Language of document : ECLI:EU:T:2021:340

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

9 juin 2021 (*)

« Droit institutionnel – Initiative citoyenne européenne – “Droits de l’Union européenne, droits des minorités et démocratisation des institutions espagnoles” – Nouveau cadre de l’Union pour renforcer l’État de droit – Refus d’enregistrement – Défaut manifeste d’attributions de la Commission – Absence d’invitation à présenter une proposition d’acte juridique de l’Union – Article 4, paragraphe 2, et article 2, point 1, du règlement (UE) no 211/2011 – Obligation de motivation – Article 296 TFUE »

Dans l’affaire T‑611/19,

Comité des citoyens de l’initiative « Derecho de la UE, derechos de las minorías y democratización de las instituciones españolas », représenté par Mes G. Boye, I. Elbal Sánchez, E. Valcuende Sillero et I. González Martínez, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme I. Martínez del Peral, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

soutenue par

Royaume d’Espagne, représenté par Mme S. Centeno Huerta, en qualité d’agent,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (UE) 2019/1182 de la Commission, du 3 juillet 2019, relative à la proposition d’initiative citoyenne intitulée « Droits de l’Union européenne, droits des minorités et démocratisation des institutions espagnoles » (JO 2019, L 185, p. 46),

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de Mme M. J. Costeira, présidente, M. D. Gratsias et Mme T. Perišin (rapporteure), juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 10 décembre 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 30 avril 2019, le requérant, le comité des citoyens de l’initiative « Derecho de la UE, derechos de las minorías y democratización de las instituciones españolas », composé de Mme Elisenda Paluzie, M. Gérard Onesta, Mme Katarina Sundström, MM. Ulrich Rudolf Hoinkes, Mikko Kärnä, Igor Ignac Koršič et Bart Remi Klaas Maddens, a présenté à la Commission européenne une demande d’enregistrement de la proposition d’initiative citoyenne européenne (ICE) intitulée « Droits de l’Union européenne, droits des minorités et démocratisation des institutions espagnoles » (ci-après la « proposition d’ICE »).

2        Cette proposition avait pour objet, aux termes des informations fournies en application de l’article 4, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement (UE) no 211/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, relatif à l’initiative citoyenne (JO 2011, L 65, p. 1), lu en combinaison avec l’annexe II de ce même règlement : « Les risques systémiques en Espagne, le traitement des groupes minoritaires et le besoin urgent d’encourager les actions contribuant à démocratiser le pays et à l’aligner sur les principes fondamentaux du droit de l’Union européenne ».

3        La proposition d’ICE avait pour but de « faire en sorte que tant la Commission que le Parlement européen soient pleinement conscients de la situation actuelle en Espagne, des risques systémiques dans le pays, du non-respect des règles et des principes directeurs du droit de l’Union [...] et de la nécessité d’activer les mécanismes contribuant à améliorer les standards de la démocratie en Espagne, garantissant ainsi les droits et les libertés des groupes minoritaires et de tous les citoyens espagnols au moyen du droit et des instruments de l’Union ». Elle se référait au traité de Lisbonne, à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et au traité FUE comme fondements juridiques de l’initiative.

4        En annexe aux informations requises, le requérant a joint, conformément à l’annexe II du règlement no 211/2011, des informations plus détaillées. Celles-ci concernaient, tout d’abord, une description des faits à l’origine de la proposition d’ICE, notamment certains faits présentant un lien avec le mouvement en faveur de l’indépendance de la Catalogne. Ensuite, lesdites informations décrivaient les menaces systémiques que ces faits faisaient peser, selon le requérant, sur l’État de droit en Espagne, en particulier en ce qui concerne le respect des principes de légalité et de sécurité juridique, de l’indépendance et de l’impartialité des juridictions, de la séparation des pouvoirs, de la liberté de réunion, de la liberté d’expression, du droit à des élections libres, du droit à la liberté et du droit à l’égalité de traitement. À cet égard, le requérant a fait référence à la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil COM(2014) 158 final, du 11 mars 2014, intitulée « Un nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’État de droit » (ci-après le « cadre pour l’État de droit »), dont il a décrit le fonctionnement. Enfin, dans lesdites informations, le requérant a demandé à la Commission d’entamer la première étape du cadre pour l’État de droit en procédant à une évaluation visant à déterminer s’il existe ou non des indices clairs d’une menace systémique envers l’État de droit en Espagne et, le cas échéant, en engageant un dialogue avec cet État membre.

