Language of document : ECLI:EU:T:2020:159

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

29 avril 2020 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Agriculture – Restitutions à l’exportation – Viande de volaille – Annulation du règlement d’exécution (UE) no 689/2013 par un arrêt de la Cour – Préjudice »

Dans l’affaire T‑437/18,

Tilly-Sabco, établie à Guerlesquin (France), représentée par Mes R. Milchior et S. Charbonnel, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. A. Lewis et B. Hofstötter, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir réparation du préjudice que la requérante aurait prétendument subi en raison de l’adoption du règlement d’exécution (UE) no 689/2013 de la Commission, du 18 juillet 2013, fixant les restitutions à l’exportation dans le secteur de la viande de volaille (JO 2013, L 196, p. 13),

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de MM. J. Svenningsen, président, C. Mac Eochaidh (rapporteur) et Mme T. Pynnä, juges,

greffier : Mme M. Marescaux, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 5 février 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Tilly-Sabco, est une société française active dans l’exportation de poulets entiers congelés vers les pays du Moyen-Orient.

2        Conformément notamment aux articles 162 et 164 du règlement (CE) no 1234/2007 du Conseil, du 22 octobre 2007, portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement OCM unique) (JO 2007, L 299, p. 1), la Commission européenne a fixé périodiquement, au moyen de règlements d’exécution, le montant des restitutions à l’exportation dans le secteur de la viande de volaille.

3        Ainsi, depuis l’adoption du règlement (UE) no 525/2010 de la Commission, du 17 juin 2010, fixant les restitutions à l’exportation dans le secteur de la viande de volaille (JO 2010, L 152, p. 5), le montant de ces restitutions a fait l’objet d’une baisse progressive en ce qui concerne trois catégories de poulets congelés. Il a d’abord été ramené de 40 euros pour 100 kilogrammes à 32,50 euros. Ce dernier montant, après avoir été maintenu par huit règlements d’exécution successifs, a ensuite été abaissé à 21,70 euros pour 100 kilogrammes en vertu du règlement d’exécution (UE) no 962/2012 de la Commission, du 18 octobre 2012, fixant les restitutions à l’exportation dans le secteur de la viande de volaille (JO 2012, L 288, p. 6).

4        Une nouvelle réduction, portant le montant des restitutions à 10,85 euros pour 100 kilogrammes pour les trois catégories de poulets congelés en question, a été opérée par le règlement d’exécution (UE) no 33/2013 de la Commission, du 17 janvier 2013, fixant les restitutions à l’exportation dans le secteur de la viande de volaille (JO 2013, L 14, p. 15). Ce montant a ensuite été maintenu par le règlement d’exécution (UE) no 360/2013 de la Commission, du 18 avril 2013, fixant les restitutions à l’exportation dans le secteur de la viande de volaille (JO 2013, L 109, p. 27).

5        Enfin, la Commission a adopté le règlement d’exécution (UE) no 689/2013, du 18 juillet 2013, fixant les restitutions à l’exportation dans le secteur de la viande de volaille (JO 2013, L 196, p. 13), par lequel elle a abrogé le règlement d’exécution no 360/2013 et a fixé, à partir du 19 juillet 2013, à zéro euro le montant des restitutions à l’exportation pour trois catégories de poulets congelés, dont les codes sont 0207 12 10 9900, 0207 12 90 9190 et 0207 12 90 9990.

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 août 2013 et enregistrée sous le numéro d’affaire T‑397/13, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation du règlement d’exécution no 689/2013. Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit une demande en référé visant, en substance, à surseoir à la mise en œuvre de ce même règlement d’exécution.

7        Par ordonnance du 26 septembre 2013, Tilly-Sabco/Commission (T‑397/13 R, non publiée, EU:T:2013:502), le président du Tribunal a rejeté la demande en référé introduite par la requérante.

8        Le 1er janvier 2014, le règlement no 1234/2007 a été abrogé et remplacé par le règlement (UE) no 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) no 922/72, (CEE) no 234/79, (CE) no 1037/2001 et no 1234/2007 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 671).

