Language of document : ECLI:EU:C:2020:585

ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

16 juillet 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Procédures d’insolvabilité – Règlement (UE) 2015/848 – Article 3 – Compétence internationale – Centre des intérêts principaux du débiteur – Personne physique n’exerçant pas une profession libérale ou toute autre activité d’indépendant – Présomption réfragable selon laquelle le centre des intérêts principaux de cette personne est sa résidence habituelle – Renversement de la présomption – Situation dans laquelle le seul bien immobilier du débiteur est situé en dehors de l’État membre de résidence habituelle »

Dans l’affaire C‑253/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal da Relação de Guimarães (cour d’appel de Guimarães, Portugal), par décision du 14 février 2019, parvenue à la Cour le 26 mars 2019, dans la procédure

MH,

NI

contre

OJ,

Novo Banco SA,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de M. S. Rodin, président de chambre, Mme K. Jürimäe (rapporteure) et M. N. Piçarra, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes et P. Lacerda ainsi que par Mmes P. Barros da Costa et L. Medeiros, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. M. Wilderspin et Mme P. Costa de Oliveira, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 avril 2020,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO 2015, L 141, p. 19).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant MH et NI à OJ et à Novo Banco SA au sujet d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité introduite par les premiers.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement (CE) n° 1346/2000

3        Le règlement (CE) no 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO 2000, L 160, p. 1), a été abrogé et remplacé par le règlement 2015/848. Son considérant 13 énonçait :

« Le centre des intérêts principaux devrait correspondre au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est donc vérifiable par les tiers. »

4        L’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000 disposait :

« Les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire. »

 Le règlement 2015/848

5        Les considérants 5, 23 et 27 à 34 du règlement 2015/848 énoncent :

« (5)      Il est nécessaire, pour assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, d’éviter que les parties ne soient incitées à déplacer des avoirs ou des procédures judiciaires d’un État membre à un autre en vue d’améliorer leur situation juridique au détriment de la masse des créanciers (“forum shopping”).

[...]

(23)       Le présent règlement permet d’ouvrir la procédure d’insolvabilité principale dans l’État membre où se situe le centre des intérêts principaux du débiteur. Cette procédure a une portée universelle et vise à inclure tous les actifs du débiteur. En vue de protéger les différents intérêts, le présent règlement permet d’ouvrir des procédures d’insolvabilité secondaires parallèlement à la procédure d’insolvabilité principale. Des procédures d’insolvabilité secondaires peuvent être ouvertes dans l’État membre dans lequel le débiteur a un établissement. Les effets des procédures d’insolvabilité secondaires se limitent aux actifs situés dans cet État. Des règles impératives de coordination avec les procédures d’insolvabilité principales satisfont l’unité nécessaire au sein de l’Union.

[...]

(27)       Avant d’ouvrir une procédure d’insolvabilité, la juridiction compétente devrait examiner d’office si le centre des intérêts principaux ou l’établissement du débiteur est réellement situé dans son ressort.

(28)      Lorsque l’on cherche à déterminer si le centre des intérêts principaux du débiteur est vérifiable par des tiers, il convient d’accorder une attention particulière aux créanciers et à la perception qu’ils ont du lieu où le débiteur gère ses intérêts. [...]

(29)      Le présent règlement devrait contenir un certain nombre de garanties visant à empêcher la recherche frauduleuse ou abusive de la juridiction la plus favorable.