5        Par sa décision (UE) 2019/1182, du 3 juillet 2019, relative à la proposition d’initiative citoyenne intitulée « Droits de l’Union européenne, droits des minorités et démocratisation des institutions espagnoles » (JO 2019, L 185, p. 46, ci-après la « décision attaquée »), la Commission a refusé d’enregistrer la proposition d’ICE. Au considérant 6 de la décision attaquée, la Commission a constaté que, si la proposition d’ICE l’invitait à examiner la situation en Espagne en ce qui concerne le mouvement en faveur de l’indépendance de la Catalogne au regard du cadre pour l’État de droit et, le cas échéant, à prendre des mesures à cet égard, elle ne l’invitait pas à présenter une proposition d’acte juridique de l’Union européenne. Au considérant 7 de cette décision, la Commission a conclu que la proposition d’ICE était manifestement en dehors du cadre de ses attributions en vertu desquelles elle peut présenter une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités, au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, lu en combinaison avec son article 2, point 1.

 Procédure et conclusions des parties

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 septembre 2019, le requérant a introduit le présent recours.

7        Le 28 novembre 2019, la Commission a déposé le mémoire en défense.

8        Par demande déposée au greffe du Tribunal le 7 novembre 2019, le Royaume d’Espagne a demandé à intervenir au litige au soutien des conclusions de la Commission. Par décision du 5 décembre 2019, la présidente de la neuvième chambre du Tribunal a fait droit à cette demande.

9        Le requérant a déposé la réplique le 23 janvier 2020.

10      Le Royaume d’Espagne a déposé son mémoire en intervention le 18 février 2020.

11      La Commission et le requérant ont déposé leurs observations sur ledit mémoire, respectivement, le 2 et le 4 mars 2020.

12      La Commission a déposé la duplique le 9 mars 2020.

13      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 10 décembre 2020.

14      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

15      La Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

16      À l’appui du recours, le requérant présente quatre moyens. Le premier moyen est tiré de la violation de l’obligation de motivation. Le deuxième moyen est tiré de la violation de l’article 11 TUE, de l’article 24, premier alinéa, TFUE et de l’article 4, paragraphe 2, sous a), c) et d), du règlement no 211/2011, dans la mesure où toutes les conditions prévues audit paragraphe 2, sous a), c) et d), pour l’enregistrement de la proposition d’ICE auraient été remplies. Les troisième et quatrième moyens, qu’il convient de traiter ensemble, sont tirés de la violation de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, lu en combinaison avec l’article 2, point 1, de ce règlement, en ce que la Commission aurait considéré à tort que la proposition d’ICE était manifestement en dehors du cadre de ses attributions.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

17      Par son premier moyen, le requérant soutient, en substance, que la décision attaquée viole l’obligation de motivation énoncée à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE ainsi qu’à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 211/2011.

18      À cet égard, le requérant fait valoir que les décisions individuelles nécessitent une motivation détaillée, les considérations ayant conduit à l’adoption d’une telle décision devant toutes y être incluses.

19      En l’espèce, le seul motif de refus indiqué dans la décision attaquée serait que la proposition d’ICE ne relève manifestement pas des attributions de la Commission permettant à celle-ci de soumettre une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités, sans précision des motifs pour lesquels tel serait le cas. Toutefois, une motivation précise serait nécessaire pour que les organisateurs de la proposition d’ICE aient réellement la possibilité de s’opposer à la décision attaquée et pour que le Tribunal puisse exercer son pouvoir de contrôle. En outre, une motivation précise permettrait auxdits organisateurs d’apporter des changements, des modifications et des amendements à la proposition d’ICE, conformément à l’avis juridique de la Commission, et de la présenter à nouveau à celle-ci en vue de son enregistrement.

20      Dans son mémoire en réplique, le requérant fait valoir que, dans la décision attaquée, seulement deux phrases peuvent faire office de motivation, tandis que, dans le mémoire en défense, la Commission consacre plus de deux pages à expliquer les motifs l’ayant conduite à adopter ladite décision. Cette différence de longueur et de précision de la motivation confirmerait que la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation, la Commission tentant d’y remédier dans le mémoire en défense et reconnaissant ainsi implicitement que cette décision n’est pas suffisamment motivée.

21      La Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, conteste ces arguments et conclut au rejet du premier moyen.

22      Selon une jurisprudence constante, l’obligation de motiver une décision individuelle, posée par l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, a pour but de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour déterminer si la décision est bien fondée ou si elle est, éventuellement, entachée d’un vice permettant d’en contester la validité et de permettre au juge de l’Union d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision contrôlée. L’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 211/2011, selon lequel la Commission informe les organisateurs des motifs du refus d’enregistrement d’une proposition d’ICE, constitue l’expression spécifique de ladite obligation de motivation dans le domaine de l’ICE (voir arrêt du 3 février 2017, Minority SafePack – one million signatures for diversity in Europe/Commission, T‑646/13, EU:T:2017:59, point 15 et jurisprudence citée).

23      Conformément à une jurisprudence également constante, la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte et de la nature des motifs invoqués. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte (voir arrêt du 3 février 2017, Minority SafePac k – one million signatures for diversity in Europe/Commission, T‑646/13, EU:T:2017:59, point 16 et jurisprudence citée).

