Language of document : ECLI:EU:T:2024:140

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

29 février 2024 (*)

« Référé – Médicaments à usage humain – Autorisation de mise sur le marché du Dimethyl fumarate Mylan – diméthylfumarate – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑1181/23 R,

Mylan Ireland Ltd, établie à Dublin (Irlande), représentée par Mes K. Roox, T. De Meese, J. Stuyck et C. Dumont, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. A. Spina et Mme E. Mathieu, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

1        Par sa demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE, la requérante, Mylan Ireland Ltd, sollicite le sursis à l’exécution de la décision d’exécution C(2023) 8920 final de la Commission, du 13 décembre 2023, abrogeant la décision d’exécution C(2022) 3252 final, du 13 mai 2022, portant autorisation de mise sur le marché (ci-après « AMM ») du médicament à usage humain Dimethyl fumarate Mylan – diméthylfumarate (ci-après le « DMF Mylan ») au titre du règlement (CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures de l’Union pour l’autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et instituant une Agence européenne des médicaments (JO 2004, L 136, p. 1), tel que modifié (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige et conclusions des parties

2        La requérante est une entreprise pharmaceutique qui développe et commercialise des médicaments, parmi lesquels figure le médicament générique DMF Mylan, indiqué pour le traitement de la sclérose en plaques.

3        Le 28 février 2012, Biogen Idec Ltd a déposé, auprès de l’Agence européenne des médicaments (EMA), en application de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 726/2004, une demande d’AMM du médicament Tecfidera – dimethyl fumarate (ci-après le « Tecfidera »).

4        Le 30 janvier 2014, la Commission européenne a adopté la décision d’exécution C(2014) 601 final portant AMM du Tecfidera au titre du règlement no 726/2004 (ci-après la « décision d’exécution du 30 janvier 2014 »). Au considérant 3 de cette décision d’exécution, la Commission indique que le Tecfidera, d’une part, et le médicament déjà autorisé dénommé Fumaderm, d’autre part, ne font pas partie d’une même autorisation globale de mise sur le marché conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2001, L 311, p. 67).

5        Le 27 novembre 2017, Pharmaceutical Works Polpharma S.A. a déposé une demande auprès de l’EMA visant à obtenir confirmation qu’elle était éligible au dépôt d’une demande d’AMM selon la procédure centralisée en application de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 726/2004, pour un médicament générique dénommé Dimethyl Fumarate Pharmaceutical Works Polpharma dérivé du Tecfidera.

6        Par une décision du 30 juillet 2018, l’EMA a informé Pharmaceutical Works Polpharma qu’elle n’était pas en mesure de valider sa demande visant à l’octroi d’une AMM d’un médicament générique dérivé du Tecfidera, au motif que, en substance, selon le considérant 3 de la décision d’exécution du 30 janvier 2014, le Tecfidera, d’une part, et le médicament déjà autorisé Fumaderm, d’autre part, ne faisaient pas partie d’une même autorisation globale de mise sur le marché, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/83, et que, par conséquent, le Tecfidera bénéficiant d’une période indépendante de huit ans de protection des données, cette période de protection n’avait pas encore expiré (ci-après la « décision de l’EMA du 30 juillet 2018 »).

7        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 octobre 2018 et enregistrée sous le numéro T‑611/18, Pharmaceutical Works Polpharma a introduit un recours par lequel elle a demandé l’annulation de la décision de l’EMA du 30 juillet 2018 et soulevé une exception d’illégalité au titre de l’article 277 TFUE à l’encontre de la décision d’exécution du 30 janvier 2014, en tant que, dans cette décision d’exécution, la Commission considérait que le Tecfidera ne relevait pas de la même autorisation globale de mise sur le marché que le Fumaderm.

8        Par arrêt du 5 mai 2021, Pharmaceutical Works Polpharma/EMA (T‑611/18, EU:T:2021:241), le Tribunal a fait droit à l’exception d’illégalité soulevée par Pharmaceutical Works Polpharma et annulé la décision de l’EMA du 30 juillet 2018.

9        L’arrêt du 5 mai 2021, Pharmaceutical Works Polpharma/EMA (T‑611/18, EU:T:2021:241), a fait l’objet de trois pourvois formés par la Commission, Biogen Netherlands BV (ci-après « Biogen ») et l’EMA.

