Language of document : ECLI:EU:T:2023:100

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

1er mars 2023 (*) 

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne figurative Gourmet – Marque nationale verbale antérieure GOURMET – Cause de nullité relative – Caractère distinctif de la marque antérieure – Usage sérieux de la marque antérieure – Forme qui diffère par des éléments altérant le caractère distinctif »

Dans l’affaire T‑102/22,

Transgourmet Ibérica, SAU, établie à Gérone (Espagne), représentée par Mes C. Duch Fonoll et I. Osinaga Lozano, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme E. Nicolás Gómez et M. D. Gája, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO ayant été

Aldi GmbH & Co. KG, établie à Mülheim an der Ruhr (Allemagne),

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de MM. A. Kornezov, président, G. De Baere et K. Kecsmár (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Transgourmet Ibérica, SAU, demande l’annulation de la décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 14 décembre 2021 (affaire R 862/2021-2) (ci-après la « décision attaquée »).

I.      Antécédents du litige

2        Le 12 mars 2018, la société aux droits de laquelle la requérante est venue par la suite a présenté à l’EUIPO une demande de nullité de la marque de l’Union européenne enregistrée sous le numéro 8 143 653, à la suite d’une demande déposée le 9 mars 2009 pour le signe figuratif suivant :

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3        Les produits couverts par la marque contestée et pour lesquels la nullité était demandée relevaient  de la classe 30 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondaient, à la description suivante : « Thé ; cacao ; sucre ; riz ; tapioca ; sagou ; farines et préparations faites de céréales, pain, pâtisserie et confiserie, glaces comestibles ; miel, sirop de mélasse ; levure, poudre pour faire lever ; sel, moutarde ; vinaigre, sauces (condiments) ; épices ; glace à rafraîchir ».

4        La demande en nullité était fondée sur la marque espagnole verbale antérieure no 1085598 de la requérante pour la marque verbale GOURMET déposée le 15 novembre 1984 et enregistrée le 16 mars 1987, désignant les produits relevant de la classe 30 et correspondant à la description suivante : « Café, thé, cacao, sucre, riz, tapioca, sagou ; succédanés du café, farines et préparations faites de céréales, pain, biscuits, tourtes, pâtisserie, confiseries, glaces comestibles ; miel, sirop de mélasse ; levure, poudre pour faire lever ; sel, vinaigre, sauces et glace à rafraîchir, à l’exclusion expresse des épices et condiments en tous genres ».

5        Les causes invoquées à l’appui de la demande en nullité étaient celles visées à l’article 60, paragraphe 1, sous a), lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 5 du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).

6        Le 16 mars 2021, la division d’annulation a rejeté la demande en nullité. Elle a considéré, en substance, que les éléments de preuve produits par la requérante ne démontraient pas l’usage de la marque antérieure telle qu’elle était enregistrée.

7        Le 14 mai 2021, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation.

8        Par la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté le recours en concluant que la requérante n’avait pas démontré un usage sérieux du signe tel qu’il avait été enregistré pour la période comprise entre le 9 mars 2004 et le 8 mars 2009. Elle a considéré, d’une part, que les éléments de preuve ne démontraient pas un usage en tant que marque et d’autre part, que certains éléments de preuve démontraient un usage de la marque sous une forme qui altérait son caractère distinctif.

II.    Conclusions des parties

9        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        renvoyer l’affaire devant la chambre de recours ;

–        condamner l’EUIPO et l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours aux dépens.

10      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

III. En droit

11      À l’appui de son recours, la requérante invoque, en substance, trois moyens tirés, premièrement, d’une violation de l’article 3 de la directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2015, L 336, p. 1), deuxièmement, d’une violation de l’article 64, paragraphes 2 et 3, du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 10, paragraphe 4, du règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001, et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO L 104, p. 1), et, troisièmement, d’une violation de l’article 64, paragraphes 2 et 3, du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 18, paragraphe 1, sous a), du même règlement.

12      Avant d’examiner les moyens soulevés par la requérante, le Tribunal estime nécessaire de faire les observations suivantes quant à la réglementation applicable en l’espèce.

 Sur lapplication temporelle de la réglementation de lUnion européenne

13      La directive 2015/2436, invoquée par la requérante au soutien de son premier moyen, est entrée en vigueur le 12 janvier 2016 et a abrogé, avec effet au 15 janvier 2019, la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO L 299, p. 25), entrée en vigueur le 28 novembre 2008 en conformité avec l’article 18 de ladite directive. Partant, compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement de la marque contestée, à savoir le 9 mars 2009, il y a lieu de comprendre les références aux dispositions de la directive 2015/2436 comme étant faites aux dispositions de la directive 2008/95, en vigueur à cette date (voir, par analogie, arrêt du 29 janvier 2020, Sky e.a., C‑371/18, EU:C:2020:45, points 48 et 49 et jurisprudence citée).

14      Par ailleurs, dans la mesure où, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45 et jurisprudence citée), le litige est régi par les dispositions procédurales du règlement 2017/1001, complétées par les dispositions du règlement délégué 2018/625.

15      Le règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), a été abrogé et remplacé par le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la [marque de l’Union européenne] (JO 2009, L 78, p. 1), entré en vigueur le 13 avril 2009 conformément à l’article 167 dudit règlement. Ce dernier règlement, tel que modifié par le règlement (UE) 2015/2424 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015 (JO 2015, L 341, p. 21), a également été abrogé et remplacé, avec effet au 1er octobre 2017, par le règlement 2017/1001 conformément aux articles 211 et 212 dudit règlement.

