Language of document : ECLI:EU:T:2023:34

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

1er février 2023 (*) 

« Accès aux documents – Règlement (CE) no 1049/2001 – Régime de contrôle afin d’assurer le respect des règles de la politique commune de la pêche – Règlement (CE) no 1224/2009 – Documents concernant la mise en œuvre du contrôle de la pêche au Danemark et en France – Refus partiel d’accès – Exception relative à la protection des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit – Présomption générale de confidentialité – Intérêt public supérieur – Convention d’Aarhus – Règlement (CE) no 1367/2006 »

Dans l’affaire T‑354/21,

ClientEarth AISBL, établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes O. Brouwer, T. Oeyen et T. van Helfteren, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme C. Ehrbar, MM. G. Gattinara et A. Spina, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé, lors des délibérations, de Mme A. Marcoulli, présidente, MM. S. Frimodt Nielsen (rapporteur) et R. Norkus, juges,

greffier : M. A. Marghelis, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 21 octobre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, ClientEarth AISBL, demande l’annulation de la décision C(2021) 4348 final de la Commission, du 7 avril 2021, portant refus d’accès à certains documents demandés au titre du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), ainsi qu’au titre du règlement (CE) no 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO 2006, L 264, p. 13) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        La requérante est une association internationale à but non lucratif ayant pour objet la protection de l’environnement.

3        Le 15 juillet 2020, en vertu du règlement no 1049/2001 et du règlement no 1367/2006, la requérante a demandé à la Commission européenne l’accès aux documents suivants :

–        le rapport individuel de la mission conjointe de la direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire et de la direction générale des affaires maritimes et de la pêche de la Commission sur la traçabilité et l’étiquetage des produits de la pêche concernant la France ;

–        des documents relatifs aux systèmes d’enregistrement des prises et de validation des données en France et au Danemark, plus particulièrement les rapports d’audit définitifs et les décisions relatives aux plans d’action concernant le respect de certaines exigences établies dans le cadre du règlement no 1224/2009 du Conseil, du 20 novembre 2009, instituant un régime communautaire de contrôle afin d’assurer le respect des règles de la politique commune de la pêche, modifiant les règlements (CE) no 847/96, (CE) no 2371/2002, (CE) no 811/2004, (CE) no 768/2005, (CE) no 2115/2005, (CE) no 2166/2005, (CE) no 388/2006, (CE) no 509/2007, (CE) no 676/2007, (CE) no 1098/2007, (CE) no 1300/2008, (CE) no 1342/2008 et abrogeant les règlements (CEE) no 2847/93, (CE) no 1627/94 et (CE) no 1966/2006 (JO 2009, L 343, p. 1) ;

–        des documents contenant des informations factuelles de base sur l’existence de procédures EU Pilot et de procédures d’infraction relatives à la mise en œuvre du règlement no 1224/2009.

4        Le 11 septembre 2020, la Commission a envoyé à la requérante une réponse partiellement négative à sa demande d’accès. Elle a accordé un accès complet au rapport individuel sur la traçabilité et l’étiquetage des produits de la pêche en France. De plus, elle a accordé un accès partiel à l’un des rapports d’audit demandés concernant le Danemark, ainsi qu’à des documents contenant des informations de base sur des procédures EU Pilot et des procédures en manquement. En revanche, elle a refusé l’accès à plusieurs autres documents liés à des audits.

5        Le 2 octobre 2020, la requérante a adressé à la Commission une demande confirmative en application de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001. Parmi les documents visés par la demande confirmative, ceux encore en cause devant le Tribunal (ci-après les « documents demandés ») sont les suivants :

–        cinq rapports d’audit définitifs concernant le Danemark (documents numérotés 2.1 à 2.4 et 2.6 dans la décision attaquée) ;

–        un document concernant le suivi du plan d’action de l’audit relatif à la France (document 2.8) et six rapports d’audit définitifs concernant la France (documents 2.7 et 2.9 à 2.13).

6        Dans la décision attaquée, la Commission s’est référée à l’exception à la divulgation énoncée à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, qui protège notamment les objectifs des activités d’enquête, et a maintenu son refus d’accès aux documents demandés.

7        En premier lieu, la Commission a indiqué qu’elle avait préparé ces documents afin de vérifier l’application du règlement no 1224/2009 par le Danemark et la France et qu’ils décrivaient les insuffisances affectant le contrôle, par ces États membres, du respect des règles de la politique commune de la pêche. Elle a expliqué que, après avoir constaté de telles insuffisances, mais avant d’ouvrir formellement la phase précontentieuse de la procédure en manquement prévue à l’article 258 TFUE, elle pouvait recourir à différentes procédures sur la base du règlement no 1224/2009, par exemple demander à l’État membre concerné de mener une enquête administrative, ou adopter un plan d’action lui prescrivant des mesures pour remédier aux lacunes détectées, ou encore ouvrir une procédure EU Pilot.

8        En deuxième lieu, s’agissant des documents 2.1 à 2.4 et 2.6, qui seraient des rapports d’audit faisant partie du dossier de la procédure en manquement identifiée sous le numéro 2014/2137 et dirigée contre le Danemark, la Commission a fait valoir qu’ils étaient couverts par la présomption générale de confidentialité que la jurisprudence a reconnue concernant les enquêtes relatives à des procédures en manquement. La requérante n’aurait pas contesté l’application de cette présomption à ces documents.

9        En troisième lieu, quant au reste des documents demandés, à savoir les documents 2.7 à 2.13 concernant la France, la décision attaquée les décrit comme étant des rapports d’audit définitifs préparés dans le cadre des activités de contrôle menées par la Commission en vertu du règlement no 1224/2009. Selon la décision attaquée, ils font état de lacunes dans la mise en œuvre des règles de la politique commune de la pêche. À la date de la décision attaquée, ils auraient fait partie de dossiers constitués en vue de l’ouverture de procédures en manquement. Plus précisément, les documents 2.7 à 2.12 seraient dans le dossier de la procédure en manquement identifiée sous le numéro 2020/2282 et le document 2.13 ferait partie du dossier d’une autre enquête sur un possible manquement. Globalement, les documents 2.7 à 2.13 échapperaient donc à la divulgation, sur la base de la présomption générale de confidentialité concernant les procédures en manquement.