10      À la suite de l’arrêt du 5 mai 2021, Pharmaceutical Works Polpharma/EMA (T‑611/18, EU:T:2021:241), la requérante a présenté une demande d’AMM d’une version générique du Tecfidera.

11      Le 13 mai 2022, la Commission a accordé une AMM à la requérante pour le DMF Mylan par la décision d’exécution C(2022) 3252 final portant AMM au titre du règlement no 726/2004 du DMF Mylan en tant que médicament à usage humain.

12      Biogen a introduit un recours en annulation contre cette décision. Ce recours est actuellement pendant devant le Tribunal (affaire T‑279/22).

13      Après avoir obtenu l’AMM, à partir de 2022, la requérante a commencé à lancer le médicament DMF Mylan dans différents États membres de l’Union européenne.

14      Par arrêt du 16 mars 2023, Commission e.a./Pharmaceutical Works Polpharma (C‑438/21 P à C‑440/21 P, EU:C:2023:213), la Cour a annulé l’arrêt du 5 mai 2021, Pharmaceutical Works Polpharma/EMA (T‑611/18, EU:T:2021:241). Statuant ensuite sur le recours introduit en première instance, la Cour a rejeté l’unique moyen tiré d’une exception d’illégalité de la décision d’exécution du 30 janvier 2014 et, partant, le recours.

15      Le 2 mai 2023, la Commission a adopté la décision d’exécution C(2023) 3067 final modifiant l’AMM octroyée par la décision d’exécution du 30 janvier 2014, en octroyant à Biogen, pour le Tecfidera, une année supplémentaire de protection de la mise sur le marché, jusqu’au 2 février 2025, avec un effet rétroactif à partir du 16 mars 2023.

16      Le 13 décembre 2023, la Commission a adopté la décision attaquée, par laquelle elle a abrogé la décision d’exécution C(2022) 3252 final portant autorisation de mise sur le marché du DMF Mylan.

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 décembre 2023, la requérante a introduit un recours tendant en substance à l’annulation de la décision attaquée.

18      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut en substance à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        ordonner, avant même que l’autre partie à la procédure ait présenté ses observations, en application de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, le sursis à l’exécution de la décision attaquée tant que le Tribunal n’aura pas examiné la présente demande en référé et statué sur celle‑ci ;

–        ordonner le sursis à l’exécution de la décision attaquée jusqu’au prononcé de l’arrêt dans l’affaire principale ;

–        condamner la Commission aux dépens.

19      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 23 janvier 2024, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Considérations générales

20      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

21      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

22      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

23      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

24      Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

25      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

 Sur la condition relative à l’urgence

26      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

27      Par ailleurs, aux termes de l’article 156, paragraphe 4, seconde phrase, du règlement de procédure, les demandes en référé « contiennent toutes les preuves et offres de preuves disponibles, destinées à justifier l’octroi des mesures provisoires ».

28      C’est à la lumière de ces critères qu’il convient d’examiner si la requérante parvient à démontrer l’urgence.

29      En l’espèce, pour démontrer le caractère grave et irréparable du préjudice invoqué, en premier lieu, la requérante soutient que la décision attaquée a pour conséquence la perte totale de ses parts de marché ainsi que la perte de bénéfices sur les ventes de DMF Mylan et que ce préjudice serait impossible à quantifier. La requérante fait également valoir qu’il existe une incertitude quant au sort du DMF Mylan déjà mis sur le marché en vertu de son AMM et qu’il serait éventuellement nécessaire de détruire des stocks de médicaments à durée de conservation limitée.

30      En deuxième lieu, la décision attaquée provoquerait des réactions de tiers. Premièrement, les AMM de la requérante accordées par les autorités nationales risqueraient d’être retirées si lesdites autorités suivaient les actions de la Commission. Deuxièmement, Biogen utiliserait la décision attaquée à son avantage, notamment dans diverses procédures au niveau national. Troisièmement, la rupture de l’approvisionnement du DMF Mylan risquerait d’affecter les relations contractuelles de la requérante en matière de marchés publics.

31      En troisième lieu, la décision attaquée risquerait de porter atteinte à la réputation de la requérante ainsi qu’à celle de l’industrie des médicaments génériques dans son ensemble et des titulaires de licences opérant dans le cadre de son AMM, dans la mesure où des tiers pourraient penser que le DMF Mylan serait indisponible en raison de problèmes de santé publique.