9        Par arrêt du 14 janvier 2016, Tilly-Sabco/Commission (T‑397/13, EU:T:2016:8), le Tribunal a rejeté le recours en annulation introduit par la requérante à l’encontre du règlement d’exécution no 689/2013.

10      Par acte déposé au greffe de la Cour le 31 mars 2016, la requérante a introduit un pourvoi contre l’arrêt du 14 janvier 2016, Tilly-Sabco/Commission (T‑397/13, EU:T:2016:8).

11      Par arrêt du 20 septembre 2017, Tilly-Sabco/Commission (C‑183/16 P, EU:C:2017:704), la Cour, premièrement, a annulé l’arrêt du 14 janvier 2016, Tilly-Sabco/Commission (T‑397/13, EU:T:2016:8), deuxièmement, a annulé le règlement d’exécution no 689/2013 et, troisièmement, a maintenu les effets dudit règlement d’exécution jusqu’à l’entrée en vigueur d’un nouvel acte appelé à le remplacer.

12      Plus précisément, la Cour a, aux points 54, 105 et 114, notamment jugé ce qui suit :

« 54 […] aucun montant spécifique ni aucune méthode de calcul particulière n’étant imposés par, en particulier, l’article 164, paragraphe 3, du règlement no 1234/2007, rien ne s’oppose à ce que l’examen, par la Commission, des éléments visés par cette disposition puisse aboutir à la fixation temporaire d’un montant nul.

[…]

105 […] une pratique consistant à ne soumettre le projet d’acte d’exécution au comité de gestion qu’au cours de la réunion convoquée pour l’examen de celui-ci est incompatible tant avec le libellé qu’avec les objectifs poursuivis par l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 182/2011. En effet, en procédant ainsi, la Commission ne respecte pas le premier délai de quatorze jours.

[…]

114 […] les exigences posées par l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 182/2011 constituent des règles de procédure essentielles voulues par le traité FUE, qui relèvent des formes substantielles de la régularité de la procédure et dont la violation entraîne la nullité de l’acte concerné […] »

13      Eu égard à ce qui précède, la Cour a, d’une part, annulé le règlement d’exécution no 689/2013 pour violation des formes substantielles et, d’autre part, annulé l’arrêt du 14 janvier 2016, Tilly-Sabco/Commission (T‑397/13, EU:T:2016:8).

14      Dans ce même arrêt, la Cour a également considéré que, si la procédure de pourvoi avait révélé que le règlement d’exécution no 689/2013 avait été pris en violation des formes substantielles, elle n’avait en revanche révélé aucune erreur affectant la conformité de cet acte, qui comporte des mesures nécessaires aux fins de la mise en œuvre du règlement no 1234/2007, avec ce dernier règlement. Partant, elle a maintenu les effets du règlement d’exécution no 689/2013 jusqu’à ce qu’il soit remplacé par un nouvel acte (arrêt du 20 septembre 2017, Tilly-Sabco/Commission, C‑183/16 P, EU:C:2017:704, points 123 à 125).

15      Le 18 septembre 2018, à titre de mesure d’exécution de l’arrêt du 20 septembre 2017, Tilly-Sabco/Commission (C‑183/16 P, EU:C:2017:704), le Conseil de l’Union européenne a adopté le règlement (UE) 2018/1277, fixant les restitutions à l’exportation dans le secteur de la viande de volaille (JO 2018, L 239, p. 1). Par ce règlement, le Conseil a fixé, rétroactivement pour la période allant du 19 juillet au 31 décembre 2013, le montant des restitutions à l’exportation dans le secteur de la viande de volaille au même niveau que celui auquel elles avaient été arrêtées par le règlement d’exécution no 689/2013.

16      Dans un recours distinct dans l’affaire T‑707/18, Tilly-Sabco/Conseil et Commission, dans laquelle l’arrêt mettant fin à l’instance est prononcé le même jour que le présent arrêt, la requérante a, en substance, demandé l’annulation du règlement 2018/1277 ainsi que la condamnation du Conseil ou de la Commission au versement de dommages et intérêts en réparation du préjudice prétendument subi.