16      Compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement de la marque contestée, à savoir le 9 mars 2009, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis par les dispositions matérielles du règlement no 40/94 (voir, en ce sens, ordonnance du 5 octobre 2004, Alcon/OHMI, C‑192/03 P, EU:C:2004:587, points 39 et 40, et arrêt du 23 avril 2020, Gugler France/Gugler et EUIPO, C‑736/18 P, non publié, EU:C:2020:308, point 3 et jurisprudence citée).

17      Par suite, en l’espèce, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références faites au règlement 2017/1001 par la chambre de recours dans la décision attaquée et par les parties dans leurs mémoires respectifs comme visant les dispositions du règlement n40/94.

18      À cet égard, la chambre de recours était tenue, en l’espèce, de déterminer les périodes au titre desquelles la preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure devait être apportée au regard de l’article 56, paragraphe 2, lu conjointement avec l’article 43, paragraphe 2, du règlement no 40/94.

19      Or, en ce qui concerne la première période pertinente, ces dispositions prévoient que, « [s]ur requête du demandeur, le titulaire d’une marque communautaire antérieure […] apporte la preuve que, au cours des cinq années qui précèdent la publication de la demande de marque communautaire [contestée], la marque communautaire antérieure a fait l’objet d’un usage sérieux dans la Communauté pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée […], pour autant qu’à cette date la marque antérieure était enregistrée depuis cinq ans au moins ».

20      Une application conforme à l’article 56, paragraphe 2, lu conjointement avec l’article 43, paragraphe 2, du règlement no 40/94 aurait dû amener la chambre de recours à calculer la première période pertinente, en prenant en compte la date de publication de la demande de marque de l’Union européenne contestée, à savoir le 10 août 2009. Ainsi, la première période pertinente aurait dû être comprise entre le 10 août 2004 et le 9 août 2009 inclus, et non entre le 9 mars 2004 et le 8 mars 2009 inclus comme l’a considéré la chambre de recours dans la décision attaquée.

 Sur le premier moyen tiré dune violation de larticle 3, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95

21      Dans le cadre de son premier moyen, la requérante reproche, en substance, à la chambre de recours d’avoir apprécié le caractère distinctif de la marque antérieure préalablement à l’appréciation des preuves de l’usage sérieux produites par la requérante. Selon elle, l’affirmation formulée dans la décision attaquée selon laquelle la marque antérieure possède un faible caractère distinctif aurait nécessairement dû conduire à la conclusion que la marque antérieure sert également d’indication de l’origine commerciale. La requérante se fonde, notamment, sur le point 57 de l’arrêt du 26 février 2015, 9Flats/OHMI – Tibesoca (9flats.com) (T‑713/13, non publié, EU:T:2015:114), en ce qu’il reconnaîtrait que le fait qu’une marque nationale ait été enregistrée implique que ladite marque jouisse d’un minimum de caractère distinctif intrinsèque, puisque l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95 exclut l’enregistrement d’une marque qui est dépourvue de caractère distinctif. En outre, la requérante soutient que, dans l’arrêt du 15 décembre 2016, Aldi/EUIPO – Miquel Alimentació Grup (Gourmet) (T‑212/15, non publié, EU:T:2016:746), le Tribunal a expressément confirmé le caractère distinctif de la marque antérieure.

22      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante. Selon lui, les conclusions formulées par la chambre de recours ne sont pas fondées sur l’absence totale de caractère distinctif de la marque antérieure, mais plutôt sur son faible degré de caractère distinctif. Par conséquent, la validité de la marque espagnole antérieure de la demanderesse n’aurait pas été remise en cause – que ce soit expressément ou implicitement – dans la décision attaquée. En outre, il relève que le fait que la marque antérieure doit être considérée comme ayant au moins un degré minimal de caractère distinctif ne permet pas automatiquement de conclure que toute mention du mot « gourmet » dans les éléments de preuve constitue un usage conformément à la fonction d’une marque.

23      À titre liminaire, il convient de relever que, selon la jurisprudence, le fait qu’une marque nationale ait été enregistrée implique qu’elle jouisse d’un minimum de caractère distinctif intrinsèque, puisque l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95 exclut l’enregistrement d’une marque qui est dépourvue de caractère distinctif. La validité d’une marque internationale ou nationale ne peut pas être mise en cause dans le cadre d’une procédure d’enregistrement d’une marque de l’Union européenne, mais uniquement dans le cadre d’une procédure de nullité entamée dans l’État membre concerné. Cette jurisprudence se fonde sur l’idée selon laquelle le législateur de l’Union a instauré un système fondé sur la coexistence de la marque de l’Union européenne avec les marques nationales (voir arrêt du 15 décembre 2016, Gourmet, T‑212/15, non publié, EU:T:2016:746, point 36 et jurisprudence citée).

24      Il découle de la coexistence des marques de l’Union européenne et des marques nationales ainsi que du fait que l’enregistrement de ces dernières ne relève pas de la compétence de l’EUIPO, ni leur contrôle juridictionnel de la compétence du Tribunal, que, lors d’une procédure d’opposition à une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne, la validité des marques nationales ne peut être mise en cause (voir arrêt du 15 décembre 2016, Gourmet, T‑212/15, non publié, EU:T:2016:746, point 37 et jurisprudence citée).

25      Il s’ensuit que, pour ne pas enfreindre l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94, il doit être reconnu un certain degré de caractère distinctif à une marque nationale invoquée à l’appui d’une opposition à l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt du 24 mai 2012, Formula One Licensing/OHMI, C‑196/11 P, EU:C:2012:314, point 47).

26      Par ailleurs, la caractérisation d’un signe comme descriptif ou générique équivaut à nier le caractère distinctif de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 24 mai 2012, Formula One Licensing/OHMI, C‑196/11 P, EU:C:2012:314, point 41).