24      Le fait que la proposition d’ICE ne soit pas enregistrée est de nature à affecter l’effectivité même du droit des citoyens de présenter une ICE, consacré par l’article 24, premier alinéa, TFUE. En conséquence, une telle décision doit faire clairement apparaître les motifs justifiant ledit refus (voir arrêt du 3 février 2017, Minority SafePack – one million signatures for diversity in Europe/Commission, T‑646/13, EU:T:2017:59, point 17 et jurisprudence citée).

25      En effet, le citoyen ayant présenté une proposition d’ICE doit être mis en mesure de comprendre les raisons pour lesquelles celle‑ci n’est pas enregistrée par la Commission, de sorte qu’il appartient à la Commission, saisie d’une telle proposition, de l’apprécier, mais également de spécifier les différents motifs de la décision de refus, eu égard à l’incidence de celle‑ci sur l’exercice effectif du droit consacré par le traité. Cela découle de la nature même de ce droit qui, comme il est relevé au considérant 1 du règlement no 211/2011, est censé renforcer la citoyenneté européenne et améliorer le fonctionnement démocratique de l’Union par une participation des citoyens à la vie démocratique de l’Union (voir arrêt du 3 février 2017, Minority SafePack – one million signatures for diversity in Europe/Commission, T‑646/13, EU:T:2017:59, point 18 et jurisprudence citée).

26      Il ressort également d’une jurisprudence bien établie que la Commission n’est pas obligée, dans la motivation de ses décisions, de prendre position sur tous les arguments invoqués par les intéressés pendant la procédure administrative. Il suffit, en effet, à la Commission d’exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (voir, en ce sens, arrêt du 19 avril 2016, Costantini e.a./Commission, T‑44/14, EU:T:2016:223, point 71 et jurisprudence citée).

27      Il ressort de la jurisprudence citée aux points 24 à 26 ci-dessus que, contrairement à ce que fait valoir le requérant, la Commission n’était pas obligée de préciser de manière détaillée toutes les considérations qui l’ont amenée à adopter la décision attaquée. Il suffit que cette décision fasse clairement apparaître les motifs justifiant le refus d’enregistrer la proposition d’ICE.

28      Il est vrai que la motivation de la décision attaquée est concise, ainsi que le reconnaît la Commission. Toutefois, ce constat n’implique pas en soi une violation de l’obligation de motivation, pour autant que cette décision fasse clairement apparaître les motifs qui ont amené la Commission à refuser d’enregistrer la proposition d’ICE.

29      Or, il ressort clairement de la décision attaquée que la Commission a motivé le refus d’enregistrer la proposition d’ICE par le non-respect de la condition prévue à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, lu en combinaison avec son article 2, point 1. À cet égard, il est précisé au considérant 5 de la décision attaquée que la Commission enregistre une ICE, pour autant que les conditions prévues à l’article 4, paragraphe 2, sous a) à d), dudit règlement soient remplies. Ensuite, il est indiqué au considérant 6 de cette décision que, si la proposition d’ICE invite la Commission à examiner la situation en Espagne en ce qui concerne le mouvement en faveur de l’indépendance de la Catalogne au regard du cadre pour l’État de droit et, le cas échéant, à prendre des mesures à cet égard, elle ne l’invite pas à présenter une proposition d’acte juridique de l’Union. Enfin, au considérant 7 de ladite décision, il est relevé que, compte tenu de ce qui précède, la proposition d’ICE est manifestement en dehors du cadre des attributions de la Commission en vertu desquelles celle-ci peut présenter une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités, au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011.

30      Cette motivation fait ainsi clairement apparaître que le refus d’enregistrement de la proposition d’ICE était motivé par le fait que celle-ci n’invitait pas la Commission à présenter une proposition d’acte juridique de l’Union, ainsi que l’exige l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, lu en combinaison avec son article 2, point 1.

31      Par ailleurs, il convient de relever, à l’instar du Royaume d’Espagne, qu’il ressort du recours, et notamment de son quatrième moyen, que le requérant a compris cette motivation.

32      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la décision attaquée contient, compte tenu de son contexte, suffisamment d’éléments permettant au requérant de connaître les justifications du refus d’enregistrement de la proposition d’ICE et au juge de l’Union d’exercer son contrôle.

33      Partant, le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 11 TUE, de l’article 24, premier alinéa, TFUE et de l’article 4, paragraphe 2, sous a), c) et d), du règlement no 211/2011

34      Par son deuxième moyen, le requérant soutient, en substance, que la décision attaquée viole l’article 11 TUE, l’article 24, premier alinéa, TFUE et l’article 4, paragraphe 2, sous a), c) et d), du règlement no 211/2011, dans la mesure où toutes les conditions prévues audit paragraphe 2, sous a), c) et d), pour l’enregistrement de la proposition d’ICE auraient été remplies.