10      En quatrième lieu, sur la question de l’existence d’un intérêt public supérieur justifiant la divulgation, la décision attaquée note, premièrement, que la requérante invoque la convention de la Commission économique pour l’Europe des Nations unies (CEE-ONU) sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice dans le domaine de l’environnement, approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2005/370/CE du Conseil, du 17 février 2005 (JO 2005, L 124, p. 1, ci-après la « convention d’Aarhus ») et le règlement no 1367/2006, qui concerne l’application de cette convention aux institutions et organes de l’Union européenne. Puis, dans la décision attaquée, la Commission renvoie à l’article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 1367/2006, selon lequel « [e]n ce qui concerne les dispositions de l’article 4, paragraphe 2, premier et troisième tirets, du règlement (CE) no 1049/2001, à l’exception des enquêtes, notamment celles relatives à de possibles manquements au droit communautaire, la divulgation est réputée présenter un intérêt public supérieur lorsque les informations demandées ont trait à des émissions dans l’environnement ». La décision attaquée précise que la présomption de l’existence d’un intérêt public supérieur, prévue par l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006 dans certains cas, ne s’applique pas en l’espèce. De surcroît, les documents demandés ne contiendraient pas d’informations ayant trait à des émissions dans l’environnement.

11      Deuxièmement, d’après la décision attaquée, la requérante n’a pas expliqué comment la divulgation des documents demandés contribuerait au débat public suscité par la révision du règlement no 1224/2009.

12      Troisièmement, selon la décision attaquée, la Commission s’assure d’informer le public au sujet des procédures en manquement en cours, par la voie de communiqués de presse et sur un site Internet dédié, ce qu’elle aurait fait en l’espèce.

13      Quatrièmement, la décision attaquée rappelle la jurisprudence selon laquelle un intérêt public supérieur ne saurait être déduit d’un manque de célérité des enquêtes menées par la Commission, ni du souhait du demandeur de surveiller ces enquêtes.

14      En cinquième et dernier lieu, en ce qui concerne la possibilité d’un accès partiel aux documents demandés, la décision attaquée applique la jurisprudence selon laquelle une présomption générale de confidentialité signifie que les documents couverts par celle-ci échappent à l’obligation d’une divulgation, intégrale ou partielle, de leur contenu.

15      Après l’adoption de la décision attaquée, la Commission a envoyé en juin 2021 une lettre de mise en demeure à la France dans le cadre de la procédure en manquement identifiée sous le numéro 2020/2282, à laquelle les documents 2.7 à 2.12 se rapportaient. En septembre 2021, elle a adressé à la France une autre lettre de mise en demeure dans le cadre d’une procédure en manquement identifiée sous le numéro 2021/2118, à laquelle le document 2.13 était lié.

 Conclusion des parties

16      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

17      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours :

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

18      À l’appui de son recours, la requérante invoque deux moyens. Au titre du premier moyen, elle invoque une application erronée de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, relatif à la protection des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit, ainsi qu’un défaut de motivation. Par le second moyen, elle soutient que la Commission a considéré à tort qu’il n’existait pas d’intérêt public supérieur justifiant la divulgation des documents demandés. De plus, selon la requérante, la Commission n’a pas motivé son constat d’absence d’intérêt public supérieur.

 Sur le premier moyen, tiré d’une application erronée de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, ainsi que d’un défaut de motivation

19      À titre liminaire, il convient de relever que les arguments relatifs à un défaut de motivation et avancés au titre du premier moyen sont peu développés.

20      En substance, la requérante fait valoir qu’aucune présomption générale de confidentialité ne s’applique en l’espèce et que, par conséquent, la Commission aurait dû motiver sa décision de refus d’accès en démontrant un risque non purement hypothétique d’atteinte concrète et effective à l’intérêt protégé par l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001. Or, la décision attaquée ne comporterait pas une telle démonstration et serait donc entachée d’un défaut de motivation.

21      Force est de constater que, en formulant ces arguments, la requérante reproche à la Commission d’avoir erronément appliqué une présomption générale de confidentialité. Ils ne relèvent donc pas à proprement parler de l’obligation de motivation, mais se rattachent en réalité à la question distincte du bien-fondé des motifs de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 2019, Fortischem/Commission, T‑121/15, EU:T:2019:684, point 42 et jurisprudence citée).

22      Partant, lorsque, au titre du premier moyen, la requérante invoque un défaut de motivation de la décision attaquée, elle ne formule pas de moyen autonome qui serait pris d’une violation de l’obligation de motivation.

23      À la lumière de ces considérations liminaires, il y a lieu de relever que le premier moyen invoqué par la requérante se divise, en substance, en deux branches.

24      Par la première branche du premier moyen, la requérante soutient que la présomption générale de confidentialité s’agissant des activités d’inspection, d’enquête et d’audit n’est pas compatible avec le cadre juridique de la décision attaquée. Selon la requérante, une telle présomption n’est compatible ni avec la convention d’Aarhus, ni avec le règlement no 1367/2006.

25      Par la seconde branche du premier moyen, la requérante estime que les documents demandés concernant la France (documents 2.7 à 2.13) n’avaient pas de lien avec une procédure d’inspection, d’enquête ou d’audit en cours à la date de la décision attaquée.

 Sur la première branche du premier moyen, tirée de l’incompatibilité d’une présomption générale de confidentialité avec le cadre juridique de la décision attaquée

26      La requérante souligne l’importance et l’urgence de la protection de l’environnement. Elle fait observer que l’Union est partie à la convention d’Aarhus et que celle-ci est donc intégrée dans le droit de l’Union. Selon la requérante, il en résulte que tout acte du droit de l’Union doit être interprété conformément à cette convention.

