Language of document : ECLI:EU:C:2019:1075

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

12 décembre 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 79/7/CEE – Égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale – Article 4, paragraphes 1 et 2 – Article 7, paragraphe 1 – Calcul des prestations – Directive 2006/54/CE – Égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail – Législation nationale prévoyant le droit à un complément de pension pour les femmes ayant eu au moins deux enfants biologiques ou adoptés et percevant une pension contributive d’incapacité permanente – Non-attribution de ce droit aux hommes placés dans une situation identique – Situation comparable – Discrimination directe fondée sur le sexe – Dérogations – Absence »

Dans l’affaire C‑450/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Juzgado de lo Social n° 3 de Gerona (tribunal du travail n° 3 de Gérone, Espagne), par décision du 21 juin 2018, parvenue à la Cour le 9 juillet 2018, dans la procédure

WA

contre

Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS),

LA COUR (première chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, vice‑présidente de la Cour, MM. M. Safjan (rapporteur), L. Bay Larsen et Mme C. Toader, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : Mme L. Carrasco Marco, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 juin 2019,

considérant les observations présentées :

–        pour WA, par Me F. Casas Corominas, abogado,

–        pour l’Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS), initialement par MM. A. R. Trillo García et L. Martínez-Sicluna Sepúlveda ainsi que par Mme P. García Perea, puis par M. L. Martínez-Sicluna Sepúlveda et Mme P. García Perea, letrados,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. L. Aguilera Ruiz, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, initialement par M. N. Ruiz García ainsi que par Mmes C. Valero et I. Galindo Martín, puis par M. N. Ruiz García et Mme C. Valero, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 septembre 2019,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 157 TFUE et de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (JO 2006, L 204, p. 23).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant WA, père de deux enfants, à l’Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS) (Institut national de la sécurité sociale, Espagne) au sujet du refus de lui octroyer un complément de pension dont bénéficient les femmes ayant eu au moins deux enfants biologiques ou adoptés.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 79/7/CEE

3        Aux termes des deuxième et troisième considérants de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO 1979, L 6, p. 24) :

« considérant qu’il convient de mettre en œuvre le principe de l’égalité de traitement en matière de sécurité sociale en premier lieu dans les régimes légaux qui assurent une protection contre les risques de maladie, d’invalidité, de vieillesse, d’accident du travail, de maladie professionnelle et de chômage, ainsi que dans les dispositions concernant l’aide sociale dans la mesure où elles sont destinées à compléter les régimes précités ou à y suppléer ;

considérant que la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement en matière de sécurité sociale ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la protection de la femme en raison de la maternité, et que, dans ce cadre, des dispositions spécifiques destinées à remédier aux inégalités de fait peuvent être prises par les États membres en faveur des femmes ».

4        L’article 1er de cette directive énonce :

« La présente directive vise la mise en œuvre progressive, dans le domaine de la sécurité sociale et autres éléments de protection sociale prévu à l’article 3, du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, ci-après dénommé “principe de l’égalité de traitement”. »

5        L’article 2 de ladite directive prévoit :

« La présente directive s’applique à la population active, y compris les travailleurs indépendants, les travailleurs dont l’activité est interrompue par une maladie, un accident ou un chômage involontaire et les personnes à la recherche d’un emploi, ainsi qu’aux travailleurs retraités et aux travailleurs invalides. »

6        L’article 3, paragraphe 1, de la même directive dispose :

« La présente directive s’applique :

a)      aux régimes légaux qui assurent une protection contre les risques suivants :

–        maladie,

–        invalidité,

–        vieillesse,

–        accident du travail et maladie professionnelle,

–        chômage ;

[...] »

7        L’article 4 de la directive 79/7 est libellé comme suit :

« 1.      Le principe de l’égalité de traitement implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l’état matrimonial ou familial, en particulier en ce qui concerne :

–        le champ d’application des régimes et les conditions d’accès aux régimes,

–        l’obligation de cotiser et le calcul des cotisations,

–        le calcul des prestations, y compris les majorations dues au titre du conjoint et pour personne à charge et les conditions de durée et de maintien du droit aux prestations.