35      Premièrement, le comité des citoyens aurait été constitué et les personnes de contact auraient été désignées conformément à l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 211/2011. En outre, les organisateurs résideraient dans sept États membres différents, seraient en âge de voter aux élections du Parlement européen et aucun d’entre eux ne serait membre de celui-ci. Deuxièmement, la proposition d’ICE ne serait pas manifestement abusive, fantaisiste ou vexatoire. Troisièmement, elle ne serait pas non plus manifestement contraire aux valeurs de l’Union telles qu’énoncées à l’article 2 TUE.

36      La Commission soutient que le deuxième moyen est inopérant.

37      Il ressort de l’article 11, paragraphe 4, second alinéa, TUE que les procédures et conditions requises pour la présentation d’une ICE sont fixées conformément à l’article 24, premier alinéa, TFUE. En vertu de cette dernière disposition, le Parlement et le Conseil de l’Union européenne, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, arrêtent les dispositions relatives aux procédures et conditions requises pour la présentation d’une ICE, y compris le nombre minimum d’États membres dont les citoyens qui la présentent doivent provenir.

38      Ainsi que le relève à juste titre le requérant, ces dispositions sont mises en œuvre par le règlement no 211/2011, dont l’article 1er énonce que celui-ci établit les procédures et conditions requises pour une ICE, ainsi que le prévoient l’article 11 TUE et l’article 24 TFUE. Ce règlement constitue donc le point de référence pour contrôler le respect de ces conditions.

39      En l’espèce, l’argumentation soulevée par le requérant dans le cadre du deuxième moyen concerne les conditions visées à l’article 4, paragraphe 2, sous a), c) et d), du règlement no 211/2011.

40      L’article 4, paragraphe 2, sous a), c) et d), du règlement no 211/2011 se lit ainsi :

« Dans les deux mois qui suivent la réception des informations décrites à l’annexe II, la Commission enregistre la proposition d’[ICE] sous un numéro d’enregistrement unique et transmet une confirmation aux organisateurs, pour autant que les conditions suivantes soient remplies :

a)      le comité des citoyens a été constitué et les personnes de contact ont été désignées conformément à l’article 3, paragraphe 2 ;

[…]

c)      la proposition d’[ICE] n’est pas manifestement abusive, fantaisiste ou vexatoire ; et

d)      la proposition d’[ICE] n’est pas manifestement contraire aux valeurs de l’Union telles qu’énoncées à l’article 2 [TUE]. »

41      Or, il est constant que, dans la décision attaquée, la Commission a refusé d’enregistrer la proposition d’ICE au motif que la condition énoncée à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, lu en combinaison avec son article 2, point 1, n’était pas remplie, ainsi qu’il ressort du considérant 7 de cette décision. En revanche, dans celle-ci, la Commission n’a nullement contesté le fait que la proposition d’ICE satisfaisait aux exigences de l’article 4, paragraphe 2, sous a), c) et d), du règlement no 211/2011.

42      Il s’ensuit que le deuxième moyen doit être rejeté.

 Sur les troisième et quatrième moyens, tirés de la violation de l’article 4, paragraphe 2, sous b), lu en combinaison avec l’article 2, point 1, du règlement no 211/2011

43      Par ses troisième et quatrième moyens, qu’il convient de traiter ensemble, le requérant soutient, en substance, que la Commission a considéré à tort, dans la décision attaquée, que la proposition d’ICE était manifestement en dehors du cadre de ses attributions, au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, lu en combinaison avec son article 2, point 1, au motif que cette proposition ne l’invitait pas à présenter une proposition d’acte juridique de l’Union.

44      En premier lieu, le requérant fait valoir que, par la proposition d’ICE, il était demandé à la Commission de présenter des propositions sur des sujets pour lesquels il estime que l’adoption d’un acte juridique aux fins de l’application des traités est nécessaire. L’annexe de la proposition d’ICE aurait exposé la situation dans huit domaines précis qui nécessiteraient, selon lui, une action de la part des institutions de l’Union, puisqu’il y apparaîtrait une menace claire contre l’État de droit en Espagne. Les domaines concernés seraient, premièrement, les principes de légalité et de sécurité juridique, deuxièmement, l’indépendance et l’impartialité des juridictions, troisièmement, la séparation des pouvoirs, quatrièmement, la liberté de réunion, cinquièmement, la liberté d’expression, sixièmement, le droit à des élections libres, septièmement, le droit à la liberté et, huitièmement, le droit à l’égalité de traitement.

45      Le requérant soutient que la Commission a considéré à tort que la proposition d’ICE ne relevait manifestement pas des attributions lui permettant de soumettre une proposition d’adoption d’un acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités, dans la mesure où il serait manifeste que les huit domaines abordés dans la proposition d’ICE relèvent tous des attributions habilitant la Commission à soumettre une telle proposition.

46      En second lieu, le requérant fait valoir que, en conformité avec l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, lu en combinaison avec son article 2, point 1, la proposition d’ICE invitait la Commission à présenter une proposition d’acte juridique de l’Union, acte qui aurait consisté à lancer la première étape de la mise en œuvre du cadre pour l’État de droit.