27      La requérante fait valoir que ce principe d’interprétation conforme à la convention d’Aarhus, combiné au besoin de transparence accru en matière environnementale, dicte une interprétation stricte des exceptions à la divulgation prévues par le règlement no 1049/2001. Lorsque, comme en l’espèce, une demande d’accès vise un nombre limité de documents précis qui ont été élaborés hors du cadre d’une procédure en manquement et qui concernent la protection de l’environnement, elle est d’avis qu’une présomption générale de confidentialité telle que celle invoquée par la Commission au titre de la protection des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit, n’est pas compatible avec les objectifs de transparence et de participation publique consacrés dans la convention d’Aarhus et le règlement no 1367/2006. Une telle présomption ne saurait donc s’appliquer aux documents demandés et la Commission aurait l’obligation de procéder à une mise en balance des intérêts en jeu ainsi qu’à un examen individuel et concret de chacun de ces documents.

28      En outre, la requérante soutient que la jurisprudence conforte sa position, même si elle reconnaît que le juge de l’Union a considéré que l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006 – une disposition précisant comment s’appliquent au domaine de l’environnement les exceptions à la divulgation prévues par le règlement no 1049/2001 – ne s’oppose pas à l’invocation d’une présomption générale pour protéger les enquêtes sur un possible manquement lorsque les documents en cause ont un lien avec l’environnement. À l’audience, la requérante a expliqué qu’elle n’entendait plus fonder son interprétation de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001 sur cette disposition du règlement no 1367/2006. Néanmoins, de l’avis de la requérante, la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée sur la question de savoir si, en principe, ladite présomption a vocation, a priori, à s’appliquer en matière environnementale ou si elle est compatible avec d’autres dispositions du règlement no 1367/2006 ou de la convention d’Aarhus.

29      Par ailleurs, la requérante fait observer que l’article 4, paragraphe 4, second alinéa, de la convention d’Aarhus, repris dans le considérant 15 du règlement no 1367/2006, indique que les exceptions à la divulgation d’informations environnementales doivent être interprétées de manière restrictive, compte tenu de l’intérêt que la divulgation des informations demandées présenterait pour le public et selon que ces informations ont trait ou non aux émissions dans l’environnement. Or, elle estime très probable que les documents demandés comprennent des informations relatives à de telles émissions, qui résulteraient notamment de la perte ou de l’abandon de dispositifs utilisés pour attirer les poissons à pêcher, appelés « dispositifs de concentration de poissons ». Selon la requérante, il est nécessaire d’évaluer concrètement, au cas par cas, les informations demandées, afin de s’assurer que l’intérêt protégé par un motif de refus d’accès n’est pas contrebalancé par l’intérêt que la divulgation présente pour le public, y compris l’intérêt de ce dernier de participer effectivement au processus législatif de l’Union en matière environnementale. En l’occurrence, les documents demandés seraient particulièrement pertinents pour une participation effective à la procédure législative en cours visant à modifier le règlement no 1224/2009.

30      La Commission conteste l’argumentation de la requérante.

31      Il y a lieu de constater que, dans la décision attaquée, la Commission a appliqué la présomption générale de confidentialité que la jurisprudence a reconnue concernant les enquêtes relatives à des procédures en manquement. Elle en a fait application aux documents demandés qui ont trait au Danemark, au motif que, à la date de la décision attaquée, ceux-ci faisaient partie du dossier d’une procédure en manquement en cours contre ce pays (voir point 8 ci-dessus). Elle se fonde aussi sur cette présomption pour refuser la divulgation des documents demandés relatifs à la France qui, à la date de la décision attaquée, auraient fait partie de l’un ou l’autre de deux dossiers constitués en vue de l’ouverture de procédures en manquement (voir point 9 ci-dessus).

32      En somme, la requérante défend la position selon laquelle, ab initio, une présomption générale de confidentialité n’est pas compatible avec les objectifs de la convention d’Aarhus et du règlement no 1367/2006 et ne saurait donc s’appliquer aux documents demandés, qui selon elle contiennent des « informations environnementales » et même des « informations ayant trait à des émissions dans l’environnement » au sens que ces deux termes revêtent dans le cadre juridique défini par ladite convention et ledit règlement.

33      À cet égard, il convient d’examiner les dispositions pertinentes.

34      Aux termes de l’article 3, premier alinéa, du règlement no 1367/2006 :

« Le règlement (CE) no 1049/2001 s’applique à toute demande d’accès à des informations environnementales détenues par des institutions ou organes communautaires […] »

35      Le considérant 15 du règlement no 1367/2006 est rédigé ainsi :

« Lorsque le règlement (CE) no 1049/2001 prévoit des exceptions, celles-ci devraient s’appliquer sous réserve des dispositions plus spécifiques du présent règlement relatives aux demandes d’accès aux informations environnementales. Les motifs de refus en ce qui concerne l’accès aux informations environnementales devraient être interprétés de manière restrictive, en tenant compte de l’intérêt que la divulgation des informations demandées présente pour le public et du fait que les informations demandées ont ou non trait à des émissions dans l’environnement. […] »

36      L’article 4, paragraphe 4, de la convention d’Aarhus stipule ce qui suit :

« Une demande d’informations sur l’environnement peut être rejetée au cas où la divulgation de ces informations aurait des incidences défavorables sur :

[liste des motifs de rejet]

Les motifs de rejet susmentionnés devront être interprétés de manière restrictive compte tenu de l’intérêt que la divulgation des informations demandées présenterait pour le public et selon que ces informations ont trait ou non aux émissions dans l’environnement. »

37      Il ressort du libellé de l’article 3, premier alinéa, du règlement no 1367/2006, lu à la lumière du considérant 15 dudit règlement, que le règlement no 1049/2001 s’applique à une demande d’accès à des informations environnementales, sous réserve des règles plus spécifiques applicables à de telles demandes.