2.      Le principe de l’égalité de traitement ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la protection de la femme en raison de la maternité. »

8        L’article 7 de cette directive énonce :

« 1.      La présente directive ne fait pas obstacle à la faculté qu’ont les États membres d’exclure de son champ d’application :

[...]

b)      les avantages accordés en matière d’assurance vieillesse aux personnes qui ont élevé des enfants ; l’acquisition de droits aux prestations à la suite de périodes d’interruption d’emploi dues à l’éducation des enfants ;

[...]

2.      Les États membres procèdent périodiquement à un examen des matières exclues en vertu du paragraphe 1, afin de vérifier, compte tenu de l’évolution sociale en la matière, s’il est justifié de maintenir les exclusions en question. »

 La directive 2006/54

9        La directive 2006/54 a abrogé la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO 1976, L 39, p. 40), telle que modifiée par la directive 2002/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 septembre 2002 (JO 2002, L 269, p. 15).

10      Aux termes du considérant 13 de la directive 2006/54 :

« Par son arrêt du 17 mai 1990[, Barber (C‑262/88, EU:C:1990:209)], la Cour de justice a décidé que toutes les formes de pensions professionnelles constituaient un élément de rémunération au sens de l’article 141 du traité [CE]. »

11      L’article 1er de cette directive énonce :

« La présente directive vise à garantir la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.

À cette fin, elle contient des dispositions destinées à mettre en œuvre le principe de l’égalité de traitement en ce qui concerne :

[...]

b)      les conditions de travail, y compris les rémunérations ;

c)      les régimes professionnels de sécurité sociale.

[...] »

12      L’article 2 de ladite directive dispose, à son paragraphe 1 :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

f)      “régimes professionnels de sécurité sociale” : les régimes non régis par la directive [79/7] qui ont pour objet de fournir aux travailleurs, salariés ou indépendants, groupés dans le cadre d’une entreprise ou d’un groupement d’entreprises, d’une branche économique ou d’un secteur professionnel ou interprofessionnel, des prestations destinées à compléter les prestations des régimes légaux de sécurité sociale ou à s’y substituer, que l’affiliation à ces régimes soit obligatoire ou facultative. »

 Le droit espagnol

13      Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, de la Ley General de la Seguridad Social (loi générale sur la sécurité sociale), dans sa version consolidée approuvée par le Real Decreto Legislativo 8/2015 (décret royal législatif 8/2015), du 30 octobre 2015 (BOE n° 261, du 31 octobre 2015, p. 103291) (ci-après la « LGSS ») :

« Quels que soient leur sexe, leur état civil et leur profession, les citoyens espagnols résidant en Espagne et les étrangers qui résident ou qui se trouvent légalement sur le territoire espagnol relèvent du système de sécurité sociale aux fins des prestations de type contributif, sous réserve que, dans les deux cas de figure, ils exercent une activité sur le territoire national et relèvent d’un des alinéas suivants :

a)      les travailleurs qui fournissent leurs services pour le compte d’autrui dans les conditions prévues à l’article 1er, paragraphe 1, du texte de refonte de l’Estatuto de los Trabajadores [statut des travailleurs], dans les différentes branches de l’activité économique, ou les travailleurs assimilés à ces derniers, qu’il s’agisse de travailleurs temporaires, saisonniers, permanents, voire “fijos discontinuos”, y compris les télétravailleurs et, dans tous les cas, indépendamment de la catégorie professionnelle du travailleur, de la forme et du montant de la rémunération qu’il perçoit, et du caractère général de sa relation de travail ;

b)      les travailleurs indépendants, qu’ils soient ou non propriétaires d’entreprises individuelles ou familiales, âgés de plus de 18 ans, qui remplissent toutes les conditions expressément déterminées par la présente loi ou par la réglementation adoptée en vue de son application ;

c)      les travailleurs membres de coopératives de travail associé ;

d)      les étudiants ;

e)      les fonctionnaires publics, civils et militaires. »

