective. D’autre part, le requérant rappelle que les restrictions sont dépourvues de toute capacité réelle à atteindre leur but allégué.

158    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

159    Il convient de rappeler que le droit de propriété fait partie des principes généraux du droit de l’Union et est consacré par l’article 17 de la Charte. En ce qui concerne le droit au respect de la vie privée, l’article 7 de la Charte reconnaît le droit au respect de celle-ci. De même, la liberté d’entreprise est consacrée à l’article 16 de cette Charte.

160    En l’espèce, les mesures restrictives frappant notamment le requérant constituent des mesures conservatoires, qui ne sont pas censées priver les personnes concernées de leur propriété, du droit au respect de leur vie privée ou de leur liberté d’entreprise. Toutefois, les mesures en cause entraînent incontestablement une restriction de l’usage du droit de propriété et affectent la vie privée et la liberté d’entreprise du requérant (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 167).

161    Cependant, selon une jurisprudence constante, ces droits fondamentaux ne jouissent pas, dans le droit de l’Union, d’une protection absolue, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société (voir arrêt du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 113 et jurisprudence citée).

162    À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, d’une part, « [t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la [C]harte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et, d’autre part, « [d]ans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ».

163    Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation de l’exercice des droits fondamentaux en cause doit répondre à quatre conditions. Premièrement, la limitation en cause doit être « prévue par la loi ». Deuxièmement, la limitation en cause doit respecter le contenu essentiel de la liberté en cause. Troisièmement, elle doit répondre effectivement à un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Quatrièmement, la limitation en cause doit être proportionnée (voir, en ce sens, arrêts du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, points 69 et 84 et jurisprudence citée, et du 13 septembre 2018, VTB Bank/Conseil, T‑734/14, non publié, EU:T:2018:542, point 140 et jurisprudence citée).

164    En l’espèce, ces conditions sont remplies.

165    En effet, en premier lieu, les mesures restrictives en cause que les actes attaqués comportent pour le requérant sont « prévues par la loi », puisqu’elles sont énoncées dans des actes ayant notamment une portée générale et disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union, ainsi que d’une motivation suffisante en ce qui concerne tant leur portée que les raisons justifiant leur application au requérant (voir, en ce sens, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 176 et jurisprudence citée).

166    En deuxième lieu, les mesures restrictives en cause, à savoir des restrictions de circulation et des gels de fonds, respectent le contenu essentiel de la liberté en cause. Elles sont temporaires et réversibles. En effet, les actes initiaux comme les actes de septembre 2022, de mars et avril 2023 s’appliquent pour six mois et font l’objet d’un suivi constant, comme cela est prévu à l’article 6 de la décision 2014/145 modifiée.

167    De plus, il doit être rappelé que l’article 1er, paragraphe 6, de la décision 2014/145 modifiée prévoit la possibilité d’accorder des dérogations aux restrictions de circulation. De même, l’article 2, paragraphes 3 et 4, de la décision 2014/145 modifiée et l’article 4, paragraphe 1, l’article 5, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 modifié prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou pour satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques.

168    En troisième lieu, ainsi qu’il a été constaté au point 55 ci-dessus, les mesures restrictives en cause visent à exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine. Or, il s’agit d’un objectif qui relève de ceux poursuivis dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune et visés à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE, tels que la consolidation et le soutien de la démocratie, de l’État de droit, des droits de l’homme et des principes de droit international ainsi que la préservation de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale et de la protection des populations civiles.

169    En quatrième lieu, s’agissant du principe de proportionnalité, il doit être rappelé que celui-ci, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 205 et jurisprudence citée).

170    À cet égard, la jurisprudence précise que, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Dès lors, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 120 et jurisprudence citée).

171    En l’espèce, quant au caractère approprié des mesures en cause, au regard d’objectifs d’intérêt général aussi fondamentaux pour la communauté internationale que ceux mentionnés au point 168 ci-dessus, celles-ci ne sauraient, en tant que telles, passer pour inadéquates (voir, en ce sens, arrêt du 3 février 2021, Boshab/Conseil, T‑111/19, non publié, EU:T:2021:54, point 150 et jurisprudence citée).

172    En outre, en ce qui concerne leur caractère nécessaire, il convient de constater que des mesures alternatives et moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable, ne permettent pas d’atteindre aussi efficacement les objectifs poursuivis, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir, en ce sens, arrêt du 3 février 2021, Boshab/Conseil, T‑111/19, non publié, EU:T:2021:54, point 151 et jurisprudence citée).

173    De plus, comme cela est indiqué aux points 166 et 167 ci-dessus, il s’agit de restrictions temporaires et réversibles et qui prévoient des possibilités de dérogations. Partant, il y a lieu de constater que les inconvénients causés au requérant ne sont pas démesurés par rapport à l’importance de l’objectif poursuivi par les actes attaqués.

174    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments du requérant.