(30)      Par conséquent, les présomptions selon lesquelles le siège statutaire, le lieu d’activité principal et la résidence habituelle constituent le centre des intérêts principaux devraient être réfragables, et la juridiction compétente d’un État membre devrait examiner attentivement si le centre des intérêts principaux du débiteur se situe réellement dans cet État membre. Pour une société, il devrait être possible de renverser cette présomption si l’administration centrale de la société est située dans un État membre autre que celui de son siège statutaire et si une appréciation globale de l’ensemble des éléments pertinents permet d’établir, d’une manière vérifiable par des tiers, que le centre effectif de direction et de contrôle de ladite société ainsi que de la gestion de ses intérêts se situe dans cet autre État membre. Pour une personne physique n’exerçant pas une profession libérale ou toute autre activité d’indépendant, il devrait être possible de renverser cette présomption, par exemple si la majeure partie des actifs du débiteur est située en dehors de l’État membre de résidence habituelle du débiteur, ou s’il peut être établi que le principal motif de son déménagement était d’ouvrir une procédure d’insolvabilité auprès de la nouvelle juridiction et si l’ouverture de cette procédure risque de nuire sérieusement aux intérêts des créanciers dont les relations avec le débiteur ont débuté avant le déménagement.

(31)      Dans le même objectif d’empêcher la recherche frauduleuse ou abusive de la juridiction la plus favorable, la présomption selon laquelle le centre des intérêts principaux est respectivement le lieu du siège statutaire, le lieu d’activité principal d’une personne physique ou sa résidence habituelle ne devrait pas s’appliquer lorsque, respectivement, dans le cas d’une société, d’une personne morale ou d’une personne physique exerçant une profession libérale ou toute autre activité d’indépendant, le débiteur a transféré son siège statutaire ou son lieu d’activité principal dans un autre État membre au cours des trois mois précédant la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité ou, dans le cas d’une personne physique n’exerçant pas une profession libérale ou toute autre activité d’indépendant, le débiteur a déplacé sa résidence habituelle dans un autre État membre au cours des six mois précédant la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité.

(32)      Dans tous les cas, si les circonstances de l’espèce suscitent des doutes quant à la compétence de la juridiction, celle-ci devrait exiger du débiteur un supplément de preuves à l’appui de ses allégations et, si la loi applicable aux procédures d’insolvabilité le permet, donner aux créanciers du débiteur l’occasion de présenter leur point de vue sur la question de la compétence.

(33)      Lorsque la juridiction saisie d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité constate que le centre des intérêts principaux n’est pas situé sur le territoire de l’État dont elle relève, elle ne devrait pas ouvrir de procédure principale d’insolvabilité.

(34)      De plus, tout créancier du débiteur devrait disposer d’un droit de recours effectif contre la décision d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. Les conséquences d’un recours contre la décision d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité devraient être régies par le droit national. »

6        L’article 3 de ce règlement, intitulé « Compétence internationale », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité (ci-après dénommée “procédure d’insolvabilité principale”). Le centre des intérêts principaux correspond au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est vérifiable par des tiers.

Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve du contraire, être le lieu du siège statutaire. Cette présomption ne s’applique que si le siège statutaire n’a pas été transféré dans un autre État membre au cours des trois mois précédant la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité.

Pour une personne physique exerçant une profession libérale ou toute autre activité d’indépendant, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve du contraire, être le lieu d’activité principal de l’intéressé. Cette présomption ne s’applique que si le lieu d’activité principal de la personne physique n’a pas été transféré dans un autre État membre au cours des trois mois précédant la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité.

Pour toute autre personne physique, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve du contraire, être la résidence habituelle de l’intéressé. Cette présomption ne s’applique que si la résidence habituelle n’a pas été transférée dans un autre État membre au cours des six mois précédant la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. »

7        Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement :

« La juridiction saisie d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité examine d’office si elle est compétente en vertu de l’article 3. Dans sa décision d’ouverture de la procédure d’insolvabilité, la juridiction indique les fondements de sa compétence, et précise notamment si sa compétence est fondée sur le paragraphe 1 ou 2 de l’article 3. »

8        L’article 7, paragraphe 1, du même règlement dispose :

« Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à la procédure d’insolvabilité et à ses effets est celle de l’État membre sur le territoire duquel cette procédure est ouverte (ci-après dénommé “État d’ouverture”). »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

9        Les époux MH et NI, qui résident depuis l’année 2016 à Norfolk (Royaume-Uni) où ils exercent une activité salariée, ont demandé aux juridictions portugaises l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à leur égard. La juridiction de première instance saisie s’est déclarée internationalement incompétente pour connaître de cette demande, au motif que, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, du règlement 2015/848, le centre des intérêts principaux des requérants au principal était leur résidence habituelle, laquelle était située au Royaume-Uni, et que, par suite, les juridictions de ce dernier État membre étaient compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité.