27      Or, en l’espèce, il ressort de la décision attaquée, que la chambre de recours a, d’une part, constaté, plusieurs fois, notamment aux points 36 et 39 de la décision attaquée, que le terme « gourmet » était un terme « descriptif » des produits en cause ou qu’il avait une « signification descriptive ». D’autre part, la chambre de recours a indiqué au point 46 de la décision attaquée que les conclusions de la division d’annulation n’étaient pas fondées sur l’absence totale de caractère distinctif et que la validité de ladite marque n’avait pas été remise en cause, tout en réitérant le caractère descriptif du mot « gourmet ».

28      À cet égard, il est vrai que la chambre de recours, notamment aux points 36 et 39 de la décision attaquée, se borne à qualifier le terme « gourmet » comme étant descriptif et non la marque espagnole antérieure dans son ensemble. Il n’en reste pas moins que ledit terme « gourmet » constitue le terme unique de la marque verbale antérieure. Partant, si la chambre de recours semble reconnaître le caractère distinctif de la marque nationale antérieure, elle a toutefois considéré que le terme unique qui la composait était descriptif, ce qui constitue une erreur de droit au regard de la jurisprudence citée au point 26 ci-dessus, la caractérisation d’un signe comme descriptif équivalant à nier le caractère distinctif de celui-ci.

29      Dès lors, il résulte de ce qui précède que le premier moyen doit être accueilli.

 Sur le deuxième moyen, tiré dune violation de larticle 56, paragraphes 2 et 3, du règlement no 40/94 lu conjointement avec larticle 10, paragraphe 4, du règlement délégué 2018/625

30      Par le deuxième moyen, la requérante fait valoir, en substance, que la chambre de recours a refusé de reconnaître une valeur probante de plusieurs éléments de preuve relatifs à l’usage sérieux de la marque antérieure, à savoir les factures, dépliants et articles de presse produits devant elle qui montreraient la marque antérieure telle qu’elle avait été enregistrée.

31      À titre liminaire, il convient de rappeler qu’il résulte du considérant 9 du règlement no 40/94 que le législateur de l’Union a considéré que la protection de la marque antérieure n’était justifiée que dans la mesure où celle-ci était effectivement utilisée.

32      En vertu de l’article 10, paragraphe 4, du règlement délégué 2018/625, les preuves de l’usage sérieux se limitent, en principe, à la production de pièces justificatives comme des emballages, des étiquettes, des barèmes de prix, des catalogues, des factures, des photographies, des annonces dans les journaux, ainsi qu’aux déclarations écrites faites sous serment ou solennellement visées à l’article 97, paragraphe 1, sous f), du règlement 2017/1001.

33      La ratio legis de l’exigence selon laquelle une marque doit avoir fait l’objet d’un usage sérieux pour être protégée au titre du droit de l’Union réside dans le fait que le registre de l’EUIPO ne saurait être assimilé à un dépôt stratégique et statique conférant à un détenteur inactif un monopole légal d’une durée indéterminée. Au contraire, ledit registre devrait refléter fidèlement les indications que les entreprises utilisent effectivement sur le marché pour distinguer leurs produits et services dans la vie économique [voir arrêt du 15 juillet 2015, Deutsche Rockwool Mineralwoll/OHMI – Recticel (λ), T‑215/13, non publié, EU:T:2015:518, point 20 et jurisprudence citée].

34      Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque (arrêt du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, EU:C:2003:145, point 43).

35      Il convient également de rappeler que l’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque doit reposer sur l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l’étendue et la fréquence de l’usage de la marque [voir arrêt du 8 juillet 2004, Sunrider/OHMI – Espadafor Caba (VITAFRUIT), T‑203/02, EU:T:2004:225, point 40 et jurisprudence citée].

36      Enfin, l’usage sérieux d’une marque ne peut pas être démontré par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une utilisation effective et suffisante de la marque sur le marché concerné [voir arrêt du 2 février 2016, Benelli Q. J./OHMI – Demharter (MOTOBI B PESARO), T‑171/13, EU:T:2016:54, point 75 et jurisprudence citée].

37      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si la chambre de recours a commis une erreur d’appréciation en estimant que les éléments de preuve produits par la requérante ne démontraient pas un usage de la marque antérieure GOURMET telle qu’elle a été enregistrée.

38      En l’espèce, afin de déterminer la nature de l’usage de la marque antérieure, la division d’annulation et la chambre de recours ont eu à examiner deux types d’éléments de preuves distincts présentés par la requérante, à savoir, d’une part, les éléments sur lesquels la marque antérieure figure telle qu’elle a été enregistrée et, d’autre part, les éléments sur lesquels la marque antérieure figure sous une forme différente de celle sous laquelle elle a été enregistrée.

39      Il convient de relever que, comme cela est indiqué au point 6 de la décision attaquée et ainsi qu’il ressort de l’analyse de la documentation contenue dans le dossier de l’EUIPO transmis au Tribunal, afin d’établir un usage sérieux de la marque antérieure, la requérante a produit, notamment, au cours de la procédure devant l’EUIPO, les éléments de preuve suivants, sur lesquels la marque antérieure figure telle qu’elle a été enregistrée :

–        des articles de presse en espagnol mentionnant la marque GOURMET et datant de 2005 à 2018 ;

–        des captures d’écrans de sites en ligne montrant la marque GOURMET à la fois sous sa forme enregistrée et sous sa forme figurative ;

–        plusieurs factures portant sur les périodes allant de 2004 à 2009 et de 2013 à 2017, en catalan ou en espagnol, faisant référence, notamment, à des produits dont les descriptions incluent le terme « gourmet » ;

–        plusieurs certificats délivrés par des sociétés, organisations et professionnels tiers à partir du 30 juin 2009.

40      La requérante a également fourni des catalogues et des dépliants présentant des produits Gourmet, datant de 2004, de 2007, de 2008 et de la période 2014-2018, sur lesquels la marque antérieure figure à la fois sous une forme différente de celle sous laquelle elle a été enregistrée et telle qu’elle a été enregistrée.