32      En quatrième lieu, la décision attaquée aurait des conséquences pour les patients qui prennent actuellement le DMF Mylan ainsi que pour les finances publiques des États membres, dans la mesure où le prix du Tecfidera est beaucoup plus élevé que celui des médicaments génériques. En outre, la décision attaquée pourrait provoquer des pénuries dans certains États membres.

33      En cinquième lieu, le sursis à l’exécution de la décision attaquée serait nécessaire pour préserver la pleine efficacité d’un futur arrêt annulant la décision attaquée, étant donné que, au moment où cet arrêt sera rendu, la protection de la mise sur le marché du Tecfidera aura expiré.

34      En sixième lieu, la condition relative à l’urgence serait remplie au motif que la décision attaquée serait entachée d’une illégalité manifeste. En outre, la violation des droits et des libertés fondamentales de la requérante serait continue et ne pourrait pas faire l’objet d’une réparation ultérieure.

35      La Commission conteste les arguments de la requérante.

36      En premier lieu, en ce qui concerne les arguments de la requérante selon lesquels la décision attaquée porterait atteinte aux patients, aux États membres, à l’industrie des médicaments génériques, aux titulaires de licences opérant dans le cadre de son AMM et à d’autres tiers, il y a lieu de les écarter dans la mesure où les préjudices allégués ne visent pas l’intérêt propre de celle-ci.

37      En effet, selon une jurisprudence constante, la partie qui sollicite les mesures provisoires ne peut pas, pour établir l’urgence, invoquer l’atteinte portée aux droits des tiers ou à l’intérêt général (voir ordonnance du 26 septembre 2017, António Conde & Companhia/Commission, T‑443/17 R, non publiée, EU:T:2017:671, point 35 et jurisprudence citée).

38      En deuxième lieu, s’agissant du préjudice relatif à la perte de parts de marché et de bénéfices, premièrement, il convient de constater que la requérante ne saurait se prévaloir que d’un préjudice qui trouverait sa cause dans la décision attaquée. Il convient donc d’écarter les dommages qui seraient imputables à d’autres facteurs, tels que les réactions de tiers provoquées par la décision attaquée. Ainsi, ne saurait entrer en ligne de compte pour établir le préjudice aux fins de la présente procédure en référé, ni le fait que les autorités nationales pourraient éventuellement retirer les AMM dont bénéficierait la requérante dans certains États membres, ni la circonstance que Biogen pourrait se prévaloir de la décision attaquée dans des recours dirigés contre la requérante. Il s’agit par ailleurs d’éléments futurs et incertains.

39      Deuxièmement, s’agissant de la perte de parts de marché et de bénéfices imputable à la décision attaquée, il y a lieu de constater que ce préjudice est de nature financière, en ce qu’il consiste en la perte des revenus susceptibles d’être tirés des futures ventes de DMF Mylan.

40      À cet égard, il importe de rappeler qu’un préjudice d’ordre pécuniaire ne saurait, sauf circonstances exceptionnelles, être considéré comme irréparable, une compensation pécuniaire étant, en règle générale, à même de rétablir la personne lésée dans la situation antérieure à la survenance du préjudice. Un tel préjudice pourrait notamment être réparé dans le cadre d’un recours en indemnité introduit sur le fondement des articles 268 et 340 TFUE [voir ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risk & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 24 et jurisprudence citée].

41      Toutefois, lorsque le préjudice invoqué est d’ordre financier, les mesures provisoires sollicitées se justifient s’il apparaît que, en l’absence de ces mesures, la partie qui les sollicite se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure au fond ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière importante au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de son entreprise ainsi que, le cas échéant, des caractéristiques du groupe auquel elle appartient (voir ordonnance du 12 juin 2014, Commission/Rusal Armenal, C‑21/14 P‑R, EU:C:2014:1749, point 46 et jurisprudence citée).

42      Dans ce cadre, la requérante n’a pas affirmé, et encore moins établi, qu’elle se trouvait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure au fond.

43      D’une part, si la requérante fournit des chiffres d’affaires engendrés par les ventes du DMF Mylan dans différents États membres depuis le lancement en 2022 jusqu’en mars 2023, à savoir environ 12 500 000 dollars, elle n’apporte cependant aucune information quant à la taille et au chiffre d’affaires de son entreprise et, le cas échéant, aux caractéristiques du groupe auquel elle appartient. Ainsi, il n’est pas possible d’apprécier l’importance du préjudice allégué en raison de la perte de parts de marché et de bénéfices au regard de son chiffre d’affaires global.