10      MH et NI ont fait appel du jugement rendu en première instance devant la juridiction de renvoi en faisant valoir que ce jugement était fondé sur une interprétation erronée des règles énoncées par le règlement 2015/848. En effet, le centre de leurs intérêts principaux ne serait pas leur résidence habituelle, au Royaume-Uni, mais se situerait plutôt au Portugal, État membre où se trouve le seul bien immobilier dont ils sont propriétaires et où auraient été réalisées toutes les transactions et conclus tous les contrats ayant entraîné leur situation d’insolvabilité. Aussi, il n’existerait aucun lien entre leur lieu de résidence habituelle et les faits qui ont conduit à leur insolvabilité, lesquels se seraient entièrement produits au Portugal. MH et NI demandent donc que les juridictions portugaises soient reconnues internationalement compétentes.

11      La juridiction de renvoi s’interroge sur l’interprétation correcte de l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2015/848 et, plus particulièrement, sur les critères susceptibles de renverser la présomption simple prévue par cette disposition pour les personnes physiques n’exerçant pas une profession libérale ou toute autre activité d’indépendant.

12      Cette juridiction relève, en effet, que, s’agissant de ces personnes physiques, le considérant 30 dudit règlement expose qu’il devrait être possible de renverser cette présomption, par exemple si la majeure partie des actifs du débiteur est située en dehors de l’État membre de résidence habituelle du débiteur.

13      Dans ces conditions, le Tribunal da Relação de Guimarães (cour d’appel de Guimarães, Portugal) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Dans le cadre du règlement [2015/848], le tribunal d’un État membre est-il compétent pour procéder à l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité principale à l’égard d’un citoyen dont le seul et unique bien immobilier se trouve dans cet État, même s’il a fixé sa résidence habituelle, avec son ménage, dans un autre État membre, dans lequel il occupe un emploi salarié ? »

 Sur la question préjudicielle

14      Par son unique question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, du règlement 2015/848 doit être interprété en ce sens que la présomption qu’il prévoit pour déterminer la compétence internationale aux fins de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, selon laquelle le centre des intérêts principaux d’une personne physique n’exerçant pas une profession libérale ou toute autre activité d’indépendant est sa résidence habituelle, est renversée du seul fait que l’unique bien immobilier de cette personne est situé en dehors de l’État membre de résidence habituelle.

15      Ainsi qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement 2015/848, le critère général de rattachement pour déterminer la compétence internationale aux fins de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité est le centre des intérêts principaux du débiteur. Dans le cas particulier où le débiteur est une personne physique n’exerçant pas une profession libérale ou toute autre activité d’indépendant, l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, de ce règlement prévoit une présomption réfragable selon laquelle le centre des intérêts principaux de cette personne est sa résidence habituelle.

16      Afin de répondre à la juridiction de renvoi, il convient, en premier lieu, de préciser le sens et la portée de la notion de « centre des intérêts principaux », au sens dudit règlement.

17      À cet égard, il y a lieu de rappeler, premièrement, que, selon une jurisprudence constante, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la règlementation en cause (arrêt du 20 octobre 2011, Interedil, C‑396/09, EU:C:2011:671, point 42 et jurisprudence citée).

18      Ainsi, étant donné que l’article 3, paragraphe 1, du règlement 2015/848 ne comporte aucun renvoi au droit des États membres, les notions qui y figurent doivent recevoir une interprétation autonome et uniforme. En particulier, la notion de « centre des intérêts principaux » étant propre à ce règlement, elle doit être interprétée de manière uniforme et indépendante des législations nationales (voir, par analogie, arrêt du 20 octobre 2011, Interedil, C‑396/09, EU:C:2011:671, point 43 et jurisprudence citée).