14      L’article 60, paragraphe 1, de la LGSS énonce :

« Eu égard à leur contribution démographique à la sécurité sociale, un complément de pension est accordé aux femmes qui ont eu des enfants biologiques ou adoptés et qui bénéficient de pensions contributives de retraite, de veuvage ou d’incapacité permanente au titre d’un quelconque régime du système de sécurité sociale.

Le montant de ce complément, qui présente à tous égards la nature juridique d’une pension publique contributive, résulte de l’application au montant initial desdites pensions d’un pourcentage déterminé, qui est fonction du nombre d’enfants, conformément à l’échelle suivante :

a)      dans le cas de deux enfants : 5 pour cent.

b)      dans le cas de trois enfants : 10 pour cent.

c)      dans le cas de quatre enfants ou plus : 15 pour cent.

En vue d’établir le droit au complément ainsi que son montant, seuls sont pris en compte les enfants nés ou adoptés avant le fait générateur de la pension en question. »

15      L’article 196, paragraphe 3, de la LGSS prévoit :

« La prestation financière correspondant à l’incapacité permanente absolue consiste en une pension viagère. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

16      Par une décision du 25 janvier 2017, l’INSS a octroyé à WA une pension pour incapacité de travail permanente absolue, à hauteur de 100 % de la base de calcul (ci-après la « décision du 25 janvier 2017 »). Cette pension s’élevait à 1 603,43 euros par mois, augmentés des revalorisations.

17      WA a introduit une réclamation administrative préalable contre cette décision, en soutenant que, étant le père de deux filles, il devait, sur le fondement de l’article 60, paragraphe 1, de la LGSS, bénéficier du droit de percevoir le complément de pension prévu à cette disposition (ci-après le « complément de pension en cause »), représentant 5 % du montant initial de sa pension, dans les mêmes conditions que les femmes qui sont mères de deux enfants et qui bénéficient de pensions contributives d’incapacité permanente au titre d’un régime du système de sécurité sociale espagnol.

18      Par une décision du 9 juin 2017, l’INSS a rejeté la réclamation administrative préalable de WA et a confirmé la décision du 25 janvier 2017. À cet égard, l’INSS a indiqué que le complément de pension en cause est octroyé exclusivement aux femmes bénéficiaires d’une pension contributive de la sécurité sociale espagnole, mères d’au moins deux enfants, au titre de leur contribution démographique à la sécurité sociale.

19      Entre-temps, le 23 mai 2017, WA a introduit un recours contre la décision du 25 janvier 2017 devant le Juzgado de lo Social n° 3 de Gerona (tribunal du travail n° 3 de Gérone, Espagne), en demandant que lui soit reconnu le droit de bénéficier du complément de pension en cause.

20      Le 18 mai 2018, le Juzgado de lo Social n° 3 de Gerona (tribunal du travail n° 3 de Gérone) a été informé du décès de WA, survenu le 9 décembre 2017. DC, l’épouse de celui-ci, a succédé au défunt en tant que partie requérante dans le litige au principal. La juridiction de renvoi indique que, dès lors, le versement éventuel du complément de pension en cause courrait jusqu’à la date du décès de WA.

21      La juridiction de renvoi relève que l’article 60, paragraphe 1, de la LGSS octroie le droit au complément de pension en cause aux femmes qui ont eu au moins deux enfants biologiques ou adoptés, en raison de leur contribution démographique à la sécurité sociale, alors que les hommes placés dans une situation identique ne bénéficient pas de ce droit. Cette juridiction exprime des doutes quant à la conformité au droit de l’Union d’une telle disposition.