 Procédure et conclusions des parties

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 juillet 2018, la requérante a introduit le présent recours.

18      Par lettre du 24 septembre 2018, la Commission a introduit, par acte séparé, une demande de suspension de la procédure, au titre de l’article 69, sous c) ou d), du règlement de procédure du Tribunal, dans l’attente de l’adoption par le Conseil d’un nouveau règlement fixant les restitutions à l’exportation en remplacement du règlement d’exécution no 689/2013.

19      Le 28 septembre 2018, la requérante a déposé des observations sur la demande de suspension.

20      Le 3 octobre 2018, la Commission a introduit, par acte séparé, une demande de non-lieu à statuer, au titre de l’article 130, paragraphe 2, du règlement de procédure. Selon elle, l’adoption du règlement 2018/1277 aurait privé le présent recours de tout objet.

21      Le 8 octobre 2018, le président de la cinquième chambre du Tribunal a décidé de ne pas faire droit à la demande de suspension introduite par la Commission.

22      Le 22 octobre 2018, la requérante a déposé des observations sur la demande de non-lieu à statuer introduite par la Commission.

23      Le 28 décembre 2018 et dans le cadre de l’affaire T‑707/18, Tilly-Sabco/Conseil et Commission, la requérante a introduit, par acte séparé, une demande de jonction de cette affaire avec la présente affaire, au titre de l’article 68 du règlement de procédure.

24      Le 21 janvier 2019, la Commission a déposé des observations sur la demande de jonction introduite par la requérante.

25      Le 28 janvier 2019, le président de la cinquième chambre du Tribunal a décidé de ne pas joindre la présente affaire et l’affaire T‑707/18, Tilly-Sabco/Conseil et Commission.

26      Par ordonnance du 8 février 2019, la cinquième chambre du Tribunal a décidé de joindre au fond la demande de non-lieu à statuer de la Commission.

27      Le 21 mars 2019, la Commission a déposé le mémoire en défense au greffe du Tribunal.

28      Les mémoires en réplique et en duplique ont été déposés au greffe du Tribunal respectivement le 17 mai et le 1er juillet 2019.

29      Par courrier du 8 juillet 2019, la requérante a sollicité la tenue d’une audience.

30      Par décision du 16 octobre 2019 et à la suite de la modification de la composition des chambres du Tribunal, l’affaire a été attribuée à un nouveau juge rapporteur au sein de la huitième chambre.

31      Le Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et les parties ont ainsi été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 5 février 2020.

32      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner la Commission à lui verser en réparation du préjudice subi la somme de 3 238 000 euros, majorée d’intérêts compensatoires et moratoires ;

–        condamner la Commission aux dépens ;

–        subsidiairement, rejeter la demande de la Commission de condamnation aux dépens.

33       La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur l’objet du litige

34      En premier lieu, s’agissant du fait générateur de son prétendu préjudice, la requérante affirme, tant dans la requête que dans le mémoire en réplique, vouloir obtenir la réparation d’un préjudice qui résulterait de l’annulation du règlement d’exécution no 689/2013.

35      Toutefois, lors de l’audience et en réponse à une question orale du Tribunal, la requérante a précisé que c’était en réalité l’adoption illégale, et non l’annulation, du règlement d’exécution no 689/2013 qui serait à la source de son préjudice.

36      En réponse à une question orale du Tribunal, la Commission a indiqué ne pas s’opposer à une telle interprétation des écritures de la requérante.

37      En second lieu, la requérante a, au stade de la réplique et à titre subsidiaire, demandé au Tribunal de reconnaître et de déterminer le montant d’un autre préjudice qu’elle aurait subi. Selon elle, « le délai pris pour faire adopter un nouveau règlement par le Conseil [a créé] un préjudice en [l’]obligeant à introduire ce recours pour éviter d’être prescrite dans ses demandes puisqu’elle ne pouvait pas savoir si et quand la Commission (ne pouvant imaginer que ce soit le Conseil) prendrait un nouveau règlement ni son contenu ».