 Sur le premier grief du deuxième moyen, tiré du fait que la chambre de recours aurait procédé à une appréciation erronée des éléments de preuve de l’usage qui feraient apparaître la marque antérieure telle qu’elle a été enregistrée

41      Par le premier grief du deuxième moyen, la requérante fait valoir, en substance, que la chambre de recours a appliqué des critères erronés lors de l’examen des éléments de preuve qui démontraient l’usage de la marque telle qu’elle avait été enregistrée. Selon elle, la chambre de recours a suivi, à tort, l’analyse de la preuve de l’usage qui s’applique lorsque la marque a été utilisée sous une forme différente de celle sous laquelle elle a été enregistrée. La requérante soutient que le caractère distinctif de la marque antérieure et la perception du mot « gourmet » par le public pertinent comme un terme descriptif n’auraient pas dû être pris en considération lors de l’examen des éléments de preuve visant à démontrer l’usage de la marque antérieure telle qu’elle a été enregistrée.

42      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante. Selon lui, lorsque la chambre de recours a conclu, au point 39 de la décision attaquée, qu’elle ne considérait pas que la simple mention du mot « gourmet » soit apte à prouver que la marque antérieure a fait l’objet d’un usage conforme sous la forme sous laquelle elle a été enregistrée, elle fait référence au fait que le signe GOURMET a été enregistré en tant que marque individuelle, mais n’a pas été utilisé en tant que tel. Ce ne serait qu’en ce qui concerne les éléments de preuve démontrant l’usage de la marque demandée accompagnée sous la forme de signes figuratifs qu’elle aurait conclu que l’usage de la marque antérieure sous la forme enregistrée n’avait pas été prouvé. Ce faisant, selon l’EUIPO, la chambre de recours aurait correctement établi une distinction entre, d’une part, l’usage de la marque antérieure et, d’autre part, l’usage du terme « gourmet » perçu par le public comme une référence descriptive ou laudative à la qualité supérieure des produits.

43      Concernant les éléments de preuve sur lesquels la marque antérieure figure telle qu’elle a été enregistrée, la chambre de recours a considéré au point 36 de la décision attaquée que le faible caractère distinctif de la marque antérieure GOURMET jouait non seulement un rôle pour déterminer si la manière dont le signe avait été effectivement utilisé sur les produits altérait ou non le caractère distinctif du signe tel qu’il a été enregistré, mais avait également une incidence sur l’examen des différents types d’éléments de preuve produits. Elle a ajouté que, compte tenu de son caractère descriptif et très faiblement distinctif, le mot « gourmet », tel qu’il figurait dans les documents produits par la demanderesse en nullité, n’était pas nécessairement utilisé en tant que marque identifiant l’origine commerciale des produits de la demanderesse, mais apparaissait plutôt en tant que terme descriptif.

44      Or, c’est à tort que la chambre de recours a examiné si la marque verbale GOURMET était descriptive ou si elle serait perçue par le public pertinent comme un terme descriptif dans les preuves qui montrent un usage de la marque antérieure sous sa forme enregistrée. En effet, d’une part, il ne peut être contesté que la marque antérieure est distinctive, comme cela a été conclu au point 28 ci-dessus, et sert donc d’indication de l’origine des produits concernés. D’autre part, l’article 56 du règlement no 40/94 et la jurisprudence relative à l’usage sérieux citée au point 34 ci-dessus n’exigent pas expressément de procéder à un examen du caractère distinctif de la marque antérieure.

45      Partant, il y a lieu d’accueillir le premier grief du deuxième moyen.

 Sur le deuxième grief du deuxième moyen, tiré de la nature de l’usage des preuves représentant la marque antérieure sous sa forme enregistrée

46      Par le deuxième grief du deuxième moyen, la requérante fait valoir que l’appréciation erronée des éléments de preuve a conduit la chambre de recours à conclure, à tort, que l’usage du mot « gourmet » était effectué à des fins descriptives, et non de marque. En outre, selon la requérante, il ressort clairement de la jurisprudence constante [arrêts du 8 juillet 2010, Engelhorn/OHMI – The Outdoor Group (peerstorm), T‑30/09, EU:T:2010:298, points 41 et 44, et du 4 octobre 2016, Lidl Stiftung/EUIPO – Horno del Espinar (Castello), T‑549/14, non publié, EU:T:2016:594, point 49] que l’usage de la marque telle qu’elle a été enregistrée, par exemple sur des factures ou des catalogues, et accompagnant la description des produits vendus atteste de l’usage de cet élément en tant que marque. La requérante en conclut qu’en l’espèce l’usage de la marque antérieure sur les preuves soumises par la requérante, à côté de la description des produits concernés, par exemple sur les factures, établit bien un lien entre le signe et les produits et permet d’établir son usage sérieux en tant que marque pour désigner, sur le marché, les produits de la classe 30.

47      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante. Il argue que si les factures, catalogues et autres constituent en tant que tels des éléments de preuve appropriés, ils ne peuvent suffire, à eux seuls, à établir l’usage sérieux d’une marque que pour autant qu’ils démontrent non seulement l’usage de la marque telle qu’elle a été enregistrée pour les produits enregistrés et contiennent des indications suffisantes sur la durée, le lieu et l’importance de l’usage, mais aussi l’usage du signe en tant que marque. L’EUIPO ajoute que, à la lumière des éléments de preuve produits, la chambre de recours est parvenue à la conclusion que l’usage du mot « gourmet » dans des articles de presse, sur le site en ligne, sur des factures, des déclarations ainsi que sur des dépliants ne lui permettait pas de conclure avec certitude que cet usage serait identifié par les consommateurs pertinents comme une indication de l’origine commerciale, mais que ces consommateurs pourraient percevoir ce mot comme un terme purement descriptif et chercher la marque proprement dite ailleurs.