22      En effet, la notion de « contribution démographique à la sécurité sociale », visée à l’article 60, paragraphe 1, de la LGSS, pourrait valoir aussi bien pour les femmes que pour les hommes, étant donné que la procréation et la responsabilité en ce qui concerne les soins, l’alimentation et l’éducation des enfants, de même que l’attention portée à ceux-ci, valent pour toute personne ayant la condition de mère ou de père. Par conséquent, l’interruption de travail motivée par la naissance, l’adoption ou par les soins apportés à ces enfants pourrait porter préjudice de manière identique aux femmes et aux hommes, indépendamment de leur contribution démographique à la sécurité sociale. Dans ce cadre, l’article 60, paragraphe 1, de la LGSS instaurerait une différence de traitement injustifiée en faveur des femmes, au détriment des hommes placés dans une situation identique.

23      La procréation impliquerait cependant un sacrifice plus important pour les femmes sur les plans personnel et professionnel. En effet, elles devraient faire face à une période de grossesse ainsi qu’à l’accouchement, qui ont des implications biologiques et physiologiques évidentes, avec le préjudice que cela implique sur le plan physique ainsi qu’en ce qui concerne le travail et les attentes légitimes de promotion dans le cadre professionnel. Du point de vue biologique, les dispositions de l’article 60, paragraphe 1, de la LGSS pourraient donc être justifiées en tant qu’elles visent à protéger les femmes des conséquences de la grossesse et de la maternité.

24      Dans ces conditions, le Juzgado de lo Social n° 3 de Gerona (tribunal du travail n° 3 de Gérone) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Une règle de droit national (à savoir l’article 60, paragraphe 1, de la [LGSS]) qui, eu égard à leur contribution démographique à la sécurité sociale, reconnaît un droit à un complément de pension aux femmes qui ont eu des enfants biologiques ou adoptés et qui bénéficient d’un régime du système de sécurité sociale des pensions contributives de retraite, de survie ou d’incapacité permanente et qui, en revanche, ne reconnaît pas un tel droit aux hommes se trouvant dans une situation identique porte‑t‑elle atteinte au principe d’égalité de traitement qui interdit toute discrimination fondée sur le sexe, qui est reconnu à l’article 157 [TFUE] et par la directive [76/207], telle que modifiée par la directive [2002/73] et refondue par la directive [2006/54] ? »

 Sur la question préjudicielle

 Observations liminaires

25      Dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle‑ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. En effet, la Cour a pour mission d’interpréter toutes les dispositions du droit de l’Union dont les juridictions nationales ont besoin afin de statuer sur les litiges qui leur sont soumis, même si ces dispositions ne sont pas indiquées expressément dans les questions qui lui sont adressées par ces juridictions (arrêts du 26 juin 2008, Wiedemann et Funk, C‑329/06 et C‑343/06, EU:C:2008:366, point 45, ainsi que du 8 mai 2019, PI, C‑230/18, EU:C:2019:383, point 42).

26      Dans la présente affaire, même si, sur le plan formel, la juridiction de renvoi a limité sa question à l’interprétation des seules dispositions de l’article 157 TFUE et de la directive 2006/54, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait référence ou non dans l’énoncé de sa question. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments dudit droit qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (voir, en ce sens, arrêts du 12 janvier 2010, Wolf, C‑229/08, EU:C:2010:3, point 32, et du 8 mai 2019, PI, C‑230/18, EU:C:2019:383, point 43).

27      En l’occurrence, WA, père de deux enfants, a demandé, sur le fondement de l’article 60, paragraphe 1, de la LGSS, l’octroi du complément de pension en cause, lequel viendrait s’ajouter à sa pension contributive pour incapacité permanente absolue.