 Sur la demande indemnitaire principale

38      À l’appui de sa demande indemnitaire principale, telle que formulée dans la requête, la requérante fait valoir, en substance, que le non-respect du délai de quatorze jours fixé par l’article 3, paragraphe 3, du règlement (UE) no 182/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l’exercice des compétences d’exécution par la Commission (JO 2011, L 55, p. 13), lors de l’adoption du règlement d’exécution no 689/2013, tel que constaté par la Cour dans l’arrêt du 20 septembre 2017, Tilly-Sabco/Commission (C‑183/16 P, EU:C:2017:704), lui a causé un préjudice matériel évalué à 3 238 000 euros. Ce préjudice correspondrait au manque à gagner qu’elle aurait subi du fait de la fixation, par ledit règlement d’exécution, des restitutions à l’exportation dans le secteur de la viande de volaille à un montant de zéro euro.

39      La Commission rétorque, premièrement, qu’elle n’a commis aucune violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, deuxièmement, que la requérante n’a pas prouvé l’existence d’un préjudice réel et certain et, troisièmement, que la requérante n’a pas établi de lien de causalité entre l’illégalité supposée et le préjudice prétendument subi.

40      À cet égard, selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union européenne est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre la violation de l’obligation qui incombe à l’auteur de l’acte et le dommage subi par les personnes lésées (arrêt du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694, point 32 et jurisprudence citée ; voir, en ce sens, arrêt du 19 avril 2012, Artegodan/Commission, C‑221/10 P, EU:C:2012:216, point 80 et jurisprudence citée).

41      Selon une jurisprudence également constante, dès lors que l’une de ces trois conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions de ladite responsabilité (arrêts du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, EU:C:1994:329, point 81, et du 20 février 2002, Förde-Reederei/Conseil et Commission, T‑170/00, EU:T:2002:34, point 37).

42      S’agissant de la première de ces conditions, la requérante soutient que l’adoption illégale du règlement d’exécution no 689/2013, telle que constatée par la Cour dans son arrêt du 20 septembre 2017, Tilly-Sabco/Commission (C‑183/16 P, EU:C:2017:704), constitue une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

43      Plus précisément, premièrement, la requérante considère que le délai de quatorze jours fixé par l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 182/2011 ne laisse aucune marge d’appréciation à la Commission, si bien que toute infraction à cette disposition devrait être qualifiée de violation suffisamment caractérisée au sens de la jurisprudence. De plus, en soumettant son projet de règlement d’exécution au cours de la réunion du comité de gestion, et non pas quatorze jours avant cette réunion, comme le prévoit l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 182/2011, la Commission aurait gravement et manifestement méconnu les limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Cette violation des formes substantielles serait, du reste, tellement grave que la Cour l’aurait retenue comme un moyen d’ordre public, lequel aurait pu être soulevé d’office par le juge de l’Union.

44      Deuxièmement, cette violation suffisamment caractérisée porterait atteinte à une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Sur ce point, la requérante soutient, par « un raisonnement “a contrario” », que, dès lors que la violation du délai de quatorze jours ne rentre dans aucune des catégories de règles pour lesquelles le juge de l’Union aurait déjà considéré qu’elles n’avaient pas pour objet de conférer des droits aux particuliers, ce seul constat implique que le règlement d’exécution no 689/2013 et l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 182/2011 doivent être qualifiés de règles conférant des droits aux particuliers.

45      Afin d’apprécier l’existence d’une illégalité dans le chef de la Commission susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union, il convient de vérifier préalablement si la requérante a établi l’existence en l’espèce d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers au sens de la jurisprudence rappelée au point 40 ci-dessus, à laquelle il aurait été porté atteinte.

46      À cet égard, il a déjà été jugé qu’une règle de droit a pour objet de conférer des droits aux particuliers lorsque la violation concerne une disposition qui engendre des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder, de sorte qu’elle a un effet direct, qui engendre un avantage susceptible d’être qualifié de droit acquis, qui a pour fonction de protéger les intérêts des particuliers ou qui procède à l’attribution de droits au profit des particuliers dont le contenu peut être suffisamment identifié (voir arrêt du 19 octobre 2005, Cofradía de pescadores « San Pedro de Bermeo » e.a./Conseil, T‑415/03, EU:T:2005:365, point 86 et jurisprudence citée).