19      Deuxièmement, la Cour a jugé, à propos de la notion de « centre des intérêts principaux », figurant à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000, que la portée de cette notion est éclairée par le considérant 13 de ce règlement, qui indique que « [l]e centre des intérêts principaux devrait correspondre au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est donc vérifiable par les tiers ». La Cour en a déduit qu’il ressort de cette définition que le centre des intérêts principaux doit être identifié en fonction de critères à la fois objectifs et vérifiables par les tiers. Cette objectivité et cette possibilité de vérification par les tiers sont nécessaires afin de garantir le sécurité juridique et la prévisibilité concernant la détermination de la juridiction compétente pour ouvrir une procédure d’insolvabilité principale (ordonnance du 24 mai 2016, Leonmobili et Leone, C‑353/15, non publiée, EU:C:2016:374, point 33 ainsi que jurisprudence citée).

20      La même interprétation doit être retenue pour déterminer le sens et la portée de la notion de « centre des intérêts principaux » au sens du règlement 2015/848. En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 29 de ses conclusions, dans le cadre de ce règlement qui a abrogé et remplacé le règlement n° 1346/2000, le recours à des critères objectifs demeure crucial afin d’assurer la sécurité juridique et la prévisibilité de la détermination du for compétent. En outre, les règles de compétence internationale que prévoit le règlement 2015/848 visent à éviter, comme l’énonce son considérant 5, que les parties ne soient incitées à déplacer des avoirs ou des procédures judiciaires d’un État membre à un autre en vue d’améliorer leur situation juridique au détriment de la masse des créanciers.

21      Le considérant 28 de ce règlement apporte également des précisions utiles à cet égard, en énonçant que, lorsque l’on cherche à déterminer si le centre des intérêts principaux du débiteur est vérifiable par des tiers, il convient d’accorder une attention particulière aux créanciers et à la perception qu’ils ont du lieu où le débiteur gère ses intérêts. En effet, le recours à des critères objectifs qui peuvent être vérifiés par les tiers pour déterminer le centre des intérêts principaux du débiteur doit permettre de déterminer le for avec lequel le débiteur a un lien véritable et ainsi de répondre aux attentes légitimes des créanciers.

22      Partant, le centre des intérêts principaux d’un débiteur doit être déterminé au terme d’une appréciation globale de l’ensemble des critères objectifs et vérifiables par les tiers, particulièrement par les créanciers, susceptibles de déterminer le lieu effectif où le débiteur gère habituellement ses intérêts.

23      Troisièmement, il découle des termes mêmes de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement 2015/848 que les considérations qui précèdent valent indistinctement pour tout débiteur, qu’il s’agisse de sociétés, de personnes morales ou de personnes physiques. Ce critère général de rattachement pour déterminer la compétence internationale aux fins de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité ainsi que l’approche fondée sur des critères objectifs et vérifiables par les tiers qu’il convient d’adopter pour l’appliquer valent donc a fortiori pour les personnes physiques n’exerçant pas de profession libérale ou toute autre activité d’indépendant.

24      Cela étant, il y a lieu de préciser, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général aux points 45 et 49 de ses conclusions, que les critères pertinents pour déterminer le centre des intérêts principaux d’une personne physique n’exerçant pas une profession libérale ou toute autre activité d’indépendant sont ceux qui se rapportent à sa situation patrimoniale et économique, ce qui correspond au lieu où cette personne gère ses intérêts économiques et où la majorité de ses revenus sont perçus et dépensés, ou bien au lieu où se situe la majeure partie de ses actifs.