38      En outre, il ne fait aucun doute que, comme le rappelle la requérante, le droit dérivé de l’Union, y compris le règlement no 1049/2001, doit être interprété conformément à la convention d’Aarhus, à laquelle l’Union est partie (voir, en ce sens, arrêts du 21 novembre 2018, Stichting Greenpeace Nederland et PAN Europe/Commission, T‑545/11 RENV, EU:T:2018:817, point 106 et jurisprudence citée, et du 7 mars 2019, Tweedale/EFSA, T‑716/14, EU:T:2019:141, point 94 et jurisprudence citée).

39      Toutefois, la stipulation de la convention d’Aarhus invoquée par la requérante, à savoir l’article 4, paragraphe 4, de celle-ci, qui est repris en partie au considérant 15 du règlement no 1367/2006, n’impose pas une interprétation encore plus restrictive des exceptions prévues à l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001, qui irait au-delà du principe d’interprétation stricte de ces exceptions déjà reconnu par la jurisprudence (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2018, Stichting Greenpeace Nederland et PAN Europe/Commission, T‑545/11 RENV, EU:T:2018:817, points 105 à 107 et jurisprudence citée).

40      En outre, l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006, qui régit l’application des exceptions relatives aux demandes d’accès à des informations environnementales, dispose :

« En ce qui concerne les dispositions de l’article 4, paragraphe 2, premier et troisième tirets, du règlement (CE) no 1049/2001, à l’exception des enquêtes, notamment celles relatives à de possibles manquements au droit communautaire, la divulgation est réputée présenter un intérêt public supérieur lorsque les informations demandées ont trait à des émissions dans l’environnement. Pour ce qui est des autres exceptions prévues à l’article 4 du règlement (CE) no 1049/2001, les motifs de refus doivent être interprétés de manière stricte, compte tenu de l’intérêt public que présente la divulgation et du fait de savoir si les informations demandées ont trait à des émissions dans l’environnement. »

41      La rédaction des deux phrases de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006 et l’économie de celles-ci mettent en évidence l’intention du législateur d’exclure les procédures en manquement du champ d’application de cette disposition dans son ensemble (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 84).

42      En particulier, l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006 n’a pas d’incidence sur l’examen que doit effectuer la Commission en vertu du règlement no 1049/2001 lorsqu’une demande d’accès a pour objet des documents afférents à une procédure d’enquête, notamment à une procédure en manquement se trouvant encore au stade de la phase précontentieuse (voir, en ce sens, arrêts du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 85, et du 4 octobre 2018, Daimler/Commission, T‑128/14, EU:T:2018:643, point 103). Cette disposition n’a pas non plus d’incidence sur la question de savoir si l’institution concernée doit ou non effectuer un examen concret et individuel des documents ou des informations demandés (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2018, Daimler/Commission, T‑128/14, EU:T:2018:643, point 104 et jurisprudence citée).

43      Par ailleurs, il ressort des arrêts du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission (C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738), et du 4 octobre 2018, Daimler/Commission (T‑128/14, EU:T:2018:643), que tant la Cour que le Tribunal ont admis l’existence d’une présomption générale de confidentialité protégeant les activités d’enquête relatives à des procédures en manquement, y compris pour les documents ayant trait au domaine de l’environnement.

44      Il découle de ce qui précède que la requérante soutient à tort que le principe d’interprétation conforme à la convention d’Aarhus ou qu’une interprétation du règlement no 1049/2001 conforme aux objectifs de ladite convention et du règlement no 1367/2006 s’opposent à l’existence d’une présomption générale de confidentialité pour protéger les enquêtes relatives à des procédures en manquement lorsque les documents en cause contiennent des « informations environnementales » ou des « informations ayant trait à des émissions dans l’environnement » au sens que ces deux termes revêtent dans le cadre juridique défini par ladite convention et ledit règlement.

45      Dès lors, l’application d’une telle présomption étant indépendante du fait que les documents concernés aient ou non un lien avec l’environnement, les arguments de la requérante concernant la délimitation des notions d’information environnementale et d’informations ayant trait à des émissions dans l’environnement sont inopérants et il n’est donc pas nécessaire de les examiner.

46      Enfin, il convient de rappeler que les présomptions générales de confidentialité reconnues par la jurisprudence concernant certaines catégories de documents, dans le but de protéger les objectifs des activités d’enquête, s’appliquent indépendamment du fait que la demande d’accès a identifié précisément ou non le ou les documents concernés. C’est pourquoi le fait, invoqué par la requérante, que les documents demandés sont peu nombreux et précisément identifiés est dépourvu de pertinence (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2019, AlzChem/Commission, C‑666/17 P, non publié, EU:C:2019:196, points 31 et 32).

47      Il y a donc lieu de rejeter la première branche du premier moyen comme étant non fondée.

 Sur la seconde branche du premier moyen, tirée de l’absence de lien des documents demandés concernant la France (documents 2.7 à 2.13) avec une procédure d’inspection, d’enquête ou d’audit en cours à la date de la décision attaquée

48      À supposer qu’une présomption générale de confidentialité puisse s’appliquer aux documents demandés afin de protéger les objectifs des activités d’enquête sur un possible manquement, la requérante ne conteste pas que les documents demandés concernant le Danemark (documents 2.1 à 2.4 et 2.6) seraient couverts par une telle présomption. En revanche, par la seconde branche du premier moyen, elle conteste l’application de cette présomption aux documents demandés concernant la France (documents 2.7 à 2.13).

49      À cet égard, la requérante rappelle que la jurisprudence exige d’une institution de l’Union refusant l’accès sur le fondement des exceptions prévues à l’article 4 du règlement no 1049/2001 que celle-ci explique de quelle manière l’accès à un document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par cette exception. La requérante fait aussi observer que, selon la jurisprudence, le risque d’une telle atteinte doit être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique.