175    Premièrement, s’agissant de l’argument selon lequel les mesures restrictives en cause sont disproportionnées en raison des dangers qu’elles feraient naître pour la sécurité alimentaire mondiale, il suffit de constater que les actes attaqués n’ont pas pour objet des échanges de produits agricoles et qu’aucun lien de causalité entre la désignation du requérant sur les listes litigieuses et les risques pour la sécurité alimentaire mondiale n’a été démontré. En outre, il ressort du point 168 ci-dessus que les objectifs desdits actes visent précisément à exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions déstabilisant l’Ukraine, actions qui constituent la cause première de la menace pour la sécurité alimentaire mondiale, ainsi que cela ressort des documents produits tant par le requérant que par le Conseil.

176    Deuxièmement, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel les membres de sa famille rencontreraient des difficultés dans l’utilisation de leurs biens personnels dans l’Union, il suffit de constater que ceux-ci ne sont pas visés par les mesures restrictives en cause, leurs noms n’étant pas inscrits sur les listes litigieuses. Ils ne sont, par conséquent, soumis, à titre personnel, à aucune restriction concernant l’utilisation de leurs propres fonds et avoirs ou concernant l’entrée ou le passage en transit sur le territoire des États membres (voir, en ce sens, arrêt du 14 janvier 2015, Gossio/Conseil, T‑406/13, non publié, EU:T:2015:7, point 122). Enfin, force est de constater que le requérant n’établit pas pourquoi une atteinte à sa vie privée et familiale serait disproportionnée, dans les circonstances de l’espèce au regard des objectifs légitimes poursuivis par les mesures litigieuses (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 281).

177    Troisièmement, s’agissant de l’argument du requérant ayant trait à des décisions du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ou des États-Unis d’Amérique ainsi que de la décision de révocation de sa nationalité chypriote, il y a lieu de constater que les éventuelles mesures prises à son égard par des États tiers ou par un État membre dans l’exercice de sa compétence en matière de citoyenneté ne peuvent être imputées aux actes attaqués.

178    Quatrièmement, l’argument du requérant tiré de la prétendue impossibilité pour la société Granada Capital CY Limited, qu’il déclare détenir partiellement, de mener des activités quotidiennes doit être écarté. En effet, à supposer que cette allégation soit établie, le requérant pouvait faire usage de la possibilité évoquée au point 167 ci-dessus de demander le déblocage de certains fonds pour faire face aux besoins essentiels de cette personne morale.

179    Il résulte de ce qui précède que les actes attaqués n’ont pas méconnu le principe de proportionnalité et n’ont pas porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété, au droit au respect de la vie privée et à la liberté d’entreprise du requérant.

180    Il convient donc de rejeter le troisième moyen.

D.      Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du principe fondamental de non-discrimination

181    Le requérant soutient que le Conseil a violé le principe fondamental de non-discrimination en inscrivant son nom sur la liste des mesures restrictives au simple motif que sa société était active dans un secteur versant des montants substantiels d’impôts au gouvernement russe, ce qu’il dément. Il considère que les actionnaires étrangers de grandes entreprises russes ou étrangères opérant dans des secteurs engendrant des montants plus substantiels de revenus que le secteur agricole n’ont pas été ciblés. Partant, le Conseil aurait traité de manière différente des situations comparables sans aucune justification objective.

182    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

183    Il convient de relever que le principe d’égalité de traitement, qui constitue un principe fondamental du droit, interdit que des situations comparables soient traitées de manière différente ou que des situations différentes soient traitées de manière égale, à moins que de tels traitements ne soient objectivement justifiés (voir arrêt du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil, T‑461/16, EU:T:2018:316, point 152 et jurisprudence citée).

184    En l’espèce, il convient de relever que le requérant a fait l’objet des mesures restrictives à la suite d’une évaluation individuelle, fondée sur des éléments de preuve concrets et qu’il ressort de l’examen du deuxième moyen qu’il remplit le critère g), ce qui implique que le Conseil était en droit de le viser par de telles mesures.

185    Dans ces circonstances, même à supposer que le Conseil ait effectivement omis d’adopter des mesures de gel des fonds à l’égard de certaines personnes répondant aux critères litigieux et d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments relatifs à ces personnes ou entités, un tel argument doit être écarté, dès lors que le principe d’égalité de traitement et de non-discrimination ainsi que celui de bonne administration doivent se concilier avec le principe de légalité (voir, en ce sens, arrêts du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 59, et du 3 mai 2016, Post Bank Iran/Conseil, T‑68/14, non publié, EU:T:2016:263, point 135).

186    Partant, il convient de rejeter le quatrième moyen.

E.      Sur le cinquième moyen, soulevé dans le cadre des premier et second mémoires en adaptation, tiré de la violation du droit d’être entendu et de la violation par le Conseil de son obligation de réexamen

187    Le requérant estime que le Conseil n’a pas examiné avec soin et impartialité le bien-fondé des motifs allégués à son égard. D’une part, s’agissant des actes de septembre 2022, il souligne que le premier dossier WK n’a fait l’objet d’aucune mise à jour. Ainsi, la lettre du 15 septembre 2022 n’expliquerait pas pourquoi les observations soumises n’ont pas été considérées comme suffisantes pour remettre en question l’inscription de son nom sur les listes. Par conséquent, les droits de la défense du requérant, en particulier son droit d’être entendu, ainsi que l’obligation de réexamen en vertu de l’article 3, paragraphe 3, de la décision 2014/145 modifiée et de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 269/2014 modifié auraient été violés.