47      Selon le requérant, il ressort desdites dispositions que l’ICE doit soulever des questions pour lesquelles les citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire et qu’il appartient alors à la Commission de soumettre une proposition appropriée pour répondre à ces questions. Cette condition serait remplie en l’espèce. En effet, dans la proposition d’ICE, le requérant aurait soulevé une série de questions qui engendrent certains risques systémiques pour le Royaume d’Espagne et, pour trouver une solution à cette situation, aurait proposé à la Commission d’activer le cadre pour l’État de droit.

48      Dans ce contexte, le requérant conteste l’affirmation de la Commission selon laquelle la proposition d’acte juridique mentionnée par le règlement no 211/2011 doit être adressée au Conseil, ou au Parlement et au Conseil. Cette affirmation ne ressortirait pas explicitement du libellé des dispositions dudit règlement, qui se référeraient toutes à la présentation d’une proposition d’acte juridique, et non pas à la présentation d’une proposition d’acte législatif. Cela serait d’autant plus vrai que, si la version initiale du règlement, dans sa version espagnole, mentionnait, en son article 2, point 1, un « acte législatif de l’Union », cette formulation aurait été corrigée par un rectificatif selon lequel il conviendrait de lire cette mention comme « acte juridique de l’Union ».

49      La Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, réfute les arguments du requérant et conclut au rejet des troisième et quatrième moyens.

 Considérations liminaires

50      Il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 11, paragraphe 4, premier alinéa, TUE :

« Des citoyens de l’Union, au nombre d’un million au moins, ressortissants d’un nombre significatif d’États membres, peuvent prendre l’initiative d’inviter la Commission [...], dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application des traités. »

51      En conformité avec cette disposition, l’article 2, point 1, du règlement no 211/2011 définit l’ICE comme une initiative présentée à la Commission en application de ce règlement, « [l’]invitant à soumettre, dans le cadre de ses attributions, une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles des citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application des traités » et ayant recueilli le soutien d’au moins un million de signataires admissibles provenant d’au moins un quart de l’ensemble des États membres. Conformément à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 211/2011, la Commission refuse d’enregistrer la proposition d’ICE si, par référence aux termes de son article 4, paragraphe 2, sous b), elle est « manifestement en dehors du cadre [de ses] attributions en vertu desquelles elle peut présenter une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités ».

52      Il résulte des dispositions précitées que, afin d’être enregistrée par la Commission, une proposition d’ICE doit obligatoirement inviter celle-ci à soumettre une proposition d’acte juridique de l’Union dans un domaine qui relève de ses attributions.

53      À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que, en l’absence d’une invitation à soumettre une proposition d’acte juridique, une ICE ne répond pas aux conditions prévues à l’article 2, point 1, et à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, de sorte que son enregistrement doit être refusé par la Commission.

54      Ensuite, il y a lieu de rappeler que la notion d’acte juridique, au sens de l’article 11, paragraphe 4, TUE ainsi que de l’article 2, point 1, et de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, vise, conformément à l’article 288 TFUE, des règlements, des directives, des décisions, des recommandations et des avis adoptés par les institutions. Le Tribunal a déjà jugé que cette notion ne saurait être interprétée de manière restrictive comme se limitant aux seuls actes juridiques de l’Union définitifs et produisant des effets juridiques à l’égard des tiers (arrêt du 10 mai 2017, Efler e.a./Commission, T‑754/14, EU:T:2017:323, point 35).

55      Le requérant soutient donc à juste titre qu’il n’est pas exigé que la proposition que la Commission est invitée à soumettre par une ICE concerne un acte législatif, notion qui a une portée moins large et qui vise uniquement les actes juridiques adoptés par procédure législative, ainsi qu’il ressort de l’article 289, paragraphe 3, TFUE.

56      Dans ce contexte, il convient de souligner que les dispositions pertinentes du règlement no 211/2011 visent un « acte juridique », et non pas un « acte législatif ». À cet égard, s’il est exact que la version initiale espagnole de ce règlement mentionnait, dans son article 2, point 1, un « acte législatif », il n’en reste pas moins que cette mention a par la suite fait l’objet d’un rectificatif (JO 2011, L 330, p. 47), ainsi que le fait valoir le requérant.

57      Toutefois, contrairement à ce que le requérant prétend, le fait qu’une ICE doit concerner une proposition d’acte juridique et non pas une proposition d’acte législatif ne permet pas d’infirmer le point de vue défendu par la Commission selon lequel cette proposition d’acte juridique doit être adressée au Conseil ou au Parlement et au Conseil. En effet, ainsi que le relève à juste titre la Commission, les propositions d’acte juridique que celle-ci peut adresser au Conseil ou au Parlement et au Conseil ne sont pas limitées aux actes législatifs. À cet égard, il convient de relever qu’il ressort de l’article 17, paragraphe 2, TUE que les actes autres que les actes législatifs sont adoptés sur proposition de la Commission lorsque les traités le prévoient.