47      Aucune de ces hypothèses ne correspond au cas d’espèce.

48      En premier lieu, il convient d’écarter le « raisonnement “a contrario” » de la requérante, rappelé au point 44 ci-dessus. En effet, le juge de l’Union n’a aucunement dressé une liste exhaustive des règles de droit n’ayant pas pour objet de conférer des droits aux particuliers. Il est donc sans importance que la violation par la Commission du délai de quatorze jours puisse, ou non, être rapprochée d’autres cas de figure examinés antérieurement par le juge de l’Union et pour lesquels ce dernier aurait considéré que les règles en cause dans ces cas n’avaient pas pour objet de conférer des droits aux particuliers.

49      En deuxième lieu, s’agissant du règlement d’exécution no 689/2013, d’une part, il y a lieu de rappeler que le délai de quatorze jours est fixé par l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 182/2011, et non par le règlement d’exécution no 689/2013, de sorte que, dans la mesure où la requérante se prévaudrait de droits résultant de ce délai, ce règlement d’exécution serait sans pertinence.

50      D’autre part et en toute logique, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir, durant le processus d’adoption du règlement d’exécution no 689/2013, méconnu de prétendus droits qui auraient été conférés, précisément, par ce même règlement d’exécution. Conformément à l’article 297, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE, la Commission ne saurait être tenue de respecter ledit règlement d’exécution avant son entrée en vigueur, ni, a fortiori, avant son adoption.

51      En troisième lieu, s’agissant de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 182/2011, il y a lieu de constater que, ainsi que la Cour l’a relevé aux points 102 et 103 de l’arrêt du 20 septembre 2017, Tilly-Sabco/Commission (C‑183/16 P, EU:C:2017:704), le délai de quatorze jours fixé par cette disposition a pour objectifs, d’une part, de permettre un examen serein, avant toute réunion, par les membres du comité de gestion, du projet d’acte d’exécution et, d’autre part, de garantir l’information des gouvernements des États membres, par l’intermédiaire de leurs membres du comité de gestion, sur les propositions de la Commission, pour que les gouvernements puissent, au moyen de consultations internes et externes, définir une position visant à préserver, au sein du comité de gestion, les intérêts propres à chacun d’eux.

52      L’article 3, paragraphe 3, du règlement no 182/2011 institue donc une règle d’ordre procédural ayant pour unique but de permettre le contrôle, par les gouvernements des États membres, de l’exercice par la Commission de ses compétences d’exécution, et non d’assurer la protection des particuliers (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 13 septembre 2007, Common Market Fertilizers/Commission, C‑443/05 P, EU:C:2007:511, points 143 à 145 et jurisprudence citée).

53      Par conséquent, l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 182/2011 ne présente pas les caractéristiques d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, si bien que le non-respect par la Commission de cette disposition, notamment du délai qu’elle prévoit, ne saurait, à lui seul, suffire à engager la responsabilité de l’Union envers les opérateurs économiques concernés.

54      Cette conclusion n’est pas infirmée par les autres arguments de la requérante.

55      Premièrement, la requérante estime que l’application en l’espèce de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 182/2011 ne vise pas à protéger l’intérêt des États membres, mais bien les entreprises, dont elle-même en premier chef, dès lors que ces dernières, et non ces États, seraient les bénéficiaires des restitutions à l’exportation.

56      Cet argument n’emporte pas la conviction du Tribunal, dès lors que le règlement no 182/2011 n’est pas propre au secteur agricole et qu’il n’institue aucune procédure d’octroi de restitutions à l’exportation. Au contraire, en adoptant ledit règlement, le législateur de l’Union a défini, de manière globale et conformément à l’article 291, paragraphe 3, TFUE, des règles et des principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l’exercice des compétences d’exécution par la Commission.