188    D’autre part, s’agissant des actes de mars et avril 2023, le requérant indique que le Conseil s’est limité à des déclarations générales qui auraient seulement créé une fausse impression que ses observations avaient été prises en compte. En particulier, il souligne que onze mois et deux actes de maintien ont été nécessaires afin de rectifier le fait que, en avril 2023, il n’était pas un actionnaire minoritaire de Sberbank.

189    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

190    Il convient de rappeler que dans le cas d’une décision de gel de fonds par laquelle le nom d’une personne ou d’une entité figurant déjà sur la liste des personnes et des entités dont les fonds sont gelés est maintenu sur cette liste, l’adoption d’une telle décision doit, en principe, être précédée d’une communication des éléments retenus à charge ainsi que de l’opportunité conférée à la personne ou à l’entité concernée d’être entendue (voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 62, et du 15 septembre 2021, Boshab/Conseil, T‑107/20, non publié, EU:T:2021:583, point 78).

191    Le droit d’être entendu préalablement à l’adoption d’actes qui maintiennent le nom d’une personne ou d’une entité sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives s’impose lorsque le Conseil a retenu, dans la décision portant maintien de l’inscription de son nom sur cette liste, de nouveaux éléments contre cette personne, à savoir des éléments qui n’étaient pas pris en compte dans la décision initiale d’inscription de son nom sur cette même liste (voir arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 54 et jurisprudence citée).

192    Toutefois, lorsque le maintien du nom de la personne ou de l’entité concernée sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives est fondé sur les mêmes motifs que ceux qui ont justifié l’adoption de l’acte initial sans que de nouveaux éléments aient été retenus à son égard, le Conseil n’est pas tenu, pour respecter son droit d’être entendu, de lui communiquer à nouveau les éléments retenus à charge (arrêt du 22 juin 2022, Haswani/Conseil, T‑479/21, non publié, EU:T:2022:383, point 85 ; voir également, en ce sens, arrêt du 7 avril 2016, Central Bank of Iran/Conseil, C‑266/15 P, EU:C:2016:208, points 32 et 33).

193    En l’espèce, en premier lieu, s’agissant des actes de septembre 2022, le Conseil a rejeté la demande de réexamen du requérant par une lettre du 15 septembre 2022, au motif que les observations de ce dernier ne remettaient pas en cause son appréciation selon laquelle la décision d’inscription du nom de ce dernier était fondée sur des circonstances suffisamment concrètes. Ce faisant, le Conseil a informé le requérant du maintien de son nom sur lesdites listes pour les mêmes motifs que ceux ayant justifié l’adoption des actes initiaux. Partant, au vu de ces circonstances, il y a lieu de constater que le Conseil n’était pas tenu, pour respecter son droit d’être entendu, de lui communiquer à nouveau les éléments retenus à charge. Au demeurant, il y a lieu de souligner que le Conseil a donné au requérant la possibilité de présenter de nouvelles observations au plus tard le 2 novembre 2022 et que ce dernier n’en a pas fait usage.

194    En second lieu, s’agissant des actes de mars et avril 2023, il convient de rappeler que le Conseil a notifié au requérant le 22 décembre 2022 son intention de maintenir son nom sur les listes litigieuses en lui communiquant un projet de motifs amendé ainsi que le deuxième dossier WK. En outre, le requérant a pu déposer des observations sur cette lettre le 20 janvier 2023, après que le Conseil avait prolongé le délai pour les présenter. Ce dernier a répondu auxdites observations dans sa lettre du 14 mars 2023 informant le requérant de l’adoption des actes de mars 2023 et a annexé le dossier WK 903/2023. Par conséquent, il y a lieu de constater que l’adoption des actes de mars et avril 2023 a été précédée d’une communication des éléments retenus à charge du requérant et que ce dernier a pu être entendu.

195    Ce constat ne saurait être remis en cause par les arguments du requérant.

196    Premièrement, s’agissant de la prétendue absence de réponse substantielle à des arguments du requérant, le Conseil n’est pas tenu de répondre de manière détaillée aux considérations formulées par celui-ci lors de sa consultation avant l’adoption des actes de maintien.

197    Deuxièmement, s’agissant de la désignation du requérant en tant qu’actionnaire minoritaire de Sberbank, il suffit de rappeler que cet argument vise en réalité à alléguer une erreur d’appréciation. Au demeurant, ainsi qu’il a été constaté au point 104 ci-dessus, cet élément n’est pas susceptible de remettre en cause le bien-fondé du maintien de l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses au titre du critère g).

198    Partant, il convient de rejeter le cinquième moyen.

199    Il s’ensuit que le recours doit être rejeté dans son intégralité, sans qu’il y ait lieu de faire droit à la demande du requérant visant à obtenir la production de documents.

V.      Sur les dépens

200    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Vadim Nikolaevich Moshkovich est condamné aux dépens.

Spielmann

Gâlea

Tóth

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 décembre 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.