44      D’autre part, il ressort du considérant 19 de la décision attaquée que celle-ci n’empêche pas la requérante d’introduire une nouvelle demande d’AMM de sa version générique du Tecfidera. Ainsi, à supposer que la requérante puisse commercialiser de nouveau le DMF Mylan après l’expiration de la protection de la mise sur le marché du Tecfidera, à savoir le 2 février 2025, elle aura été empêchée de commercialiser le DMF Mylan pendant environ quatorze mois, ce qui correspond à une période relativement limitée.

45      Troisièmement, la requérante allègue qu’il est impossible de quantifier les pertes subies étant donné que, d’une part, au moment où elle pourra retourner sur le marché avec une nouvelle AMM, les concurrents seront plus nombreux, ce qui signifie qu’elle perdra l’avantage du précurseur, et, d’autre part, sa part de marché était en augmentation lors de l’adoption de la décision attaquée et il sera donc impossible de déterminer quelle aurait été sa part de marché sans cette décision.

46      À cet égard, il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante, un préjudice d’ordre financier peut notamment être considéré comme irréparable si ce préjudice, même lorsqu’il se produit, ne peut pas être chiffré [voir ordonnance du 28 novembre 2013, EMA/InterMune UK e.a., C‑390/13 P(R), EU:C:2013:795, point 49 et jurisprudence citée].

47      Toutefois, l’incertitude liée à la réparation d’un préjudice d’ordre pécuniaire dans le cadre d’un éventuel recours en indemnité ne saurait être considérée, en elle‑même, comme une circonstance de nature à établir le caractère irréparable d’un tel préjudice, au sens de la jurisprudence. En effet, au stade du référé, la possibilité d’obtenir ultérieurement la réparation d’un préjudice d’ordre pécuniaire dans le cadre d’un éventuel recours en indemnité, qui pourrait être intenté à la suite de l’annulation de l’acte attaqué, est nécessairement incertaine. Or, la procédure de référé n’a pas pour objet de se substituer à un tel recours en indemnité pour éliminer cette incertitude, sa finalité étant seulement de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive à intervenir dans la procédure au fond sur laquelle le référé se greffe, à savoir, en l’espèce, un recours en annulation [voir ordonnance du 28 novembre 2013, EMA/InterMune UK e.a., C‑390/13 P(R), EU:C:2013:795, point 50 et jurisprudence citée].

48      En revanche, il en va autrement lorsqu’il apparaît clairement, dès l’appréciation effectuée par le juge des référés, que le préjudice invoqué, compte tenu de sa nature et de son mode prévisible de survenance, ne sera pas susceptible d’être identifié et chiffré de manière adéquate s’il se produit et que, en pratique, un recours en indemnité ne saurait par conséquent permettre de le réparer [voir ordonnance du 28 novembre 2013, EMA/InterMune UK e.a., C‑390/13 P(R), EU:C:2013:795, point 51 et jurisprudence citée].

49      Or, dans le cas d’espèce, il y a lieu de constater que la requérante présente des chiffres d’affaires relatifs aux ventes dans différents États membres au cours des mois suivant le premier lancement du DMF Mylan sur le marché. Elle dispose donc d’éléments de comparaison lui permettant d’établir un pronostic de l’évolution des ventes qu’elle pourra éventuellement réaliser après la commercialisation future du DMF Mylan sur la base d’une nouvelle AMM. Dès lors, il ne saurait être valablement retenu que son préjudice ne serait dans aucune mesure quantifiable et serait donc irréparable.

50      Il importe également de souligner que la requérante n’a pas présenté d’éléments convaincants permettant de conclure que les conditions concurrentielles seraient différentes au moment où elle serait de nouveau en mesure de vendre le DMF Mylan sur le marché en cause, notamment en ce qui concerne le nombre de concurrents et le taux de croissance de ses ventes.