58      Enfin, dans la mesure où l’ICE doit inviter la Commission à soumettre un proposition d’acte juridique, une ICE qui invite la Commission à adopter elle-même un ou plusieurs actes autonomes, sans l’intervention du Conseil ou du Parlement et du Conseil, ne serait pas conforme aux conditions prévues à l’article 2, point 1, et à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, contrairement à ce qu’affirme le requérant. En effet, même s’il est exact que la Commission peut elle-même adopter des actes juridiques, de tels actes adoptés par la Commission ne sauraient être qualifiés de « proposition » d’acte juridique, dès lors qu’une telle proposition doit nécessairement être adressée au Conseil ou au Parlement et au Conseil (voir point 57 ci-dessus).

59      Ce constat est confirmé par le considérant 1 du règlement no 211/2011, en vertu duquel la procédure d’ICE donne aux citoyens la possibilité de s’adresser directement à la Commission pour lui présenter une demande l’invitant à soumettre une proposition d’acte de l’Union aux fins de l’application des traités, à l’instar du droit conféré au Parlement en vertu de l’article 225 TFUE et au Conseil en vertu de l’article 241 TFUE. Or, le droit d’initiative visé par ces dispositions comprend le droit de demander à la Commission de soumettre une proposition, et non pas le droit de lui demander d’adopter un acte qu’elle peut adopter seule, sans l’intervention du Conseil ou du Parlement et du Conseil.

 Application de ces principes en l’espèce

60      En l’espèce, en premier lieu, en ce qui concerne les huit domaines abordés dans la proposition d’ICE, le requérant soutient, en substance, que la décision attaquée est contraire à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, lu en combinaison avec son article 2, point 1, étant donné que ces huit domaines relèvent tous des attributions permettant à la Commission de soumettre une proposition d’acte juridique aux fins de l’application des traités.

61      À titre liminaire, il y a lieu de constater que la question de savoir si la mesure proposée dans le contexte d’une ICE relève du cadre des attributions de la Commission en vertu desquelles elle peut présenter une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités, au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, constitue, de prime abord, non pas une question de fait ou d’appréciation de preuve sujette, en tant que telle, aux règles en matière de charge de la preuve, mais essentiellement une question d’interprétation et d’application des dispositions des traités en cause (arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission, C‑420/16 P, EU:C:2019:177, point 61).

62      Ainsi, lorsque la Commission est saisie d’une demande d’enregistrement d’une proposition d’ICE, il ne lui appartient pas, à ce stade, de vérifier que la preuve de tous les éléments de fait invoqués est rapportée, ni que la motivation qui sous-tend la proposition et les mesures proposées est suffisante. Elle doit se borner à examiner, aux fins d’apprécier le respect de la condition d’enregistrement prévue à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, si, d’un point de vue objectif, de telles mesures, envisagées dans l’abstrait, pourraient être prises sur le fondement des traités (arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission, C‑420/16 P, EU:C:2019:177, point 62).

63      La Commission n’était donc pas tenue d’examiner les éléments de fait invoqués par le requérant concernant la situation des minorités qui existerait en Espagne. Elle pouvait se limiter à vérifier si les conditions d’enregistrement, et notamment celle prévue à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, étaient réunies.

64      En outre, il y a lieu de rappeler que le contrôle, par le Tribunal, du bien-fondé de la décision attaquée ne peut s’opérer qu’en fonction des indications qui avaient été fournies par les organisateurs de la proposition d’ICE, lors de leur demande d’enregistrement de celle‑ci adressée à la Commission, et non à la lumière de précisions qui n’ont été fournies par le requérant que dans le cadre du recours (voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2017, Anagnostakis/Commission, C‑589/15 P, EU:C:2017:663, point 53).

65      À cet égard, force est de constater que, dans la proposition d’ICE, le requérant a exposé les raisons pour lesquelles, selon lui, les mesures prises en Espagne dans le contexte du mouvement en faveur de l’indépendance de la Catalogne sont révélatrices des menaces systémiques qui pèseraient sur l’État de droit en Espagne dans huit domaines. Y sont également exposées les dispositions du droit de l’Union qui sont pertinentes à cet égard, selon le requérant. Toutefois, contrairement à ce que celui-ci fait valoir, la proposition d’ICE ne contenait aucune invitation explicite à ce que la Commission soumette une proposition d’acte juridique dans lesdits domaines. Ainsi que celle-ci le relève à juste titre, sans être contredite sur ce point, la seule action qu’elle était invitée à entreprendre dans la proposition d’ICE était la mise en œuvre de la première étape du cadre pour l’État de droit.