28      À cet égard, il y a lieu de rappeler que relèvent de la notion de « rémunération », au sens de l’article 157, paragraphe 2, TFUE, les pensions qui sont fonction de la relation d’emploi unissant le travailleur à l’employeur, à l’exclusion de celles découlant d’un système légal au financement duquel les travailleurs, les employeurs et, éventuellement, les pouvoirs publics contribuent dans une mesure qui est moins fonction d’une telle relation d’emploi que de considérations de politique sociale. Ainsi, ne sauraient être inclus dans cette notion les régimes ou les prestations de sécurité sociale, comme les pensions de retraite, réglés directement par la loi, à l’exclusion de tout élément de concertation au sein de l’entreprise ou de la branche professionnelle intéressée et obligatoirement applicables à des catégories générales de travailleurs (arrêt du 22 novembre 2012, Elbal Moreno, C‑385/11, EU:C:2012:746, point 20 et jurisprudence citée).

29      Or, une pension contributive d’incapacité permanente telle que celle dont a bénéficié WA, sur la base de laquelle est calculé le complément de pension en cause, apparaît comme étant une pension qui est moins fonction d’une relation d’emploi entre travailleurs et employeur que de considérations d’ordre social, au sens de la jurisprudence citée au point précédent du présent arrêt.

30      En outre, l’article 60, paragraphe 1, de la LGSS précise que le complément de pension en cause présente à tous égards la nature juridique d’une pension publique contributive.

31      Certes, les considérations de politique sociale, d’organisation de l’État, d’éthique, ou même les préoccupations de nature budgétaire, qui ont eu ou qui ont pu avoir un rôle dans la fixation d’un régime par le législateur national ne sauraient prévaloir si la pension n’intéresse qu’une catégorie particulière de travailleurs, si elle est directement fonction du temps de service accompli et si son montant est calculé sur la base du dernier traitement (arrêts du 28 septembre 1994, Beune, C‑7/93, EU:C:1994:350, point 45, et du 22 novembre 2012, Elbal Moreno, C‑385/11, EU:C:2012:746, point 23).

32      À cet égard, comme le fait valoir l’INSS, la première de ces trois conditions n’apparaît pas remplie, dès lors que le dossier dont dispose la Cour ne révèle aucun indice selon lequel une pension contributive d’incapacité permanente, telle que celle en cause au principal, n’intéresserait qu’une catégorie particulière de travailleurs.

33      Partant, une telle pension contributive d’incapacité permanente ne relève pas de la notion de « rémunération », au sens de l’article 157, paragraphes 1 et 2, TFUE, ni de la directive 2006/54 (voir, en ce sens, arrêts du 13 février 1996, Gillespie e.a., C‑342/93, EU:C:1996:46, point 14 ; du 22 novembre 2012, Elbal Moreno, C‑385/11, EU:C:2012:746, point 25, ainsi que du 14 juillet 2016, Ornano, C‑335/15, EU:C:2016:564, point 38).

34      En outre, il ressort de l’article 1er, deuxième alinéa, sous c), de la directive 2006/54, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, sous f), de celle-ci, que ladite directive ne s’applique pas aux régimes légaux régis par la directive 79/7.

35      En revanche, le complément de pension en cause relève de cette dernière directive, dès lors qu’il fait partie d’un régime légal de protection contre l’un des risques énumérés à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 79/7, à savoir l’invalidité, et qu’il est directement et effectivement lié à la protection contre ce risque (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 1999, Taylor, C‑382/98, EU:C:1999:623, point 14, et du 22 novembre 2012, Elbal Moreno, C‑385/11, EU:C:2012:746, point 26).

36      En effet, ce complément de pension tend à protéger les femmes ayant eu au moins deux enfants biologiques ou adoptés et qui bénéficient d’une pension d’invalidité, en garantissant qu’elles puissent disposer des moyens nécessaires au regard, notamment, de leurs besoins.

37      Dans ces conditions, il y a lieu de comprendre la question posée comme tendant, en substance, à savoir si la directive 79/7 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui, en raison de la contribution démographique des femmes à la sécurité sociale, prévoit le droit à un complément de pension pour celles ayant eu au moins deux enfants biologiques ou adoptés et bénéficiant de pensions contributives d’incapacité permanente au titre d’un régime du système de sécurité sociale national, alors que les hommes placés dans une situation identique ne disposent pas du droit à un tel complément de pension.