50      La requérante déduit de la convention d’Aarhus et du règlement no 1367/2006 que ces exigences jurisprudentielles sont plus élevées lorsque la demande d’accès porte sur des informations environnementales. En d’autres termes, les exceptions à la divulgation de telles informations, y compris les présomptions générales de confidentialité, devraient être interprétées de manière restrictive, en tenant compte des intérêts que présente la divulgation.

51      La requérante reconnaît que, selon la jurisprudence, la présomption générale protégeant les objectifs des activités d’enquête sur un possible manquement peut être invoquée après l’envoi d’une lettre de mise en demeure à l’État membre concerné, qui marque le début de la phase formelle de la procédure en manquement, mais aussi antérieurement en cas d’ouverture d’une procédure EU Pilot, du moins jusqu’au moment où la procédure EU Pilot est clôturée et que l’ouverture d’une procédure formelle en manquement contre cet État membre est définitivement écartée. Or, selon elle, les documents 2.7 à 2.9 et 2.11 à 2.13 n’étaient liés, au moment de l’adoption de la décision attaquée, ni à une procédure EU Pilot ni à une lettre de mise en demeure adressée à la France. Quant au document 2.10, une procédure EU Pilot aurait certes été ouverte sur la base de celui-ci, mais elle aurait été officiellement close en août 2020 et, à la date de la décision attaquée, aucune lettre de mise en demeure n’aurait été envoyée.

52      En l’absence de procédure EU Pilot ou de procédure en manquement qui seraient en cours, la requérante soutient que la présomption générale de confidentialité n’est pas applicable. Elle fait valoir que, dès lors, c’est la règle de droit commun qui s’applique, à savoir l’obligation que l’institution détermine au niveau de chaque document que le risque que la divulgation compromette les inspections, enquêtes ou audits est raisonnablement prévisible, et non purement hypothétique. À l’aune de cette règle, la requérante conclut que le risque allégué dans la décision attaquée que la divulgation des documents 2.7 à 2.13 porte atteinte à l’objectif des inspections, enquêtes ou audits est hypothétique.

53      Enfin, la requérante souligne que les audits à l’issue desquels les documents 2.7 à 2.13 ont été rédigés s’inscrivent dans le cadre du suivi des mesures nationales prises par la France pour mettre en œuvre les dispositions du règlement no 1224/2009. À ce titre, selon la requérante, leur contenu se limite aux faits préexistants et aux améliorations susceptibles d’être envisagées en cas de déficiences, sans aucun jugement de la part de la Commission quant à une éventuelle violation des traités. Ces documents se distingueraient donc de ceux établis par la Commission pour débuter une procédure en manquement, tels que les lettres de mise en demeure ou les avis motivés. Leur divulgation ne compromettrait donc pas le climat de confiance requis entre la Commission et l’État membre concerné avant une éventuelle procédure en manquement.

54      La Commission rejette les arguments de la requérante.

55      S’agissant des documents 2.7 à 2.13 concernant la France, la Commission a, dans la décision attaquée, appliqué la présomption générale de confidentialité protégeant les activités d’enquête relatives à des procédures en manquement, en l’occurrence pour non-respect par cet État membre des règles de la politique commune de la pêche.

56      Dans la décision attaquée, la Commission s’est penchée plus particulièrement sur le document 2.10, qui est un rapport d’audit établissant des lacunes du système national de contrôle de la flotte française opérant en dehors des eaux de l’Union. Le constat de ces lacunes aurait conduit à l’ouverture d’une procédure EU Pilot vis-à-vis de la France, qui n’aurait pas abouti à leur correction. Cette procédure aurait donc été close sans succès en août 2020 et l’engagement d’une procédure en manquement aurait été envisagé, sans qu’une décision définitive n’eût encore été prise à cet égard à la date de la décision attaquée.

57      Ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, la Commission a estimé que ce document 2.10 et les autres documents concernant la France, à savoir les documents 2.7 à 2.9 et 2.11 à 2.13, se rattachaient à des dossiers constitués afin de décider si l’engagement formel de procédures en manquement se justifiait. Les documents 2.7 à 2.12 feraient partie du dossier d’une enquête identifiée sous le numéro 2020/2282 et dirigée contre la France au sujet de possibles manquements aux règles de la politique commune de la pêche. S’agissant du document 2.13, il ferait partie du dossier d’une autre enquête relative à de tels manquements, pour laquelle, à la date de la décision attaquée, la Commission envisageait d’engager une procédure en vertu de l’article 258 TFUE.

58      En premier lieu, il convient de rappeler qu’il ressort de l’article 4 du règlement no 1049/2001, qui institue un régime d’exceptions à l’accès aux documents, que le droit d’accès est soumis à certaines limites fondées sur des raisons d’intérêt public ou privé. De telles exceptions dérogeant au principe de l’accès le plus large possible du public aux documents, elles doivent être interprétées et appliquées strictement (voir, en ce sens, arrêts du 4 octobre 2018, Daimler/Commission, T‑128/14, EU:T:2018:643, points 109 et 112 et jurisprudence citée, et du 29 septembre 2021, AlzChem Group/Commission, T‑569/19, EU:T:2021:628, point 38 et jurisprudence citée).

59      Néanmoins, comme cela a été exposé aux points 37 à 39 ci-dessus et contrairement à ce que prétend la requérante, la convention d’Aarhus et le règlement no 1367/2006 ne créent pas une exigence d’interprétation encore plus stricte si la demande d’accès concerne des informations environnementales.

60      Pour justifier le refus d’accès à un document dont la divulgation a été demandée, il ne suffit pas, en principe, que ce document relève d’une activité mentionnée à l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001. Il incombe encore, en principe, à l’institution destinataire de la demande d’expliquer comment l’accès audit document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par l’exception ou les exceptions qu’elle invoque. En outre, le risque d’une telle atteinte doit être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique (voir arrêt du 4 octobre 2018, Daimler/Commission, T‑128/14, EU:T:2018:643, point 113 et jurisprudence citée).