48      Il ressort de la jurisprudence rappelée au point 34 ci-dessus que l’usage sérieux d’une marque ne peut être constaté que lorsque cette marque est utilisée pour garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle avait été enregistrée.

49      En l’occurrence, après avoir analysé les documents visés au point 39 ci-dessus, la chambre de recours a, en substance, considéré, aux points 36 à 39 de la décision attaquée, que la façon dont il était fait usage de la marque antérieure sur les preuves produites par la requérante présentant la marque telle qu’enregistrée ne lui permettait pas de conclure avec certitude que cet usage serait identifié par les consommateurs pertinents comme une indication de l’origine commerciale, en ce que les consommateurs pourraient percevoir ce mot comme un terme purement descriptif des produits visés et chercher la marque proprement dite ailleurs.

50      Cependant, c’est à tort que la chambre de recours a considéré que l’examen des éléments de preuve mentionnés au point 39 ci-dessus ne permettait pas de conclure à l’usage de la marque conformément à sa fonction essentielle d’indication d’origine. En effet, il ressort de certains éléments de preuves qu’il y est fait mention du terme « gourmet » pour désigner la marque antérieure et non pour décrire des produits ou une gamme de produits, tel que semble le suggérer la chambre de recours.

51      C’est le cas, en premier lieu, de la plupart des articles de presse, regroupés dans le dossier de l’EUIPO (document 18), qui font mention de la marque GOURMET en tant que « marque distributeur » de la requérante. En effet, l’un des articles, daté du 10 juin 2007, indique que « le groupe vend également 759 produits de ses propres marques Gourmet (nourriture), Mical (entretien) et Micaderm (hygiène) ». En outre, deux articles datés des 10 octobre 2005 et 24 juin 2007 font mention des « trois marques GOURMET (nourriture et boisson) Micaderm (produits d’hygiène) et Mical (produits d’entretien ménagers, de décoration et accessoires) » du groupe Miquel Alimentacio.

52      En deuxième lieu, plusieurs déclarations écrites fournies par la requérante devant l’EUIPO font mention de la marque GOURMET en tant que marque. Tel est le cas des déclarations du 21 août 2009 du directeur général de la société Rocabruna, qui fournit des chiffres de vente « en ce qui concerne la marque Gourmet » (document 15 A) ; de la déclaration du 30 juillet 2009 de la société Phineas Taylor Barnum, qui certifie que la requérante a engagé des frais dans le cadre de trois contrats pour des campagnes publicitaires pour la marque Gourmet (document 16) ainsi que de la déclaration du 31 juillet 2009 de la société NEORG attestant que ladite société a travaillé pour la « promotion de la marque Gourmet » lors des six campagnes publicitaires pour l’année 2008 (document 17).

53      En troisième lieu, les factures fournies par la requérante (document 14), même si elles ne mentionnent pas la « marque GOURMET », présentent les produits suivis immédiatement du terme « gourmet ». Ainsi, lorsque ces factures sont rapprochées des autres éléments de preuve cités aux points 39 et 40 ci-dessus, sur lesquels l’élément verbal « gourmet » est clairement identifiable en tant que marque, il apparaît que ces factures font référence aux produits d’une marque. Contrairement à ce que soutient l’EUIPO, qui souligne que le mot « gourmet », sans être mis en évidence, est utilisé dans la position habituelle d’un adjectif, dans la même police de caractères et en mêmes lettres majuscules que tous les autres éléments de la description des produits, il n’est pas anormal de faire figurer la désignation du produit ainsi que le nom de la marque de manière accolée sur des factures comprenant divers produits de différentes marques, comme c’est le cas en l’espèce.

54      Dès lors, plusieurs de ces éléments de preuve paraissent sérieux et fiables et proviennent de sources variées.

55      Or, en l’espèce, la chambre de recours n’a procédé à aucun examen concret desdits éléments de preuve. Elle s’est limitée, au point 39 de la décision attaquée, à exprimer des doutes, sans examiner les éléments de preuve que la requérante lui avait soumis, présumant, de ce fait, et à tort, que, puisque ces éléments mentionnaient le terme « gourmet », qu’elle avait considéré comme descriptifs des produits, ils ne permettaient pas de constater un usage de la marque pouvant indiquer l’origine commerciale des produits.

56      En ce qui concerne l’arrêt du 31 janvier 2019, Pandalis/EUIPO (C‑194/17 P, EU:C:2019:80, points 91 et 92), invoqué par l’EUIPO pour justifier la qualification par la chambre de recours du caractère descriptif du terme « gourmet », s’il est certes vrai que la Cour a considéré qu’un élément d’une marque pouvait être utilisé comme un élément descriptif des produits en cause – et non conformément à la fonction d’indication d’origine – tel n’est pas le cas en l’espèce au regard des éléments de preuve que la chambre de recours n’a pas correctement examiné, comme cela a été constaté au point 55 ci-dessus.

57      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la chambre de recours a commis une erreur. Il y a donc lieu d’accueillir le deuxième grief du deuxième moyen.

 Sur le troisième grief du deuxième moyen, tiré du fait que la chambre de recours aurait remis en cause la valeur probante de certains documents

58      Dans le cadre du troisième grief du deuxième moyen, la requérante fait valoir, en substance, que, contrairement à l’article 10, paragraphe 4, du règlement délégué 2018/625 et à la jurisprudence constante [voir arrêt du 28 mai 2020, Diesel/EUIPO – Sprinter megacentros del deporte (Représentation d’une ligne incurvée et coudée), T‑615/18, non publié, EU:T:2020:223, point 82 et jurisprudence citée], la chambre de recours aurait remis en question la valeur probante des types d’éléments de preuve permettant de prouver l’usage sérieux et aurait considéré, à tort, que seuls les éléments de preuve présentant le mot « gourmet » apposés sur les produits ou sur leur emballage étaient aptes à prouver l’usage sérieux de la marque antérieure.