57      Deuxièmement, la requérante affirme que le respect du délai de quatorze jours aurait pu conduire le comité de gestion concerné à ne pas adopter le règlement d’exécution no 689/2013, et donc à ne pas réduire à zéro euro le montant des restitutions à l’exportation en cause. Or, cette réduction aurait affecté ses droits.

58      Cet argument doit également être rejeté. En effet, il ressort de la jurisprudence qu’une distinction doit être faite entre le droit des opérateurs économiques à exporter leurs produits et celui de bénéficier d’une restitution à l’exportation, ce qui signifie que les opérations d’exportation n’entraînent pas nécessairement l’octroi de restitutions à l’exportation (arrêt du 9 mars 2017, Doux, C‑141/15, EU:C:2017:188, point 36).

59      De plus, dès lors qu’aucun montant spécifique ni aucune méthode de calcul particulière ne sont imposés par, en particulier, l’article 164, paragraphe 3, du règlement no 1234/2007, rien ne s’oppose à ce que l’examen, par la Commission, des éléments visés par cette disposition puisse aboutir à la fixation temporaire d’un montant nul. En l’espèce, il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 689/2013 ainsi que de ses considérants 2 et 3 que, en adoptant ce règlement, la Commission n’a pas procédé à la suppression, au titre de l’article 162 du règlement no 1234/2007, des restitutions à l’exportation précédemment octroyées et fixées à un montant positif, mais a fixé à un montant nul, en vertu de l’article 164 du règlement no 1234/2007, les restitutions à l’exportation litigieuses (arrêt du 20 septembre 2017, Tilly-Sabco/Commission, C‑183/16 P, EU:C:2017:704, points 54 et 57).

60      À titre de comparaison, le Tribunal relève aussi que le législateur de l’Union a prévu, à l’article 196, paragraphe 3, du règlement no 1308/2013, que, « [s]ans préjudice de l’application de l’article 219, paragraphe 1, et de l’article 221, la restitution disponible pour les produits visés au paragraphe 1 du présent article est de [zéro euro] ». Cette disposition illustre le fait que le législateur de l’Union, tout en prévoyant la mise en place de restitutions à l’exportation, a expressément envisagé l’hypothèse selon laquelle celles-ci pourraient être fixées à un montant nul.

61      Par ailleurs, la requérante devait être consciente, en opérateur économique prudent et averti, que ces restitutions à l’exportation relevaient d’un domaine très réglementé, la Commission intervenant normalement au moins une fois tous les trois mois, en vertu de l’article 164, paragraphe 2, du règlement no 1234/2007, pour fixer le montant de ces restitutions. Il s’agit ainsi d’un domaine qui nécessite une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique, de sorte qu’un opérateur économique, actif dans le secteur économique susceptible de bénéficier desdites restitutions, ne saurait invoquer un droit acquis au maintien d’un avantage, sous forme d’une restitution fixée à un montant déterminé, dont il a bénéficié à un moment donné (voir ordonnance du 26 septembre 2013, Tilly-Sabco/Commission, T‑397/13 R, non publiée, EU:T:2013:502, point 28 et jurisprudence citée).

62      Enfin, il convient de constater que la compétence pour adopter, ou, le cas échéant, ne pas adopter, le règlement d’exécution no 689/2013 ne revenait pas au comité de gestion concerné, lequel n’était que consulté sur le projet de règlement d’exécution, mais à la Commission. Partant, c’est à tort que la requérante affirme que ce comité de gestion aurait pu ne pas adopter ce règlement.

63      Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de constater que l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 182/2011 n’engendre pas de droits, pour des particuliers, que les juridictions doivent sauvegarder dans le cadre d’un recours en indemnité. Par ailleurs, cette disposition n’accorde pas un avantage aux particuliers susceptible d’être qualifié de droit acquis. Enfin, cette disposition n’a pas pour fonction de protéger les intérêts des particuliers et ne procède pas davantage à l’attribution de droits au profit des particuliers dont le contenu peut être suffisamment identifié.