 Sur le fond

38      En vertu de l’article 4, paragraphe 1, troisième tiret, de la directive 79/7, le principe de l’égalité de traitement implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement, par référence, notamment, à l’état matrimonial ou familial, en ce qui concerne le calcul des prestations.

39      L’affaire au principal porte sur le calcul du montant total de la pension d’incapacité permanente d’un homme ayant eu deux enfants, celui-ci demandant à bénéficier du complément de pension en cause.

40      Selon l’article 60, paragraphe 1, de la LGSS, eu égard à la contribution démographique des femmes à la sécurité sociale, le complément de pension en cause est accordé à celles-ci lorsqu’elles ont eu au moins deux enfants biologiques ou adoptés et qu’elles bénéficient notamment de pensions contributives d’incapacité permanente au titre d’un régime du système de sécurité sociale. En revanche, les hommes, lorsqu’ils se trouvent placés dans une situation identique, ne bénéficient pas de ce complément de pension.

41      Il apparaît, ainsi, que cette réglementation nationale accorde un traitement moins favorable aux hommes ayant eu au moins deux enfants biologiques ou adoptés. Un tel traitement moins favorable fondé sur le sexe est susceptible de constituer une discrimination directe, au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7.

42      Selon une jurisprudence constante de la Cour, une discrimination consiste dans l’application de règles différentes à des situations comparables ou bien dans l’application de la même règle à des situations différentes (arrêts du 13 février 1996, Gillespie e.a., C‑342/93, EU:C:1996:46, point 16, ainsi que du 8 mai 2019, Praxair MRC, C‑486/18, EU:C:2019:379, point 73).

43      Il convient, ainsi, de vérifier si la différence de traitement entre les hommes et les femmes instituée par la réglementation nationale en cause au principal concerne des catégories de personnes se trouvant dans des situations comparables.

44      À cet égard, l’exigence tenant au caractère comparable des situations ne requiert pas que les situations soient identiques, mais seulement qu’elles soient similaires [arrêt du 26 juin 2018, MB (Changement de sexe et pension de retraite), C‑451/16, EU:C:2018:492, point 41 et jurisprudence citée].

45      Le caractère comparable des situations doit être apprécié non pas de manière globale et abstraite, mais de manière spécifique et concrète au regard de l’ensemble des éléments qui les caractérisent, à la lumière notamment de l’objet et du but de la réglementation nationale qui institue la distinction en cause ainsi que, le cas échéant, des principes et des objectifs du domaine dont relève cette réglementation nationale [arrêt du 26 juin 2018, MB (Changement de sexe et pension de retraite), C‑451/16, EU:C:2018:492, point 42 et jurisprudence citée].

46      S’agissant du but poursuivi par l’article 60, paragraphe 1, de la LGSS, à savoir récompenser la contribution démographique des femmes à la sécurité sociale, il y a lieu de constater que la contribution des hommes à la démographie est tout aussi nécessaire que celle des femmes.

47      Dès lors, le seul motif de la contribution démographique à la sécurité sociale ne saurait justifier que les hommes et les femmes ne soient pas dans une situation comparable au regard de l’octroi du complément de pension en cause.

48      Cependant, en réponse à une question écrite posée par la Cour, le gouvernement espagnol a souligné que l’objectif poursuivi par ce complément de pension ne consiste pas seulement à récompenser les femmes ayant eu au moins deux enfants pour leur contribution démographique à la sécurité sociale. Ledit complément aurait également été conçu comme une mesure visant à réduire l’écart entre les montants de pension des hommes et ceux des femmes, résultant des différences de parcours professionnels. Le but poursuivi consisterait à garantir l’octroi de pensions adéquates aux femmes dont la capacité de cotisation et, partant, le montant de la pension ont été réduits lorsque leurs carrières professionnelles ont été interrompues ou écourtées, en raison du fait qu’elles ont eu au moins deux enfants.