59      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante. Il soutient que la chambre de recours n’a ni remis en question la valeur probante, notamment, des factures, dépliants ou articles de presse, ni n’a exigé que la marque soit apposée sur les produits. L’EUIPO rappelle l’affirmation de la chambre de recours selon laquelle le résultat aurait pu être différent si le mot « gourmet » avait été utilisé dans un contexte différent, par exemple sur les produits et les emballages, ce qui découlerait logiquement du fait que l’appréciation de l’usage de la marque conformément à sa fonction essentielle dépend de la manière dont la marque est utilisée sur le marché et peut, dans ce contexte, être perçue par le public pertinent.

60      En l’espèce, au point 39 de la décision attaquée, après avoir mentionné les preuves produites par la requérante, telles que rappelées au point 39 ci-dessus, la chambre de recours a considéré que le mot « gourmet » pourrait être compris comme un terme laudatif ou descriptif ou comme une simple référence à une gamme de produits plus basique et moins coûteuse, et a conclu que la requérante n’avait pas démontré, par la simple mention du mot « gourmet » sur ces documents, l’usage de la marque sous la forme sous laquelle elle avait été enregistrée. La chambre de recours a ajouté que, « selon toute probabilité », cette conclusion aurait été différente si la demanderesse avait apporté la preuve que le mot « gourmet » était utilisé en tant que tel et sans ajout d’autres éléments graphiques sur les produits et/ou leur emballage.

61      Ce faisant, la chambre de recours semble accorder, à tort et sans aucune explication, une importance accrue, voire une valeur probante plus élevée aux éléments de preuve concernant les produits ou leur emballage, au détriment des autres éléments de preuve produits par la requérante.

62      Or, comme il est rappelé au point 32 ci-dessus, peuvent être pris en compte, par exemple, des emballages, des étiquettes, des barèmes de prix, des catalogues, des factures, des photographies, des annonces dans les journaux et des déclarations écrites. Dès lors, cette disposition ne prévoit aucune hiérarchisation entre ces éléments de preuve.

63      Il s’ensuit que ces éléments de preuve ne pouvaient être écartés par la chambre de recours au motif qu’il s’agissait de factures, de coupures de presse ou de déclarations écrites et non pas de l’emballage des produits en cause.

64      En outre, il convient de rappeler que, pour examiner le caractère sérieux de l’usage d’une marque contestée, il convient de procéder à une appréciation globale en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce (voir arrêt du 8 juillet 2004, VITAFRUIT, T‑203/02, EU:T:2004:225, point 42 et jurisprudence citée). Or, en l’espèce, comme cela a été constaté au point 55 ci-dessus, la chambre de recours n’a procédé à aucun examen concret des éléments de preuve et n’a donc pas pu procéder à une analyse globale de ces derniers.

65      Par conséquent, il y a lieu d’accueillir le troisième grief du deuxième moyen et, partant, le deuxième moyen dans son intégralité.

 Sur le troisième moyen, tiré dune violation de larticle 56, paragraphes 2 et 3, lu conjointement avec l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 40/94

66      Par le troisième moyen, lequel est divisé en deux branches, la requérante soutient, en substance, que la chambre de recours aurait commis des erreurs dans l’appréciation de l’usage sérieux des signes figuratifs qui apparaissaient dans les éléments de preuve produits – notamment les deux signes représentés ci-après – et qui, selon elle, pouvaient constituer un usage de la marque antérieure telle qu’enregistrée au sens de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 40/94 :

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67      D’une part, la requérante reproche à la chambre de recours d’avoir suivi des critères erronés et d’avoir commis une erreur en considérant que l’appréciation de l’usage ou non d’un signe tel qu’il a été enregistré nécessitait un examen plus strict que celui effectué dans le cadre de la définition des éléments distinctifs et dominants lors de l’appréciation d’un risque de confusion.

68      D’autre part, selon la requérante, cette appréciation aurait étayé la conclusion erronée selon laquelle les ajouts à la marque antérieure, qui ne sont pas particulièrement frappants ou distinctifs, altéraient son caractère distinctif.

69      À titre liminaire, il importe de rappeler qu’il résulte de l’article 18, paragraphe 1, second alinéa, sous a), du règlement 2017/1001 que, s’agissant de l’obligation d’usage de la marque de l’Union européenne dans un délai de cinq ans à compter de son enregistrement, il convient également d’admettre « l’usage de la marque de l’Union européenne sous une forme qui diffère par des éléments n’altérant pas le caractère distinctif de la marque dans la forme sous laquelle elle a été enregistrée, que la marque soit ou non enregistrée sous la forme utilisée au nom du titulaire ».

70      Le caractère distinctif d’une marque au sens du règlement 2017/1001 signifie que cette marque permet d’identifier le produit pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et donc de distinguer ce produit de ceux d’autres entreprises [voir arrêts du 18 juillet 2013, Specsavers International Healthcare e.a., C‑252/12, EU:C:2013:497, point 22 et jurisprudence citée, et du 13 septembre 2016, hyphen/EUIPO – Skylotec (Représentation d’un polygone), T‑146/15, EU:T:2016:469, point 26 et jurisprudence citée].