66      Dans ces conditions, la question de savoir si la Commission est compétente pour soumettre une  proposition d’adoption d’acte juridique dans les huit domaines analysés dans l’annexe de la proposition d’ICE est sans pertinence pour déterminer si la décision attaquée est conforme à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011. En effet, dans celle-ci, la Commission n’a pas estimé qu’elle n’avait pas de compétence ratione materiae pour soumettre de telles propositions. En revanche, elle a considéré à juste titre que, étant donné que la proposition d’ICE ne l’invitait pas à présenter une proposition d’acte juridique de l’Union, la condition prévue à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, lu en combinaison avec son article 2, point 1, n’était pas remplie.

67      En second lieu, le requérant affirme à juste titre que, dans l’annexe de la proposition d’ICE, la Commission était invitée à entamer la première étape du cadre pour l’État de droit, à savoir recueillir et analyser, en toute indépendance et impartialité, toutes les informations pertinentes et apprécier s’il existe des indices clairs d’une menace systémique envers l’État de droit dans l’État membre concerné.

68      Il y a lieu de relever qu’il ressort du cadre pour l’État de droit qu’il est destiné à protéger l’État de droit de manière efficace et cohérente dans tous les États membres et qu’il doit permettre de réagir et de résoudre la situation lorsqu’une menace systémique plane sur l’État de droit. À cet égard, ce cadre prévoit un processus qui se compose, en principe, de trois étapes, à savoir une évaluation par la Commission, une recommandation de cette dernière et un suivi de la recommandation.

69      La première étape dudit cadre consiste en une évaluation par la Commission, qui rassemble et examine toutes les informations utiles et apprécie s’il existe des indices clairs d’une menace systémique envers l’État de droit. Si, à la suite de cette évaluation préliminaire, la Commission est d’avis qu’il existe une situation de menace systémique envers l’État de droit, elle engage un dialogue avec l’État membre concerné en lui adressant un « avis sur l’État de droit » motivant ses préoccupations, et en lui donnant la possibilité de répondre.

70      Si, à la suite de la première étape, la Commission constate qu’il existe des éléments objectifs indiquant l’existence d’une menace systémique envers l’État de droit et que les autorités de l’État membre concerné ne prennent pas les mesures appropriées pour y remédier, elle entame la deuxième étape, en adressant à cet État membre une « recommandation sur l’État de droit ». Dans cette recommandation, la Commission indique les motifs de ses inquiétudes et elle recommande à l’État membre concerné de résoudre les problèmes recensés dans un certain délai et de l’informer des mesures prises à cet effet.

71      La troisième étape consiste en un contrôle par la Commission de la suite donnée à sa recommandation par l’État membre concerné. Ce suivi peut reposer sur de nouveaux échanges avec l’État membre et pourrait, par exemple, porter sur la persistance ou non de certaines pratiques préoccupantes, ou sur la manière dont l’État membre applique les engagements qu’il a pris entre-temps pour remédier à la situation ayant motivé la recommandation de la Commission.

72      Il convient donc d’examiner si l’invitation à entamer la première étape du cadre pour l’État de droit, telle qu’elle ressort de l’annexe de la proposition d’ICE, est conforme aux exigences prévues à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, lu en combinaison avec son article 2, point 1.

73      Premièrement, il est constant que la proposition d’ICE invite la Commission à lancer la première étape de la mise en œuvre du cadre pour l’État de droit et, donc, si les circonstances le justifient, à engager un dialogue avec le Royaume d’Espagne en lui adressant un « avis sur l’État de droit ». Toutefois, ainsi que le relève à juste titre la Commission, un tel avis constitue un acte que la Commission adopte seule, et non pas une proposition d’acte juridique. L’invitation à entamer la première étape du cadre pour l’État de droit, même lorsqu’elle aboutit à l’adoption d’un tel acte, ne répond donc pas aux exigences prévues à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, lu en combinaison avec son article 2, point 1.

74      Par ailleurs, il y a lieu de constater que l’activation du cadre pour l’État de droit, en elle-même, n’exige pas non plus l’adoption d’un acte juridique, contrairement à ce que soutient le requérant. En effet, ainsi qu’il le reconnaît lui-même, aucune disposition de ce cadre ne prévoit l’adoption d’un acte juridique à cette fin. Par conséquent, à cet égard encore, l’invitation à activer le cadre pour l’État de droit ne constitue pas une invitation à adopter une proposition d’acte juridique de l’Union et ne correspond donc pas aux exigences prévues à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, lu en combinaison avec son article 2, point 1.

75      Deuxièmement, la proposition d’ICE n’invite pas de manière explicite la Commission à mettre en œuvre la deuxième étape du cadre pour l’État de droit. Néanmoins, il est possible de considérer qu’elle le fait de manière implicite, dans la mesure où la mise en œuvre de cette étape est, dans certaines circonstances, la conséquence logique de la mise en œuvre de la première étape dudit cadre. Certes, la mise en œuvre de la deuxième étape implique que la Commission adopte un acte juridique, à savoir une « recommandation sur l’État de droit ». Toutefois, l’invitation à adopter une telle recommandation constitue une invitation à adopter un acte que la Commission peut adopter seule, et non pas à soumettre une proposition d’acte juridique. Une telle invitation ne répond donc pas non plus aux exigences prévues à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, lu en combinaison avec son article 2, point 1.