64      Partant, la requérante ne saurait se prévaloir de la méconnaissance de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 182/2011 à l’appui de sa demande indemnitaire principale.

65      S’agissant de l’existence d’un préjudice, il y a lieu de constater que, pour calculer celui-ci, la requérante se fonde à tort sur l’hypothèse que, du fait de l’annulation du règlement d’exécution no 689/2013, le taux fixé par le règlement d’exécution no 360/2013, soit 10,85 euros pour 100 kilogrammes de viande de volaille, aurait pu s’appliquer durant la période allant du 19 juillet au 31 décembre 2013.

66      Cependant, le règlement d’exécution no 360/2013 n’a jamais trouvé à s’appliquer durant cette période. En effet, la Cour a, au point 125 de l’arrêt du 20 septembre 2017, Tilly-Sabco/Commission (C‑183/16 P, EU:C:2017:704), maintenu les effets du règlement d’exécution no 689/2013 jusqu’à l’entrée en vigueur d’un acte le remplaçant, à savoir le règlement 2018/1277. Or, ces deux règlements ont fixé, pour la période courant du 19 juillet au 31 décembre 2013, les restitutions à l’exportation à zéro euro. De plus, le Tribunal a rejeté le recours en annulation du règlement 2018/1277 par arrêt de ce jour, Tilly-Sabco/Conseil et Commission (T‑707/18, non publié).

67      Il s’ensuit que le préjudice allégué par la requérante n’est ni réel ni certain, puisqu’il repose sur la prémisse erronée de l’application du règlement d’exécution no 360/2013 durant la période allant du 19 juillet au 31 décembre 2013.

68      La condition relative à l’existence d’un préjudice réel et certain n’est donc pas satisfaite.

69      La requérante n’ayant pas démontré l’existence d’une violation d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, ni l’existence d’un préjudice réel et certain, il y a lieu de rejeter comme non fondée la demande indemnitaire principale, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la condition relative à la causalité.

 Sur la demande indemnitaire subsidiaire

70      Au stade de la réplique et à titre subsidiaire, la requérante demande, ainsi qu’il est rappelé au point 37 ci-dessus, au Tribunal de reconnaître et de déterminer le montant d’un autre préjudice qu’elle aurait subi. Selon elle, « le délai pris pour faire adopter un nouveau règlement par le Conseil [a créé] un préjudice en [l’]obligeant à introduire ce recours pour éviter d’être prescrite dans ses demandes puisqu’elle ne pouvait pas savoir si et quand la Commission (ne pouvant imaginer que ce soit le Conseil) prendrait un nouveau règlement ni son contenu ».

71      La Commission conteste cet argument en indiquant que la requérante n’explique pas la réalité et la nature de ce préjudice prétendument subi.

72      Aux termes de l’article 76, sous e), du règlement de procédure, la partie requérante est tenue d’indiquer ses conclusions dans sa requête. Ainsi, seules les conclusions exposées dans la requête introductive d’instance peuvent être prises en considération et le bien-fondé du recours doit être examiné uniquement au regard des conclusions contenues dans la requête introductive d’instance. L’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure permet la production de moyens nouveaux à la condition que ceux-ci se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cette condition régit a fortiori toute modification des conclusions, et à défaut d’éléments de droit et de fait révélés pendant la phase écrite de la procédure, seules les conclusions de la requête peuvent être prises en considération (voir, en ce sens, arrêt du 26 octobre 2010, Allemagne/Commission, T‑236/07, EU:T:2010:451, points 27 et 28). En l’espèce, la demande indemnitaire subsidiaire de la requérante a été formulée au stade du mémoire en réplique sans que la requérante n’avance de tels éléments de fait ou de droit. Partant, cette demande est irrecevable.

73      Il y a donc lieu de rejeter la demande indemnitaire subsidiaire et, partant, le recours dans son intégralité, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la demande de non-lieu à statuer formulée par la Commission.

 Sur les dépens

74      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Tilly-Sabco est condamnée aux dépens.

Svenningsen

Mac Eochaidh

Pynnä

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 avril 2020.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

S. Papasavvas


* Langue de procédure : le français.