61      Cependant, il est loisible à l’institution concernée de se fonder sur des présomptions générales s’appliquant à certaines catégories de documents, des considérations similaires étant susceptibles de s’appliquer à des demandes portant sur des documents de même nature (voir arrêts du 4 octobre 2018, Daimler/Commission, T‑128/14, EU:T:2018:643, point 114 et jurisprudence citée, et du 29 septembre 2021, AlzChem Group/Commission, T‑569/19, EU:T:2021:628, point 40 et jurisprudence citée).

62      L’objectif de telles présomptions réside dans la possibilité, pour l’institution concernée, de considérer que la divulgation de certaines catégories de documents porte, en principe, atteinte à l’intérêt protégé par l’exception qu’il invoque, en se fondant sur de telles considérations générales, sans être tenue d’examiner concrètement et individuellement chacun des documents demandés (voir arrêt du 29 septembre 2021, AlzChem Group/Commission, T‑569/19, EU:T:2021:628, point 41 et jurisprudence citée).

63      À cet égard, les présomptions générales constituant une exception à l’obligation d’examen concret et individuel, par l’institution de l’Union concernée, de chaque document visé par une demande d’accès et, d’une manière plus générale, au principe de l’accès le plus large possible du public aux documents détenus par les institutions de l’Union, elles doivent faire l’objet d’une interprétation et d’une application strictes (voir arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 80 et jurisprudence citée ; arrêt du 28 mai 2020, Campbell/Commission, T‑701/18, EU:T:2020:224, point 39).

64      La Cour a reconnu l’existence d’une présomption générale selon laquelle la divulgation de documents afférents à une procédure en manquement, au stade de la phase précontentieuse, est présumée porter atteinte à la protection des objectifs des activités d’enquête (arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 65), sans que l’éventuel lien de tels documents avec la protection de l’environnement ait une incidence sur l’applicabilité de cette présomption (voir point 43 ci-dessus). En effet, la Commission est en droit de préserver la confidentialité des documents réunis dans le cadre d’une enquête relative à une procédure en manquement dont la divulgation pourrait porter préjudice au climat de confiance devant exister, entre elle-même et l’État membre concerné, en vue d’une solution consensuelle aux infractions au droit de l’Union éventuellement identifiées (voir arrêt du 29 septembre 2021, AlzChem Group/Commission, T‑569/19, EU:T:2021:628, point 83 et jurisprudence citée).

65      Cette présomption générale de confidentialité s’applique indépendamment du fait que les documents en cause aient été établis au cours de la phase informelle de la procédure en manquement, c’est‑à‑dire avant l’envoi, par la Commission, de la lettre de mise en demeure à l’État membre concerné, ou durant la phase formelle de celle-ci, à savoir postérieurement à l’envoi de cette lettre (voir, en ce sens, arrêt du 11 mai 2017, Suède/Commission, C‑562/14 P, EU:C:2017:356, points 40 et 41).

66      S’agissant, en particulier, de la phase informelle de la procédure en manquement, une présomption de confidentialité a notamment été reconnue pour les documents relatifs à une procédure EU Pilot, laquelle est une procédure visant à formaliser ou structurer les échanges d’informations qui ont traditionnellement lieu entre la Commission et les États membres au cours de cette phase (voir, en ce sens, arrêt du 11 mai 2017, Suède/Commission, C‑562/14 P, EU:C:2017:356, points 43 et 51). Ainsi, la procédure EU Pilot constitue une sorte de préalable à la procédure prévue par l’article 258 TFUE et est donc indissociablement liée à la procédure en manquement (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2021, Stichting Comité N 65 Ondergronds Helvoirt/Commission, T‑569/20, EU:T:2021:892, point 40).

67      La présomption générale de confidentialité des documents relatifs à une procédure EU Pilot s’applique jusqu’au moment où cette dernière est clôturée et que l’engagement d’une procédure formelle en manquement est définitivement écarté (voir, en ce sens, arrêt du 11 mai 2017, Suède/Commission, C‑562/14 P, EU:C:2017:356, point 45).

68      En second lieu, la Cour a considéré que le fait que des documents avaient été versés au dossier d’une procédure administrative était déterminant pour conclure que ces documents étaient afférents à cette procédure (voir arrêt du 4 octobre 2018, Daimler/Commission, T‑128/14, EU:T:2018:643, point 166 et jurisprudence citée). En effet, la présomption générale de confidentialité ne s’applique en principe pas aux documents qui, au moment de la décision refusant l’accès, n’ont pas été versés dans un dossier relatif à une procédure administrative en cours (voir, en ce sens, arrêt du 11 mai 2017, Suède/Commission, C‑562/14 P, EU:C:2017:356, point 44).

69      C’est à la lumière de l’ensemble de cette jurisprudence qu’il y a lieu de déterminer si c’est à bon droit que, dans la décision attaquée, la Commission a appliqué aux documents 2.7 à 2.13 concernant la France la présomption générale de confidentialité des documents afférents à une procédure en manquement, y compris la phase précontentieuse de celle-ci.

70      En l’espèce, il ressort de la décision attaquée que, à la date de celle-ci, les documents 2.7 à 2.12 se rattachaient au dossier de l’enquête 2020/2282 sur des manquements de la France à ses obligations dans le cadre de la politique commune de la pêche. La décision attaquée donne l’exemple du document 2.10, un rapport définitif établi à la suite d’un audit de la flotte extérieure française, qui a conduit au constat d’un respect insuffisant par la France de ses obligations et à l’engagement d’une procédure EU Pilot. Selon la décision attaquée, cette dernière n’a pas abouti à la résolution des insuffisances constatées par la Commission, de sorte que celle-ci prévoyait alors d’engager une procédure en manquement.