51      Quatrièmement, s’agissant du préjudice relatif à l’incertitude concernant les produits déjà mis sur le marché par la requérante et la destruction éventuelle des stocks de médicaments, il y a lieu de constater que l’argumentation de la requérante manque de clarté et ne saurait suffire pour étayer l’existence d’un préjudice grave et irréparable. En ce qui concerne en particulier la destruction de stocks de médicaments, un tel préjudice est de nature financière et quantifiable. Il ne saurait être qualifié d’irréparable dès lors qu’il peut faire l’objet d’une réparation ultérieure.

52      Cinquièmement, en ce qui concerne les conséquences éventuelles pour les contrats de la requérante en matière de marchés publics, il y a lieu de constater que ce préjudice reste à ce stade hypothétique et imprécis. En effet, la requérante avance à cet égard que, en général, de tels contrats contiennent des clauses pénales en cas de problème de fourniture. Il n’est cependant pas clair s’il serait possible pour elle de faire valoir la décision attaquée comme un cas de force majeure pour justifier une rupture éventuelle d’approvisionnement. En outre, la requérante ne précise ni l’importance des contrats en cause au regard de l’ensemble de son activité, ni le montant de la pénalité encourue en cas d’inexécution desdits contrats. Dès lors, la requérante n’a pas établi le risque imminent de la survenance d’un préjudice grave.

53      De surcroît, dans l’éventualité où la requérante devrait payer, dans le futur, des dommages et intérêts à ces cocontractants, elle subirait un préjudice d’ordre financier qui ne saurait être considéré comme irréparable dès lors qu’il s’agirait d’un dommage précis et quantifiable qui peut faire l’objet d’une réparation ultérieure.

54      En troisième lieu, s’agissant de la prétendue atteinte à la réputation de la requérante tirée de ce que des tiers pourraient penser que le DMF Mylan serait indisponible en raison de problèmes de santé publique, la requérante fait valoir que les règles contenues dans la directive 2001/83 s’opposent à ce qu’elle informe le marché de la véritable cause de l’arrêt d’approvisionnement.

55      À cet égard, tout d’abord, il convient de relever que l’éventuel sursis à l’exécution d’une décision ne pourrait réparer le préjudice à la réputation, à le supposer établi, et pour l’essentiel concrétisé, pas plus que ne le ferait, à l’avenir, une éventuelle annulation de ladite décision au terme de la procédure dans l’affaire principale (voir ordonnance du 17 février 2017, Janssen-Cases/Commission, T‑688/16 R, non publiée, EU:T:2017:107, point 20 et jurisprudence citée).

56      Ensuite, s’il résultait effectivement de l’adoption de la décision attaquée une atteinte à la réputation pour la requérante, il y a lieu de constater qu’elle pourrait informer les médecins, les pharmaciens, les patients et d’autres intéressés de la décision attaquée et des motifs exposés dans celle-ci qui mettent en évidence que son AMM n’a pas été révoquée en raison de problèmes de santé publique.

57      Or, il y a lieu de constater que la décision attaquée est une décision publique accessible à tout intéressé sur le site Internet de la Commission et qu’il n’existe pas de raison apparente qui s’opposerait à ce que la requérante diffuse cette information. D’ailleurs, la requérante n’a pas précisé comment les règles contenues dans la directive 2001/83 constitueraient un obstacle à cet effet.

58      Ainsi, la requérante n’a pas démontré qu’il serait impossible, en raison d’obstacles de nature structurelle ou juridique, de reconquérir sa réputation, notamment par des mesures appropriées de publicité (voir, en ce sens, ordonnance du 27 août 2008, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 R, non publiée, EU:T:2008:301, point 55).

59      Enfin, il y a lieu d’ajouter qu’il ressort de la jurisprudence que, s’agissant de la suspension d’une AMM d’un produit, dans le secteur hautement réglementé du marché pharmaceutique de l’Union, une telle suspension fait partie des aléas du marché auxquels les opérateurs du marché sont tous régulièrement confrontés. Il est notoire que de nombreuses entreprises actives sur ce type de marché ont déjà vu leurs produits retirés du marché, sans que ces entreprises ou leurs produits puissent pour autant être considérés comme stigmatisés. Les autorités réglementaires et les opérateurs du secteur concerné, qui sont familiarisés avec le cadre réglementaire, ont plutôt tendance à percevoir ce type de décision comme faisant normalement partie d’une procédure réglementaire (voir, en ce sens, ordonnance du 15 novembre 2011, Xeda International/Commission, T‑269/11 R, non publiée, EU:T:2011:665, point 43 et jurisprudence citée).