49      En outre, l’INSS, dans ses observations écrites, fait valoir que le complément de pension en cause est justifié par des motifs de politique sociale. À cet effet, l’INSS fournit de nombreuses données statistiques, qui font ressortir une différence entre les montants de pension des hommes et ceux des femmes, ainsi que, d’une part, entre les montants de pension des femmes sans enfant ou ayant eu un enfant et, d’autre part, ceux des femmes ayant eu au moins deux enfants.

50      À cet égard, en ce qui concerne l’objectif consistant à réduire l’écart entre les montants de pension des femmes et ceux des hommes, par l’attribution du complément de pension en cause, il y a lieu de relever que l’article 60, paragraphe 1, de la LGSS vise, à tout le moins en partie, la protection des femmes en leur qualité de parent.

51      Or, d’une part, il s’agit d’une qualité que peuvent avoir tout à la fois les hommes et les femmes et, d’autre part, la situation d’un père et celle d’une mère peuvent être comparables en ce qui concerne l’éducation des enfants (voir, en ce sens, arrêts du 29 novembre 2001, Griesmar, C‑366/99, EU:C:2001:648, point 56, et du 26 mars 2009, Commission/Grèce, C‑559/07, non publié, EU:C:2009:198, point 69).

52      En particulier, la circonstance que les femmes sont plus touchées par les désavantages professionnels résultant de l’éducation des enfants parce que ce sont elles en général qui assument cette éducation n’est pas de nature à exclure la comparabilité de leur situation avec celle d’un homme qui a assumé l’éducation de ses enfants et a été, de ce fait, exposé aux mêmes désavantages de carrière (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2001, Griesmar, C‑366/99, EU:C:2001:648, point 56).

53      Dans ces conditions, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 66 de ses conclusions, l’existence de données statistiques faisant état de différences structurelles entre les montants de pension des femmes et ceux des hommes ne suffit pas à permettre d’aboutir à la conclusion que, au regard du complément de pension en cause, les femmes et les hommes ne sont pas placés dans une situation comparable en tant que parent.

54      Selon la jurisprudence de la Cour, une dérogation à l’interdiction, énoncée à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7, de toute discrimination directe fondée sur le sexe n’est possible que dans les cas énumérés exhaustivement par les dispositions de cette directive [voir, en ce sens, arrêts du 3 septembre 2014, X, C‑318/13, EU:C:2014:2133, points 34 et 35, ainsi que du 26 juin 2018, MB (Changement de sexe et pension de retraite), C‑451/16, EU:C:2018:492, point 50].

55      S’agissant de ces motifs de dérogation, il convient de relever, en premier lieu, que, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 79/7, le principe de l’égalité de traitement ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la protection de la femme en raison de la maternité.

56      À cet égard, il résulte de la jurisprudence de la Cour que, en réservant aux États membres le droit de maintenir ou d’introduire des dispositions destinées à assurer cette protection, l’article 4, paragraphe 2, de la directive 79/7 reconnaît la légitimité, au regard du principe de l’égalité de traitement entre les sexes, d’une part, de la protection de la condition biologique de la femme au cours de sa grossesse et à la suite de celle-ci et, d’autre part, de la protection des rapports particuliers entre la femme et son enfant au cours de la période qui fait suite à l’accouchement (voir en ce sens, s’agissant de la directive 76/207, arrêts du 12 juillet 1984, Hofmann, 184/83, EU:C:1984:273, point 25, et du 19 septembre 2013, Betriu Montull, C‑5/12, EU:C:2013:571, point 62).

57      Or, en l’occurrence, l’article 60, paragraphe 1, de la LGSS ne contient aucun élément établissant un lien entre l’octroi du complément de pension en cause et la prise d’un congé de maternité ou les désavantages que subirait une femme dans sa carrière en raison de son éloignement du service pendant la période qui suit l’accouchement.