71      Il y a lieu de préciser que l’article 18, paragraphe 1, second alinéa, sous a), du règlement 2017/1001 vise l’hypothèse selon laquelle, notamment, une marque nationale ou de l’Union européenne enregistrée est utilisée dans le commerce sous une forme légèrement différente par rapport à la forme sous laquelle l’enregistrement a été effectué. Son objet, qui évite d’imposer une conformité stricte entre la forme utilisée de la marque et celle sous laquelle la marque a été enregistrée, est de permettre au titulaire de cette dernière d’apporter au signe, à l’occasion de son exploitation commerciale, les variations qui, sans en altérer le caractère distinctif, permettent de mieux l’adapter aux exigences de commercialisation et de promotion des produits ou des services concernés (voir arrêt du 13 septembre 2016, Représentation d’un polygone, T‑146/15, EU:T:2016:469, point 27 et jurisprudence citée).

72      Conformément à son objet, le champ d’application matériel de cette disposition doit être considéré comme limité aux situations dans lesquelles le signe concrètement utilisé par le titulaire d’une marque pour désigner les produits ou les services pour lesquels celle-ci a été enregistrée constitue la forme sous laquelle cette même marque est commercialement exploitée. Dans de pareilles situations, lorsque la forme du signe utilisé dans le commerce diffère de la forme sous laquelle celui-ci a été enregistré uniquement par des éléments négligeables, de sorte que les deux signes peuvent être considérés comme globalement équivalents, la disposition susmentionnée prévoit que l’obligation d’usage de la marque enregistrée peut être remplie en rapportant la preuve de l’usage du signe qui en constitue la forme utilisée dans le commerce (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2016, Représentation d’un polygone, T‑146/15, EU:T:2016:469, point 27 et jurisprudence citée).

73      Ainsi, le constat d’une altération du caractère distinctif de la marque enregistrée requiert un examen du caractère distinctif et dominant des éléments ajoutés en se fondant sur les qualités intrinsèques de chacun de ces éléments ainsi que sur la position relative des différents éléments dans la configuration de la marque (voir arrêt du 13 septembre 2016, Représentation d’un polygone, T‑146/15, EU:T:2016:469, point 28 et jurisprudence citée).

74      Il convient, aux fins d’un tel constat, de tenir compte également des qualités intrinsèques et, en particulier, du degré plus ou moins élevé de caractère distinctif de la marque antérieure uniquement utilisée en tant que partie d’une marque complexe ou conjointement avec une autre marque. En effet, plus le caractère distinctif de celle-ci est faible, plus il sera aisément altéré par l’adjonction d’un élément lui-même distinctif, et plus la marque en question perdra son aptitude à être perçue comme une indication de l’origine du produit qu’elle désigne. La considération inverse s’impose également (arrêt du 13 septembre 2016, Représentation d’un polygone, T‑146/15, EU:T:2016:469, point 29).

75      En l’espèce, il convient de constater que la marque antérieure est une marque verbale. Selon la jurisprudence, une marque verbale est une marque constituée exclusivement de lettres, de mots ou d’associations de mots, écrits en caractères d’imprimerie dans une police normale, sans élément graphique spécifique. Par conséquent, la protection qui découle de l’enregistrement d’une marque verbale porte sur le mot indiqué dans la demande d’enregistrement et non pas sur les aspects graphiques ou stylistiques particuliers que cette marque pourrait éventuellement revêtir [voir arrêt du 16 septembre 2013, Müller Boré & Partner/OHMI – Popp e.a. (MBP), T‑338/09, non publié, EU:T:2013:447, point 54 et jurisprudence citée]. Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que la présentation précise d’une telle marque n’a aucune importance. En effet, la représentation concrète d’une marque verbale n’est généralement pas de nature à modifier le caractère distinctif de ladite marque telle qu’enregistrée [voir arrêt du 23 septembre 2015, L’Oréal/OHMI – Cosmética Cabinas (AINHOA), T‑426/13, non publié, EU:T:2015:669, point 28 et jurisprudence citée].

76      C’est à l’aune de ces considérations qu’il convient d’examiner si c’est à bon droit que la chambre de recours a considéré qu’il n’avait pas été prouvé que la marque antérieure a été utilisée sous une forme constituant une différence admissible. Il convient d’examiner d’abord la seconde branche du troisième moyen.

 Sur la seconde branche du troisième moyen, tirée d’une erreur dans l’appréciation de l’influence sur le caractère distinctif de la marque antérieure

77      Par sa seconde branche, la requérante fait valoir que la chambre de recours aurait commis une erreur dans l’appréciation de l’influence des éléments ajoutés sur le caractère distinctif de la marque antérieure, en considérant que ces éléments altéreraient le caractère distinctif de celle‑ci.

78      À l’appui de cette branche, la requérante renvoie à l’arrêt du 15 décembre 2016, Gourmet (T‑212/15, non publié, EU:T:2016:746), déjà invoqué au point 21 ci-dessus, qui avait reconnu qu’une marque figurative Gourmet jouissait d’un caractère distinctif, même minimal, puis rappelle que la jurisprudence a établi que les ajouts à la marque enregistrée n’altèrent pas le caractère distinctif de la marque dans la forme sous laquelle elle a été enregistrée, notamment en raison de leur position dominante dans le signe ou de leur faible caractère distinctif. Dès lors, la requérante, considérant que l’élément figuratif ressemblant à une toque de cuisinier est un élément couramment utilisé dans le commerce pour identifier des produits relatifs à l’alimentation, conclut que l’élément dominant du signe figuratif tel qu’il est utilisé est le mot « gourmet ».

79      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante. Il soutient que la chambre de recours a considéré à juste titre que le très faible caractère distinctif de la marque antérieure découlant du mot « gourmet » est déjà altéré par de légères variations, comme l’ajout d’éléments faiblement distinctifs uniquement, et qu’elle a tiré les conclusions correspondantes dans l’appréciation au titre de l’article 18, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001.