76      Troisièmement, la proposition d’ICE n’invite pas de manière explicite la Commission à mettre en œuvre la troisième étape du cadre pour l’État de droit, mais il serait également possible de considérer qu’elle le fait de manière implicite, dans la mesure où la mise en œuvre de cette étape est, dans certaines circonstances, la conséquence logique de la mise en œuvre des deux premières étapes dudit cadre. Il n’en reste pas moins que la mise en œuvre de la troisième étape porte sur le contrôle de la suite donnée par l’État membre concerné à la recommandation de la Commission, ce qui n’implique pas l’adoption, par la Commission, d’une proposition d’acte juridique. Partant, l’invitation à mettre en œuvre cette étape ne répond pas non plus aux exigences prévues à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, lu en combinaison avec son article 2, point 1.

77      À cet égard, il convient de relever que, contrairement à ce que le requérant fait valoir, la troisième étape du cadre pour l’État de droit n’englobe pas les mécanismes prévus à l’article 7 TUE.

78      Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, TUE, sur proposition motivée d’un tiers des États membres, du Parlement ou de la Commission, le Conseil, statuant à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres après approbation du Parlement, peut constater qu’il existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l’article 2 TUE. Aux termes de l’article 7, paragraphe 2, TUE, « [l]e Conseil européen, statuant à l’unanimité sur proposition d’un tiers des États membres ou de la Commission [...] et après approbation du Parlement […], peut constater l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l’article 2, après avoir invité cet État membre à présenter toute observation en la matière ». Conformément à l’article 7, paragraphe 3, TUE, lorsqu’une telle constatation a été faite, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider de suspendre certains des droits découlant de l’application des traités à l’État membre en question.

79      Or, concernant la troisième étape du cadre pour l’État de droit, il est tout simplement indiqué dans celui-ci que, « [f]aute de suite satisfaisante donnée à la recommandation dans le délai imparti, la Commission envisagera de recourir à l’un des mécanismes prévus à l’article 7 TUE ». En outre, dans ledit cadre, la Commission souligne que celui-ci « vise à mettre fin aux menaces qui pèseraient à l’avenir sur l’État de droit dans les États membres, avant que les conditions d’activation des mécanismes prévus à l’article 7 TUE ne soient réunies » et qu’il a vocation non pas à remplacer, mais à précéder et à compléter lesdits mécanismes. La Commission précise également que ce cadre ne lui interdit pas d’activer directement les mécanismes prévus à l’article 7 TUE si une détérioration soudaine survenant dans un État membre nécessitait une réaction plus ferme de l’Union.

80      Il s’ensuit que l’invitation à mettre en œuvre les étapes du cadre pour l’État de droit ne saurait être considérée comme une invitation à ce que la Commission recoure aux mécanismes prévus à l’article 7 TUE.

81      Par ailleurs, il ne ressort pas non plus de la proposition d’ICE que, par celle-ci, le requérant aurait invité la Commission à recourir à l’article 7 TUE. D’une part, ainsi que le fait remarquer à juste titre la Commission, cette disposition n’est pas mentionnée dans le formulaire de demande d’enregistrement de la proposition d’ICE parmi les dispositions des traités que les organisateurs jugent pertinentes pour l’action proposée. En effet, les organisateurs font référence, de manière générale, au traité de Lisbonne et au TFUE.

82      D’autre part, il est, certes, exact que, dans l’annexe dudit formulaire, le requérant demande à la Commission d’engager un dialogue avec le Royaume d’Espagne, conformément au cadre pour l’État de droit et aux voies vers la démocratie que cet État membre pourrait emprunter, et ce « sans préjudice » de ce qui est prévu à l’article 7 TUE. Toutefois, ce libellé ne saurait être interprété comme une invitation à ce que la Commission recoure aux mécanismes prévus par cet article.

83      Dans ces conditions, vu l’absence manifeste d’invitation à ce que la Commission soumette une proposition d’acte juridique de l’Union, la Commission a considéré à juste titre, dans la décision attaquée, que la proposition d’ICE était manifestement en dehors du cadre de ses attributions en vertu desquelles elle peut présenter une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités, au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, lu en combinaison avec son article 2, point 1.

84      Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter les troisième et quatrième moyens et, par conséquent, le recours.

 Sur les dépens

85      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

86      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Le comité des citoyens de l’initiative « Derecho de la UE, derechos de las minorías y democratización de las instituciones españolas » supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

3)      Le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens.

Costeira

Gratsias

Perišin

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 juin 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.