71      La décision attaquée explique également que les documents 2.7 à 2.9 et 2.11 ont été établis à la suite d’audits visant à évaluer la mise en œuvre, par la France, du plan d’action pour corriger les déficiences du système de collecte et d’enregistrement des données de capture des produits de la pêche. Selon la décision attaquée, le document 2.12 concerne plus particulièrement le système d’enregistrement des données de capture du thon rouge. Chacun de ces documents conduirait, comme le document 2.10, au constat d’insuffisances non résolues dans la mise en œuvre des règles de la politique commune de la pêche et, à la date de la décision attaquée, les services de la Commission auraient consulté le collège des commissaires en vue de l’adoption d’une lettre de mise en demeure.

72      Enfin, en ce qui concerne le document 2.13, la décision attaquée indique qu’il s’agit d’un rapport d’audit définitif concluant à l’insuffisance des mesures adoptées par la France pour assurer le respect des obligations applicables lors du « débarquement » des produits de la pêche, au sens du règlement no 1224/2009. La décision attaquée précise que ce document est inclus dans le dossier d’une autre enquête relative à ces mesures et que, à la date de cette décision, les services de la Commission étaient en train de consulter le collège des commissaires concernant une possible lettre de mise en demeure.

73      Partant, il ressort de la décision attaquée que, à la date à laquelle celle-ci a été adoptée, les documents 2.7 à 2.13 faisaient partie de dossiers d’enquêtes en cours visant à l’éventuel engagement de procédures en manquement, lesdites enquêtes ayant été identifiées de façon suffisamment précise dans ladite décision et se trouvant à un stade avancé, en l’espèce celui des consultations avec le collège des commissaires en vue de l’adoption d’une lettre de mise en demeure adressée à la France.

74      Il en résulte que, contrairement à ce que soutient la requérante, à la date d’adoption de la décision attaquée, l’ouverture de procédures en manquement sur la base de ces enquêtes n’était pas hypothétique.

75      Il y a donc lieu de constater que c’est sans commettre d’erreur de droit ou d’appréciation que, dans la décision attaquée, la Commission a considéré que les documents 2.7 à 2.13 étaient, à la date de cette décision, des documents afférents à des procédures en manquement au stade de la phase précontentieuse et qu’ils étaient donc couverts par une présomption générale de confidentialité.

76      Au surplus, il peut être relevé que, ainsi qu’il a été mentionné au point 15 ci-dessus, les enquêtes dont les dossiers contenaient les documents 2.7 à 2.13 ont effectivement donné lieu à l’ouverture formelle de procédures en manquement entre deux et cinq mois après l’adoption de la décision attaquée.

77      Quant à l’argument de la requérante selon lequel les documents demandés ne contiennent aucune prise de position de la part de la Commission, force est de constater qu’il n’infirme pas la conclusion énoncée au point 75 ci-dessus, car il se heurte à la nature même de ces documents. En effet, leur finalité est d’évaluer le comportement de l’État membre concerné et les éventuelles lacunes du contrôle que celui-ci doit exercer pour faire respecter les règles de la politique commune de la pêche.

78      Partant, la seconde branche du premier moyen ne saurait être accueillie et celui-ci doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur le second moyen, tiré d’un constat erroné d’absence d’intérêt public supérieur, ainsi que d’un défaut de motivation

79      De manière analogue à ce qui a été exposé aux points 19 à 22 ci-dessus concernant le premier moyen, il convient de constater à titre liminaire que les arguments relatifs à un défaut de motivation avancés par la requérante au titre du second moyen ont eux aussi une portée très limitée et visent plutôt le bien-fondé de l’appréciation de la Commission.

80      En substance, la requérante soutient que l’identification d’un intérêt public supérieur à la divulgation suppose de mettre en balance les intérêts en présence, à savoir, d’une part, l’intérêt protégé par l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 et, d’autre part, l’intérêt général favorisé par la divulgation. La Commission n’aurait pas suffisamment motivé cet exercice de mise en balance.

81      Il convient de relever que ces arguments, afférents à l’insuffisance de la mise en balance des intérêts, ne concernent pas l’obligation de motivation, mais qu’ils mettent en cause le bien-fondé de la décision attaquée (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 6 septembre 2013, Sepro Europe/Commission, T‑483/11, non publié, EU:T:2013:407, point 107 et jurisprudence citée).

82      Il y a donc lieu de conclure que, lorsque la requérante invoque un défaut de motivation dans le cadre du second moyen, elle ne formule pas de moyen autonome tiré d’une violation de l’obligation de motivation.

83      Compte tenu des considérations liminaires qui précèdent, il convient de considérer que, par le second moyen, la requérante conteste la conclusion de la décision attaquée selon laquelle il n’existe pas d’intérêt public supérieur justifiant la divulgation des documents demandés. Ses arguments à ce titre se répartissent en trois branches ayant, respectivement, trait à la protection de la santé humaine et de l’environnement, à la protection des consommateurs et au principe de bonne administration des fonds de l’Union.

84      Ainsi, en premier lieu, la requérante fait observer qu’une procédure législative est en cours dans le but de modifier le règlement no 1224/2009, à laquelle elle souhaite participer autant que possible. L’accès aux documents demandés lui permettrait de plaider plus efficacement en faveur de la protection de la santé humaine et de l’environnement au cours de cette procédure législative, ce qui, selon elle, constitue un intérêt public supérieur justifiant la divulgation.

85      En deuxième lieu, la requérante soutient, en renvoyant à certains textes de droit dérivé ayant pour objectif la protection des consommateurs, que l’information correcte de ces derniers sur le point de savoir si des produits de la mer ont été pêchés dans le respect de l’environnement contribue à remplir cet objectif. Selon la requérante, les documents demandés lui permettront de déterminer si les consommateurs peuvent être sûrs que les poissons d’une zone particulière sont capturés par des navires convenablement contrôlés.

86      Dans la réplique, pour parer à tout reproche d’irrecevabilité, la requérante précise que son argumentation tirée de la protection des consommateurs n’est que la concrétisation de ses arguments en matière d’environnement.