60      Il s’ensuit que la requérante n’a pas démontré l’existence d’un préjudice lié à l’atteinte à sa réputation.

61      En quatrième lieu, l’argumentation de la requérante, selon laquelle le sursis à l’exécution de la décision attaquée serait nécessaire pour préserver la pleine efficacité d’un futur arrêt annulant la décision attaquée, est dépourvue de toute pertinence aux fins de l’appréciation de la condition relative à l’urgence, dans la mesure où cette circonstance n’est pas susceptible de démontrer que la requérante subirait, en cas de rejet de sa demande en référé, un préjudice grave et irréparable.

62      En cinquième lieu, en ce qui concerne l’affirmation de la requérante selon laquelle, d’une part, la condition relative à l’urgence serait remplie au motif que la décision attaquée serait entachée d’une illégalité manifeste et, d’autre part, elle subirait un préjudice irréparable consistant en la violation continue de ses droits et libertés fondamentales, la requérante soutient, en substance, que la Commission a conclu à tort, rétroactivement et en raison de l’arrêt du 16 mars 2023, Commission e.a./Pharmaceutical Works Polpharma (C‑438/21 P à C‑440/21 P, EU:C:2023:213), à l’existence d’une protection des données pour le Tecfidera à la date de dépôt de sa demande d’AMM et que la Commission s’est fondée sur le principe de retrait d’un acte administratif illégal afin de révoquer son AMM, tandis que seul l’article 81 du règlement no 726/2004 peut servir de base juridique permettant de révoquer une AMM.

63      À cet égard, il y a lieu de constater que les arguments de la requérante ne permettent pas d’établir l’existence d’un préjudice grave et irréparable justifiant l’urgence des mesures provisoires sollicitées.

64      En effet, la condition relative au caractère grave et irréparable du préjudice invoqué est différente de celle relative au fumus boni juris, quand bien même il n’est pas exclu qu’un sursis à exécution ou d’autres mesures provisoires soit ordonné sur le seul fondement de l’illégalité manifeste de l’acte qui est attaqué, par exemple lorsqu’il manque à ce dernier même l’apparence de la légalité et qu’il faut, de ce fait, en suspendre, sur le champ, l’exécution (voir, en ce sens, ordonnances du 7 juillet 1981, IBM/Commission, 60/81 R et 190/81 R, EU:C:1981:165, points 7 et 8, et du 26 mars 1987, Hoechst/Commission, 46/87 R, EU:C:1987:167, points 31 et 32).

65      Toutefois, si, ainsi qu’il ressort du point 110 de l’ordonnance du 23 février 2001, Autriche/Conseil (C‑445/00 R, EU:C:2001:123), le caractère particulièrement sérieux du fumus boni juris n’est pas sans influence sur l’appréciation de l’urgence, il s’agit cependant, conformément aux dispositions de l’article 156, paragraphe 4, du règlement de procédure, de deux conditions distinctes qui président à l’obtention d’un sursis à exécution ou d’autres mesures provisoires. Il appartient donc à la partie qui sollicite les mesures provisoires de démontrer l’imminence d’un préjudice grave et difficilement réparable, voire irréparable, et la seule démonstration de l’existence d’un fumus boni juris, même particulièrement sérieux, ne saurait pallier l’absence complète de démonstration de l’urgence, sauf circonstances tout à fait particulières (voir, en ce sens, ordonnance du 2 mai 2007, IPK International – World Tourism Marketing Consultants/Commission, T‑297/05 R, non publiée, EU:T:2007:118, point 52 et jurisprudence citée).

66      Par ailleurs, l’illégalité invoquée n’apparaît pas comme présentant une nature et une gravité exceptionnelles, permettant de considérer que la décision attaquée n’aurait même pas l’apparence de la légalité. Il en va ainsi notamment à la lumière de l’arrêt du 16 mars 2023, Commission e.a./Pharmaceutical Works Polpharma (C‑438/21 P à C‑440/21 P, EU:C:2023:213), au regard duquel la Commission devait prendre des mesures d’exécution au sens de l’article 266 TFUE.

67      Dès lors que la requérante n’a pas établi que la condition relative à l’urgence était remplie, la demande en référé doit être rejetée, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le fumus boni juris ou de procéder à la mise en balance des intérêts.

68      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 29 février 2024.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : l’anglais.