80      Tout d’abord, il y a lieu de rappeler, comme il a été constaté au point 40 ci-dessus que, s’agissant des catalogues et des dépliants, le mot « gourmet » apparaît systématiquement sous une forme figurative, accompagnée de la marque telle qu’elle a été enregistrée, sous la photo des produits. Il y a lieu de constater que la forme figurative du mot « gourmet » utilisée dans les éléments de preuve rapportés en l’espèce n’altère pas le caractère distinctif de la marque verbale antérieure GOURMET telle qu’elle est enregistrée.

81      À cet égard, il convient de rappeler que, lorsqu’une marque est composée d’éléments verbaux et figuratifs, les premiers sont, en principe, plus distinctifs que les seconds, car le consommateur moyen fera plus facilement référence au produit en cause en en citant le nom qu’en décrivant l’élément figuratif de la marque [voir arrêt du 13 octobre 2021, Schneider/EUIPO – Frutaria Comercial de Frutas y Hortalizas (Frutaria), T‑12/20, non publié, EU:T:2021:702, point 68 et jurisprudence citée].

82      En l’espèce, et comme l’a souligné la chambre de recours au point 41 de la décision attaquée, l’élément verbal « gourmet » possède un caractère distinctif faible pour les produits compris dans la classe 30. De fait, le caractère distinctif des éléments figuratifs ajoutés à l’élément verbal, lorsque la marque est apposée sur les produits en cause, est lui aussi faible.

83      En effet, la toque blanche, ajoutée au-dessus de la marque verbale, n’est ni frappante ni dominante en raison de sa petite taille. De plus, la présence de cet élément figuratif dans les signes utilisés par la requérante n’a pas pour effet de changer l’ordre de lecture, le contenu sémantique et l’aspect phonétique du terme « gourmet », lequel demeure clairement identifiable [voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2019, 6Minutes Media/EUIPO – Ad pepper media International (ADPepper), T‑668/18, non publié, EU:T:2019:719, points 47 à 50].

84      En outre, une toque de chef constitue un élément banal et courant dans le domaine des produits alimentaires, en ce qu’il indique que les produits seraient confectionnés par un chef. À cet égard, le raisonnement de la chambre de recours selon lequel certains des produits pertinents sont des aliments bruts et non des produits cuisinés par un chef, ce qui augmenterait le caractère distinctif de la toque blanche, ne peut être suivi. En effet, les aliments bruts peuvent être utilisés par un chef dans ses préparations.

85      Concernant le cadre rouge ajouté en arrière-plan, celui-ci doit être considéré comme un simple élément décoratif courant, qui n’est pas particulièrement frappant et qui n’altère pas la fonction d’indication de l’origine commerciale des aliments en cause. De surcroît, dans l’arrêt invoqué par la requérante au point 78 ci-dessus, opposant les mêmes parties, le Tribunal avait déjà reconnu que la forme et la couleur de l’arrière-plan de l’élément verbal « gourmet » étaient des éléments purement décoratifs et accessoires par rapport à ce dernier (arrêt du 15 décembre 2016, Gourmet, T‑212/15, non publié, EU:T:2016:746, point 57).

86      Dans la même affaire, le Tribunal a rappelé, que l’éventuel caractère distinctif faible d’un élément d’une marque complexe n’impliquait pas nécessairement que celui-ci ne saurait constituer un élément dominant, dès lors que, en raison, notamment de sa position dans le signe ou de sa dimension, il était susceptible de s’imposer à la perception du consommateur et d’être gardé en mémoire par celui-ci (voir arrêt du 15 décembre 2016, Gourmet, T‑212/15, non publié, EU:T:2016:746, points 60 et 61 et jurisprudence citée).

87      En l’espèce, la marque, telle qu’elle figure sur les produits, est composée d’un cadre rouge, sur lequel sont représentés l’élément verbal « gourmet » et, au-dessus de celui-ci, un élément figuratif représentant une petite toque de cuisinier. L’élément verbal se situe au centre de la marque et occupe la majeure partie de l’espace de celle-ci, dont il domine l’image globale. L’attention du public sera donc retenue par l’élément verbal, dont la place est prépondérante, et non pas par sa typographie, par l’élément figuratif représentant une toque de cuisinier ou par la forme ou la couleur de l’arrière-plan. Il s’ensuit que l’élément verbal « gourmet » ne peut qu’être considéré comme étant l’élément dominant de la marque GOURMET telle que représentée sur les produits en cause, et ce même s’il est faiblement distinctif.

88      Dans ces circonstances, les éléments figuratifs additionnels ne sont pas en mesure d’altérer le caractère distinctif de la marque verbale antérieure GOURMET telle qu’elle a été enregistrée.

89      Il s’ensuit que la chambre de recours a violé l’article 56, paragraphes 2 et 3, du règlement no 40/94, lu conjointement avec l’article 15, paragraphe 2, du même règlement.

90      Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’accueillir la seconde branche du troisième moyen, tirée d’une erreur dans l’appréciation de l’usage sérieux des variantes de la marque verbale antérieure et, partant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la première branche du troisième moyen de faire droit aux conclusions de la requérante en annulant la décision attaquée.

IV.    Sur les dépens

91      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

92      L’EUIPO ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

93      En outre, la requérante a conclu à la condamnation de l’EUIPO aux dépens qu’elle a exposés devant la chambre de recours. À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 190, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure devant la chambre de recours sont considérés comme des dépens récupérables. Partant, il y a également lieu de condamner l’EUIPO aux dépens indispensables exposés par la requérante aux fins de la procédure devant la chambre de recours.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 14 décembre 2021 (affaire R 862/2021-2) est annulée.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      L’EUIPO est condamné à supporter ses propres dépens ainsi que la totalité des dépens exposée par Transgourmet Ibérica, SAU.

Kornezov

De Baere

Kecsmár

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er mars 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.