87      En troisième et dernier lieu, la requérante fait valoir qu’il existe un intérêt public supérieur à divulguer les documents demandés dans la mesure où ils se rapportent à de possibles violations du principe de bonne administration appliqué aux fonds de l’Union, notamment au Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l’aquaculture.

88      La Commission conteste les arguments de la requérante.

89      Dans la décision attaquée, la Commission reproche à la requérante de ne pas avoir démontré que les documents demandés seraient utiles au débat concernant la révision du règlement no 1224/2009. De plus, elle estime avoir publié suffisamment d’informations sur les procédures en manquement concernées.

90      La décision attaquée n’aborde pas la question de la protection des consommateurs ni celle de la bonne administration des fonds de l’Union.

91      Il convient de rappeler que, conformément à l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001, « [l]es institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection […] des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé ».

92      Selon une jurisprudence constante, il incombe à celui qui fait valoir l’existence d’un intérêt public supérieur d’invoquer de manière concrète les circonstances justifiant la divulgation des documents concernés (voir arrêt du 29 septembre 2021, AlzChem Group/Commission, T‑569/19, EU:T:2021:628, point 124 et jurisprudence citée).

93      Ainsi, le régime des exceptions prévu à l’article 4 du règlement no 1049/2001, et notamment au paragraphe 2 de cet article, est fondé sur une mise en balance des intérêts qui s’opposent dans une situation donnée, à savoir, d’une part, les intérêts qui seraient favorisés par la divulgation des documents concernés et, d’autre part, ceux qui seraient menacés par cette divulgation. La décision prise à propos d’une demande d’accès à des documents dépend de la question de savoir quel est l’intérêt qui doit prévaloir dans le cas d’espèce (voir arrêt du 29 septembre 2021, AlzChem Group/Commission, T‑569/19, EU:T:2021:628, point 125 et jurisprudence citée).

94      S’il est vrai que la requérante explique de manière convaincante que les documents demandés lui seraient utiles pour participer effectivement au processus législatif de révision du règlement no 1224/2009, dans le but d’une protection accrue de la santé humaine et de l’environnement, ses explications ne suffisent pas pour démontrer l’existence d’un intérêt public supérieur justifiant la divulgation.

95      En effet, il convient de noter que l’activité administrative de la Commission n’exige pas la même étendue de l’accès aux documents que celle requise par l’activité législative d’une institution de l’Union (voir arrêts du 4 octobre 2018, Daimler/Commission, T‑128/14, EU:T:2018:643, point 118 et jurisprudence citée, et du 29 septembre 2021, AlzChem Group/Commission, T‑569/19, EU:T:2021:628, point 37 et jurisprudence citée).

96      En outre, il y a lieu de constater, à l’instar de la Commission, que l’argumentation de la requérante pourrait être étendue à tout document utile à la participation au débat législatif en matière environnementale et réduire ainsi à néant l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001. Elle revêt donc un caractère trop général pour constituer un intérêt public supérieur justifiant la divulgation (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 16 juillet 2015, ClientEarth/Commission, C‑612/13 P, EU:C:2015:486, point 93, et du 29 septembre 2021, AlzChem Group/Commission, T‑569/19, EU:T:2021:628, point 130 et jurisprudence citée).

97      S’agissant des arguments de la requérante relatifs à la protection des consommateurs et à la bonne administration des fonds de l’Union, ils revêtent eux aussi, en tout état de cause, un caractère trop général. Au demeurant, ainsi qu’elle l’a indiqué dans la décision attaquée, la Commission veille à informer le public sur l’avancement de dossiers d’infraction spécifiques par la publication régulière de communiqués de presse (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 23 janvier 2017, Justice & Environment/Commission, T‑727/15, non publié, EU:T:2017:18, point 60).

98      Partant, aucune des trois branches du second moyen ne saurait être accueillie et il y a lieu de rejeter ce dernier dans son intégralité.

 Sur la demande de mesure d’instruction

99      Aux fins de l’appréciation de l’existence d’un intérêt public supérieur, la requérante demande au Tribunal d’ordonner la production des documents demandés, par la voie d’une mesure d’instruction en vertu des dispositions combinées de l’article 91, sous c), et de l’article 104 de son règlement de procédure.

100    À cet égard, il y a lieu de rappeler que le contrôle juridictionnel d’une décision de refus d’accès à des documents doit porter sur la motivation sur laquelle elle est fondée. Ainsi, si cette motivation s’appuie sur la pondération des effets que la divulgation du document doit produire sur certains biens, valeurs ou intérêts, son contrôle ne sera possible que dans la mesure où le Tribunal pourra se forger son propre jugement quant au contenu matériel du document. Dans une telle hypothèse, il appartient au Tribunal d’effectuer la consultation du document in camera (voir arrêt du 12 mai 2015, Unión de Almacenistas de Hierros de España/Commission, T‑623/13, EU:T:2015:268, point 105 et jurisprudence citée).

101    Cependant, en application d’une présomption générale, comme dans le cas d’espèce, l’institution peut répondre à une demande globale sans procéder à un examen concret et individuel de chacun des documents pour lesquels un accès a été demandé (voir arrêt du 12 mai 2015, Unión de Almacenistas de Hierros de España/Commission, T‑623/13, EU:T:2015:268, point 106 et jurisprudence citée).

102    Dès lors, il n’appartient pas au Tribunal de procéder lui-même à une appréciation in concreto de chacun des documents demandés aux fins de s’assurer que l’accès à ces documents porterait atteinte aux intérêts invoqués.

103    Il résulte de ce qui précède que la demande de mesure d’instruction doit être rejetée.

104    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, aucun des deux moyens présentés par la requérante au soutien de ses conclusions ne pouvant être accueilli, le recours doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

105    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

106    La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      ClientEarth AISBL est condamnée aux dépens.

Marcoulli

Frimodt Nielsen

Norkus

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er février 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.