58      En particulier, ledit complément est accordé aux femmes ayant adopté des enfants, ce qui indique que le législateur national n’a pas entendu limiter l’application de l’article 60, paragraphe 1, de la LGSS à la protection de la condition biologique des femmes ayant accouché.

59      En outre, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 54 de ses conclusions, cette disposition n’exige pas que les femmes aient effectivement arrêté de travailler au moment où elles ont eu leurs enfants, la condition relative à la prise d’un congé de maternité faisant ainsi défaut. Tel est notamment le cas lorsqu’une femme a accouché avant d’entrer sur le marché du travail.

60      Dès lors, il y a lieu de constater qu’un complément de pension tel que celui en cause au principal ne relève pas du champ d’application de la dérogation à l’interdiction des discriminations prévue à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 79/7.

61      En second lieu, selon l’article 7, paragraphe 1, sous b), de cette directive, celle-ci ne fait pas obstacle à la faculté qu’ont les États membres d’exclure de son champ d’application les avantages accordés en matière d’assurance vieillesse aux personnes qui ont élevé des enfants et l’acquisition de droits aux prestations à la suite de périodes d’interruption d’emploi dues à l’éducation des enfants.

62      À cet égard, il importe de relever que, en tout état de cause, l’article 60, paragraphe 1, de la LGSS subordonne l’octroi du complément de pension en cause non pas à l’éducation des enfants ou à l’existence de périodes d’interruption d’emploi dues à l’éducation des enfants, mais uniquement à ce que les femmes bénéficiaires aient eu au moins deux enfants biologiques ou adoptés et perçoivent une pension contributive de retraite, de veuvage ou d’incapacité permanente au titre d’un régime du système de sécurité sociale.

63      Par conséquent, l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 79/7 n’est pas applicable à une prestation telle que le complément de pension en cause.

64      Enfin, il convient d’ajouter que, en vertu de l’article 157, paragraphe 4, TFUE, pour assurer concrètement une pleine égalité entre les hommes et les femmes dans la vie professionnelle, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un État membre de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou à compenser des désavantages dans la carrière professionnelle.

65      Cependant, cette disposition ne saurait s’appliquer à une réglementation nationale telle que l’article 60, paragraphe 1, de la LGSS étant donné que le complément de pension en cause se borne à accorder aux femmes un surplus au moment de l’octroi d’une pension, notamment dans le cas d’une invalidité permanente, sans porter remède aux problèmes qu’elles peuvent rencontrer durant leur carrière professionnelle et que ce complément n’apparaît pas comme étant de nature à compenser les désavantages auxquels seraient exposés les femmes en aidant celles-ci dans cette carrière et, ainsi, à assurer concrètement une pleine égalité entre les hommes et les femmes dans la vie professionnelle (voir, en ce sens, arrêts du 29 novembre 2001, Griesmar, C‑366/99, EU:C:2001:648, point 65, et du 17 juillet 2014, Leone, C‑173/13, EU:C:2014:2090, point 101).

66      Partant, il y a lieu de constater qu’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal est constitutive d’une discrimination directe fondée sur le sexe et est, dès lors, interdite par la directive 79/7.

67      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que la directive 79/7 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit le droit à un complément de pension pour les femmes ayant eu au moins deux enfants biologiques ou adoptés et bénéficiant de pensions contributives d’incapacité permanente au titre d’un régime du système de sécurité sociale national, alors que les hommes placés dans une situation identique ne disposent pas du droit à un tel complément de pension.

 Sur les dépens

68      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

La directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit le droit à un complément de pension pour les femmes ayant eu au moins deux enfants biologiques ou adoptés et bénéficiant de pensions contributives d’incapacité permanente au titre d’un régime du système de sécurité sociale national, alors que les hommes placés dans une situation identique ne disposent pas du droit à un tel complément de pension.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.