25      Il convient, en second lieu, de préciser la portée de la présomption énoncée à l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, du règlement 2015/848. Il découle des termes mêmes de cette disposition, lue à la lumière de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de ce règlement, qu’une personne physique n’exerçant pas une profession libérale ou toute autre activité d’indépendant est présumée, jusqu’à preuve du contraire, gérer habituellement ses intérêts au lieu de sa résidence habituelle, puisqu’il existe une forte probabilité que ce lieu corresponde au centre de ses intérêts économiques principaux. Il en résulte que, aussi longtemps que cette présomption n’est pas renversée, les juridictions de l’État membre où est située cette résidence sont internationalement compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’encontre de ladite personne physique.

26      Toutefois, l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, du règlement 2015/848 prévoit que cette présomption ne vaut que jusqu’à preuve du contraire, et le considérant 30 de ce règlement précise qu’il devrait être possible de renverser ladite présomption, par exemple si la majeure partie des actifs du débiteur est située en dehors de l’État membre de sa résidence habituelle, ou s’il peut être établi que le principal motif de son déménagement était d’ouvrir une procédure d’insolvabilité auprès de la nouvelle juridiction et si l’ouverture de cette procédure risque de nuire sérieusement aux intérêts des créanciers dont les relations avec le débiteur ont débuté avant le déménagement.

27      Il reste, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 55 de ses conclusions, que le seul fait que des circonstances mentionnées à ce considérant sont réunies ne sauraient suffire à renverser la présomption énoncée à l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, du règlement 2015/848.

28      En effet, si la localisation des actifs du débiteur constitue l’un des critères objectifs et vérifiables par les tiers à prendre en compte pour déterminer le lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts, cette présomption ne saurait être renversée qu’au terme d’une appréciation globale de l’ensemble de ces critères. Il s’ensuit que le fait que l’unique bien immobilier d’une personne physique n’exerçant pas une profession libérale ou toute autre activité d’indépendant est situé en dehors de l’État membre de sa résidence habituelle ne saurait suffire à lui seul à renverser ladite présomption.

29      En l’occurrence, les requérants au principal font en outre valoir devant la juridiction de renvoi que le Portugal est non seulement l’État membre où est situé leur unique bien immobilier mais également celui où ont été réalisées les transactions et conclus les contrats ayant entraîné leur situation d’insolvabilité.

30      À cet égard, si la cause de la situation d’insolvabilité n’est pas, en tant que telle, un élément pertinent pour déterminer le centre des intérêts principaux d’une personne physique n’exerçant pas une profession libérale ou toute autre activité d’indépendant, il revient néanmoins à la juridiction de renvoi de prendre en considération l’ensemble des éléments objectifs et vérifiables par les tiers qui se rapportent à sa situation patrimoniale et économique. Dans un cas tel que celui en cause au principal, ainsi qu’il a été rappelé au point 24 du présent arrêt, cette situation est localisée au lieu où les requérants au principal gèrent habituellement leurs intérêts économiques et où la majorité de leurs revenus sont perçus ou dépensés, ou bien au lieu où se situe la majeure partie de leurs actifs.

31      Compte tenu de l’ensemble des éléments qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question que l’article 3, paragraphe 1, premier et quatrième alinéas, du règlement 2015/848 doit être interprété en ce sens que la présomption qu’il prévoit pour déterminer la compétence internationale aux fins de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, selon laquelle le centre des intérêts principaux d’une personne physique n’exerçant pas une profession libérale ou toute autre activité d’indépendant est sa résidence habituelle, n’est pas renversée du seul fait que l’unique bien immobilier de cette personne est situé en dehors de l’État membre de résidence habituelle.

 Sur les dépens

32      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

L’article 3, paragraphe 1, premier et quatrième alinéas, du règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relatif aux procédures d’insolvabilité, doit être interprété en ce sens que la présomption qu’il prévoit pour déterminer la compétence internationale aux fins de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, selon laquelle le centre des intérêts principaux d’une personne physique n’exerçant pas une profession libérale ou toute autre activité d’indépendant est sa résidence habituelle, n’est pas renversée du seul fait que l’unique bien immobilier de cette personne est situé en dehors de l’État membre de résidence habituelle.

Signatures


*      Langue de procédure : le portugais.